I. — L'ÉRUDITION[1]. LA curiosité des choses anciennes, si forte au XVIe siècle, avait été affaiblie par ses excès, qu'elle poussait au ridicule, et par les dangers que l'Église et l'État opposèrent aux esprits aventureux, qui cherchaient, dans l'antiquité sacrée ou dans la profane, des arguments pour contredire les autorités. Elle durait encore, au XVIIe siècle, chez un nombre assez grand d'érudits et chez des curieux, comme on disait, qui assemblaient des objets rares et des documents de toutes les sortes, pour en orner leurs cabinets et leurs bibliothèques. Colbert fut un grand collectionneur. Conseillé par des savants comme son bibliothécaire Baluze, il se donna le plaisir d'une belle bibliothèque. Ce plaisir, disait-il, est presque le seul que je prenne dans le travail auquel la nécessité du service et les ordres du Roi veulent que je sois attaché. Il s'occupa de la bibliothèque du Roi autant que de la sienne et l'enrichit de volumes imprimés, de manuscrits et de médailles. Il se procura des manuscrits en achetant des collections, par exemple celle du comte de Brienne en 1662. L'année d'après, le comte de Béthune donnait la sienne au Roi. Des battues furent faites dans les provinces. Colbert requérait les bons offices de ses subordonnés. Doat, président de la Chambre des Comptes de Navarre, Boudon, trésorier de France à Montpellier, Daguesseau, intendant à Toulouse, Denis Godefroy, garde des archives de la Chambre des Comptes de Lille, firent faire des copies de titres utiles à l'histoire, ou bien nécessaires pour la conservation des droits de la couronne, ou bien intéressants à un titre quelconque. Godefroy fut prié de tenir correspondance dans toute la Flandre, pour ramasser soit les manuscrits, soit les copies de tout ce qu'il y a de beau et de curieux. Les manuscrits étaient cherchés surtout dans les archives municipales ou ecclésiastiques. Colbert recommandait de ne pas les payer cher : Nous observons que souvent une petite gratification fait un grand effet sur les religieux et chanoines, écrivait-il. Il essayait même de ne pas payer du tout. Ayant appris par Baluze que les Carmes déchaussés de Clermont possédaient deux manuscrits d'aveux et hommages faits à Philippe-Auguste, il fit charger l'intendant de les réclamer comme chose due au Roi : En leur donnant votre récépissé, ils en seront bien et valablement déchargés. Lorsque la ville de Gand se rendit, en 1678, elle stipula qu'elle garderait ses archives. Mais Colbert envoya Godefroy à Gand pour les prendre : Le Roi ne peut pas les faire emporter publiquement parce que la capitulation de la ville y répugne ; mais vous pouvez en faire sortir adroitement le plus grand nombre qu'il vous sera possible. Colbert attachait un grand prix aux manuscrits, documents et reliques de l'antiquité latine, grecque et orientale. Il invita par circulaire les consuls dans le Levant à s'informer des occasions d'en acheter et à n'en pas laisser échapper aucune. Les consuls de Chypre et d'Alep se donnèrent beaucoup de peine. D'Arvieux, consul d'Alep, écrivait en 1681 : J'ai un commerce établi en Perse et dans la Mésopotamie avec des gens qui ne m'enverront rien que de bien choisi. L'ambassadeur de France à Constantinople, marquis de Nointel, fut prié d'expédier en France tous les manuscrits grecs qui pourraient se rencontrer dans cette ville : Le public y trouverait un très grand avantage, lui disait Colbert, parce que les hommes de lettres enrichiraient, par l'édition de plusieurs pièces non imprimées, chacun la science de sa profession, et ce serait orner notre France des dépouilles de l'Orient. Nointel mit un grand zèle à contenter le ministre. Mais il l'avertissait que la recherche des antiquités devenait difficile : Tant de personnes de toute nation l'ont rendue si générale, qu'on a presque tout épuisé et donné lieu à beaucoup falsifier. Des missions allèrent de France en Orient. Vansleb, né près d'Erfurt, fils d'un pasteur luthérien, s'était fait dominicain à Rome, au retour d'une longue mission qu'avait payée le duc de Saxe-Gotha. Colbert le fit passer au service du Roi. Vansleb, emportant une instruction comme on en écrivait pour les ambassadeurs[2], s'embarqua, au mois de mai 1671, à Marseille. Il visita Chypre, Tripoli de Syrie, Alep, Damas, Séide, où il passa l'hiver, séjourna deux années en Égypte, deux antres années à Constantinople. En mars 1676, au moment d'aller en Éthiopie, il fut brusquement rappelé en France, accusé d'avoir dilapidé les fonds de la mission, et disgracié. Il avait expédié à Paris 575 volumes de manuscrits, des curiosités, des médailles, et quantité de livres orientaux. D'autres voyageurs firent de belles récoltes de manuscrits hébreux, grecs et persans. Pétis de la Croix, parti à la fin de 1673, resta plusieurs années en Levant. En Perse, il ne put se procurer des exemplaires du Zend et de l'Avesta. A Bassora, le cheikh Yahya, — c'est, dit-il, le nom du curé des Saby — lui apporta le Livre de la religion et de l'histoire des Saby et le lui donna, après lui avoir fait jurer qu'il était bien destiné à l'empereur de France. Il joignit au livre, ajoute Pétis, plusieurs figures de magie, de peur qu'il ne lui arrivât quelque malheur durant mon voyage. La numismatique avait des amateurs passionnés dans toute l'Europe. A Paris, une académie de médaillistes se tenait chez Pierre Séguin, doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, qu'on appelait le dictateur des antiquaires. La grande vogue des monnaies suscita des faussaires en tous pays. Le Père jésuite Hardouin soutenait que toutes les pièces antiques étaient supposées, et il accusait les Bénédictins d'être des faux-monnayeurs en mieux. Le Roi ne possédait qu'un petit nombre de médailles, son père Louis XIII ayant eu peu de goût pour cette antienne, comme il disait. Mais les érudits qu'il employa lui composèrent un riche cabinet. Un des missionnaires envoyés en Europe et en Levant, Vaillant, antiquaire du Roi, fit deux fois le voyage d'Italie et alla en Grèce, en Égypte et en Perse. Il eut d'extraordinaires aventures. Au retour de son premier voyage en Levant, il fut pris par des pirates ; pour sauver quelques médailles d'or, il les avala. Plusieurs belles collections furent achetées en divers pays. Le Roi se félicita d'avoir ajouté à sa bibliothèque, la plus complète de l'Europe par la quantité de toutes sortes de livres les plus rares en toutes langues, des médailles antiques et modernes, qui sont un des plus fidèles monuments de l'histoire. En 1683, il fit transporter ses médailles à Versailles. Pendant qu'on les rangeait, il alla presque tous les jours les regarder entre la messe et le dîner Colbert cherchait, partout où elle pouvait se rencontrer, l'utilité. Or, de vieux parchemins et de vieilles histoires, un savant habile pouvait tirer des renseignements utilisables en politique. Colbert se fit éclairer par Baluze sur les antécédents des questions qui troublaient son temps, comme par exemple le jansénisme et les hérésies qui ont affligé l'Église depuis le commencement. Au même Baluze, qui projetait d'écrire un traité sur les assemblées du clergé, il dit : Je trouve ce dessein fort beau ; il le faut poursuivre. Il demandait à ses érudits des arguments pour la défense et l'accroissement des droits et des domaines du Roi. Baluze dressa le terrier des domaines en plusieurs provinces. Godefroy fit. des enquêtes et des mémoires sur des droits acquis en vertu de traités de paix. Mais Colbert considérait aussi