HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE III. — LE RÉGIME IMPÉRIAL.

CHAPITRE VI. — LE MOUVEMENT INTELLECTUEL ET ARTISTIQUE.

 

 

I. — LA POLICE DES LETTRES.

SOUS Napoléon, la production littéraire et artistique est en tutelle. La police la surveille et le dogmatisme sévit. La censure et les principes sont également redoutables. On se souvient qu'après la réduction du nombre des journaux, la surveillance de la presse avait été confiée à la Police et celle des théâtres à l'Intérieur (1800). Partage singulier ! Mais Lucien, alors ministre de l'Intérieur, s'intéressait fougueusement au théâtre. Et il avait fort à faire. On comptait près de trente théâtres petits et grands, rien qu'à Paris, et qui, rien qu'en l'an VIII (1799-1800), ne jouèrent pas moins de 375 pièces. Au contraire, les journaux politiques étaient réduits à neuf, dont cinq seulement conservèrent de l'importance : le Moniteur, les Débats, la Gazette de France, le Journal de Paris et le Publiciste : le Moniteur  était l'organe du gouvernement, les quatre autres se groupaient deux par deux, pour et contre les principes philosophiques. L'organisation de la censure en partie double était absurde. La Police exerçait la censure littéraire avec discrétion, mais elle trouvait un malin plaisir à prendre en défaut la censure théâtrale de l'Intérieur, et il lui arriva d'interdire à grand fracas une pièce régulièrement autorisée. Deux exemples suffiront. Le 17 février 1802, Alexandre Duval faisait représenter au Théâtre-Français Édouard en Écosse ou la nuit d'un proscrit, drame historique en cinq actes et en prose. C'était l'histoire, dramatiquement racontée en une adroite mise en scène, du vaincu de Culloden, pourchassé et fuyard. Grand succès. Émigrés et royalistes applaudirent de toute leur force le prétendant malheureux. Le Premier consul assista en personne à la seconde représentation qui, par ordre, fut la dernière. Duval, très ému, s'enfuit tout d'une traite jusqu'à Rennes, sa ville natale, où il se terra. Or, le 27 février 1802, Dupaty donnait à l'Opéra-Comique une petite anecdote, orchestrée par Dalayrac : l'Antichambre. Là, trois laquais — trois, comme les Consuls ! — revêtus de vert — comme la livrée du Premier consul — singeaient les belles manières, tout comme on faisait à la Cour consulaire, et même un des acteurs poussa l'audace jusqu'à ressembler à Bonaparte ! La gendarmerie expédia Dupaty à Brest, et l'incarcéra sur un ponton en attendant qu'on l'embarquât pour Saint-Domingue. Duval, se croyant oublié, était revenu secrètement à Paris. Il fut si effrayé, qu'il s'enfuit de nouveau, aussi loin qu'il put, jusqu'en Russie. Le Premier consul ne fit grâce à Dupaty qu'au dernier moment, sur l'intervention de Joséphine. Quant à la censure théâtrale de l'Intérieur, il en était tellement mécontent, qu'il l'enleva au ministre Chaptal, et ce fut alors qu'il créa la direction générale de l'Instruction publique (8 mars 1802) : Rœderer, le premier titulaire (12 mars), eut la censure théâtrale dans ses attributions, mais Fourcroy, son successeur (14 septembre), ne retint que les écoles, de sorte que la censure théâtrale disparut. En même temps, le ministère de la Police générale était supprimé, et avec lui la censure littéraire.

Pendant un an, la presse et le théâtre eurent l'illusion de la liberté retrouvée. Mais le grand juge, ministre de la Justice, avait hérité de la plupart des attributions du ministre de la Police générale, et il entretenait un bureau spécialement chargé de la police littéraire. Bien plus, l'arrêté consulaire du 27 septembre 1803 spécifia que, pour assurer la liberté de la presse, aucun libraire ne pourra vendre un ouvrage avant de l'avoir présenté à une commission de révision, laquelle le rendra, s'il n'y a pas lieu à censure. Après la censure des journaux et des théâtres, on aura donc la censure des livres, et la commission de révision instituée auprès du grand juge restaura et augmenta même les pouvoirs dont disposaient auparavant les départements de l'Intérieur et de la Police générale. Dans la constitution impériale du 18 mai 1804 (sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII), Napoléon consentit à l'établissement d'une commission sénatoriale de la liberté de la presse. Il prit soin, il est vrai, d'en définir la procédure de manière à la rendre totalement impuissante. Bientôt le ministère de la Police générale était reconstitué (10 juillet 1804), et le 9 mars 1805, Fouché lit approuver par l'Empereur l'organisation d'un bureau de presse ou de consultation qui prit ensuite le titre de bureau des journaux, des pièces de théâtre, de l'imprimerie et de la librairie, avec Lemontey, Lacretelle jeune, puis Esménard. A la police de la librairie, qui s'était elle-même superposée à la police des journaux et du théâtre, se superpose ainsi la police de l'imprimerie, comme si la censure devait, à chacun de ses avatars, s'accroître d'un pouvoir nouveau. Ce serait une curieuse étude que celle des articles insérés par ordre dans les journaux, depuis l'article d'allure officielle, de ton grave et menaçant, qui prenait la voie majestueuse du Moniteur, jusqu'à l'information, souvent fausse et toujours tendancieuse, qu'on faisait faire dans les petits journaux. Le mépris de Napoléon pour les journaux et les journalistes était incroyable. Une fausse nouvelle devenait pour lui un acte de malveillance, un moyen d'alarme. Mais les journalistes ne deviendront jamais plus sensés, ils ne disent que des bêtises, leur bêtise (c'est le mot qui revient sans cesse sous la plume de l'Empereur) est extrême. Dès le 97 août 1805, Napoléon écrivait à Fouché : Il est par trop bête d'avoir des journaux qui n'ont que l'inconvénient de la liberté de la presse sans en avoir les avantages, et il annonçait comme prochaine une réforme des journaux que réalisèrent les ordres du 20 mai,  du 22 mai et du 7 août 1803. Les journaux de Paris eurent à soumettre leurs comptes à la Police. Sur les bénéfices, une retenue variable de deux à quatre douzièmes fut prélevée, selon l'importance des profits, pour être appliquée à des pensions qui seront accordées aux gens de lettres, et d'abord à l'écrivain que la police déléguerait auprès du journal comme censeur attitré. Quant aux théâtres, les décrets du 8 juin 1806, du 25 avril, du 29 juillet et du 1er novembre 1807 organisèrent un régime nouveau. Il ne devait y avoir à Paris que 8 théâtres, savoir quatre grands théâtres : le Théâtre-Français (théâtre de S. M. l'Empereur), le théâtre de l'Opéra (Académie impériale de Musique), le théâtre de l'Opéra-Comique (théâtre de S. M. l'Empereur), le théâtre de l'Impératrice (à l'Odéon, considéré comme annexe du Théâtre-Français) et quatre théâtres secondaires : la Gaieté, l'Ambigu, les Variétés, et le Vaudeville. Tous les autres théâtres, sans exception, reçurent ordre de fermer à la date du 15 août 1807. Il ne fut pas question d'indemnités. Les quatre grands théâtres seront sous la surveillance particulière d'un surintendant des spectacles (qui fut le chambellan Rémusat). Dans les départements, cinq villes auront droit à deux troupes théâtrales sédentaires (Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes et Turin) ; quatorze à une troupe seulement. Dans les villes où il existera deux théâtres, ceux-ci seront hiérarchisés : le principal théâtre disposera du répertoire des grands théâtres de Paris ; le second théâtre correspondra aux théâtres secondaires. L'Empire sera divisé en 25 arrondissements théâtraux, dont 12 posséderont deux troupes ambulantes et 13 une seule troupe. Il existera une année théâtrale (partant d'avril) pour le renouvellement du personnel. La Police et l'Intérieur, les préfets, les sous-préfets et les maires surveilleront les troupes stationnaires et, ambulantes, leur composition, leur répertoire, et assureront l'exécution des contrats. Le régime nouveau entra en exécution dès la fin de 1807. Jamais tutelle plus étroite ne fut imposée à la scène. L'industrie des théâtres devint en quelque sorte une industrie d'État, et les entrepreneurs de spectacles eurent presque rang de fonctionnaires. La vie théâtrale fut administrative.

