I. — LE TRIUMVIRAT ; PAR la disgrâce de Choiseul, trois ministères devinrent
vacants : ceux de Le ministère, composé de Maupeou, Terray, d'Aiguillon,
Monteynard, Bourgeois de Boynes et Dès les derniers jours de Choiseul, la lutte s'était engagée. Dans un lit de justice tenu le 3 septembre, Maupeou s'était fait remettre les minutes de toutes les procédures relatives à l'affaire de Bretagne ; défense avait été faite au Parlement de Paris de s'en occuper à nouveau, mais le Parlement, le 6 septembre, avant de prendre ses vacances, avait fixé au 3 décembre la délibération sur cette défense. Ce jour-là, Maupeou déposa un édit interdisant aux Parlements d'user des termes d'unité, d'indivisibilité, ou de classes de la magistrature, — par lesquels ils prétendaient n'être qu'un seul et même corps, — de correspondre entre eux et de cesser leurs fonctions, sous peine de forfaiture et de confiscation d'offices. L'enregistrement ayant été refusé, le Roi l'avait ordonné, le 7 décembre, en lit de justice ; mais le Parlement avait rédigé de nouvelles remontrances et suspendu la justice en attendant qu'il y fût fait droit. La disgrâce de Choiseul, où il aurait dû voir un avertissement, ne le rendit pas plus prudent. Après avoir reçu de nouvelles lettres de jussion, le 3 janvier 1771, les magistrats reprirent leur service, mais en protestant qu'ils ne reconnaîtraient jamais l'édit du 3 décembre ; puis, le 15 janvier, ils le suspendirent de nouveau, et répondirent aux ordres du Roi par un refus formel d'obéissance. Alors, dans la nuit du 19 au 20 janvier, des mousquetaires portèrent à chacun des magistrats une lettre de cachet, lui enjoignant de déclarer par écrit si, oui ou non, il consentait à reprendre le service. La plupart refusèrent ; puis, ceux même qui avaient d'abord consenti déclarèrent ne pas vouloir se séparer de leurs collègues. La nuit suivante, cent trente reçurent des lettres d'exil, avec signification d'un arrêt du Conseil qui portait confiscation de leurs charges[2]. Quelques-uns obtinrent de se retirer dans leurs terres ; les autres furent dispersés en différentes provinces. Le Chancelier jusqu'au dernier moment avait espéré que L'attente de la grande réforme annoncée préoccupait l'opinion. Il s'agissait, en effet, de détruire une institution très vieille, contemporaine de la monarchie, à laquelle elle semblait liée indissolublement avec fonction de contrepoids. L'affaire parut si grave que les princes du sang eux-mêmes, depuis si longtemps habitués et résignés au silence, y intervinrent. Le duc d'Orléans, le prince de Condé, rédigèrent un premier mémoire qu'après une vive explication du Roi avec le duc d'Orléans ils s'abstinrent de publier ; puis un second, qu'ils ne publièrent pas non plus, le Roi leur ayant signifié par lettre le déplaisir qu'il en aurait ; mais leurs idées transpirèrent. Les Princes protestaient contre ces exils de magistrats et ces confiscations d'offices, par lesquels étaient compromises la propriété et la liberté des sujets, et ils disaient : Ces actes font craindre que l'accès du trône ne soit fermé à toute réclamation et qu'un arbitraire absolu ne s'introduise dans le Gouvernement. D'autre part, en janvier, février et mars, par arrêts ou par remontrances, ou par l'un et par l'autre moyen réunis, les Parlements de Rouen, de Rennes, de Dijon, de Toulouse, d'Aix, de Bordeaux, de Besançon, de Grenoble se plaignirent et s'indignèrent. La même pensée se retrouve partout : c'est le pouvoir arbitraire qui va s'établir. Il y a longtemps qu'il existe en acte, disait le Parlement de Rouen, et chaque ordre de l'État en a successivement éprouvé les effets meurtriers ; mais voilà qu'il est lassé de lutter sans cesse contre la loi, et il ose enfin s'ériger en loi pour écarter à jamais tous les obstacles. Toute la théorie de la magistrature est exprimée dans les
remontrances de Notre silence nous ferait accuser par toute la nation de trahison et de lâcheté. Les droits de cette nation sont les seuls que nous réclamons aujourd'hui.... Les cours sont aujourd'hui les seuls protecteurs des faibles et des malheureux ; il n'existe plus depuis longtemps d'États généraux, et, dans la plus grande partie du royaume, d'États provinciaux ; tous les corps, excepté les Cours, sont réduits à une obéissance muette et passive. Aucun particulier dans les provinces n'oserait s'exposer à la vengeance d'un commandant, d'un commissaire du Conseil, et encore moins à celle d'un ministre de Votre Majesté.... A la fin, Jusqu'à ce jour au moins la réclamation des cours suppléait à celle des États quoiqu'imparfaitement ; mais aujourd'hui l'unique ressource qu'on ait laissée au peuple lui est enlevée. Interrogez, Sire, la nation elle-même, puisqu'il n'y a plus qu'elle qui puisse être écoutée de Votre Majesté. Ces remontrances, que Malesherbes fit imprimer clandestinement, se répandirent partout et devinrent le commun manifeste des opposants. Le Chancelier ne se laissa pas émouvoir. Le 23 février fut publié un édit qui devait transformer l'administration de la justice. En premier lieu, le Roi, considérant que l'étendue excessive du ressort de notre Parlement de Paris était infiniment nuisible aux justiciables, crée dans cette étendue cinq Conseils supérieurs, à Blois, Châlons, Clermont-Ferrand, Lyon et Poitiers. Le Conseil provincial d'Artois est en outre transformé en Conseil supérieur. Chaque Conseil aura, dans son ressort, la connaissance de toutes les matières, civiles et criminelles, qu'avait le Parlement. Le Parlement de Paris est du reste maintenu, pour juger toutes les questions qui intéressent la couronne, et les pairs : il conserve l'enregistrement des lois et le droit de remontrances. Outre le démembrement du ressort de Paris, l'édit introduisait deux innovations considérables : Nous avons reconnu, disait le Roi, que la vénalité des offices, introduite par le malheur des temps, était un obstacle au choix de nos officiers, et éloignait souvent de la