I. — LES IDÉES PHILOSOPHIQUES ET POLITIQUES[1]. AVEC Pour les idées politiques et philosophiques, Chacune des conférences était divisée en trois exercices
d'une heure : lecture et discussion d'extraits des gazettes ; communication des
correspondances entretenues à l'étranger ; lecture de mémoires politiques.
MM. de Balleroy et de Champeaux donnaient des mémoires sur l'histoire des
traités ; M. de Vertillac sur les gouvernements mixtes
de Mais le grand lecteur du club était son doyen, l'abbé de Saint-Pierre, homme excellent, épris du bien public, inépuisablement fécond en systèmes. Il avait accompagné à Utrecht, en 1712, un des négociateurs français ; témoin des difficultés de toutes sortes qui retardaient la conclusion des traités, il composa les trois volumes d'un Projet de paix perpétuelle. En punition d'un Discours sur la polysynodie, écrit en 1718, où il critiquait vivement le gouvernement de Louis XIV, il avait été exclu de l'Académie française. Cependant les pouvoirs publics furent indulgents pour ses écrits, qui paraissaient les rêves d'un homme de bien. C'est, dit-on, l'abbé de Saint-Pierre qui a créé le mot bienfaisance. Par lui, la philosophie politique de l'Entresol se
rattache à Fénelon, à la petite cour du duc de Bourgogne, à Vauban, à
Boisguilbert, à Boulainvilliers. Elle procède en même temps des Anglais. Le
club comptait parmi ses membres l'Écossais Ramsay, disciple d'ailleurs de
Fénelon, qui l'avait converti au catholicisme[2]. Bolingbroke
fréquentait aussi l'Entresol. Les Anglais s'y sentaient chez eux.
L'ambassadeur Horace Walpole, après la disgrâce de M. le Duc, en 1726, y fit
une conférence sur l'intérêt qu'avaient L’Entresol ne vécut pas longtemps. Après l'avoir protégé,
Fleury en vint à le trouver gênant. L'abbé Alary s'en faisait une espèce de trophée ; ses confrères, très
entourés dans le monde, dissertaient volontiers sur la politique et
l'administration. Le Cardinal dit un jour à l'abbé : On
se mêle de trop de choses à l'Entresol, et des étrangers même s'en plaignent.
L'abbé de Saint-Pierre l'accablait de mémoires à tout propos. Enfin, Alary
ayant imaginé de complimenter La propagande en faveur des idées anglaises ne souffrit
pas de la disparition du club. Les protestants français à Londres, en
Hollande ou en Brandebourg, essayaient de mettre D'autre part, les écrivains français les plus distingués
visitèrent l'Angleterre. Voltaire y débarqua en mai 1726, après une fâcheuse
aventure. Le chevalier de Rohan-Chabot l'avait plaisanté sur son nom : Comment vous appelez-vous décidément ? Est ce Mons Arouet,
ou Mons de Voltaire ? — M. le chevalier,
répondit Voltaire, il vaut mieux se faire un nom que
de traîner celui qu'on a reçu. Or, un jour qu'il dînait chez le duc de
Sully, on le demande à la porte de l'hôtel. Il descend et se trouve en présence
de trois messieurs garnis de cannes, qui lui régalent les épaules et les bras gaillardement.
Le chevalier regardait ce frottement d'une
boutique en face, et criait aux trois messieurs : Ne
lui donnez point sur la tête, il en peut encore sortir quelque chose de bon.
Voltaire se plaignit à ses protecteurs, le duc de
Sully, Mme de Prie, le duc d'Orléans, Maurepas. Mais les grands dont il était
l'ami n'oubliaient point son origine, et ne se souciaient pas de le défendre
contre un homme de leur rang. Il prit des leçons d'escrime, provoqua Rohan et
fut mis à Pendant près de trois ans que dura son séjour, il apprit la langue anglaise, qu'il finit par écrire parfaitement, et connut les plus illustres écrivains anglais. Il dut à Pope, le plus classique et le plus élégant des poètes d'Angleterre, l'idée de ses Discours sur l'homme. Il aima la fantaisie et l'ironie de Swift, l'érudition critique et révolutionnaire de Bolingbroke. Il étudia les tragédies classiques d'Addison, celles de Dryden, et surtout les drames de Shakespeare. Il admira que des écrivains fussent employés au service de l'État comme Prior, poète et philosophe, qui reçut une mission diplomatique en France. Quand Newton mourut, en 1727, Voltaire fut témoin des honneurs qu'on rendit à ce grand homme en récompense de son génie. Hôte du marchand Falkener, qui devint plus tard ambassadeur en Turquie, il comprit l'injustice du préjugé qui faisait mépriser en France le commerce. Son esprit, dont la curiosité était si vive, s'enrichit et
s'élargit. Il fit une enquête sur le newtonisme ; il apprit la philosophie
anglaise, qui convenait mieux à son esprit net et pratique que celle de
Descartes et de Leibniz, philosophes entraînés par
cet esprit systématique qui aveugle les plus grands hommes. Il lut
Bacon le père de la philosophie expérimentale.
Il se fit surtout le disciple de Locke. Ce philosophe avait publié des Lettres
sur la tolérance, un Essai sur l'Entendement humain et un livre
sur Les philosophes anglais étaient, en ce qui concerne la religion, divisés en deux camps : les croyants et les simples déistes ; mais ceux-ci gardaient un esprit religieux et chrétien. Locke croyait en Dieu, cause nécessaire du monde, reconnaissait en Jésus-Christ le Messie, et regrettait que l'Écriture sainte, éclatante de vérité, eût été obscurcie de mystères par le pédantisme théologique. En 1730, Tindel publia Le christianisme aussi vieux que la création, ou l'Évangile comme reproduction de la religion naturelle. Parmi les orthodoxes, Berkeley s'illustra par son système d'idéalisme absolu, Clarke, disciple de Newton, défenseur du libre-arbitre et de l'immortalité de l'âme, fut auteur d'un livre assez peu entendu, mais estimé, sur l'existence de Dieu, et d'un autre plus intelligible, mais assez méprisé, sur la vérité de la religion chrétienne. Ces derniers mots sont de Voltaire qu'amusait le spectacle de cette vie intellectuelle intense et pleine de contradictions. Il n'a certes pas appris en Angleterre le scepticisme, que professaient en France Bayle, Fontenelle et la société du Temple. D'autre part l'influence de l'Angleterre ne fut pas assez forte sur lui pour lui commander ce respect de l'esprit religieux que professaient les déistes anglais. Mais ses sentiments et ses idées furent éclairés et fortifiés par son séjour en Angleterre, et par ses études philosophiques sur Bacon, sur Locke et sur le newtonisme, qu'il appelle la grande nouveauté anglaise. De retour à Paris en février 1729, Voltaire révéla
l'Angleterre aux Français. Grimm a dit qu'en France, au commencement du XVIIIe
siècle, on croyait que tout ce qui n'était pas Français mangeait du foin et marchait à quatre pattes. Or,
au milieu du siècle, nombre de Français savaient l'anglais et admiraient
l'Angleterre, disciples en cela, pour une grande part, de Voltaire, qui, en
1733, publia ses Lettres philosophiques, ou plutôt ses Lettres sur
les Anglais. Il y met en opposition les deux sociétés française et
anglaise, à la grande confusion de la première. L'Angleterre est le pays de
la tolérance et de la liberté de penser : Un
Anglais, comme homme libre, va au ciel par le chemin qu'il lui plaît.
Les abus dont souffre Au même temps, un romancier et journaliste, l'abbé Prévost, entretenait le public des mœurs de l'Angleterre, où il passa quatre années, de 1727 à 1731. Il dut sa célébrité à un roman, Manon Lescaut, paru en 1731 ; mais la majeure partie de ses œuvres, Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde ; Cleveland, décrivent et vantent l'Angleterre, Londres et ses cafés, qui sont comme le siège de la liberté anglaise, les combats de boxe, la liberté, l'esprit de tolérance. Les Anglais ont reconnu que la contrainte est un attentat contre l'esprit de l'Évangile ; ils savent que le cœur des hommes est le domaine de Dieu. Revenu en France, Prévost fonda un journal, Le Pour et Contre, sorte de revue encyclopédique, où il promettait d'insérer chaque fois quelque particularité intéressante touchant le génie des Anglais et de traduire même quelquefois les plus belles scènes de leurs pièces de théâtre. Le journal dura de 1733 à 1740. Prévost traduisit des œuvres philosophiques ou romanesques anglaises, par exemple les romans de Richardson, Paméla, Clarisse, Grandisson, dont le pathétique et la vérité devaient émouvoir Diderot, Rousseau et leur génération. Le plus grand écrivain et penseur politique de cette période fut l'auteur des Lettres persanes. Montesquieu avait l'ambition d'entrer dans la carrière diplomatique, n'étant pas plus bête qu'un autre, disait-il. De 1728 à 1732, il voyagea pour s'instruire des mœurs et des coutumes des nations. Accompagnant un ambassadeur de George II, lord Waldegrave, qui était l'ami de sa famille, il alla en Autriche, où il fréquenta de grands personnages, comme le prince Eugène et Stahrenberg. A Venise, il rencontra des aventuriers célèbres, Law et le comte de Bonneval. En Lombardie, il fut reçu par les Borromées, à Turin, par Victor-Emmanuel ; à Rome, il connut le Père Cerati, qui demeura son correspondant. Rien n'était indifférent à son esprit curieux ; il prenait des notes sur le commerce, l'industrie, l'agriculture, les travaux publics, sur les mines, les constructions navales, sur le servage en Hongrie, les œuvres d'art en Italie. Lorsqu'il débarqua en Angleterre, il était bien préparé pour faire les comparaisons. Il se sentit là respirer plus librement que partout ailleurs. L'Angleterre, dit-il dans ses notes, est à présent le plus libre pays qui soit au monde ; je n'en excepte aucune république ; je l'appelle libre, parce que le Prince n'a le pouvoir de faire aucun tort imaginable à qui que ce soit, par la raison que son pouvoir est contrôlé et borné par un acte.... Quand un homme, en Angleterre, aurait autant d'ennemis qu'il a de cheveux sur la tête, il ne lui en arriverait rien. Il y avait, dans l'admiration des Français pour l'Angleterre, une exagération dont les Anglais eux-mêmes s'amusaient : Nous pouvons être dupes de la politique française, disait Walpole ; mais les Français sont dix fois plus sots que nous, d'être les dupes de nos vertus. Montesquieu ne fut point tant dupe. Il vit très bien que le monde politique était très corrompu : L'argent est ici souverainement estimé, a-t-il dit ; l'honneur et la vertu, peu. Mais il se complut au spectacle d'une nation libre, où tout le monde avait une opinion politique, si bien que l'on voyait des couvreurs se faire apporter la gazette sur les toits pour la lire. Au retour d'Angleterre, Montesquieu avait pris le parti
d'être, comme il a dit, un écrivain politique.
