HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE V. — LA POLITIQUE EXTÉRIEURE ET LA POLITIQUE COLONIALE.

CHAPITRE IV. — LA POLITIQUE COLONIALE.

 

 

I. — LE REGIME ANTÉRIEUR À 1848 ET L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE.

LES possessions de la France hors d'Europe (si l'on excepte l'Algérie dont la conquête s'achevait) se réduisaient en 1848, comme en 1815,  aux débris de l'empire colonial détruit par l'Angleterre, petites colonies éparses dans le monde entier : en Amérique. deux petites Antilles, la Martinique et la Guadeloupe, deux îlots, Saint-Pierre et Miquelon, simples stations de pèche, et un morceau de la Guyane, désert et inexploré, dans l'Océan Indien, les anciennes possessions de la compagnie des Indes, l'île Bourbon et trois petites îles, dans Pinde cinq comptoirs dont un seul, Pondichéry, était une ville, — sur la côte occidentale de l'Afrique, des postes de commerce ou anciens (Saint-Louis et Gorée), ou rétablis (Assinie et Grand-Bassam en Guinée), ou nouveaux (au Gabon), — dans l'Océan Pacifique, le protectorat récent du petit archipel dépendant de Tahiti et l'archipel des Marquises. La population totale, évaluée à 659.000 habitants (en 1851), était presque toute concentrée dans les deux Antilles (263.000), Bourbon (129.000) et l'Inde (206.000), et composée en très grande partie d'indigènes ou de gens de couleur.

Les anciennes colonies, pays de langue française et de droit français, avaient une population de Français et d'esclaves nègres, hétérogène, mais unifiée par l'esclavage qui avait imposé aux noirs la langue et les coutumes des blancs. L'esclavage y avait dégradé les nègres et constitué une société aristocratique. Les créoles blancs, propriétaires des plantations et des maisons de commerce, formaient la classe supérieure ; les esclaves noirs formaient la masse des cultivateurs ; les nègres affranchis et les métis (gens de couleur), tenus à l'écart de la société, fournissaient les artisans et les petits marchands. — L'île Bourbon, outre les planteurs et leurs esclaves, établis au bord de la mer, avait dans la montagne une population de petits blancs pauvres. La Guyane n'avait qu'une ville, deux villages et 300 habitations dispersées, avec une population de 1.000 blancs, moins de 5.000 gens de couleur, 12.000 esclaves.

Ces colonies avaient abandonné, non seulement la culture des vivres, mais les anciennes cultures coloniales, le café (renommée ancienne de Bourbon et de la Martinique), le cacao, le girofle. Elles ne cultivaient plus guère que la canne à sucre destinée à la production du sucre et du rhum : culture à bras, avec des instruments primitifs, sans charrue et sans engrais. La plantation était un grand domaine que le propriétaire faisait cultiver par des nègres esclaves ; la fabrication se faisait sur le domaine, dans des chaudières à découvert.

Dans les colonies de l'Inde et de l'Afrique, les indigènes gardaient leur langue, leur religion, leur droit, qui les empêchaient de s'assimiler aux Français. La population très dense de l'Inde française se composait d'Hindous cultivateurs, qui produisaient de quoi se nourrir et quelques articles de vente, l'indigo, la noix de coco. Les nègres des côtes d'Afrique tonnaient des tribus barbares ; les blancs, très peu nombreux, venus pour le commerce, restaient étrangers à la population.

Le commerce entre la France et les colonies était réglé par le pacte colonial. Les colons devaient ne vendre leurs produits agricoles qu'en France et n'acheter que des produits d'industrie français ; en compensation, le marché français était réservé à leurs denrées coloniales. Mais leur droit exclusif de fournir le sucre à la métropole était rendu illusoire par la fabrication du sucre de betterave, et la douane française frappait leurs produits de droits très élevés, équivalents à leur valeur.

Le régime politique était le pouvoir discrétionnaire de la métropole. Chaque colonie avait son budget local, distinct depuis 1841 des dépenses d'intérêt général, mais préparé par un fonctionnaire. Les vieilles colonies seules avaient un conseil colonial, mais sans pouvoir réel ; les colons n'avaient pas de représentants élus. La loi leur était envoyée de France sous forme d'ordonnance, l'autorité réelle était le gouverneur. Le ministre de la Marine, de qui les colonies dépendaient, nommait gouverneurs des officiers de marine, habitués par la discipline cruelle des navires à des allures hautaines et des procédés autoritaires, qui ne voyaient dans leur fonction qu'un poste de passage.

