I. — AU moment où la propagande philosophique battait son plein, des épisodes, simultanés ou successifs, se produisirent qui mirent aux prises les opinions et les passions contradictoires entre lesquelles le pays était partagé, et prirent l'importance d'événements historiques. Un des plus considérables, l'expulsion des Jésuites, eut pour cause un accident arrivé à un membre de la compagnie. Le Père Le 8 mai 1761, sur les conclusions de l'Avocat général Le
Pelletier de Saint-Fargeau, le Parlement condamna les Jésuites : ils devaient
rembourser ses créances à la maison Gouffre et Lioncy et lui verser, à titre
de dommages-intérêts, Ce ne fut là qu'une entrée de jeu. Bien que le passif de Au cours du procès, le 17 avril, un conseiller de Au début de juillet, l'Avocat général Omer Joly de Fleury présenta et commenta en plusieurs séances les Constitutions, et démontra que, d'après ces textes, le Général de l'Ordre était au-dessus des conciles, des papes, des évêques, des rois et de la justice ; nul Jésuite ne pouvait, en matière civile ou criminelle, répondre aux magistrats sans l'autorisation de ce chef ; et la puissance du personnage était d'autant plus redoutable que des hommes de toutes conditions, ecclésiastiques ou laïques, célibataires ou gens mariés, pouvaient s'affilier à l'Ordre et lui apporter le secours de leurs relations dans le monde. Omer Joly de Fleury insista sur le vœu d'obéissance des Jésuites et tira grand parti de ces paroles de saint Ignace : Laissons-nous surpasser par les autres religieux dans la pratique des jeûnes, des veilles et l'austérité de la vie ; mais soyons plus parfaits que tous pour l'obéissance... Celui qui veut s'offrir entièrement à Dieu, outre sa volonté, doit encore lui sacrifier son esprit, son jugement ; il doit non seulement vouloir ce que le supérieur veut, mais encore penser comme lui. Sur les conclusions de l'Avocat général, il fut ordonné
qu'une commission examinerait les Constitutions.
La chose était à ce point prévue que Chauvelin, nommé commissaire, se trouva
presque aussitôt prêt à lire le rapport. Il avait eu pour collaborateurs
l'abbé Terray, conseiller à Chauvelin exposa qu'un homme qui s'affiliait à l'Ordre cessait par là même d'être sujet du Roi. Il rappela les théories des Jésuites sur le régicide, et l'assassinat de Henri III par Jacques Clément, Paris encouragé par eux à la résistance contre Henri IV, les conspirations où les Jésuites avaient trempé en Angleterre, en Pologne, en Carinthie, en Carniole et à Venise ; il évoqua le souvenir de l'attentat de Damiens et de la tentative d'assassiner le roi de Portugal en 1758 ; il fit allusion aux persécutions coutre les Jansénistes. Comprenant que cette affaire donnait au Parlement un
surcroît d'autorité, le Gouvernement essaya de mettre le holà. Il ordonna aux
supérieurs des maisons de Jésuites de remettre au greffe du Conseil tous
leurs titres et pièces, et le Roi dit au Premier Président et au Procureur
général qu'il entendait que le Parlement suspendit toute décision ; mais, le
6 août Mi, sur la proposition de L'Averdy, furent condamnés au feu
vingt-quatre ouvrages écrits par les Jésuites, comme destructifs de la morale
chrétienne et attentatoires à la sûreté des citoyens, même des rois ; il fut
enjoint à tous étudiants, séminaristes ou novices, installés dans les
collèges, pensions ou séminaires de Louis XV aurait dû prendre un parti net : ou laisser faire le Parlement, ou casser les arrêts. Choiseul lui proposait cette alternative, car plus le gouvernement, disait-il, hésiterait, plus les magistrats s'engageraient à fond. Louis XV parut d'abord vouloir procéder par rigueur ; mais le Chancelier de Lamoignon l'amena à tergiverser, par crainte de voir le Parlement repousser une émission de rentes viagères. Sans improuver les arrêts, le Roi, par lettres patentes du 29 août 1761, ordonna de surseoir un an à l'exécution ; mais les juges, en enregistrant les lettres patentes, le 7 septembre, se permirent de raccourcir ce délai et fixèrent au 1er avril 1762 la fermeture des collèges. Entre temps, les Jésuites protestaient de leur fidélité à Choiseul envoya à Rome le cardinal de Rochechouart, pour
faire comprendre au Général que son autorité était incompatible avec les lois
du royaume, et lui demander de nommer un vicaire qui résidât en France ; il
voulait une réponse immédiate. La transaction qu'il proposait fut repoussée.