Il s'essaya par les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains
et de leur décadence, qui parurent en Les Considérations sont une sorte de chapitre
détaché du très grand livre qui parut en L'Esprit des Lois fut attaqué par les Jansénistes
et par les Jésuites, et dénoncé à l'Assemblée du clergé. Il eut vingt-deux
éditions en dix-huit mois et fut traduit dans toutes les langues. Pendant
toute la fin du siècle, on en publiera des critiques et des analyses
raisonnées ; Condorcet le commentera. Peu d'hommes de II. — LES SCIENCES[3]. JUSQUE vers 1730, la physique de Descartes partagea la célébrité de sa philosophie. La société polie croyait aux trois éléments, terrestre, céleste et solaire, aux tourbillons éthérés qui emportaient les planètes sans qu'elles eussent un mouvement propre. Les dames étudiaient l'astronomie dans les Entretiens sur la pluralité des mondes du cartésien Fontenelle, qui atteignit au temps de Fleury le comble de sa renommée. Il vulgarisait la science dans les Éloges qu'il faisait de ses confrères en sa qualité de secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Ses portraits d'académiciens sont très vivants. Les théories scientifiques les plus élevées, les déductions les plus subtiles sont exposées par lui exactement, clairement, sur un ton simple et grave. Il faisait aimer la science parce qu'il l'aimait en vérité. Qu'elle fût cultivée par les modernes, alors que les anciens l'avaient à peu près ignorée, cela lui semblait une grande preuve de la supériorité des modernes. La liberté de son esprit, qui ne respectait pas plus l'antiquité chrétienne que la païenne, lui valut le titre que Voltaire lui décerna de ministre de la philosophie. Fontenelle, au reste, donna l'exemple de la faillibilité de la philosophie par sa fidélité au système cartésien de la construction du monde. Cependant, le newtonisme entrait en ligne ; Voltaire l'expose dans les Lettres philosophiques : Un Français qui arrive à Londres, dit-il, trouve les choses bien changées, en philosophie comme en tout le reste ; il a laissé le monde plein, et il le trouve vide. A Paris, on voit l'univers composé de tourbillons en matière subtile ; à Londres, on ne voit rien de tout cela. Chez nous, c'est la pression de la lune qui cause le flux de la mer ; chez les Anglais, c'est la mer qui gravite vers la lune. Chez vos cartésiens, tout se fait par une impulsion qu'on ne comprend guère ; chez M Newton, c'est une attraction dont on ne comprend pas mieux la cause. A Paris, vous vous figurez la terre faite comme une boule ; à Londres, elle est aplatie des deux chiés. La lumière, pour un cartésien, existe dans l'air ; pour un newtonien, elle vient du soleil en six minutes et demie. Voilà de sérieuses contrariétés. Newton étendait aux rapports des corps célestes entre eux la loi qui fait, peser les corps vers le centre de la terre et il enseignait que tout se passe dans l'Univers comme si les corps célestes s'attiraient en raison directe de leur masse et en raison inverse du carré de leurs distances. Ainsi les tourbillons devenaient inutiles pour expliquer le cours des astres. L'Académie des sciences tint ferme pour les tourbillons.
Mais des newtoniens s'y déclarèrent. Ils étudiaient une des questions
soulevées par la doctrine de la gravitation universelle, la question de la
figure de la terre. Newton soutenait que la terre était renflée à l'équateur
et aplatie aux pôles. Les cartésiens le niaient, en s'appuyant sur des
observations géodésiques faites en France. Ils avaient pour eux l'autorité du
directeur de l'Observatoire, Jacques Cassini, le fils de Dominique.
L'Académie décida en 1735 d'envoyer une expédition scientifique au Pérou,
pour mesurer quelques degrés voisins de l'Équateur et les comparer aux
mesures déjà relevées entre les Pyrénées et Dunkerque. Les newtoniens
objectèrent que les résultats ne seraient pas concluants, si l'on n'envoyait
en même temps une autre mission mesurer le degré le plus voisin du cercle
polaire qu'il serait possible d'atteindre. Parmi eux se distinguait
Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, né à Saint-Malo[4], qui avait servi
aux mousquetaires, puis s'était adonné aux mathématiques. Il avait fait, lui
aussi, en 1728, un voyage en Angleterre, où il avait été admis à Maupertuis s'attribua la gloire de la découverte ; il se
fit peindre et graver, coiffé d'un bonnet de peau d'ours, tenant dans ses
mains le globe et l'aplatissant aux pôles. Il devint du jour au lendemain
l'homme à la mode que les salons se disputaient. Un de ses compagnons de
mission, Clairaut[5], devint également
célèbre. Né en 1713, enfant prodige, il avait été admis à l'Académie des
sciences en 1731, à l'âge de dix-huit ans. Il fut le plus considérable
newtonien de France. Il confirma le newtonisme par sa Théorie de la figure
de Les mathématiciens Maupertuis et Clairaut furent, avec d'Alembert
que l'on retrouvera au chapitre de l'Encyclopédie, dans la première moitié du
XVIIIe siècle, les plus grands savants français. Les autres sciences, physique,
chimie, histoire naturelle[6], ne firent que de
médiocres progrès. D'ailleurs, dans toute l'Europe, cette période est bien
inférieure à la grande période créatrice du XVIIe siècle. Les savants ne sont
guère occupés qu'à développer les conséquences des grands principes alors
établis. C'est une suite d'efforts individuels ; la fin du siècle, les génies
reparaîtront pour coordonner le travail. Mais, dans toute l'Europe, la
curiosité de la science est répandue. C'est le temps glorieux de l'Université
de Bâle, où s'illustrèrent, dans les mathématiques, les Bernouilli et surtout
Euler, le grand mathématicien du siècle. Les Académies nouvelles de
Pétersbourg et de Berlin, celle-ci surtout, après l'avènement du Grand
Frédéric, commencèrent de rivaliser avec Aussi les plus illustres écrivains voulurent être des
savants. Montesquieu a débuté par des dissertations scientifiques. Avant de
penser à l'Esprit des lois, il avait projeté une Histoire physique
de Tout lui plan, tout convient à son vaste génie, Les livres, les bijoux, les compas, les pompons, Les vers, les diamants, le biribi, l'optique, L'algèbre, les soupers, le latin, les jupons, L'opéra, les procès, le bal et la physique. Elle passait les nuits au travail, ne dormant que deux heures. Voltaire l'imitait. Il se cassait la tête contre Newton. La marquise lui abandonna une galerie dont il fit un laboratoire ; il y rassembla des livres et des instruments ; il y eut des préparateurs ; il n'en sortait que pour souper ; encore arrivait-il que le souper fût servi devant les machines et les sphères. Voltaire étudiait aussi la chimie. Il concourut pour un prix de l'Académie des sciences sur la question de la nature du feu. Il se fit expédier des thermomètres, des baromètres, des terrines réfractaires, vécut au milieu des fourneaux et des forges, pesant le fer rouge et le fer refroidi. Sa dissertation, bien qu'elle n'ait pas obtenu le prix, qui fut donné à des anti-newtoniens, n'était pas sans valeur. Il savait observer, il était plus et mieux que ce que disait un de ses contemporains, qui l'appelait le premier homme du monde pour écrire ce que les autres ont pensé. De savants amis lui conseillaient de laisser la poésie
pour la science. Il eut un moment l'ambition de succéder à Fontenelle. Il
sentait le besoin d'une situation officielle qui le protégeât contre les ennemis
qu'il avait offensés par ses moqueries, et contre ceux qu'inquiétait son
esprit irrespectueux. Malgré le succès de III. — L'ÉRUDITION[7]. PENDANT que se manifestait ainsi la curiosité publique
pour les recherches et découvertes des sciences mathématiques et physiques,
l'érudition française persévérait dans son travail trois fois séculaire.
Religieux et laïques continuèrent à rivaliser de zèle ; mais l'Académie des
Inscriptions commençait à prévaloir sur Le goût des collections d'antiquités de toutes sortes fut
plus vif que jamais. Le Roi était le plus grand des collectionneurs. Les
collections royales furent administrées à partir de 1718 par le savant abbé
Bignon[8], bibliothécaire du Roi, et membre de l'Académie des
Inscriptions. A sa requête, le Régent fit transporter Des missionnaires furent
envoyés au Levant pour rechercher des médailles et des inscriptions. Grâce
aux subsides fournis par Maurepas, lui-même grand amateur d'antiquités,
l'abbé de Fourmont recueillit en Grèce une moisson d'inscriptions ; l'abbé
Sevin réunit plus de six cents manuscrits de langues orientales. A
Constantinople, l'école des jeunes de langue
fut établie pour copier et traduire les ouvrages turcs, arabes et persans.
Les directeurs de Des hommes publics et des particuliers réunirent aussi d'importantes collections. Maurepas ornait d'antiques son cabinet de travail, et, à l'occasion, courait en chaise de poste pour recueillir une pièce curieuse ou pour dessiner, à Fréjus, des ruines romaines. Le secrétaire perpétuel de l'Académie Française, Gros de Boze, possesseur d'un cabinet d'antiquités, devint garde des antiquités du Roi, qu'il fit transférer, en 1741, de Versailles à Paris, pour les mettre à la portée des travailleurs. Son ami, le comte de Caylus, commençait vers le même temps une collection d'antiques. Le médecin Mahudel fut un numismate, un amateur d'estampes, de portraits, de statuettes de bronze ; il acquit douze collections particulières qu'il réunit à la sienne, pour céder le tout au Roi en 1735. Il en fut de même des collections d'histoire naturelle, de livres et de manuscrits du duc d'Estrées. Ce goût des collections se répandit alors dans les
provinces. Toute ville de quelque importance eut ses cabinets
de curiosités. A Lyon, M. de La plus belle bibliothèque du Midi fut fondée dans la
première moitié du XVIIIe siècle par un personnage original, Dom Malachie d'Inquimbert,
ancien dominicain, devenu trappiste ; le Pape Clément XII le fit archevêque in partibus de Théodosie, et Louis XV le nomma
évêque de Carpentras en 1735. Dom Malachie apporta de Rome plus de quatre
mille volumes précieux. Passant à Aix, il acheta aux héritiers du président
de Mazauges les 16.000 volumes que laissait ce collectionneur. Il négocia
l'affaire en secret, de peur de soulever la jalousie des magistrats de la
ville, chargea ses richesses sur douze voitures et se mit en route pour
Carpentras. Bien lui en prit d'aller vile, car on courut après lui ; par
bonheur, on ne le rejoignit que quand il eut franchi Dans toutes ces collections travaillèrent nombre d'érudits, qui en tirèrent des publications considérables. Les Congrégations religieuses, et par-dessus tout les
Bénédictins, continuèrent leurs travaux commencés au siècle précédent et en
entreprirent d'autres, très considérables. Le Recueil des Historiens des
Gaules et de La plus considérable entreprise des Bénédictins fut la
publication des histoires des principales provinces de France. Les membres de
Un bénédictin, homme d'esprit supérieur, domina tous les érudits
de son temps : c'est D. Bernard de Montfaucon[11]. Issu d'une
famille noble du Languedoc, il avait servi, comme volontaire, dans l'armée de
Turenne en 1673 et 1674 ; puis il était entré au monastère Point du tout
mystique, gai, impétueux, batailleur, spirituel et fin, il fut un des plus
grands travailleurs du siècle. Il connaissait l'antiquité profane et les plus
anciens écrivains ecclésiastiques, savait l'hébreu, le syriaque et le copte.