l'utilité des manuscrits pour l'étude de l'histoire. Il était homme à s'intéresser à l'histoire en elle-même. Il invita Baluze à publier les capitulaires des rois francs, ouvrage, disait-il, qui regarde la gloire de nos rois, et qui peut être de quelque considération dans la République des Lettres. Il protégea et pensionna de purs savants. Il aurait voulu avoir de bonnes histoires de toutes les provinces de France. L'histoire de Berri fut entreprise par La Thau-massière à son instigation. En juin 1683, dans ses dernières semaines, il fit savoir aux intendants qu'il plairait au Roi qu'il y eût des travailleurs dans toutes les provinces : Si vous trouviez quelque jeune homme de vingt-cinq à trente ans qui eût du talent et de la disposition d'esprit à s'appliquer à la recherche de tout ce qui pourrait composer l'histoire d'une province, ou à quelque autre science. vous pourriez l'exciter à entreprendre ce travail et à redoubler son application à la science ou recherche qui serait de son goût ou de son génie, et, en ce cas, suivant son travail ou son mérite, je pourrais lui obtenir quelque gratification de S. M. Le travail de l'érudition française, pendant la seconde moitié du XVIIe siècle fut très honorable. Il est vrai, la philologie classique se trouva désertée à peu près. Au XVIe siècle, la France en avait fait une science, — et très utile. Nos érudits avaient montré qu'une littérature ne peut être comprise si l'on ne connaît la civilisation où elle s'est produite, et qu'une civilisation ne peut être connue que par l'étude et la critique de toutes les sortes de documents. Scaliger, Casaubon, — qui formèrent avec Juste-Lipse le triumvirat, — Budé, Turnèbe, Lambin, les Estienne, Pithou avaient été une belle pléiade de philologues. Ils avaient publié des textes améliorés et commentés. Ils travaillaient sans l'aide de répertoires, recourant, pour les rapprochements et les comparaisons, à leur seule mémoire, riche d'une lecture immense. Pour donner à leurs successeurs les instruments qui leur avaient manqué, Robert et Henri Estienne avaient publié, en 1531 et en 1572, leurs trésors de la langue grecque et de la langue latine. Mais cette grande activité s'était vite arrêtée. Au XVIIe siècle, les esprits se, détournèrent des études philologiques et les dédaignèrent. Ils étaient attirés par l'éclat de la littérature moderne, par la philosophie et par les mathématiques. Aussi bien, après les grands travaux de la Renaissance, il semblait qu'il ne restât plus rien à entreprendre qui eût quelque intérêt. L'étude de l'antiquité ne devait refleurir qu'après que l'exploration de la Grèce, de l'Égypte et de l'Asie aurait révélé des horizons nouveaux. Huet, l'évêque d'Avranches, avait toutes les qualités du philologue, mais il jugeait le métier gâté : Je trouve la même différence entre un savant des XVe et XVIe siècles et un savant d'aujourd'hui, qu'entre Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde et le maitre d'un paquebot qui passe journellement de Calais à Douvres. Il s'était un moment appliqué à l'étude du texte d'Origène ; il y renonça, faute de manuscrits sur lesquels il avait compté, mais aussi, ajoute-t-il, s'il faut tout dire, à cause de l'immensité d'un travail sans éclat, et qui m'épouvantait. J'aimais mieux que d'autres que moi fissent le métier bas et presque dégradant d'assembleurs de notes minutieuses et de pêcheurs de variantes ; ailleurs, il dit, de sarcleurs du champ de la littérature. Les sciences auxiliaires de la philologie donnèrent quelques bonnes publications, comme les Recherches des antiquités de Lyon, les Voyages d'Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant, les Recherches curieuses d'antiquités, que publia Spon, de 1673 à 1683. Au contraire de la philologie, l'histoire des antiquités nationales et celle des antiquités de l'Église, n'avait pas cessé d'attirer des travailleurs, depuis le XVIe siècle. Les premiers humanistes avaient dédaigné le moyen âge, où Lambin ne trouvait que bagatelles, inepties et barbarie : meræ nugæ, meræ ineptiæ, mera barbaries. Mais, en tous pays, en Allemagne surtout, des érudits, par curiosité naturelle et par sentiment patriotique, s'étaient mis à l'étude des textes historiques, ecclésiastiques, juridiques de la période où les nations modernes sont nées. En France, avaient été publiées, au XVIe siècle, des éditions de Grégoire de Tours, de Froissart, etc. A la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, Pierre Pithou avait édité de grands recueils de Scriptores, fait des travaux sur les capitulaires, sur l'ancien droit et sur l'histoire de la Champagne ; Bongars, un recueil de documents sur les Croisades, les Gesta Dei per Francos. D'autres avaient étudié des institutions et coutumes de provinces : Loisel celles du Beauvaisis, d'Argentré celles de la Bretagne, etc. ; d'autres, comme Jean Du Tillet, Etienne Pasquier, les institutions monarchiques. André Duchesne avait édité les sources de l'histoire de la Normandie, Historiæ Normannorum scriptores antiqui, et les deux premiers volumes d'un corps de Scriptores de l'histoire de France, qui devait en avoir vingt-quatre. Les érudits d'aujourd'hui admirent l'œuvre qu'il a faite et celle qu'il avait préparée par un assemblage de documents énorme et méthodique. Un des frères Dupuy, qui présidaient à un cercle d'érudits appelé l'Académie putéane, avait tiré du trésor des Chartes, dont il était le garde, un Traité des droits et des libertés de l'Église gallicane, et une Histoire du différend entre le pape Boniface VIII et le roi Philippe-le-Bel, où sont défendus contre la papauté les droits du Roi et ceux de l'Église gallicane. Lens la même période, en Italie, en Allemagne, en France, le catholicisme avait commencé à se défendre contre la Réforme par le moyen de l'histoire. La France avait fourni à l'Église catholique un ample contingent d'érudits... qui, dans leur curiosité laborieuse, renouvelèrent parfois les prodiges des humanistes de la Renaissance. Le P. Sirmond, jésuite, avait donné ses Concilia antiqua Galliæ. D'autres pères jésuites, Fronton du Duc, Petau, Chifflet, Labbe ; des pères de l'Oratoire, Jean Morin, Lecointe ; le bénédictin Luc d'Achery avaient fondé l'étude de l'archéologie, de la numismatique, de la philologie sacrée, et commencé à éclaircir, soit par des ouvrages dignes, même aujourd'hui, de la plus sérieuse estime, soit par des éditions plus précieuses encore, l'histoire de l'antiquité et du moyen âge chrétien[3]. Pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, le travail historique fut plus considérable encore par la qualité et par la quantité. Les Jésuites publièrent une collection des Écrivains divers de l'histoire byzantine[4]. Le P. Philippe Labbe, chargé par le Roi de diriger cette publication, écrivit l'introduction en préface au premier volume. La valeur de cette Byzantine du Louvre reste très grande aujourd'hui. Le P. Labbe encore conduisit l'édition d'un recueil conciliaire, les Sacrosaints conciles[5]. Le P. Hardouin composa, sur mandat de l'Assemblée du Clergé, la Collection royale la plus grande des collections conciliaires[6]. Après que le P. Rosweyde eut conçu l'idée de remplacer les légendes dorées par des biographies de saints, le P. Bolland commença le travail immense que les Bollandistes continuent encore aujourd'hui, les Actes des Saints[7], c'est-à-dire les documents relatifs à leur vie, avec des dissertations préliminaires, des notes et des indices, en suivant l'ordre liturgique