La Révolution de 1848 bouleversa la vie des colonies. Le Gouvernement provisoire abolit l'esclavage (4 mars) et nomma une commission dirigée par un Alsacien philanthrope. Schœlcher, pour régler l'application du principe ; en attendant, il interdit les peines corporelles. Le décret du 27 avril déclara libres tous les esclaves, et ordonna de relâcher les esclaves condamnés pour des faits autres que des délits ; l'Assemblée devait fixer l'indemnité due aux propriétaires d'esclaves.

La nouvelle consterna les créoles ; aux Antilles, les nègres subitement affranchis s'agitèrent, incendièrent des habitations et massacrèrent des blancs ; la Guadeloupe fut mise en état de siège. Le calme se rétablit vite. En 1849, l'Assemblée fixa l'indemnité à des chiffres partout inférieurs à la valeur des esclaves, 430 francs à la Martinique, 470 à la Guadeloupe, 618 en Guyane, 705 à la Réunion (nom républicain de Bourbon). Le total fut réglé à 126 millions, dont 120 payés en rentes 5 p. 100. Ce fut une crise violente dans les colonies à sucre. Les noirs affranchis ne voulurent pas continuer un travail qui leur rappelait l'esclavage. Les propriétaires cherchèrent à se procurer la main-d'œuvre par des procédés différents.

A la Réunion, le commissaire de la République obtint des nègres de travailler à titre d'engagés pour deux ans moyennant un salaire débattu, avec le droit de choisir leur employeur ; beaucoup en profitèrent pour quitter leur ancien maitre. Au terme de l'engagement, la plupart partirent pour aller faire du petit commerce dans les villes ou vivre sans travail régulier en grappillant. Des 60.000 esclaves, un quart seulement resta sur les habitations (domaines). Les autorités rétabliront le travail forcé par un détour légal, en assimilant l'affranchi sans domicile à un vagabond, et en lui imposant un engagement constaté par un livret (suivant le système appliqué alors aux ouvriers de France). Les noirs se défendirent en contractant un engagement fictif ou en s'enfuyant. Les propriétaires se refusèrent à discuter le salaire avec d'anciens esclaves, et après 1851 ils renoncèrent à employer des noirs.

En Guyane, l'esclavage fut prolongé par un travail forcé de douze ans sans salaire sous des titres révolutionnaires, organisation du travail, partage des bénéfices, sans époques de paiement. Le salaire ne fut autorisé que sous forme d'engagement d'un an. Aussi les nègres gardèrent-ils la crainte de voir rétablir l'esclavage.

Aux Antilles, les planteurs, pour retenir les noirs, se résignèrent à leur offrir un salaire. Les nègres se détachèrent peu à peu des domaines et formèrent des villages.

L'abolition de l'esclavage fit tomber la production du sucre de 33 millions de kilos à 10 millions en 1848, moins de 12 millions en 1851. Le total des importations tomba de 21 millions en 1817 à 12 en 1848. Les banques, obligées de rembourser leurs billets, ne trouvaient plus de numéraire, les propriétaires ruinés furent forcés de vendre leurs domaines ; à la Réunion la propriété se concentra.

 

II. — LE RÉGIME IMPÉRIAL JUSQU'À 1858.

LA Constituante, posant en principe l'égalité des colonies et de l'Algérie, leur donnait une part de représentation dans l'Assemblée ; la Constitution de 1852 la leur retira et conféra au Sénat le pouvoir de régler leur condition. Pour les affaires communes, fut créé (1852) un Comité consultatif formé de membres nommés par le gouvernement et de délégués des trois conseils coloniaux. Le sénatus-consulte de 1854 divisa les affaires en deux catégories, réglées les unes par des lois, les autres par des décrets. Un décret (26 sept. 1855) répartit les dépenses : au budget de la colonie les travaux publics, les constructions, les frais d'administration et d'enseignement, au budget de l'État les dépenses de souveraineté et de protection. Chaque colonie, disait le décret, a acquis son individualité financière. Mais ce budget local continuait à être dressé par les fonctionnaires de l'État.

