I. — LE CARACTÈRE DE FLEURY. NÉ à Lodève en 1653, fils d'un receveur des décimes et
entré dans l'Église pour alléger sa famille,
André-Hercule de Fleury se poussa auprès du cardinal de Bonzi, grand aumônier
de L'année qui précéda la mort de Louis XIV, il devint, par l'appui des Jésuites, précepteur du futur Louis XV. Il fut pour son élève le complaisant que l'on sait. Lorsqu'il eut fait disgracier le duc de Bourbon, il persuada à Louis XV qu'il était temps qu'il fît son métier de roi en gouvernant par lui-même. Il lui conseilla de supprimer la fonction de premier ministre et se contenta du titre de ministre d'État, sans se faire assigner un département ministériel. Quatre jours après le renvoi de Bourbon, le 15 juin, Louis XV adressait aux intendants et aux gouverneurs de provinces une circulaire où il annonçait sa décision d'exercer le pouvoir en personne, comme Louis XIV. Il annonçait aussi que l'ancien évêque de Fréjus assisterait toujours aux Conseils. Ce fut par les Conseils, où il fut prépondérant, que Fleury devint le seul maitre du gouvernement. Au Conseil d'en Haut siégèrent avec lui, comme par le
passé, le duc d'Orléans, le maréchal de Villars, le secrétaire d'État de
Morville, et deux nouveaux venus, les maréchaux d'Huxelles et de Tallard. Les
départements ministériels furent autrement répartis que sous M. le Duc. Le
Blanc reparut au secrétariat d'État de Fleury était au pouvoir depuis deux mois, quand il fut fait cardinal, le 20 août 1726. Il avait soixante-treize ans. Il eut l'esprit de ne pas garder rancune à Au reste Fleury prenait le pouvoir à une heure favorable ; la nation fatiguée des secousses que lui avaient données le Système, le Visa, le Cinquantième et les alarmes de la politique étrangère demandait qu'on la laissât tranquille. Or, Fleury désirait remuer le moins possible. II. — L'ADMINISTRATION FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE ; LE PELLETIER DES FORTS (1736-1730) ET ORRY (1730-1745). DEUX contrôleurs généraux ont dirigé, pendant le ministère Fleury, l'administration financière et économique, Le Pelletier des Forts et Orry. Des Forts débuta bien. Une Déclaration du 15 juin 1726
fixa d'une façon définitive la valeur des monnaies. Le prix du marc d'or fut
désormais de Une Déclaration du 24 juin suivant ordonna que le Cinquantième serait payable exclusivement en argent ; une autre, du 8 octobre, que les revenus ecclésiastiques seraient exempts de toutes impositions, sans exception, ni réserves, quelque événement qui pût arriver. Toutes deux préparaient la suppression du Cinquantième qui fut prononcée le 7 juillet i727. L'impôt devait cesser d'être perçu le 1er janvier suivant. Son impopularité et le peu de ressources qu'il donnait déterminaient Fleury à le supprimer. On a vu que les Fermes avaient été adjugées à Law en 1718,
et que Après la chute de Law, Du Verney avait décidé de maintenir le système de la régie, dont quarante financiers avaient assuré le fonctionnement. En principe, la régie valait mieux que la ferme ; mais, par défaut de vigilance, les régisseurs laissèrent s'accumuler un arriéré considérable. Il est vrai que la régie n'était possible qu'avec une administration bien organisée, et cette administration n'existait pas sous l'ancien régime. Fleury rétablit la ferme et transforma les régisseurs en fermiers généraux. Sans suffisamment se renseigner sur les produits que la
régie avait tirés des grandes et petites gabelles, des douanes et traites,
des impôts sur les boissons, du contrôle et domaine de France, Des Forts, le
19 août 1726, afferma le tout pour la somme de 80 millions. Or, le produit
net était monté, en 1725, à environ 92 millions et demi. Mais, par suite du
désordre de la comptabilité, ce chiffre n'était pas encore connu. l'Aria du
Verney ne le croyait pas supérieur à 87 millions ; le contrôleur général
Dodun l'évaluait à 85. Il était inévitable d'ailleurs que l'État, en se
déchargeant sur les fermiers des frais et des incertitudes de la perception,
subit par là même une perte. Ainsi fut passé le fameux bail Carlier qui fut tant
de fois reproché à Fleury. Le sieur Carlier était le prête-nom des
adjudicataires. En six ans, le produit brut de toutes ces fermes fut de Pour recouvrer les taxes arriérées, ce que l'on appelait les restes, un autre bail, le bail Bourgeois, de
461 millions, fut conclu le 10 septembre avec les mêmes fermiers généraux,
qui gagnèrent encore, de ce côté, une quarantaine de millions. En Je recommande à vos bontés Mes fermiers, vos enfants gâtés ; J'en ai fait, par leur opulence, Quarante grands seigneurs de France ; Il faut, pour les gratifier, Encore un bail du sieur Cartier. En même temps, les créanciers de l'État étaient durement traités. Le 19 novembre 1726 fut ordonné un retranchement sur les rentes perpétuelles et viagères ; c'était, suivant la nature des rentes et leur date, une banqueroute d'un tiers, d'une moitié, des trois cinquièmes, parfois même des cinq sixièmes. Le prétexte donné fut que ces rentes provenaient de papiers achetés à vil prix. On espérait réaliser un profit de 27 millions sur les arrérages non payés, un profit de 14 millions sur les arrérages payables à l'avenir. Comme les gages des officiers n'étaient pas menacés et que les rentiers dépouillés n'étaient guère que de petites gens, le Parlement fit des remontrances bénignes ; mais la clameur publique fut assez forte pour que Fleury en fût intimidé. Il rejeta tout le tort sur le Contrôleur général, qui ne toucha pas aux rentes inférieures à trois cents livres. D'autres rentiers surent se faire exempter de la réduction qui, en fin de compte, ne dépassa pas cinq millions et demi de rente. Quoique très impopulaire, Des Forts demeura Contrôleur
général jusqu'en 1730 ; mais alors le bruit courut que, pour spéculer, il
s'était fait remettre des titres déposés dans les caisses de Son successeur, Orry, avait servi dans l'armée, puis était
devenu maitre des requêtes et successivement intendant de Perpignan, de Soissons
et de Lille. Il s'était bien tiré de ces fonctions, et l'on pensait alors
qu'un intendant de province devait faire un meilleur Contrôleur général que
les intendants des finances, formalistes et bureaucrates. Orry avait
trente-huit ans quand il prit le Contrôle. Grand, lourd, et sans usage du
monde, il fit à Sous l'administration d'Orry, les fermiers généraux consentirent, pour le renouvellement de leurs baux, des prix plus élevés : pour le bail de 1726, ils ne devaient payer que 80 millions ; par celui de 1732, ils en payèrent 95[2] ; par celui de 1738, 99. En matière d'impôts directs, Orry perçut avec rigueur les