L'année suivante, le Conseil d'État reprit, par ordre, la discussion sur la censure et la police de l'imprimerie qu'il avait commencée en 1803. Très longues et ralenties encore par de fréquentes interruptions, ses délibérations aboutirent enfin au décret du 5 février 1810 (complété par une série d'autres décrets, du 6 juillet 1810 au 16 juin 1811). Le nombre des imprimeurs sera limité. A Paris, il ne dépassera pas soixante, une indemnité sera payée par les imprimeurs conservés aux imprimeurs supprimés. Les imprimeurs seront brevetés et assermentés. Les libraires aussi, mais leur nombre ne sera pas limité. Avant d'être imprimé, tout ouvrage sera soumis aux censeurs de la direction générale de l'imprimerie et de la librairie, et, éventuellement, en cas d'appel, au ministre de l'Intérieur, mais, même après que le permis d'imprimer a été obtenu par cette voie, la Police générale et les préfets peuvent faire surseoir à l'impression ou à la mise en vente. Le premier directeur général fut Portalis fils (12 février 1810), que Napoléon disgracia bientôt, pour ses accointances avec les papistes (4 janvier 1811). Il le remplaça par un vieil artilleur, devenu général, préfet, et quelque peu homme de lettres : le baron de Pommereul. D'Estourmel, qui l'a bien connu, le dit brutal comme un canon, mais fort spirituel. A la vue d'un prêtre il commençait à entrer en colère et, s'il se mettait alors sur le chapitre de ce qu'il appelait les calotins, son emportement philosophique ne s'arrêtait guère qu'au pied du bûcher. Très vite, la direction générale s'organisa en une majestueuse hiérarchie, comme il était d'usage sous l'Empire. Pour mieux surveiller la production livresque, elle publia le Journal général de l'imprimerie et de la librairie (ou Bibliographie de la France), qui paraît régulièrement depuis 1811 et sert aujourd'hui à toute étude bibliographique en France. Une fiscalité tracassière et nuisible aggrava l'oppression causée par le jeu normal de la censure. Ce fut un régime mortel.

A peine commençait-il à fonctionner que Napoléon jugea nécessaire de donner un nouveau tour de vis. En août 1810, il réduit la presse locale à un journal par département : feuille d'annonces rédigée sous les yeux du préfet. Plus de cent journaux disparurent du coup. En octobre, sur la proposition de Savary, le nouveau ministre de la Police, Napoléon décida que l'année suivante quatre journaux seulement continueraient à paraître, sous la direction de la Police : le Moniteur avec Sauvo, le Journal de l'Empire (ci-devant des Débats) avec Étienne, le Journal de Paris avec Tissot, et la Gazette de France avec Jay. Le Mercure (déjà fusionné par ordre avec la Revue, ci-devant Décade) disparut, ainsi que le Publiciste et tous les autres journaux parisiens. Bien plus, le décret du 18 février 1811 enleva le Journal de l'Empire à ses propriétaires (les deux Bertin et trois actionnaires) : la propriété du journal fut divisée en 24 actions, dont 8 passèrent à la Police et 16 à autant de fonctionnaires ou courtisans qu'on voulait récompenser. Le décret du 17 septembre 1811 confisqua de la même manière les autres journaux. Chose étonnante, la réforme accomplie, l'Empereur se plaignait encore du mauvais esprit des journaux, de la maladresse des journalistes, et il lui arrivait de lire avec indignation le Journal de l'Empire. Au théâtre, la censure s'exerçait rétrospectivement, et elle opéra la purgation de toutes les pièces classiques. Les habitués des Français se faisaient un jeu de suivre sur le texte les modifications imposées à Corneille et Racine. Dans les pièces nouvelles, tous les mots étaient soigneusement pesés. Quand par exemple Étienne présenta sa comédie des Deux Gendres, on remplaça les vers :

Cependant je connais des gens très élevés

Et qui de mon crédit se sont fort bien trouvés

par :

Cependant je connais des gens fort importants

Et qui de mon crédit ne sont pas mécontents ;

car il est moins dangereux pour la sûreté de l'État que le crédit s'exerce auprès de gens importants que très élevés. Le décret du 13 août 1811 obligea tous les théâtres, jeux, cirques et spectacles quelconques à payer à l'Opéra une redevance variable du cinquième au vingtième des recettes (sans préjudice du droit d'un décime par franc perçu au profit des indigents) : l'Opéra tirait ainsi profit de ses propres concurrents, comme l'Université des maîtres de pensions. Une polémique furieuse éclata peu après, qui se prolongea pendant de longues semaines : Étienne, qui venait d'être élu membre de l'Institut, classe de langue et littérature française, était accusé d'avoir plagié dans ses Deux Gendres une comédie de collège jésuite. L'année suivante, en 1812, le Journal de l'Empire et la Gazelle de France discutèrent avec ardeur sur les mérites respectifs de la musique italienne et française. Ces polémiques étaient factices, organisées sous main par la Police, afin de détourner les esprits des préparatifs et des désastres de la campagne de Russie. Tel était le rôle qu'on faisait jouer à la presse. Quant à la librairie, il est impossible d'entrer ici dans le détail des vexations sans nombre qu'éprouvèrent éditeurs et auteurs. Les rapports des censeurs constituent un des monuments les plus curieux du système de compression que l'Empire imposait à, la France. Qu'il suffise de constater que l'activité de la librairie se réduisit d'elle-même, comme on avait réduit le nombre des journaux et des scènes théâtrales. En 1812, quand l'Empire avait sa plus grande étendue et que la langue française était presque partout comprise, jusque dans les classes moyennes, de Berlin à Munich et d'Anvers ou Coblence à Madrid et Milan, la librairie française édita seulement 4.648 ouvrages. L'étendue moyenne de chaque ouvrage n'atteignait pas 150 pages, et le tirage dépassait à peine 1.600 exemplaires. La guerre abaissa le total à 4.017 ouvrages en 1813 et à 2.683 en 1814.

