HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE III. — L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

CHAPITRE II. — LA DISTRIBUTION RÉGIONALE DES PARTIS EN FRANCE.

 

 

J'AI présenté jusqu'ici les conflits dans le gouvernement, dans l'Assemblée, dans le peuple de Paris, suivant la méthode traditionnelle des historiens français, en montrant seulement cc qui se passait au centre, où la Révolution s'est faite, où les résolutions ont été prises, où se sont décidés les conflits. Ce procédé donne l'impression que toute la vie politique était concentrée dans Paris, dont la France, indifférente aux affaires publiques, attendait passivement les décisions.

Il est vrai que la province avait toujours reçu de. Paris ses gouvernements et ses révolutions. Avec le cens électoral à 200 francs et les journaux réduits aux abonnés bourgeois, le nombre des Français en état d'émettre une opinion politique était si faible et la pression ministérielle si facile que la vie publique se concentrait toute dans le gouvernement et les Chambres. La masse de la nation n'avait aucun moyen de manifester ses sentiments politiques, on ignorait même si elle en avait. En 1848, le suffrage universel lève brusquement le voile qui couvrait la vie intérieure du pays, et le peuple français apparaît divisé déjà entre plusieurs opinions assez nettement différentes pour pouvoir chacune, sinon former un parti, du moins suivre une direction. Pour distinguer comment ces opinions sont réparties entre les Français, si elles résultent seulement d'une préférence personnelle, si elles dépendent de la condition sociale, ou si elles sont liées à la région, il faut sortir de Paris et parcourir toute la France. Les études d'histoire locale ne sont pas encore assez avancées pour permettre un tableau complet et détaillé. Mais les chiffres de voix aux élections et les rapports secrets des procureurs généraux suffisent pour l'aire connaitre la distribution générale des opinions dans chaque pays, les influences dominantes, les moyens de propagande, la nature des manifestations.

 

I. — LA RÉGION DU NORD.

LA région de plaines intermédiaire entre la France et la Belgique (Pas-de-Calais et Nord) est dès lors, ce qu'elle est restée depuis, un pays sans passions politiques ; la population s'intéresse plus aux affaires municipales qu'à la politique générale. Les habitants de la campagne et des bourgs ruraux continuent à voter pour les notables légitimistes ou orléanistes ; les paysans flamands obéissent au clergé. On pourrait appliquer à tout ce pays un rapport sur l'arrondissement de Saint-Pol, en 1849 : l'ancienne noblesse et le clergé sont légitimistes ; l'ancien parti libéral, formé des propriétaires aisés, des industriels, des professions libérales, a accepté la République et n'a ni comités ni réunions ; la masse des petits propriétaires, petits fermiers, ouvriers, est flottante, soumise en ce moment à l'influence du clergé. En 1850, le préfet du Nord répond à une enquête sur le personnel des maires que le département est un de ceux où le retour à la nomination directe des maires par l'autorité serait le moins indispensable : sur 665 communes, il ne voit que 63 maires à changer. Les journaux sont nombreux, grâce à la publicité commerciale ; mais il n'y a de feuilles politiques qu'à Lille, Douai, Cambrai, Maubeuge, Arras.

Les ouvriers forment, dans le Nord, une forte proportion de la population. La plupart ne lisent pas et n'ont pas d'opinion politique. Mais beaucoup votent pour les républicains ; ils forment dans quelques grands centres des groupes organisés : à Douai, où les ouvriers paient 40 centimes par mois pour lire des journaux dans un restaurant, à Saint-Amand, à Orchies, au Cateau, où l'autorité se déclare désarmée, avec une garde nationale mal commandée et une population ouvrière animée de mauvaises passions, surtout à Lille, où l'on signale près de 60 sociétés d'ouvriers, sociétés de secours mutuels, réunions de plaisir dites de carnaval, qui toutes s'occupent de politique. Les républicains ouvriers ont pour organe le Messager du Nord, dont ils considèrent le rédacteur comme leur défenseur, leur père. Les meneurs forment une société de démocrates socialistes qui se réunit dans un cabaret (dit de la Guillotine). Ils entretiennent l'antagonisme entre patrons et ouvriers avec l'aide du conseil des prudhommes. Roubaix et Tourcoing ont moins d'éléments de désordre. Les agitateurs, surveillés de près, vont tenir des conciliabules dans un cabaret belge. Dans quelques villes du pays wallon, Valenciennes, Avesnes, le Quesnoy, les gardes nationaux font des manifestations républicaines, chantent la Marseillaise et le Chant de Départ.

Le Pas-de-Calais, malgré ses 17 journaux (dont 4 républicains), n'a que de petits centres démocratiques isolés, Boulogne, Saint-Pierre-lès-Calais, Aire, Montreuil, les pays houillers de Béthune et Lillers.

En Picardie, la plaine (Somme) continue à élire les orléanistes de l'opposition dynastique, et n'a que des journaux du parti de l'ordre. A Amiens, bien qu'il y ait une population ouvrière, le journal républicain a perdu sa clientèle en devenant démocrate. Seuls les cantons de Corbie et Villers-Bocage sont infestés de socialisme par les rapports avec Paris ; on y signale un club démagogique chez un cabaretier.

Dans l'Oise, les villes industrielles sont de petits centres républicains : Mouy, qui a 20 fabriques de draps, élit en 1850 au conseil général un pharmacien socialiste ; Liancourt, avec ses fabriques de chaussons, calme en apparence, n'a pas bon esprit, les démocrates y portent des képis rouges ; Méru restera un centre démocratique jusqu'en 1852. Pierrefonds, où les socialistes se réunissent tantôt chez l'un tantôt chez l'autre, a donné 500 voix au candidat démocrate ; Senlis a une société bacchique qui fait de la propagande socialiste. A Beauvais, l'administration accuse les instituteurs et, en 1850, fait fermer deux espèces d'écoles d'adultes réunies le soir pour lire les journaux.

Les républicains sont plus nombreux dans les centres industriels de l'Aisne. Saint-Quentin a eu un club fermé après le 13 juin et a deux journaux républicains ; Vervins, centre d'une région d'ouvriers tisseurs et filateurs, a été le théâtre des prédications de Cabet ; Laon et Villers-Cotterêts ont donné la majorité aux candidats de la Montagne. La campagne est napoléonienne, avec des îlots démocrates dans quelques communes du Soissonnais ; à Château-Thierry, un petit groupe a passé en cour d'assises pour avoir tenu des réunions où l'on lançait l'anathème contre les riches.

 

II. — LA RÉGION DU NORD-EST.

LA population des Ardennes, douée de beaucoup de bon sens, est en grande majorité indifférente à la politique. Mais les ouvriers de l'industrie de la laine inclinent vers la démocratie. A Sedan, centre de la draperie, ils s'entendent pour élire leurs chefs au conseil des prud'hommes. Ils ont, aux environs, ce qu'on appelle des auberges socialistes, où, sous le couvert de la vie à bon marché, ils cachent des manœuvres politiques. Une Association ouvrière, dont le règlement est imité des sociétés de Reims, a créé une épicerie sociétaire d'inspiration fouriériste, qui marque son papier avec un timbre où est représenté un niveau. A Rethel, ils ont fondé une Association fraternelle en relations avec celle de Reims. A Vouziers, foyer des partis démagogiques, une société de secours mutuels conserve les cadres de la Solidarité républicaine démocrate. A Charleville, à la fête du 24 février (1851), l'artillerie de la garde nationale défile en criant : Vive la République ! Dans un bourg des environs (Nouzon), des jeunes gens se sont promenés musique en tète, coiffés de calottes rouges (1850).

La Champagne est un pays calme. Les campagnes votent pour le parti de l'ordre, même les vignerons, partout ailleurs démocrates. Les journaux républicains de l'Aube végètent. La Seine-et-Marne est occupée de ses intérêts matériels. Dans la Marne, les démocrates sont dispersés, sans organisation, gens ruinés, avec de mauvais antécédents ; ils se réunissent, dit-on, dans les forêts. Dans la région de Provins, les garçons meuniers profitent de leurs tournées pour faire de la propagande. Dans la région de Meaux, l'opposition est plus forte dans les campagnes que dans les villes. Il n'y a de républicains ruraux que sur les confins de la Bourgogne, à Château-Langon, à Nemours, surtout à Montereau ; Moret par contre est ardemment conservateur.

Les centres républicains sont dans les villes d'industrie, le principal à Reims, où les ouvriers de la laine, endoctrinés avant 48 par un groupe de disciples de Cabet, ont formé des sociétés de secours mutuels. Ils créent dans la banlieue une buvette sociétaire, où leur boulangerie apporte le pain. En 1850, ils essaient de tenir une réunion convoquée par leur journal, l'Association rémoise, qui disparaît après trois condamnations. Les ouvriers bonnetiers de l'Aube recrutent le parti démocratique. A Romilly, ils organisent en 1850 (pour la fête du bonnet) un banquet de 200 couverts, et mettent en vente, à 25 centimes, des bonnets de coton rouge ; les jeunes gens coiffés de ces bonnets vont dans les rues. Un bataillon de garde nationale, revenant de l'exercice, crie : Vive la République ! et joue la Marseillaise. Même esprit à Saint-Mards, à Marey, à Ervy, qui élit un conseil municipal avancé, à Nogent, où les ouvriers forment un groupe de bonnets rouges. Estissac, qui réélit en 1850 la municipalité exaltée pour faire pièce à l'administration, imagine de se faire protestante ; le préfet ne tolère qu'une prédication d'un pasteur ; en 1851, le maire y assiste en écharpe.