droits établis avant lui. Il augmenta quelque peu les tailles qui, entre 1730
et 1742, passèrent de Le rétablissement du Dixième fut la grande affaire de son administration. Comme c'était la taxe qui se prêtait le mieux aux dépenses imprévues d'une guerre, la perception en fut ordonnée par une Déclaration du 17 novembre quand la guerre éclata en 1733 ; le dixième fut perçu jusqu'à la fin de 1736 et rétabli au début de la guerre de la succession d'Autriche. Le principe que le Dixième devait s'étendre à toutes les classes de la société reçut, dans la pratique, les mêmes tempéraments qu'en 1710 : rachat du Clergé par des dons gratuits, abonnement des provinces, des villes, des particuliers. Ne portant pas, comme le Cinquantième, sur les produits bruts, mais seulement sur le revenu, il ne suscita point les mêmes résistances de la part des privilégiés, et rentra beaucoup mieux. En 1733, il produisit une trentaine de millions ; en 1749, 36 millions. Pour établir la cote de chaque particulier, le Contrôleur général exigea les déclarations des propriétaires, des maires et des syndics, ces derniers parlant au nom des villes ou des paroisses. Pour en vérifier l'exactitude, il les fit comparer aux produits que la dîme d'Église tirait des biens désignés ; il fit délivrer à ses agents les extraits des baux, des contrats de vente, des partages passés chez les notaires. Comme le Contrôleur général pouvait quand même être trompé par des déclarations inexactes, il nomma des directeurs du Dixième, un par généralité. Ces fonctionnaires eurent sous leurs ordres des contrôleurs ambulants qui examinèrent les déclarations sur place. Ils tarifèrent, paroisse par paroisse, le produit moyen, — toutes charges défalquées — de la mesure usuelle de chaque sorte de terre, suivant la qualité. Il leur était facile, en rapprochant ce tarif des déclarations individuelles, de contrôler celles-ci. Quand les estimations étaient contestées par les autorités, ils le mentionnaient sur les déclarations, laissant aux plaignants le loisir d'apporter des arpentements de leurs biens. Ils profitaient de leur passage dans les paroisses pour procéder avec les habitants les plus honorables à la division des terres en catégories : les bonnes, les médiocres, les mauvaises ; ils distinguaient la nature des cultures, céréales, vignes, prés ou bois. Ils pouvaient toujours se faire présenter les contrats de location de chaque sorte de bien. Quoique cette organisation fût fort bien entendue, les difficultés pratiques furent très grandes ; en beaucoup d'endroits, notamment en Guyenne, on dut se borner, pour aller plus vite, à faire du Dixième une simple annexe de la taille ; cet impôt fut ainsi dénaturé. Le Dixième sur les produits du commerce s'appelait le Dixième d'industrie. Comme il était encore plus difficile d'appliquer cet impôt aux commerçants qu'aux propriétaires de terres, Orry se montra à leur égard accommodant. Dans une correspondance qu'il entretint en 1741 et 1742 avec l'intendant de Bordeaux, on voit qu'il ne savait trop sur quoi se baser : Je sens, dit-il, que le peu de certitude que l'on a de la vraie situation des négociants et commissionnaires jettera toujours beaucoup de doute sur ce à quoi on doit les imposer, et il conseille de s'en rapporter à leur état de vivre ou leurs facultés connues ; et, en cas que ni l'un ni l'autre de ces moyens ne pût guider, la cote la plus légère à laquelle ils pourraient être mis serait la même somme pour laquelle ils sont employés sur les rôles de la capitation n. L'intendant parle de s'enquérir de la fortune de chacun ; mais le Contrôleur général lui répond : Je crains que ces perquisitions n'alarment le commerce ; d'ailleurs vous ne pourriez acquérir de certitude que sur de très bons et très gros marchands et négociants qui se plaindraient toujours, et les médiocres ou les petits marchands échapperaient à vos recherches... Les difficultés qui se présentent pour acquérir la connaissance des facultés de ceux qui sont sujets à cette imposition sont si insurmontables que je ne puis indiquer un parti général, parce que je pense qu'on n'en peut déterminer aucun que relativement à la position des lieux, au commerce qui s'y fait, et même au génie des habitants. Orry inclinait donc à transformer le Dixième d'industrie
en une contribution proportionnelle à A Bordeaux encore, il eut à se prononcer sur les réclamations d'Anglais, Hollandais et Hanséates qui, soit en 1737, soit en 1743, prétendirent se faire exonérer du Dixième d'industrie en leur qualité d'étrangers. Mais ils furent imposés au même titre que tous les marchands et artisans. Orry dénatura donc en Guyenne le Dixième d'industrie comme il dénaturait le dixième sur les propriétés foncières. Il se borna souvent ir taxer les corporations de marchands ou d'artisans à une somme donnée, en laissant à la corporation elle-même le soin de répartir la taxe à sa guise entre ses membres. Le Dixième eut le défaut de ménager les négociants, tandis qu'il pesait sur les propriétaires et les cultivateurs. Le Clergé était exempt ; mais, pendant la guerre de Succession d'Autriche, il multiplia les dons gratuits : 12 millions en 1742, 15 en 1745, 11 en 1747, 16 en 1748. Sans parler des avances remboursables à bref délai, qu'il demanda tantôt aux fermiers généraux, tantôt aux receveurs généraux, Orry contracta un certain nombre d'emprunts. Il revint aux emprunts sous forme d'offices créés ; en 1730, par un édit de juin, il rétablit des offices supprimés à la mort de Louis XIV, et il en tira 34 millions. Il fit revivre la vénalité des offices municipaux en novembre 1733, et il en vendit pour 31 millions. Quatre ans plus tard, il est vrai, les fonctions municipales redevinrent électives ; ceux qui les avaient achetées, ou leurs héritiers, ne devaient être définitivement remboursés qu'en 1777. En 1733, 1737 et 1739, Orry créa des rentes viagères et organisa des loteries royales. En 1738, 1740, 1741 et 1742, il émit des rentes perpétuelles sur les postes. Des créations de rentes et des loteries il aurait tiré environ 100 millions. Les recettes annuelles, au temps d'Orry, varient entre 230 et 240 millions, avec le produit du Dixième ; entre 199 et 210 millions, sans ce produit. Les dépenses, qu'on ne peut évaluer avec autant de précision, paraissent avoir été légèrement inférieures aux recettes pendant les années de paix. Ces résultats sont dus en partie à l'esprit d'économie du
vieux cardinal. Cette économie, d'ailleurs, a été fort exagérée. On a dit, en
le lui reprochant, qu'il avait sacrifié la marine ; le reproche est injuste.