magistrature ceux qui en étaient les plus dignes par leurs talents et par leurs mérites ; que nous devions à nos sujets une justice prompte, pure et gratuite, et que le plus léger mélange d'intérêt ne pouvait qu'offenser la délicatesse des magistrats chargés de maintenir les droits inviolables de l'honneur et de la propriété. En conséquence, les offices des nouveaux magistrats étaient déclarés gratuits, et c'était l'abolition de la vénalité des offices ; les magistrats, appointés par le Roi — six mille livres au premier président, quatre mille aux présidents et procureurs généraux, trois mille aux avocats généraux, deux mille aux conseillers — et pourvus de l'inamovibilité, de la noblesse personnelle avec tous ses privilèges, ne percevraient aucun droit à quelque titre que ce fût, sur les justiciables ; et c'était l'abolition de la vénalité de la justice : deux grandes réformes depuis longtemps désirées. L'abolition de la vénalité des charges surtout était une véritable révolution dans la société française, où les officiers constituaient un ordre très puissant. Aussi était-il certain qu'elle provoquerait une forte résistance. Tout de suite protestèrent les Parlements de Dijon, de
Toulouse, d'Aix, de Rouen, de Besançon. Ils représentèrent que la réforme
était trompeuse, que, par exemple, la gratuité de la justice n'existait pas,
puisque les épices et, vacations étaient conservées dans les tribunaux
inférieurs, et que les greffiers, procureurs et huissiers, dont les offices
demeuraient vénaux, continueraient à percevoir leurs droits. A Paris, Cependant, Maupeou cherchant des magistrats pour son
nouveau Parlement de Paris, s'adressait à d'anciens conseillers, à des membres
du Grand Conseil et de Vous venez d'entendre mes volontés. Je vous ordonne de vous y conformer et de commencer vos fonctions dès lundi. Mon chancelier vous installera aujourd'hui. Je défends toute délibération contraire à mes édits et toute démarche au sujet des anciens officiers de mon Parlement. Je ne changerai jamais. Maupeou installa d'autorité le Procureur général Joly de Fleury, et l'Avocat général Séguier, qui bientôt, d'ailleurs, quittèrent la place ; il donna la première présidence à l'intendant de Paris, Berthier de Sauvigny, rallia les greffiers et une centaine de procureurs ; nombre d'avocats se remirent à plaider. Les nouveaux juges entrèrent en fonctions. Ils n'avaient point sans doute, à Paris, la considération de leurs prédécesseurs ; ils ne portaient pas de grands noms, et ne comptaient guère dans le monde des salons. Beaucoup étaient sans expérience. Mais, somme toute, avec eux la machine marcha. On pouvait espérer remplacer les inhabiles et les insignifiants par des exilés qui se résigneraient à se soumettre. Maupeou avait cru pouvoir limiter la réorganisation de la magistrature au Parlement de Paris, mais l'attitude des Parlements provinciaux ne le lui permit pas. Ils crurent que le Chancelier allait établir un Conseil supérieur dans chaque généralité, qu'il leur enlèverait l'enregistrement des lois. Ils se déclarèrent solidaires de leurs confrères de Paris. Devant la nécessité, Maupeou se résolut sans peine à
remplacer les Parlements provinciaux par des Conseils supérieurs, de façon à
ne conserver le droit de vérifier les lois et de faire des remontrances qu'au
seul Parlement de Paris ; il soumit même ce projet au Roi, mais Louis XV
l'accueillit froidement et les autres ministres le combattirent. Maupeou ne
supprima que deux Parlements, qui furent remplacés par des Conseils
supérieurs : celui de Rouen, pour le punir de l'éclat de son opposition, et
celui de Douai, impopulaire dans un pays où l'on détestait les Parlementaires
par affection pour les Jésuites. Les autres Parlements furent conservés ;
mais les anciens offices y furent, comme à Paris, supprimés, et leurs
propriétaires invités à se faire liquider ;
puis des offices inamovibles furent
distribués gratuitement, et il fut interdit
aux nouveaux officiers de percevoir des épices et des vacations. Partout le
nombre des magistrats fut diminué. L'opération réussit tant bien que mal. A
Besançon, Maupeou trouva dans l'ancien Parlement presque tout le personnel du
nouveau. A Grenoble, un petit nombre — les plus riches — refusa d'entrer dans
la combinaison Maupeou. A Rennes, Dijon, Toulouse, l'opposition fut si forte
qu'on exila nombre de magistrats dans leurs terres : dix-sept à Dijon,
soixante-quinze à Rennes, quatre-vingt-sept à Toulouse ; le recrutement des
nouvelles cours fut assez difficile. A Bordeaux, le maréchal de Richelieu,
Commandant de Guyenne, trouva cinquante officiers disposés à obéir au Roi,
mais dut en exiler une trentaine. En Provence, on les exila tous, et L'opposition à la réforme de Maupeou groupa des éléments divers. Les Parlementaires et les nobles faisant cause commune,
réveillèrent l'esprit provincial. C'était pour une province une déchéance que
la perte ou l'amoindrissement d'un Parlement. Qu'étaient-ce que ces
magistrats pauvres, qui ne représentaient pas ? Que valait un nouveau
président de Parlement à Dijon, en comparaison du président de Brosses, qui