Il traduisit le livre de Philon sur Les Jésuites poursuivirent de leur côté la publication des Acta sanctorum, jusqu'à la suppression de leur congrégation : cinquante-trois volumes avaient alors paru. Les Dominicains publièrent les écrits des membres de leur ordre[12] ; un Oratorien, le P. Lelong, donna, en 1719, le plus grand recueil bibliographique qui existe sur l'histoire nationale[13]. Mais la compagnie qui réunit de beaucoup le plus grand nombre d'érudits fut l'Académie des Inscriptions. Destinée à l'origine uniquement à composer les devises des médailles royales, elle avait eu son organisation modifiée par le règlement du 16 juillet 1701. Elle n'entreprit rien de notable avant 1715 ; après, sous la direction de l'abbé Bignon, elle commença de grandes publications collectives, analogues à celles des Bénédictins. Elle publia dans ses Mémoires, qui commencèrent à paraître en 1717, une série d'études originales sur les sujets les plus divers. Le chancelier Pontchartrain avait conçu le projet de recueillir dans une grande collection toutes les ordonnances des rois de France, et il en avait confié la publication à trois avocats, parmi lesquels Eusèbe de Lainière. Après l'apparition du premier volume en 1723, un membre de l'Académie, Secousse, se chargea de la continuation, quatorze volumes ont paru dans le cours du XVIIIe siècle sous le patronage de la compagnie. La publication des principaux documents d'archives
concernant l'histoire de France était une des ambitions de l'Académie. Elle
ne put la satisfaire, à cause de l'ampleur de cette entreprise, du moins Aux publications collectives, il faut ajouter les travaux personnels de membres de l'Académie. Ces travaux furent considérables. Lacurne de Sainte-Palaye continua les études de Ducange sur le moyen âge, dans ses Mémoires sur l'ancienne chevalerie et dans son Dictionnaire de l'ancien langage français, publié seulement de nos jours[15]. Le président Bouhier a donné des Remarques critiques sur les écrits de Cicéron. L'abbé Lebeuf écrivit une Histoire de la ville et du diocèse de Paris qui a paru digne d'une réédition en notre temps[16]. Nicolas Fréret[17], secrétaire perpétuel de l'Académie, critiqua d'une intelligence vive et très libre les idées reçues sur l'antiquité. En mythologie grecque, il ruina définitivement l'opinion qui ne voyait, dans les légendes grecques ou romaines, qu'une altération des traditions de l'Ecriture. Sur la question de l'origine des Pélages, il fit une rude guerre à un avocat nommé Gibert, qui prétendait faire descendre ce peuple des Syriens, en partant de l'hypothèse que Japet aïeul de Deucalion, était le même que Japhet, fils de Noé. Dans son étude sur les Cimmériens, parue en 1745, il montra l'ordre suivant lequel s'étaient opérées les migrations asiatiques, marchant du Pont-Euxin vers le Danube. Il entrevit la parenté des langues indo-européennes. Ainsi, pendant tout le cours du XVIIIe siècle, l'Académie
des Inscriptions contribua au développement des études d'érudition. Elle
appelait à elle l'élite des érudits, français et étrangers. Elle pourra,
après Les institutions et les coutumes de Dans ce grand et admirable travail de l'érudition française, patiente, ingénieuse et claire, apparaissent deux nouveautés l'histoire ecclésiastique est délaissée ; l'Église ne semble plus s'être intéressée à ses origines et à son développement historique, depuis que la révocation de l'Édit de Nantes lui a procuré la victoire. D'ailleurs, elle sait que les études critiques poussées à fond mettent la foi en péril. L'autre nouveauté c'est que l'érudition se mêle pour ainsi dire à la vie générale, et qu'elle a ses répercussions dans la politique. Très vive fut la curiosité des choses anciennes. Le public
s'intéressa à des dissertations sur les lois de l'ancienne Rome, comme D'autre part, la critique se porta sur nos origines
nationales. Fréret, pour avoir démontré que les Gaulois et les Francs
n'étaient pas de même race[21], fut un moment
mis à L'histoire de l'érudition au avine siècle témoigne donc d'une grande activité intellectuelle, en partie désintéressée, en partie tournée vers la pratique. Il y a corrélation entre les recherches sur les origines humaines et les recherches des physiciens sur les origines des choses. Historiens et physiciens avaient également l'inquiétude de savoir et de comprendre, la largeur des idées, la passion de la vérité. IV. — LES LETTRES. POÉSIE. PROSE. THÉÂTRE[22]. LE XVIIIe siècle n'a pas produit une esthétique nouvelle. Il est demeuré docile aux doctrines classiques et obéissant aux lois des genres. Voltaire recommandait de ne pas dire de mal de Nicolas, c'est-à-dire de Boileau, parce que cela porte malheur. Mais le temps et les mœurs déforment peu à peu l'idéal toujours respecté des classiques. Déjà la querelle des anciens et des modernes avait désabusé beaucoup d'esprits du préjugé grossier de l'antiquité, comme avait dit Perrault. Marivaux a publié en 1714 une Iliade travestie. Voltaire, dans Candide, déclare qu'il s'est mortellement ennuyé à la lecture de ce poème vénérable et le compare à ces médailles rouillées qui ne peuvent être de commerce. La raison se tourne toute vers l'avenir. Le mot progrès n'est pas encore en usage ; mais l'idée qu'il exprime hante l'esprit des écrivains. Les lettres sont invitées à contribuer à ce progrès en travaillant pour la société, ou, comme on disait avec un ton de respect, pour l'institution sociale. Il faut que même la poésie tragique, même la poésie lyrique apprennent à se rendre utiles, à servir. D'ailleurs, est-ce qu'on a besoin d'une poésie ? La poésie, avait dit Newton, est une niaiserie ingénieuse ; et les géomètres demandaient : Une tragédie, qu'est-ce que cela prouve ? Tout le monde, en effet, réclamait des raisons et des preuves. La guerre était déclarée à l'irrationnel, à l'absurde. Par là, on entendait à peu près tout ce qui fut longtemps aimé, admiré ou craint, toute la religion, toute la politique. A ce combat seraient impropres les armures amples et solennelles d'autrefois ; il y faut un équipement léger. La période est abandonnée, cette longue période, où des conjonctions, des relatifs marquaient la marche grave de l'idée. La nouvelle phrase, courte et vive, analyse clairement les idées ; elle aiguise les arguments en traits. La propriété des termes et l'ordre paraissent être les qualités essentielles du style. Mais on garde la tradition de l'élégance, et l'on est puriste, au point que le vocabulaire s'appauvrit. Les grands éducateurs du temps, les Jésuites, enseignaient le choix heureux des tours et des mots, et leurs élèves étaient délicats sur le détail. Le penchant des esprits va vers l'ironie spirituelle.
Ironie prudente, car les Parlements n'aiment pas les plaisanteries, et mon château de Enfin les esprits du XVIIIe siècle sont dispersés par leur
curiosité à travers les sujets les plus divers, philosophie, sciences,
géographie, et à travers des pays dont le nom était à peine connu des
classiques du XVIIe siècle. Déjà s'annoncent les
citoyens de l'univers. Si, à ces traits divers, on ajoute que les
mœurs sont, depuis La poésie fut très médiocre. Pour les écrivains en vers, le rythme, qu'ils ne sentent pas, semble n'être plus qu'une convention, un usage consacré. Ils se contentent d'orner leurs alexandrins monotones par ces beautés de détail, ces expressions heureuses, qui sont l'âme de la poésie, comme disait Voltaire. Il faut cependant remarquer que plusieurs versificateurs surent joliment manier le vers libre dans leurs petites pièces galantes. Le fameux poème épique de Voltaire, Des poètes lyriques multiplièrent les odes. Ils se bornaient à traiter des lieux communs de morale en des vers abstraits et chargés d'allégories, ou à paraphraser pompeusement les psaumes et les prophètes. Le plus illustre fut Jean-Baptiste Rousseau[23], qui choisit, sans vocation naturelle, le lyrisme ; il organisait de beaux désordres dans ses odes, suivant le précepte de Boileau. On ne peut, d'ailleurs, lui refuser de l'ampleur et de l'harmonie. Le goût était demeuré tellement classique que Jean-Baptiste fut tenu pour le prince des lyriques et réédité jusque vers 1820. On élabora quantité de poèmes didactiques : Louis Racine, petit-fils d'un grand père, comme a dit Voltaire,
fit sur Des esprits ingénieux s'avisèrent que la science pouvait fournir des thèmes nouveaux à la poésie. La cosmogonie de Newton a heureusement inspiré Voltaire dans une Épître à Madame du Châtelet en 1736. Après lui, Malfilâtre célébrera dans une ode le système de Copernic, le soleil fixe au milieu des planètes. Mais ce sont là des tentatives de poètes en quête de poésie, et qui rappellent les vers astronomiques des alexandrins. Malfilâtre et les autres n'ont fait que pressentir la poésie de la science. Mais les poètes de ce temps ont excellé dans les petits genres où il faut seulement de l'esprit et du tour : l'épître, la satire, souvent mise en dialogue ou en conte, le conte, le madrigal, l'idylle galante, les imitations des élégiaques latins, l'épigramme, où triomphe le très spirituel Piron[24]. Ici encore, ici comme partout, se retrouve Voltaire. Il varie à l'infini le cadre de ces courtes pièces ; tantôt c'est un monologue, tantôt un songe, tantôt une scène orientale. Il décrit avec complaisance tout ce qui embellit la vie : les fêtes, les jolis meubles, les porcelaines, le superflu, chose si nécessaire, et aussi les sentiments mesurés et délicats, l'amitié, la résignation à vieillir et le plaisir que donnent les lettres. L'Épître à Horace serait le chef-d'œuvre de cette poésie épicurienne, si quelques stances à Mme du Châtelet, écrites en 1741, sur l'amour et l'amitié, répare des Tu et des Vous à Mlle de Livry, et le madrigal à la princesse Ulrique de Prusse n'étaient encore plus exquis. Dans la prose, il faut ranger à part un écrivain de génie,
qui fut connu seulement de quelques contemporains, et par des fragments[25], c'est le duc de