Alors le Roi essaya de sauver les Jésuites par un moyen-terme. Dans une
Déclaration du 9 mars 1762, il ordonna qu'aucun ordre du Général ne serait exécutoire
sans être revêtu de lettres d'attache registrées,
et que les Jésuites enseigneraient les quatre propositions de 1682, moyennant
quoi il annulait les procédures déjà faites contre eux. Il espérait que le
Parlement accepterait Alors l'arrêt ordonnant la fermeture des établissements des Jésuites fut exécuté dans tout le ressort. Puis un arrêt du 6 août 1762 supprima la société elle-même. Ses biens furent mis sous séquestre et les Pères dispersés ; défense fut faite à ceux-ci de porter l'habit de l'Ordre et d'entretenir aucune correspondance à l'étranger. Pour acquérir des grades universitaires, posséder des bénéfices et remplir des offices publics, les écoliers sortis des collèges de Jésuites devront prêter serment de fidélité au Roi et jurer le respect des quatre articles de 1682. Les Pères seront incapables d'exercer aucune fonction ecclésiastique s'ils ne prêtent pas ce serment. Le Parlement a résumé, dans l'arrêt du 6 août, les raisons de la condamnation des Jésuites. Il y avait eu, dit-il, abus relativement à la doctrine morale et pratique constamment et persévéramment enseignée. La dite doctrine était déclarée perverse, destructive de tout principe de religion et même de probité, injurieuse à la morale chrétienne, pernicieuse à la société civile, séditieuse, attentatoire aux droits et à la nature de la puissance royale. à la sûreté même de la personne sacrée des souverains, et à l'obéissance des sujets, propre à exciter les plus grands troubles dans les États, à former et à entretenir la plus profonde corruption dans le cœur des hommes. Les rédacteurs de l'arrêt avaient fait, dans les
considérants, de nombreux emprunts aux Extraits,
parus en 1762, des assertions dangereuses
et pernicieuses en tous genres que les soi-disant Jésuites ont dans tous les
temps et persévéramment soutenues, enseignées et publiées dans leurs livres,
avec l'approbation de leurs supérieurs et généraux. Cette compilation
avait été composée par les jansénistes Goujet, Minard, Roussel de En 1763, un auteur anonyme publia une Réponse aux Extraits des Assertions, où il releva sept cent cinquante-huit falsifications, altérations de textes, ou fautes de traduction ; mais la masse des lecteurs ne se préoccupa point de critique et accepta les Extraits comme indiscutables. Le Parlement de Toulouse demanda un exemplaire des Extraits au Parlement de Paris le 5 mai 4762 ; le 22, il le reçut ; le 19 juin, il condamna les maximes pernicieuses qui s'y trouvaient, et les fit, imprimer pour les répandre dans tout son ressort. Le seul rapprochement des dates montre que les Toulousains furent dans l'impossibilité d'examiner attentivement les textes ; ils jugèrent sur la foi des confrères de Paris, qui s'en étaient eux-mêmes rapportés, sans plus de critique, aux compilateurs. Parmi les Parlements et Conseils souverains, ceux de
Flandre et de Franche-Comté, d'Alsace et d'Artois furent seuls à ne pas
vouloir poursuivre les Jésuites. En procédant contre En Provence, l'affaire donna lieu à de singuliers épisodes où apparut, la violence des passions parlementaires. Le Parlement d'Aix, en enjoignant aux Jésuites, le 5 juin 1762, de produire leurs Constitutions, avait prononcé la confiscation de leurs biens, c'est-à-dire préjugé son jugement définitif. Le président d'Éguilles protesta contre cet acte de prévarication. Après qu'il eut prononcé la suppression de l'Ordre, le 28 janvier 1763, le Parlement bannit d'Éguilles du royaume à perpétuité, malgré que des lettres du Roi eussent ordonné de surseoir aux poursuites engagées contre lui. D'autres Parlementaires, réputés convaincus de machinations contre l'autorité, l'honneur et la sûreté de la magistrature, furent pour quinze ans interdits de leurs fonctions et dépossédés de leurs charges. Le Parlement de Rouen condamna les Jésuites, le 12 février 1762 ; celui de Rennes, le 27 mai ; le Conseil souverain du Roussillon, le 12 juin ; le Parlement de Bordeaux, le 18 août ; celui de Metz, le 1er octobre ; celui de Grenoble, au mois de janvier 1763 ; celui de Toulouse, le 26 février ; celui de Pau, le 13 avril 1764. Le Roi ne crut pas pouvoir résister à la magistrature que
soutenait l'opinion générale. En février 1763 fut réglée la procédure à
suivre pour vendre les biens des Jésuites ; les revenus des bénéfices unis à
leurs maisons furent attribués au Bureau des
économats, par lesquels le clergé subvenait à des œuvres d'assistance
et d'enseignement. Le Parlement de Paris, le 22 février 1764, voulut exiger
des Pères qu'ils reconnussent pour impies les doctrines contenues dans les
Extraits des Assertions ; comme ils refusèrent, il les condamna, le 9 mars, à
quitter Voulons et nous plaît qu'à
l'avenir Cependant les Jésuites se défendaient, et ils étaient
défendus par des amis en de nombreux écrits, tels que Les Pères arguaient que les griefs cent fois répétés
contre eux avaient été par eux cent fois réfutés. Leurs Constitutions qu'on
dénonçait, disaient-ils, comme des pièces occultes nouvellement découvertes,
étaient connues de tous. On leur reprochait surtout l'obéissance à un général
étranger ; mais beaucoup d'autres ordres, à qui l'on n'en faisait pas
reproche, avaient donné l'exemple avant eux. Enfin c'était chose inique que
de punir toute Mais les Parlements condamnèrent tous les écrits
favorables à Si le Roi a consenti la destruction
des Jésuites, c'est que tout le monde a donné contre eux, Parlementaires,