Il n'a pas renoncé non plus aux dépenses de luxe, puisque l'entretien des
maisons royales passe avec lui de 9 à 14 millions, et ne tombe pas, en temps
de guerre, au-dessous de 10 millions. Les pensions données par le Roi
descendirent officiellement du chiffre de 19 millions, constaté sous M. le Duc,
à celui de 6 millions, mais, au vrai, elles demeurèrent à peu près les mêmes.
Il existe un état de comptant où l'on voit comment des personnes en crédit,
des ministres en fonction, d'anciens ministres, des magistrats, reçurent, en
1731, sous forme d'indemnités, gratifications,
compensations, une somme de 11 millions La prospérité relative des finances à cette époque a pour causes la fixité des monnaies, l'extension du réseau des routes, qui ont rendu les transactions commerciales plus sûres, plus faciles, plus nombreuses, et aussi les progrès du commerce extérieur et de la marine marchande. Il en résulta une plus-value dans le produit des fermes. Un des actes principaux d'Orry fut l'instruction de 1738 sur la construction et l'entretien des routes et des chemins par la corvée royale. On s'était, avant lui, toujours servi de la corvée pour exécuter des travaux urgents ; mais le régime en était arbitraire et irrégulier. Orry le régularisa. L'état des routes exigeait, comme on a vu, un grand effort
; elles étaient souvent impraticables aux voitures. En Guyenne, les voyages
ne se faisaient guère qu'à cheval. De Bordeaux à Libourne, on allait à cheval
jusqu'à Il y avait cinq catégories de routes ou de chemins : les grandes routes conduisant de Paris aux ports de mer et aux frontières ; les routes reliant Paris et les capitales des provinces qui n'étaient pas traversées par les grandes routes ; les grands chemins entre les capitales des provinces et les autres villes ; les chemins royaux entre villes non capitales ; enfin les chemins de traverse. Orry répartit les routes et les chemins en sections et les sections en ateliers. Chaque atelier est attribué à une paroisse du voisinage, dont il ne doit pas être distant de plus de trois lieues ; la paroisse doit faire les terrassements et transporter les matériaux dans un nombre de jours déterminé. Les groupes de travailleurs arrivent sous la conduite des maires ou syndics, apportant avec eux des vivres et des outils, amenant des charrettes, des chevaux, des bœufs, des vaches et des ânes. On requiert les hommes de seize à soixante ans, mais l'on accepte que les femmes et les enfants remplacent les pères de famille. L'instruction d'Orry ne disant pas combien de jours de travail doit le corvéable, les intendants en décident arbitrairement ; la durée varie de huit à quarante jours par an. La surveillance des ateliers se fait par des sous-ingénieurs ou inspecteurs, munis de grands pouvoirs ; ils jugent sommairement les récalcitrants, les mutins, les défaillants. L'inspecteur des corvées a le droit d'emprisonner les ouvriers mutins ou rebelles, sauf à en référer au subdélégué, qui prononce définitivement la peine encourue. Les sentences sont exécutées par la maréchaussée. Le grand défaut de la corvée, c'est qu'elle était imposée surtout aux pauvres gens. Outre les privilégiés, nombre de roturiers parvinrent à s'en faire dispenser : les anciens officiers de troupe, les possesseurs d'offices, les collecteurs des tailles, les employés des fermes, les gardes des eaux et forêts, les gardes des haras, les maîtres des postes, les chirurgiens en exercice, les maîtres d'écoles gratuites, les maîtres de forges et de verreries, les ouvriers des papeteries et des pépinières royales et leurs garçons, les bergers et vachers communs des villages, les pères des miliciens tombés au sort, et tous ceux qui disposaient de quelque appui auprès de l'administration. Cette foule d'exemptions rendit la corvée odieuse à ceux qui la subissaient. D'après une lettre de Trudaine à l'intendant de Rouen, on aurait proposé à Orry de substituer à la corvée un impôt en argent, et il aurait sagement répondu : J'aime mieux leur demander (aux corvéables) des bras qu'ils ont que de l'argent qu'ils n'ont pas ; si cela se convertit en imposition, le produit viendra au trésor royal ; je serai le premier à trouver des destinations plus pressées à cet argent ; ou les chemins ne se feront pas, ou il faudra revenir aux corvées ; les exemples de ce qui s'est passé, avant et depuis, par rapport aux fonds très modiques qui s'imposent pour les ouvrages d'art et les employés n'autorisent que trop cette crainte. Toutefois l'instruction de Trudaine, en 1743, devint Directeur général des Ponts et
Chaussées. Il créa en En matière de commerce et d'industrie, Orry est un
colbertiste qui exagère le colbertisme. Il met des droits excessifs sur les
objets de fabrication étrangère ou même leur oppose la prohibition pure et
simple. Il proscrit les toiles peintes et les étoffes de Chine, des Indes et
du Levant ; en 1733, un de ses intendants, Lenain, rend en Poitou une
ordonnance de police qui frappe d'amendes énormes quiconque en vend ou en
achète. Il prohibe ou soumet à des droits considérables tous les tissus
d'Angleterre et de Hollande. H établit des manufactures privilégiées ; par
exemple une, de velours de Gênes, à Tours, en 1739 ; une autre, de petites
étoffes blanches pour l'exportation, à Argenton, la même année ; une, de
papier, à Angoulême en 1740. H fixe par le menu tous les détails de la
fabrication, tous les devoirs des patrons et des ouvriers. Les draps de
France prenant trop facilement la poussière parce que les laines sont mal
dégraissées, défense est faite aux dégraisseurs d'employer la craie et le
blanc d'Espagne ; ils ne se serviront que de savon. Pour que les fabricants
n'emploient pas des laines tondues avant leur maturité, la date de la tonte