Saint-Simon[26]. Retiré de Entre les écrivains de cette période, qui furent très nombreux et qui écrivent tous du même style, les deux plus grands se distinguent : Voltaire, par l'abondance, la légèreté, l'aisance, la finesse, la grâce, les images rapides et amusantes, et le mouvement endiablé ; Montesquieu par la finesse aussi, et les vives images courtes, par une certaine préciosité, mais surtout par la concision, par la gravité et par des traits de poésie où s'entrevoit l'homme qui fit un jour une belle invocation aux Muses : Vierges du mont Pière... je cours une longue carrière, je suis accablé de tristesse et d'ennui. Divines muses, je sens que vous m'inspirez non pas ce qu'on chante à Tempé sur les chalumeaux ou ce qu'on répète à Délos sur la lyre ; vous voulez que je parle à la raison ; elle est le plus parfait, le plus noble et le plus exquis de nos sens. La politique et l'histoire sont les sujets des principales œuvres en prose de la période. La plupart de ces œuvres ont été déjà citées ; il y faut ajouter l'Histoire de Charles XII de Voltaire, qui fut tenté par ce personnage épique et tragique, et fit œuvre d'historien par le soin qu'il mit à recueillir les témoignages écrits et oraux ; en même temps il donna un modèle de narration historique. L'Histoire de Charles XII parut en 1731. Duclos[27] écrivit une Histoire de Louis XI, qui n'a plus d'intérêt aujourd'hui, et des Considérations sur les mœurs de ce siècle, dont le succès fut grand, et qui sont un document curieux. Les vieux genres nobles survivaient. Mais ni l'éloquence religieuse ni l'éloquence judiciaire ne produisirent de grandes œuvres. Le seul prédicateur glorieux fut Massillon[28], évêque de Clermont, dont les sermons furent publiés en 1745, trois ans après sa mort. Massillon, harmonieux, élégant, abondant, donnait plus de place à la morale qu'à la doctrine. Par là et par une certaine sensibilité, il plut aux philosophes, comme leur plaisait Fénelon. — Le chancelier d'Aguesseau[29] a laissé des Mercuriales, des Instructions et des Plaidoyers écrits avec soin ; mais il parle une langue oratoire, convenue et ennuyeuse. Il a dû sa renommée à la dignité de son caractère plutôt qu'à son talent, à sa fidélité aux opinions gallicanes plutôt qu'à la force de sa pensée. Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, était un officier sans fortune, qui revint malade de la retraite de Bohême, en 1743, sollicita un emploi dans les ambassades, ne l'obtint pas, essaya de se faire un nom dans les lettres, reçut les encouragements de Voltaire, et mourut à l'âge de trente-deux ans. C'était une belle âme, éprise de passions nobles, aimant la nature, amoureuse de la gloire, mélancolique et solitaire. Il disait qu'il y a des moments de force, des moments d'élévation, de passion et d'enthousiasme où l'âme peut se suffire et dédaigner tout secours, ivre de sa propre grandeur. Quelques lettres, une Introduction à l'histoire de l'esprit humain, des Réflexions et Maximes ont assuré lentement, mais sûrement, sa réputation. Bien qu'il eût l'esprit très libre, il n'avait pas en la raison la confiance satisfaite et bornée de ses contemporains. Il savait que les grandes pensées viennent du cœur, qu'on ne fait pas beaucoup de grandes choses par conseil, et se demandait si l'éloquence ne vaut pas mieux que le savoir. Les romans continuèrent d'être à la mode. Marivaux[30] doit sa célébrité
au théâtre ; mais il fut apprécié comme romancier. Il a écrit L'abbé Prévost[31] était prédestiné
à écrire des aventures, étant lui-même aventurier : élève des Jésuites,
déserteur de l'état ecclésiastique auquel il était destiné, soldat, revenu
chez les Jésuites, de nouveau soldat, réfugié chez les Bénédictins de
Saint-Maur, collaborateur à Cependant, le goût public se portait vers les œuvres courtes et vives. On aimait l'allégorie des apologues, les dialogues brefs à discussions vives, les facéties où des personnages, avec un grand sérieux, se ridiculisent eux-mêmes, et les contes surtout. Après les contes délicieux de Hamilton, publiés en 1730, on lut les contes grivois de Crébillon fils et de Voisenon, qui exposaient les mauvaises mœurs de la bonne compagnie. Duclos jugeait ainsi ces mœurs : On se plaît, on se prend ; comme on s'est pris sans s'aimer, on se sépare sans se haïr. Il dénonçait cette espèce d'athéisme en amour, l'égoïsme et la vanité des petites maîtresses, et la sécheresse de cœur des amants quittant une femme comme un effet qui devait rentrer dans le commerce. Voltaire inaugura par Le monde comme il va, par Zadig et par Micromegas la longue série de ses contes, où peut-être pas une des idées du temps n'a été omise. D'amusants personnages s'y meuvent dans des aventures invraisemblables. Voltaire y donne toute sa philosophie claire, simple, courte, ironique, irrespectueuse, humanitaire, sans illusions d'ailleurs sur la valeur de l'homme. Peut-être la plus grande passion littéraire de ce temps fut-elle pour le théâtre, en vers ou en prose. La tragédie continua d'être le genre noble par excellence ; mais on sentait le besoin de renouveler le genre. Lamotte-Houdart réussit à surprendre les spectateurs par l'apparat de quelques scènes et surtout à les attendrir par son Inès de Castro, en 1723. Dans les Discours qu'il joignit à l'édition de ses œuvres, en 1730, il indique des moyens de rajeunir la tragédie : multiplier les personnages, mettre les événements en spectacle plutôt qu'en récit, varier la peinture de l'amour par la couleur locale ; il critique les unités et recommande l'emploi de la prose. Voltaire imitait la tragédie de Racine ; comme lui, il incarnait des passions dans des personnes célèbres : en Mérope, l'amour maternel, et, en Orosmane, la jalousie. Il imitait aussi le style de Racine, mais il écrivait trop vite ses tragédies ; il acheva en dix jours Zaïre, où il prétendait exprimer ce que l'amour a de plus touchant et de plus furieux. Puis il fit du théâtre un moyen de propagande pour ses idées, plaida contre la tyrannie et pour la tolérance dans Brutus et dans Mahomet ; l'art passait ainsi au second plan. Voltaire fut un dramaturge habile, clair, avec du pathétique et de l'éloquence, mais sans originalité ni puissance créatrice. Comme on a vu, il a fait connaître Shakespeare en France[32]. Il en a traduit des fragments ; il a donné à l'Orosmane de Zaïre quelque parenté avec Othello et introduit l'ombre de Ninus dans Sémiramis. Mais bientôt il s'offusqua de l'admiration que quelques-uns témoignaient au génie du grand poète. Il dit d'Hamlet qu'on croirait que cet ouvrage est le fruit de l'imagination d'un sauvage ivre. A la fin de sa vie, il plaidera, dans une lettre à l'Académie, pour Corneille, Racine et Molière, contre ce saltimbanque qui a des saillies heureuses et qui fait des contorsions. Un des rajeunissements employés par Voltaire dans la
tragédie fut le choix de milieux exotiques. Zaïre se passe en pays
musulman, ce qui permet de faire voir sur la scène un mélange de plumets et de turbans ; Alzire, au Pérou
; l'Orphelin de La comédie fut renouvelée par l'esprit de Marivaux, dont
le théâtre est l'œuvre la plus originale qu'ait produite l'art dramatique au XVIIIe
siècle. Ses meilleures comédies, Arlequin poli par l'amour, J'ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour, lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ces niches... Dans mes pièces, c'est tantôt un amour ignoré des deux amants, tantôt un amour qu'ils sentent et qu'ils veulent se cacher l'un à l'autre, tantôt un amour timide qui n'ose se déclarer ; tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi né pour ainsi dire, dont ils se doutent sans être bien sûrs, et qu'ils épient au dedans d'eux-mêmes, avant de lui laisser prendre l'essor. Ainsi l'amour n'est plus un moyen de la comédie, propre à révéler les caractères des personnages ; il en est le sujet même. Marivaux l'analyse avec une telle finesse que Voltaire l'accuse de peser des œufs de mouche dans des toiles d'araignée, mais sa délicatesse est exquise. La grâce un peu maniérée du siècle est en lui comme en Watteau. D'autres écrivains continuaient la tradition de la comédie
de caractères ; mais déjà, en 1732, Destouches[33], l'auteur du Glorieux,
se vante d'avoir pris un ton qui a paru nouveau
même après Molière ; il a, en des scènes pathétiques, mis la vertu dans un si beau jour qu'elle s'attire l'estime et
la vénération publiques. La passion du théâtre se manifeste, au XVIIIe siècle, par
le grand nombre de scènes particulières. Il n'y avait guère de réception
mondaine où la moitié de la compagnie ne montât sur les planches devant
l'autre moitié. Les collèges des Jésuites et les riches couvents faisaient
jouer leurs élèves. En 1753, les magistrats exilés à Bourges avaient deux
troupes, qui, pendant quinze mois, donnèrent la plupart des pièces du
répertoire. A Sceaux, la duchesse du Maine transforma en salle de spectacle
une galerie de son château. Voltaire joua en 1750, sur ce théâtre, Rome sauvée, dont la duchesse lui
avait donné l'idée ; il y tint le rôle de Cicéron. Un mois avant la mort de
la duchesse, en décembre 1752, il écrivait : Mettez-moi
toujours aux pieds de Mme la duchesse du Maine. C'est une âme prédestinée ;
elle aime la comédie, et quand elle sera malade, je vous conseille de lui
administrer quelque pièce au lieu de l'extrême-onction. On meurt comme on a
vécu. Le duc de Chartres jouait la comédie avec la duchesse à
Saint-Cloud. Maurice de Saxe a conduit en campagne la troupe de Favart. Chez
les Brancas jouèrent les Forcalquier, les Pont-de-Veyle et le président
Hénault. Tous les amis de Mme du Deffand, les Du Châtel, les d'Ussé, les
Mirepoix, les Luxembourg, sont montés sur le théâtre. Naturellement, les
financiers imitaient et quelquefois surpassaient les grands seigneurs. De toutes les troupes d'amateurs, la plus curieuse fut celle du Prince-abbé de Clermont. Il avait renoncé aux armées depuis qu'on lui avait refusé le commandement du siège de Berg-op-Zoom ; il conduisit ses aides de camp dans sa maison de Berny, pour leur faire jouer la comédie. Entouré de libertins comme lui et de filles de théâtre, spirituel, point du tout lettré, ignorant l'orthographe, mais épris de littérature, il se donna des airs d'auteur. Quand son fournisseur théâtral, le sieur Collé, écrivit Barbarin ou le Fourbe puni, il laissa dire que c'était la pièce du prince. Ses frères et ses cousins lui reprochaient de se commettre avec des gens de plume. Pour se venger de cette impertinence, Duclos et d'Alembert le firent entrer à l'Académie Française. Le triomphe du théâtre de Clermont fut un genre nouveau, la parade. Des grands seigneurs, Maurepas, Caylus, le comte d'Argenson et le chevalier d'Orléans avaient pris goût aux parades des foires Saint-Germain et Saint-Laurent. Collé imagina d'en coin-poser pour la scène. C'étaient des bouffonneries semblables à celles de nos cafés-concerts. Des grandes dames s'amusaient à s'habiller en maîtresses de cafés, et des grands seigneurs, vêtus d'une veste et coiffés d'un bonnet blanc, à s'entendre appeler Garçon. Ce fut, d'ailleurs, le moment où des dames s'avisèrent de transformer leurs salons en cafés. V. — LES ARTS[35]. ON a vu, pendant les dernières années de Louis XIV et
surtout au temps de Depuis le temps de Louis XIV et de Colbert, la direction des Arts n'a pas changé ; ils sont administrés par un Directeur des bâtiments ; ce titre a remplacé celui de surintendant général[36]. Le Directeur ne relève que du Roi ; il a sous ses ordres un premier commis, des trésoriers, des intendants, des contrôleurs, un premier peintre et un premier architecte du Roi. Il fait les commandes, accorde les pensions et les logements d'artistes au Louvre ; de lui dépendent les Académies de peinture et d'architecture et l'Académie de France à Rome, où les élèves travaillent pour le Roi. L'Académie de peinture et de sculpture continue à
enseigner, à distribuer des récompenses et à choisir les élèves pour l'École
de Rome. Ses membres, académiciens ou agréés, sont seuls admis aux
expositions officielles. L'Académie d'architecture, définitivement organisée
en 1717, est un corps enseignant comme l'Académie de peinture et de
sculpture. Ces Académies conservent la doctrine classique, fondée sur la
double imitation de l'antiquité grecque et romaine et de l'art italien des XVIe
et XVIIe siècles. Raphaël, Carrache et Poussin demeurent les grands maîtres
et modèles. Les sujets donnés pour les morceaux de
réception ou pour le concours des prix de Rome sont toujours pris dans
En 1748 est fondée l'École royale
des élèves protégés, où des boursiers du Roi se préparent à l'Académie
de Rome. Ils devaient lire ou entendre lire l'Histoire universelle de Bossuet, l'Histoire ancienne de Rollin, l'Histoire des Juifs du P. Calmet, des extraits d'Hérodote, de
Thucydide, de Xénophon, de Tacite, de Tite Live, Homère, Virgile, Ovide et
les auteurs qui ont écrit sur L'autorité s'est affaiblie dans l'art, comme dans tout le
reste ; celle du Directeur et des Académies n'est guère plus que nominale.
Les mœurs ont prodigieusement changé ; avec la discipline, se sont évanouies
la majesté et la gravité. On veut de la fantaisie, de la joie, de la volupté.