En qualité comme en quantité, la production littéraire était faible. Elle ne subissait pas seulement la censure de l'État, mais une doctrine de censure. De même qu'à la veille de la Révolution on constate en France une réaction nobiliaire, de même, à la veille du romantisme, il s'est produit une réaction classique. Tout a été dit. Les anciens ont fourni des modèles parfaits et qui ne seront jamais dépassés. Il suffit de les imiter et de s'en référer à leur autorité. Le fond importe moins que la forme. A quoi bon chercher ? Il s'agit de représenter l'homme, non dans ses particularités contingentes d'époque et de nation, ou dans l'irréalité des définitions abstraites, mais tel qu'il est, dans ce qu'il a de permanent et de commun avec tous les hommes. Or, ce ne sera ni long, ni nouveau. Dans son Essai sur l'idéal (1805), Quatremère de Quincy pose en principe qu'il existe un beau idéal, absolu, héroïque et définitif ; les anciens l'ont réalisé, les modernes doivent le rechercher. L'artiste observera donc les choses telles qu'elles sont, mais il appliquera la méthode idéale ou rationnelle, et il subordonnera ses goûts et son inspiration personnelle au canon de l'esthétique. Dans la figure individuelle, il recherchera le type idéal de la figure humaine. La fin de l'art est d'immortaliser, non pas les particularités dissemblables et le détail éphémère, mais le type général et la beauté permanente. Il n'en sera pas autrement en éloquence et en poésie. L'art ne se renouvelle que par l'expression. Il n'y aura de nouveauté que par le style, mais à la condition que l'écrivain respecte les règles posées par l'usage et la nature des choses qu'on appelle en littérature la distinction des genres.

Le poète qui représente la doctrine classique avec le plus de succès a donné en 1800 l'Homme des champs, en 1802 la Pitié, en 1804 la traduction de l'Énéide, en 1805 la traduction du Paradis perdu, en 1806 l'Imagination, en 1809 les Trois règnes de la nature, en 1812, à 74 ans, la Conversation : c'est l'abbé Delille, le Virgile français, le poète national, lecteur et professeur impérial de poésie au Collège de France. Sa gloire est immense, et ce fut assurément un malheur pour la poésie impériale d'avoir été en quelque sorte dirigée ainsi par un vieillard. Joubert, le plus fin et le plus défiant des classiques, écrivait en 1805 à son jeune ami Molé :

Je lis l'abbé Delille. Oui, vous avez raison, cela est beau. Il n'y a point de livre où la langue française soit si brillante. Cet homme en a fouillé les mines et a trouvé partout de l'or !

Delille lui-même ne doutait pas qu'il fût de la race des grands poètes. Il raconte, dans une de ses préfaces, que le génie de la langue française apparut pour lui jeter quelques feuilles de laurier détachées de la couronne de Virgile et de Milton, et il ajoute avec modestie : Je les saisis avec empressement et les rattachai avec respect aux couronnes à qui elles appartenaient. Quand il était professeur d'humanités au collège de la Marche, dans l'ancienne Université de Paris, ses élèves l'avaient surnommé sapajou : il était petit, laid, alerte et élégant. Pour enjamber les difficultés de la poétique pseudo-classique, il était en effet d'une agilité simiesque. Il est le virtuose de la forme vide. Il a la facilité continue. Son alexandrin est souple, le trait brillant, la périphrase amusante et l'audace verbale souvent ingénieuse. Il décrit pour décrire, pour le plaisir. Il ne prétend pas enseigner. Il n'est didactique que d'étiquette. Il n'a pas d'idées : tout au plus, une certaine aptitude à saisir au vol les préférences de la mode, et le goût du public mondain. Il était champêtre et rural avant la Révolution, il devient, sous Napoléon, religieux, plaintif, vaguement royaliste et anti-révolutionnaire, et il sait donner à son succès comme un piquant ragoût d'opposition politique. Quand, en 181, il donna lecture de son dernier poème,

des acclamations redoublées ont retenti dans toute la salle, raconte Dussault, et l'émotion la plus profonde s'est manifestée ; on applaudissait en pleurant ce chant glu génie qui, quelque beau qu'il soit, ne sera pas, il faut l'espérer, le chant du cygne.

Hélas ! Le poète mourut l'année suivante. Son corps resta exposé pendant plusieurs jours sur un lit de parade dans une des salles du Collège de France ; sa tête était ceinte d'une couronne de lauriers : les lauriers de Virgile et de Milton. Le jour du cortège, les rues étaient inondées d'une foule immense, les fenêtres garnies de spectateurs.

La doctrine classique est faite d'autorité, de tradition, d'imitation, d'humanisme, de logique et d'art pour l'art, mais aussi de misonéisme, de stérilité, d'incompréhension, de réglementation et de formalités. Elle a été, au siècle précédent, professée par Voltaire aussi bien que par Marmontel ou La Harpe, elle se reconstitue, plus solidement que jamais, semble-t-il, dans les premières années du Consulat. Les causes de cette survie sont nombreuses. La restauration du classicisme s'accorde avec l'esprit du temps qui est proprement la restauration : car c'est bien à tort qu'on a donné ce nom au régime qui a suivi la chute de Napoléon ; il s'applique au contraire, et mieux que tout autre, au régime du Consulat et de l'Empire. L'Institut est transformé, et les anciennes Académies française et des inscriptions et belles-lettres sont reconstituées sous des vocables différents, il est vrai, mais qui ne trompent personne. Les hellénistes, les archéologues, les latinistes, les traducteurs sont nombreux. L'érudition n'est qu'une des formes (et non la moins fertile) du mouvement antiquisant, et le retour à l'antique aide à la restauration du classicisme. Il ne convient pas de rechercher ici pourquoi il n'a pas été capable de transformer la doctrine classique en un humanisme large et fécond, comme au temps de la Renaissance : la doctrine était déjà trop forte et l'étude de l'antiquité n'a fait que lui donner de nouvelles forces. Puis, elle a fait la conquête de l'instruction publique, et l'on a vu par quelle série de victoires elle a expulsé de l'enseignement la doctrine pédagogique des révolutionnaires et des philosophes. Une école nouvelle de critique littéraire s'organise, qui sera d'autant plus active que la censure interdit plus sévèrement les polémiques politiques. Népomucène Lemercier tournait en dérision la critique scolaire de Geoffroy et de ses émules, mais il énumérait lui-même dans son Cours analytique de littérature générale, en les justifiant par le raisonnement déductif et par les arguments inductifs d'observation, les 22 règles ou conditions de la comédie, les 23 règles ou conditions de l'épopée, et les 26 règles ou conditions de la tragédie (y compris la règle des trois unités). Enfin, l'Empereur était un classique, et non des moins absolus. Comme écrivain, comme orateur, dans ses lettres, ses bulletins, ses proclamations, voire dans les exposés annuels de la situation de l'État, quand il y mettait personnellement la main, dans ses discours, ses invectives et ses conversations, jamais personne ne fut moins classique que lui. La vivacité pittoresque de ses expressions, l'allure parfois romantique de ses comparaisons, son imagination, son tempérament et ses brusqueries cassent à tout instant les cadres fragiles du classicisme. Mais, dès qu'il veut parler pour la postérité et qu'il s'observe, il redevient classique, et même il y fait preuve d'un vrai talent, si tant est qu'il ne soit pas paradoxal de parler de talent quand il s'agit de Napoléon. La Campagne d'Égypte et de Syrie qu'il dicta à Sainte-Hélène le classe, comme historien, parmi les bons imitateurs de Voltaire et de l'Histoire de Charles XII.