des commémorations marquées dans le calendrier romain. La critique des Bollandistes eut affaire à des légendes où beaucoup de passions aveugles étaient intéressées ; elle a été généralement aussi honnête et hardie que possible. — L'œuvre de la congrégation bénédictine de Saint-Maur est immense : collection des Pères grecs et latins ; Actes des saints de l'ordre de Saint-Benoît[8], Annales de l'ordre de Saint-Benoît jusqu'à l'année 1157[9], Actes des premiers martyrs exacts et choisis[10] ; Des rites anciens de l'Église[11] ; la Gaule chrétienne[12], nomenclature des archevêques, des évêques de France. Le dernier travail ne fut qu'ébauché au XVIIe siècle. Il fut continué au XVIIIe, où les Bénédictins donnèrent les Historiens des Gaules et de la France[13], l'Histoire littéraire de la France[14], et quantité de travaux sur l'histoire de villes ou de provinces. Parmi les ouvriers de l'œuvre bénédictine, beaucoup furent médiocres, et quelques-uns seulement de vrais grands érudits. Mais, par l'intelligence de ceux qui conduisaient, le zèle de ceux qui suivaient, la patience et la continuité de l'effort, l'œuvre est demeurée mémorable et précieuse. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres continue très lentement le Recueil des Historiens et l'Histoire littéraire. D'autres religieux travaillèrent à l'histoire de l'Église ou de la France. Un oratorien donna les Annales ecclésiastiques de la France[15] ; un autre oratorien, le P. Thomassin, l'Ancienne et nouvelle discipline de l'Église touchant les bénéfices (en 1678) ; un augustin, l'Histoire généalogique de la maison de France[16]. Un des messieurs de Port-Royal, Le Nain de Tillemont, écrivit une Vie de saint Louis, une Histoire des empereurs et des autres princes qui ont régné durant les six premiers siècles de l'Église ; des Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles[17]. Il a, dans ces œuvres, avec un très grand soin, assemblé des textes en mosaïques. Parmi les laïques, des collectionneurs rendirent de grands services aux érudits. Roger de Gaignières, écuyer du duc de Guise, ramassa des curiosités de toutes sortes. Il n'allait jamais aux champs sans mener avec lui des peintres et des dessinateurs. Beaucoup de monuments anciens ne sont connus aujourd'hui que par les dessins de ses portefeuilles. Il était grand ami des Bénédictins. Un des plus féconds et des meilleurs travailleurs que le monde ait connus fut Charles du Fresne, seigneur du Cange, qui vécut de 1610 à 1688. Il fut trésorier de France à Amiens, sa ville natale. Du Cange se plut à l'étude des auteurs de la basse latinité, à cause de la quantité de choses neuves et à lui inconnues, a-t-il dit, que chaque jour il y découvrait. A des mots que nous appelons barbares, il trouvait un je ne sais quoi d'où il tirait quantité de connaissances, — nescio quid unde plurimum perciperetur eruditionis —, tant sur les institutions et mœurs des ancêtres que sur les origines de la langue vulgaire. Et son esprit s'emplissait de plaisir — non mediocri animi voluptate. —Il copiait et classait les textes où se rencontraient ces mots précieux. Ainsi, peu à peu, tout en faisant autre chose, il accrut son immense récolte. Il l'offrit au public sous la forme d'un Glossaire de la latinité moyenne et basse[18]. Chaque mot en est un recueil de textes, souvent accompagné de dissertations. Plusieurs mots sont de véritables traités sur des matières difficiles. Ce dictionnaire est une encyclopédie du moyen âge, produit d'une érudition immense et fine. Lorsqu'il l'eut achevé, Du Cange était presque septuagénaire. Mais il lui sembla qu'un ami des lettres, ennemi de la honteuse oisiveté, ne devait jamais demeurer sans lire quelque chose. Dix ans après, il publiait le Glossaire de la grécité moyenne et basse[19]. Du Cange a publié aussi des éditions savantes de Villehardouin et de Joinville. Il aurait donné en outre, s'il avait vécu plus qu'une vie d'homme, une Description de la Gaule et de la France, un Nobiliaire sous forme d'un glossaire de la noblesse de France, etc. De ses papiers ont été tirés et publiés en 1841 une Histoire de l'état de la ville d'Amiens et de ses comtes, et, en 1869, Les Familles d'outre-mer[20]. Le Limousin Baluze, habile à la chasse aux manuscrits, collectionneur heureux, critique très sagace, publia le tome premier d'une Nouvelle Collection des conciles, des Mélanges, les Capitulaires des rois francs, les Vies des papes d'Avignon, une Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, l'Histoire de Tulle en trois livres[21]. Il y eut donc en France un assez grand nombre d'érudits qui étudièrent les antiquités de la France et celles de l'Église. Celles-là n'intéressèrent pas le public. Qu'importaient à Louis XIV et à ses sujets les origines de la France ? La lecture de Grégoire de Tours ou de Joinville eût déplu, s'ils l'avaient entreprise, à des hommes qu'enchantaient Plutarque et Tacite, en les trompant, au reste, sur l'histoire de la Grèce et de Rome. Les savants en choses gothiques, à ce moment du XVIIe siècle, travaillaient à l'écart et dans l'ombre. Au contraire, l'histoire de l'Église et de la religion continua de passionner les esprits. Les deux partis adverses, catholiques et protestants, la discussion dogmatique étant épuisée, demandaient à l'histoire la preuve que leurs croyances étaient conformes à celles de la primitive Église Du côté catholique, messieurs de Port-Royal défendirent la thèse établie par Arnauld : Tous les dogmes de la foi sont aussi anciens que l'Église ; ils ont tous été crus distinctement par les apôtres. Nicole publia en 1664 son traité de la Perpétuité de la foi de l'Église catholique touchant l'Eucharistie, qu'il défendit ensuite contre la critique protestante de M. Claude. L'application aux documents sur la religion eut des suites considérables. Un grand changement se fit dans l'étude de la théologie. Jusque-là, les théologiens avaient procédé surtout par le raisonnement ; à cette théologie scolastique succéda la positive, qui fut toute historique. La théologie, enseigna l'oratorien Lamy, n'est qu'une histoire de ce que Dieu a révélé aux hommes ou de ce qui a été cru de tout temps par l'Église. Pour arriver à la vérité historique, il fallut donc procéder selon les méthodes de l'érudition. Le P. Papebrock, jésuite, ayant douté que certains diplômes très anciens, conservés dans les archives bénédictines, fussent authentiques, — entre jésuites et bénédictins, on ne s'aimait guère, — le bénédictin Mabillon composa Six livres sur la diplomatique[22]. Pour la première fois y étaient exposés les principes de cette science. En défendant son traité contre des attaques, Mabillon précisa sa méthode de plus en plus. Il arrivait à se représenter une règle des études, qu'il exposera plus tard en 1691 dans son Traité des études monastiques, règle dont l'esprit est cartésien, puisque le bénédictin parle de lumière raisonnable et d'idées claires et distinctes. Sa grande ambition pour les études monastiques n'allait à rien moins qu'à exiger des moines une culture universelle, et le droit d'examen et de jugement. Ces idées pénétrèrent les écrivains religieux. Parlant de l'histoire des saints, Le Nain de Tillemont disait : Il faut ne rien avancer que de véritable, et même, s'il est possible, qui ne soit indubitablement vrai. Il faisait une déclaration remarquable, dans les Mémoires qu'il composa pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles : Il (l'auteur) ne s'engage point... à