Un nouveau public d'amateurs s'est formé, fermiers généraux, parlementaires,
grands seigneurs, d'humeur libre, d'esprit éclectique, qui préfèrent l'art
vibrant et lumineux de Titien et de Véronèse, ou celui de Rubens, ou l'art
familier et réaliste des Pays-Bas, même de Rembrandt, à la gravité sereine de
Raphaël et à la correction froide des Carrache. Or, les artistes vivent en
relations étroites avec les amateurs, desquels ils dépendent plus encore que
du Directeur des bâtiments, fonctionnaire d'un État appauvri et qui
s'intéresse fort peu aux arts. Ils sont, d'ailleurs, mêlés au monde beaucoup
plus que ne le furent leurs prédécesseurs du XVIIe siècle. Ils trouvent des
inspirations dans les fêtes aimées par Ainsi s'est formé, sous la direction classique officielle,
un art en opposition avec le classicisme, et, bien que persiste une doctrine
arrêtée, un art libre et de fantaisie. Cependant les théoriciens ne cessent
de prêcher le retour aux traditions saines. Les deux tendances opposées se
rencontrent dans les salons du temps, c'est-à-dire
dans les expositions, inaugurées au temps de Louis XIV, en 1673 probablement,
et qui, interrompues en 1704, reprises trente ans après, devinrent bientôt
bisannuelles. Les livrets de ces salons montrent que la plus grande place est
restée à la peinture et à la sculpture académiques ; mais le nombre s'accroît
régulièrement des sujets familiers, réalistes, galants, auxquels va la
sympathie du public. Le succès de l'art nouveau est plus sensible
naturellement dans les expositions des jeunes, qui se font à la place
Dauphine et attirent la foule, que dans les salons
officiels réservés aux membres de l'Académie. D'ailleurs, il ne faudrait pas
se laisser prendre aux titres des œuvres ; les motifs antiques ne sont plus
traités avec la gravité d'autrefois. Ils donnent prétexte à de brillants
décors d'architecture et à des costumes éclatants ; les personnages ont
l'élégance et la désinvolture des marquis et marquises du temps. L'histoire
ancienne — Les architectes en réputation furent Robert de Cotte,
Boffrand, Gabriel et Blondel[37]. L'architecture
exprime nettement les deux directions de l'art. Dans les traités
d'architecture, très nombreux, parmi lesquels il s'en trouve de Boffrand et
de Blondel, prévaut la pure doctrine classique. On y invoque l'autorité de
Vitruve et de ses disciples italiens, Vignole et Palladio, on y prescrit
l'emploi des ordres et des proportions comme l'avaient pratiqué les purs
classiques ; on y parle de la saine architecture.
La doctrine classique, on s'applique à la suivre dans la construction des
monuments publics ; les portails des églises, celui de Saint-Roch, celui des
Petits-Pères, celui de l'Oratoire, celui de Saint-Thomas d'Aquin, achevés en
1738, en 1740, en 1745, auraient aussi bien pu être élevés par Le Mercier ou
par Mansart ; on y trouve en effet les colonnades, les frontons, les
entablements, d'aspect sage et froid. Et déjà le portail de Saint-Sulpice,
bâti de 1733 à 1745 sur les dessins de Servandoni, annonce le retour au
classicisme ; du moins, les partisans de l'ancienne doctrine s'empressent de
le proclamer. Lorsqu'il fut question, en 1750, de créer la place Louis XV,
aujourd'hui place de Au contraire, dans l'architecture privée, toute trace du style Louis XIV a disparu. Les châteaux et les hôtels prennent un aspect moins solennel : plus de corps de logis en saillie ; plus d'ailes avancées ; une décoration extérieure aplatie et comme collée à la muraille, quelquefois un avant-corps sur la façade, en saillie légère, avec pilastres et fronton ; un air de simplicité élégante. Mais ce sont les intérieurs surtout qui sont changés. La transformation, commencée dans les premières années du siècle, s'achève. Auparavant, on donnait tout à l'extérieur, à la magnificence... et l'on ignorait l'art de se loger commodément et pour soi. Maintenant, on ne veut plus de pièces qui se commandent les unes les autres ; on ménage de petites galeries, de petits escaliers, cachés quelquefois dans la profondeur des murailles. Les jolis boudoirs, les cabinets se multiplient. Même le château de Versailles est profondément remanié. En même temps qu'ils recherchaient le confortable, les
architectes enlevaient à la décoration intérieure ses formes rigides.
Boffrand décore l'hôtel Soubise, — aujourd'hui Palais des Archives
nationales, — l'hôtel de Samuel Bernard, le château de Cramayel-en-Brie. A
l'hôtel Soubise, les motifs de feuilles et d'attributs, les sujets tirés des
fables de Meissonier, le grand Meissonier,
donne dans ses traités ou recueils d'architecture, de mobilier ou
d'orfèvrerie, des modèles sans nombre aux fabricants et aux ouvriers. Les
ouvriers d'alors sont de vrais artistes : Cayeux est habile aux ornements de
corniches et aux chutes de fleurs ; Deux nouveautés eurent alors grand succès, l'acajou et le vernis Martin. En 1720, un médecin de Londres, M. Gibsons, se fait faire un bureau en acajou, pour utiliser des billes de bois qui ont servi de lest sur un navire ; la couleur rouge et la variété des veines font la fortune de l'acajou. Comme la mode était aux laques de Chine et du Japon, les ébénistes envoyaient des meubles en Orient pour les faire laquer ; mais les frères Martin demandèrent à fabriquer eux-mêmes des laques, et un arrêt du Conseil, en 1744, leur en donna le privilège pour vingt ans. Alors les lambris, les meubles, les plafonds, les carrosses, les chaises à porteur furent vernissés. La passion du vernis est telle qu'à Versailles on en recouvre d'admirables lambris en marqueterie exécutés naguère par Boulle. Les frères Martin furent appelés à l'étranger ; c'est à Potsdam, dans les collections du grand Frédéric, qu'il faut aujourd'hui chercher les plus beaux modèles de leurs décors. Le mobilier du temps charme par son aspect de richesse,
d'élégance, de légèreté, de grâce un peu précieuse.
Les mémoires de Luynes décrivent la chambre de Le président Hénault avait deux salons communiquant par une baie à colonnes, dont l'un pouvait être accommodé en scène pour jouer la comédie. Le moins grand était décoré de boiseries où les tableaux alternaient avec les glaces ; le plus grand avait huit glaces garnissant des trumeaux, huit tableaux au-dessus des glaces, et deux autres encore, au-dessus des portes. Les portières étaient en damas cramoisi ; un lustre en cristal de Bohème pendait au plafond. Avec cela, des consoles en bois sculpté et doré, des fauteuils, des chaises, des tabourets, des bergères en bois doré, une pendule de Mathieu dans sa botte, des figures de Saxe et des porcelaines de vieux Chine. L'art des ciseleurs et des orfèvres donna de jolis
bibelots — bottiers de montres, tabatières, pommes de canne, manches de
couteau — et des œuvres de grand luxe[41]. Thomas Germain
exécuta des toilettes pour les reines et les
grandes dames, des vaisselles pour les rois, des orfèvreries pour les
chapelles. Roettiers fit un service de vaisselle pour Presque autant que le bijou, la broderie et la dentelle étaient œuvres d'art. Dans les habits, la broderie employait l'or et l'argent en fils, en grains et en paillettes, et la soie torse ou plate. Même de petits rubans comme ceux qui servent de signets dans les livres étaient brodés. La broderie passa des habits aux meubles et aux carrosses. La dentelle orna les déshabillés galants, les dessus de lit, les garnitures de draps ou d'oreillers : dentelles d'Alençon dont les fonds à mailles étaient en bride tortillée ; dentelles de Valenciennes, sans relief, recherchées pour les déshabillés ; dentelles de Chantilly, un des plus jolis produits de l'Île-de-France. La fabrication de la faïence et de la porcelaine fut une industrie très prospère. Les faïenciers de Rouen exécutaient sur leurs plats des scènes de l'Ancien Testament, des motifs mythologiques ou simplement des bordures décoratives ; ils faisaient des vases de cheminée, des fontaines et des brocs à cidre. Ceux de Strasbourg donnèrent le ton dans tout l'Est ; ceux de Marseille travaillèrent dans le goût de Strasbourg, mais avec un coloris plus pâle et un dessin plus recherché. Vers 1740, on s'inquiéta en France des progrès que la fabrication accomplissait en Saxe et en Angleterre ; en Saxe, Bœttcher avait trouvé le secret de la porcelaine dure et commencé la fortune de la célèbre manufacture de Meissen. Une société privilégiée se forma donc à Vincennes, sous le nom du Sr Adam, avec protection et subsides du Roi ; elle eut le peintre Bachelier pour directeur artistique ; le chimiste Hellot y chercha les couleurs du grand feu et le céramiste Gravant la perfection des blancs dans les vases ornés de reliefs et dans les groupes en biscuit. Vincennes produisit surtout des fleurs en porcelaine sur feuillage de bronze. Mme de Pompadour encouragea la fabrique de Vincennes, mais surtout celle de Sèvres, fondée en 1760, et qui bientôt luttera avec succès contre ses rivales de l'étranger. On peut distinguer dans la peinture de ce temps quatre genres : la peinture galante, la peinture académique, la peinture de portraits, la peinture réaliste et bourgeoise. Beaucoup d'artistes, d'ailleurs, travaillèrent en plusieurs genres. Watteau eut pour continuateurs Lancret et Pater[42]. Ces deux peintres galants avaient dans l'imagination plus de fantaisie que de poésie ; leur art se rapproche, plus que celui de Watteau, de la vie réelle. Leurs bals élégants et leurs bergeries furent très admirées. Les peintres académiques étaient nombreux et féconds. De
Troy peignit, de 1722 à on, cent soixante toiles. Van Loo[43] a peint, dans le
chœur de Notre-Dame des Victoires, sept tableaux de six mètres sur cinq. La
superficie du plafond d'Hercule, de
Lemoyne[44], à Versailles,
qui est d'ailleurs une chose admirable, est de plus de cent mètres carrés.