menait si grande vie en son château de Neuville-les-Comtesses ? Si Mais ce qui était plus grave, c'est que les vieux souvenirs d'indépendance reparaissaient. Etats et Parlements étaient d'ordinaire très unis dans les Pays d'Etats. Ensemble ils donnaient à la province un air d'autonomie. La crise de la magistrature fut pour la noblesse normande une occasion de revendiquer à la fois les Etats et le Parlement, et de se plaindre que la province fût réduite à l'état de pays conquis. Les Jansénistes et les Gallicans demeurèrent les alliés d'une magistrature qui, de vielle date, partageait leurs idées et pratiquait leurs maximes. C'est une chose curieuse qu'en même temps que l'ancienne France s'essayait à un réveil, et qu'on parlait de lois fondamentales du royaume, d'États provinciaux et d'États généraux, on invoquait les lois naturels de l'homme, la liberté individuelle, la liberté politique, même les théories du contrat social. On disait aussi beaucoup d'injures. On afficha des placards traitant Maupeou de scélérat, bon à écarteler. On le menaça de mort. Les Conseils supérieurs furent accablés, deux années durant, d'épigrammes, odes et diatribes, pamphlets et estampes. Les écrits sont des compilations où les gens de loi cherchent des arguments pour établir les droits des Parlements ; ou bien des dissertations de doctrinaires qui nient que le principe de la royauté soit en Dieu ; ou bien des protestations d'individus et de corps attachés au Parlement ; ou bien des attaques violentes et grossières, les Chancelières par exemple, et le Maire du Palais. Le pamphlet qui cuit le plus de succès fut le Maupeouana ou Correspondance secrète et familière du chancelier Maupeou avec son cœur, Sorhouet, membre inamovible de la cour des pairs de France. Cette correspondance commence d'être publiée en 1771 par petites brochures. L'auteur est un fermier général, Augeard, qui avait dans ses entours des magistrats. Au temps où le Chancelier se dépense en efforts pour constituer son Parlement de Paris, il imagine des entretiens entre un racoleur du nom de Sorhouet et le Chancelier lui-même. Sorhouet demande des conseils à son patron, lui soumet des cas de conscience, et, chemin faisant, attribue aux nouveaux juges toutes sortes de turpitudes. Maupeou, pour se défendre, eut l'appui du Roi, qui lui
demeura obstinément fidèle, et celui de Mme du Barry, qu'il flattait par ses complaisances.
Les Philosophes, surtout Voltaire, le soutinrent. Voltaire détestait les
Parlements, persécuteurs des gens de lettres, et bourreaux
de Calas et de 11 arriva que les dévots, les Rohan, le prince de Soubise,
la comtesse de Marsan, l'archevêque de Paris, Beaumont, le cardinal de Les mêmes préoccupations inspirèrent Maupeou dans sa conduite envers le Pape. Le Parlement de Paris avait, par un arrêt du 26 février 1768, renouvelé la défense à tous archevêques, évêques et particuliers de recevoir, faire lire, publier et imprimer aucuns brefs, provisions et expéditions de la cour de Rome, sauf les brefs concernant le for intérieur et les dispenses de mariages, avant qu'ils n'eussent été présentés en la cour de Parlement. — Maupeou fit publier, le 18 janvier 1772, des lettres patentes, ordonnant qu'il serait sursis à l'arrêt du Parlement. Mais, à ce moment, le ministère poursuivait à Rome, de
concert avec l'Espagne et Naples, l'effort pour contraindre le Pape à
l'abolition de l'ordre des Jésuites. D'Aiguillon et la majorité des
ministres, à la suite des représentations des alliés, se prononcèrent contre
les lettres patentes, qui furent annulées par Maupeou et ses tribunaux se défendirent contre les libelles. La police poursuivait les auteurs, imprimeurs, ou distributeurs, surveillait les promenades publiques et perquisitionnait chez les libraires ou les particuliers. Des publicistes officiels glorifiaient, l'œuvre de Maupeou ; on distribua leurs écrits par les rues et les magistrats nommés dans les Conseils supérieurs les emportèrent par ballots ; mais c'étaient, le plus souvent, de médiocres ouvrages. Maupeou se garda de trop sévères rigueurs à l'égard des juges exilés. Sur soixante-quinze magistrats du Parlement de Bretagne, une quarantaine obtinrent de quitter leur exil, sous prétexte de maladies ou d'affaires d'intérêts : d'autres rentrèrent chez eux sans que le ministre les inquiétât. Quand le commissaire chargé de disperser le Parlement de Provence vint demander à Maupeou ses instructions, le ministre lui dit : Faites venir une liste de leurs maisons de campagne ; faites régler les lieux d'exil de manière que tout le monde soit content. Dans le ressort de Paris, le Président de Lamoignon, d'abord assez rigoureusement traité, obtint vite la permission de retourner dans sa terre de Bâville. L'opposition désarma. Les Princes, excepté Conti,
reparurent à La plupart des membres des anciens Parlements se résignaient à la liquidation de leurs offices. Dès la fin de i772, Maupeou les juge si assagis qu'il négocie avec eux pour les amener à reprendre du service. Parmi les avocats, l'apaisement gagne tous les jours ; plus des deux tiers plaident devant les nouveaux juges. Les libelles se font plus rares ; l'opinion publique se désintéresse de cette querelle qui avait été si bruyante et avait paru si dangereuse. Les Parlementaires s'avouent vaincus ; le Procureur général Joly de Fleury fait cet aveu : Le Chancelier avait tout prévu de ce qui est arrivé, et la nation a vu d'un œil tranquille l'anéantissement de la justice. On pouvait donc croire que cette réforme était définitive ; le Roi avait promis de s'y tenir ; il avait dit : Je ne changerai jamais. La réforme de Maupeou plaisait à Louis XV parce qu'elle
affranchissait Maupeou avait d'autres projets : réduire au nécessaire le nombre des juridictions inférieures, dont beaucoup furent supprimées par lui, réviser la procédure civile, unifier les lois et coutumes, etc. Mais la puissance du Chancelier ne devait pas survivre au prince, qui avait pour ainsi dire fait cause commune avec lui. II. — LE DÉCLIN DE L'INFLUENCE FRANÇAISE EN EUROPE (1769-1774)[6]. LA diminution de la puissance française, conséquence des
fautes commises, mais aussi de l'entrée en scène de deux puissances
nouvelles, Depuis très longtemps, puisqu'on trouve au moyen âge des
projets de partage de ce pays anarchique, l'indépendance de Cependant le nouveau roi, conseillé par les Czartoriski,
essaya de réformer la constitution polonaise. Déjà, dans la diète de convocation qui avait précédé la diète où il fut
élu, les Czartoriski avaient fait instituer des commissions
de la justice, des finances, des affaires intérieures et de la guerre, qui
enlevaient l'administration aux grands officiers de Les dissidents, orthodoxes et protestants, étaient en
Pologne exclus de la vie politique, et vivaient pour ainsi dire hors la loi.