examiner les conséquences que l'on pourrait tirer des faits qu'il trouve établis par de bons auteurs ni à répondre aux objections qu'on y a faites ou que l'on y pourrait faire... Il se contente de chercher la vérité des faits. C'étaient des paroles graves. Sans doute, Le Nain ajoute, en homme de foi préalable et tranquille : Pourvu qu'il la trouve (la vérité), il ne craint pas que l'on en abuse, étant certain que la vérité ne peut être contraire à la vérité, ni par conséquent à la piété. Et il cite le mot de saint Augustin : Notre piété n'est pas dans l'illusion et dans le mensonge. Ainsi pensait encore Launoy, professeur au collège de Navarre : La vérité, disait-il, n'a pas besoin du mensonge des hommes, Veritas non eget hominum mendacio. Launoy remonta à l'origine de plusieurs légendes. On l'appelait le dénicheur de saints. Il n'adoucissait point sa critique par des précautions. Sur la légende de la venue en Provence de Lazare et de Marie-Madeleine, il croyait qu'il serait difficile de trouver une fable plus bête que celle-là. Vix invenires fabulam quæ islam insulsitate superet. Les superstitieux lui paraissaient plus insupportables que les impies. Et lui aussi était certain que la religion n'avait rien à craindre de la critique. Mais ce n'était pas très sûr. L'archevêque Le Camus louait Launoy d'être d'un très bon usage pour débourrer un jeune théologien et pour le mettre dans la route ; mais, disait-il encore, si ses écoliers ne se tiennent pas bien, le libertinage est fort à craindre. Ces opérations de la critique étaient dangereuses en effet[23]. Le danger apparut plus grand lorsque l'oratorien Richard Simon se mit à l'étude des textes sacrés. Après s'être instruit seul en la connaissance des langues, il lut la Bible, comme il aurait lu n'importe quel livre, en toute liberté, sans préoccupation de respect. Il examina les textes dont se compose la compilation biblique, classa les diverses traductions du texte hébreu, opposa l'exégèse scientifique, comme il la pratiquait, à l'exégèse traditionnelle. Cette méthode produisit l'Histoire critique du Vieux Testament, publiée en 1678. Montrer qu'il y a dans l'Écriture des fautes de copistes, des contresens, des interpolations, et qu'il ne faut pas plus se fier au texte sacré traditionnel qu'à n'importe quel autre texte, ce n'était pas, en soi, faire acte de mauvais catholique. Les protestants, croyaient que tout, dans la Bible, est révélé, que la traduction des Septante a été inspirée, et que, par conséquent, la parole de Dieu est là pour décider de toutes les controverses, sans qu'il soit besoin d'un recours à l'autorité de la tradition. Au contraire, les docteurs catholiques soutenaient qu'il se trouve dans l'Écriture des imperfections et des obscurités qui rendent nécessaire cette autorité, personnifiée en l'Église. Bossuet se servit de cet argument dans sa controverse avec Claude. Mais Bossuet, qui avait lu le livre de Simon avant la mise en vente, jugea que l'auteur y avait par trop montré les défauts de l'Écriture ; que son livre était plein de doutes et d'incertitudes sur les mystères de la foi ; que cette critique était l'incrédulité... réduite en méthode. Il obtint que l'ouvrage fût mis au pilon. Et Simon fut chassé de l'Oratoire. Simon ne se découragera pas ; après le Vieux Testament, c'est le Nouveau qu'il étudiera. Et, au même moment, le huguenot Bayle inaugurera sa critique destructive. Simon et Bayle se retrouveront à la fin du règne, qui sembla être la fin du régime des autorités. II. — LES SCIENCES[24]. LA première moitié du XVIIe siècle fut remplie d'événements très considérables dans l'histoire des sciences. En 1620, le chancelier d'Angleterre Bacon exposa en termes poétiques par le Novum Organum la méthode des sciences naturelles. Il y condamna l'habitude scolastique de procéder dans la recherche scientifique par des raisonnements déduits de conceptions a priori : Le savant, disait-il, ne doit pas opérer comme l'araignée, qui tire tout d'elle-même. Il doit observer les faits et les constater par des expériences. Les faits, il ne faut pas qu'il se contente de les mettre à côté les uns des autres, car il serait semblable à la fourmi qui amasse. Il doit les classer, puis, allant du particulier au général, découvrir les lois et les causes des phénomènes. Ainsi fait l'abeille qui, après avoir amassé, élabore son miel. Bacon fut l'initiateur à la philosophie de la nature. — L'Allemand Képler donna, en 1609, dans une dissertation sur les mouvements de la planète Mars, et, en 1619, dans son Harmonice mundi, les lois du déplacement des astres dans l'espace. Ce très grand esprit, duquel on a dit que sa gloire est écrite dans le ciel, croyait encore à l'astrologie. Il pensait, comme son prédécesseur dans la science, le Danois Tycho-Brahé, que la fonction des astres est de gouverner la terre : Si les étoiles et les planètes, disait Tycho en 1574, sont sans influence sur nos destinées, à quoi servent-elles ? Nous pouvons, il est vrai, utiliser leur marche pour la mesure du temps ; mais est-il raisonnable de prendre l'univers pour une gigantesque horloge ? Mais Képler fut le dernier des astronomes astrologues. — En 1610, l'Italien Galilée publia le Sidereus nuntius. Il annonça, dans ce messager astral, qu'il avait, par une lunette grossissant de 30 diamètres, découvert des spectacles inimaginés, les montagnes et les vallées de la lune et le cortège des satellites de Jupiter, et décomposé en myriades d'étoiles la voie lactée et les nébuleuses. Après d'autres découvertes, il publia en 1638, dans ses Discours et démonstrations mathématiques sur deux sciences nouvelles, touchant la mécanique et les mouvements locaux[25], sa théorie mécanique de la pesanteur ! — L'Italien Torricelli commença de découvrir la pesanteur de l'air qui nous environne. Cette découverte fut confirmée en 1648 par l'expérience que Pascal, sur le conseil de Descartes, entreprit au Puy de Dôme. — En 1628, l'Anglais Harvey publia un Traité sur le mouvement du cœur et du sang dans les animaux[26]. En observant les faits, et non en étudiant les ouvrages des divers auteurs, comme il a dit lui-même, Harvey avait découvert la circulation du sang. — En France, Descartes et Viète firent de l'algèbre une science. Descartes et Fermat montrèrent comment l'algèbre s'applique à la géométrie par le concept des coordonnées. Fermat et Pascal résolurent des problèmes qui se rapportaient au calcul intégral. Descartes ne fut pas seulement un très grand géomètre et un découvreur, en plusieurs ordres de sciences, de faits considérables. Son génie conçut l'unité de la science et, pour la science une, une méthode universelle. A la vérité, au lieu d'étudier la nature, il voulut la deviner. Plusieurs de ses inventions, comme celle des tourbillons, ont fait tort à sa gloire de savant ; mais elles ne furent pas inutiles à la science. On a pensé que, peut-être, elles ont servi à fixer les destinées de Newton. Assurément Descartes a été un des plus puissants agitateurs intellectuels que l'histoire connaisse. Ainsi, au temps où Louis XIV prit le gouvernement, la grandeur et la puissance de la science étaient révélées. Le Roi se fit un honneur d'aider les savants dans leur travail. L'Académie des sciences avec ses pensionnaires appointés,
ses associés, qui touchaient des jetons de présence, ses missionnaires
géomètres et naturalistes, et ses élèves, était un lieu de recherches et
d'enseignement pour toutes les sortes de sciences. Elle fut très laborieuse.