Philosophes, courtisans. L'opinion ne leur était d'ailleurs pas moins hostile
à l'étranger, par exemple en Portugal et dans les États bourboniens
d'Espagne, de Naples et de Parme, qu'en France. Est-il vrai que Mme de
Pompadour ait voulu, en prenant parti contre eux, se venger de l'opposition
qu'ils lui firent quand elle prétendit devenir dame d'honneur de Les Philosophes et les Parlementaires avaient ensemble
combattu contre l'Ordre. Ceux-ci triomphaient, mais ceux-là s'amusaient aux
dépens de leurs alliés, qui se croyaient les grands vainqueurs. D'Alembert,
écrivant à Voltaire, disait des Parlements : Ce
sont les exécuteurs de la haute justice pour la philosophie, dont ils
prennent les ordres, sans le savoir. Dans son écrit Sur Entre ces deux sectes, l'une et l'autre méchantes et pernicieuses, si l'on était forcé de choisir, en leur supposant un même degré de pouvoir, la société qu'on vient d'expulser serait la moins tyrannique. Les Jésuites, gens accommodants, pourvu qu'on ne se déclare pas leur ennemi, permettent assez qu'on pense comme on voudra ; les Jansénistes, sans égards comme sans lumières, veulent qu'on pense comme eux ; s'ils étaient les maîtres, ils exerceraient sur les ouvrages, les esprits, les discours, les mœurs, l'inquisition la plus violente. A présent que les Jésuites, troupes régulières et disciplinées, étaient détruits, d'Alembert pensait que la philosophie aurait raison de ces cosaques, de ces pandours de jansénistes. Quant à Voltaire, il raconte, dans une lettre du 25 février 1763, qu'il a procédé chez lui au jugement des Jésuites : Il y en avait trois chez moi,
ces jours passés, avec une nombreuse compagnie. Je m'établis premier
président, je leur fis prêter serment de signer les quatre propositions de
1682, de détester la doctrine du régicide, du probabilisme...... d'obéir au
Roi plutôt qu'au Pape... après quoi je prononçai : Mais il ne préférait pas les Jansénistes aux Jésuites ; il voulait que l'on tint entre eux la balance égale. Il ne faut, disait-il, exterminer personne. Si les Jésuites sont des vipères et les Jansénistes des ours, il ne faut pas oublier que l'on peut faire des bouillons de vipères, et que les ours fournissent des manchons. La lutte entre Jansénistes et Jésuites lui paraissait avoir cette utilité que, pendant qu'ils se battaient, les bonnes gens demeuraient tranquilles. Il disait : A présent que les Jésuites étaient détruits, qu'allaient faire les Jansénistes, et leurs amis les Parlementaires ? Les renards et les loups furent longtemps en guerre ; Les moutons respiraient. Des bergers diligents Ont chassé, par arrêt, les renards de nos champs. Les loups vont désoler la terre ; Nos bergers semblent, entre nous, Un peu d'accord avec les loups. Le premier usage que fit le Parlement de sa victoire fut de mettre la main sur les collèges d'où les Jésuites avaient été expulsés. Les Jésuites avaient une centaine de collèges, dont trente-huit dans le seul ressort du Parlement de Paris. Comme toutes les congrégations à qui les évêques et les villes confiaient des collèges, ils avaient enseigné à peu près sans contrôle. Or, l'occasion se présentait pour la magistrature d'intervenir dans l'administration de ces maisons. Les Parlements, qui jouissaient du droit de déléguer leurs procureurs généraux pour les visiter, se mirent à préparer les plans d'une réforme de l'éducation. De tous côtés, d'ailleurs, des municipalités et, des particuliers leur adressaient des mémoires à ce sujet. En février 1763, un édit du Roi attribua la direction des collèges à des Bureaux d'administration : Dans les villes, où il y a
Parlement ou Conseil supérieur, le Bureau sera composé de l'Archevêque ou
Évêque qui y présidera, de notre Premier Président et notre Procureur Général
en Les Bureaux d'administration nommeront les principaux et les professeurs ; ils auront aussi le droit de les révoquer ; ils administreront les biens communs et arrêteront les programmes d'enseignement. On vit alors se produire un très curieux effort pour réformer la vieille éducation scolaire et l'approprier aux besoins d'une société qui se transformait. Les Philosophes et les Parlementaires s'accordèrent pour la réclamer. Les Philosophes reprochaient aux Jésuites d'être demeurés attachés aux vieilles méthodes, sans tenir compte d'idées et de méthodes nouvelles, que les Jansénistes avaient appliquées dans leurs petites écoles, et les Oratoriens, et même les Universités, dans leurs collèges. Les Pères enseignaient le latin par des grammaires écrites en latin, et l'on parlait latin dans leurs classes. En dépit de Descartes et du cartésianisme, ils enseignaient la scolastique. Aucune place n'avait été faite par eux aux études modernes. Voltaire, dans le Dictionnaire philosophique, au mot ÉDUCATION, prête à un conseiller de Parlement ce jugement sur l'éducation par les Jésuites : Lorsque j'entrai dans le monde, dit le Conseiller... je ne savais ni si François Ier avait été fait prisonnier à Pavie, ni où est Pavie... Je ne connaissais ni les lois principales, ni les intérêts de ma patrie ; pas un mot de mathématiques, pas un mot de saine philosophie. Je savais du latin et des sottises. D'Alembert, dans l'Encyclopédie, au mot COLLÈGE, accuse les Jésuites d'avoir produit une nuée de versificateurs latins, et d'employer sept à huit ans à apprendre aux écoliers à parler pour ne rien dire. Les Parlementaires, de leur côté, ou, pour parler plus
exactement, un certain nombre de Parlementaires menèrent une très vive campagne.