des bêtes sera Les inspecteurs des manufactures se multiplient ; il y en a de généraux pour l'ensemble des manufactures et de spéciaux pour les étoffes de soie et de laine, pour les toiles, les tapisseries, les draps, pour les bouteilles et les carafons ; ces inspecteurs résident à Amiens, Saint-Quentin, Limoges, Marseille, Saint-Gaudens, etc. L'idéal ministériel était de garantir à chaque corps de métier sa spécialité, d'assurer aux maîtres leurs ouvriers, de fixer les ouvriers auprès des maîtres, de régler tout le travail. Orry intervint, par exemple, à Poitiers pour empêcher les cardeurs et les peigneurs de fabriquer des draps comme les drapiers ; pour répartir en communautés distinctes les teinturiers du grand teint, qui teignaient les laines en couleurs d'un prix élevé, et les teinturiers du petit teint, qui teignaient à bas prix ; pourtant, au grand mécontentement des teinturiers, il autorisa les bonnetiers et les drapiers à teindre les ouvrages de leur fabrication. Pour que les patrons ne se débauchassent pas les ouvriers par des offres d'augmentation de salaire, il interdit aux ouvriers de quitter les maîtres sans cause légitime ; or, ce n'était pas une cause légitime qu'une augmentation de salaire, car, en 1730, le Conseil de Commerce condamna à l'amende des fabricants de draps de Louviers qui avaient augmenté ceux de leurs ouvriers. En 1734, il fut interdit aux ouvriers du Languedoc de se coaliser en vue d'amener la hausse des salaires. Les intendants fixèrent parfois la durée de la journée de travail, comme cela eut lieu à Limoges en 1739, et le taux même des salaires, comme cela se produisit à Sedan en 1750. Tout naturellement, Orry interdit l'émigration aux ouvriers sous les peines les plus sévères[3]. Il se trouva en présence d'une grève et d'une insurrection à Lyon. Il y avait à Lyon trois catégories de personnes appliquées à l'industrie et au commerce des étoffes de soie : les maîtres marchands, les maîtres ouvriers ou maîtres fabricants, les compagnons et apprentis. Les maîtres marchands avaient le droit de fabriquer, mais ne fabriquaient pas eux-mêmes : disposant de gros capitaux, ils achetaient la matière première, passaient des traités avec les maîtres ouvriers, leur fournissaient des dessins et leur faisaient des avances. Certains occupaient jusqu'à cent maîtres ouvriers. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, les maîtres marchands n'étaient guère que deux à trois cents. Ils assuraient la vente des produits fabriqués. Les maîtres ouvriers tissaient la soie chez eux, avec des métiers leur appartenant. Ils étaient trois à quatre mille, travaillant les uns pour le compte des maîtres marchands, les autres pour leur propre compte. De trois à quatre mille compagnons et presque autant d'apprentis étaient nourris et logés chez les maîtres ouvriers ; les seuls compagnons étaient payés. Comme les maitres ouvriers, qui, pour acquérir la maîtrise, devaient payer un droit de trois cents livres, n'avaient d'ordinaire pas d'argent devant eux, ils ne pouvaient que difficilement fabriquer et vendre pour leur compte ; ils étaient à la discrétion des maîtres marchands. En 1737 intervint un règlement qui leur était très favorable. Il supprimait le droit de trois cents livres et permettait à tous, marchands et autres, de fabriquer, et faire fabriquer... soit pour leur usage ou même pour en faire le commerce, toutes les étoffes dont la fabrique était permise... de les vendre, acheter, troquer et échanger, tant en gros qu'en détail. C'était la suppression des lèges des maîtres marchands. Ceux-ci protestèrent auprès du Contrôleur général et obtinrent qu'un nouveau projet fût mis à l'étude. Ce projet fut soumis à une députation de maîtres marchands et de maîtres ouvriers ; ces derniers, qui avaient été désignés par le prévôt des marchands de Lyon, sans l'assentiment des autres maîtres, acceptèrent le projet sans protestation. Ainsi fut promulgué le règlement du 19 juin 1744 : quiconque voulait fabriquer à son compte devait payer deux cents livres et ne pouvait avoir que deux métiers ; pour avoir le droit de faire fabriquer, il fallait payer huit cents livres. Le règlement fortifiait donc l'aristocratie des entrepreneurs. Il confinait les maîtres ouvriers dans le petit travail et les maigres bénéfices. Il fut connu à Lyon au début de juillet. Le mécontentement couva durant un mois ; puis les maîtres ouvriers, et, à leur suite, les compagnons s'attroupèrent et s'entendirent pour suspendre tout travail tant que le règlement ne serait pas rapporté. Ils décidèrent d'infliger une amende de douze livres à quiconque ne quitterait pas son métier, et une amende de vingt-quatre livres à quiconque prendrait le métier abandonné par un autre. Le 5 août, le guet ayant arrêté quelques meneurs, on l'assaillit à coups de pierres, et une insurrection éclata. Les chefs réclamèrent du prévôt des marchands la mise en liberté des prisonniers ; le prévôt l'accorda. Le lendemain, l'émeute était maîtresse de la ville. Le prévôt fit publier à son de trompe une ordonnance déclarant que le nouveau règlement serait considéré comme non avenu, et que celui de 1737 serait remis en vigueur. Les désordres n'en continuèrent pas moins. Les émeutiers envahirent la maison de l'intendant pour le contraindre à revêtir de son sceau l'ordonnance du prévôt, et pour s'emparer du sieur de Vaucanson qu'ils savaient être à l'Intendance, et qu'ils détestaient parce qu'il cherchait à transformer le métier à tisser ; ils lui reprochaient encore d'avoir rédigé le règlement de 1744. Vaucanson s'enfuit déguisé en minime et regagna Paris. On se vengea sur un maître marchand de ses amis, dont on pilla la maison. Les jours suivants, l'émeute s'apaisa. Le 10 août, d'ailleurs, un arrêt du Conseil annulait le règlement de 1744 et restaurait celui de 1737. Mais le Roi envoya le comte de Lautrec à Lyon avec des troupes pour assurer la tranquillité de ses sujets, et, quelques mois après, le 25 février 1745, un nouvel arrêt du Conseil déclara que le règlement de 1744 était rétabli. Lautrec fit afficher que Sa Majesté allait faire justice des instigateurs d'émeutes ; un ouvrier fut condamné à mort et exécuté, deux autres aux galères à perpétuité, deux aux galères à temps, vingt à des peines plus légères. Sous la haute direction du Contrôleur général, sous la