Le Journal des Savants, fondé, comme nous avons dit, en 1665, pour
informer le public des nouvelles scientifiques, dura, soutenu par Colbert. En
1701, il deviendra une publication d'État. Son principal objet était de faire
connaître les expériences de physique et de chimie...
les nouvelles découvertes... les machines et les inventions utiles ou curieuses...
les observations du ciel... et ce que l'anatomie pourra trouver de nouveau dans les
animaux. L'Observatoire de Paris, construit de 1667 à 1675, fut muni
de tous les instruments du travail astronomique. Le Jardin
du Roi fut enrichi par des collections. Colbert écouta dans l'administration des sciences plusieurs conseillers, dont les plus actifs furent Charles Perrault et le Hollandais Huygens. Huygens, né à La Haye en 1629, fut préparé par ses études en lettres, en droit, en musique, en mathématiques à l'universalité des connaissances. Il n'avait pas dix-huit ans, quand le P. Mersenne disait de lui qu'il surpasserait quelque jour Archimède, cousin du roi Gélon. Il perfectionna la lunette astronomique, en construisant des objectifs plus puissants. Il découvrit en 1656 un satellite de Saturne, et il observa l'anneau dont il donna l'explication en 1659. Appliquant une idée de Galilée, il adapta le pendule aux horloges, et donna ainsi à l'astronomie d'observation l'instrument précis qui lui était nécessaire pour la mesure du temps. Ses découvertes, ses théories de géométrie et de mécanique, son Calcul des jeux de hasard, esquisse du calcul des probabilités, avaient répandu sa renommée, quand Colbert l'appela. Huygens vint à Paris en 1666, et y resta presque jusqu'à la mort du ministre. Le principal travail scientifique en France, pendant le gouvernement de Louis XIV, fut employé à l'astronomie. Avant que l'Observatoire de Paris fût achevé, l'Académie des sciences avait donné à Picard, le plus savant de nos géomètres, la mission de mesurer un degré du méridien terrestre. Le travail de Picard, publié en 1679, permit à Newton d'établir définitivement sa loi de la gravitation universelle. En 1682, Picard commença la rédaction de la Connaissance des temps, que continue aujourd'hui le Bureau des longitudes. Ce fut en 1669 que l'Italien Cassini, appelé par Colbert, prit la direction de l'Observatoire de Paris, où le secondèrent Picard et le Danois Rœmer, un des savants appelés en France par Colbert. Cassini, qui fut un laborieux et habile observateur, avait déterminé, du temps qu'il était en Italie, le mouvement de rotation de Jupiter, de Mars et de Vénus. A l'Observatoire, il découvrit quatre nouveaux satellites de Saturne. Il étudia les mouvements des satellites de Jupiter, dont il avait publié les Éphémérides. L'étude des éclipses de ces satellites servit à la détermination des longitudes. Elle permit à Werner de calculer la vitesse de la propagation de la lumière. Cassini découvrit la lumière zodiacale, et donna la théorie de la libration de la lune. Il dirigea de grands travaux de géodésie. Huygens expliqua la théorie mathématique du pendule ou de la rotation d'un corps pesant autour d'un axe fixe — ce qui était, pour la première fois, étudier la dynamique du corps solide — et la théorie du choc, où intervient le principe de la conservation de la force vive. Ainsi fut fondée la mécanique rationnelle, dont la théorie de la gravitation universelle sera la plus belle application. Les principaux travaux de Huygens sur la mécanique sont réunis dans son Horologium oscillatorium publié en 1673. De toutes les parties dont se compose aujourd'hui la physique, l'optique était au XVIIe siècle la plus avancée. Huygens exposa dans sa Dioptrique et dans son Traité de la lumière l'hypothèse des ondulations de la lumière, que, plus tard, devait vérifier Fresnel. Il fit connaître la double réfraction. — En acoustique, Sauveur, professeur de mathématiques au Collège de France, découvrit les nœuds de vibration des cordes sonores, et il expliqua le phénomène des battements. La machine pneumatique qu'Otto de Guéricke, bourgmestre de Magdebourg, inventa vers 1655, provoqua des expériences qui intéressèrent grandement les contemporains. Le problème, posé par cette invention, de la statique des gaz et de la relation entre le volume d'un gaz et la pression qu'il supporte, fut résolu à peu près en même temps par Boyle en Angleterre et par Mariotte en France. Ils établirent que le volume d'une masse gazeuse, à la même température, varie en raison inverse de la pression qu'elle subit, et donnèrent ainsi les lois de l'équilibre des fluides. — Denis Papin, médecin à Paris, étudia pendant de longues années la force et les effets de la vapeur. Il fit connaître, à Paris, en 1682, sa marmite. Plus tard, retiré à Marbourg, il essaya de construire sur la Fulda un bateau actionné par la vapeur. Il publia en 1707, à Cassel, sa Nouvelle manière d'élever l'eau par la force de la vapeur. Pendant que ces grands progrès étaient obtenus en mathématiques et en physique, la chimie se dégageait peu à peu, lentement, des habitudes et des préjugés venus des vieux maîtres alchimistes, qui espérèrent si longtemps obtenir, par la transmutation des métaux, la pierre philosophale. Mais elle ne faisait guère que chercher des remèdes pour la médecine, ou des produits nécessaires aux manufactures. Les analyses demeuraient insuffisantes, parce que l'on ne connaissait pas encore la pratique de recueillir sur la cuve à eau et sur la cuve à mercure les gaz produits par les réactions. Il était impossible d'instituer une comparaison exacte entre des corps imparfaitement connus, et d'obtenir des dénominations simples. La nomenclature était un fatras. Pourtant on arrivait peu à peu à la connaissance de faits qui permettaient des conclusions théoriques et un enseignement régulier Nicolas Lémery, premier titulaire d'une chaire fondée au Jardin du Roi, écrivit un Traité de chimie. Il débarrassa la langue de l'appareil baroque et énigmatique dont les alchimistes l'avaient revêtue. Presque rien ne fut ajouté aux découvertes antérieurement faites dans l'anatomie humaine. Pour de nouveaux progrès, l'étude comparée des animaux était nécessaire ; on ne s'y hasarda que timidement. Claude Perrault, Méry et Duverney procédèrent à des recherches sur les animaux qui mouraient dans la ménagerie établie par Louis XIV au Jardin du Roi. Un système comparatif de zootomie fut établi par Claude Perrault sur des observations personnelles. — Duverney et Méry découvrirent la forme de l'appareil circulatoire du fœtus. Ils la reconnurent semblable à celle du même appareil chez les reptiles. C'était la rencontre de la grande loi : les animaux supérieurs traversent dans leur développement des états où demeurent les êtres inférieurs. Mais cette loi devait n'être comprise qu'au début du XIXe siècle par Geoffroy Saint-Hilaire et par Serres, et ne prendre son importance que dans l'esprit des évolutionnistes modernes. Les zoologistes croyaient, au XVIIe siècle, que chaque animal était préformé intégralement dans son germe, et qu'il ne faisait plus que croître sans changer de forme. Malgré l'emploi du microscope, inventé à