HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE IV. — LA CHUTE DES BOURBONS (1828-1830).

CHAPITRE III. — LA RÉVOLUTION DE JUILLET (26 JUILLET-9 AOÛT).

 

 

I. — L'INSURRECTION (26-29 JUILLET).

LES Parisiens connurent les ordonnances dans la journée du lundi 26 juillet. Ils eussent été moins surpris quelques jours auparavant ; mais la convocation des Chambres venait de les rassurer. La rente baissa de quatre francs. Le préfet de police signifia aux imprimeurs la défense d'imprimer les journaux sans autorisation. Les rédacteurs des principaux organes de gauche demandèrent une consultation aux avocats libéraux. Dupin, Mérilhou, Barthe, Manguin, Odilon Barrot, qui, réunis chez Dupin, affirmèrent l'illégalité des ordonnances. Mais, Dupin ayant refusé de rédiger une protestation publique, les journalistes se rendirent aux bureaux du National et s'entendirent pour paraître malgré l'ordre du préfet. Le National publia immédiatement un supplément : Ce qui reste à faire à la France, c'est de refuser l'impôt.... C'est maintenant aux contribuables à sauver la cause des lois. L'avenir est remis à l'énergie individuelle des citoyens. Puis les journalistes décidèrent une protestation collective. Thiers la rédigea, et tous — ils étaient quarante-trois — la signèrent. Elle déclarait :

Le régime légal est interrompu ; celui de la force est commencé.... L'obéissance cesse d'être un devoir.... Nous essaierons de publier nos feuilles sans demander l'autorisation qui nous est imposée... nous n'avons pas à tracer ses devoirs à la Chambre illégalement dissoute ; mais nous pouvons la supplier, au nom de la France, de s'appuyer sur son droit évident, et de résister, autant qu'il sera en elle, à la violation des lois....

La protestation concluait : Le gouvernement a perdu le caractère de légalité qui commande l'obéissance. Nous lui résistons pour ce qui nous concerne ; c'est à la France à juger jusqu'où doit s'étendre sa propre résistance. Les journalistes ne croyaient pas déchaîner une lutte décisive et violente contre Charles X ; ils comptaient uniquement soulever une agitation qui créerait assez de difficultés au ministère pour l'obliger à disparaître. Le manifeste parut dans le Temps et dans le National ; il fut lu à haute voix dans les cafés, sur les places, au Palais-Royal, imprimé, répandu à Paris, expédié en province. Comme l'imprimeur du Journal du Commerce avait par prudence refusé ses presses au gérant, le président du Tribunal civil, de Belleyme, jugeant en référé, le condamna à continuer l'impression, l'ordonnance n'ayant pas été insérée au Bulletin des Lois. Vers le soir, autour du Palais-Royal et sur ta place du Carrousel, des groupes crièrent : Vive la Charte ! A bas les ministres ! C'étaient des ouvriers imprimeurs mêlés à des étudiants. Quelques députés de gauche, réunis chez l'un d'entre eux, de Laborde, pour délibérer sur le parti à prendre, décidèrent d'attendre les événements. Le ministre Peyronnet, questionné par le préfet de la Seine qui demandait des instructions, répondit qu'il n'y en avait pas, parce qu'il n'y avait rien à craindre.

Le mardi 27, les journaux de gauche (sauf les Débats et le Constitutionnel) parurent ainsi qu'ils l'avaient promis. Le préfet de police fit saisir les journaux et briser les presses. Il y eut des scènes de résistance légale aux portes du National et du Temps, lorsque les commissaires de police en forcèrent l'entrée. Un rédacteur du Temps, Bande, lut au serrurier requis par le commissaire les articles 341 et 384 punissant des travaux forcés le vol par effraction, ce qui le fit fuir, aux applaudissements de la foule, il fallut envoyer chercher le serrurier employé à river les chaînes des forçats : moins scrupuleux, il enfonça les portes et brisa les presses. L'agitation grandit dans la rue ; la gendarmerie dispersa les rassemblements qui s'étaient formés sur le boulevard des Capucines, clavant l'hôtel des Affaires étrangères où se trouvait Polignac. Des boutiques d'armuriers furent pillées. On tira des coups de feu rue Saint-Honoré. Le gouvernement s'inquiéta, et c'est alors seulement qu'il informa Marmont qu'il était depuis l'avant-veille investi du commandement de la garnison de Paris. Marmont rassemble ses troupes, fait occuper le boulevard des Capucines et le Carrousel par la garde royale, les boulevards Poissonnière et Saint-Denis par le 50e de ligne, la place de la Bastille par le 53e de ligne et les cuirassiers, la place Louis XV par les Suisses, le Pont-Neuf par le 15e de ligne, et la place Vendôme par le 5'. A 5 heures, toutes les troupes ont pris leurs positions, sans rencontrer aucune résistance. Deux barricades élevées rue Saint-Honoré au moyen de grosses voitures sont détruites par les soldats. Un homme est tué d'un coup de fusil près du Palais-Royal. Le corps de garde de la Bourse est brûlé. La foule jette des pierres aux soldats, brise des réverbères et des barrières d'octroi. Le soir, les troupes rentrent dans leurs casernes. Marmont croit l'agitation finie : elle s'organise.

Les premiers, les imprimeurs, qu'atteint l'ordonnance sur la presse, réunis par l'avocat libéral Barthe, décident de fermer leurs ateliers , puis d'autres commerçants et industriels libéraux, comme Schonen et Audry de Puyraveau, ferment leurs magasins, congédient leur personnel, l'excitent à la résistance ; quelques-uns distribuent des armes et des munitions. Dans les quartiers populaires de l'est, le Temple, le Château-d'Eau, le faubourg Saint-Antoine, étudiants et ouvriers se réunissent, s'encouragent à la résistance armée, crient Vive la Charte ! Chez Cadet-Gassicourt, l'un des membres les plus actifs de la société Aide-toi, le Ciel t'aidera, d'anciens carbonari décident la formation de douze comités chargés de soulever les douze arrondissements de Paris, de procurer des armes, de soulever la garde nationale dissoute depuis 1827. L'intention révolutionnaire apparaît dans des groupes républicains ; une association d'étudiants constituée en janvier 1830, qui a choisi pour chefs Lafayette et Auguste Fabre, rédacteur à la Tribune, est tout organisée pour l'insurrection ; c'est sur l'ordre de Fabre que le soir du 27, au faubourg Saint-Marceau, on commence à dépaver les rues. Lafayette arrive à Paris. Les républicains passent la nuit à couvrir de barricades les quartiers de l'est, populeux, aux rues étroites et tortueuses. Tout est prêt pour la bataille du lendemain, tandis que, dans les bureaux du Globe, Cousin déclare que le drapeau blanc est le seul possible, reproche à Pierre Leroux de compromettre le journal par son ton révolutionnaire, et qu'au National, Armand Carrel, resté fidèle aux méthodes des conspirateurs de 1892, demande à ses amis : Avez-vous seulement un bataillon ? Quant aux députés de gauche, une trentaine, réunis chez Casimir Perier, parlent, les uns de se mettre à la tête d'une manifestation, les autres d'envoyer au Roi une adresse respectueuse. Ils se séparent en se promettant de rédiger une protestation le lendemain.