Le gouvernement voulut, à l'exemple de l'Angleterre, utiliser les colonies pour débarrasser la métropole de ses condamnés et régénérer les criminels par une vie nouvelle ; Napoléon s'intéressait à cette expérience humanitaire. Les bagnes des ports de guerre furent abolis et sur le rapport du ministre de la Marine, la Guyane l'ut choisie pour colonie pénitentiaire (1832) ; les forçats furent installés d'abord en pleine mer aux îles du Salut, puis sur le continent. Le pays fut divisé en 14 quartiers, soumis chacun à un commissaire commandant. Le gouverneur reçut un pouvoir discrétionnaire et le droit de fixer seul l'impôt. Cet afflux de forçats et de surveillants transforma la colonie.

Napoléon, invoquant les vues du gouvernement sur le régime pénitentiaire, voulut créer une nouvelle colonie pénale en Océanie ; il ordonna (1853) d'occuper la Nouvelle-Calédonie, où des missionnaires français étaient établis parmi les indigènes, et qui pouvait servir de relâche aux navires de guerre dans l'Océan Pacifique. Un commandant de guerre en prit possession au nom de la France (1854).

Les anciennes colonies se relevèrent de la crise en remplaçant les nègres par des engagés venus des trois régions où les travailleurs étaient à bas prix, la Chine du Sud, l'Inde, la Côte occidentale d'Afrique. Mais le gouvernement anglais représenta que l'engagement de nègres soi-disant libres en Afrique devenait un moyen détourné de rétablir la traite. Les planteurs trouvèrent, les Chinois trop difficiles à commander ; ils prirent de préférence des coolies hindous recrutés dans l'Inde française. Karikal fut le centre où l'on engageait les travailleurs pour la Réunion, voisine de l'Inde, où, en 1858, on comptait 130.000 engagés et seulement 15.000 travailleurs noirs.

La production du sucre se releva après 1851 : elle dépassait en 1858 le chiffre antérieur à l'abolition de l'esclavage, et la culture s'était améliorée, par l'emploi du guano. La fabrication du sucre se perfectionna par le renouvellement des chaudières, surtout après la hausse de prix du sucre de 1857.

 

III. — LES ESSAIS EN ALGÉRIE.

LA France avait en 18i7 achevé de briser en Algérie la résistance arabe ; elle était maîtresse des villes peuplées de, Maures et de Juifs, des vallées et des plateaux habités par les Arabes, nomades et cavaliers vivant de leurs troupeaux, demeurant sous des tentes ou des gourbis. Elle n'avait soumis encore ni les Kabyles des montagnes, cultivateurs sédentaires groupés dans des villages fortifiés, ni les tribus nomades du désert, ni les populations entassées dans d'étroites enceintes (Ksour) au milieu des oasis de palmiers. Les coloris européens n'occupaient guère que les environs des villes et quelques vallées fertiles et malsaines. Cette population de 100.000 âmes (dont 47.000 Français) en 1846 ne paraissait, pas encore acclimatée ; elle avait une faible proportion de femmes (38 p. 100), et une mortalité beaucoup plus forte que le taux des naissances (1.416 contre 1.000 de 1841 à 1850).

Le pays, resté sous le régime militaire, était divisé en circonscriptions, administrées par un officier assisté d'un bureau militaire. Les trois provinces, Alger, Oran, Constantine, avaient chacune un général de division, la subdivision un général de brigade, le cercle un bureau chargé de renseigner surtout sur l'état de l'ennemi. On venait de classer les communes en 3 catégories suivant la nature de la population, civile (où les colons étaient nombreux), mixte, arabe.

La Révolution de 48 eut d'abord pour effet de donner aux colons les droits des citoyens français ; ils devinrent électeurs et élurent des représentants à l'Assemblée. L'Algérie, assimilée à la France, fut divisée en 3 départements et en arrondissements : elle eut des préfets et des sous-préfets civils, des conseils généraux et municipaux élus et des maires. On essaya de la peupler en y envoyant les ouvriers sans travail de Paris dont on espérait faire des colons. L'Assemblée vota 50 millions pour créer des centres : chaque famille recevait gratuitement une maison, une terre (de 2 à 12 hectares), des instruments, des semences, et des vivres et des secours jusqu'à la mise en rapport. On créa 5 villages, mais beaucoup de ces colons improvisés renoncèrent et repartirent. Une commission d'enquête rapporta qu'avec une dépense de 27 millions on avait établi 21.000 habitants, dont il ne restait que 10.000 ; l'impression fut celle d'un échec.