Les orthodoxes ayant demandé la protection de Catherine II, et les luthériens
celle de Frédéric, Ce fut l'occasion d'une guerre ouverte entre Pendant ce temps, la guerre avait continué en Pologne
entre les Russes et les confédérés de Bar, incapables d'une résistance
sérieuse, et un revirement de la politique autrichienne avait accru le péril
de Foi de roi et parole d'honnête homme, si jamais le feu de la guerre se -allume entre l'Angleterre et la maison de Bourbon, ils maintiendront la paix heureusement rétablie entre eux, et même en cas qu'une autre guerre survienne, dont actuellement il est impossible de prévoir la cause, ils observeront la plus exacte neutralité pour leurs possessions actuelles. Par cet engagement, les deux puissances jusque-là ennemies
acharnées s'accordaient pour se libérer de leurs anciennes obligations,
l'Autriche avec Tel était l'état des affaires en Pologne et en Turquie,
lorsque d'Aiguillon arriva aux Affaires étrangères. Tout était compromis, et
d'Aiguillon, homme de petits moyens, sans vues et
sans nerfs, n'était pas capable de remonter le courant. Il n'avait
d'ailleurs aucun moyen d'agir, pas même de subsides à distribuer en la
quantité qu'il aurait fallu. La diplomatie française était en plein désarroi.
Le Roi demeurait partisan de l'alliance autrichienne. Il continuait à pratiquer
une politique à lui, par les agents de son secret.
A Varsovie, depuis que son ambassadeur, marquis de Paulmy, avait été insulté
lors de l'élection de Poniatowski, il n'y avait plus d'ambassadeur de France.
A Vienne, l'ambassade de France resta vacante de mai 1770 à janvier 1772, où
fut envoyé en Autriche le prince Louis de Rohan. Le Roi n'était renseigné sur
les affaires d'Orient que par ses agents privés. D'Aiguillon fit, dès son
arrivée au ministère, un coup d'éclat contre ceux-ci. Le comte de Broglie fut
exilé à Ruffec ; Dumouriez et Favier lurent mis à Cependant, les événements se précipitaient en Pologne. Les
confédérés furent battus par Souwarof en 1771 ; Poniatowski fut déposé par
les Polonais et le trône déclaré vacant, ce qui accrut encore le désordre.
Enfin la coalition fut conclue entre l'Autriche, L'Autriche s'inquiétait du progrès des Russes en Turquie.
Elle conclut, en juillet 1771, un traité d'alliance défensive avec le sultan,
et fit suspendre la guerre pendant deux ans, par sa médiation. Le roi de
Prusse craignit alors une guerre austro-russe, dans laquelle il pourrait être
impliqué comme allié de D'Aiguillon, avisé par le roi de Suède de ce qui se
passait, mais sans rien savoir de précis, essaya d'empêcher le partage en se
rapprochant de Pour maintenir le gouvernement français dans l'incertitude
jusqu'au bout, l'ambassadeur d'Autriche avait fait jouer à Ce fut le 20 avril 1772 que Kaunitz invita Mercy à communiquer au gouvernement français la nouvelle du traité de partage. Marie-Thérèse était inquiète et l'écrivait : Si le duc de Choiseul était encore en place, il voudrait sans doute profiter de l'occasion pour nous enlever quelque partie des Pays-Bas où nous ne serions pas en état de faire la plus légère résistance. Cependant elle indiquait les raisons qu'il y avait à faire
valoir pour justifier l'Autriche auprès de On pourrait, disait-elle, dire à
Que c'est elle qui est la
première cause de tous les événements actuels par les mouvements qu'elle
s'est donnés pour exciter Il semble que l'indifférent Louis XV ne se soit pas ému outre mesure de la communication de Mercy. Le 15 juin cet ambassadeur écrit à l'Impératrice que le Roi Très Chrétien envisage les événements de Pologne d'un œil d'équité et de modération, qui peut rassurer l'Autriche sur la stabilité de ses sentiments et de son attachement à l'Alliance... Le traité de partage attribuait à l'Autriche En 1773, la guerre recommença entre La politique française trouva au moins en Suède la
consolation d'un succès. Le pays était menacé, comme Le pouvoir en Suède appartenait à Quand mourut le roi de Suède Adolphe-Frédéric, le 12
février 1771, Gustave III, son fils, se trouvait à Paris. Il avait vingt-cinq
ans. Épris de gloire et de belles actions, il était l'idole des salons, où il
laissa des regrets et de belles correspondantes, les comtesses d'Egmont, de
Boufflers, de Vergennes avait mission de resserrer l'alliance
franco-suédoise, de fortifier le parti français dans Cependant Vergennes, obéissant aux instructions de son
ministre et à celles du Secret du Roi, d'accord sur ce point, conseillait des
moyens dilatoires et recommandait la prudence. Mais Louis XV et d'Aiguillon
conseillèrent à Gustave III un coup d'État à l'insu de Vergennes, qui ne fut
mis au courant qu'en février on, six mois avant la crise. Les 19, 20 et 21
août, le coup d'État s'accomplit. Pendant que ces événements se succédaient au Nord et à
l'Est, La ville de Boston ayant, en 1773, donné le signal de la