En Lorraine, la très grande majorité de la population ne demande que l'ordre. Dans la Moselle et la Meuse, sauf quelques instituteurs, on ne voit de républicains qu'aux chefs-lieux. A Metz, un journal franchement socialiste, acquitté en 1849 par le jury, disparaît en 1850. Une société ouvrière, l'Union des travailleurs, vient au théâtre crier : Vive la République ! à une pièce napoléonienne. Des officiers de la garde nationale accueillent le Président par les clameurs indécentes de : Vive la République ! mais les démocrates sont très rares. Le grand Cercle de Metz est né en 1848 de la fusion de trois réunions, légitimistes, conservateurs, opposants plus ou moins républicains. A Bar-le-Duc, un petit groupe républicain dirigé par un professeur de collège en congé puis révoqué, rédacteur du journal local (Patriote de la Meuse), manifeste il l'inauguration de la statue d'Oudinot. en 1851. A Montmédy, la garde nationale, en 1850, célèbre le 24 février par des chants républicains. Le parti de la Montagne n'est organisé qu'il Étain et à Verdun, où il a un journal et a fait voter la grande majorité des soldats de la garnison.

Dans la Meurthe, il n'y a d'autres républicains à la campagne que les vignerons du pays de Toul. Nancy a deux journaux républicains, un démocrate, un modéré, un cercle du parti exalté, où l'on n'est admis qu'après plusieurs scrutins et une boucherie sociétaire. L'opposition est dans le petit commerce. A un banquet de 600 couverts, le 24 février 1850, des voix restées inconnues portent un toast à la République démocratique et sociale. Au voyage du Président, une partie notable de la garde nationale crie : Vive la République ! Même manifestation à Lunéville, où la propagande se fait dans les cabarets.

L'opposition républicaine des Vosges se concentre dans les villes : Épinal, où le parti républicain en 1850 se scinde en Montagne parlementaire et Montagne révolutionnaire ; Saint-Dié, où les républicains ont pour chef le notaire Ferry ; Remiremont, Rambervillers, qui s'est toujours fait remarquer par l'hostilité contre tous les représentants de l'autorité ; Darney, où domine la démagogie ; Vittel, dominé par le socialisme ; Neufchâteau, où beaucoup d'hommes en opinion ardente discutent sur la politique dans les cafés, et préparent en 1851 un banquet de 10 couverts. Le département est assez républicain pour élire deux représentants de la Montagne, qui font en 1850 une campagne de banquets pour la réduction des traitements et des impôts.

L'Alsace est, par son organisation sociale, le pays le plus démocratique de tout le Nord-Est. Il n'y reste presque pas de nobles, la classe supérieure qui donne le ton est la bourgeoisie des villes impériales, habituée à un régime républicain. Le parti républicain y trouve ce qui lui manque partout ailleurs dans le 'Nord, un personnel de bourgeois riches et considérés. Les idées démocratiques y ont de profondes racines. Pour le parti de l'ordre, les quatre cantons de langue française, dont la population est lorraine, votent seuls. L'Alsace élit en 1849 les candidats de la Montagne. Le Bas-Rhin, quoique pays agricole, étant en majorité protestant, vote pour les républicains. La capitale, Strasbourg, est une ville républicaine, pleine de brasseries où on soupe et où on reste à fumer et à boire en causant, de six heures à dix ou onze heures du soir ; ce sont les centres où on parle politique. Le journal le Démocrate du Rhin est en relation avec Flocon, du Gouvernement provisoire. Dans le Haut-Rhin, pays industriel où la population est catholique, les patrons sont protestants. Ils viennent de Mulhouse, petite république protestante, et, au contraire des autres patrons de France, ils sont républicains, ils entretiennent les journaux républicains, et les répandent parmi leurs ouvriers ; à Thann, un journal en allemand (Volksrepublik) est distribué gratis par un chef d'industrie, Kestner (dont les filles épouseront plus tard les chefs du parti républicain). Les employés de fabrique et de commerce sont républicains militants, et font voter les ouvriers catholiques. Le gouvernement ne peut compter ni sur les instituteurs, la plupart républicains, ni sur les maires, les uns démocrates, les autres soumis par leur ignorance à l'influence de l'instituteur secrétaire de mairie. La Volksrepublik, rédigée en allemand avec un incontestable talent par un ancien instituteur de Mulhouse, a publié un dialogue entre un rouge et un paysan.

Si les socialistes veulent comme moi... la diminution des impôts, l'économie dans le budget, la réduction de l'armée... la suppression des entraves à la production et à la consommation, les banques nationales à bon marché, la guerre à l'usure, l'assurance de tous les sinistres par l'instruction gratuite et obligatoire, l'affranchissement des ouvriers nos frères, l'encouragement de l'agriculture, la liberté et la paix perpétuelle pour l'Europe... je suis rouge, je suis socialiste.

Les ouvriers se réunissent le soir pour lire ce journal qui leur plaît, les femmes se le disputent. Les Israélites votent pour le parti de l'ordre ; ils se savent détestés comme vendeurs de bétail, usuriers, marchands de terres, et ont peur de la révolution, qui signifie : le droit de se ruer sur les Juifs, comme en 48.

Le bruit court, en 1850, que des émissaires étrangers font de la propagande en Alsace pour la nationalité allemande, sans aucune chance. Les conservateurs sont hostiles é l'Allemagne protestante, les républicains sont si patriotes que le procureur les accuse de couvrir leur opposition d'un prétexte de patriotisme.

 

III. — LA RÉGION DU NORD-OUEST.

LA Normandie est (et restera) un pays conservateur au sens social, à la façon de l'Angleterre. La population, sans obéir au clergé, se défie des nouveautés et accepte la direction des classes riches.

La région la plus conservatrice est la Basse-Normandie, où le sol est fertile et la propriété très divisée. La population, presque toute agricole, a conservé plus qu'ailleurs le respect de l'autorité et de la loi ; elle a donné en 1848 et 1849 une grosse majorité au parti de l'ordre, où dominent les orléanistes. Les légitimistes sont assez fortement organisés pour fonder un journal à Saint-Lô. On ne signale que des groupes républicains isolés : à Caen, le Cercle du Calvados, où on lit des journaux avancés, et une Association philanthropique, société ouvrière de secours ; à Bayeux, un petit groupe peu redoutable et peu considéré, qui se réunit pour lire la Reforme ou le journal démocratique normand, le Haro ; à Grandcamp, près d'Isigny, un noyau socialiste, créé par deux voiliers ; à Lisieux, où les républicains ont l'ait élire un commandant de la garde nationale ; à Pont-l’Evêque, petite ville désœuvrée, où les républicains sont connus par le mauvais état de leurs affaires ; à Condé-sur-Noireau, parmi les patrons protestants et leurs ouvriers ; à Cherbourg, où les ouvriers du port sont atteints par une propagande démocratique, et à Granville, où quelques individus ont tenu des réunions ; le lieutenant-colonel Mouton, ancien constituant, établi à Cherbourg, son pays natal, recueille en -1850 quelques centaines de signatures d'ouvriers des carrières pour une pétition contre la loi du 31 mai.

Dans la Haute-Normandie et la partie avoisinante du Calvados, les paysans, indifférents à la politique, obéissent aux notables, la plupart orléanistes. Autour du Neubourg, patrie et résidence de Dupont (de l'Eure), son influence personnelle a fait beaucoup de républicains modérés : à Bernay, ville de draperie, on signe des adresses en son Honneur ; à Pacy et à Beaumont, la division du parti de l'ordre fait passer son candidat ; Neubourg, en 1851, élit un conseil municipal républicain. Les républicains ne sont en nombre que parmi les ouvriers des industries textiles, et ils n'ont la majorité que dans deux faubourgs de Rouen, Graville, bourg pourri de la démagogie. Sotteville, où depuis 48 ils sont restés les maîtres du conseil municipal dissous deux fois. Il y a en 1849 quatre journaux démocratiques, mais le nombre de leurs abonnés dans les ateliers a diminué beaucoup ; quand la répression les a fait disparaitre, la propagande se fait dans les cabarets, auprès des ouvriers et des soldats ; on organise en 1851 un banquet du 24 février à 30 centimes, que le commissaire de police interrompt.

Le Perche (Orne), le Maine, la Beauce, pays agricoles producteurs de blé, donnent la majorité au parti de l'ordre, mais la région voisine de la Bretagne n'a pas de vie politique ; les légitimistes et le clergé sont puissants dans la Mayenne, pays de grande propriété. La région de l'Est, où la propriété est plus divisée et le pays plus riche, a des centres républicains assez nombreux dans les villes et quelques gros bourgs : Laide, où sont les ouvriers du fer, Domfront, où le conseil municipal est d'opinion radicale dans un arrondissement tout entier conservateur. Gacé, où les pompiers ont pris pour cible un niveau au-dessous d'un bonnet phrygien, la Ferté-Macé. Alençon, où se tiennent des réunions, Mortagne et son arrondissement, où la Montagne a eu la majorité en 1849. Les républicains sont assez nombreux dans l'Orne pour que Garnier-Pagès y prépare sa candidature. Dans la Sarthe, l'ancienne circonscription de Ledru-Rollin reste en majorité républicaine, le Mans est un foyer d'agitation où se publie la feuille démocratique de toute la région, le Bonhomme manceau, qui excite la défiance des habitants des campagnes contre les grands propriétaires. Mamers est un centre républicain où l'ancien sous-commissaire de 48 a gardé de l'influence. Saint-Calais, dont l'arrondissement est républicain, se signale en 1849 par les manifestations de la garde nationale ; à la revue du 9 avril elle crie : Vive la République démocratique et sociale ! Vive Ledru-Rollin ! A bas les blancs ! ; le soir, au banquet, le sous-préfet, ayant commencé son discours par : Messieurs, est interrompu et forcé de reprendre : Citoyens. En 1850, des jeunes gens, irrités de la fermeture d'un club, se promènent avec des bonnets rouges à Ecommoy.