Dans un Essai d'Éducation nationale ou
plan d'études pour la jeunesse, paru en 1763, le Procureur général au
Parlement de Bretagne, Ces deux magistrats demandent qu'à l'étude, mise en honneur,
de la langue maternelle, la plus nécessaire dans le
cours de la vie, s'ajoute celle d'autres langues vivantes. Morveau
voudrait qu'on enseignât l'italien, l'anglais et l'allemand dans chaque capitale de province. L'anglais, dit Ces écrivains réclament l'introduction dans les études de l'histoire générale, et en particulier de l'histoire moderne : Je voudrais, dit Le Président Rolland d'Erceville demandait aussi qu'on
donnât aux enfants une teinture de la
géographie, en commençant par leur faire connaître leur pays, et Pour tous ces enseignements, il fallait un personnel
nouveau. Je pense, dit-il dans le
post-scriptum de son Essai sur l'Éducation, que l'objet des études étant une
fois fixé, Sa Majesté pourroit faire composer des livres classiques
élémentaires où l'instruction fût faite relativement à l'âge, et à la portée
des enfants, depuis six ou sept ans jusqu'à dix-sept ou dix-huit... Un mot de
Sa Majesté suffirait. Il y a dans L'Université de Paris n'en proposa pas moins au Roi de
faire du collège Louis-le-Grand une école destinée à former des professeurs.
Le Roi consentit par lettres patentes du 21 novembre En attendant le personnel nouveau, il fallut recourir presque partout aux prêtres séculiers, et, par conséquent, demander aux évêques leur collaboration. Les évêques l'accordèrent, prirent même à leur charge bien des dépenses, et, par là, s'assurèrent une grande autorité dans l'administration des collèges. Présidents des bureaux d'administration, ils étaient à peu près les maîtres dans les villes où ne se trouvait pas un parlement : à Montpellier, M. de Malide ; à Lyon, M. de Montazet ; à Pamiers. M. de Verthamon ; à Soissons, M. de Fitz-James ; à Sens, le cardinal de Luynes furent les vrais directeurs de l'enseignement. Aussi se produisit-il des conflits entre évêques et Parlements. A Angoulême, par exemple, l'évêque de Broglie fut longtemps aux prises avec le Parlement de Paris. Appuyé sur le Bureau et sur le corps de ville, il prétendait expulser les maîtres laïques. Il ne parvint pas à faire nommer professeurs des ecclésiastiques de son choix ; mais, à son instigation, la municipalité refusa toute subvention au collège, qui fut ruiné. Le clergé séculier fournit de bons maîtres à nombre de
maisons. L'abbé Delille, qui devint plus tard professeur au Collège de
France, débuta comme maître de classe élémentaire au collège de Beauvais.
L'abbé Batteux, qui, lui aussi, enseigna au Collège de France, et fut membre
de l'Académie des Inscriptions et de l'Académie française, fut professeur de
rhétorique à Reims ; le théologien Bergier devint, en 1767, principal du
collège de Besançon ; à Dijon le collège fut illustré par un historien de Des efforts furent faits pour organiser les enseignements nouveaux. A Rouen et à Bordeaux, on enseigna l'hydrographie ; à Bordeaux, Clermont, Besançon, Reims, Arras, des professeurs spéciaux professèrent les mathématiques, la physique expérimentale et le dessin. Quelques collèges bretons ont tenté d'attribuer au français le même rang qu'aux langues mortes et donné à leurs élèves des notions d'histoire et de géographie. Dans la deuxième année de philosophie, ils joignirent au cours de physique un cours de mathématiques ; à la physique générale ils substituèrent la physique expérimentale. Dans tous les établissements, l'enseignement religieux garda la place principale. Un arrêt du Parlement de Paris du 27 janvier 1765 prescrit la récitation du catéchisme, de l'épître et de l'évangile du dimanche. Au collège d'Orléans, tous les samedis, un catéchisme est fait dans toutes les classes ; et, les veilles de fêtes, les professeurs donnent des devoirs sur le mystère du lendemain. A Angoulême, les écoliers, internes et externes, sont tenus d'assister, tous les jours, à la messe de l'aumônier. Partout l'Ancien et le Nouveau Testament sont commentés en classe[4]. Dans l'ensemble, les résultats de la réforme scolaire ne répondirent pas aux espérances des réformateurs. Plusieurs parlementaires s'y intéressèrent avec un très grand zèle, le président Rolland, par exemple, qui fut jusqu'en 1789 une sorte de directeur de l'Enseignement secondaire dans le ressort du Parlement de Paris. Mais il s'en fallait que les Parlements s'intéressassent sérieusement à l'éducation publique ; la plupart des magistrats étaient rebelles à toutes nouveautés. Le gouvernement intervint à peine dans la réforme. Pour créer des enseignements et les pourvoir du matériel nécessaire, pour rétribuer les nouveaux maîtres, l'argent manqua souvent. L'éducation a donc été plutôt troublée que renouvelée après la destruction des Jésuites. Mais des idées justes sur l'éducation furent produites, et l'on commença de comprendre que l'éducation de la jeunesse devait être chose publique et nationale. II. — LES PROTESTANTS. LES PROCÈS CALAS, SIRVEN ET LA BARRE[5]. LES Philosophes et les Parlementaires qui s'étaient un moment accordés dans la lutte contre les Jésuites se retrouvèrent aux prises sur la question de la liberté de conscience. Maltraités par le duc de Bourbon, les protestants avaient un moment respiré sous le ministère de Fleury ; mais la persécution avait recommencé à partir de 1731 Ce furent les rigueurs habituelles les galères pour les hommes et la réclusion perpétuelle pour les femmes qui fréquentaient les assemblées tenues au désert, dans des lieux écartés, carrières, forêts, cavernes, où les religionnaires se rendaient pour prier et entendre prêcher ; le refus de considérer comme légitimes les enfants des mariages qu'un prêtre catholique n'avait pas consacrés ; des amendes ruineuses frappant quiconque n'envoyait pas ses enfants à la messe ou au catéchisme ; des enlèvements de jeunes filles religionnaires pour les faire élever dans des couvents. Le Gouvernement aurait voulu que les Protestants fissent valider leurs mariages, et se serait contenté, pour cela, d'un mariage bénit dans une église catholique par l'eau et le signe de la croix ; mais les prêtres n'acceptaient pas ce compromis. Ils ne voulaient reconnaître pour mariés que ceux qui avaient reçu le sacrement selon les formes. En 1752, il fallut de longues négociations entre le duc de Richelieu, lieutenant général du Roi en Languedoc, l'intendant du Languedoc, Saint-Priest, et l'évêque d'Alais, de Montclus, pour que ce prélat invitât ses curés à ne plus donner le nom de bâtards aux enfants des protestants. Contre les pasteurs, l'unique peine était la mort. Ils ne
se laissèrent pas effrayer. Antoine Court fonda à Lausanne, vers 1730, un
séminaire protestant français, l'École des pasteurs du désert, qui fut
entretenu par les dons des églises réformées, françaises et étrangères. Le
pasteur Durand prêcha en Vivarais, et fut pendu à Montpellier, en 1732.