Le mercredi 28 juillet, l'émeute organisée aux cris de : Vive la liberté ! A bas les Bourbons ! enlève tous les corps de garde isolés, à l'Arsenal, aux poudrières, à la Manutention, au dépôt d'armes de Saint-Thomas-d'Aquin ; partout, sur les monuments, sur les panonceaux des notaires, même sur les plaques des diligences, elle brise, ou brûle, ou arrache les fleurs de lys ; elle s'empare de l'Hôtel de Ville et de Notre-Dame ; le gros bourdon sonne ; sur les deux monuments surgit et flotte le drapeau tricolore. La révolution s'affirme et se proclame : le drapeau tricolore, c'est la déclaration de guerre aux Bourbons, à la dynastie et à ce qu'elle traîne après elle, l'humiliation nationale, la contre-révolution tantôt honteuse, tantôt avouée, émigrés et prêtres ; c'est la revanche de quinze années d'apathie et d'hypocrisie, c'est la liquidation du procès pendant entre la France et le Roi. Symbole lumineux et clair, qui passionne la foule indécise, qui organise la lutte, donne une armée aux rebelles, et paralyse les soldats chargés de défendre l'ordre monarchique en leur révélant soudain à quel point. il leur est étranger. Marmont envoie des officiers à Versailles et à Saint-Denis pour en ramener les garnisons ; à deux heures, il met trois colonnes en mouvement, l'une vers l'Hôtel de Ville par les Boulevards, la Bastille, la rue Saint-Antoine, l'autre sur les quais ; la troisième par la rue Saint-Honoré jusqu'au marché des innocents. Tout le long de leur chemin, des fenêtres, des barricades, on fusille, on lapide les soldats ; derrière eux les barricades se reforment. La marche est pénible sous le soleil accablant. La ligne manque d'entrain ; la foule est toute pour les insurgés : Un homme du peuple qui combattait, dit un témoin, avait pour lui tout le monde ; un soldat avait contre lui tout le monde. Dans les rangs des insurgés l'uniforme de l'École polytechnique apparaît.

Cependant, les députés de gauche délibèrent une troisième fois. Ils adoptent le texte d'une protestation rédigée par Guizot ; il y est parlé de leur devoir envers le Roi et la France, des conseillers de la Couronne qui ont trompé les intentions du monarque. En vérité, il s'agit maintenant d'autre chose, et les députés finissent eux-mêmes par s'en apercevoir. Quand Perier, Laffitte, Manguin, avec les généraux Gérard et Lobau, vont demander à Marmont d'obtenir du Roi, pour arrêter le massacre, le retrait des ordonnances et le changement des ministres, celui-ci leur promet de transmettre leur vœu, mais leur propose de voir Polignac, qui est dans une salle voisine ; Polignac fait répondre que toute entrevue est inutile. Alors les députés effacent de la protestation l'expression de fidélité au Roi, et l'un d'eux, Casimir Perier, dans un accès de sincérité qui brise l'épaisse prudence de la littérature libérale, déclare : Après ce que le peuple vient de commencer, dussions-nous y jouer dix fois notre tête, nous sommes déshonorés si nous ne restons pas avec lui. Lafayette s'écrie qu'il faut nommer un gouvernement provisoire, et que déjà son nom se trouve placé par la confiance du peuple et avec son aveu à la tête de l'insurrection. En effet, le bruit court que la République est proclamée, avec Lafayette pour président. La victoire populaire se dessine. La deuxième colonne lancée par Marmont a réussi à occuper l'Hôtel de Ville, mais les autres ont échoué. On avait prévu une émeute partielle, non une insurrection générale. Marmont, à cinq heures du soir, reçoit du Roi l'ordre de rassembler tonies ses forces entre la place des Victoires, la place Vendôme et les Tuileries. Il a perdu 2.500 hommes. Tout l'est de Paris reste aux insurgés. Mais, à Saint-Cloud, le Roi dit à Vitrolles : Que les insurgés déposent les armes ; ils connaissent assez ma bonté pour être sûrs du pardon le plus généreux ! La Vierge, apparue de nouveau à Polignac, lui dit de persévérer.

Le 29 juillet, les républicains ont ouvertement pris la direction du combat ; ils achèvent de chasser de Paris le gouvernement royal. Leur petit état-major de jeunes gens, Bastide, Guinard, Cavaignac, Joubert, réunit au Panthéon une bande qui s'avance jusqu'au Pont-Royal contre le Louvre gardé par les Suisses. Au même moment, deux régiments de ligne, le 5e et le 53e, qui occupent la place Vendôme, entraînés par Casimir Perier, passent à l'émeute ; Marmont dégarnit le Louvre ; quelques insurgés parviennent à y pénétrer, et tirent par les fenêtres sur les Suisses qui, surpris, battent en retraite sur les Tuileries. C'est le signal d'une panique : toute l'armée de Marmont se précipite en désordre vers les Champs-Élysées. Joubert plante le drapeau tricolore sur le pavillon de l'Horloge ; le palais de l'archevêque est envahi, saccagé, comme le noviciat des Jésuites de Montrouge et la maison des Missionnaires du Mont-Valérien. Alors la réunion des députés fait cause commune avec les vainqueurs. Assemblés chez Laffitte. ils donnent à Lafayette le commandement de la garde nationale et au général Gérard, le commandement des troupes de ligne ; ils nomment une Commission municipale de cinq membres, Laffitte, Casimir Perier, Schonen, Lobau, Audry de Puyraveau, pour gouverner Paris. Lafayette s'installe avec elle à l'Hôtel de Ville, adresse une proclamation au peuple. Il n'y est plus question du Roi : La conduite de la population parisienne, dans ces derniers jours d'épreuve, me rend plus que jamais fier d'être à sa tête ; la liberté triomphera, ou nous périrons ensemble : Vive la liberté ! Vive la patrie ! Il décrète le rétablissement de la garde nationale, et fait appel aux citoyens pour sauver l'ordre.

Cependant le duc d'Angoulême, investi du commandement en chef, donne à Marmont l'ordre d'évacuer Paris et de se retirer avec ses troupes à Saint-Cloud ; le Roi y réunit les ministres, qui se prononcent pour le retrait des ordonnances et le changement de cabinet : Charles X consent péniblement : Me voilà, dit-il, dans la position où était mon malheureux frère en 1792. Il fait appeler le duc de Mortemart, qu'on dit sympathique à l'opposition, le nomme président du Conseil, lui promet le retrait des ordonnances, tout en disant de lui à ses fidèles : Je le plains de s'être attiré la confiance de nos ennemis. La nouvelle est portée à Paris, à l'Hôtel de Ville, par trois émissaires royaux, Sémonville, d'Argoût et Vitrolles ; la Commission municipale refuse de les recevoir, les renvoie aux députés réunis chez Laffitte ; comme ces envoyés n'apportent aucune preuve écrite des nouvelles intentions du Roi, les députés décident d'attendre le nouveau président du Conseil pour connaître l'étendue des concessions royales. Personne n'ose plus prendre la responsabilité d'une réconciliation avec Charles X. Decazes, qui traverse Paris, écrit : L'exaspération et la haine sont telles contre le Roi et le dauphin, qu'ils ne pourraient régner à Paris que sur des cadavres, et Lafayette, à l'Hôtel de Ville, déclare : Toute réconciliation est impossible, et la famille royale a cessé de régner. Des colonnes d'insurgés défilent dans les rues, criant : Vive la République ![1]

Le Roi n'a plus d'autorité à Paris. Les anciens ministres, qui ne l'ont pas quitté, proposent de transporter le gouvernement à Tours. Le Roi leur conseille de fuir : Notre cause était celle de Dieu... la Providence éprouve ses serviteurs... Le pouvoir est aux insurgés, à la Commission municipale. Tous s'accordent à ne vouloir plus des Bourbons ; mais ils cachent, les uns et les autres une arrière-pensée : les insurgés sont pour la République ; les députés, pour le duc d'Orléans.