direction réelle du Bureau de Commerce[4], le commerce
extérieur se développa durant les vingt années qui suivirent la chute du
Système. En créant En fait, vers 1730, le commerce français occupe en Espagne
et au Portugal 200 navires ; en Italie et dans les Échelles du Levant, plus de
700 ; aux Antilles, dans les îles à sucre, près de 600. Le seul port de Le commerce colonial se faisait par l'intermédiaire de compagnies et de ports privilégiés. D'assez bonne heure, Le domaine que se réserve Les organes principaux de l'administration de Au Sénégal et en Guinée, Elle réalise de plus importants bénéfices sur les produits
qu'elle achète en Orient que sur ceux qu'elle y vend. Sur les vins elle
gagne, il est vrai, 100 p. 100, sur les coraux, 200 p. 100 ; mais, en
général, une cargaison d'Europe ne lui rapporte pas au delà de 50 p. 100, au
lieu que ses bénéfices sur les articles orientaux, poivre, laques,
mousselines, toiles ou cotons de l'Inde ou de La période de prospérité de Tandis que Lorient avait le monopole des opérations de Le sucre était un des produits les plus rémunérateurs des
colonies françaises du Nouveau Monde. Tous les ans, le transport de cette
denrée occupait de cinq à six cents navires. Le sucre, dit un mémoire de
1733, donne plus de profit à Les cafés ne commencèrent à être importés en quantité
d'Amérique en France qu'à partir de 1738. Le caféier avait été introduit à
Cayenne en 1722, à Si grande fut l'extension du commerce colonial et si fort l'accroissement de la flotte marchande, qu'il devint difficile de recruter la marine de guerre, aussi le commerce était-il mal protégé. Les ports se plaignaient, et l'État ne pouvait ou n'osait les protéger contre la concurrence des contrebandiers d'Angleterre ou de Hollande. Malgré les progrès du commerce et le développement des
manufactures, où l'on voit bien que En mai 1740, le peuple se souleva dans les marchés de Paris. Le 18 septembre, le Roi, passant par le faubourg Saint-Victor, entendait crier : Du pain ! du pain ! Fleury, traversant la ville, fut arrêté quelques jours plus tard par des bandes de femmes qui saisirent ses chevaux à la bride, et hurlèrent qu'elles mouraient de faim. Orry, qui se savait en exécration par tout le royaume, s'alarma, mais ordonna quand même de presser la rentrée des impôts. Le fisc continua ses habituelles rigueurs : pénalités atroces contre les contrebandiers et les faux sauniers ; garnisaires ruineux, imposés aux contribuables récalcitrants ; emprisonnements, ventes de bétail, ventes de meubles, de fenêtres, de portes, de loquets de portes. D'Argenson impute ces barbaries au Contrôleur général qu'il traite de bourreau. Mais le vrai coupable, c'était le régime financier, qui, malgré d'intéressants essais de réforme, demeurait détestable et compromettait la monarchie. III. — LES AFFAIRES RELIGIEUSES : LE JANSÉNISME ET LES PARLEMENTS. LES querelles de religion, au temps de Fleury, ont une importance exceptionnelle ; les Jansénistes, devenus de plus en plus un parti politique, menacent à la fois le haut clergé, les Jésuites, le Gouvernement lui-même. Du côté des Jansénistes, se trouvaient des prélats de mœurs pures et de grande charité, Noailles, de Verthamon, évêque de Pamiers, de Bezons, évêque de Carcassonne, Soanen, évêque de Senez. La cause de l'autre camp a été compromise par de Tencin, archevêque d'Embrun, l'ancien homme de confiance de Dubois auprès de qui l'avait poussé sa sœur, qui était de l'entourage du Régent. D'Argenson accuse Tencin d'inceste et de simonie. Sur le fait de simonie, il est vrai qu'en 1722, au Parlement, il fut convaincu d'avoir, par une convention secrète, conservé les revenus d'un bénéfice cédé par lui à une autre personne. En Le retentissement de ces événements fut énorme. Tandis que
les Constitutionnaires comparaient le concile d'Embrun à l'exposition du Saint-Sacrement — le mot était de
Tencin — les Jansénistes le qualifiaient de brigandage.
Pour la masse du public, Soanen était un martyr. Douze évêques, dont
Noailles, adressèrent au Roi une lettre de protestation. Cinquante avocats de
Paris signèrent une consultation concluant à la nullité des opérations du
concile. Des estampes montraient Soanen, la tête entourée d'un rayon de
gloire, et ses persécuteurs assis sur les genoux des Jésuites. Des satires
traitaient le concile de sabbat. Les
Nouvelles ecclésiastiques, organe des Jansénistes, défiaient les recherches
de la police étant protégées par la complicité universelle. Elles agirent
autant sur l'opinion qu'avaient fait naguère les Provinciales, et que
feront, en 1762, les Extraits des assertions dangereuses, tirés des
livres de Tout Paris passa au jansénisme : magistrats, professeurs, bourgeois, menu peuple, femmes et petits enfants. On insultait les Constitutionnaires ; on déclamait contre les Papes. L'archevêque Noailles fit subitement défection, par un
mandement où de nouveau il acceptait Ci-gît Louis Cahin-Caha Qui dévotement appela ; De oui, de non s'entortilla ; Puis dit ceci, puis dit cela ; Perdit la tête et s'en alla. Le nouvel archevêque, de Vintimille, constitutionnaire ardent, fut attaqué violemment. Son goût pour la table lui valut le surnom de Ventremille ; et, comme son prédécesseur s'appelait Antoine, on raconta que saint Antoine, en quittant ce monde, y avait laissé le diocèse à son compagnon. Vintimille interdit environ trois cents prêtres suspects de jansénisme ; ce fut un tollé général. Les curés n'osèrent plus lire ses mandements au prône ; dès qu'on affichait ces mandements, ils étaient couverts de boue. Dans les églises, les prédicateurs étaient interpellés. Sur la porte du collège Louis-le-Grand on colla ce placard : Les comédiens ordinaires du Pape donneront ici les Fourberies d'Ignace et Arlequin-Jésuite. Le Roi adressa au Parlement de Paris, le 24 mars 1730, une