Michel Viala fit, en 1725, une tournée dans le haut Languedoc et la haute
Guyenne, où il réorganisa les églises. Morel-Duvernet, arrêté en 1739 et
conduit à Tournon, essaya de s'évader et fut tué à coups de fusil. En 1744,
un Synode national se réunit au désert dans
le bas Languedoc, le 18 août, et il s'y trouva des pasteurs du haut et du bas
Poitou, de l'Aunis, de Les années d'après, des exécutions de pasteurs se succédèrent. En 1745, le pasteur Roger, qui avait paru au Synode et venait de prêcher en Dauphiné, fut pendu à Grenoble, en 1746, le pasteur Louis Ranc fut pendu à Die ; en 1746, Mathieu Majal, et, en 1752, François Benezet le furent à Montpellier. Le plus célèbre de tous les pasteurs d'alors fut François Rochette. Parti de Lausanne, il s'était fait consacrer dans le haut Languedoc, et il avait commencé d'exercer son ministère en Agenois. On l'appela dans le Quercy. Une nuit qu'il allait baptiser un enfant, il fut pris pour un voleur et conduit devant les juges consulaires de Caussade ; interrogé sous la foi du serment, il se reconnut pasteur. Trois gentilshommes verriers[6], les frères Grenier, ayant voulu l'enlever à ses juges, le tocsin de la ville sonna ; les paysans accoururent armés de fourches. Rochette et les Grenier furent amenés à Cahors, puis à Toulouse où le Parlement les jugea et les condamna en février 1762. Rochette fut conduit, avec les Grenier, tête nue, pieds nus, en chemise et la corde au cou, devant le grand porche de Saint-Étienne de Toulouse ; il s'y agenouilla, tenant en main une torche de cire jaune. Il devait demander pardon à Dieu, au Roi et à la justice, mais il ne pria Dieu que de pardonner à ses juges. Il refusa la grâce qu'on lui offrait à condition qu'il abjurât, et fut pendu au gibet sur la petite place des Salins. Les Grenier furent décapités. La principale responsabilité de la persécution revient au
Clergé. Repoussant la présomption admise dans Bien que la conduite du Gouvernement ait souvent donné
satisfaction aux évêques, il n'alla pas aussi loin que l'Église aurait voulu
le conduire. Saint-Florentin déclarait, il est vrai, vouloir appliquer la loi
contre l'hérésie : La loi, disait-il, a été dictée par des motifs supérieurs, et ce serait
renverser l'ouvrage de soixante années que d'y porter la moindre atteinte
; mais il n'usa pas de rigueur continue. En temps de guerre, il devient très
circonspect. En 1744, J'espère, dit-il, que les Nouveaux Convertis, ne se voyant pas troublés dans leurs exercices, ne s'assembleront pas avec des armes. Si cela arrivait, je ne crois pas que vous deviez essayer de les dissiper sans être assuré non seulement d'avoir la supériorité, mais de la conserver en cas que l'orage se fortifiât, et n'est de quoi je doute fort. Comme on lui signalait la présence d'agents anglais dans les Cévennes, où il redoutait un soulèvement de protestants, il reprochait à l'intendant de Montauban ses rigueurs et lui enjoignait de contenir le zèle dangereux des ecclésiastiques, des consuls et des anciens catholiques. A l'archevêque d'Aix, qui voulait des troupes pour faire arrêter des jeunes filles protestantes, il répondait : Les circonstances ne paraissent pas convenables pour ôter des nouvelles catholiques à leurs parents : et l'emploi des troupes à cette besogne, non seule -ment les détournerait de l'ordre de leur marche, mais serait dangereux pour l'honneur de ces filles, pour la sûreté des personnes, les biens et effets de leurs parents, et enfin même d'un succès très équivoque. Au reste, calculant ce que coûtait l'entretien de ces
pensionnaires par force et de tous les prisonniers pour fait de religion, il
craignait les reproches du Contrôleur général toujours à court d'argent. A
Alais, Uzès, Saint-Hippolyte, Nîmes, Montpellier, à Cependant, Saint-Florentin fut impitoyable pour les pasteurs. Rien, écrit-il à l'intendant Lenain, ne peut faire plus d'impression que le supplice d'un prédicant ; et, bien qu'il se fût contenté de demander aux simples religionnaires un catholicisme d'apparence, il craignait de passer pour un ministre tolérant. Il a félicité l'intendant du Languedoc, Saint-Priest, d'avoir défendu dans sa province la vente du Traité de la tolérance, de Voltaire. Les populations catholiques avaient longtemps soutenu le Clergé dans la persécution ; mais, au milieu du siècle, se manifestèrent des sentiments de répugnance. Les soldats