Les sujets ordinaires de ces toiles sont pris dans l'histoire, la mythologie
ou la poésie, grecques ou romaines, comme l'Énée et Anchise, de Van Loo, les
Aventures de Psyché, de Natoire, et le Vulcain et Vénus, de Boucher, à
l'hôtel de Soubise ; ou bien dans l'histoire chrétienne, comme le Jésus sortant du tombeau et les scènes
de Les portraits eurent une grande vogue. Rigaud et
Largillière[45], survivants du
temps de Louis XIV, en continuèrent la tradition grave, mais assouplie par
les changements des modes et des physionomies, Nattier[46], plus jeune
qu'eux, aime la peinture allégorique ; il peint Mme de Maison-Rouge en Vénus
attelant des pigeons à un char ; Mme Geoffrin en nymphe dévêtue ; Mme de
Châteauroux en déesse de Tout différent fut Quentin La Tour[47]. Il n'avait pas
reçu d'éducation régulière ; son père, musicien de l'église collégiale de
Saint-Quentin, l'avait envoyé à Paris sans argent. Lors des fêtes du sacre,
en 1722, il se faufila auprès de l'ambassadeur d'Angleterre, dont il fit le
portrait, et qu'il suivit à Londres, où il étudia les portraits de Van Dyck
et ceux du Hollandais Peter Lely, qui avait peint des centaines de ladies. Le peintre qui représente le mieux l'art du XVIIIe siècle
est François Boucher[48]. Il a fait de la
peinture académique, et, par exemple, un Evilmérodach,
fils de Nabuchodonosor, délivrant Joachim des chaînes dans lesquelles son
père le retenait ; mais c'était un sacrifice à l'usage traditionnel et
aux prix de l'Académie. Il préférait la mythologie : le Soleil chassant Il est encore de son temps par son abondance, sa facilité, sa rapidité qui ne lui permirent pas de chercher le fond des choses. Il peint trop et trop vite, comme beaucoup d'écrivains ses contemporains ont écrit trop vite et trop. Boucher a laissé dix mille dessins, mille tableaux ou esquisses. Comment aurait-il pu étudier la nature, méditer et rêver sur elle ? Il n'est donc pas un peintre vrai : Cet homme a tout, excepté la vérité, disait Diderot, qui pourtant avait rendu justice à ses mérites : Quelles couleurs ! quelle variété ! quelle richesse d'objets et d'idées. Chardin[49] est le grand
artiste de ce moment du siècle. Fils d'ouvrier, il a travaillé dans quelques
ateliers de peintres en vue, mais il n'est en réalité l'élève de personne. Il
est un exact et perspicace amateur de la nature ; il a peint les natures
mortes, des poissons encore gluants de l'eau de mer, une raie pendue au croc,
des gibiers, des fruits ; peut-être n'est-il surpassé en ce genre que par
Rembrandt. Mais il est surtout le peintre des scènes de la vie modeste et
réelle : une Mère laborieuse, qui montre à broder à sa fille ; une mère qui,
devant la soupe fumante, récite le Bénédicité,
que répètent deux charmants vrais enfants, une Pourvoyeuse qui rentre du marché et va poser son paquet sur la
table. Ses intérieurs sont ceux de la petite bourgeoisie ; les murs sont à
peine décorés et les meubles tout simples ; mais cette simplicité est relevée
par le goût délicat et la distinction qui se retrouvent dans toutes les
choses du temps. Chardin est peut-être,
disait Diderot, un des premiers coloristes de la
peinture. A soixante-dix ans, il se mit au pastel. Il s'est peint,
coiffé d'un bonnet blanc à visière verte ; par-dessus de grosses besicles, il
regarde. La lumière joue sur le front, les pommettes et le bout du nez pincé
par les besicles. La figure est large, puissante, fermement modelée,
réfléchie, fine. Le grand mérite de Chardin, comme celui de La sculpture était très appréciée au XVIIIe siècle ; les commandes du Roi, des riches particuliers et des églises abondaient. Le public, épris de pittoresque, aimait la variété des matières employées par les artistes — le marbre, le bronze et la terre cuite, — et la liberté et l'éclat de leur style. Neveux et disciples de Coysevox, les deux Coustou[50], Nicolas et Guillaume ont gardé les traditions de l'art de Louis XIV, en y introduisant de la souplesse, du mouvement et de la sensibilité. La sculpture du XVIIIe siècle tendait à une sorte d'allure passionnée, comme on le voit par les Chevaux du Soleil de Robert le Lorrain, à l'hôtel de Rohan, et par les Chevaux de Marly, de Guillaume Coustou, aujourd'hui à l'entrée des Champs-Élysées. Bouchardon[51] a sculpté et
gravé, fait des monuments en même temps que des bustes, publié une suite
d'estampes, les Cris de Paris,
donné des modèles de monnaies royales, illustré des livres. Il avait
l'instinct de la vérité et l'amour de la forme humaine vivante. Il a fait un
très curieux effort pour concilier la nature et la tradition classique. On le
voit, dans ses dessins préparatoires, observateur scrupuleux de la nature ;
mais, dès qu'il les fait passer dans le marbre, il interprète ses figures et
les idéalise. Pour la statue équestre du Roi, destinée à la place Louis XV et
que détruisit Pigalle appartient surtout à la seconde partie du siècle. En lui se retrouvent les deux tendances. Il est semi-classique dans le Mercure attachant ses talonnières, qui fut son morceau de réception à l'Académie, et dans le groupe de l'Amour et l'Amitié sculpté pour Mme de Pompadour ; mais il se plaît au sensuel des formes alanguies et coulantes. Il est, du reste, un artiste capable, comme on verra plus tard, de monuments de solennelle allure. Comme en peinture, la grande vogue en sculpture fut aux
portraits. S'ils étaient réunis, les bustes composeraient une galerie de la
société du temps. Les sculpteurs portraitistes sont des réalistes. Ils
représentent les hommes avec un air d'aisance dégagée, les femmes avec un
sourire de grâce spirituelle, et traitent avec une souplesse exquise les
costumes, les perruques, les chevelures bouclées, tous les accessoires. Le
grand sculpteur en bustes fut J.-B. Lemoyne[52] ; ses portraits
de Louis XV, de Mlle Clairon, de Crébillon, etc., sont d'une souplesse de
travail, d'une intensité de vie, d'une vivacité d'expression, qui rappellent
les portraits de J.-B. Le Moyne est aussi l'auteur d'un tombeau de Mignard, dont les débris sont à l'église Saint-Roch à Paris ; la fille de Mignard, Madame de Fouquières, y est vêtue d'une robe chiffonnée, qui ne convient guère à sa douleur, et ses bras superbes se tordent sans qu'elle perde rien de sa grâce. C'est de la sculpture décorative et ornemaniste. Ce genre fut pratiqué par les Adam et surtout par les Slodtz, une famille flamande ; le plus célèbre des Slodtz, René-Michel Slodtz[53] — dit Michel-Ange — fut le maitre de Houdon. Les Slodtz ont sculpté des chaires où sautillent les Vertus théologales, des monuments funéraires mélodramatiques et pittoresques. De Michel-Ange Slodtz est le tombeau du curé Languet de Gergy, à Saint Sulpice ; le curé est étendu sur un sarcophage : un squelette, le Temps avec la faux et le sablier symboliques, l'ange de la religion, des marbres jaunes, rouges, noirs et blancs chatoient en un style d'opéra. La gravure fut aussi un art très aimé. Tantôt elle
continue, comme avec les Drevet de Lyon, la tradition classique des beaux
portraits historiques ; Pierre-Imbert Drevet[54] a gravé un
admirable Bossuet. Mais, le plus souvent, le graveur interprète les œuvres
des peintres — l'estampe a popularisé Watteau et Boucher —, ou bien il
dessine et représente les scènes de la vie contemporaine. Charles Nicolas
Cochin[55], fils du graveur
de l'œuvre de Watteau, a débuté en 1736 par Le feu d'artifice tiré à Rome pour la naissance du Grand Dauphin.
En 1739, il est entré aux Menus Plaisirs du Roi ; témoin de la vie de Ces artistes ressemblent aux écrivains leurs contemporains par leur imagination riante, aimable et gracieuse. Ils dessinaient comme on écrivait, d'un crayon facile, aiguisé, un peu sec. Leur œuvre, si abondante, révèle aux historiens les aspects divers de la vie au XVIIe siècle. C'est peut-être la gravure et l'illustration des livres qui donnent le mieux l'idée de cette société élégante, sensuelle, libertine et qui, si légèrement, jouissait de la vie. La musique[56] tient une place importante dans la vie intellectuelle de la nation. Le goût musical s'est notablement développé depuis que les cantates et les sonates ont été importées d'Italie ; malgré la boutade de Fontenelle — Sonate, que me veux-tu ? — la musique pure, sans atteindre à la popularité de l'opéra[57], commence à compter des amateurs passionnés. Les expériences d'acoustique et les divers systèmes d'harmonie provoquent, parmi les savants et les théoriciens, de vives controverses. A l'apparition de toute œuvre marquante, les esthétiques différentes se formulent dans de grandes querelles musicales, où des écrivains et des philosophes bataillent aux côtés des musiciens. Jean-Philippe Rameau[58] domine toute
cette époque. Son père, l'organiste Jean Rameau, dirigea sa vocation musicale
par une éducation attentive et sévère. Rameau quitta le collège des Jésuites
au sortir de la quatrième, fit en 1701 un très court voyage en Italie, puis
mena pendant vingt ans une existence errante à travers C'est surtout comme théoricien qu'il se fit d'abord connaître, et il préféra toujours sa réputation de savant à sa gloire d'artiste. Il publia en 1722 un Traité de l'Harmonie réduite à ses principes naturels, qui fit grande impression parmi les savants et les philosophes. Jusqu'à la fin de sa vie, il ne cessa d'écrire pour défendre ses idées et pour compléter ou perfectionner son système. Ce système, résumé par d'Alembert en 1752 dans ses Éléments de musique théorique et pratique suivant les principes de M. Rameau, porte bien la marque de l'esprit du siècle ; il substitue la raison et l'expérience aux traditions incohérentes de l'ancienne théorie musicale. Par le principe de la basse fondamentale et du renversement des accords, l'harmonie se trouve à la fois enrichie et simplifiée. Aussi Rameau reçut-il d'un de ses contemporains ce compliment qu'il était aussi grand philosophe que grand musicien. Avant d'arriver à Paris, Rameau n'avait encore composé que
son Premier livre de Pièces de Clavecin, paru en 1706, quelques cantates et
peut-être quelques pièces d'orgue. A Paris, il aurait voulu débuter à l'Opéra
; mais il dut se contenter d'abord de travailler pour les théâtres qui
jouaient aux foires célèbres de Saint-Germain et de Saint-Laurent. La
protection du financier Lullistes et Ramistes se réconcilièrent pour défendre la
musique française contre l'invasion étrangère. En 175, des acteurs italiens
jouèrent à Paris Rousseau et les Encyclopédistes intervinrent dans la querelle qui s'éleva. Rousseau écrivit en 1753 sa Lettre sur la musique française ; il y déclare que la langue française n'ayant ni mesure, ni mélodie, les Français n'ont point de musique, et n'en peuvent avoir, et que le chant français n'est qu'un aboiement continuel. Dans son Essai sur l'Origine des Langues, il attribue la même incapacité aux Allemands et aux Anglais, pour la même cause, et cela trois ans après la mort de Sébastien Bach, et au moment ou Haendel payait par des chefs-d'œuvre l'hospitalité que lui donnait l'Angleterre. Rousseau ne croyait pas même les Français capables d'imitation. Cela n'empêcha pas qu'ayant composé avant cette polémique le Devin de Village, et, ne voulant pas avoir perdu sa peine, il le fit représenter. Les chants simples et expressifs du Devin eurent un grand succès ; Rousseau s'était donc donné à lui-même un démenti. Au reste, ce n'était pas sans raison qu'il reprochait à l'Opéra français sa mythologie surannée, ses ballets conventionnels, son orchestre trop bruyant et qu'il réclamait des œuvres musicales plus humaines et plus touchantes. Les Encyclopédistes ont émis dans cette discussion beaucoup d'idées très pénétrantes qui annoncent le drame lyrique moderne ; mais ils ont méconnu la valeur et le pouvoir de la musique symphonique. Les défenseurs de la musique française se rangeaient au
théâtre sous la loge du Roi ; c'était le coin du Roi.
Les partisans des Italiens formaient en face d'eux le coin de Rameau n'eût pas de rivaux véritables dans le genre de
l'opéra. Il faut pourtant mentionner parmi ses contemporains Mondonville,
dont l'opéra de Titon et l'Aurore,
joué en 1753, fut défendu avec acharnement par le Coin
du Roi, et Philidor, l'auteur d'Ernelinde,
joué en 1761 ; mais ce dernier s'exerça surtout dans l'opéra-comique. Ce
genre mixte, caractérisé par l'alternance du parlé et de la musique, a son
origine dans les comédies en chansons que l'on jouait au théâtre de VI. — LES SALONS[60]. TOUT ce monde intellectuel, si vivant et divers, philosophes, écrivains, politiques, savants, gens de lettres, artistes se rencontrait dans les salons avec des grands seigneurs, des magistrats, des financiers et d'illustres étrangers de passage à Paris. Les premiers salons à la mode furent ceux de Mme du
Deffand et. de Mme de Tencin. La marquise du Deffand[61], d'une famille
noble de Bourgogne, avait été mariée jeune à un mari qu'elle n'aimait pas, et
de qui elle se sépara. Elle mena une vie galante dans la compagnie du Régent
et de la duchesse du Maine, et se fit une grande réputation d'esprit. Elle
tint salon rue de Beaune de 1730 à 1747, puis s'installa au couvent de
Saint-Joseph, dans un bâtiment voisin de l'hôtel de Brienne, où se trouve
aujourd'hui l'hôtel du ministre de Elle était curieuse de toutes les choses de l'esprit, d'un
goût sûr, délicat, subtil, qui percevait le moindre ridicule, enfant gâtée, caustique et médisante. Les plus
célèbres de ses habitués furent les deux d'Argenson, le prince et la
princesse de Beauvau, les maréchaux de Mirepoix et de Luxembourg, le
président Hénault, qui fut un temps son chevalier servant, le président de
Montesquieu, les Brienne, les Choiseul, Maupertuis, d'Alembert, la tragédienne
Clairon. Les encyclopédistes ne fréquentèrent pas ce salon aristocratique.