 

II. — L'INTRIGUE ORLÉANISTE (30 JUILLET-3 AOÛT).

UN placard anonyme fut affiché le matin du vendredi 30 juillet :

Charles X ne peut plus rentrer à Paris : il a fait couler le sang du peuple.

La République nous exposerait à d'affreuses divisions ; elle nous brouillerait avec l'Europe.

Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution.

Le duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous.

Le duc d'Orléans était à Jemmapes.

Le duc d'Orléans a porté au feu les couleurs tricolores, le duc d'Orléans peut seul les porter encore ; nous n'en voulons pas d'autres.

Le duc d'Orléans s'est prononcé ; il accepte la Charte comme nous l'avons toujours voulue.

C'est du peuple français qu'il tiendra sa couronne.

Ce placard était l'œuvre de Thiers et de Mignet. Tous deux, ils soutenaient depuis six mois, dans le National, qu'il suffisait à la France de faire sa révolution de 1688, de changer les personnes sans les choses. L'heure était venue de réaliser leur plan, d'appeler le chef de la branche cadette, de lui offrir le trône en échange d'un serment de fidélité à la Charte. N'était-ce pas exprimer tout le sens, traduire en acte toute la pensée de la longue lutte engagée entre les libéraux et, les Bourbons ? Substituer la monarchie contractuelle à la monarchie de droit divin, le drapeau tricolore au drapeau blanc, n'est-ce pas réaliser en 1830 le programme de 1814, asservir le Roi sans détruire la royauté ?

Le futur Roi n'était pas prévenu. Craignant un démenti, Thiers modifia sur les derniers exemplaires de l'affiche l'affirmation lancée audacieusement, et imprima : Le duc ne se prononce pas : il attend notre vœu. Les députés, une soixantaine maintenant, prêts à accueillir cette solution, hésitent pourtant à la proposer. Sentant confusément que la question se décidera sans le concours de leur volonté débile, ils ne veulent que gagner du temps, attendre. Ils se donnent rendez-vous au Palais-Bourbon. Les pairs sont encore plus irrésolus. Aucun ne proteste contre la décision des députés ; mais aucun ne l'approuve publiquement. D'ailleurs, les pairs sont en petit nombre, et la plupart s'esquivent. L'abstention de la Chambre des pairs dans les convulsions de la légitimité, son impuissance à s'emparer d'une place même modeste dans le grand mouvement populaire ou dans l'intrigue politique. la rejettent aujourd'hui hors de la nation et menacent de la rejeter demain hors du gouvernement. Elle n'ose même pas donner son avis sur la démarche conciliatrice tentée par Mortemart. Celui-ci, président du Conseil depuis la veille, ayant réussi à entrer dans Paris, veut faire imprimer au Moniteur le retrait des ordonnances, la nomination des nouveaux ministres. Réfugié au Luxembourg, il reçoit des pairs, ses collègues, le conseil de faire acte de gouvernement. C'est à peine si, fatigué, découragé, il trouve la force d'écrire l'ordre aux cours de justice, de requérir le Moniteur de publier les décisions du Roi. L'imprimeur refuse. Mortemart songe à les porter lui-même au Palais-Bourbon, à la Commission municipale. Les pairs l'en dissuadent, et décident un de leurs collègues, Colin de Sussy, à tenter la démarche. Laffitte, qui préside au Palais-Bourbon, renvoie Sussy à l'Hôtel de Ville : Ceci, lui dit-il, n'est pas une séance, mais une réunion privée de quelques députés. Portez ces ordonnances, si vous voulez, à la Commission municipale. Personne, ni pairs, ni députés, ne consent à relever le drapeau tombé de la monarchie,

A l'Hôtel de Ville, où sont la force et la victoire, on commence à prendre conscience de ce qu'on veut, et à le dire. Des républicains, réunis au restaurant Lointier, ont apporté à Lafayette un programme précis : la Chambre n'est qu'une représentation provisoire de la nation ; la volonté de la nation ne peut émaner que d'une assemblée constituante. Nul autre qu'elle n'aura qualité pour changer la forme du gouvernement. On presse Lafayette d'accepter une présidence provisoire. Charles de Rémusat lui demande : Général, si l'on fait une monarchie, le duc d'Orléans sera roi ; si ion fait une république, vous serez président. Prenez-vous la responsabilité de la République ? Lafayette hésite, déclare à Odilon Barrot que ses sympathies personnelles sont pour la République, mais que la monarchie constitutionnelle convient mieux à la France ; c'est la peur du jacobinisme qui fait reculer Lafayette ; il se contente finalement d'adresser aux députés un message où il parle des garanties à stipuler pour la nation. Entre l'Hôtel de Ville qui hésite et le Palais-Bourbon qui s'abstient, les orléanistes se glissent, comprenant que la victoire est au plus agile Thiers va chercher à Neuilly l'acceptation du due, ne le rencontre pas, mais obtient l'adhésion de sa sœur, madame Adélaïde, revient au Palais-Bourbon, parle du péril révolutionnaire, de la nécessité d'en finir avec le désordre. C'est Rémusat, dit-on, qui trouve alors la formule qui rassure les timides et rallie les indécis : les députés demanderont au duc d'accepter la lieutenance générale du royaume. On évite ainsi d'accomplir de l'irréparable. Au soir du 30 juillet, la solution orléaniste a de l'avance, mais toutes les autres sont encore possibles.

Le duc d'Orléans, peut-être décidé à la démarche décisive par une lettre de Talleyrand part pour Paris, arrive au Palais-Royal à onze heures et demie du soir. Le 31 au matin, les journaux orléanistes préparent l'opinion populaire à l'accepter. La victoire de Paris, dit le Globe, a proclamé la vacance du trône.... Le nom du duc d'Orléans se présente.... Il ne peut prétendre à nous faire des conditions ; il faut qu'il accepte les nôtres. Nous avons appris, par une dure expérience, ce que c'est qu'une charte concédée. C'est maintenant à la France à faire des concessions à son roi. Le National dit habilement : Il nous faut cette république déguisée sous une monarchie. Le duc lui-même adresse une proclamation aux Parisiens ; c'est la réponse à l'invitation que lui ont adressée les députés de la France en ce moment présents à Paris :

Ils ont exprimé le désir que je me rendisse dans cette capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant général du royaume. Je n'ai pas balancé à venir partager vos dangers, à me placer au milieu de votre héroïque population et à faire tous mes efforts pour vous préserver de la guerre civile et de l'anarchie. En rentrant dans la ville de Paris, je portais avec orgueil ces couleurs glorieuses que vous avez reprises et que j'avais moi-même longtemps portées. Les Chambres vont se réunir et aviseront aux moyens d'assurer le règne des lois et le maintien des droits de la nation. La Charte sera désormais une vérité.