Pour comprendre avec quelle facilité la doctrine imposa ses règles par-dessus les règlements de la censure, il faut essayer de se représenter ce qu'était alors le personnel et le public littéraires. Au XVIIIe siècle, et pendant la Révolution, il y a en France des gens de lettres ; il y en aura de nouveau sous la Restauration et toujours depuis. Sous le Consulat et l'Empire, il n'y en a pas, ou si peu qu'ils ne comptent pas. C'est que les lettres ne rapportent pas. On a vu ce que le gouvernement faisait des journaux et des revues, et comment il les supprimait ou les transformait à son gré. Dans les petits théâtres, le directeur donnait, de la main à la main, un louis aux auteurs après la représentation, jamais plus, souvent moins. Une pièce à succès se vendait 200 francs. Très rares ont été les livres qui produisaient de l'argent. Les écrivains qui n'étaient pas ralliés au gouvernement et n'avaient pas de fortune personnelle, mouraient de faim. Il n'y avait pas de place pour eux dans la société hiérarchique qu'organisait l'Empereur. Le vieux Duels refusa une place de sénateur : il n'avait pour vivre que son traitement de membre de l'Institut et une petite pension que lui faisait le Théâtre-Français. Plus de grands seigneurs ou de fermiers généraux pour encourager les lettres. L'Empereur accorda quelques pensions, qui naturellement n'allèrent pas toutes au vrai mérite. Le seul moyen de subsister était d'entrer au service du gouvernement. Presque tous les gens de lettres sont fonctionnaires, professeurs ou bibliothécaires. Français de Nantes en recueillit plusieurs à la direction générale des droits réunis. Du reste, tant d'autres occupations, plus urgentes et plus productives d'honneur et d'argent, se disputaient l'activité des hommes, aux armées, dans l'administration, dans l'industrie, qu'il restait, en littérature, de nombreuses places vides. Les femmes s'en emparèrent, beaucoup se mirent à écrire, en prose ou en vers, et médiocrement pour la plupart. Elles provoquèrent, sous le Consulat, une petite polémique féministe, mais elles ne changèrent rien aux lois du gal, classique.

Le public chôma plus longtemps que les auteurs. Le théâtre fut seul à garder ses fidèles et ses connaisseurs pendant la Révolution. Mais pour le reste, quelques salons parisiens, quelques dîners d'hommes de lettres ne suffisaient pas à créer un milieu littéraire, d'action vivifiante. Les nouveaux riches et plus tard les nouveaux nobles n'avaient pas toujours le goût bien délicat. Le plus grand succès de librairie sous le Consulat n'a pas été le Génie du christianisme, mais un petit livre publié par un certain Lucet au prix de 4 francs en 1803 : Correspondance générale des Œdipes. En quelques semaines, il s'en vendit 50.000 exemplaires : c'était une collection de réponses, plus ou moins spirituelles, à une énigme dont le mot était contraste. La littérature frivole et d'amusement est seule accessible pour beaucoup de ceux qui ont pris la place de l'aristocratie d'autrefois. La proportion des ouvrages édités en 1812 est de 30 p. 100 pour les belles-lettres et les romans, 22 p. 100 pour les productions diverses, almanachs et autres, 9 p. 100 pour l'histoire et la géographie, 13 p. 100 pour la théologie et les livres de piété, autant pour les sciences pures et appliquées, autant pour les sciences sociales et l'administration. Les hautes classes, celles qui donnent le ton, sont très préoccupées, comme le maitre lui-même, de remettre en vigueur les règles mondaines du passé, et elles acceptent sans discussion, comme les plus convenables, les règles de la doctrine littéraire.

 

II. — NOVATEURS ET NOUVEAUTÉS.

QUE le régime de double oppression qui vient d'être indiqué — la censure politique et le classicisme doctrinaire — ait nui à l'expression de la pensée : le contraire serait surprenant ; et ce n'est pas l'effet d'une simple coïncidence que les deux tempéraments d'écrivains les plus personnels de l'époque, Chateaubriand et Mme de Staël, n'aient été ni des sujets soumis, ni des classiques de stricte observance.

La prose de Chateaubriand est abondante et souple, harmonieuse et colorée. Elle a des frémissements et des parfums. Elle vit parce qu'il vibre. Il est le premier en date des grands lyriques du XIXe siècle, et déjà sa pensée est toute moderne. Sa nature est faite de contradictions. Il est sincère, mais d'une sincérité à étages. Sa foi religieuse est d'autant plus vive qu'elle est plus extérieure. Il vit en homme de lettres, parfois besogneux, et il voudrait être le grand seigneur qui n'écrit que par manière de passe-temps. Il est marié et il est de mœurs polygames. Il reste à l'écart et il voudrait exercer une action dirigeante sur ses contemporains. Il a voyagé et il voudrait avoir eu des aventures héroïques ou singulières, qu'il ne laisse pas, nonobstant, de raconter. Il vit avec un cœur plein, dans un monde vide. Il n'est pas simple. Il ne l'avoue pas, mais il s'en flatte et il en souffre. Son action littéraire ne se développera qu'à la génération suivante ; mais, dès l'époque de Napoléon, il réagit contre le scepticisme étroit du XVIIIe siècle, il ne s'asservit pas aux formes rigides de la doctrine classique ; il se représenta l'histoire comme une résurrection vivante, il lit voir le passé comme il voyait les paysages, les couleurs et la lumière, et partout enfin il donna confidence de sa personnalité, de son isolement et de son désenchantement. Tout le romantisme procède de Chateaubriand. Il procède aussi de Mine de Staël. Elle est la dernière des grands intellectuels du XVIIIe siècle et sa pensée est toute d'avenir. Elle a compris que les règles classiques ne sont pas absolues, que chaque peuple et chaque génération sont libres d'avoir leur originalité, elle distingue la mentalité latine et la mentalité germanique, elle explique celle-ci à celle-là, elle révèle l'Allemagne à la France, elle est la première à donner au mot de romantisme sa signification nouvelle, et elle offre le romantisme des peuples du Nord au goût classique des latins ; elle croit, comme les philosophes du XVIIIe siècle, au progrès indéfini de l'humanité par la liberté ; elle a brisé les cadres, elle ouvre des horizons ; elle a semé des idées neuves et elle croit aux idées, elle n'imagine pas une politique sans morale ni une morale sans religion ; elle est vraiment, dans le plus noble sens du mot, une idéologue.