la fin du XVIe siècle, ce préjugé ne put être détruit. Il arrêta longtemps l'embryologie, qui pointait déjà dans les recherches sur les œufs de la poule et sur les insectes. Il empêcha aussi les micrographes de découvrir la théorie cellulaire. Cependant le microscope commençait à dévoiler un monde nouveau. Il permettait au Hollandais Swammerdam de reconnaître dans la vie des insectes des faits intéressants, à un autre Hollandais, Leuwenhœck, d'étudier les terminaisons capillaires des artères et des veines, les globules du sang, et de découvrir des êtres inconnus. Leuwenhœck trouva des infusoires dans l'eau de pluie ; il l'annonça par un mémoire que Huygens traduisit en français. Et Colbert demanda qu'on lui montrât de ces petites bêtes. Car les découvertes du microscope, comme celles du télescope passionnaient des esprits. Les unes et les autres donnaient la certitude des choses vues : J'aime mieux, disait Leibniz, un Leuwenhœck qui me dit ce qu'il voit, qu'un cartésien qui me dit ce qu'il pense. Aucune découverte ne profita à la médecine, qui n'a presque pas été calomniée par Molière. Elle eut d'habiles praticiens, mais point de savants. Elle s'attarda au pédantisme du respect des anciens. Sur toutes choses, dit M. Diafoirus en parlant de son fils Thomas, ce qui me plan en lui et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autre opinion de même farine. Les botanistes se perdaient dans les descriptions ; la nomenclature était en désordre, et la systématique demeurait incertaine. Tournefort, démonstrateur au Jardin du Roi, herborisa dans toute l'Europe et en Orient, où il voyagea aux frais du Roi. Il publia en 1694 des Éléments de botanique. Sa méthode de classification devait rester en usage jusqu'à Linné. Il conservait la fausse division en herbes et en arbres ; mais il eut l'idée d'adjoindre aux caractères floraux, qui étaient presque uniquement empruntés à la corolle, d'autres caractères, abstraits d'organes différents. Il se rapprocha ainsi de la méthode naturelle. Tournefort fut le maitre des Jussieu, qui donnèrent à la fin du XVIIIe siècle les principes de la science. La géologie commença au XVIIe siècle à sortir de l'enfance où la détenaient de naïves opinions, comme celle-ci que les fossiles sont des jeux de la nature, ou bien qu'ils ont été créés en leur état par Dieu. L'opinion, entrevue dans l'antiquité, clairement exprimée au temps de la Renaissance, que ces fossiles d'animaux et de plantes étaient des êtres qui avaient vécu, ne s'accrédita d'abord que sous la forme de l'idée diluvienne, à savoir que les fossiles sont des débris d'êtres que noya et charria le déluge. La vraie théorie scientifique fut donnée par Leibniz et Sténon, les créateurs de la géologie moderne. La France s'intéressa fort peu à ces études. Au reste, il n'est pas une des parties de la science qui viennent d'être énumérées où le travail n'ait été médiocre chez nous, excepté où il fut aidé par la collaboration des étrangers Huygens, Rœmer et Cassini. Après Descartes, Viète, Fermat, Pascal, un siècle passera avant qu'il se produise en France une renaissance. La fin du XVIIe siècle fut remplie par la gloire de deux très grands hommes, un Allemand et un Anglais. Leibniz et Newton trouvèrent le calcul infinitésimal, qui ouvrit aux mathématiques un champ indéfini de recherches et leur permit de pénétrer les sciences pour les transformer. Newton, dans le livre des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, paru en 1666, et qui est, a dit Lagrange, la plus haute production de l'esprit humain, expliqua l'univers. D'où vient cette médiocrité de la France, pendant si longtemps, en une si grande matière ? Plusieurs raisons peuvent être données. L'éducation française ne préparait pas au travail scientifique ; les collèges universitaires ou privés, ne donnaient guère que la culture formelle ; les universités étaient attardées aux pratiques du moyen âge. On a dit encore qu'il mesure que les problèmes devinrent plus difficiles et furent étudiés dans leur rigueur, le public cessa de s'y intéresser, les femmes surtout, et qu'en France les savants eux-mêmes ont besoin d'être soutenus par un applaudissement. L'applaudissement s'adressait alors aux grandes œuvres des lettres, et c'est par les lettres que se manifesta de préférence l'esprit français. A quoi peut-être il convient d'ajouter que beaucoup d'intelligences s'employèrent au service de l'État, qui trouva dans la guerre, dans la diplomatie, dans les conseils, dans l'administration de si admirables serviteurs. Mais voici un autre ordre de raisons. La science avait des prétentions bien grandes. Le Dictionnaire de l'Académie la définit connaissance certaine et évidente des choses par leur cause. Le même dictionnaire appelle philosophe celui qui s'applique à l'étude des sciences et qui cherche à connaître les effets par leurs causes et par leurs principes. Des hommes de ce siècle attendaient, en effet, de la philosophie l'explication de toutes choses. Ils ne voulaient pas que les sciences se disjoignissent, de peur qu'elles ne perdissent de vue cet objet. Avant d'ajouter des académies à celles qui existaient avant lui, Colbert avait eu l'intention, au dire de Charles Perrault, d'établir une Académie générale. Elle eût été composée de quatre groupes : gens des belles-lettres — grammaire, éloquence, poésie ; — historiens — histoire, chronologie, géographie ; — philosophes — chimie, simples, anatomie, physique expérimentale ; — mathématiciens — géométrie, astronomie, algèbre. — Chacun de ces groupes se serait réuni en particulier deux fois la semaine ; mais, une fois par mois, une assemblée générale eût été tenue, où les secrétaires de chaque section auraient apporté les jugements et les décisions de leurs assemblées. Tout un chacun pouvait leur demander l'éclaircissement de ses difficultés. Or, sur quelle matière ces États généraux de la littérature n'eussent-ils pas été en état de répondre ? Si, pourtant, des difficultés s'étaient présentées, telles qu'on n'aurait pu les résoudre sur-le-champ, on les aurait proposées par écrit ; il y aurait été répondu de même, au nom de l'Académie entière. Il se serait ainsi trouvé dans le monde un lieu où toute curiosité aurait été satisfaite. L'idée de l'Académie générale fut abandonnée, et l'Académie des sciences instituée. C'est elle qui fut chargée de l'œuvre philosophique. Huygens croyait et n'était pas seul à croire qu'elle pourrait arriver à la connaissance des causes de la nature en travaillant à l'histoire naturelle à peu près suivant le dessein de Vérulam, — c'est-à-dire du chancelier Bacon. Voici le programme qu'il donnait : Savoir ce que c'est que la pesanteur, le chaud, le froid, l'attraction de l'aimant. la lumière, les couleurs, de quelles parties est composé l'air, l'eau, le feu et tous les autres corps, à quoi sert la respiration aux animaux, de quelle façon croissent les métaux, les pierres et les herbes ; de toutes lesquelles choses l'on ne sait encore rien ou très peu, n'y ayant pourtant rien au monde dont la connaissance serait plus à souhaiter, ni plus utile. L'utilité de cette