Phrase à effet qui doit clore la révolution, préciser ses limites et, croit-on chez les orléanistes, gagner la partie. C'est aller un peu vite : la partie n'est qu'engagée ; plusieurs, à l'Hôtel de Ville, parmi les insurgés, jugent que la révolution commence à peine ; ils sont mécontents et le font voir. La reconnaissance de la Charte implicitement formulée dans la phrase dernière de la proclamation est repoussée par la Commission municipale, ou du moins jugée dangereuse. La foule, devant l'Hôtel de Ville, la commente avec colère. La Commission municipale refuse de recevoir et de promulguer la déclaration qui fait du duc d'Orléans un lieutenant général. Le maintien de la Charte, le respect de la Charte, sa pleine et entière exécution, est-ce une satisfaction suffisante à offrir au peuple vainqueur ? Il y a trois jours, il criait : Vive la Charte ; il n'y pense guère aujourd'hui ; il crie : A bas les Bourbons, vive la liberté, vive la République ! On envoie dans la journée au Moniteur une formule rectifiée que l'on croit rassurante et qui n'est qu'obscure : Une charte sera désormais une vérité[2]. Il faut s'expliquer mieux. Il ne faut pas que le duc, à peine entré en scène, apporte avec lui le malentendu et l'équivoque. Les députés se chargent de commenter les phrases de sa proclamation aux Parisiens ; ils adressent, par la plume de Guizot, une proclamation au peuple français. Ils énumèrent les garanties que contient la promesse du duc : rétablissement de la garde nationale, intervention des citoyens dans la formation des administrations municipales et départementales ; jury pour les délits de presse ; responsabilité des ministres et des agents de l'administration... ; ils promettent de donner à nos institutions, de concert avec le chef de l'État, les développements dont elles ont besoin ; car il ne faut pas ôter tout espoir à ceux qui ont cru combattre pour l'égalité et la liberté.

On ne vit jamais mieux qu'à cette heure combien, en temps de révolution, les paroles et les écrits sont choses vaines. Ce qui importe, ce n'est pas ce que les orléanistes disent ou ce qu'ils cachent, c'est qu'ils sont les premiers prêts, leur système est le seul qui ait été proposé. Un coup d'audace — d'une audace sans grand éclat — va l'imposer aux indécis et aux hostiles.

Après avoir signé la proclamation de Guizot, les députés, au nombre de 01, se rendent en corps au Palais-Royal ; Laffitte donne au duc lecture de la proclamation ; il répond : Les principes que vous proclamez ont toujours été les miens. Je travaillerai au bonheur de la France par vous et avec vous, comme un bon père de famille. Tous décident alors de marcher sur l'Hôtel de Ville, quartier général de l'ennemi républicain. A travers les rues pleines d'une foule ardente, le cortège passe, le duc en tête, à cheval, un énorme ruban tricolore au chapeau, suivi des députés. La foule est silencieuse d'abord, puis ironique, hostile même dans les quartiers populaires. On n'entend qu'un seul cri Plus de Bourbons ! Mais celui-là n'est pas un Bourbon. Un placard qu'on affiche en hâte affirme même, à tout hasard ; C'est un Valois ! Car il faut, avant tout, arriver. On arrive enfin Devant l'Hôtel de Ville, les cris de Plus de Bourbons ! et de Vive Lafayette ! redoublent. Ce vieillard indécis est encore le maitre de l'heure ; le dernier combat se livre autour de son fauteuil. Républicains et monarchistes l'assiègent, les Saint-simoniens même lui ont apporté un programme. Le duc entre dans la grande salle. C'est un tumulte. Il agite la main. Il parle. On se tait. Il prend Lafayette par le bras, l'entraîne à une fenêtre. Tous deux, enveloppés d'un drapeau tricolore, s'embrassent. La foule crie Vive Lafayette ! Vive le duc d'Orléans ! La partie est gagnée. Le baiser républicain de Lafayette a fait un roi, écrira Chateaubriand.

 

Les hommes de l'Hôtel de Ville sont vaincus ; les républicains ne comptent plus. Ils n'ont rien demandé, rien obtenu ; ils n'ont même pas formulé leurs conditions. Le duc est parti déjà quand ils songent à les rédiger ; et c'est le lendemain seulement que Lafayette apporte le programme de l'Hôtel de Ville à l'heureux vainqueur qui, la veille, simple prétendant, l'aurait signé : souveraineté du peuple, abolition de la pairie, épuration de la magistrature, liberté absolue de la presse, constitution soumise à l'approbation populaire, responsabilité réelle des agents du pouvoir, le jury pour les procès politiques, l'élection des assemblées départementales et communales ; Ce qu'il faut, dit-il au prince, c'est un trône populaire, entouré d'institutions républicaines, tout à fait républicaines. — C'est bien ainsi que je l'entends. Vous savez que je suis républicain et que je regarde la constitution des États-Unis comme la plus parfaite qui ait existé. Je pense comme vous : il est impossible d'avoir passé deux ans en Amérique et de n'être pas de cet avis'[3].... — Lafayette retourne à l'Hôtel de Ville et assure aux républicains que le duc d'Orléans partage toutes leurs opinions, que le programme de l'Hôtel de Ville est sa pensée intime. Les républicains vont aussitôt dans les rues prêcher le calme à leurs amis. Lafayette rédige une proclamation aux citoyens de Paris : Le lieutenant général du royaume fut un des jeunes patriotes de 89, un des premiers généraux qui firent triompher le drapeau tricolore. Lui-même, Lafayette déclare accepter du lieutenant général le commandement des gardes nationales du royaume. Cependant, Thiers amène au duc d'Orléans les chefs de la jeunesse républicaine, Cavaignac, Bastide, Guinard, Thomas et d'autres. Le prince engage avec eux une cordiale et banale conversation. Lorsqu'ils le quittèrent : C'est un bon homme, dit Bastide ; — C'est un 221, dit Thomas : — Il n'est pas franc, dit Cavaignac. Les vainqueurs de Charles X auront le loisir d'apprécier l'homme ; ils arrêteront plus tard leur opinion définitive ; mais comme un orléaniste, Duvergier de Hauranne, les félicite de leur abnégation : Vous avez tort de nous remercier, répond Cavaignac, nous n'avons cédé que parce que nous n'étions pas en force. Il était trop difficile de faire comprendre au peuple qui avait combattu au cri de Vive la Charte ! que son premier acte après la victoire devait être de s'armer pour la détruire. Plus tard, ce sera différent.