chargés d'arrêter les émigrants se dégoûtèrent de cette besogne ; les officiers mirent leur point d'honneur à ne pas surprendre les religionnaires au désert. Parti de Versailles avec l'ordre de dissoudre, en Languedoc, les assemblées défendues, Richelieu fit afficher dans la province que nulle assemblée ne serait tolérée, ne fût-elle que de quatre personnes, et que tout mariage contracté au désert devait être sur-le-champ réhabilité ; puis, dégoûté, lui aussi, de la persécution, en sentant l'inutilité, il s'abstint de faire exécuter ses ordres. Des magistrats, des intendants cessèrent d'appliquer rigoureusement la loi. Sans reconnaître aux Huguenots leur état civil, et sans les laisser libres d'ouvrir des temples, on toléra leurs réunions au désert et dans des maisons particulières. Il circula des écrits sur la tolérance. Antoine Court publia le Patriote français et impartial en 1753 ; le chevalier de Beaumont, l'Accord parfait de la nature, de la raison, de la révélation et de la politique sur la tolérance, la même année. D'autre part, le maître des requêtes, Turgot, dans le Conciliateur ou Lettres d'un ecclésiastique à un magistrat sur les affaires présentes, conclut en 1754 à l'établissement d'un mariage purement civil. Mais l'Église n'admettait pas ces tempéraments. En 1767,
Marmontel, collaborateur de l'Encyclopédie,
dramaturge et romancier, ayant publié un roman, Bélisaire, où il prêchait la
tolérance, La faculté de théologie déclarait : Le prince a reçu le glaive
matériel pour réprimer... non seulement les doctrines qui coupent les nœuds
de Parmi les Philosophes qui combattirent l'intolérance religieuse, Voltaire se mit au premier rang. Il mit tout son esprit, sa passion sincère pour la liberté de penser, son horreur pour l'Inhumanité dans les affaires Calas et Sirven. Jean Calas et Anne-Rose Cabihel, sa femme, étaient marchands d'indiennes à Toulouse, dans la rue des Filatiers. Le mari avait soixante-quatre ans, la femme quarante-cinq. Ils avaient quatre fils : Marc-Antoine, Pierre, Louis et Donat, et deux filles : Rose et Anne. Leur servante, Jeanne Viguier, était catholique. L'avant-dernier des fils, Louis, converti au catholicisme, ayant quitté sa famille, avait exigé de son père, conformément aux édits, une pension. L'aîné, Marc-Antoine, était un esprit mélancolique ; gradué en droit, il regrettait que sa qualité de protestant lui fermât le barreau ; avec ses frères, il aidait ses parents dans leur commerce. Un soir, le 13 octobre 1761, fut retenu à souper chez les Calas un jeune protestant de Bordeaux, Lavaysse, qui se destinait au métier de pilote, et devait, sous peu, passer à Saint-Domingue. Le repas terminé, Marc-Antoine quitta la compagnie, ayant, disait-il, à sortir. Deux heures après, Pierre Calas et Lavaysse, voulant sortir à leur tour, se trouvèrent en présence du corps de Marc-Antoine pendu à une porte. A leurs cris, la famille accourut ; le corps fut détaché. Les Calas se concertèrent avec Lavaysse et la servante pour déclarer que Marc-Antoine était mort d'apoplexie ; ils voulaient, par ce mensonge, épargner à la famille le scandale du suicide, et le procès qu'on eût fait, selon la législation du temps, au cadavre du suicidé avant de le traîner par les rues sur une claie, la face vers la terre. Dans la foule amassée devant la maison des huguenots courut le soupçon d'assassinat. Un officier de justice criminelle, le capitoul David de Beaudrigue, arriva chez les Calas ; il ne procéda à aucune enquête sur place, ne se demanda pas comment. Marc-Antoine, un homme de vingt-huit ans, avait pu se laisser étrangler, sans que ses habits ou son corps gardassent la trace d'une lutte. Il fit porter le cadavre à la maison de ville, où il emmena les Calas, Lavaysse et Jeanne Viguier. Tous, bien qu'ils eussent été emprisonnés séparément, déclarèrent que Marc-Antoine s'était pendu ; mais le capitoul ne voulut pas les croire. Il prétendait leur faire avouer que Marc avait eu le projet d'abjurer, et qu'à cause de cela il avait été assassiné. Le Procureur du Roi demanda à l'autorité ecclésiastique de faire lire au prône et afficher dans les rues un monitoire ordonnant aux fidèles de révéler à la justice ou à leurs curés ce qu'ils pouvaient savoir au sujet de Marc-Antoine et de sa mort. Dans ce monitoire, cette mort était attribuée à un crime. Marc-Antoine fut proclamé martyr. On avait conservé son