connaissance s'étendrait à tout le genre humain et dans tous les siècles à venir ; car, outre que des expériences particulières serviraient à des fins utiles, l'assemblage de toutes est toujours un fondement assuré pour bâtir dessus une philosophie naturelle, dans laquelle il faut nécessairement procéder de la connaissance des effets à celle des causes. Dix ans après, Huygens admirait, dans un langage où l'on sent la joie du travail et l'émotion de la découverte, l'établissement de vérités nouvelles, la destruction d'erreurs admises, la grandeur de l'œuvre accomplie déjà[27]. Il semblait à quelques-uns que le monde dût être transformé par la philosophie. Au moment où Huygens partait pour Paris, en 1666, le savant Oldenbourg le félicitait, de Londres, d'aller y travailler pour le bien public et l'avancement de la belle philosophie. Il exprimait cette espérance : J'espère qu'avec le temps toutes les nations tant soit peu polies s'entre-embrasseront comme chères compagnes, et feront une conjonction de leurs forces, tant de l'esprit que des biens de la Fortune, pour chasser l'ignorance et pour faire régner la vraie et utile philosophie. En même temps, la science apparaissait comme une bienfaitrice qui ferait la vie plus commode et meilleure. Huygens inventa des horloges, qui, étant construites en petit seront des montres de poche très justes, et, dans une plus grande forme, pourront servir utilement partout ailleurs et particulièrement pour trouver les longitudes tant sur mer que sur terre. Lui-même définit ainsi son invention, l'année 1675, dans une lettre où il sollicite de Colbert un privilège pour la fabrication de la montre avec régulateur à ressort. Des géomètres dressèrent pour Colbert, qui avait besoin de bien connaître ses circonscriptions administratives, les cartes de plusieurs provinces. Les observations astronomiques servirent à guider la grande navigation. Par les progrès de la mécanique, des métiers furent perfectionnés. Quantité de petites inventions se succédèrent. De ce côté encore s'éveillaient de grands espoirs. On voyait s'établir l'empire de l'homme sur les choses. Locke, qui visita la France de 1675 à 1679, écrit dans son journal, qui est rempli de notes sur des expériences de physique : Voici un vaste champ de connaissances propres à l'usage et à l'avantage des hommes ici-bas, à savoir inventer des machines nouvelles et rapides qui abrègent ou facilitent notre travail, combiner l'application sagace de plusieurs agents et matériaux, qui nous assurent des produits nouveaux et bienfaisants, dont nous puissions nous servir et accroître par là l'ensemble de nos richesses, c'est-à-dire des choses utiles aux commodités de notre existence. Lorsque Denis Papin projetait, en 1688, de mouvoir un piston par la force de la poudre à canon, il pensait : C'est sans doute quelque chose de grand et de généreux, que de vouloir tourner à l'utilité des hommes la force de la poudre à canon, qui jusqu'ici n'a été employée qu'à les détruire. Or, tout cet esprit d'un monde nouveau condamnait le vieux monde. La vraie et utile philosophie, la belle philosophie, la philosophie naturelle inquiétait la théologie, cette philosophie sacrée. Il est vrai, les sciences naturelles ne firent pas de si grands progrès que des chrétiens fussent troublés dans leurs croyances sur la Genèse et sur les relations de la terre avec Dieu. Mais les découvertes mathématiques et astronomiques changèrent la condition de la terre et de l'homme et l'amoindrirent. Galilée, en créant la physique expérimentale et la physique mathématique, montra l'identité des phénomènes célestes et des phénomènes terrestres ; il étendit à l'univers entier les lois physiques observées sur la terre. Alors la distinction tomba entre la terre et. le ciel, jadis considérés comme s'opposant l'une à l'autre, la terre séjour pour la souffrance et pour la mort, le ciel lieu de pérennité incorruptible. Et aussi la terre cessait d'être le centre de la sphère du monde. Elle perdait sa dignité d'astre pour le service duquel soleil, lune, étoiles s'ordonnaient en une hiérarchie de cieux manœuvrés par des anges et montant vers l'empyrée. Il devenait douteux que l'homme fût le principal souci de Dieu. Dieu, qui avait si longtemps vécu en intimité avec la terre et avec l'homme, reculait dans l'infini. Un conflit entre la science et l'autorité ne se pouvait éviter, la science étant une recherche perpétuelle, et l'autorité procédant par affirmation préalable et définitive. Les savants qui découvraient ou voyaient découvrir de si grandes nouveautés, les contemporains de Galilée, de Harvey, de Descartes, de Huygens, de Newton, ne pouvaient croire, comme Boileau ou comme Lebrun, que les anciens eussent tout inventé, et que le principal de l'éducation fût l'étude de leurs monuments et de leurs livres. Toute la suite des hommes pendant le cours des siècles, disait Pascal, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement, d'où l'on voit avec combien d'injustice nous respectons l'antiquité dans ses philosophes. Une autre autorité que celle des anciens, l'autorité en religion, ne pouvait pas ne pas être contestée à son tour. Sans doute des âmes pouvaient échapper au conflit entre la foi et la science, par l'affirmation voulue de la foi. Pour ne pas parler de Pascal, des philosophes comme Boyle croyaient à une conciliation de la religion et de la science, pour le plus grand bien de l'une et de l'autre. Boyle prévoyait, disait-il en 1651, une révolution qui devait exalter la théologie et faire fleurir la véritable philosophie au delà des espérances humaines. Mais d'autres craignaient qu'il ne fût pas facile de faire vivre ensemble la science et la foi. Leibniz écrivait au grand Arnauld : Un siècle philosophique commence, où un plus grand souci du vrai va se répandre, en dehors des écoles, dans le commun des citoyens. Si nous ne pouvons satisfaire à ce besoin de science, il faut renoncer à la propagation véritable de la religion... Rien ne sera plus propre à fortifier l'athéisme, ou du moins le naturalisme qui va croissant, et à détruire à fond la foi de la religion chrétienne déjà chancelante en beaucoup de grands mais méchants esprits... l'Église a chez elle même des ennemis plus violents que les hérétiques. Il est à craindre que la dernière hérésie ne soit, sinon l'athéisme, au moins un naturalisme déclaré[28]. L'Église, clairvoyante, avait essayé d'arrêter la science à son premier élan. Elle avait condamné Copernic et Galilée. Il fallut donc que la philosophie prit des précautions contre la théologie. Bacon avait proclamé cette science de Dieu la première de toutes. Il l'avait mise au-dessus de tout, mais à côté. Il interdisait aux savants la recherche des causes finales, qui, semblable à la vierge consacrée à Dieu, est stérile et ne peut enfanter. Tous les savants imitèrent cette prudence, et la science se trouva gênée. La France, à juger sur les apparences, était le séjour favori de la philosophie. Paris, écrivait Leibniz en 1695 au duc Jean-Frédéric de Brunswick, est un lieu où il est bien difficile de se distinguer. On y trouve les plus