Dans l'Eure-et-Loir, les groupes de républicains se trouvent à la limite Nord, à Anet, pays de vignerons, où le maire et l'adjoint lisent dans les cafés et commentent les journaux démagogiques (le sous-préfet interdit en 1850 la lecture à haute voix dans les cafés) ; à la limite Sud, de Bonneval à Châteaudun (Saint-Lubin, Saint-Remy, Bléry, la Loupe), où la propagande se fait dans les cabarets et dans les centres industriels ; trois journaux démocratiques ont péri à Chartres avant 180 ; mais il y a assez de républicains dans le conseil général en 1850 pour s'opposer au vœu en faveur de la révision.

Le département de Seine-et-Oise, qui a peu de vie politique, est en grande majorité partisan d'un pouvoir fort, excepté les villages voisins de Paris (Écouen, Montmorency), et le pays de Pontoise, dont la population est turbulente. Dourdan élit en 1851 une municipalité rouge, et les ouvriers de Corbeil, de Sèvres et de la papeterie d'Essonnes sont en relations avec les ouvriers de Paris (en 1849, on en signale 400 comme socialistes).

La région de la Loire est, comme la Sarthe, un pays agricole où une forte portion des paysans est démocrate. La Gâtine (Pithiviers) et la Sologne, pays stériles et pauvres, sans vie politique, suivent la direction des grands propriétaires du parti de l'ordre. Les conservateurs font venir à Orléans (en 1850), pour rédiger l'organe légitimiste, un journaliste professionnel, Lavedan (le futur Ph. de Grandlieu). Orléans est le centre où se tiennent les conférences des chefs de parti, il s'y publie 3 journaux républicains modérés (le principal, la Constitution, polémise contre l'évêque Dupanloup). Les pays républicains sont au voisinage de l'Yonne dans la région de Montargis et de Gien, A Châteauroux, où le journal démocrate a la plupart de ses abonnés, le parti rouge a pour lui le maire et le chef de bataillon de la garde nationale ; Artenai, pays remuant, en relations avec les démocrates de Sens, a élu un conseil municipal démocrate ; Briare, peuplé de mariniers, n été gagné par les démocrates de l'Yonne et de la Nièvre ; Montargis a un journal avancé, l'Ami du Peuple, une garde nationale assez républicaine pour être dissoute, et une loge maçonnique dont les amis de l'ordre, en 1851, demandent la dissolution.

En Loir-et-Cher, la région républicaine confine aux parties démocratiques de la Sarthe : c'est le Vendômois (où deux cantons seulement sont conservateurs) et la partie du Blésois qui y touche, Marche-noir et Onzouer ; ce sont les deux cantons de Bomorantin voisins du Cher ; il y passe en 18't9 des républicains influents par leur situation personnelle ; ils s'unissent en 1850 sous la direction de l'avocat Sarraut ; les propagandistes vont les jours de foires et d'assemblées dans les maisons des républicains lire les journaux et tenir des discours politiques ; ils paraissent réussir auprès des paysans.

La Touraine a été profondément remuée par la propagande démocratique. Seul, l'arrondissement de Loches, pays de grandes propriétés, est conservateur ; encore faut-il excepter les cantons voisins du Poitou, où il y à des ouvriers du fer, la Haye-Descartes, où plusieurs maires sont républicains, Gland-Cusigny, Preuilly, où le commandant de la garde nationale a été un démocrate. Les républicains semblent surtout nombreux dans les bourgs. Les rapports signalent plusieurs instituteurs révoqués qui font une propagande orale, et des meneurs dans les cabarets. Le parti républicain est assez organisé pour reconstituer en 1851 un journal sous la forme d'une société par actions de 5 francs. L'arrondissement de Saumur, pays de vignerons et de petits propriétaires, est, comme toute la région des bords de la Loire, disputé entre les conservateurs et les républicains démocrates.

 

IV. — LA RÉGION DE L'OUEST.

LA Bretagne est conservatrice et soumise au clergé. Le principe de l'autorité y a conservé son prestige, la religion exerce dans les campagnes une action incontestée et presque sans partage, qui décourage les propagandistes. Le parti légitimiste, renforcé par la crainte du socialisme, a attiré à lui beaucoup d'anciens libéraux de la gauche dynastique ; il domine le parti de l'ordre, La plupart des journaux (6), et les plus importants, sont légitimistes. Le plus puissant, l'Hermine de Nantes, et la Bretagne de Vannes, dirigée par un Cadoudal, attaquent ouvertement la Constitution, qui n'a pas reçu le baptême national, et la République établie sans la sanction de la nation.

La région la plus légitimiste est la Bretagne française, surtout les pays de Vitré et de Montfort, où on ne relève aucun fait politique depuis 1848, les campagnes de la Loire-Inférieure, et le pays de Ploërmel. Il n'y a que de petits groupes républicains. la plupart modérés, dans les villes : à Fougères un petit parti rouge évalué à 150 individus, à Redon un Cercle républicain qui, en 1850, s'est scindé par la séparation des rouges, à Pornic, à Dinant, à Loudéac, centre du commerce des toiles, où deux représentants de 48 ont fondé une société d'ouvriers. A Saint-Malo, le haut commerce dirige la classe ouvrière. A Rennes, une soixantaine d'ouvriers ont un Cercle de travailleurs, où ils lisent et discutent les journaux, et se donnent le mot d'ordre pour se réunir ailleurs ; des brochures socialistes, venues de Paris, sont déposées chez un coiffeur et un limonadier, où quelques paysans viennent les prendre sous prétexte de se faire raser ou de se rafraichir. Même Nantes, où l'ancien parti républicain a conservé ses chefs bourgeois, un avocat (Waldeck-Rousseau), un médecin (Guépin), n'a que deux cercles républicains : un modéré, un démocrate, et un millier d'ouvriers groupés autour de la Boulangerie fraternelle qui en 1851, font passer leurs candidats au conseil des prud'hommes. Le National de l'Ouest, journal modéré de Nantes, est le seul organe républicain de la région ; aucune imprimerie n'a osé se charger d'en créer un à Rennes.

Le pays de langue bretonne, alors comme aujourd'hui, est plus démocratique, et lus républicains y sont plus nombreux. Dans les Côtes-du-Nord, ils ont l'ait passer leurs candidats en 48 ; battus en 49, ils cherchent une revanche. Ils sont nombreux dans le pays de Paimpol et dans les villes de Lannion et de, Tréguier, où la classe inférieure est disposée à la turbulence. A la fin de 1849, ils tiennent à Plestin une réunion pour essayer de fonder un journal ; ils font de la propagande à la campagne. En 1854 deux hommes sont condamnés pour avoir chanté dans des groupes une chanson en breton : Les riches amassent tout. Les fermiers ne peuvent payer. Les pauvres seront toujours dupes. Il est temps pour eux d'ouvrir les yeux. L'arrondissement de Morlaix, où la campagne est dominée par les légitimistes, a donné un tiers des voix au parti républicain modéré, formé de républicains de la veille et d'opposants dynastiques ralliés ; quelques ouvriers des tabacs de Morlaix ont voté pour les rouges. Un comité de démocratie sociale s'est formé dans le bourg du Faon parmi les artisans. Les groupes républicains les plus compacts sont dans les deux ports de guerre, Brest et Lorient ; les ouvriers du port en forment le noyau ; à Lorient, ils ont élu un conseil municipal républicain et, quand il est dissous, ils donnent la majorité à la liste des ouvriers contre la coalition des partisans de l'ordre. La vieille forteresse des bleus en pays breton, Pontivy, appartient depuis 1848 à un parti républicain actif, dirigé par un commis des Contributions indirectes, en relations avec les bourgs de la région. Il a gagné une partie des paysans du domaine congéable, en leur disant qu'ils sont propriétaires de leurs terres et doivent empêcher de faire exécuter les congéments par la troupe.

La région de l'insurrection vendéenne, l'Anjou (moins Saumur) et la partie Nord du Poitou (Vendée et arrondissement de Bressuire), reste soumise au clergé et aux châteaux. L'Anjou élit de Falloux, chef du parti catholique. En Vendée, le clergé, tout-puissant dans le Bocage, a fait élire une liste exclusivement légitimiste ; la Plaine, où beaucoup de paysans sont propriétaires, garde le souvenir des luttes des bleus contre le Bocage royaliste, mais elle n'est pas devenue républicaine. On signale un petit club républicain démocratique à la Roche-sur-Yon, un petit journal républicain à Fontenay, et, aux Sables-d'Olonne, un état d'esprit démocratique par opposition aux légitimistes. Il n'y a guère de républicains que parmi les ouvriers de la ville d'Angers, les ardoisiers des carrières de Trélazé et les tisserands de toiles de la région de Cholet. Les travailleurs à domicile, qui forment presque toute la classe ouvrière, vivent misérablement, indifférents à la politique ; ils entrent même dans des sociétés créées pour combattre les clubs républicains.