Rousseau y fut admis, mais ne s'y laissa point retenir : il haïssait en Mme
du Deffand sa passion pour le bel-esprit, pour l'importance
qu'elle donnait, soit en bien, soit en mal, aux moindres torche... qui rapaissaient, son engouement outré pour ou contre
toutes choses, qui ne lui permettait de parler de rien qu'avec des
convulsions... son invincible obstination.
Mme du Deffand parut s'amuser longtemps au va-et-vient de ses réceptions et
aux intrigues des élections académiques ; mais elle finit dans un incurable
ennui. Elle a dit le mal dont elle souffrait : c'était la privation du sentiment avec la douleur de ne pouvoir
s'en passer. Elle devint misanthrope : Hommes
et femmes lui paraissaient des machines à ressort, qui allaient, venaient,
parlaient, riaient sans penser, sans réfléchir, sans sentir ; chacun jouait
son rôle par habitude. Mme de Tencin[62], fille d'un
conseiller au parlement de Grenoble, fut mise par sa famille dans un couvent
de cette ville, que le cardinal Le Camus n'avait pu que très imparfaitement
réformer. Les portes mal closes laissaient sortir les religieuses et entrer
les visiteurs. Cependant Mme de Tencin ne se plut pas dans la maison, et,
d'ailleurs, à ce que l'on raconte, de fâcheuses aventures ne permirent pas
qu'elle y restât. Elle vint à Paris ; relevée de ses vœux à Rome, elle usa de
sa liberté pour s'amuser et faire ses affaires, car elle fut autant
ambitieuse qu'amoureuse. On lui attribue quantité d'utiles amants au temps de
Cependant, elle gardait ses amis écrivains et philosophes. Sa maison de Passy et son appartement de la rue Saint-Honoré furent fréquentés par Fontenelle, Bolingbroke, Montesquieu, Marmontel, Helvétius et Marivaux. Dans les derniers temps, elle se donnait l'air d'une vieille indolente, pleine de bonhomie et de simplicité ; mais elle demeurait une virtuose en l'art de la conversation, consacrant les réputations d'esprit ; elle savait la fin du jeu en toutes choses. Elle prit pour associée Mme Geoffrin[63], sa voisine de
la rue Saint-Honoré. Mme Geoffrin était la femme d'un administrateur de Elle savait à merveille conduire une discussion, faire parler chacun des sujets qui lui convenaient le mieux, tirer de l'intérêt des personnages ennuyeux, comme le brave abbé de Saint-Pierre, qui lui disait : Je ne suis, madame, qu'un instrument dont vous avez bien joué. D'un mot — Allons, voilà qui est bien —, elle arrêtait les propos dangereux, et elle envoyait les amis trop turbulents faire leur sabbat ailleurs. Elle contait bien, plaçait des maximes, mais elle savait écouter et témoignait aux hôtes de marque une coquetterie imperceptiblement flatteuse. Montesquieu fut un des premiers à vanter le salon Geoffrin ; il est vrai que, plus tard, après un froissement d'amour-propre, il le traita de boutique, et appela Mme Geoffrin harengère du beau monde et dame de charité de la littérature, allusion aux cadeaux que Mme Geoffrin aimait à faire à ses amis. Voltaire ne parut chez elle qu'à de rares intervalles, mais Fontenelle demeura jusqu'à la mort son hôte assidu. On voyait aussi chez elle Marivaux, d'Alembert, Helvétius, Grimm, Piron, Maupertuis, Burigny, de l'Académie des Inscriptions, le comte de Caylus, l'amateur d'art et antiquaire, qui conduisait chez elle la troupe des peintres et des sculpteurs ; puis des savants de tout pays, Hume, l'historien Gibbon, et des ambassadeurs. Elle se fit peindre par Nattier en 1738, acheta des marines de Joseph Vernet, se lia avec Carle Van Loo, qu'elle allait voir toutes les semaines dans son atelier, et avec Latour et Boucher. Quand le comte Poniatowski vint à Paris en 1741, il fréquenta son salon et lui promit de lui envoyer un jour ses enfants. Le seul qui vint fut Stanislas-Auguste, en 1753 ; elle le traita comme un fils ; plus tard, quand il fut devenu roi de Pologne, elle l'alla voir à Varsovie et se crut appelée à jouer un rôle politique. Sa vanité bourgeoise fut flattée par les avances de Catherine II, par la réception que lui firent à Vienne Joseph II et Marie-Thérèse. Puis elle s'arrangea une vieillesse saine et gaie. Dans la seconde moitié du siècle, quelques salons attireront spécialement les philosophes : celui du baron d'Holbach, celui de Mlle Quinault, et surtout celui de Mlle de Lespinasse. D'Holbach[64] était un Allemand naturalisé, très riche et très généreux. Il donnait à dîner deux fois par semaine, le dimanche et le jeudi ; il présidait aux discussions les plus hardies sur l'histoire, la politique, la métaphysique ou la religion, et disait des choses à faire tomber le tonnerre sur sa maison. On l'appelait l'ennemi personnel de Dieu. Chez Mlle Quinault[65] — une actrice qui avait quitté le théâtre en 1741 — la conversation des dîners roulait jusqu'au dessert sur des banalités, les impôts nouveaux ou les spectacles ; mais ensuite, on congédiait les valets, et on discutait sur la nature, sur les origines de la pudeur, surtout sur la religion. C'est là qu'un soir, à ce qu'on raconte, Rousseau entendant bafouer Dieu par des athées, s'écriera : Si c'est une lâcheté que de souffrir qu'on dise du mal de son ami absent, c'est un crime que de souffrir qu'on dise du mal de son Dieu, qui est présent. Et moi, messieurs, je crois en Dieu. Mlle de Lespinasse[66], une fille
adultérine, fut d'abord demoiselle de compagnie de Mme du Deffand, lorsque
celle-ci, devenue aveugle, eut besoin d'être aidée dans ses réceptions. Elle
était beaucoup plus jeune que la dame, et des habitués de la maison la
préférèrent. Elles se brouillèrent et se séparèrent ; Mlle de Lespinasse
s'installa rue Saint-Dominique. Nourrie de D'autres salons durent leur célébrité à l'éclat des
réceptions qu'on y donnait. Les financiers étalaient leur richesse dans des
fêtes à ruiner un roi, comme fit le vieux Samuel Bernard, quand il maria sa
fille avec Molé, président à mortier ; Mais il y avait des financières, chez qui on causait. Mme Dupin, fille naturelle de Samuel Bernard, femme d'un fermier général, recevait des ducs, des ambassadeurs, des cordons bleus, des écrivains, et des femmes célèbres par leur beauté, la princesse de Rohan, la comtesse de Forcalquier, Mme de Mirepoix, Milady Hervey. Rousseau s'éprit d'elle pour l'avoir vue à sa toilette, les bras nus et les cheveux épars ; il était le précepteur de son fils, et corrigeait les écrits de son mari. La financière la plus entourée fut Mme de Les La mode des réceptions durera pendant tout le siècle. On les varia, on réduisit la dépense. Quelquefois, le salon devint un café ; on installait de petites tables, les unes avec des jeux, les autres avec des vins et des sirops ; la maîtresse de maison était vêtue à l'anglaise, d'une robe simple, courte, d'un tablier de mousseline et d'un fichu pointu ; on soupait sans apparat, et l'on s'amusait à toutes sortes de divertissements, danse, pantomimes et proverbes. Rousseau a très bien défini les salons dans On y parle de tout, pour que chacun ait quelque chose à dire ; on n'approfondit point les questions, de peur d'ennuyer ; on les propose comme en passant ; on les traite avec rapidité ; la précision mène à l'élégance... Le sage même peut rapporter de ces entretiens des sujets dignes d'être médités en silence. Mais combien y avait-il de sages, qui, rentrés chez eux après les entretiens, méditaient en silence ? La plupart de ces causeurs s'en tenaient à la superficie des sujets. C'était une mauvaise habitude que de ne pas approfondir, de peur d'ennuyer ; par là, on se façonnait à cette élégante légèreté d'esprit qui se trouvera prise au dépourvu, quand viendra la bise, à la fin du siècle. On a quelquefois dit des salons qu'ils ont eu leur grande
part dans la préparation de |
[1] SOURCES. D'Argenson et Barbier, déjà cités. Voltaire, Lettres Philosophiques (au t. XXXVII des Œuvres, et éd. Lanson, t. I, 1909). Montesquieu, De l'Esprit des Lois (Œuvres complètes, t. III, IV, V, VI), Baron de Montesquieu, Mélanges inédits de Montesquieu, Bordeaux et Paris, 1892 ; Id., Deux opuscules de Montesquieu, Bordeaux et Paris, 1891 ; Id., Voyages de Montesquieu, 2 vol., Bordeaux, 1894 ; Id., Pensées et fragments de Montesquieu, Bordeaux, 1899.
OUVRAGES A CONSULTER.
Aubertin, E. de Broglie (Portefeuilles de
Bouhier), Jobez (t. I et IV), Michelet, Rocquain, de Witt (
Bersot, Etudes
sur le XVIIIe siècle, Paris, 1855, 2 vol. in-12°. Brunetière, Études critiques sur l'histoire de la
littérature française, 3e série, 5e éd. Paris, 1904, in-12° (l'abbé
Prévost). Desnoiresterres, Voltaire et
[2] On retrouve l'inspiration de Fénelon dans ses Voyages de Cyrus et son Essai philosophique sur le Gouvernement civil.
[3] SOURCES. Fontenelle, Œuvres complètes, Paris, 1825, 5 vol. in-8°. Voltaire, Œuvres, t. XXXVII (Essai sur la nature du feu) ; t. XXXVIII (Eléments de la philosophie de Newton ; Doutes sur la mesure des forces motrices).
OUVRAGES A CONSULTER.
Desnoiresterres (Voltaire et
[4] Maupertuis, né en 1698, est mort en 1759.
[5] Clairaut, né en 1713, est mort en 1765.
[6] Les deux premiers volumes seulement de l'Histoire naturelle de Buffon ont paru en 1749. La publication ne sera terminée qu'en 1789.
[7] SOURCES. Les divers
écrits déjà cités dans ce chapitre et notamment les œuvres de Bernard de
Montfaucon : L'Antiquité expliquée, Paris, 1719-1724, 15 vol in-f° ; Les
monuments de la monarchie française, Paris, 1779-1733, 5 vol. in-f°. Lettres
des Bénédictions de
OUVRAGES
A CONSULTER. Aubertin, L'Esprit public au XVIIIe siècle, déjà
cité. Babelon, Le cabinet des antiques à
[8] L'abbé Bignon est né en 1663, mort en 1743.
[9] Dom Bouquet, né en 1683, est mort en 1754.
[10] Histoire générale du Languedoc, par D.
Devic et D. Vaissète, 5 vol. in-f°, 1730-1745. — Histoire générale et particulière de Bourgogne, par D. Plancher et
D. Merle, 4 vol. in-f°, 1736-1781. — Histoire
de Bretagne, par D. Taillandier et D. Morice, 2 vol. in-f°, 1750-1756. — On
peut joindre à ces trois ouvrages l'Histoire
de la ville de Paris, par D. Félibien, 5 vol. in-f°, 1725. — Un Bénédictin
de la congrégation de Saint-Vanne, Dom Calmet, composa également l'Histoire ecclésiastique et civile de
[11] Montfaucon, né en 1655, est mort en 1741.
[12] Scriptores ordinis Prædicatorum recensili, 2 Vol. in-f°, 1719-1721.
[13] Bibliothèque historique de
[14] Table chronologique des diplômes, chartes, titres et actes imprimés concernant l'histoire de France, 3 vol. in-f°. 1769-1783.