Déclaration où il était enjoint une fois de plus à tous les ecclésiastiques
du royaume de recevoir purement et simplement L'agitation redoubla ; les magistrats enregistrèrent Des orateurs s'illustrèrent dans ces débats. L'abbé
Pucelle, qui traitait Paris prit parti pour les magistrats ; les quolibets et
les chansons se multiplièrent. Pour protester contre l'emprisonnement de
leurs confrères, les magistrats cessèrent leurs fonctions. Par lettres
patentes, le Roi leur ordonna de les reprendre ; ils rentrèrent au Palais,
mais aussitôt arrêtèrent qu'un mandement où l'archevêque de Paris parlait de De nouvelles an stations de magistrats furent opérées et une nouvelle députation appelée à Compiègne. Je vous ai déjà fait connaître mon mécontentement, dit le Roi aux députés ; soyez plus circonspects. Je veux bien encore suspendre les effets de ma colère. Le lendemain, 20 juin, tous les conseillers, sauf trois ou quatre, signèrent les démissions de leurs charges. Dans ces conjonctures, Orry et Maurepas reprirent, dit-on,
l'idée qui s'était déjà présentée dans les Conseils du Roi, et qui devait reparaître
à la fin du règne, d'une réforme totale de la magistrature. Toutefois on se
contenta de menaces à l'adresse des Parlementaires. Pardonnant une fois de
plus, Louis XV leur fit reprendre leurs démissions, les rappela, et se
contenta, par Les théories parlementaires étaient d'autant plus dangereuses que déjà on commençait à voir que le Roi était incapable de gouverner. L'autorité ne se faisait plus obéir. Les trois quarts du corps de police, dit Barbier, étaient infectés de jansénisme. Fleury se déconsidérait de plus en plus. Les Jansénistes
l'accusaient de conspirer avec Rome contre les libertés de l'Église gallicane
; il avait, disaient-ils, fait plus de mal avec Tout à coup se produisit un phénomène rare en France, une crise de folie religieuse. Un diacre du nom de Pâris était mort en 1727 avec une réputation de sainteté. On racontait qu'il n'avait point voulu s'élever à la prêtrise, s'en jugeant indigne, et qu'il était resté jusqu'à deux ans sans communier, ne se croyant pas en état de recevoir le sacrement. Il avait toute sa vie partagé aux pauvres son revenu, dix mille francs par an, et il était mort dans une baraque en planches du faubourg Saint-Marceau. Les pauvres gens mirent ses habits et ses meubles en morceaux pour se les partager comme des reliques. Il fut enterré au cimetière de l'église Saint-Médard. Bientôt on apprit que des malades, en se couchant sur son tombeau, retrouvaient la santé. On publia les noms de malades guéris de toutes sortes de maux, ulcère à la jambe, squire au ventre, cécité consécutive à une petite vérole, surdité, paralysie. Des témoins certifiaient les faits ; on en dressait des procès-verbaux que signaient des médecins et des apothicaires et que des notaires enregistraient. Tout Paris se rua au cimetière Saint-Médard : grands seigneurs, évêques, magistrats, pauvres diables. Comme il s'y passait des scènes étranges, — des hommes et des femmes, une princesse de Conti, un marquis de Légale, un chevalier de Folard, y tombaient dans des convulsions et des épileptiques y écumaient, la police, le 29 janvier 1732, ferma le cimetière. Mais les miracles continuèrent en cachette, dans des
greniers ou des caves. Des convulsionnaires en arrivèrent aux folies
furieuses, à la façon de l'Inde ou du Tibet. Des femmes se faisaient donner
des coups violents sur le crâne ou dans la poitrine ; on clouait des hommes
et des femmes sur des croix et on leur enfonçait des épées dans le flanc. Les
suppliciés prophétisaient ; les spectateurs chantaient des hymnes. Entre
convulsionnaires, on se donnait le nom de frères
et de sœurs. On appelait secours les supplices qu'on s'infligeait. Six cents
filles réclamaient le secours et 6.000 frères le leur administraient. Les secouristes se divisaient en sectes : les Figuristes, les Multipliants,
les Éliséens. Le frère Augustin fut le
chef des Figuristes ; il se couchait
sur une table, dans la posture de l'Agneau et se faisait adorer. Les Multipliants s'abouchaient la nuit. Les Éliséens reconnaissaient le prophète Élie dans
un pauvre prêtre du nom de Vaillant. Les miracles jansénistes de Saint-Médard
rendirent jaloux les Molinistes, qui crurent un moment avoir leur saint en la
personne d'un Père Gourdan, à qui La même année, les Parisiens s'amusaient à voir jouer au
théâtre des marionnettes le Malade par complaisance, où était
ridiculisé Languet, évêque de Soissons, qui venait de raconter les austérités
et les conversations avec Jésus de Marie Alacoque, morte en 1690 au couvent
de IV. — FLEURY voulut maintenir la paix de l'Europe. Sa politique
était de conserver l'alliance avec l'Angleterre et de vivre en bonne
intelligence avec l'Espagne et avec l'Autriche. H eut, un des premiers,
l'idée de rompre avec la tradition qui faisait de l'Autriche l'ennemie
héréditaire de On peut dire que le Cardinal louvoya entre des menaces de guerre.
Le roi d'Espagne espérait toujours la succession de France ; il voulait pour
ses fils du second lit les duchés italiens ; il prétendait reprendre Gibraltar
à l'Angleterre. L'Empereur résistait à laisser les Espagnols s'établir dans
les duchés tant que ceux-ci ne seraient pas vacants. D'autre part, il
inquiétait, par sa compagnie d'Ostende et par l'activité commerciale de ses
Pays-Bas, l'Angleterre et En février 1727, les Espagnols attaquèrent Gibraltar. Si
l'Empereur les avait soutenus, comme ils le lui demandèrent, c'était de nouveau
une guerre européenne. La diplomatie française agit partout avec grande prudence.