La partie Sud du Poitou (Deux-Sèvres et Vienne), pays de petits propriétaires, dirigés par la bourgeoisie qui avant 1848 votait pour l'opposition dynastique, reste dominée par les conservateurs modérés coalisés avec les légitimistes ; aux élections de 49, ils ont écarté les républicains. Poitiers, ville d'évêché, sans industrie, n'est pas un centre politique ; mais il s'y imprime cieux journaux républicains, dont un démocrate, et les bourgeois, républicains modérés par crainte des légitimistes, ont fait élire un conseil municipal républicain. Le clergé y est influent, la noblesse est riche et l'orme une société à part ; il y a un journal légitimiste, et l'évêque Pic, conseiller du comte de Chambord, publie des mandements politiques. Au voyage du Président, en 1830, son discours théocratique a irrité les bourgeois, et les paysans ont crié : Vive la République ! en haine des vieux partis. Les républicains sont beaucoup plus nombreux dans les Deux-Sèvres, surtout parmi les protestants. Châtellerault, nit la fabrique d'armes et la coutellerie font vivre une population ouvrière, a voté en 48 pour les démocrates. Niort, centre d'une industrie des peaux, outre le journal d'opposition dynastique devenu républicain, a un journal démocrate et un journal anticlérical lus par les ouvriers, deux sociétés philanthropiques d'ouvriers (cordonniers et chamoiseurs), qui élisent présidents des bourgeois, deux sociétés musicales d'ouvriers, qui chantent des chants politiques. La garde nationale en 1851 crie : Vive la République ! Vive la Constitution ! Parthenay a un club démocratique et des ouvriers qui lisent les journaux ; à Melle, le sous-commissaire républicain de 1848 a conservé un parti.

Les Charentes, pays de petits propriétaires et de vignerons, ont un esprit politique exceptionnel. Les paysans y sont fort irréligieux, au point de faire venir des pasteurs protestants dans quelques communes ; hostiles aux anciens partis, mais ennemis de la République, ils sont napoléoniens : c'est la couleur du principal journal. Dans la Charente, le seul point agité est Confolens oui l'influence personnelle de l'ancien représentant de 48, Babaud-Larivière, commandant de la garde nationale, maintient un centre républicain ; même à Angoulême les ouvriers républicains ne sont pas nombreux. Dans la Charente-Inférieure, on compte 4 journaux modérés el, 3 démocrates. A la Rochelle, l'esprit républicain est excité par l'animosité des ouvriers et des marins contre la garnison ; dans une rixe, les ouvriers demandent : Êtes-vous républicains ? Il y a eu un club d'ouvriers dirigé par l'aumônier du collège et quelques jeunes professeurs ; on l'a dispersé en destituant l'un et déplaçant les autres. A Marennes des instituteurs protestants sont signalés comme socialistes ; mais les protestants influents sont alliés au parti de l'ordre. Les démocrates se trouvent surtout à Saintes parmi les ouvriers du bâtiment et dans la garde nationale. Le groupe le plus compact est formé par les ouvriers du port de Rochefort, qui votent comme un seul homme pour la Montagne.

 

V. — LA RÉGION DU SUD-OUEST.

LES départements en bordure sur l'Océan sont un pays conservateur où les ouvriers mêmes s'occupent peu de politique. Bordeaux, quoique grande ville, a 4 journaux conservateurs et un seul républicain. Mais le parti de l'ordre dans la Gironde est divisé : en 1850, les légitimistes à Libourne se séparent du comité du parti, leurs journaux sont en querelle avec ceux des orléanistes. Les centres républicains sont Bordeaux, où la petite bourgeoisie qui forme la garde nationale célèbre la fête du 24 février en criant : Vive la République ! et les petites villes du vignoble, Castillon, où on dissout le cercle, la Réole, où le conseil municipal démocrate dissous en 1850 est remplacé par un conseil socialiste, formé presque uniquement d'artisans, Blaye, où le conseil démocrate lutte pour défendre son collège communal. Libourne, où le conseil vote une indemnité à deux professeurs du collège suspendus par le ministre, et le pays protestant de Sainte-Foy. La minorité républicaine, grâce à l'indifférence et aux divisions des conservateurs. fait passer un représentant de la Montagne.

Dans les Landes, où la population est disséminée et de caractère mou, il n'y a de républicains qu'à Dax, Aire et quelques bourgs de l'arrondissement de Saint-Sever, où s'exerce l'influence personnelle du représentant républicain, Pascal Duprat. L'opposition prend la forme de chansons contre les prêtres, et de rébellion à la gendarmerie.

Les républicains sont plus nombreux dans les Basses-Pyrénées ; ils ont 3 journaux, beaucoup de conseils municipaux (élus en 1848), des maires et des instituteurs, surtout par opposition contre les prêtres. Leurs centres sont Pau, où les ouvriers du pays font de la propagande dans les campagnes ; Saint-Palais, où la propagande s'adresse aux petits propriétaires obérés ; Saint-Jean-Pied-de-Port, où la garde nationale reçoit le représentant républicain : Bayonne, l'élection d'un conseil municipal opposant n'est guère qu'un acte de fronde. Le pays basque, docile au clergé, est conservateur.

La population des Pyrénées, enfermée dans des vallées sans communications avec le dehors, reste dominée par des influences locales. La masse est catholique et légitimiste, mais le parti de l'ordre est divisé par la rivalité entre les deux familles nobles de Goulard et de Gontaut. Dans les Hautes-Pyrénées, l'influence, personnelle d'un démocrate, Devine, a fait élire des représentants républicains. Le parti n'est pas organisé, c'est seulement un accord d'opinions et d'efforts, exprimé par ce cri : A bas les nobles et ceux qui les soutiennent ! Il a son centre à Tarbes, où s'imprime le journal démocratique ; le cercle démocratique, créé en 1818, accru de tous les maires, adjoints et instituteurs suspendus ou révoqués, est dissous en 1850. L'Ariège est depuis longtemps partagée entre deux factions locales dont la rivalité se donne un air de luttes politiques. La population, habituée à dévaster les bois, en conflit permanent avec les gardes forestiers et les gendarmes, est ouverte à la propagande démocratique, faite par les petites villes, Foix, Tarascon, Saint-Girons.

La région de la Garonne et de ses affluents, pays de plaines et de collines, tout agricole, mais indifférent en religion et de sentiment égalitaire, a dès 1848 une tendance vers la république démocratique, contrecarre par la résistance des propriétaires et du clergé. Les rouges et les blancs s'y disputent la majorité. Les rouges ont leur force du côté de l'Ouest, Périgord, Agenais. Gascogne.

Le Périgord est couvert de petits châteaux habités par des nobles et des bourgeois légitimistes, propriétaires des terres, que les  paysans tiennent en métayage. Le clergé n'a pas d'influence électorale.  Toutes les villes sont des centres républicains ; les gardes nationales y sont républicaines, il s'y public des journaux démocrates : à Périgueux, le Républicain de la Dordogne, poursuivi trois fois en 1850 ; à Ribérac, la Ruche de la Dordogne, rédigée par Marc Dufraisse, représentant Montagnard ; à Nontron, le Démocrate de la Dordogne ; Bibérac et Nontron manifestent au passage de deux régiments républicains envoyés en disgrâce. A la campagne, les légitimistes, nombreux, riches... aimés individuellement, ne sont pas écoutés ; les paysans repoussent  la monarchie par haine de la noblesse. Le procureur général attribue les succès des rouges à l'influence des maires élus et à la propagande des instituteurs, la plus détestable de toutes les classes. Le paysan, soumis à l'autorité jusqu'à l'aveuglement, en obéissant au maire, croit obéir au gouvernement. Dès qu'un maire est nommé, il dit qu'il possède la loi. En déposant leur bulletin de vote, beaucoup de paysans disent : Voilà ce que le maire m'a chargé de vous remettre. Les instituteurs forment une sorte de franc-maçonnerie, leur propagande s'adresse aux métayers : un leur promet qu'ils jouiraient seuls des domaines à mi-fruit, les petites propriétés restant inviolables. Sur ce programme ont été élus les représentants de la Montagne. Nous aurions fait passer des chameaux.

L'Agenais (Lot-et-Garonne), les parties du Quercy (Lot et Tarn-et-Garonne) qui y touchent, l'Armagnac (nord du Gers), le Toulousain, ont le même esprit politique. Les républicains dominent dans les villes : Agen, où est le comité directeur du parti, formé par trois avocats ; Villeneuve-sur-Lot, ville de tout temps ingouvernable, dont la garde nationale est dissoute en 1850 ; Marmande, livrée aux hommes  de désordre ; Cahors, devenue démocrate en 1849, où les sous-officiers de la garnison fraternisent dans les cafés avec les démocrates et où la garde nationale est hostile ; Figeac, centre de doctrines subversives, où s'est créée une réunion de chanteurs Montagnards en bonnets et ceintures rouges ; Gourdon, où l'on chante la nuit des chants révolutionnaires ; Gannat, gouverné par les démagogues, où la garde nationale, le maire et le conseil municipal vont féliciter le représentant Montagnard dans sa maison (1850) : Moissac, où le parti rouge, qui a fait passer en 49 un représentant Montagnard, réélit en 1850 un conseil municipal démocrate : la bourgeoisie y a un cercle démocratique et une loge maçonnique républicaine ; l'avocat Manau, ancien secrétaire de Ledru-Rollin, plaide pour les républicains. La propagande a gagné les bourgs voisins de la partie républicaine du Gers, Montaigne, Valence. Beaumont, et deux cantons de Castel-Sarrazin, Lavit et Saint-Nicolas.