Chateaubriand et Mme de Staël représentent une mentalité nouvelle, que les circonstances contribuent à développer. Les émigrés et les fructidorisés reviennent en France, et beaucoup écrivent Bonald, Chateaubriand, Chênedollé, Delille, Fontanes, Senancourt, Vanderhourg, bien d'autres encore. Esménard a été en Chine et en Amérique, comme Chateaubriand, et Jouy a poussé jusqu'aux Indes. Ils ont vécu en Suisse, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, et, qu'ils le veuillent ou non, il leur en reste des traces. Presque tous sont, à leur retour, hostiles aux réformes démocratiques de la Révolution, et il est curieux que les partisans des anciennes traditions françaises soient devenus des cosmopolites. Au reste, la littérature émigrée est antérieure à l'avènement de Bonaparte ; elle est contemporaine du Directoire et se termine avec le Consulat. Mais les cosmopolites succèdent aux émigrés. A Gœttingue, par exemple, Charles de Villers, un émigré devenu professeur d'université allemande, se fait l'introducteur de la philosophie allemande en France. A Florence, la comtesse d'Albany, qui est née en Belgique d'une famille allemande, la veuve de Charles-Édouard, le prétendant Stuart, puis d'Alfieri, le poète italien, a épousé Fabre, un peintre français grand-prix de Rome, et entretient une correspondance européenne. Des centaines de mille de Français ont franchi les frontières, avec le drapeau ; sous l'Empire, ils vont d'un bout de l'Europe à l'autre, en soldats et comme administrateurs. Broglie devient auditeur au Conseil d'État en 1809, à vingt-quatre ans, et, dans les quatre ans qui suivent, il est employé en Hongrie, dans les Provinces illyriennes, à Paris, en Espagne, en Pologne, en Allemagne et à Paris. Et, quand en 1810 Napoléon est au sommet, la France est comme absorbée dans le grand Empire ; puis quand, cinq ans plus tard, tous les Français sont de nouveau tassés en France, ils ne se reconnaissent plus, eux que l'Europe a trop connus. Les alliés reprirent une partie du butin de guerre, mais ils ne touchèrent pas au trésor de sensations et d'idées ramassées chez tous les peuples et sous tous les cieux. D'autre part, le passé est mis à la mode. Déjà les poètes chantaient les vieux châteaux et les donjons, les gentes dames, la chevalerie et les barons d'autrefois, Charlemagne et ses preux. L'imagination est troubadour comme elle est ossianesque ou exotique. Elle se meuble d'un bric-à-brac souvent frelaté et disparate, mais qui est nouveau, varié, imprévu, et la génération romantique de demain n'aura guère à y ajouter, que quelques bibelots de détail. Enfin, l'homme sensible du siècle précédent n'a pas disparu, et le spectacle de la société nouvelle lui est parfois douloureux. La Révolution a laissé des souvenirs amers. L'idée de l'instabilité des choses présentes inspire aux uns un épicurisme assez grossier : ils vivent au jour le jour et font des chansons ; chez les autres il augmente l'inquiétude morale. L'imagination comprimée par la politique prend sa revanche contre la société. L'homme qui pense et qui souffre se sent isolé au milieu de ses semblables ; il est dominé par l'antithèse de ses aspirations et de son impuissance.

Le mal du siècle est né avec le siècle lui-même.

A vingt-trois ans, je suis cruellement désabusé de toutes les choses de la terre et je suis entré en un grand dédain du monde et de moi-même, car j'ai vu qu'il n'y avait qu'affliction dans la nature et que le cœur de l'homme n'était qu'amertume.

Ainsi s'exprimait, en 1803, le Peintre de Salzbourg, et l'auteur du roman, Charles Nocher, avait l'âge de son héros : sa rêverie douloureuse est celle d'un jeune homme d'imagination, qui a lu Werther et n'est pas mécontent de se singulariser. La mélancolie est venue chez plusieurs par réaction contre l'universel optimisme d'alentour. En 1804, Chateaubriand s'écrie avec René :

J'étais seul, seul sur la terre.... En regardant les lumières qui brillaient dans la demeure des hommes, je songeais que sous tous les toits habités je n'avais pas un ami.

Le cri est plus éloquent et plus sincère aussi. Mais René ne cherche pas à s'expliquer à soi-même. Il méprise les hommes et il souffre de toutes ses expériences inutiles : il lui suffit qu'il ait l'orgueil de se sentir plus malheureux que le commun des mortels. La même année, Senancour, dans son lamentable et profond roman d'Obermann, faisait entendre sa plainte, lui aussi, mais combien plus pénétrante, encore que de style moins touchant :

Je suis seul.... Me voilà dans le monde, errant, solitaire, au milieu de la foule qui ne m'est rien, comme l'homme frappé dès longtemps d'une surdité accidentelle et dont l'œil avide se fixe sur tous ces êtres muets qui passent et s'agitent devant lui ; il voit tout et tout lui est refusé ; il devine les sons qu'il aime. Il les cherche et ne les entend lias ; il souffre la solitude de toutes choses au milieu du bruit du monde.

Obermann voudrait savoir ; il voudrait agir et se rendre utile. Il ne peut. Il souffre dans son cœur et dans son intelligence. L'homme est un mystère pour l'homme. Les âmes sont impénétrables. Sans doute, la Révolution a détruit beaucoup de mensonges sociaux, et elle a fait un vigoureux effort vers la nature, c'est-à-dire vers la liberté et la vérité. Mais elle n'a pas réussi. La foule est vulgaire. L'âme s'y avilit à la poursuite de l'argent et des places. Que faire ? Je puis faire ce que je veux, mais le malheur est que je ne vois pas bien ce que je dois faire. Après avoir longtemps cherché, Obermann conclut : Je dois rester, quoi qu'il arrive, toujours le même et toujours moi. Par l'effort constant de son intelligence il trouvera la loi de son être et la loi du monde, et, si ses contemporains ne sont pas en état de l'entendre, il s'adresse à la postérité. — Obermann est un isolé, presque un révolté. L'analyse psychologique se développe avec plus d'ampleur encore chez Mme de Staël. Si l'homme supérieur souffre de la solitude au milieu de la foule vulgaire, combien la femme supérieure n'est-elle pas plus à plaindre dans la mesure oh elle est, plus que l'homme, subordonnée aux conventions et victime des préjugés ? Mme de Staël a subi et elle a décrit d'avance toutes les formes du désenchantement qui se développeront au XIXe siècle. Elle s'est sentie comme exilée dans la société parce qu'elle était différente. Détachée des hommes, elle s'est tournée vers Dieu, mais Dieu n'a pas répondu, et elle s'est trouvée plus isolée encore. Enfin, se réfugiant en elle-même, elle a senti les idées et les rêveries passer en elle comme des étrangères, et son propre moi lui a paru plus vide encore. Mais elle' a réagi. Par la pitié qui n'est qu'une forme de l'amour, et plus tard, quand elle a pris contact avec la philosophie allemande, par l'enthousiasme, qui est une des formes du divin et le sentiment de l'infini, elle a justifié, à ses propres yeux, la nécessité de l'action. Benjamin Constant écrivit Adolphe en 1807, mais il ne le publia qu'en 1816, et, dans son Journal intime comme dans son roman, il notait le désenchantement, la solitude morale du cœur que torture l'analyse, de l'esprit qui devient comme étranger à lui-même pour s'être trop regardé.