Les républicains ont glissé dans le piège orléaniste ; Charles X y tombe. Opération plus facile, faite sans hâte, en trois jours (1er-3 août). Le 1er août, le lieutenant général du royaume prend le gouvernement, rétablit la cocarde tricolore, nomme ministres provisoires les hommes choisis par la Commission municipale (Dupont, Louis, Gérard, Guizot, Bignon, Rigny, Broglie) en y ajoutant ses amis personnels (Laffitte, Dupin, Girod de l'Ain, Perier), et convoque les Chambres pour le 3 août. Charles X fait bonne contenance ; il envoie de Rambouillet au duc d'Orléans sa nomination de lieutenant général du royaume, et approuve la convocation des Chambres. On peut croire que Charles X est sans méfiance ; Mortemart qui, dans la nuit du 31 juillet au 1er août, a négocié avec le lieutenant général, est revenu satisfait de l'entrevue : Le duc s'est montré parfait ; ses sentiments sont ceux d'un véritable Bourbon. N'est-il pas allé, dans l'ardeur de son loyalisme monarchique, jusqu'à remettre à Mortemart une lettre où éclate toute sa fidélité à Charles X ? C'est que le duc ne savait pas encore s'il était avec le Roi ou contre lui ; il est maintenant fixé, se fait rendre la lettre compromettante. et refuse l'investiture royale. Son titre et ses pouvoirs, il les tient, répond-il au Roi, de la Chambre. Charles X bat en retraite d'un échelon : il annonce (2 août) au lieutenant général son abdication et celle de son fils le duc d'Angoulême ; il charge son cousin de proclamer le duc de Bordeaux sous le nom d'Henri V :

Vous avez, en votre qualité de lieutenant général du royaume, à faire proclamer l'avènement de Henri V à la couronne. Vous prendrez d'ailleurs toutes les mesures qui vous gouvernent pour régler les formes du gouvernement pendant la minorité du nouveau Roi. Ici, je me borne à faire connaître ces dispositions ; c'est un moyen d'éviter union bien des maux. Vous communiquerez mes intentions au corps diplomatique, et vous me ferez connaitre le plus tôt possible la proclamation par laquelle mon petit-fils sera reconnu Roi sous le nom d'Henri V.... Nous réglerons ensuite les autres mesures qui seront la conséquence du changement de règne.

La légitimité est tenace. Le duc répond à Charles X qu'il fera déposer sa lettre aux archives de la Chambre des pairs et qu'il la communiquera aux Chambres ; mais il lui dit aussi qu'il est indispensable que Sa Majesté s'éloigne immédiatement, ainsi que M. le Dauphin, du territoire français. Je charge le général Pajol de se rendre auprès de Votre Majesté et de prendre les mesures nécessaires pour pourvoir à sa sécurité et protéger sa marche.

En effet, le bruit s'étant répandu que Charles X refuse de quitter Rambouillet jusqu'à ce que son petit-fils soit reconnu, la population parisienne s'émeut et, de nouveau, prend les armes. Le 3 août, au matin, quinze ou vingt mille citoyens, multitude confuse de piétons, de cavaliers, de voitures publiques, de calèches, de fiacres, de cabriolets et de charrettes, part des Champs-Élysées avec six mille gardes nationaux assemblés au rappel qu'a fait battre le commandant de la garde nationale, Lafayette. Le général Pajol prend la tête de cette cohue et se porte sur Rambouillet. Trois négociateurs, Maison, Schonen, Odilon Barrot, vont déclarer à Charles X de la part du duc d'Orléans qu'il n'est plus en sûreté. Il résiste lin peu, déclare qu'il attend, pour s'en aller, la proclamation d'Henri V. Barrot lui représente qu'Henri V a d'autant plus de chances d'être proclamé que Charles X partira plus vite. D'ailleurs, le Roi a le sentiment que l'Europe comme la France a abandonné sa cause : il a eu connaissance de la résolution prise le 30 juillet par les ambassadeurs étrangers ; ils ont décidé, probablement après avoir pris conseil de Talleyrand, de rester à Paris, d'y attendre le succès du nouvel usurpateur, alors qu'en 1814, au contraire, ils avaient suivi la légitimité dans sa défaite et dans son exil. L'approche de l'armée de Pajol achève de décider Charles X (3 août). Il se dirige à petites journées vers Cherbourg, où il s'embarque pour l'Angleterre. Le lieutenant général du royaume ouvrit le même jour la session des Chambres ; il ne prononça pas le nom du duc de Bordeaux.

 

III. — L'AVÈNEMENT DE LOUIS-PHILIPPE (3-9 AOÛT).

LES deux Chambres se réunirent ensemble le 3 août, au Palais-Bourbon. La moitié des députés et des pairs étaient présents.

 Le lieutenant général les harangua :

 Je suis accouru, fermement résolu à me dévouer à tout ce que les circonstances exigeraient de moi... pour rétablir l'empire des lois, sauver la liberté menacée... en assurant à jamais le pouvoir de cette Charte, dont le nom invoqué pendant le combat l'était encore après la victoire. Dans l'accomplissement de cette noble tache, c'est aux Chambres qu'il appartient de me guider ; tous les droits doivent être, solidement garantis.... Attaché de cœur et de conviction aux principes d'un gouvernement libre, j'en accepte d'avance toutes les conséquences.

Déclarations vagues : on avait depuis trois jours beaucoup parlé des garanties nécessaires ; les députés en avaient fait une liste, l'Hôtel de Fille une autre liste, et il apparaissait qu'on n'était d'accord que sur la nécessité d'inscrire les plus importantes dans la Constitution. Il ne manquait pas, sans doute, de députés qui, ne voulant que le strict nécessaire de révolution, désiraient le maintien intégral de la Charte : fallait-il sans nécessité ajouter aux difficultés du moment ? La Charte, disait Guizot, avait suffi, pendant seize ans, à la défense des droits, des libertés, des intérêts du pays. Tour à tour invoquée, dans des vues diverses, par les divers partis, elle les avait tous protégés et contenus tour à tour. Le Roi, pour échapper à son empire, avait été contraint de la violer, et elle n'avait point péri sous cette violence ; dans les rues comme dans les Chambres, elle avait été le drapeau de la résistance et de la victoire. Pourquoi abattre ce drapeau ? Opinion pleine de sagesse, qui avait pourtant un défaut, c'est qu'aucun de ceux qui la professaient n'eût osé la proposer. Guizot le reconnaît franchement. Le parti de l'Hôtel de Ville demandait une constitution démocratique, le trône entouré d'institutions républicaines. La monarchie était, pour les jeunes gens qui avaient mené la révolte, ouvriers et étudiants, pour les chefs plus âgés qui avaient jadis conspiré dans les sociétés secrètes, un expédient provisoire, une concession qu'il fallait vendre au moins au prix d'une charte nouvelle, entièrement démocratique, fondée sur le suffrage universel. L'entourage du lieutenant général redoutait ce parti, mais, comme il venait de recourir à lui pour intimider Charles X et le décider à quitter Rambouillet, il devait, sinon payer ce service à son véritable prix, du moins le reconnaître. Entre l'opinion conservatrice et l'opinion républicaine, une majorité se forma pour conserver la Charte en la modifiant. Mais il fallait décider quelles parties de la Charte seraient détruites et remplacées.

Les opinions extrêmes se heurtent jusque dans le gouvernement ; il ne prend pas parti : il se tait. Parmi les députés qui se sont mêlés à la révolution domine encore la crainte, et aussi l'inquiétude de prononcer une parole maladroite, de faire un faux pas. Un d'entre eux, Bérard, se décide, pourtant, à être franc et à parler net : dans l'irrésolution de tous, il formule un programme :

Un pacte solennel unissait le peuple français à son monarque ; ce pacte vient d'être brisé. Les droits auxquels il avait donné naissance ont cessé d'exister... L'acte d'abdication... est une nouvelle perfidie.... L'instabilité des moyens actuels de gouvernement encourage les fauteurs de discordes ; faisons-la cesser. Une loi suprême, celle de la nécessité, a lais au peuple de Paris les armes à la main, afin de repousser l'oppression. Cette loi nous a fait adopter comme chef provisoire et comme moyen de salut un prince ami sincère des institutions constitutionnelles ; la même loi veut que nous adoptions ce prince pour chef définitif de notre gouvernement. Mais... odieusement trompés à diverses reprises, il nous est permis de stipuler des garanties sévères.