corps dans la chaux vive et, un dimanche, quarante prêtres allèrent le chercher au Capitole, et le portèrent dans l'église des Pénitents blancs. Un catafalque y était dressé, surmonté d'un squelette tenant d'une main une palme, et, de l'autre, un écriteau avec cette inscription : Abjuration de l'hérésie, — Marc-Antoine Calas. Toutes les confréries de la ville étaient là ; parmi les pénitents blancs, se trouvait le frère converti du mort, Louis Calas. Le 13 novembre 1761, le tribunal des capitouls, composé de quatre juges et de trois assesseurs, jugea qu'avant dire droit Calas père et sa femme et leur fils Pierre seraient appliqués à la torture, et que Lavaysse et Jeanne Viguier y seraient seulement présentés. Le Procureur du Roi et les accusés appelèrent simultanément de cette sentence, et, l'affaire fut ainsi portée au Parlement de Toulouse. Il fut arrêté que Calas père serait jugé le premier et seul. Sur treize juges, sept opinèrent pour la mort ; trois se réservèrent, voulant attendre les résultats de la torture ; deux demandèrent que l'on vérifia s'il était matériellement possible que Marc-Antoine se fût pendu ; un seul vota l'acquittement. Sept voix sur treize ne suffisaient pas pour prononcer la mort ; mais l'un des six juges qui ne l'avait pas votée, M. de Bojal, doyen des conseillers, se ravisa, et l'arrêt de mort devint exécutoire le 9 mars 1762. Jean Calas fut mis à la torture, qui ne lui arracha pas
d'aveu. Il fut conduit le 10 mars 1762 sur un chariot, en chemise et pieds
nus, devant la cathédrale, pour y faire publiquement amende honorable, puis,
à la place Saint-Georges où était dressé l'échafaud. L'exécuteur le coucha
sur la croix de Saint-André, et lui rompit à coupe de barre de fer les bras,
les jambes et les reins. Le vieillard criait : Je
suis innocent ! Dans sa lente agonie, il paraissait prier. L'exécuteur
enroula sur une roue ce corps désarticulé, le visage tourné vers le ciel,
pour y vivre encore, comme avait ordonné l'arrêt de Un marchand de Marseille, de passage à Toulouse lors de
l'exécution de Calas, et qui, de là, se rendit à Genève, s'arrêta à Ferney pour
raconter à Voltaire le procès du malheureux, qu'il croyait innocent. Voltaire
s'informa ; sur les premiers avis qu'il reçut, il jugea Calas coupable. En sa
qualité de philosophe, il n'aimait pas mieux les protestants que les
catholiques ; le fanatisme des Genevois
l'exaspérait. Il plaisanta sur le cas de Calas : Ce
saint réformé, dit-il, a pensé être fort
supérieur à Abraham, car Abraham n'avait fait qu'obéir, quand il pensa
sacrifier son fils à Dieu ; au lieu que Calas a tué son fils de son propre mouvement, et pour l'acquit de sa conscience.
Il disait encore : Nous ne valons pas grand'chose,
mais les Huguenots sont pires que nous ; et, de plus, ils déclament contre Puis, il s'inquiéta et se mit à s'enquérir ; ayant appris que le plus jeune des fils Calas s'était enfui à Genève, il alla le voir et l'interrogea. Il écrivit à Mme Calas, pour lui demander si elle signerait que son mari était mort innocent ; elle se déclara prête à le faire. Alors l'enquête s'étendit, merveilleusement conduite par Voltaire, qui, ayant plaidé toute sa vie, était un procédurier de premier ordre. En février 1763, il écrivait : J'ose être sûr de l'innocence de cette famille, comme de mon existence. Pour obtenir la cassation de l'arrêt de Toulouse, la réhabilitation de la mémoire de Calas et des réparations à la veuve et aux enfants, Voltaire s'adressa au Chancelier Lamoignon, à Mme de Pompadour, à Choiseul, à tout le monde. Il aida Mme Calas à se rendre à Paris, et il écrivit à son ami, le comte d'Argental, conseiller au Parlement de Paris : La veuve Calas est à Paris, et dans le dessein de demander justice. L'oserait-elle, si son mari eût été coupable ? Si, malgré toutes les preuves que j'ai, malgré les serments qu'on m'en a faits, cette femme avait quelque chose à se reprocher, qu'on la punisse, mais si c'est, comme je le crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du monde, au nom du genre humain, protégez-la ! Ce fut devant le Conseil du Roi que Mme Calas porta son appel.
Le Parlement de Toulouse ayant refusé de délivrer l'extrait de sa procédure,
le Conseil l'exigea au nom du Roi. Et Voltaire s'écria : Il y a donc une justice sur la terre ! Il y a donc enfin
de l'humanité ! Les hommes ne sont donc pas tous de méchants coquins !