révolte contre les Anglais, l'Espagne et En attendant que la monarchie française prit cette
revanche, le discrédit de la royauté était au comble. On ne lui tenait pas
compte des grands changements survenus en Europe, de l'avènement de
puissances nouvelles, Or III. — LES FINANCES ; L'ANARCHIE DANS LE MINISTÈRE[7]. LE désordre et la pénurie des finances épuisées par la
guerre par la diplomatie, par les
prodigalités du Roi, par les dépenses de Le Contrôleur général Terray avait été conseiller au Parlement, et, pendant des années, chargé des remontrances sur les finances ; il connaissait mieux que personne le département où il entrait. De sens droit et d'intelligence rapide, il saisissait en toute question le point essentiel. C'était un plaisir de l'entendre parler des matières les plus difficiles ; il aurait fait comprendre à un enfant de six ans le calcul différentiel et intégral. L'état des finances, la recette et la dépense, la dette et les moyens de l'éteindre, tout cela, quand il l'expliquait, paraissait simple comme un compte de blanchisseuse. Homme d'autorité, pour lui les droits individuels ne comptaient pas au regard des droits de l'État ; la fortune de chacun n'était qu'une parcelle de la fortune publique. D'aspect dur, presque effrayant, faisant peu de cas des hommes, il demeurait indifférent à la haine et aux insultes. Terray avait donc des qualités. Un jour, à l'Assemblée Constituante, Le Brun le comparera à Sully et à Colbert. Mais quel ministre aurait pu rétablir les finances du royaume ? Lorsque Terray entra au Contrôle général, il fit voir au Roi que le déficit prévu pour l'année 1770 était de 63 millions, que la dette arriérée exigible était de 110 millions ; qu'en 1769 les anticipations avaient absorbé 133 millions ; Louis XV lui laissa les mains libres pour apporter à la situation les remèdes qu'il jugerait nécessaires. Des rentes viagères avaient été constituées sous forme de tontines, c'est-à-dire qu'au fur et à mesure des décès de porteurs la part des survivants s'accroissait ; Terray, par un arrêt du 18 janvier 1770, transforma les tantines en simples rentes viagères, et désormais ce fut l'État qui bénéficia des décès. Par arrêt du 19 janvier, il procéda à des retranchements ou réductions sur les pensions au-dessus de six cents livres, en ménageant toutefois selon la coutume les personnes influentes. Le 19 février il suspendit le payement des rescriptions des receveurs généraux et celui des billets des fermes pour l'année courante. C'était deux cents millions d'effets qu'il laissait impayés. Analogues à nos bons du Trésor, ces effets constituaient des placements temporaires que les capitalistes préféraient aux rentes ; Terray émit un emprunt de 160 millions et les accepta pour partie dans les versements. Les détenteurs des effets devinrent créanciers de l'Étal. Le public se récria[8], mais à ceux qui lui reprochaient de prendre leur argent dans leurs poches, le Contrôleur général répondait : Où diable voulez-vous donc que je le prenne ? Les Parlements demandèrent à Terray de supprimer d'un coup
les acquits de comptant, c'est-à-dire les
ordonnances de dépense, signées du Roi, qui ne portaient pas mention de
l'objet de la dépense, et qui devaient être acceptées sans examen par Le 15 juin 1771, un arrêt du Conseil opère une réduction d'un quinzième sur les rentes perpétuelles et d'un dixième sur les rentes viagères ; et, comme on crie à la spoliation, Terray répond que, le cours des rentes ayant baissé, l'intérêt devait baisser aussi. En février, mars et septembre, il établit des taxes sur l'amidon, sur les papiers et cartons, sur les livres ; en novembre il proroge le second vingtième[9]. Dans le préambule de l'édit de novembre il prête au Roi ce langage : Nous ne doutons pas que nos sujets... ne supportent ces charges avec le zèle dont ils ont donné des preuves en tant d'occasions, et nous y comptons d'autant plus que le prix des denrées, une des causes de l'augmentation de nos dépenses, a en même temps bonifié le produit des fonds de terre dans une proportion supérieure à celle de l'accroissement des impositions. D'ailleurs Terray voulait faire des vingtièmes une imposition juste. On voit dans sa correspondance avec les intendants qu'il prescrivait une répartition plus équitable ; il faisait ressortir combien la valeur des terres avait augmenté depuis leur établissement, indiquait le moyen de faire des dénombrements nouveaux des terres, et d'aboutir à un impôt territorial. Dans la généralité de Tours, il fit opérer la révision des cotes, et couvrit les dépenses de ce travail avec la seule augmentation annuelle des produits. Ailleurs, les résultats obtenus furent bien plus considérables. Terray essaya d'obtenir des fermiers généraux des
conditions plus avantageuses pour l'État, en leur offrant de supprimer les croupes et les pensions dont ils étaient grevés.