Condom, quartier général du socialisme, a une loge maçonnique républicaine ; Lectoure élit sans concurrents un conseil municipal démocrate, et l'administration a peine à trouver trois hommes pour une mairie provisoire ; Saint-Clar est agité ; Fleurance est hostile : le maire, un riche bourgeois, est capitaine des pompiers qu'il réunit souvent dans des banquets, un prêtre devenu communiste a créé une école où il reçoit des fils d'artisans aisés ; Mauvezin, seule ville républicaine de l'arrondissement conservateur de Lombez, a un maire qui laisse les ouvriers faire charivari. Les arrondissements de Villeneuve. Marmande. Moissac, Condom, Lectoure. ont donné la majorité aux candidats rouges, soutenus par les paysans propriétaires et les maires en guerre ouverte avec les curés. Le procureur ne peut expliquer cette conduite que par l'action des journaux, ou parce qu'on a dit : Les riches paieront seuls les impôts. Le pays d'Auch est disputé entre les deux partis.

Dans la vallée de la Garonne. Muret, Saint-Gaudens, Saint-Bertrand, Montréjau sont républicaines. Toulouse, avec sa nombreuse population d'ouvriers, est un foyer d'agitation. Il s'y publie trois journaux démocrates ; les représentants Montagnards y ont créé une organisation avec des correspondants dans chaque canton. Depuis que les clubs sont fermés, on se réunit dans les cafés. Mais le clergé légitimiste a de l'action sur les ouvriers enrôlés dans les sociétés de bienfaisance et la société de Saint François-Xavier ; les bourgeois et les commerçants sont plutôt orléanistes.

Les pays les plus conservateurs sont à l'ouest, près des Landes et des Pyrénées, les arrondissements de Nérac (excepté Barbaste), Lombez et Mirande ; à l'est, la région voisine du Massif central, dominée par le clergé et les conservateurs. Dans le Lot, l'évêque donne des instructions, et le parti de l'ordre a une forte majorité ; s'il a passé deux Montagnards, c'est par la division entre orléanistes et légitimistes. Le Tarn-et-Garonne, sauf Moissac, est conservateur ; Léon de Malleville, ami de Thiers, y a une influence personnelle orléaniste ; les légitimistes ont la majorité à Montauban, et dominent l'arrondissement de Villefranche, sauf Caraman. Dans le Tarn, la campagne est sous l'influence des gentilshommes catholiques ; le parti légitimiste est puissant surtout dans l'arrondissement de Lavaur ; les républicains sont réduits aux villes : Albi, où se publie le journal républicain : Gaillac. ville natale d'un représentant républicain. Les représentants de gauche ont été élus grâce à Mazamet, centre de l'industrie drapière, où la population ouvrière a été gagnée par la propagande démocratique, et où la bourgeoisie industrielle et commerçante, en majorité protestante, a passé de l'opposition dynastique à la République.

Dans l'ensemble, le Midi gascon est républicain dans les vallées basses, conservateur, surtout légitimiste, près des montagnes, sauf le pays industriel et protestant.

 

VI. — LA RÉGION DU MASSIF CENTRAL.

CE terme réunit quatre pays différents de nature et de population, À le versant nord vers la Loire, le versant ouest (Limousin), le plateau du centre, le versant est et sud vers la Méditerranée.

Le pays de la Loire moyenne (Bourbonnais, Nivernais, Berry), moitié agricole, moitié industriel, où la terre appartient en partie aux paysans, en partie aux grands propriétaires, est disputé entre conservateurs et républicains. Les légitimistes sont nombreux dans les arrondissements agricoles de Moulins et de Cusset, pays de châteaux, où les paysans sont métayers. Mais Moulins est un centre républicain, où se publie un journal démocratique, les fonctionnaires républicains nommés en 1848 ont, avant d'être révoqués, fait de la propagande dans les campagnes. Les paysans, à qui on a fait espérer la restitution des 45 centimes et du milliard des émigrés, ont, par haine de la bourgeoisie, fait passer les candidats de la Montagne. Cusset a un conseil municipal républicain, et le maire refuse de retirer l'autorisation à la loge maçonnique. Les républicains sont forts surtout près du Limousin, à Gannat, Saint-Pourçain, où en 1850 est élu maire un instituteur révoqué, Chantelle, et dont on désarme la garde nationale en 1851 ; dans le canton d'Huriel, et surtout dans la région industrielle de Montluçon, où le parti rouge domine jusqu'en 185. Les communes où le maire est républicain forment de petites républiques. Dans les cabarets on affiche les portraits des sous-officiers condamnés après le 13 juin.

Le Morvan, pays pauvre, est conservateur, excepté Château-Chinon et Moulins-Engilbert. Nevers n'est pas un centre actif, le journal républicain y est mort en 1849. Mais les démocrates dominent la région voisine de l'Yonne et la vallée de la Loire : la Charité, qui a une loge maçonnique ; Cosnes, où il y a un cercle républicain. La Nièvre a donné la majorité aux candidats de la Montagne en 1849 : on y lit peu, sauf les almanachs : mais la propagande orale a profondément agi sur les campagnes. Clamecy, centre républicain isolé au milieu de campagnes conservatrices. a une population d'artisans et de flotteurs, en relations avec les démocrates de Paris : à la fête du 24 février 1851, les gardes nationaux occupent l'église pêle-mêle avec des gens de mauvaise mine ornés de cravates rouges, qui, au Te Deum, crient : Vive la République ! ; quand la garde nationale est désarmée, il se produit un tumulte.

La population du Berry est conservatrice en Sologne, dans la partie agricole (Indre), et dans le pays de Sancerre (Cher), où les légitimistes et les orléanistes sa disputent l'influence. Il n'y a de républicains dans l'Indre qu'Issoudun et les vignerons des alentours, le Blanc, où un médecin a créé un centre d'agitation qui jusqu'en 1851 agit sur la campagne, la Châtre, où se publie un journal démocratique inspiré, dit-on, par George Sand établie aux environs, et les faubourgs de Châteauroux qui, en 1852, feront passer un conseiller général républicain.

Le Cher, modéré en 1848, a donné la majorité à la Montagne en 1849. Les démocrates ont rapidement gagné, par la propagande orale, les vallées du Cher et de la Loire et les ouvriers de l'industrie du fer, eu promettant d'abolir l'impôt sur le vin et de faire hausser les salaires. Les candidats de la Montagne, exploitant l'impopularité du clergé et de la bourgeoisie, se sont présentés comme gens du peuple, montrant la profusion des gouvernants, leur insensibilité pour le pauvre peuple, l'égoïsme des riches. Le pays est sous l'influence personnelle de l'orateur Michel, avocat marseillais établi à Bourges. Le parti a pour agents les instituteurs, les huissiers, les facteurs, les cantonniers. Il a créé des sociétés de secours mutuels, dont le personnel est tout formé de démocrates. Il y a des centres à Sancerre, dans les bourgs voisins. Sancervar, Néronde, la Guerche, à Saint-Amand, dont la garde nationale est désarmée en 1851 : on y donne en février tin bal par souscription avec une statue de la Liberté en bonnet rouge, on y. fait en avril une émeute pour faire relâcher deux hommes arrêtés par le sous-préfet. Los républicains tiennent suivent des réunions que le procureur général (à tort ou à raison) regarde comme des sociétés secrètes.

Le Limousin est en majorité républicain démocratique, surtout sur le versant de la Loire (Creuse et Haute-Vienne). Les maçons qui chaque année vont travailler à Paris ou à Lyon, et reviennent passer l'hiver dans leur village, y rapportent des brochures et des journaux démocratiques qui sont lus et commentés dans les veillées. Des paysans terminent leurs lettres par la formule : Vive la République démocratique et sociale ! La Creuse a élu, en 1819, des représentants Montagnards, parmi lesquels un maçon, Nadaud (dont on veut faire un candidat ouvrier à la Présidence de la République). Toutes les villes y sont des foyers d'opposition républicaine : Guéret, où la garde nationale s'abstient de venir à la revue passée par le nouveau préfet ; Aubusson, centre de la tapisserie. qui manifeste contre le préfet ; Boussac, où a résidé Pierre Leroux et où les ouvriers gardent le souvenir de sa propagande socialiste ; Bourganeuf, agité par les maçons sans travail ; la Souterraine.

La Haute-Vienne est partagée d'une façon qui étonne le procureur général. Là où la terre n'appartient pas aux paysans, où par conséquent, dit-il, toutes les probabilités semblent être pour le socialisme, les électeurs, influencés par les grands propriétaires, votent pour les conservateurs : ce sont les pays de Rochechouart et de Saint-Yrieix, voisins du Poitou. Les pays qui votent pour les rouges sont ceux du côté de la Creuse où les paysans sont propriétaires et où, d'après la même théorie, le socialisme devrait avoir le moins de chances. Une grande partie de la petite bourgeoisie, et même, à Bellac, la bourgeoisie moyenne, vote pour les démocrates. Le clergé n'a pas d'influence, et n'est pas aimé : on fait venir à Châteaupassac, au Dorat, des pasteurs protestants qui sous prétexte qu'ils sont libres d'enseigner, soufflent la haine des prêtres catholiques. Même dans le pays légitimiste il y a des bourgs républicains, Aradour. Saint-Junien, dont la garde nationale est dissoute. Le centre du parti est Limoges (avec Saint-Léonard), où les ouvriers ont été organisés dès 1848. Les condamnés de l'affaire d'avril 48 y sont regardés comme des martyrs. Les ouvriers porcelainiers, restés incorrigibles, ont encore en 1851 leur association porcelainière, qui tient une réunion pour recevoir badaud. L'association des ouvriers cordonniers a été condamnée comme société secrète, et dissoute. Ils ne font pas de manifestation bruyante, mais ils essaient de fraterniser avec les soldats de la garnison. En 1850, quand des sous-officiers sont envoyés en Algérie pour leurs opinions ou leurs votes, et des soldats aux compagnies de discipline pour cris séditieux, les ouvriers font en secret des guètes pour les victimes de leur indépendance.