Bérard énumère les garanties les plus importantes : rétablissement de la garde nationale avec participation des simples soldats à l'élection des officiers, élection des assemblées départementales et communales, jury pour les délits de presse, responsabilité des ministres et de leurs agents, réélection des députés promus à des fonctions publiques, qui sont déjà assurées du consentement unanime : c'est le programme même rédigé par Guizot le 31 juillet au nom de la réunion des députés. Il faut obtenir davantage, non plus une vaine tolérance de tous les cultes, mais leur égalité la plus complète devant la loi ; l'expulsion des troupes étrangères ; l'initiative des lois attribuée aux trois pouvoirs ; la suppression du double vote ; l'âge et le cens d'éligibilité convenablement réduits ; la reconstitution totale de la pairie, dont les bases ont été successivement viciées par des ministres prévaricateurs. Si le duc d'Orléans accepte ces conditions, il sera proclamé roi des Français. C'est un programme transactionnel, à mi-chemin entre l'Hôtel de Ville et les conservateurs.

Bérard communiqua son projet aux ministres. Dupont l'approuva : c'est, dit-il, un moyen de forcer le gouvernement à se décider ; et il se plaignit de ses collègues : Nous sommes envahis par une faction aristocratico-doctrinaire qui emploie tous ses efforts à faire avorter les germes de liberté semés par la Révolution.... Je n'ai d'espoir que dans la loyauté du duc d'Orléans. Laffitte, tout à la joie d'être ministre, répondit à Bérard que rien ne pressait, que les membres du gouvernement se mettraient sans doute d'accord, très prochainement. Le Conseil des ministres félicita Bérard et, le pria d'ajourner ses propositions : Le lieutenant général vous en prie, parce qu'il veut donner de l'extension à ce que vous vous proposez de l'aire dans l'intérêt des libertés publiques. En réalité, les ministres s'effrayaient de la doctrine non exprimée, mais pourtant contenue dans la proposition Bérard : la royauté nouvelle serait née de la déchéance de l'ancienne ; ils pensaient au contraire que l'abdication du Roi et du dauphin avait, en laissant le trône vacant, créé une nécessité de fait à laquelle il fallait parer : cette nécessité n'investissait pas la Chambre du droit de faire un roi ; elle lui imposait le devoir de trouver un successeur au roi qui était parti.

Guizot, chargé par le Conseil de rédiger un projet d'acte constitutionnel, écrivit :

La Chambre, prenant en considération, dans l'intérêt public, l'impérieuse nécessité... vu l'acte d'abdication de S. M. le roi Charles X, et la renonciation de S. A. R. Louis-Antoine, dauphin... considérant en outre que S. M. le roi Charles X, S. A. R. Louis-Antoine, dauphin, et tous les membres de la branche aînée de la maison royale, sortent en ce moment du territoire français,

Déclare que le trône est vacant, et qu'il est indispensablement besoin d'y pourvoir.

Le visa de l'acte d'abdication, le départ de la famille royale — on ne disait pas s'il était volontaire ou forcé — instituaient ainsi subtilement une légitimité nouvelle en faveur du duc d'Orléans. La proposition Bérard marquait au contraire l'usurpation. On négocia Bérard représenta que le trône n'était pas vacant, puisque l'abdication avait eu lieu en faveur du duc de Bordeaux : on convint de passer sous silence l'abdication. La Chambre ne proclamerait pas le duc d'Orléans, mais l'intérêt général et pressant du peuple français l'appellerait au trône. Une commission l'ut nommée, qui chargea Dupin du rapport. Il fut déposé le 6 août. Les dispositions en furent votées le lendemain. Ce fut la nouvelle Charte.

Elle réglait d'abord les conditions de l'investiture du nouveau roi. Le trône étant vacant par la disparition de Charles X et de la race royale, l'intérêt universel et pressant du peuple français appelait au trône S. A. R. Louis-Philippe d'Orléans. Il n'était ni affirmé précisément, ni explicitement nié que le prince choisi eût par sa naissance des droits au trône supérieurs et antérieurs. Il n'était question que des circonstances de fait, qui ne conféraient pas à Louis-Philippe un droit à régner, mais qui lui faisaient reconnaître une aptitude supérieure à remplir les fonctions de roi. La monarchie, dit le rapporteur, est un établissement nouveau ; nouveau quant à la personne appelée, et surtout quant au mode de vocation ; ici, la loi constitutionnelle n'est pas un octroi du pouvoir qui croit se dessaisir ; c'est tout le contraire : c'est une nation en pleine possession de ses droits, qui dit avec autant de dignité que d'indépendance, au noble prince auquel il s'agit de déférer la couronne : A ces conditions, écrites dans la loi, voulez-vous régner sur nous ? La nouvelle royauté était donc élective et contractuelle ; mais le choix du roi s'imposait par une sorte de nécessité supérieure. Le nouveau roi n'était pas établi en vertu d'une légitimité dynastique, mais c'était pourtant sa qualité de prince du sang qui l'avait fait choisir. Il n'était pas établi en vertu d'un choix populaire, puisque la nation n'était appelée ni à le désigner, ni à ratifier son élection ; mais il était porté au trône par des hommes qui étaient censés représenter la nation. On n'avait pas voulu, dans la Commission, préciser davantage, et on avait mieux aimé laisser de l'incertain dans l'expression juridique du pouvoir nouveau. Ainsi, chacun pouvait interpréter l'événement à sa façon. Guizot résuma plus tard l'opinion de la majorité :

Il y avait autant de légèreté que de confusion dans les idées, à parler sans cesse d'un trône entouré d'institutions républicaines comme de la meilleure des républiques. Des institutions libres ne sont point nécessairement des institutions républicaines.... La monarchie que nous avions à fonder n'était pas plus une monarchie élective qu'une république. Amenés par la violence à rompre violemment avec la branche ainée de notre maison royale, nous en appelions à la branche cadette pour maintenir la monarchie en défendant nos libertés. Nous ne choisissions point un roi ; nous traitions avec un prince que nous trouvions à côté du trône, et qui pouvait seul, en y montant, garantir notre droit public et nous garantir des révolutions. L'appel au suffrage populaire eût donné à la monarchie réformée précisément le caractère que nous avions à cœur d'en écarter ; il eût mis l'élection à la place de la nécessité et du contrat. C'eût été le principe républicain profitant de l'échec que le principe monarchique venait de subir pour l'expulser complètement et prendre encore, sous un nom royal, possession du pays.