Les militaires, poussant la conquête, occupèrent les oasis les plus voisines. L'épisode le plus frappant fut le siège de l'oasis de Zaatcha, qui exigea 8.000 hommes et dura 50 jours (oct.-nov. 1849). On soumit sans combat l'oasis de Mzab et ses cinq villes, habitées par des musulmans hérétiques qui s'en allaient an loin raire le petit commerce dans les villes d'Algérie. Le gouvernement voulait soumettre aussi les Kabyles des montagnes ; l'Assemblée refusa les crédits. Il obtint une expédition en Petite-Kabylie, qui servit à procurer à Saint-Arnaud le grade dont il avait besoin pour devenir ministre de la Guerre (1851).

En 1852, l'Algérie, privée de représentants, fut placée sous le régime spécial des sénatus-consultes et remise sous l'autorité militaire. Les opérations continuaient contre les tribus indépendantes ; du côté du désert. Laghouat fut pris d'assaut (1852) : on soumit Ouargla, puis Touggourt et les oasis de l'oued Rhir (1854). La domination française atteignait le Sahara et forçait à la paix les tribus nomades.

Dans les montagnes du nord-est. le gouverneur Randon prépara la conquête du massif de la Grande-Kabylie. Il employa les soldats à l'aire des routes pour rendre le pays praticable aux convois ; travail très dur dans des montagnes abruptes, gêné par les tourmentes de neige de l'hiver et les attaques des Kabyles. Enfin, en 1857, une armée de 35.000 hommes cerna tout le massif, écrasa une à une les tribus, captura la prophétesse Fathma qui excitait à la résistance, et força les chefs à demander l'aman (pardon). Ils se soumirent à la France et payèrent une contribution de guerre ; on promit de leur laisser leurs institutions, leurs assemblées et leurs chefs. Pour assurer la soumission, l'ut fondé au milieu des montagnes Fort-Napoléon (aujourd'hui Fort-National). Alors fut achevée la conquête de l'Algérie.

On crut pouvoir transformer les Arabes en une population agricole en les amenant par l'exemple à renoncer à la vie sous la tente et à la pâture nomade qui exige de grands espaces, pour se fixer dans des maisons et cultiver la terre. On décida (1851) de procéder au cantonnement ; le droit de jouissance de la tribu sur tout son territoire serait remplacé par un droit de propriété collective limité à l'étendue de terre réputée nécessaire à ses besoins : le reste servirait à établir des colons européens. Ce partage exigeait des opérations compliquées. En attendant, le gouvernement continua à créer des villages de coloris (65 de 1851 à 1858), en réservant les terres à des cultivateurs pourvus de quelques ressources. Une Compagnie genevoise reçut des terres près de Sétif qu'elle s'engagea à distribuer entre des colons (1853) ; mais on s'aperçut que la majeure partie avait été laissée en pâturages ou louée à des indigènes.

Le régime douanier arrêtait le commerce algérien ; on décida (1851) d'admettre en franchise les principales productions naturelles de l'Algérie. Le total des exportations doubla en un an. La surface cultivée en céréales était évaluée dès 1854 à 750.000 hectares, en 1861 à plus de deux millions. On entreprit la culture de la vigne, qui après 1854 commença à faire reculer la vieille culture de l'olivier.

La population européenne s'acclimatait. En 1853 encore un rapport officiel disait : L'expérience prouve malheureusement que le climat dévore aujourd'hui plus qu'il ne produit. De 1856 à 1862 commença l'excédent des naissances sur les décès. La population européenne atteignit 169.000 fines en 1856, 205.000 en 1861 : la population indigène augmentait beaucoup moins vite. La colonie était définitivement fondée.

 

IV. — LA CRÉATION DE LA COLONIE DU SÉNÉGAL.

EN 1848 la France n'avait en Afrique occidentale que des postes de commerce isolés : le chef-lieu Saint-Louis dans une ile de l'estuaire du Sénégal, — l'îlot de Gorée, — le long du fleuve trois petites stations, la plus éloignée, Bakel, à 760 kilomètres de Saint-Louis, consistant en une enceinte autour d'un dépôt de marchandises, — un poste au sud sur la Casamance, le tout habité par 17.000 indigènes et une population flottante de quelques centaines de blancs, fonctionnaires, soldats, commerçants. Le climat torride empêchant de fonder des familles européennes, les Français avaient contracté des unions avec des filles de chefs noirs. Les mulâtres nés de ces unions formaient la classe supérieure, appelée les habitants, où se recrutaient les intermédiaires nécessaires au commerce qui allaient chercher les produits dans l'intérieur du pays et les amenaient dans les postes français. Le préjugé contre les gens de couleur, né dans les colonies à esclaves nègres, n'existait pas au Sénégal, où les métis étaient gens de race noble.