Le moi est entré dans la littérature, le moi orgueilleux et souffrant, qui se décrit et qui s'analyse, et qui est d'autant plus différent qu'il se comprend mieux. La littérature va devenir individualiste. Tout homme pensant aura son jardin secret. Au surplus, pouvait-il en être autrement, depuis que la philosophie du siècle précédent a habitué les esprits à la liberté, et que la démocratie de la Révolution a promu tous les hommes également aux privilèges jusqu'alors réservés à une élite ? Les élégiaques sont beaucoup plus précis que leurs devanciers sur les malheurs qui les inspirent. Ils dédaignent les noms de fantaisie qui donnent l'anonymat à leurs amours, et les transpositions descriptives par quoi leurs plaintes se généralisent tout en restant sincères. Dans l'histoire des lettres en France, l'époque napoléonienne est intéressante par ce qui s'y prépare, plus encore que par ce qu'elle donne. Qu'on se rappelle que Lamartine est né en 1791, Vigny en 1797, Hugo en 1802, Sainte-Beuve en 1801, qu'ils ont tous été élevés dans l'admiration de Delille et de la poésie impériale, et qu'à ses débuts, il n'est pas invraisemblable que Sainte-Beuve se soit inspiré de Fontanes, Vigny de Baour-Lormian, Lamartine de Parny et Victor Hugo d'Écouchard Lebrun. Ni l'imagination et son ameublement hétéroclite, ni la sensibilité et ses formes variées, ni même l'individualisme littéraire ne sont absolument nouveaux : ils existaient déjà au siècle précédent chez Rousseau. Mais leur persistance, leur renouvellement, leur extension sont significatifs. Ils menacent la doctrine et les règles classiques. Tous les éléments du romantisme existent sous l'Empire. Il ne reste plus qu'a les rassembler en faisceau, et à renouveler la forme comme est déjà transformée le fond de la pensée. Le problème est posé avec netteté, avant, même que Napoléon soit tombé du pouvoir. La critique orthodoxe ne s'y trompa point, et Dussault écrivait dans les Débats, le 18 mars 1814 :

Une question n'existe réellement que lorsqu'elle est bien posée.... Il faut donc présumer que les lois de la littérature romantique, si elle en a, sont en opposition avec les lois de la littérature classique, ou plutôt que les premières détruisent et absorbent les dernières. Que veulent les envahisseurs des États d'Apollon ? (les alliés allaient entrer à Paris). Genre rêveur, abolition des unités dramatiques, mépris de tout art poétique, nullité de goût : tel est le programme.

Il faut convenir que, pour un classique, Dussault avait l'œil juste. Les règles de la doctrine classique ont été impuissantes contre le développement d'une mentalité qui, tôt ou tard, rejettera la doctrine même. Et, semblablement, des idées neuves, parfois subversives, naissent malgré la surveillance de la censure.

Deux écoles existent désormais, qui, quoi qu'on fasse, resteront distinctes : on est pour ou coutre la Révolution, pour ou contre les principes philosophiques du siècle précédent. Napoléon veut réaliser l'unité dans les esprits comme dans la société, mais il est le premier à déblatérer contre la Révolution. Il était si bien d'accord avec l'esprit du temps que l'hostilité contre la Révolution n'implique pas, tant s'en faut, l'adhésion au régime napoléonien. Joseph de Maistre, ministre du roi de Sardaigne auprès du tsar à Saint-Pétersbourg, n'interrompit son opposition que pendant quelques mois, entre Tilsit et Bayonne. Dans son Essai sur le principe générateur des constitutions (1810), il tourne en ridicule la profonde imbécillité de ces pauvres gens qui s'imaginent que les législateurs sont des hommes, que les lois sont du papier et qu'on peut constituer les nations avec de l'encre. Car les constitutions qui durent ne sont pas écrites, et une loi constitutionnelle ne peut être que le développement ou la sanction d'un droit préexistant et non écrit. Ce droit, qui est transmis par la tradition orale, vient de Dieu, et le vrai législateur n'est autre que la Providence. Maistre formule ainsi, implicitement, toutes les idées qu'il développera par ailleurs contre la Révolution, satanique et providentielle tout ensemble, et contre Napoléon, qui est l'agent de la Révolution. Bonald, au contraire, a donné en quelque sorte le programme et la philosophie du gouvernement consulaire et impérial dans la Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison (1802). La loi est la volonté de Dieu et la règle de l'homme. La société est la réunion des êtres semblables pour leur reproduction et leur conservation. Elle est domestique ou publique. La société domestique est fondée sur le mariage indissoluble. La réunion de plusieurs familles forme le groupement qu'on appelle la nation, le peuple, ou l'État, suivant qu'on considère la communauté d'origine, de territoire ou de loi.

Dans la société politique, le pouvoir public doit être, comme le pouvoir domestique, soumis à Dieu seul et indépendant des hommes, c'est-à-dire qu'il doit être un, masculin, propriétaire, perpétuel, car, sans unité, sans masculinité. sans propriété, sans perpétuité, il n'y a pas de véritable indépendance. Le pouvoir public porte les lois et les fait exécuter par ses ministres.

Le ministère public résulte de l'accord entre la religion et l'État. De même que l'homme raisonnable subordonne, en vue de son bonheur et de sa profession, ses organes à son intelligence, de même la société civilisée n'est autre que la religion utilisant la société politique pour le bonheur du genre humain. Ainsi la religion constitue l'État et non l'État la religion. L'État obéira à la religion, mais les ministres de la religion obéiront à l'État, en tant que l'État se conforme aux lois de la religion. Bonald est traditionaliste et conservateur. Comme Maistre, il remonte jusqu'à Dieu pour trouver l'origine des sociétés, et il ne s'arrête pas à la législation écrite des hommes. Comme Napoléon, il veut assurer à la société un ordre stable et iI, nie que l'individu ait une valeur propre. ll serait intéressant de rechercher comment, dans le détail, les déductions de Bonald concordent avec le système gouvernemental de Napoléon. La théorie du ministère public par l'accord du sacerdoce et de l'État, formulée en 1802, donne plus exactement que le Génie du Christianisme la philosophie du Concordat. L'identité de conceptions est si complète que Bonald est entré au service de Napoléon, dans l'Université, au moment même de la rupture définitive avec le pape, Bonald et Maistre sont les fondateurs de l'école qu'on appellera théocratique, quand, sous la Restauration, elle aura pris son complet développement contre les principes individualistes et révolutionnaires.