Le Conseil cassa la sentence des capitouls et les arrêts du Parlement, le 4
juin 1764. De soixante personnes, tant ministres que magistrats, dont le
Conseil était, ce jour là, composé, vingt auraient voulu, pour ménager le
Parlement de Toulouse, n'ordonner que la révision du procès ; mais tous les
autres opinèrent pour la cassation pure et simple. Le Roi renvoya le procès
au tribunal des Requêtes de l'Hôtel, qui, le 9 mars 1765, rendit un arrêt
définitif réhabilitant la mémoire de Jean Calas, et déchargeant de toute
accusation sa veuve, son fils Pierre, Lavaysse et Jeanne Viguier. Sur la
demande de dommages-intérêts, le tribunal ne donna pas d'autre satisfaction
aux Calas que de les renvoyer à se pourvoir ainsi qu'ils aviseraient ; mais
il arrêta d'écrire au Roi pour les recommander à ses bontés. Le Roi partagea
entre eux trente six mille livres. La réhabilitation fut complète. Les Calas
furent reçus par En même temps que l'affaire Calas, se poursuivit l'affaire Sirven. Sirven vivait à Castres, de la profession de commissaire à terriers, c'est-à-dire qu'il établissait, d'après les anciens titres, le montant des droits revenant au seigneur lorsqu'on refaisait le terrier d'une seigneurie. En 1760, une de ses filles, du nom d'Élisabeth, fut enlevée sur la requête de l'évêque de Castres, M. de Barrai, qui la fit placer dans un couvent, pour la raison qu'elle voulait se convertir au catholicisme. Au couvent, elle donna des signes de démence, et l'évêque la fit rendre à ses parents. Elle devint alors tout à fait folle. Comme les religieuses qui l'avaient gardée accusaient ses parents de la persécuter, Sirven quitta Castres pour Saint-Alby. Là, sa fille se jeta dans un puits, le 2 janvier 1762 ; la rumeur publique l'accusa de l'avoir tuée. Le médecin qui examina le cadavre conclut que, n'ayant d'eau ni dans les intestins ni dans le ventre, elle ne s'était pas noyée, qu'on l'avait donc jetée dans le puits morte, étouffée probablement. Un juge de Mazamet lança un décret de prise de corps contre Sirven et sa famille. Le premier mouvement de Sirven fut de se livrer à la justice, mais des amis lui persuadèrent de s'enfuir ; il s'en alla à Genève, avec sa femme et ses trois filles. Le procureur fiscal ayant donné dés conclusions où il déclarait tous les Sirven convaincus d'assassinat, le haut justicier de Mazamet, le 29 mars 1764, condamna comme parricide le père à être rompu sur la roue et brûlé vif, la mère à être pendue et étranglée. Dès qu'ils étaient arrivés en Suisse, les Sirven avaient couru chez Voltaire, qui, encore une fois, fit une enquête ; il se convainquit de leur innocence, mais attendit, pour intervenir, la fin de l'affaire Calas. En 1766 seulement il publia son Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven. La nouvelle cause passionna moins le public que la précédente parce que les Sirven avaient la vie sauve ; mais, le 31 août 1767, Sirven se constitua prisonnier à Mazamet. Un nouveau drame s'annonçait ; il fut court et finit bien. Le Parlement de Toulouse, devenu prudent, défendit au premier juge d'instruire de nouveau l'affaire et subrogea à sa place un autre juge. La défense prouva la fausseté des témoignages qui avaient été produits au premier procès et la grossièreté des erreurs commises par le médecin. Le nouveau juge fut, dit Voltaire, comme le diable obligé de reconnaître la justice de Dieu. Il mit Sirven hors d'instance, l'élargit et lui fit donner mainlevée de ses biens qui avaient été saisis. Mais, comme on le relâchait sans proclamer son innocence, Sirven interjeta appel au Parlement de Toulouse, et demanda vingt mille livres de dommages-intérêts. Le Parlement réforma la sentence de 1'764, condamna les consuls de Mazamet aux dépens, mais n'accorda pas de dommages-intérêts. Calas et Sirven étaient des huguenots, et cette qualité
assurément prévint contre eux leurs juges ; le chevalier de Sur un pont d'Abbeville, en 1765, des inconnus mutilèrent,
à coups de sabre, un crucifix ; la population fut exaspérée par le sacrilège.
L'évêque d'Amiens. M. de Au cours de l'interrogatoire devant la chambre criminelle
de la1 sénéchaussée de Ponthieu, A la nouvelle de l'exécution de Les procès de Calas, de Sirven et de |
[1]
SOURCES. Mémoires
secrets (Bachaumont), Grimm, D'Alembert (Correspondance), Voltaire (Œuvres,
et notamment
OUVRAGGES
A CONSULTER. Lacretelle, Michelet, Jobez (t. V et VI), Aubertin, Picot.
Croussaz-Cretet, Rocquain, Sicard, Cabosse, Campardon, Bertrand (D'Alembert),
Cruppi, Desnoiresterres, Perey (Duc de Nivernais), Texte, déjà cités.
Crétineau-Joly, Histoire religieuse, politique et littéraire de
Compayré, Histoire critique des doctrines de
l'éducation en France, Paris, 1881, 2e édit., 2 vol., t. II. Sicard
(l'abbé), Les études classiques avant
[2]
Le premier compte-rendu de
[3] Sans sacrifier l'enseignement du latin, cette compagnie. qui dirigeait en France trente collèges, donnait au français une grande importance. Elle faisait composer ses élèves plus souvent en français qu'en latin, leur donnait des prix de français ; elle avait été la première à organiser l'enseignement de la géographie et de l'histoire ; elle donnait dans ses programmes une large place aux sciences exactes et aux sciences naturelles.
[4] Dans les Collèges de Jésuites étaient données des représentations théâtrales où le public venait en foule, surtout à Paris. Ils furent remplacés par des tournois scolaires. Les rhétoriciens y exposaient les règles de l'éloquence, prononçaient des harangues, débitaient des odes, expliquaient des textes. On récompensait les plus habiles per des médailles d'or et d'argent.
[5]
SOURCES. Rabaut
(P.), Mémoire, p. p. N. Weiss, Les protestants du Languedoc et leurs
persécuteurs en 1751 (Bull. de
OUVRAGES
A CONSULTER. Michelet (t. XVII), Jobez (t. IV et VI), Desnoiresterres (Voltaire
et
[6] Dans quelques provinces, les gentilshommes pouvaient fabriquer le verre sans déroger, et les roturiers qui le fabriquaient pouvaient acquérir la noblesse. De là l'expression de gentilshommes verriers.
[7] Le siège présidial de Nîmes tenait alors les Grands Jours au Vivarais.
[8] Les juges bannirent Pierre Calas, mirent Mme Calas et Laraysse hors de procès, et acquittèrent Jeanne Viguier, comme si Jean Calas eût été capable seul, à soixante-quatre ans, d'étrangler son fils dans la force de l'âge.