Dès les premiers jours de son ministère, le Cardinal avait fait assurer Mais, de ce congrès, la guerre faillit sortir. L'Empereur
se faisait prier pour sacrifier aux Provinces-Unies sa compagnie d'Ostende. En
outre, il persistait à ne pas permettre l'établissement immédiat des
Espagnols dans les duchés ; de nouveau, la guerre menaça d'éclater entre
l'Espagne et l'Autriche. Dans ces conjonctures intervint un homme pressé de
jouer un grand rôle, Chauvelin. C'était un savant magistrat du Parlement de
Paris, allié aux Le Tellier, ami de grandes familles, mais de vie laborieuse
et simple ; au demeurant très ambitieux et qui aspirait à gouverner Par un traité conclu à Séville, en novembre 1729, entre
l'Espagne, De toute cette politique, l'Angleterre avait tiré de
grands avantages pour son commerce. Elle s'était montrée, de plus en plus,
puissance dirigeante. La conduite de Fleury avait été incertaine et molle. Du
moins, il contribua plus que personne à épargner à l'Europe une nouvelle
grande guerre. Quelques jours après la signature de la paix de Vienne, le
dernier des Farnèse étant mort, Don Carlos entra en possession de Parme ; le
grand-duc de Toscane le reconnut comme son héritier. L'Espagne avait donc
satisfaction. D'autre part, la naissance d'un Dauphin en 1729 avait assuré en
France la succession directe ; il n'y eut donc plus de prétentions espagnoles
à Mais, le 1er février 1733, mourut Auguste II, l'électeur
de Saxe, roi de Pologne. La vacance de ce trône électif ouvrit une crise
européenne. Depuis que Or, Alors parla haut en France le parti de la guerre. Il ne
pouvait s'en prendre à Danzig fut bombardée. La tête de Stanislas était mise à prix. Il sortit de la ville au début de juillet, déguisé en matelot, traversa le camp russe et atteignit la frontière d'Allemagne. Il a raconté son évasion ; l'on voit dans son récit quels furent jusqu'au bout son sang-froid, sa bonne humeur et son courage. La revanche fut prise sur l'Autriche. L'octogénaire
Berwick, après avoir occupé Pour combattre l'Autriche en Italie, Chauvelin, se souvenant de Richelieu et de Mazarin,
voulait ruiner l'Autriche dans C'étaient là des conditions très acceptables pour La disgrâce de Chauvelin avait suivi de quelques jours la
signature de la cession de Le nouveau secrétaire d'État des Affaires étrangères,
Amelot de Chaillou, ancien intendant des finances, une créature de Maurepas,
avait quarante-huit ans. Il ne risquait pas de porter ombrage à Fleury. Petit
et bègue, timide et méticuleux, il fut pour le Cardinal un commis. Avec
quelque culture littéraire, et des notions sur les finances, il ne savait
rien de la diplomatie. Le commis Pecquet aurait pu le mettre au courant, mais
fut incarcéré à Pourtant, pendant le ministère d'Amelot, la diplomatie
française remporta de grands succès en Orient. Le mérite en revint à M. de
Villeneuve, ambassadeur de France à Constantinople. Après qu'elle eut annulé
l'influence française en Pologne par l'exclusion de Leczinski, Comme les Russes avaient occupé Azow, ce fut surtout aux
Autrichiens que Le succès des Turcs aida Le vieux Cardinal avait alors en Europe la réputation d'un
habile et heureux homme d'État. Le roi de Prusse Frédéric II pense qu'il a relevé et guéri A peu de temps de là, en octobre 1740, mourut l'empereur
Charles VI, et la question fut de savoir ce qu'il adviendrait de sa
Pragmatique. Par cet acte, il avait réglé que la succession des royaumes et
principautés de la maison d'Autriche reviendrait à sa fille Marie-Thérèse, et
non à ses nièces, les filles de l'Empereur Joseph, à qui elle aurait dû
appartenir en vertu de dispositions prises par son père Léopold Ier. Charles
avait fait renoncer ses deux nièces à leurs droits, lorsqu'elles épousèrent
l'une le prince électoral de Saxe, et l'autre le prince électoral de Bavière.
Il avait fait accepter Le cardinal aurait mieux aimé s'en tenir à l'engagement
qu'il avait pris de respecter Or, les esprits en France étaient férus de la vieille
passion contre l'Autriche. L'occasion semblait trop belle d'anéantir
l'ennemie de François Ier, de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV. A Fleury s'émut de la vivacité des attaques dirigées contre
lui par Belle-Isle et ses amis. Lui qui continuait à croire qu'il n'y avait
qu'un parti à prendre, celui de rester tranquilles,
il commença à laisser entendre que les engagements pris au sujet de Belle-Isle fit à Francfort en 1741 une entrée triomphale.
Devant lui marchaient douze chevaux, tenus en main, douze voitures à quatre
chevaux avec des couvertures de velours vert portant l'écusson de ses armes
en bosse, et des bâtons de maréchal de France entrelacés de guirlandes d'or ;
cent cinquante valets de pied en livrée verte, avec culotte et veste
écarlate, nœuds d'argent à l'épaule, chapeaux galonnés surmontés de plumets
verts des pages ; vingt-quatre seigneurs formant l'ambassade ; le chevalier
de Belle-Isle ; De Blondel, envoyé de France à Cependant Frédéric II, prêt avant tout le monde, avait
envahi Quand ce traité arriva à Versailles, il y eut grande
émotion. Belle-Isle réclamait par lettres pressantes l'entrée en campagne. La
cour de France n'était pas si pressée. Elle ne voulait pour le moment que
fournir de l'argent aux Bavarois et envoyer des troupes prendre des quartiers
d'hiver en Bavière et en Autriche, plus un corps sur Marie-Thérèse, à ce moment, n'a que des ennemis. Elle a
affaire à l'électeur de Saxe et au roi de Sardaigne qui n'ont pas renoncé à
faire valoir leurs droits sur sa succession ; au roi de Prusse ; à l'Espagne
et à A la diète de Presbourg, où Marie-Thérèse prit le manteau et la couronne de saint Étienne, le 25 juin 1741, les magnats de Hongrie l'accueillirent mal d'abord, ne songèrent qu'à réclamer leurs privilèges, et ne lui permirent pas d'associer son mari François de Lorraine à la royauté hongroise. Les délibérations de la diète durèrent plusieurs mois. Mais deux armées françaises marchant contre l'Autriche, et l'Angleterre demeurant indécise, Marie-Thérèse proposa aux Hongrois la levée en masse, qui fut votée d'enthousiasme en septembre 1741. Un grand secours vint d'Angleterre à l'Autriche. Les
Anglais craignirent que l'Allemagne, sous un empereur bavarois, ne fût à la
discrétion de Commandant de l'armée de Bavière, Belle-Isle, au lieu de
marcher sur Vienne, pénétra en Bohême, après avoir laissé à Lintz un corps
détaché, pour garder Cependant le roi de Prusse suivait ses voies
particulières. Au lieu d'entrer en campagne pour soutenir les Français dans
leurs opérations, il avait conclu avec Marie-Thérèse la convention secrète de
Klein-Schnellendorf, le 9 octobre 1741, qui lui donnait La situation militaire devint très mauvaise en Bohême. De Broglie s'y empara d'Egra, le 20 avril 1742 ; mais les populations étaient autour de lui si hostiles que ses soldats ne pouvaient s'aventurer hors de son camp. Toute l'armée française finit par être cernée dans Prague. Belle-Isle était retourné en Bohême, grandement diminué par les revers, dont l'opinion le rendait responsable. Il était presque tombé en disgrâce. Le ministère avait mis toutes les troupes sous le commandement de De Broglie, Belle-Isle demeurant auprès de lui à titre de conseiller. Pour aider la retraite de l'armée de Bohême, ordre fut
donné à Maillebois d'aller au-devant d'elle avec l'armée de Westphalie.