Le préambule de l'ancienne Charte fut supprimé comme blessant la dignité nationale et paraissant octroyer aux Français des droits qui leur appartiennent essentiellement. C'est sous cette forme indirecte que fut reconnue la souveraineté de la nation. La religion catholique, appelée religion de l'État dans l'ancienne Charte, fut qualifiée de religion professée par la majorité des Français ; Benjamin Constant ayant fait remarquer qu'il y avait quelque chose de bizarre à rappeler un fait qui n'est nié par personne, la Commission demanda le maintien de la nouvelle formule au nom des départements de l'Ouest, où nous avons des adversaires qui ne demanderaient pas mieux que d'avoir un prétexte pour nous signaler comme des hommes ennemis de toute morale et de toute religion. On ajouta à l'article 8 relatif à la liberté de la presse : La censure ne pourra être rétablie. On enleva de l'article 14 la disposition permettant au roi de faire des ordonnances pour la sûreté de l'État, en lui laissant seulement les règlements et ordonnances pour l'exécution des lois, et en ajoutant, par précaution : sans pouvoir jamais interpréter ou suspendre les lois. L'initiative des lois fut donnée aux Chambres comme au roi. Les séances de la Chambre des pairs furent déclarées publiques comme celles de la Chambre des députés. Le renouvellement des députés par cinquième fut supprimé ; l'âge de l'éligibilité fut fixé à trente ans. La détermination du cens électoral fut renvoyée à une loi spéciale. Un article additionnel : La présente Charte et tous les droits qu'elle consacre demeurent confiés au patriotisme et au courage des gardes nationales et de tous les citoyens français, fut adopté par acclamation. On y vit sans doute une manière supplémentaire d'affirmer le pouvoir souverain de la nation, sa permanence active et sa force matérielle. Enfin, par des dispositions particulières, toutes les nominations de pairs faites par Charles X furent déclarées nulles et non avenues ; des lois furent promises dans le plus court délai possible pour assurer l'application du jury aux délits de la presse, la responsabilité des ministres et de leurs agents, la réélection des députés promus à des fonctions publiques, le vote annuel du contingent, l'organisation de la garde nationale avec intervention des gardes nationaux dans le choix de leurs officiers, des dispositions assurant d'une manière légale l'état des officiers de tout grade, des institutions départementales et municipales fondées sur un système électif, l'instruction publique et la liberté d'enseignement, l'abolition du double vote et la fixation des conditions de l'électorat et de l'éligibilité.

La question de l'hérédité de la pairie, que le parti de l'Hôtel de Ville avait posée, ne fut pas réglée. Lafayette déclara : Je n'ai jamais compris qu'on pût avoir des législateurs et des juges héréditaires. Des manifestations républicaines se produisirent devant la Chambre pour l'obliger à se prononcer ; elle décida que l'article 27 de la Charte serait soumis à un nouvel examen dans la session de 1831. La Chambre refusa de suspendre l'inamovibilité des juges et de soumettre la magistrature à une institution nouvelle. Elle refusa aussi de soumettre, soit aux collèges électoraux, soit à l'acceptation du peuple, la nouvelle constitution. Puis elle adopta, en se séparant, et par acclamation, l'article additionnel suivant : La France reprend ses couleurs ; à l'avenir, il ne sera plus porté d'autre cocarde que la cocarde tricolore.

L'ensemble du projet fut voté par 219 voix contre 33. L'ancienne droite sortit de la salle au moment du scrutin : elle n'avait fait aucune objection au choix du duc d'Orléans ; mais elle avait protesté contre la déchéance de Charles X : Je n'entends juger personne, dit Hyde de Neuville, qui exprima l'opinion de ses amis politiques, j'ai été fidèle à mes serments comme à mes affections ; et certes je n'ai jamais trompé cette royale famille, que de faux amis, des insensés, des êtres bien perfides, bien coupables viennent de précipiter dans l'abîme... Je crois qu'il peut y avoir péril à vouloir fonder l'avenir, tout l'avenir d'un peuple sur les impressions et les préventions du moment. Mais enfin, je n'ai pas reçu du ciel le pouvoir d'arrêter la foudre.... Je n'opposerai donc à des actes que je ne peux seconder ni approuver, que mon silence et ma douleur. Je ne finirai pas sans adresser au ciel des vœux ardents pour le repos, le bonheur et les libertés de ma patrie. Dieu sait s'ils sont sincères !

On était si pressé que, sans attendre le vote des pairs, la Chambre se rendit en corps au Palais-Royal pour annoncer le résultat de sa délibération au lieutenant général. Il écouta la Charte modifiée et embrassa Laffitte, puis il parut au balcon et embrassa Lafayette ; la foule applaudit. La Chambre des pairs adopta sans discussion le texte de la nouvelle Charte par 99 voix contre 14. Chateaubriand fut seul à demander la parole. Son discours fut l'oraison funèbre de la monarchie ; après un hommage au peuple parisien, à son intelligence et à son courage, il ajouta :

Je ne suis point allé bivouaquer dans le passé sous le vieux drapeau des morts, drapeau qui n'est pas sans gloire, mais qui pend le long du bidon qui le porte, parce qu'aucun souffle de vie ne le soulève. Quand je remuerais la poussière des trente-cinq Capets, je n'en tirerais pas un argument que l'on voulut écouter. L'idolâtrie d'un nom est abolie ; la monarchie n'est plus une religion.... Inutile Cassandre, j'ai assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés ; il ne me reste qu'à m'asseoir sur les débris d'un naufrage que j'ai tant de fois prédit. Je reconnais au malheur toutes les sortes de puissance, excepté celle de me délier de mes serments de fidélité.... Après tout ce que j'ai fait, dit et écrit pour les Bourbons, je serais le dernier des misérables si je les reniais au moment où, pour la troisième et dernière fois, ils s'acheminent vers l'exil.

Le lendemain 8 août, la Chambre et le gouvernement s'entendirent sur quelques formules symboliques. Pour marquer qu'il s'agissait d'une royauté nouvelle, sans liens de filiation avec l'ancienne, le nouveau roi s'appellerait non pas Philippe VII, mais Louis-Philippe Ier ; il aurait le titre de roi des Français, et non de roi de France par la grâce de Dieu.

Le 9 août, le duc d'Orléans se rendit au Palais-Bourbon avec sa famille devant les deux Chambres réunies ; il écouta les déclarations des pairs et des députés, prêta serment à la nouvelle Charte :

En présence de Dieu, je jure d'observer fidèlement la Charte constitutionnelle, avec les modifications exprimées dans la Déclaration, de ne gouverner que par les lois et selon les lois ; de faire rendre bonne et exacte justice à chacun selon son droit, et d'agir en toutes choses dans les justes vues de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français.

Puis, les quatre maréchaux qui avaient assisté au sacre de Charles X présentèrent au Roi, Macdonald la couronne, Oudinot le sceptre, Mortier le glaive, Molitor la main de justice ; Louis-Philippe ôta son gant, et, prenant la plume que lui présentait Dupont de l'Eure, signa les actes officiels ; enfin, il monta sur le trône, et déclara qu'il serait fidèle au pacte d'alliance. En sortant, il serra la main aux députés et aux gardes nationaux de service. La Révolution était accomplie.

Ainsi, la lutte commencée en 1815 entre les Bourbons et le parti libéral se terminait par la défaite des Bourbons. Sans doute, il faut faire la part qui revient dans cette défaite à la maladresse de Charles X et à la sottise de Polignac. D'abord ils ne surent ni prévoir ni arrêter l'agitation qu'ils déchaînèrent. Ils ne surent pas davantage, quand les concessions leur parurent nécessaires, les faire au bon moment. Aucune de leurs démarches ne se produisit à propos. Ils furent toujours en retard. Mieux informé et moins infatué, il est possible que Charles X eût réussi à sauver sa couronne ou celle du duc de Bordeaux, encore qu'il ne se soit pas trouvé de parti pour la défendre — Pourriez-vous dire où étaient les royalistes, les 27, 28, et 29 juillet ? plaisantait-on à Paris, après les trois jours — ; mais le résultat profond n'en eût pas été changé. La prétention de la royauté à légiférer sans le concours des représentants eût été moins solennellement, moins fortement peut-être, mais quand même et de toutes façons, condamnée. Et c'était là l'essentiel de la Révolution. Quand les hommes qui possèdent en fait le pouvoir, écrivait Guizot en 1821, sont incapables de comprendre et de satisfaire les intérêts généraux du peuple... alors commence une lutte qui ne peut finir que par la ruine de la Société ou le déplacement du Pouvoir. L'insurrection avait empêché que le pouvoir ne demeurât en fait où il n'était plus en droit, et à des hommes que ne soutenait aucun sentiment des intérêts et des désirs profonds de la France.