L'arrondissement d'Ussel, voisin de la Creuse, est en majorité démocrate et anticlérical ; la moitié du conseil municipal d'Ussel démissionne en 1850 pour protester contre la suppression du collège communal laïque, et est réélue. La garde nationale de Bort, dissoute pour avoir refusé de se rendre à la réception du préfet, manifeste contre l'évêque au cri de A bas les calotins ! Les rouges dominent surtout au voisinage du Périgord et dans l'arrondissement de Brives, où la propagande pénètre jusque dans les hameaux. Les officiers de la garde nationale de Brives démissionnent pour protester contre la décision du préfet de ne pas laisser faire d'élections. La partie du Limousin tournée vers le Midi est moins républicaine. Les conservateurs orléanistes sont influents dans le pays de Tulle, où ils ont deux journaux.

La région du plateau volcanique (Auvergne et Velay), presque toute agricole, est partagée entre les deux tendances opposées. Les conservateurs dominent dans les parties les plus montagneuses aux deux extrémités : d'un côté la partie ouest du Puy-de-Dôme, et le Cantal moins le pays de Saint-Flour, de l'autre le rebord Est du plateau, dans la Haute-Loire. Le parti de l'ordre en Auvergne est divisé et effrayé, il ne croit pas à sa durée. En Haute-Loire, il est plus ferme et plus uni, il a une petite majorité dans les arrondissements du Puy et d'Yssingeaux.

La partie centrale, vallées de l'Allier et de la Dore, pays de petite propriété, Thiers, centre de la coutellerie, a été gagnée par la propagande de la Montagne. L'organe du parti, Le Prolétaire, fait campagne contre l'impôt sur les boissons. Dans l'arrondissement d'Ambert, le gouvernement n'a pas 20 maires (sur 52). En 1850, on plante des arbres de la liberté aux environs de Thiers et d'Issoire et pour protester contre la destruction des arbres à Paris, on renverse deux croix plantées par une mission. A Issoire, le jour de la fête. on fait une promenade en musique avec un drapeau portant un triangle égalitaire ; les enfants crient : Vive la République démocratique ! A bas les riches ! sous les fenêtres du salon où se réunit la société, et, quand les gendarmes enlèvent le drapeau, il y a une bagarre. Les démocrates manifestent leur confiance dans l'avenir par les menaces contre les bourgeois, les injures au clergé ; déconcertés par la loi du 31 mai, ils reprennent courage dans l'attente de 1852. En 1851, des bandes de cultivateurs républicains s'en vont le dimanche matin travailler les champs de leurs coreligionnaires politiques malades, et reviennent ensemble à travers la ville en criant : Vive la République ! A Thiers, la garde nationale est dissoute. A Aurillac, la garde nationale, réunie le 1er septembre 1850 devant le préfet, crie : Vive la République ! avec une affectation marquée ; ses officiers signent une pétition contre la loi du 31 mai. Le Puy a un journal démocrate, l'Ami du peuple, entretenu par le représentant (condamné), et sa garde nationale est dissoute pour cris séditieux en 1850. La Haute-Loire élit un Montagnard en 1850 à 6.000 voix de majorité.

Saint-Flour, où la plus grande partie du barreau et de la petite bourgeoisie appartient au parti rouge, est en lutte ouverte contre l'évêque, qui a transformé le petit séminaire de façon à faire concurrence au collège communal ; le conseil municipal, à l'unanimité, décide de rendre l'enseignement gratuit et de supprimer l'allocation aux curés et vicaires (1850). Le préfet interdit le banquet du 24 février (1851) ; la garde nationale, après la cérémonie religieuse, va proposer au sous-préfet de la passer en revue, et défile au cri de Vive la République ! Le soir, 140 républicains tiennent un banquet par groupes dans 8 auberges.

Brioude aussi est une ville démocratique. La garde nationale y est désarmée ; en 1831, on y célèbre le 24 février par des banquets de groupes d'une quinzaine de convives dans des maisons privées. Les républicains vont dans les foires et marchés des environs faire une propagande secrète avec la connivence des maires.

La région rapide, coupée de ravins, de versants en pente (Ardèche, Lozère, Aveyron), pays de population disséminée, pauvre, privée de communications (les routes n'étaient pas encore faites), est restée docile au clergé qui fait voter en masse les paysans pour le parti de l'ordre, excepté les protestants. La bordure étroite de plaine au pied de la montagne a la même population démocratique que le Languedoc.

Dans l'Aveyron, les légitimistes tiennent toute la montagne sauf les protestants de Saint-Affrique ; il n'y a d'orléanistes qu'à Rodez, et ailleurs quelques bourgeois protestants. Les républicains sont nombreux dans la ville de Rodez, à Sauveterre qui donne une forte majorité aux rouges en 49, à Saint-Affrique où on désarme la garde nationale, à Millau parmi les ouvriers qui prennent part à une souscription pour des instituteurs révoqués. Les démocrates dominent l'arrondissement de Villefranche, surtout les petits centres industriels, Decazeville et Aubin, où les employés et les ouvriers sont notoirement dévoués au socialisme.

La Lozère, dominée par le clergé, excepté les pays protestants de Florac, a élu en 1848 des ecclésiastiques et vote pour les légitimistes ; il n'y a aucun journal républicain. Les populations ont conservé plus qu'en aucune contrée leur foi religieuse, leurs mœurs primitives, le respect des lois, des fonctionnaires publics ou même des hommes appartenant à la classe aisée et éclairée. Le partage des biens communaux est ardemment désiré par les paysans, mais l'agitation a été arrêtée par l'influence du clergé. Il n'y a de républicains que quelques instituteurs, un groupe de jeunes gens à Mende, quelques communes voisines de la Haute-Loire, et les protestants de Florac.

A la fête de Vialat, en 1851, des femmes vêtues de rouge sont montées sur l'estrade et ont chanté des chansons démagogiques ; une grande farandole a traversé le village avec des emblèmes séditieux.

L'Ardèche est partagée nettement. Toute la population de la montagne, excepté les protestants, obéit au clergé et vote pour le parti de l'ordre, qui a une forte majorité dans les deux arrondissements de Tournon et Largentière. Les républicains dominent dans les parties basses, vallée du Rhône et région de Privas ; ils ont pour eux les paysans protestants de la montagne, une partie des artisans des bourgs et les ouvriers mégissiers d'Annonay. C'est par la division du parti de l'ordre et à la Majorité relative que la liste démocratique a passé en 1849 ; les républicains sont en minorité, ils n'ont qu'un journal qui, en 1850, succombe sous des condamnations multiples. Mais ils ont créé dans les arrondissements de Tournon et de Largentière, avec l'autorisation des maires, beaucoup de cercles qui servent à leur propagande.

 

VII. — LA RÉGION DU SUD.

LA région au sud du Massif central, entre le Rhône, la Méditerranée et les Pyrénées, est partagée entre les blancs et les rouges de même façon que le versant sud du massif. Les parties montagneuses restent sous l'influence du clergé et des grands propriétaires, presque tous légitimistes. La population des plaines en grande majorité et presque tous les protestants des montagnes sont républicains démocrates.

Le Gard, pays des protestants, reste divisé par les haines confessionnelles, et plein du souvenir des massacres de la Révolution et de la Terreur blanche. Les légitimistes qui, en 1848, par haine de Louis-Philippe, ont accepté la République, sont devenus maîtres du conseil municipal de Nîmes et ont fait élire leurs candidats à la Constituante et la Législative ; ils ont le principal journal de la région. Par opposition contre les protestants républicains de la Gardonenque et de la Vaunage, les catholiques du pays d'Aigues-Mortes et de la plaine du Rhône votent pour les blancs. En 1849, un groupe légitimiste surnommé la Montagne blanche fait campagne pour la monarchie appuyée sur l'appel au peuple ; cette scission permet aux républicains, d'abord divisés en modérés et rouges, d'élire un démocrate en 1850.

Les centres républicains les plus actifs sont les bourgs de la région protestante : Sauves, où le conseil municipal, le cercle des travailleurs et la garde nationale sont en conflit avec le préfet, Saint-Hippolyte, Clarensac, dont le maire est un des chefs du parti Montagnard, Durfort, Sommières, Ledignan, Anduze. Les républicains sont nombreux dans les petites villes du Rhône, Roquemaure où ils portent des cravates rouges, Beaucaire où ils essaient d'empêcher un banquet légitimiste, Montfrin qui, en 1851, élit un conseil municipal rouge ; il y en a à Uzès.

Dans les campagnes, les jeunes gens, même des familles riches, adoptent les opinions démagogiques. Des paysans aisés disent au procureur général : Jusqu'ici les gouvernements n'ont rien fait pour nous ; nous voulons essayer si la République sociale fera quelque chose. Ils se plaignent qu'on ait élevé à 2,5 francs le prix du permis de chasse. Ceux qui ont à payer une annuité pour des terres achetées à crédit espèrent que les démocrates établiraient le crédit foncier.