Le commerce, consistant surtout en gomme arabique et (depuis 1841) en arachides, ne se montait qu'à 25 millions ; dans les postes où les marchands français allaient prendre leurs marchandises, ils devaient payer aux chefs maures une redevance appelée coutumes.

De tous côtés les établissements français étaient entourés de peuples guerriers. Au nord, les Maures, musulmans, cavaliers pillards, formaient trois grandes tribus sur la rive droite du Sénégal, au bord du désert. — Au sud du fleuve. les nègres cultivateurs, de religion fétichiste, étaient divisés en très petits peuples sous des chefs indigènes. — Au nord-est, l'invasion des Peuhls, musulmans de race blanche, vivant de leurs troupeaux, commençait à entamer les populations noires. — Les Toucouleurs, métis de Peulhs et de nègres, formaient un peuple qu'un prophète musulman, El Hadj Omar, venait de réunir en uni empire belliqueux dans les montagnes du Foutah et sur le Haut Sénégal.

Les commerçants français envoyèrent au gouvernement des pétitions pour proposer de transformer les redevances en un droit fixe et de remplacer deux escales sur le fleuve par des postes militaires (1851). Napoléon ordonna de refuser le tribut et de créer deux postes. Il fallut faire la guerre aux Maures Trarzas ; le gouverneur, avec une flottille et des volontaires, alla construire un fort à Podor (1854).

Le capitaine du génie Faidherbe, fait chef de bataillon, fut, sur la demande des commerçants, nommé gouverneur. Il occupa dix ans ce poste (où 31 gouverneurs s'étaient succédé en quarante ans) et fut le créateur de la colonie. Il disposait de 4 compagnies d'infanterie de marine, 1 compagnie de tirailleurs noirs, 60 cavaliers (spahis), outre les volontaires ; il avait sur le Sénégal 4 avisos. 2 canonnières, 2 bateaux-citernes. Il entreprit de soumettre les deux rives du fleuve.

Les voisins avaient pris l'offensive. Au nord et à l'est le chef des Maures Trarzas répondait à la demande d'abolir les coutumes par l'ordre de les augmenter, de détruire les forts, et de renvoyer en France le gouverneur qui a changé les vieilles coutumes et trouble la paix du pays. Une troupe, évaluée à 1.000 cavaliers et 4.500 fantassins, attaqua les postes et le pont devant Saint-Louis ; une bande traversa le Sénégal à la nage (1855). Sur le Haut Sénégal, Omar, devenu maître d'un grand territoire, captura les marchands français de Médine et vint attaquer le poste isolé de Bakel. Il envoya une sommation. Les blancs ne sont que des marchands ; s'ils me paient un fort tribut, je les laisserai en paix.... Mais je ne veux pas qu'ils forment des établissements ni qu'ils envoient des navires de guerre sur le fleuve.

Pendant trois ans (1855-57), Faidherbe fit chaque année deux campagnes. Il profitait de l'été (saison des pluies et des hautes eaux) pour remonter le fleuve et repousser les Toucouleurs. Il employait la saison sèche d'hiver à faire la guerre contre les Maures. Après les avoir repoussés de Saint-Louis (1853) et expulsés du sud du Sénégal (1856), il les poursuivit au nord du fleuve et les força à demander la paix. Par le traité de 1838 ils renoncèrent aux incursions sur le pays nègre, les redevances des indigènes leur seraient payées par l'intermédiaire du gouverneur ; les coutumes furent remplacées par un droit de sortie de 3 p. 100.