Les croupes étaient les parts de bénéfice que
les fermiers assuraient à certaines personnes, soit pour avoir leurs faveurs,
soit pour rémunérer des capitaux prêtés. Mais, s'étant fait adresser par les
fermiers, confidentiellement, la liste des croupiers,
la lecture du document lui enleva tout espoir de donner suite à ses idées de
réforme. Le Roi figurait en personne pour un quart dans l'entreprise du
fermier de Ces diverses opérations fournirent, en cinq ans, une ressource supplémentaire de 180 millions ; Terray justifiera, devant Louis XVI, de l'emploi de 144, et, pour les 36 autres, produira des acquits de comptant. En matière économique, Terray oscilla entre le parti de la réglementation et celui de la liberté. A la présidence du Bureau du commerce, il maintint Trudaine, adversaire de la réglementation ; mais, sur la question des règlements de fabrique et de police, il demeura fidèle aux vieux errements ; de même pour le commerce des blés. En juillet 1770, le blé étant très cher, il en interdit l'exportation, que L'Averdy avait permise ; puis, le 23 décembre, il fit rendre un arrêt qui rétablissait la libre circulation entre les provinces ; mais, en 1771, le blé redevenant cher, il interdit de l'exporter en Franche-Comté, en Alsace, dans le Pays Messin, en Lorraine et Barrois, et de le laisser sortir par les ports de mer. Comme ses prédécesseurs, il crut qu'en faisant des approvisionnements de blé à grands frais, il influerait sur le prix des subsistances. Bien qu'il n'agit que dans l'intérêt public, il fut dénoncé comme établissant le monopole du commerce des grains au profit du Roi. Il aurait voulu que les intendants fissent comprendre aux populations que l'État ne spéculait pas sur la misère ; le 28 septembre 1773, il leur écrivait : Je dois vous prévenir que le peuple, les bourgeois des villes, et même les personnes distinguées, sont imbus de l'idée fausse qu'il existe une compagnie chargée exclusivement de l'approvisionnement du royaume et du commerce des grains. On accuse cette prétendue compagnie d'être la cause, par le monopole qu'elle exerce, du prix excessif des grains. De pareilles opinions rendraient le Gouvernement odieux, si elles s'enracinaient. Vous savez que si le Gouvernement a fait passer des grains dans les différentes provinces, c'était pour les faire vendre à perte, et pour le soulagement des peuples. Il est de votre devoir de détromper ceux qui sont dans l'erreur. L'impopularité du Contrôleur général n'en allait pas moins croissant. On lui reprochait ses mœurs. Il avait des maîtresses qu'il ne payait pas, mais auxquelles il faisait faire des affaires. On l'accusait d'autre part de n'être l'allié de Maupeou que par politique, tuais d'espérer que le Chancelier serait culbuté par d'Aiguillon, afin de devenir lui-même Garde des Sceaux ; on disait aussi qu'il rêvait un chapeau de cardinal. On l'appelait l'Enfant Gâté parce qu'il touchait à tout, le Grand Houssoir parce qu'il atteignait partout. On fit sur lui cette épigramme : En abbé voudriez-vous voir Comme un vautour se déguise ? Regardez bien ce Grand Voussoir En casaque d'église. Chaque jour, par mille moyens, Cette espèce de moine, Du bien de ses concitoyens Grossit son patrimoine. Quoi qu'il fût riche avant d'entrer au Contrôle général, le public croyait que c'était là qu'il s'enrichissait. Il est, disait-on, pire que la sangsue qui quitte du moins la peau quand elle est pleine. Il faut tenir compte à Terray de l'impossibilité où il fut
de réformer le Roi, Pour que rien ne manquât au désordre général, les ministres conspiraient les uns contre les autres. Les Triumvirs, disait-on, s'entendaient à couteaux tirés. D'Aiguillon reprochait à Maupeou de l'avoir mal secondé lors de son procès. Il entreprit de renverser son rival en détruisant son œuvre. Il entra en négociations avec les Parlementaires, surtout avec le président de Lamoignon, auquel il soumit un projet de Parlement mixte, dont Lamoignon devait être Premier Président ; une partie du nouveau personnel judiciaire serait remplacée par d'anciens magistrats. Entre les Parlementaires intraitables et le parti Maupeou, d'Aiguillon essayait, en somme, comme feront, sous le règne suivant, Maurepas et Miromesnil, de former un parti intermédiaire. Il fut grandement aidé dans sa lutte contre le Chancelier
lorsque Beaumarchais entra en campagne contre le Parlement Maupeou. Caron de
Beaumarchais, né à Paris en 1732, avait pratiqué d'abord le métier
d'horloger, qui était celui de son père ; puis, étant bon musicien, harpiste
et guitariste, il donna des leçons aux filles du Roi. Introduit dans le beau
monde, ambitieux de faire fortune, doué pour les affaires, il se lia avec Pâris
du Verney, qui lui fit place dans ses entreprises, et il commença une grande
fortune. A la mort de du Verney, en 1770, Beaumarchais présenta au légataire
universel de celui-ci une reconnaissance de quinze mille livres, qui était un
règlement de comptes fait avec du Verney peu de temps avant sa mort. Le
légataire, M. de La cause de Beaumarchais était si mauvaise qu'il ne trouva
point d'avocat pour la défendre ; mais il la porta devant le public par des
écrits : un Mémoire à consulter pour Pierre Caron de Beaumarchais, écuyer,
conseiller-secrétaire du Roi, et lieutenant général des chasses au bailliage
et capitainerie de D'Aiguillon fut fortifié par le discrédit des juges de