Maillebois s'avança sur le haut Eger, mais ne voyant pas que Broglie et
Belle-Isle eussent l'idée de marcher vers lui, il se replia vers Maillebois fut disgracié ; de Broglie reçut l'ordre
d'aller le remplacer à la tête de l'armée, et Belle-Isle celui de sortir en
hâte de Prague, et d'évacuer V. — QUAND Belle-Isle ramena en France les restes de son armée, le Cardinal venait de mourir, le 29 janvier 1743. Il était nonagénaire. Depuis quatre ou cinq ans, on le disait tantôt mourant, tantôt à la veille de se retirer volontairement. Mais plus il se sentait envié et menacé, plus il s'attachait à sa place. Les courtisans prédisaient sa chute et nommaient son successeur, Tencin ou Maurepas, Chauvelin ou Belle-Isle. Un moment, on put croire que Louis XV allait se débarrasser du vieillard, sans le disgracier. Le Saint-Siège devint vacant, par la mort de Clément XII, en 1740, et Fleury parut avoir toute chance d'être élu pape. Louis XV projetait déjà, disait-on, de le conduire à Marseille et de l'y embarquer ; mais le conclave fit choix d'un Italien, Prosper Lambertini, qui prit le nom de Benoît XIV. Deux ans avant sa mort, Fleury fut très menacé par une maîtresse du Roi, Pauline de Nesle. Elle l'empêchait, dit d'Argenson, de voir Louis XV plus d'un quart d'heure par semaine. Belle-Isle, qui était alors tout-puissant, la secondait. Tout un parti se formait pour faire entrer au Conseil, comme ministres d'État ou ministres sans département, des amis des ultramontains et du clan dévot des Noailles, le cardinal de Tencin et le comte d'Argenson. Ils y entrèrent le 25 août 1742. Fleury, combattu par presque tous ses collègues, était soutenu seulement par Amelot, un incapable, par Orry, un tyran. Cagneux comme un cheval usé, il se maintenait malgré tout. Il surveillait la cabale adverse, caressait ses ennemis, surtout le valet de chambre du Roi, Bachelier, qu'il soupçonnait de vouloir faire rappeler Chauvelin. Il avait, dit le marquis d'Argenson, des ruses de vieux singe. Jusqu'à son dernier souille, il voulut gouverner et gouverna. |
[1] SOURCES. D'Argenson
(t. I et III) ; Barbier (t. I et II) ; Hénault, Moufle d'Angerville (t. I et
II), déjà cités Luynes (De), Mémoires sur
OUVRAGES
A CONSULTER. Michelet, Jobez (t. II et III), de Luçay, Aubertin, Rocquain,
Bailly, Clamageran, Houques-Fontrade. Vignon (Administration des voies
publiques), de Lavergne, Anmallié (Comtesse d’), Perey (Président
Hénault), déjà cités. Montyon (De), Particularités et observations sur
les ministres des finances de France les plus célèbres de 1600 à 1791,
Paris, 1882. Dictionnaire encyclopédique du Commerce, Paris, 1769, 3
vol. Thirion, La vie privée des financiers au XVIIIe siècle, Paris.
2896. Levasseur, La population française, Paris, 1869, 3 vol., t. I.
Riollay, Études économiques sur le XVIIIe siècle ; le pacte de famine,
Paris, 1885. Boissonnade, Essai sur l'organisation du travail en Poitou,
depuis le XIe siècle jusqu'à
[2] Les 4 millions
produits par les droits sur les quais, halles et marchés de Paris avaient été
distraits de
[3] Pour l'agriculture
aussi, le régime réglementaire est maintenu. La circulation dan blés est
soumise à des autorisations. La culture de la vigne n'est pas libre : un cultivateur
ne peut pas planter une vigne sans la permission de l'Intendant, auquel il doit
prouver que sa terre n'est pas propre à une autre culture. L'évêque de Poitiers
ayant d'assied. en
[4] Un règlement du 29
mai
[5] C'est alors que fut fermé, avec de grandes précautions militaires, le cimetière Saint-Médard, le 29 janvier 1732, dont il sera question plus loin, p. 115.
[6] SOURCES. Recueil
historique d'actes, négociations et traités, par M Rousset déjà cité. Recueil
des Instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, Autriche,
p. p. Sorel, Paris, 1894 (Introduction) ; — Bavière. p. p. Lebon, 1889
(Introduction) ; — Naples et Parme, p. p. J. Reinach (introduction) ; —
Pologne, p. p. L. Farges, 2 vol. (Introduction), 1893, — Espagne p. p. A.
Morel-Fatio et H. Léonardon, Paris 1894-1899, 3 vol. Correspondance de Louis
XV et du Maréchal de Noailles, p. p. C. Roussel, Paris, 1885, 2 vol. in-8.
Frédéric II, Histoire de mon temps, t. II et III des Œuvres,
Berlin, 1846 et suiv. Du même, Politische Correspondens, Berlin, 1878 et
suiv. Mémoires des négociations du marquis de Valori, ambassadeur de France
à
OUVRAGES
A CONSULTER. Flassan, Cose, déjà cités. Himly, Histoire de la
formation territoriale des Etats de l'Europe Centrale, Paris, 1878, 2 vol.
Léger, Histoire de l'Autriche-Hongrie, Paris, 1879. Arneth (d'), Geschichte
Maria Theresia's, Vienne, 1868-1879, 10 vol., t. I à III. Die Kriege
Friedrichs des Grossen. Hrsgg. vom Grossen Generalstabe, Abteilung für Kriegs
gerchichte, Berlin, 1890 et suiv. Œsterreichischer Erbfolgekrieg
(publication des Archives de