Dans l'Hérault, la montagne (Lodève et surtout Saint-Pons) appartient aux légitimistes ; ils ont aussi une partie des ouvriers de Montpellier, qui en 1850 suivent le mouvement de la Montagne blanche. Les ouvriers en draps de Lodève, qui se sont agités en 48, sont tenus sous une discipline qui les écarte de la vie politique. La plaine appartient aux rouges. Le gouvernement réussit par des condamnations à tuer en 1850 leur journal publié à Béziers. Mais ils tiennent des réunions fréquentes (les magistrats disent des sociétés secrètes). La plupart des maires laissent les instituteurs faire la propagande démocratique ; plusieurs, après la loi du 31 mai, recopient l'ancienne liste électorale sans tenir compte de la loi. On signale des manifestations démocratiques dans presque toutes les petites villes du côté de la mer, à Lunel, Mauguio, Frontignan, Vie, Mèze, Florenzac, Capestang ; du côté de la montagne, Ganges, Puysserguier, Sainte-Chièvre (un enterrement suivi par des ouvriers en ceintures et cravates rouges). Les centres principaux sont Béziers, Cette, où les ouvriers fondeurs sont républicains, Pézenas, foyer de troubles, les villes industrielles de Clermont-l'Hérault et de Bédarieux.

L'Aude n'a qu'un parti légitimiste assez faible. L'influence personnelle de Barbès, élu en 1818 à la Constituante, a renforcé le parti démocratique qui domine dans la région du vignoble. Son centre principal est Narbonne ; il s'y publie un journal rouge jusqu'à ce qu'on retire son brevet à l'imprimeur ; on y organise des banquets ; il y a des groupes à Castelnaudary, Limoux, la Nouvelle, parmi les ouvriers qui travaillent au port, à Carcassonne, où l'orchestre d'un bal ouvrier est orné des portraits de Barbès et d'autres proscrits.

La population catalane (Pyrénées-Orientales) est divisée en deux camps ennemis. Les blancs, maîtres de la montagne, dominent les arrondissements de Prades et Céret, excepté les villes des deux vallées, Prades, Vinça, Céret, Arles-sur-Tech, qui ont des conseils municipaux républicains. La force des républicains est surtout dans la plaine, où les propriétaires aisés se mettent à la tête du parti rouge. A Perpignan, chaque parti a son quartier, Saint-Mathieu est rouge, Saint-Jacques blanc ; les deux sociétés légitimiste et conservatrice se sont fondues en une seule, formée par moitié de bourgeois riches et de chefs ouvriers. Dans ce pays de rivalités implacables, les rixes sont fréquentes entre rouges et blancs, à Perpignan, à Céret, à propos de la révocation du sous-préfet, à Rivesaltes à propos d'une chanson légitimiste en catalan, à Saint-Laurent, à Arles-sur-Tech. Les jurés déclarent qu'ils ne condamneront jamais en matière politique, parce qu'ils n'ont pas toujours à leur suite pour les protéger le juge de paix ou les gendarmes.

 

VIII. — LA RÉGION DU SUD-EST.

LA Provence se répartit ainsi : l'ouest voisin du Rhône et le nord montagneux sont conservateurs, le sud et l'est sont rouges. Les légitimistes dominent la campagne de Vaucluse (excepté le pays d'Apt) et la bordure du Rhône. Ils sont maîtres à Aix, moins les faubourgs, et à Barbentane, centre légitimiste ardent, et dans les autres villes ils sont nombreux. Tandis que dans le reste de la France les conservateurs sont passifs, ici ils forment un parti combatif, il entre des ouvriers ; les rixes sont fréquentes entre blancs et rouges. A l'est, les conservateurs et le clergé dominent les parties hautes et dépeuplées des Basses-Alpes et l'arrondissement de Grasse, sauf les villes (Grasse, Antibes, Cannes) ; et jusqu'au bord de la mer dans les cantons voisins de Marseille (Aubagne, Cassis, la Ciotat), ils gardent la majorité.

Les républicains, presque tous rouges, disputent aux conservateurs les petites villes de Vaucluse et Tarascon ; ils ont la majorité à Avignon et Orange. Ils dominent même les campagnes dans l'arrondissement d'Apt, dans la plus grande partie des Bouches-du-Rhône, dans tout le Var actuel — dont Grasse a été détaché en 1860 — (Pertuis, Gardanne, Lambesc, la Seyne, le Luc, Vidauban, Brignolles), dans la région basse des Basses-Alpes (Forcalquier, Digne et surtout Manosque). Les paysans provençaux, indifférents en religion, hostiles aux riches, sont entrés avec ardeur dans la politique, ils élisent aux conseils municipaux des hommes de leur classe, de sentiments égalitaires. La propagande se fait par les Chambrées, petits cercles populaires où on écoute la lecture d'un journal républicain et où on chante des chansons démocratiques.

Les deux grands ports ont une vie politique spéciale. A Toulon, les ouvriers du port donnent une majorité sûre au parti démocratique, et font élire au conseil municipal des ouvriers révoqués. A Marseille, les ouvriers de l'industrie et les portefaix du port sont organisés sous la direction de deux cercles (Paradis et Marbeau), sans compter les nervi, hommes de désordre, à qui la politique sert de prétexte, Un chef de parti influent, Esquiros, rédige un journal Montagnard.

 La Corse, dont la vie publique se réduit à des rivalités entre les dans, n'est pas entrée dans le courant de la vie politique française : elle reste attachée à la famille de Napoléon, sauf le parti légitimiste du pays de Calvi, qui continue la tradition de Paoli. Un petit groupe de jeunes républicains à Bastia fonde, en 1850, un Cercle littéraire bientôt fermé. Les deux groupes coalisés ont créé un journal d'opposition à Bastia.

Le Dauphiné est une région démocratique. L'Isère a dès 1848 une forte majorité républicaine, d'abord modérée, qui en 1819 s'unit au parti de la Montagne. Les légitimistes, impopulaires, exclus de tous les mandats électifs, peu nombreux et sans cohésion, se sont fondus dans le parti de l'ordre. Les paysans, presque tous propriétaires, laborieux et de mœurs régulières, sont avant tout anti-légitimistes, hostiles au régime des blancs et des prêtres ; ils votent pour la République démocratique et sociale, qui signifie pour eux l'opposition contre le parti conservateur. Les maires élus sont animés du moine esprit. Les villes, Grenoble, la Tour-du-Pin, Bourgoin, sont des centres de propagande. La région ouvrière voisine de Lyon, Vienne, la Guillotière (qui n'est pas encore annexée au Rhône), en relation permanente avec les ouvriers lyonnais, partage leurs sentiments.

La Drôme, après avoir élu des modérés en 1848, a été convertie à la République démocratique par quelques propagandistes qui ont promis l'allégement des impôts et le crédit gratuit en 1849 elle a élu la liste de la Montagne. La majorité rouge est formée par les centres industriels (Romans, Bourg-du-Péage), les protestants des bourgs de la montagne (Cree, Dieuletit), et par la ville de Valence, les bords du Rhône, Loriol, Saint-Paul, Marsanne ; le pays de Die est devenu rouge en haine des abus d'autorité antérieurs des chefs du parti de l'ordre. Il s'y tient des réunions la nuit dans les bois, et il semble qu'il s'y soit formé des sociétés secrètes véritables, avec réceptions solennelles, serments et mots de passe. Il se produit dans quelques bourgs, Grasse, Marsanne, Chousclat, des désordres locaux que l'administration élève au rang d'insurrections et réprime par l'occupation militaire. Les légitimistes dominent le reste de la montagne et la partie voisine de Vaucluse.

Le pays montagneux des Hautes-Alpes, très pauvre et déjà dépeuplé, est dominé par le clergé et les conservateurs. Il n'y a que de petits groupes de démocrates à Gap, Briançon, Moustier ; l'influence personnelle du représentant républicain modéré Chaix a formé un parti républicain dans quelques bourgs, surtout il Saint-Bonnet, où l'on porte des bonnets rouges ; en 1851, Chaix se rapproche des Montagnards el se fait acclamer à Veynes après un banquet dans une prairie.

 

IX. — LA RÉGION DE L'EST.

LA Franche-Comté (avec la Haute-Marne) est intermédiaire entre le Nord-Est conservateur et le Sud-Est républicain. Toute la partie nord et la montagne du Doubs, pays de culture ou de pâturage, restent hors de la vie politique ; les paysans votent pour le parti de l'ordre, Dans le Doubs, ils obéissent au clergé de tendance légitimiste.

Les républicains sont concentrés dans les villes. Montbéliard (avec ses environs), poste avancé du protestantisme, est républicain à la façon alsacienne ; on y lit le Siècle ; les ouvriers et la petite bourgeoisie sont démocrates : ils refusent en 1850 de signer la pétition pour la révision. Besançon, où la bourgeoisie est très conservatrice, a une population d'ouvriers horlogers gagnés au parti démocratique ; en 1850 ils manifestent contre Louis-Napoléon ; la garde nationale est républicaine ; l'artillerie, nombreuse dans ce pays d'esprit militaire, est une franc-maçonnerie démocrate. C'est le pays d'origine de Proudhon et de Fourier, et ils y ont quelques disciples. Pontarlier n'a qu'un cercle peu nombreux de démocrates ; les bourgeois acceptent la république modérée. Les autres villes n'ont que des groupes républicains récents créés par des personnages du pays : à Vesoul, un journaliste proudhonien, Chaudey (le futur otage de la Commune) ; à Gray, Gibot ; à Chaumont, un ancien chirurgien-major, Mougeot, un des chefs de la démocratie du département ; à Langres, le docteur Gillot, maire. La propagande démocratique a bientôt converti une partie des campagnes de la Haute-Marne, autour de Chaumont. à Bourmont et dans la vallée de la Luète, pays du sous-officier Boichot, un des représentants Montagnards proscrits après le 13 juin, — près de Langres dans plusieurs centres, la Ferté, Varennes, Bourbonne. Le journal républicain modéré de Chaumont passe au parti de la Montagne. Un conseil municipal rouge est élu en 1851 à Châteauvillain. On y signale une propagande dans les campagnes par des ouvriers qui professent le socialisme, et des cris de : A bas les riches !