Maupeou. En février 1774, il fit disgracier le ministre de IV. — LOUIS XV survivait à trois de ses enfants, Mme Henriette,
morte en 1751, Mme Louise-Élisabeth, la duchesse de Parme, morte en 1759, le
Dauphin, mort en 1765 ; à sa belle-fille, La succession au trône était assurée par les trois
petits-fils du Roi, Louis le Dauphin, Louis-Xavier, comte de Provence,
Charles, comte d'Artois. Le Dauphin s'annonçait honnête, simple, fruste, sans
grâce aucune, médiocre en tout si ce n'est en sa passion pour la chasse. La famille royale vivait comme à l'écart, ou tout au moins
au second plan ; au premier, brillait auprès du Roi Mme du Barry. Elle menait
grand train de vie. Le banquier de Lanoix fut son ébéniste, Guichard son sculpteur, Rœttiers son ciseleur d'argenterie, Cagny son doreur. Elle aimait les meubles en bois blanc satiné, Ornés de tableaux de porcelaine, les meubles garnis de bronze doré, les commodes plaquées en ébène, les étagères de laque, les étoffes riches, les bibelots rares, les ivoires, les biscuits de Sèvres, les miniatures et les camées. Chaque matin, à sa toilette, défilaient les fournisseurs, des joaillers comme Bœhmer, Boüen, Demay et Straz, les couturières Singlay et Pagelle, dos marchands d'étoffes, des marchands de dentelles de Valenciennes et de Venise, les coiffeurs Nokelle et Berline, le parfumeur Vigie'. Elle faisait la mode à Paris et dans toute l'Europe. Des artistes s'inspiraient de sa beauté. Drouais la peignait en robe de Cour et en travestis allégoriques ; des copies de la favorite en Flore coururent le monde. Pajou la représentait en terre cuite et en marbre ; une manufacture du faubourg du Temple donnait d'elle, d'après cet artiste, un buste en porcelaine. Des gens de lettres la célébraient et quêtaient sa bienveillance. L'abbé de Voisenon rimait en son honneur des couplets ; Cailhava composait pour elle une comédie-ballet. Elle fit obtenir à Marmontel le titre d'historiographe, et détermina le Roi à agréer d'Alembert comme secrétaire perpétuel de l'Académie française. Delille et Suard lui demandaient d'intervenir auprès du Roi pour qu'il ne s'opposât pas à leur admission dans cette compagnie. C'était un honneur que de lire des manuscrits chez elle ; l'abbé Delille lui récita sa traduction du quatrième chant de l'Énéide ; il fut un de ses poètes favoris. Voltaire espéra un moment obtenir du Roi, par l'intermédiaire de la comtesse, la permission de revenir à Paris, qu'il désirait fort. Elle fut aimable pour ce vieux philosophe, ce grand distributeur d'injures et d'éloges. Elle lui fit dire un jour qu'elle lui envoyait deux bons baisers. Il remercia : Quoi ! deux baisers sur la fin de ma vie ! Quel passeport vous daignez m'envoyer ! Deux, c'est trop d'un, adorable Égérie, Je serais mort de plaisir au premier. Puis, après avoir avoué qu'il avait rendu deux baisers à un portrait de la dame : Vous ne pouvez empêcher cet hommage, Faible tribut de quiconque a des yeux ; C'est aux mortels d'admirer votre image ; L'original était fait pour les Dieux ! Les réceptions se multipliaient chez Mme du Barry et ses
amis. Ce n'était que dîners d'apparat, grands
soupers, bals masqués, divertissements
de toutes façons. En février 1773, les courtisans admirèrent chez la
comtesse, dans sa villa de l'avenue de Paris, une allégorie de Voisenon et
Favart, le Réveil des Muses, des Talents et des Arts, suite de
scènes, de danses et de couplets, où jouèrent Raucourt et Préville, de Mme du Barry avait un grand parti à Mme du Barry n'a pas, comme Mme de Pompadour, souhaité d'être un personnage politique, mais elle a été amenée à le devenir. Anti-choiseuliste, puisque Choiseul s'était déclaré son ennemi, elle fut l'amie des adversaires du duc. Comme le Roi, elle détestait les Parlements. Elle s'est occupée de politique étrangère, parce que l'Europe lui a fait des avances. Le 28 juillet 1771, deux mois après l'élévation de d'Aiguillon au secrétariat d'État des Affaires étrangères, dans un souper donné à Compiègne par Mine de Valentinois, la comtesse fut l'objet des attentions du Nonce. Les ambassadeurs d'Angleterre, de Venise, de Hollande et de Suède lui faisaient visite ; Mercy-Argenteau, qui d'abord s'était tenu à l'écart, se montre fort aimable pour elle, espérant tirer parti de cette femme. Le roi de Suède lui témoigne une vive amitié, qui semble avoir été sincère. Mme du Barry fait donc figure de reine. Si elle est maltraitée par les pamphlets, elle a pour elle l'adulation des courtisans, du monde officiel, des gens de lettres, de ceux qui vivent du luxe et des fêtes de Cour. Elle a partout des succès de beauté ; au camp de Compiègne, en 1769, les officiers n'ont de regards que pour elle. Même le populaire sur les routes de Choisy ou de Compiègne admire son visage et son air. Dans certaines fêtes où la famille royale n'assiste pas, comme en septembre 1772, à l'inauguration du pont de Neuilly, elle est traitée en souveraine. En 1773, la ville de Bordeaux lance un navire qui s'appelle La comtesse du Barry. Elle faillit devenir reine de France. Après la mort de Le Roi adorait sa maîtresse, jeune, fraiche, amusante à
son perpétuel ennui, ni tracassière, ni ambitieuse. Il la défendait contre
les cabales et lui épargnait autant qu'il pouvait les dédains de sa famille.
Il réclamait de tous des égards pour les personnes
qu'il affectionnait comme il disait sans la nommer. Cependant, à
mesure qu'il vieillissait, la peur de la damnation se faisait plus présente.