Sur le Haut Sénégal, Faidherbe amena par bateaux à 910 kilomètres de Saint-Louis, à Médine. point extrême de la navigation régulière, une colonne qui, malgré la chaleur et les fièvres, construisit un petit fort garni de bastions aux angles avec 4 canons, relié par un mur de terre au fleuve, par un autre au village nègre fortifié (1856). Le printemps suivant, quand les eaux basses empêchaient d'amener du secours, toute l'armée d'Omar arriva devant Médine. La garnison, commandée par un mulâtre, Holle, se réduisait à 7 Européens, 22 soldats indigènes, 34 laptots (milice) : l'espace entre les deux murs était encombré d'une foule de fugitifs. Les Toucouleurs, divisés en trois colonnes, donnèrent un assaut qui fut repoussé (20 avril) ; ils bloquèrent la place, puis donnèrent un nouvel assaut (4 juin). Les vivres manquèrent. Holle distribua les arachides qu'il fallut manger crues. Les défenseurs étaient affamés et réduits à deux cartouches par homme quand Faidherbe, remontant le fleuve avec la crue, arriva et attaqua les assiégeants (juil. 1857). Omar se retira de la région du Haut Sénégal.

A défaut de troupes françaises, Faidherbe créa un bataillon (à 4 compagnies) de tirailleurs sénégalais, engagés volontaires (1857) ; au lieu d'occuper le pays, il se borna à un protectorat : il nommait des chefs indigènes qui s'engageaient à défendre leur territoire et à y laisser le commerce libre. Il prépara en 1858 une exploration vers le Niger. En quatre ans il avait transformé un cordon de postes isolés en un grand territoire, organisé une administration expéditive et économique. créé l'instrument de conquête de l'Afrique occidentale française.

 

V. — L'ENTRÉE EN RELATIONS POLITIQUES AVEC L'EXTRÊME-ORIENT.

LE traité de 1843, conclu parla France avec la Chine à l'exemple de l'Angleterre, donnait aux Français le droit de posséder dans cinq ports chinois des établissements de commerce, des églises, cimetières, écoles, hôpitaux. Le gouvernement avait désormais à veiller en Extrême-Orient sur deux sortes de protégés, les commerçants concentrés dans les cinq ports, les missionnaires catholiques dispersés en Chine et en Indochine. Il désira entrer en relations directes avec le souverain de Pékin pour faciliter le commerce en Chine et assurer la protection des chrétiens, et s'entendit avec le gouvernement anglais pour demander au gouvernement chinois d'ouvrir le pays plus largement au commerce européen et d'accepter des agents diplomatiques européens en résidence à Pékin. Une proposition faite au gouvernement anglais en novembre 1855 exposa l'avantage d'avoir dans la capitale des légations accréditées auprès du souverain, en relations officielles avec le pouvoir central, au lieu d'être reléguées à l'extrémité de l'empire, sans rapports directs et suivis même avec le gouvernement de la province.

Le roi de Siam avait fait proposer par le consul de Singapour un traité de commerce avec la France et, dès 1852, le commandant de l'escadre dans l'Océan Indien avait reçu la mission d'aller négocier. Le consul français à Shang-haï fut chargé, en retournant à son poste, de traiter avec le roi de Siam. Il passa par Rome pour voir le pape, et, arrivé à Singapour, reçut l'ordre de traiter aussi avec le roi de Cambodge pour arranger un malentendu au sujet des chrétiens, puis avec le roi d'Annam pour la sécurité des missions en Cochinchine. Il conclut avec le Siam un traité de douze ans qui assura à la France le droit d'établir des consuls avec juridiction, aux Français la liberté de commerce, de religion, de recherches scientifiques, d'acquérir des immeubles et de prendre des serviteurs siamois, et réduisit les droits d'importation à 3 p. 100 (1856). — Le roi de Cambodge ne traita pas, mais il remit à un missionnaire une lettre à l'Empereur pour lui demander son aide contre l'Annam. — En Annam les mandarins ne laissèrent pas le consul monter jusqu'à la capitale pour voir le roi (1857).

L'occasion d'élargir les relations avec la Chine fut donnée par un conflit entre les Anglais et le vice-roi de Canton, an sujet d'un navire chinois naviguant sous pavillon anglais. Les Cantonais incendièrent les factoreries des Européens (déc. 1856). Le gouvernement français, de concert avec le gouvernement anglais, ordonna à ses escadres de remonter les fleuves chinois. Il résuma son but dans ces instructions : 1° se mettre en communication directe avec l'empereur et ses ministres ; 2° ouvrir le marché de la Chine en permettant aux négociants de s'établir dans les grands centres de consommation et de pénétrer dans l'intérieur ; 3° garantir la sécurité des missions. Les forces navales devaient servir à intimider les autorités chinoises.