[15] Mémoires sur l'ancienne chevalerie française, 3 vol. in-f°. 1759-1787. — Dictionnaire de l'ancien langage français, publié par Favre, 10 vol. in-4°, 1875-1882.
[16] Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, 10 vol. in-f°, 1754-65 ; nouv. éd. par Augier et Bournon, 1885.
[17] Nic. Fréret, né en 1688, est mort en 1741.
[18] Traité de la police, par Delamare et Leclerc du Brillet, 4 vol. in-f°, 1705-1758.
[19] 4 vol. en 8 tomes in-f°, 1724.
[20] Vertot, Histoire des révolutions de la république romaine, 1719, 10 vol. in-12°. — Rollin, Histoire romaine, continuée par Crevier, 1738-42. 8 vol. in-12°.
[21] Dans son Mémoire sur l'origine des Français, publié en 1718.
[22] SOURCES. Barbier (t. II), Dufort de Cheverny, Favart (Mémoires et Correspondance). Hénault, déjà cités. Clairon (Mlle), Mémoires, édition Barrière, Paris, 1846. Du Deffand (Marquise), Correspondance complète... avec ses amis, le président Hénault, Montesquieu, d’Alembert, Voltaire, Horace Walpole, Paris, 1866, 2 vol. Grimm, Diderot, Raynal et Meister, Correspondance littéraire, philosophique et critique (1747-1793), Paris, 1877-1882. 16 vol. (aux tomes I et II).
OUVRAGES
A CONSULTER. Font (Favart), Jullien (Les grandes nuits de
Sceaux), déjà cités. Bapst, Essai sur l’histoire du théâtre, Paris,
1893. Du Bled,
Lanson, Histoire de la littérature française, 9e
éd., Paris, Hachette, 1906. Id., Voltaire (déjà cité). Id., Nivelle
de
[23] Jean-Baptiste Rousseau, né en 1671, est mort en 1741.
[24] Piron, né en 1689, et mort en 1773.
[25] La première édition complète des Mémoires est de 1820.
[26] Le duc de Saint-Simon, né en 1675, est mort en 1756.
[27] Duclos, né en 1704, est mort en 1772.
[28] Massillon est né en 1663, mort en 1742.
[29] D'Aguesseau est né en 1658, mort en 1751.
[30] Marivaux est né en 1688, mort en 1769.
[31] L'abbé Prévost est né en 1697, mort en 1769.
[32] La première
traduction partielle de Shakespeare, celle de
[33] Destouches, né en 1680, est mort en 1754.
[34] Pour donner plus
de variété et de vérité aux scènes tragiques et aux scènes comiques, on apporta
beaucoup de soin aux costumes et aux décors. Le créateur de l'Opéra-Comique.
Favart, dans une scène de la comédie d'Acajou, représentée en 1744, se
moque des acteurs de tragédies, qui s'affublaient de cuirasses en toile
d'argent et se coiffaient de chapeaux à panaches ; des actrices, qui prenaient
la robe de cour pour jouer avec plus de dignité les héroïnes antiques ; de la
poudre sur la tête d'Abner, d'Auguste ou d'Electre. Il voulut que sa femme, la
grande actrice, rompit avec les traditions. Ma femme,
dit-il, a été la première en France qui ait eu le
courage de se mettre comme on doit être... dans
Bastien et Bastienne. Elle y parut habillée d'une robe de laine,
une croix à or au cou, les cheveux plats et sans poudre, chaussée de sabots. Le
succès fut grand. Une autre fois, pour jouer Soliman II, elle fit venir un costume de Constantinople. Mlle
Clairon parut les bras nus dans Electre
et soutint contre Voltaire que les vers tragiques ne doivent pas être récités
avec emphase ; son camarade Le Kain, dans l'Orphelin
de
Une autre révolution se fit sur la scène. On la débarrassa des bancs où s'asseyaient des spectateurs, gentilshommes et financiers, qui gênaient le jeu, rendaient à peu près impossible la mise en scène et le décor, se tenaient souvent très mal, échangeaient des injures avec le parterre, et provoquaient des incidents comiques. Un jour l'ombre de Ninus se put passer. Une autre fois, un messager ne put arriver jusqu'à Childéric, bien que la salle criât : Place au facteur.
[35] SOURCES. Procès-verbaux de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publiés par De Montaiglon, aux t. V et VI, Paris. 1888-1865. Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome avec les surintendants des Bâtiments, publiée par De Montaiglon et Guiffrey. t. VI à X, Paris. 1896-1900. Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie royale de peinture et de sculpture, publiés par Dussieux, Soullé, etc., 2 vol., Paris, 1864. Mariette, Abecedario et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes, publié par De Chenevières et De Montaiglon, Paris, 1851-1860, 6 vol. Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, Ire éd., 2 vol., Paris, 1719. Le P. André, Essai sur le Beau, Ire éd., Paris, 1749.
Boffrand. Livre d’architecture..., Paris, 1745. J.-F. Blondel, Architecture française, ou recueil de plans... des églises, maisons royales, palais, hôtels... bâtis par les plus célèbres architectes, 4 vol., Paris, 1760-1764. Id., Distribution des maisons de plaisance, 2 vol., Paris, 1736. Id., Discours sur la nécessité de l'étude de l'architecture, Paris, 1747. Patte, Monuments érigés en France en l'honneur de Louis XV, Paris, 1765. Livre-journal de Lazare Davaux, publié par Courajod (avec une ample introduction), Paris, 2 vol. M. Fenaille, État général des tapisseries de la manufacture dei Gobelins depuis son origine jusqu'à nos jours. — XVIIIe siècle, 2 Vol., Paris, 1904-1907.
OUVRAGES
A CONSULTER. Ca. Blanc, Histoire des peintres de toutes les écoles,
École française, 8 vol., Paris, 1863 (à consulter avec précaution). S. et
J. de Goncourt, L'art du XVIIIe siècle, 3e éd., 2 Vol., Paris, 1880-83.
André Fontaine, Les doctrines d'art en France... de Poussin à Diderot,
Paris, 1909. Lady Dilke, French painters of the XVIIIe Century, Londres,
1900. Id., French architects and sculptors..., Londres, 1900. Id., French
furniture and décoration..., Londres, 1902. Id., French engravere and
draughismen..., Londres, 1903. Gonse, La sculpture française depuis le
XIVe siècle, Paris, 1894. Id., Les chefs-d'œuvre des musées de France,
Mantz, François Boucher, Lemoyne et Natoire,
Paris, 1880. De Nolhac, Nattier, Paris,
[36] Le duc d'Antin, directeur à la mort de Louis XIV, l'est demeuré jusqu'en 1736. Ses successeurs furent Philibert Orry, de 1736 à 1745 ; Lenormant de Tournebem, oncle de Mme de Pompadour, de 1745 à 1754 ; Poisson de Vandières, frère de Mme de Pompadour, de 1754 à 1775.
[37] Robert de Cotte a vécu de 1656 à 1735 ; Boffrand, de 1667 à 1734 ; Gabriel, de 1698 à 1762 ; Blondel, de 1705 à 1774.
[38] Oppenordt est né en 1672, mort en 1742.
[39] Les éditions qui se sont succédé de 1691 à 1750 du Dictionnaire d'architecture de d'Aviler permettent de constater l'introduction successive de nouveautés. Tout ce qui concerne la construction demeure sans changement ; mais des chapitres sont ajoutés pour la décoration. Les éditeurs disent : On a tellement modifié les cheminées et les lambris, et les plans des maisons... que...
[40] Cressent, né en 1693 (?), mort en 1765.
[41] Les hommes portaient alors des bagues, des boucles à leurs souliers, des bottes et des étuis d'or ou d'argent dans toutes leurs poches. Cette mode enrichissait les ouvriers d'art.
[42] Lancret est né en 1690 et mort en 1743 ; Pater est né en 1695 et mort en 1738.
[43] De Troy est né en 1679, et mort en 1752 ; Van Loo est né en 1708 et mort en 1732.
[44] Lemoyne est né en 1688 et mort en 1737.
[45] Rigaud est né en 1659 et mort en 1743 ; Largillière est né en 1656 et mort en 1746.
[46] Nattier est né en 1685 et mort en 1766.
[47] Quentin
[48] Boucher est né en 1708 et mort en 1770.
[49] Chardin est né en 1699 et mort en 1779.
[50] Nicolas Coustou est né en 1658 et mort en 1733 ; Guillaume Coustou est né en 1677 et mort en 1746.
[51] Bouchardon est né en 1698 et mort en 1760.
[52] J.-B. Lemoyne est né en 1704 et mort en 1778.
[53] R.-M. Slodtz est né en 1705 et mort en 1764.
[54] P.-I. Drevet est né en 1697 et mort en 1739.
[55] Ch.-N. Cochin est né en 1698 et mort en 1769 (?).
[56] OUVRAGES A CONSULTER.
Chouquet, Histoire de la musique
dramatique en France, Paris, 1873. D'Indy, Lulli, Destouches, Rameau (Minerve, 1903). Laloy, Ph. Rameau, Paris,
[57] Parmi les prédécesseurs immédiats de Rameau dans le genre de l'opéra. Il faut citer Destouches, qui, en 1725, donne en collaboration avec Lalande le ballet des Éléments. Mouret, le musicien des Grâces, et Montéclair, dont l'opéra biblique de Jephté précède d'un an la première représentation d'Hippolyte et Aricie.
[58] Il est né à Dijon en 1683, et mort en 1764.
[59] Au même temps,
l'art de la danse mit, lui aussi, aux prises le goût Italien et le goût
français. En 1726 parut à l'Opéra la danseuse Camargo. D'une vieille famille de
Rome qui, à l'en croire, comptait un archevêque, un évêque et un cardinal, elle
avait fait ses débuts sur les théâtres de Bruxelles etde Rouen. Agée de seize
ans, point belle de visage, elle avait les pieds, les jambes, la taille. les
bras et les mains d'une forme parfaite, et, de plus, une vigueur, une fougue et
un imprévu qui firent qu'aussitôt le public l'idolâtre. Elle substitua à la
danse noble et convenue dont Mlle Sellé était la muse, une danse fantaisiste que
ses adversaires appelèrent gigotage. Elle osa
raccourcir ses jupes, afin de mettre les amateurs en état de mieux juger de ses
pas ; ce qui mit aux prises les Jansénistes et les Molinistes du parterre,
ceux-là tenant pour la jupe longue, et ceux-ci pour la jupe courte. Elle déplut
aux traditionnalistes par son entrain, et la nouveauté audacieuse de son jeu ;
elle provoqua la jalousie des autres danseuses par le piquant qu'elle sut
mettre, même dans les menuets. Durant vingt-cinq ans, sa réputation demeura
considérable Son cordonnier fit fortune, par la vogue qu'elle lui donne. Il
n'était point de femme à la mode qui ne voulût être chaussée à
[60] SOURCES. Du Deffand (Correspondance)
: Dufort de Cheverny, Hénault, Grimm (Correspondance litt.), The
letters of Horace Walpole, déjà cités. Epinay (Mme d'), Mémoires,
Paris, 1864, 2 vol. Lespinasse (Mlle de), Lettres inédites, p. p.
Bonnefon (Revue d'histoire littéraire de
OUVRAGES
A CONSULTER. Bersot (Études sur le XVIIIe siècle),
Desnoiresterres (Voltaire et
[61] Mme du Deffand, est née en 1697, morte en 1789.
[62] Mme de Tencin est née en 1681, morte en 1749.
[63] Mme Geoffrin est née en 1699, morte en 1777.
[64] D'Holbach, né en 1728, mort en 1789.
[65] Née en 1700, morte en 1763.
[66] Mlle de Lespinasse, née en 1732, morte en 1776.