La première nouveauté est donc qu'en politique il n'y a plus de théoriciens libéraux : ceux qui survivent se taisent et ne reprendront la parole qu'après la chute de l'Empereur. Par une coïncidence qui 27 n'est pas l'effet du hasard, la pensée socialiste se remet en marche, sous sa double forme, autoritaire avec Saint-Simon dans ses premiers écrits, et associationniste, presque libertaire avec Fourier. Et non seulement le socialisme est contemporain de Napoléon, mais il n'est pas exagéré de dire que les deux réformateurs ont été, au début, fortement influencés par le spectacle du pouvoir prodigieux que prenait Napoléon, en France et en Europe. Les Lettres d'un habitant de Genève, publiées par Saint-Simon en 1802, donnent la philosophie du Consulat, au temps où Bonaparte se parait encore du titre de membre de l'Institut.— Très nombreux sont les écrivains qui s'occupent d'économie sociale ou politique : Blanc de Wols, Bourbon-Basset, de Bray, Brillat-Savarin, Brun, Cadet de Vaux, Depeuty, Du Pont de Nemours, Dyanière, Ferrier, Ferrière, Ganilh, Garnier, Laboulinière, La Maillardiere, Leblanc, Mondenard, Peuchet, Robert, Rubichon, Rumfort, Sismondi. Leurs écrits fournissent quelques-unes des raisons de ce régime économique étrange et unique que Napoléon a imposé à la France et à l'Europe sous le nom de système continental. Ils étudient les causes et les effets économiques de la Révolution, le mécanisme de la société, les forces, la puissance et la richesse nationale. Ils sont descriptifs et théoriciens. Leur mouvement d'esprit s'atteste par leurs divergences mêmes. Le livre d'Adam Smith sur la Richesse des nations, traduit à nouveau par Germain Garnier, est vivement combattu par le néomercantiliste Ferrier, mais est repris et magistralement développé par J.-B. Say dans son Traite d'économie politique (1803) : un livre qu'il faut mettre hors de pair, car il a contribué, tout autant que la Richesse des nations, à donner à l'économie politique, qu'on appellera plus tard orthodoxe, sa forme définitive. Say n'a pas seulement systématisé les principes de Smith, il les a complétés et noués les uns aux autres dans un ordre si clair et bien combiné qu'il en devint classique ; il en a dégagé les conséquences de détail, non par déduction logique, mais par l'observation méthodique des faits. Ainsi la doctrine du laissez-faire et de la concurrence illimitée achève de se constituer au moment même où s'ébauche déjà la doctrine interventionniste du socialisme, et toutes deux sont contemporaines de Napoléon.

 

III. — LES ARTS.

LES arts subissaient la doctrine, mais la censure n'avait guère l'occasion d'exercer contre eux sa sévérité. Ils ont évolué autrement que les lettres, et plus vite. Le mouvement émancipateur procède de causes multiples et profondes. Les artistes sont nombreux, et ils travaillent beaucoup. Au salon de 1799, leur chiffre était de 211 (dont 36 dames), exposant 529 ouvrages de peinture, sculpture et gravure ; au salon de 1812 ils sont déjà 559 (dont 78 dames), exposant 1.294 numéros. Les peintres, sculpteurs, architectes et graveurs ne disposent que de 25 places à la 4e classe de l'Institut. Avant la Révolution, au contraire, tous ceux qui jouissaient de quelque renom étaient affiliés aux anciennes Académies de peinture, sculpture et architecture. Les artistes sont devenus individualistes ; ils ne vivent plus sous le régime corporatif, qui est le plus favorable au maintien des règles, ils rivalisent par libre concurrence, et l'augmentation de leur nombre semble prouver que la profession est lucrative. L'Empereur leur accorde des titres de noblesse. Vien est fait comte, en sa qualité de sénateur, David, Regnault et Houdon deviennent chevaliers. La situation sociale des artistes est plus indépendante que celle des gens de lettres. Ils sont reçus en égaux dans la plus haute société. Plusieurs s'enrichissent. Mais, pour vendre, il leur faut suivre les goûts du public, qui réclamait des représentations précises et ressemblantes, tableaux de genre, de batailles et d'anecdotes, des vues, des paysages, des natures mortes et surtout des portraits : le genre de tableaux qu'il lui fallait était précisément celui qui concordait le moins avec la doctrine classique. Déjà quelques critiques cherchaient à atténuer la rigueur des principes de l'école idéale. Émeric David, dans ses Recherches sur l'art statuaire (1805), prétendait concilier la recherche du beau classique — qui est considéré comme intangible et qu'on ne songe même pas à attaquer — avec l'inspiration personnelle, la vérité d'expression, la sincérité d'observation. La plupart des théoriciens de l'art sous l'Empire adhérèrent à la doctrine libérale, mais sans vouloir rompre avec la doctrine classique : ils ne réprouvaient que les exagérations autoritaires de la doctrine idéale. Le public éclairé s'intéressait à ces discussions, d'autant que la politique chômait.

Napoléon n'avait pas de goûts artistiques. Il était même si borné à cet égard, rapporte Chaptal, non sans quelque méchanceté, qu'il ne concevait pas qu'on pût s'enthousiasmer d'un tableau ou d'une statue, attendu, disait-il, que tous étaient des copies de la nature et qu'il n'y avait pas grand mérite à copier et à imiter. Il resta donc assez indifférent aux diverses formules d'art, mais il croyait nécessaire pour l'éclat de son règne d'encourager les artistes. Il payait bien. Son portrait rapportait de 12.000 francs à 3.000 francs pour les peintures et 600 francs en miniature. Il dépensa, de 1799 à 1814, 5 millions pour les acquisitions d'œuvres d'art, 60 millions pour les palais et bâtiments de la couronne, et 250 millions en travaux publics, tant à Paris que dans les départements. L'administration des beaux-arts disposait de puissants moyens d'action. A l'origine elle dépendait uniquement du ministère de l'Intérieur. David fut nommé peintre du gouvernement, le 7 février 1800, mais, quelque désir qu'il en eût, il ne put jamais joindre à son titre aucune autorité effective. Plus tard, il devint premier peintre de l'Empereur, comme Isabey premier peintre de l'impératrice et Fontaine architecte de l'Empereur. L'arrêté du 19 novembre 1802 institua une direction générale des Musées, dont le titulaire fut Dominique-Vivant Denon. C'était un homme de goût fin et, éclairé, nullement exclusif, partisan décidé de la doctrine libérale. Il eut sous son administration le Musée du Louvre, qui s'enrichit des chefs-d'œuvre enlevés d'Italie et reconquis ensuite par les alliés, le Musée des Monuments français fondé par Alexandre Lenoir, le Musée spécial de l'école française à Versailles, les galeries des palais du gouvernement, la Monnaie des médailles, les ateliers de chalcographie, de gravure sur pierre fine et de mosaïque, l'organisation annuelle du Salon au Louvre, l'installation des premiers musées départementaux, l'acquisition et le transport des objets d'art. Les palais impériaux dépendaient de l'intendance de la Maison, devenue ensuite intendance de la Couronne, et dont les attributions augmentèrent constamment, au point d'englober, au moins théoriquement, la direction générale des Musées. Enfin, la classe des beaux-arts de l'Institut prétendait exercer un droit de surveillance sur l'Académie française de Rome et sur les écoles spéciales des beaux-arts de peinture, sculpture et architecture, ci-devant académies royales, établies, avec l'Institut lui-même, au Palais des beaux-arts, ci-devant Collège des Quatre-Nations. L'esthétique officielle de l'institut et de l'École des beaux-arts fut celle de la Direction générale des Musées, encore que d'une nuance moins libérale. Et finalement, du conflit des doctrines, des conditions nouvelles faites aux artistes, des préférences du public et de l'action administrative naquit une formule d'art, suffisamment originale et nette pour donner au règne de Napoléon la gloire qui lui manque en littérature.