Chaque année, le moment de Pâques était critique pour la favorite : qui
serait le plus fort, de la religion ou de la chair ? Les Pâques de 1774
passèrent sans que le Roi communiât, bien que, le jeudi saint, l'abbé de
Beauvais, prêchant devant Or, le mercredi 27 avril 1774, le Roi étant à Trianon,
prêt à monter à cheval pour aller à la chasse, se sentit mal à l'aise ; il
suivit les chasseurs dans sa calèche, et, le soir, assista au souper. La
nuit, il fut pris de fièvre. Le lendemain, il retourna à Versailles, fut
saigné deux fois, le 29, il s'alita. Les médecins annoncèrent d'abord un
érésipèle ; mais, quand on sut qu'ils avaient ordonné d'éloigner le Dauphin
et Le 7 mai, comme son état s'aggravait, le Roi demanda son
confesseur ordinaire, l'abbé Maudoux, et se confessa. Le cardinal de Le 9 mai, le malade voulut recevoir l'extrême-onction ; le lendemain, après une douloureuse agonie, il mourut, à trois heures de l'après-midi. Il était devenu méconnaissable ; ses traits s'étaient déformés et grossis : son visage s'était couvert de croûtes ; il exhalait une odeur infecte : on tenait constamment les fenêtres ouvertes. Durant le temps qu'il mit à mourir, personne, écrit Besenval, ne témoigna le moindre intérêt pour lui, tellement il était perdu dans l'opinion générale. Bien qu'on eût ordonné d'exposer le Saint-Sacrement dans les églises, et, à Saint-Étienne-du-Mont, la clisse de Sainte-Geneviève, les fidèles s'abstinrent de prier pour le salut du Roi. Au lieu de 6.000 messes qu'on avait célébrées en 1744, c'est il peine si l'on en compta trois en 1774. Le curé de Saint-Étienne-du-Mont déplora, en chaire, l'indifférence des Parisiens. Le 12 mai, vers sept heures du soir, le corps fut mis dans un carrosse qu'escortèrent des gardes du corps et des gens de livrée ; le grand aumônier venait ensuite en voiture ; quelques récollets, avec le clergé des paroisses Saint-Louis et Notre-Dame de Versailles, suivaient à pied. A la place d'Armes, le cortège se disloqua. Les gardes et quelques domestiques allèrent seuls jusqu'à Saint-Denis. Pendant le voyage nocturne, des plaisants, par allusion aux deux principales passions du défunt, la chasse et l'amour, saluèrent le convoi des cris : Taïaut ! Taïaut ! et : Voilà le plaisir des dames ! Voilà le plaisir ! FIN DU VOLUME VIII-2 |
[1]
SOURCES. Rapports
des agents diplomatiques étrangers, Augeard, Besenval, Bernis, Grimm (t.
VIII et XI). Hardy (t. I et II), Moreau (t. I), Mémoires secrets de
OUVRAGES A CONSULTER. Flammermont (Maupeou), Floquet (t. VI), Jobez (t. VI), de Nolhac (Marie-Antoinette dauphine), Rocquain, déjà cités. Les ouvrages sur madame du Barry indiqués plus haut au chapitre précédent.
[2] Bien que ce fût un principe établi par les ordonnances de ne prononcer de confiscation d'offices qu'après forfaiture jugée, l'arrêt du Conseil de janvier 1771, confisqua ceux du Parlement de Paris et les déclara vacants. Mais les réclamations furent vives contre cette violation du droit de propriété, et Maupeou se déjugea : un édit d'avril 1771, dont il sera parlé, accorda aux anciens officiers du Parlement un délai de six mois, qui fut prolongé par la suite, pour faire liquider leurs offices, avec intérêt de 5 p. 100 de leur finance jusqu'à la liquidation.
[3] Le Grand Conseil devenant Parlement, conserva une partie de ses attributions antérieures ; le reste fut transféré partie au Conseil privé, partie au tribunal des maîtres des requêtes de l'hôtel.
[4]
En cas de vacance,
[5] Bien qu'officiellement supprimés, les Jésuites continuèrent à être employés aux missions dans les provinces, et même un des leurs, le P. Lourant, prêcha l'Avent de 1774 à Versailles.
[6]
SOURCES. Rapports
des agents diplomatiques étrangers. Campan (t. I), Georgel (t. I). Correspondance
inédite de Louis XV (Boutaric, t. I et II). Correspondance de Mercy
(t. I). Recueil des Instructions aux ambassadeurs (Autriche ; Pologne),
Moufte d'Angerville (t. IV), Talleyrand (t. I et IV), déjà cités. Favier, Conjectures
raisonnées, 1773 (dans Boutaric, t. II). Saint-Priest (Mémoire du
Conseil du Roi, du 18 mai 1763). Rayneval (Mémoire cité par Sorel, L'Europe
et
OUVRAGES
A CONSULTER. Arneth (Geschichte Maria Theresia’s, t. VIII).
Bonneville de Marsangy (Le Chevalier de Vergennes, et Le comte de
Vergennes et son ambassade en Suède), de Broglie (Le secret du Roi),
Flammermont (Maupeou), Green (t. II), Jobez (t. VI), Nolhac (Marie-Antoinette
Dauphine), Rocquain et Vatel, déjà cités. Geffroy, Gustave III et la
cour de France, Paris, 1887,2 vol. Rousseau (François), Règne de Charles
III d'Espagne (1759-1788), 2 vol. Sorel, L'Europe et
[7] SOURCES. Moufle d'Angerville (t. IV), Rapports des agents diplomatiques étrangers. Augeard, Besenval (t. I), des Cars (t. I), Grimm (t. X). Hardy (t. II). Correspondance de Mercy (t. I et II), Moreau (t. I), Regnault (t. I et II), Sénac, déjà cités. Terray, Mémoires (rédigés par Coquereau), Londres. 1776, 2 vol.
OUVRAGES A CONSULTER. Biollay, Boissonnade (Le socialisme d'Etat), Bord, Afanassiev, Clamageran (t. III), Bonneville de Marsangy, Flammermont (Maupeou), Clément (Portraits historiques), de Goncourt (La du Barry), Saint-André (Mme du Barry) Jobez (t. VI), de Nolhac (Marie-Antoinette Dauphine), Rocquain, Sorel, déjà cités. De Monthyon, Particularités et observations sur les ministres des finances de France les plus célèbres depuis 1660 jusqu'en 1791 (d'abbé Terrai), Paris, 1812. Dumon (F.), La généralité de Tours au XVIIIe siècle, Administration de l'intendant du Cluzel (1766-1783), Paris, 1894. Loménie (de), Beaumarchais et son temps, Paris, 1873, 2 vol. Lintilhac, Beaumarchais, Paris, 1897. Hallays, Beaumarchais, dans la collection Les grands écrivains français, Paris, 1897.
[8] L'inquiétude était fondée, car malgré des remboursements effectués par Turgot et Necker, en 1781 il était encore dû 80 millions sur les 200 que Terray s'était abstenu de payer.
[9] Le second vingtième avait été prorogé jusqu'en 1772 ; en 1771, il le fut jusqu'en 1781.