Cette Révolution ne fut pas faite par ceux qui en bénéficièrent. Les républicains organisèrent la résistance, menèrent la foule au combat ; les libéraux recueillirent le pouvoir. Comme la victoire des républicains sur le roi, la victoire des libéraux sur les républicains fut facile. On parla plus tard d'un escamotage de la Révolution. Et sans doute il y a quelque vérité dans ce propos. La sympathie qu'on afficha pour les combattants n'eut d'égale que la peur qu'inspirèrent les vainqueurs. Mais les vainqueurs savaient bien qu'ils n'étaient pas très redoutables. Le mot de Cavaignac : Nous n'étions pas en force, est vrai. C'est à Paris seulement qu'il y avait une jeunesse révolutionnaire disposée à renverser le gouvernement. La province resta calme ; elle ne connut guère que l'émotion causée par les nouvelles de la capitale ; les mouvements populaires, même favorisés par les commerçants et les industriels libéraux qui congédièrent leurs ouvriers dans l'intention de provoquer des troubles, n'eurent ni importance ni durée. On accepta partout le résultat parisien, non pas passivement, avec indifférence, mais avec satisfaction, parce qu'il correspondait au sentiment dominant. Dans les villes, l'arrivée du Moniteur, puis de la diligence où déjà les fleurs de lys étaient effacées, les nouvelles données par les témoins oculaires encore tout vibrants de l'enthousiasme parisien, provoquèrent la réorganisation des gardes nationales ; enfin l'annonce que le drapeau tricolore flottait à Paris fit le reste. Beaucoup de joie, peu de violences. Nulle part les préfets de Charles X ne réussirent à conserver leur autorité, mais nulle part non plus ils ne furent sérieusement menacés. Il n'y eut pas de troubles graves, les hauts fonctionnaires restant partout prudents, et répugnant à défendre Polignac et les ordonnances. Une seule ville, Lyon, agit sans attendre les nouvelles de Paris : le Précurseur y procéda comme le National et le Temps : les libéraux, gros industriels, fermèrent les ateliers ; le préfet fut chassé, le général aussi, par le soulèvement irrésistible de la garde nationale. A Nantes, le général Despinois dut s'enfuir ; à Bordeaux, le préfet, qui essaya de lutter, faillit être noyé.

Mais les mouvements spontanés de quelques villes, le calme des autres, la tranquillité générale des campagnes prouvèrent simplement ce qu'on savait, que le gouvernement des Bourbons était détesté des bourgeois et n'avait aucune racine profonde dans le peuple. Le drapeau tricolore qui annonça leur chute remplit de joie les Français, et leur sembla, pour le moment, une satisfaction suffisante. C'est pourquoi les députés libéraux présents à Paris, malgré leur effacement, malgré leur indécision dans la crise, conservèrent tant de prestige sur la foule ; c'est pourquoi la réunion Laffitte d'abord, et ensuite le Palais-Bourbon purent, si vite et si complètement, dominer et vaincre l'Hôtel de Ville.

L'heure des libéraux est venue. Les circonstances, l'opinion générale, la logique des choses les poussent au pouvoir. Ils y arrivent dans une tempête. Mais, à peine installés, ils donnent leur mesure. Une coterie leur a proposé la solution orléaniste ; ils l'adoptent sans débat ; ils ne trouvent à offrir à la confiance publique que la Charte un peu retouchée. C'est que les libéraux, depuis qu'ils ont cessé d'être des républicains, des bonapartistes, des conspirateurs, ne sont plus rien que les représentants d'une classe qui veut exercer le pouvoir ; c'est que, pour gouverner, il leur faut l'abri d'une royauté qui les garantisse de la République, et d'une Charte qui les garantisse de l'ancien régime. Ce qu'ils voudraient, c'est reprendre les choses au point où les a laissées Martignac, c'est-à-dire au moment où ils pensaient avoir fait preuve d'assez de loyalisme bourbonien pour être appelés au gouvernement. L'entêtement capricieux de Charles X qui, à ce moment, a préféré Polignac à Casimir Perier, n'a fait que retarder leur avènement. L'accident de 1829 les a écartés du ministère, celui de 1830 le leur donne. A leur sentiment, la Révolution de juillet a, au fond, tout juste l'importance d'une crise ministérielle. Si à cette crise s'est jointe une crise monarchique, si le roi s'est rendu intolérable, les libéraux à coup sûr en sont satisfaits, mais ils se seraient accommodés de Charles X, si Charles X avait voulu. Dans la circonstance, ils ont adopté la solution la plus proche, et tout ce grand mouvement d'idées, de doctrines, de paroles et de sentiments, toute cette passion tumultueuse et bouillonnante qu'on appelle le libéralisme de la Restauration aboutit à ce compromis médiocre : la quasi-légitimité.

Nous y étions, nous l'avons vu, nous tous qui eu parlons, qui en discutons aujourd'hui : mais, soyons de bonne foi : nous n'y avons rien compris. Cette phrase qu'Armand Carrel écrivit plus tard dans le National exprime assez bien l'état (l'esprit des libéraux pendant la Révolution et d'un bon nombre après elle. Car beaucoup conservèrent obstinément cette conviction, que le peuple s'était fait tuer en juillet pour défendre la Charte. Ils n'avaient pas compris en effet qu'une idée nouvelle était née, dont la Révolution marquait le premier tressaillement, l'idée démocratique.

 

FIN DU QUATRIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Il y eut, d'après Vaulabelle qui dit citer des chiffres d'une certitude irrécusable, 788 citoyens tués et 4.500 blessés ; 162 militaires tués et 578 blessés.

[2] Un erratum rétablit la première formule dans le Moniteur du 3 août, quand le nouveau pouvoir fut considéré comme suffisamment affermi.

[3] Lafayette fut convaincu que les réponses de Louis-Philippe équivalaient à une acceptation du programme de l'Hôtel de Ville. Louis-Philippe nia toujours avoir pris le moindre engagement. Depuis son avènement au trône, écrivait Lafayette le 20 juin 1832, il a nié ses engagements avec moi.... C'est cette conversation du 31 juillet qui fut plus tard résumée dans la phrase célèbre que Lafayette aurait criée à la foule, de la fenêtre de l'Hôtel de Ville on il parut avec le roi : La monarchie constitutionnelle, c'est la meilleure des républiques. Lafayette a affirmé dans un discours à la Chambre, le 3 janvier 1834, qu'il n'avait jamais prononcé cette phrase. Non, Messieurs, il ne convenait pas à un homme qui s'est déclaré, même à cette époque, disciple de l'école américaine.... de dire que la combinaison que nous faisions, qu'alors nous avons crue être dans l'intérêt et dans le vœu de la nation, fût la meilleure des républiques.