On l'appelle le style Empire, et c'est justice. Il est, comme le régime impérial lui-même, raide et disciplinaire, solennel et somptueux, symétrique, sévère et tendu, déclamatoire, anobli et fragile. Il suffira d'un peu d'imagination romantique ou de vérité réaliste pour le réduire en poussière. Pourtant il a sa beauté, et son empreinte est visible en tout : dans un discours officiel de Fontanes comme dans la forme d'un guéridon, dans une ouverture de Méhul comme dans un tableau de David. Issu du style Louis XVI dont il constitue trop souvent l'exagération, il est en principe l'art de l'école classique idéale, tempéré pratiquement par l'antithèse libérale ; il s'efforce aux modèles antiques, et il est idéal, mais il ne peut pas ne pas les accommoder aux nécessités présentes, et il est libéral : sa beauté originale sera d'autant plus forte que l'adaptation sera plus complète.

C'est ainsi que la sculpture ne compte guère. Ni Bosio, ni Cartellier, ni Chaudet, ni Lernot, ni Moitte n'évoquent rien de personnel, avec leurs statues copiées de l'antique, correctes et héroïques, froides et nues, même quand elles sont bien drapées. C'est ainsi que l'architecture se contente d'imiter les monuments antiques ; ou bien elle restaure et complète sagement les monuments existants. Elle n'est pas originale. Elle bâtit un temple grec, et ce sera la Bourse ; elle copie la Colonne trajane, et voilà la Grande Armée glorifiée : rien n'est plus simple. Pourtant il y a chez Brongniart, chez Chalgrin, chez Raymond, et surtout chez les deux architectes préférés de Napoléon, Percier et Fontaine, un sens très avisé des dispositions pratiques, de l'effet décoratif, de l'ensemble grandiose et harmonieux. Elle est pour une bonne partie napoléonienne, cette admirable vue qu'on a de la terrasse des Tuileries à Paris, sur la place de la Concorde et l'arc de Triomphe, dans la majestueuse perspective des Champs-Élysées, avec l'are du Carrousel et le Louvre au fond, la Seine et le Palais-Bourbon à gauche, la rue de Rivoli et la Madeleine à droite, et pas une capitale au monde n'a aujourd'hui rien d'équivalent. Ici l'accommodation est parfaite des formes classiques aux lieux et aux besoins. Il en est de même des arts décoratifs. Certes, les motifs grecs et romains, étrusques, égyptiens, voire gothiques, sont souvent transposés trop servilement par les dessinateurs, les ébénistes, les artistes et les artisans. Les meubles sont géométriques, tout en lignes droites, raides, peu confortables, et ils ont parfois quelque chose de ridicule dans leur solennité guindée. Mais ils ne sont pas à leur place dans un mesquin appartement bourgeois. Il faut. les mettre chez eux, dans les palais impériaux ou les hôtels des gens enrichis, encadrés de leurs accessoires, imaginer les Pèles de Cour et les cérémonies solennelles — elles étaient plus belles qu'amusantes, mais admirablement ordonnées, et plusieurs ont laissé une impression profonde —, se représenter les uniformes et les costumes officiels des hommes, et les toilettes des femmes, si originales dans leur élégance moderne et antique tout ensemble : la vie même donne alors une note d'art, qui est bien à l'Empire, qui n'est, qu'à lui, et dont s'accommode à merveille le masque romain de Napoléon.

En peinture, Louis David dominait : par droit de génie, par son enseignement et son influence personnelle. Avec lui, le paradoxe de la doctrine est aigu. David était fougueusement classique, et l'école idéale est souvent qualifiée de davidienne, à cause de lui. Il avait l'esprit fruste, les idées drues et profondes, et il se trouvait en même temps être le plus sincère et le plus original tempérament d'artiste de son époque. Il avait l'ait relier une collection de dessins d'après l'antique qu'il consultait sans cesse : c'était là qu'il cherchait son inspiration, car il croyait fermement que toute la beauté avait été réalisée dans l'art ancien, et pourtant le mot qu'on lui attribue : Soyons vrais d'abord, beaux ensuite ! résume toute son action. Bon gré, mal gré, il faisait donc ployer les rigueurs de la doctrine classique. Si dans son Léonidas aux Thermopyles — où il symbolisa fièrement la résistance nationale contre l'invasion — il donnait encore, en 1814, un modèle accompli de la peinture renouvelée des anciens, son tableau du Couronnement marque des qualités qui sont presque toutes en contradiction avec les principes : la vérité, la sincérité, l'exactitude réaliste et l'harmonieuse complexité d'une composition ou la multiplicité des personnages ne fait que renforcer l'unité d'impression. C'est une des œuvres maitresses de la peinture française.

Le vieux Vien (né en 1716) jouissait de la gloire d'avoir été le maître de David. L'honnête et froid Vincent, Regnault, qui gardait le souvenir de l'élégance du siècle précédent tout en pratiquant la correction de dessin classique, Lethière, Garnier sont des idéalistes classiques modérés. Greuze vit jusqu'en 1805, et Fragonard jusqu'en 1809 ; ils ne sont plus que les survivants d'un autre âge ; c'en est fait de la peinture aimable et chatoyante, légère et superficielle du avine siècle. Si Prud'hon en garde encore le tour d'imagination aisée, le sens de l'effet et la facilité du dessin, il a aussi ses qualités personnelles : la franchise d'inspiration, la finesse du clair obscur et une palette de sentiments, tantôt vigoureux et dramatiques, avec la Justice et la Vengeance poursuivant le Crime (1807), tantôt gracieux et poétiques, avec l'Enlèvement de Psyché par les Zéphirs (1808). La génération qui vient ensuite est toute de l'école classique. Mais chaque artiste garde son originalité de tempérament. Isabey (né en 1767) est aimable et brillant ; ses miniatures sont célèbres ; il peint sans emphase, avec couleur et avec esprit. Pour un peu, il serait devenu peintre de genre, comme Drolling ou Boilly dont l'Arrivée d'une diligence est si pittoresque. Girodet est un classique et un imaginatif qui se combattent et tâchent à s'accorder, sans toujours y parvenir, comme dans le Déluge (1806). Gérard se spécialise dans le portrait, comme Mme Vigée-Lebrun et Robert Lefèvre. Guérin, élève de Regnault, davidien convaincu et maitre de Géricault, est peut-être l'artiste qui représente le mieux l'école classique. Gros est le peintre que préfère l'Empereur : ses Pestiférés de Jaffa (1804), son Champ de bataille d'Eylau (1808) le mettent bien au-dessus des peintres militaires, comme Carle Vernet, Gautherot et autres. Cet élève de David n'est nullement davidien au sens strict du mot : il est coloriste, réaliste, dramatique, animé, il a parfois des allures un peu théâtrales, mais aussi le sens de la vie et de l'effet. Parmi les jeunes, Ingres (né en 1780), Horace Vernet (né en 1789) étaient déjà en pleine possession de leur talent, sinon de leur réputation à venir. Enfin, au Salon de 1812, un tout jeune peintre, Géricault, né en 1791, exposait un Officier chargeant à cheval, en 1813 un Cuirassier blessé quittant le feu, deux admirables toiles qui marquent une date décisive : toute la peinture romantique était là, vibrante et passionnée, déjà triomphante.