Le pays des vignerons démocrates, aux confins du Jura, est sous l'influence de chefs républicains, Trama et Janet. Le Jura, sous l'action personnelle de Grévy, avocat, républicain modéré, a donné une majorité aux modérés en 1849 ; on y crie seulement : Vive la République ! et on évite les manifestations bruyantes, mais la lutte politique y est vive. Le parti de l'ordre, catholique, tient la région montagneuse de Saint-Claude où est l'évêché (excepté la ville de Moret où les ouvriers du bois sont démocrates), et les parties basses des arrondissements de Lons-le-Saulnier et Dole. Les républicains dominent les villes, Lons, Dole, Salins, où il y a des ouvriers, et surtout la région des vignes, Arbois, où le découragement gagne les hommes d'ordre, Poligny et son voisinage, centre des menées démagogiques, sous l'influence de Gagneur, chef du parti démocratique La société des Bons cousins charbonniers tient des réunions dans les bois. Jusqu'après le Coup d'État ces populations, calmes en apparence, voteront pour les opposants. Champagnole même en 1852 élit un conseil municipal républicain.

En Bourgogne, les régions montagneuses, Avallon, Chatillonnais, Arnay, Nolay, obéissent au parti de l'ordre et s'occupent peu de politique. A Montbard, les ouvriers rouges sont en rixes avec un groupe napoléonien. L'Auxois est partagé : la plupart des maires sont hostiles au gouvernement, la garde nationale de Semur manifeste, le conseil municipal proteste contre la loi électorale. Tout le pays vignoble est ardemment républicain ; les instituteurs, les conducteurs et piqueurs des ponts et chaussées, les agents d'assurances font (le la propagande démocratique, on signale partout des cris séditieux et des rébellions contre les gendarmes. Le représentant Joigneaux, par ses publications agricoles et politiques, adressées aux paysans, et par ses tournées dans les villages, exerce l'influence personnelle d'un chef de parti. A Dijon, les ouvriers et le petit commerce font passer en 1850 des conseillers municipaux socialistes, le journal démocrate le Travail, tué par les amendes, reparaît sous un autre nom. La Côte-d'Or est à la fois napoléonienne et républicaine : elle a voté pour Louis-Napoléon et a élu en 1849 des représentants Montagnards. La lutte politique recouvre un antagonisme de classes ; les gens du peuple disent que les propriétaires les ont assez longtemps exploités, que le tour des pauvres gens est venu ; la bourgeoisie répète le dicton : Tous les républicains ne sont pas des voleurs, mais tous les voleurs sont républicains. Dans l'Yonne, la différence est encore plus tranchée entre les régions. La montagne appartient au parti conservateur, la plaine et le vignoble sont rouges et ont fait élire des Montagnards en 1849. Le centre le plus ardent est Joigny ; la garde nationale refuse d'obéir aux réquisitions de l'administration, et crie : Vive la République ! au passage du Président. Le carnaval est l'occasion de mascarades anticléricales, un cordonnier se déguise en évêque. Les maires du canton de Brienon refusent de légaliser les pétitions pour la révision. Le sentiment républicain est si général que la répression de décembre 18M n'empêchera pas en 1852 d'élire des conseillers municipaux républicains.

La partie bourguignonne de Seine-et-Loire est démocratique et a fait élire des représentants rouges ; la minorité conservatrice catholique domine le Morvan (Autunois) et le Charolais, où il n'y a de républicains que les ouvriers de quelques centres industriels (Chagny, Blanzy, Le Creusot). Chalon est le centre où s'imprime le journal du parti, mais le mouvement démocratique est général dans les villes (Mâcon, Tournus), parmi les ouvriers, les vignerons, les paysans propriétaires. Les républicains, jusqu'en 1852, dominent la vallée de la Saône et la plaine de la Bresse (sauf Montgrand), où les paysans souffrent des dettes hypothécaires et du bas prix des denrées.

L'Ain, formé de quatre morceaux hétérogènes tous agricoles, a été depuis 1848 travaillé par la propagande démocratique. Le pays de Gex est conservateur, et Bourg est sans vie politique. Mais les petites villes. Belley, Pont-de-Vaux, Ambérieu, Trévoux, et surtout Nantua, pays du docteur Baudin, sont des centres d'action républicaine. Les paysans, rebelles à l'influence des châteaux et du clergé, suivent leurs maires élus, qui les font en 1849 voter pour la liste Montagnarde de Baudin.

Le Rhône et la Loire ont même distribution régionale et même des partis. Toute la montagne agricole des arrondissements de Villefranche, Roanne. Montbrison, est peuplée de paysans conservateurs dirigés par leurs curés et par les propriétaires légitimistes. Les villes ouvrières, Tarare. Villefranche, Roanne, forment des îlots démocratiques ; encore les républicains y restent-ils en minorité. Les deux grandes villes, Lyon. Saint-Étienne, et les régions d'industrie de leurs environs ont une forte majorité démocratique, formée par les ouvriers, tisseurs en soie, mineurs, métallurgistes, et par les artisans et les petits commerçants. Les ouvriers de la Croix-Rousse sont anticléricaux, le clergé y est injurié et a de la peine à trouver des porteurs de bannières pour les processions. Les ouvriers de Saint-Étienne se réunissent par petits groupes dans les cafés et les cabarets pour discuter les questions politiques. L'état de siège, maintenu à Lyon depuis 1849, y comprime les manifestations, mais la masse des ouvriers y reste organisée et vote pour l'opposition. C'est une classe ouvrière disciplinée, encadrée dans des groupements anciens qualifiés sociétés secrètes, que le gouvernement ne parvient pas à détruire, consciente d'un antagonisme avec la bourgeoisie, convaincue de l'injustice de l'établissement social, soutenue par le souvenir de ses succès en 1831 et 1848.

 

La France apparaît ainsi, dès le début du suffrage universel, partagée en régions de tendances politiques opposées. — Le Nord, le Nord-Est, la Normandie sont conservateurs, sauf quelques centres ouvriers et l'Alsace. — L'Ouest est légitimiste, sauf quelques villes et le Sud du Poitou, qui sont républicains modérés, et les Charcutes, qui sont napoléoniennes. La région intermédiaire, la Beauce et la vallée de la Loire, sont disputées entre conservateurs et républicains modérés, avec une majorité républicaine. — Le Sud-Ouest est légitimiste dans les montagnes, conservateur dans la une qui borde l'Océan, républicain rouge dans les vallées liasses. — Le Centre est en majorité républicain sur les versants nord et ouest qui vont en pente douce vers la Loire, et dans le Haut-Limousin. Les versants abrupts du sud et de l'est vers la Dordogne. le Languedoc, le Rhône et la Saône. y compris le Morvan, subissent l'influence du clergé, et sont conservateurs à tendance légitimiste. — L'Est, le Sud-Est, la plaine du Languedoc et le bassin du Rhône forment une vaste région républicaine, plus modérée vers le nord en Franche-Comté, de plus en plus démocratique en avançant vers le midi ; le clergé y soutient un très fort parti légitimiste dans toutes les montagnes du Jura et des Alpes. — Paris  est partagé suivant la richesse : les quartiers bourgeois de l'ouest sont conservateurs, les quartiers ouvriers de l'est républicains démocrates ; les quartiers commerçants du centre sont disputés entre conservateurs et républicains modérés.

Dans l'ensemble, peu d'orléanistes, sauf dans quelques pays industriels du Nord ; pas de parti napoléonien, excepté dans les Charentes : les républicains modérés, en diminution rapide, sont réduits aux régions d'esprit conservateur du Nord ; la grande majorité des électeurs va aux deux partis extrêmes, les légitimistes mitres du Nord-Ouest et des pays montagneux, les républicains démocrates dominants dans le Sud-Est et les plaines du Midi. C'est l'opposition qu'exprime le refrain d'une chanson alors très populaire : Vivent les rouges ! A bas les blancs !

Cette distribution régionale parait subir l'influence de deux conditions de nature très différente, la structure économique de la société le degré d'influence du clergé catholique. Dans l'ensemble, le parti conservateur reste maître des pays de fermage et de métayage, où le paysan dépend d'un propriétaire noble ou bourgeois : il domine, sous la forme légitimiste, tous les pays, même de petite propriété, où les paysans conservent le respect du curé. Toute la noblesse est légitimiste, presque toute la bourgeoisie conservatrice. — Les républicains sont les ouvriers des centres industriels, les artisans des villes et des bourgs, une partie des fonctionnaires inférieurs et du petit commerce, presque tous les vignerons, et les paysans propriétaires en lutte contre le clergé. Le parti ne se compose guère que de gens du peuple ; ses chefs politiques sont des transfuges de la moyenne bourgeoisie (avocats, médecins, journalistes, notaires), mécontents, déclassés ou idéalistes.