habiles hommes du temps en toutes sortes de sciences, et il faut beaucoup de travail et un peu de solidité pour y établir sa réputation. Huygens admira, dans la dédicace au Roi de son Horologium, la renaissance et restitution de la géométrie en ce siècle par le génie des Français. Peu à peu, partout, sous des formes diverses, le cartésianisme se répandait. On le reconnaît dans les œuvres de l'esprit français au soin de se former des idées claires et distinctes, au dédain des subtilités, à un air d'indépendance et de confiance. Mais nulle part, l'Espagne exceptée, la pensée n'était moins libre qu'en France. Descartes n'osa pas publier, et même il détruisit un Traité du monde qu'il avait composé. Plusieurs fois, il s'expatria. Lorsque son corps eut été ramené de Suède à Paris, défense fut faite par le Roi de prononcer aux obsèques l'éloge du philosophe. Les Jésuites, qui découvraient toujours les premiers les suites d'une doctrine, essayèrent de ruiner le cartésianisme. Ils firent mettre à l'index les œuvres de Descartes et interdire l'enseignement de ses opinions et de ses sentiments. En 1675, ils obtinrent, avec l'aide de l'archevêque de Paris, que l'Oratoire, où l'esprit nouveau avait pénétré, répudiât son esprit cartésien. Un jésuite, le P. Valois, dénonça Descartes à l'Assemblée du clergé en 1680 : Messieurs, je cite devant vous M. Descartes et ses plus fermes sectateurs... Vous ne hasarderez rien à vous servir de votre autorité. Le Saint-Siège approuvera tout ce que vous ferez.., et le Roi a déjà fait connaître, non seulement ce qu'il attend de vous, mais ce que vous pouvez attendre de lui. C'est le vœu commun de la France qui... appréhende le désordre dont le Roi lui-même juge qu'elle est en ceci menacée. Interdire le cartésianisme, c'était fermer la carrière qu'avait ouverte à la science la méthode philosophique du doute et de la recherche. Mme de Sévigné écrivait, à propos de la contrainte exercée sur les Oratoriens : Les Jésuites sont plus puissants que jamais ; ils ont fait défendre aux PP. de l'Oratoire d'enseigner la philosophie de Descartes, et, par conséquent, au sang de circuler. Ces derniers mots sont une allusion à l'arrêt burlesque imaginé par Boileau, sur la nouvelle que la Faculté de théologie demandait au Parlement le renouvellement d'un arrêt qui avait interdit, en l'année 1624, tout enseignement contraire aux opinions des auteurs anciens et approuvés. Au préambule de l'arrêt de Boileau, la Cour visait une requête de l'Université, présentée tant en son nom qu'en celui de maître... Aristote, ancien professeur royal en grec dans le collège du Lycée, et réclamant justice contre une inconnue nommée la Raison. Cette dame, depuis quelques années, aurait entrepris d'entrer par force dans les écoles de ladite Université. Sans l'aveu du maître Aristote, elle aurait, entre autres choses, attribué au cœur la charge de faire voiturer le sang par tout le corps avec plein pouvoir audit sang d'y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et artères, n'ayant autres droits ni titres pour faire les dites vexations que la seule expérience, dont le témoignage n'a jamais été reçu dans lesdites écoles. La Cour, ayant égard à ladite requête, ordonne que ledit Aristote sera toujours suivi et enseigné par les régents, docteurs, maîtres ès arts et professeurs... sans que pour ce ils soient obligés de le lire ni de savoir sa langue et ses sentiments, et, sur le fond de sa doctrine, les renvoie à leurs cahiers. Elle fait défense au sang d'être plus vagabond, errer ni circuler dans le corps, sous peine d'être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. Les théologiens, honteux de l'applaudissement qui accueillit l'Arrêt burlesque, retirèrent leur requête. Mais ils se tenaient sur leurs gardes. Bossuet, qui pourtant apprit beaucoup de Descartes, et le laissa voir dans son Traité de la connaissance de Dieu, signalait le grand combat qui se prépare contre l'Église sous le nom de philosophie cartésienne[29]. Il n'y avait pas encore en France une opinion publique capable de défendre la philosophie contre les puissances. Très peu de personnes se doutaient que leur temps voyait naître une révolution de l'esprit humain, comme a dit Voltaire en parlant du progrès des sciences au XVIIe siècle. Ce progrès, un philosophe du siècle dernier, Cournot, l'a défini admirablement : Antérieurement au XVIIe siècle, les progrès des sciences sont si lents, les découvertes notables si clairsemées, que le tableau qu'on en peut tracer ressemble plus à des fastes, à des registres ou à des annales monacales ou hiératiques qu'à une composition vraiment historique où l'intérêt ressort de la forte et intime union de toutes les parties du récit. Mais au XVIIe siècle, la révolution des mathématiques entraîne avec elle le progrès des sciences naturelles. L'unité de la science se découvre, et, en même temps, son utilité magnifique. C'est l'époque où les sciences abstraites, longtemps cultivées pour elles-mêmes et pour le charme que quelques esprits y trouvent, ou par un secret et vague pressentiment de leur rôle futur, donnent tout à coup la clef de ce qu'il y a de plus simple, de plus grand, de plus imposant dans l'ordre de l'univers... Dès lors, les découvertes se pressent dans le domaine des sciences abstraites comme dans le champ de l'observation et de l'expérience ; les découvertes deviennent des révolutions en géométrie, comme en astronomie, comme en physique ; et ces révolutions, au moins pour la géométrie et l'astronomie, sont de l'ordre de celles qui, chacune dans leur genre, n'ont pas eu et ne doivent pas avoir leurs pareilles. Aussi les progrès et les révolutions des sciences donnent-ils au siècle un caractère singulier et exceptionnel, que ni la religion, ni la politique, ni la philosophie, ni les lettres, ni les arts ne lui communiqueraient à ce degré éminent. Ce sont des choses médiocres et perceptibles à peine que toutes les querelles religieuses, et toutes les combinaisons de la politique, et tout l'orgueil de Louis XIV en comparaison de cet événement : les deux infinis, l'infiniment grand et l'infiniment petit, ouverts au regard et à l'esprit de l'homme. Mais, excepté l'Église, avertie par l'instinct de la conservation, et quelques très rares esprits, personne ne voyait où elle était la grandeur du siècle. Tout le monde ne le voit pas encore aujourd'hui. Il faut du temps pour que retombe la poussière et s'éteigne le bruit soulevés par les événements de surface où se satisfait notre curiosité superficielle. |
[1] SOURCES. Clément, Lettres..., t. V et VII. Voir à la table les mots : BIBLIOTHÈQUES, MANUSCRITS, MISSIONS. Depping, Correspondance..., t. IV. Comptes des Bâtiments, t. I et II ; Lettres de Chapelain. Missions archéologiques françaises au Levant, publ. par Omont (Collection des Documents inédits). Huetiana, ou pensées diverses de M. Huet, Amsterdam, 1788.
OUVRAGES. Delisle, Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1868-74, 4 vol. Mortreuil, La Bibliothèque Nationale, son origine et ses accroissements, Paris, 1878. Babelon, Traité des monnaies grecques et romaines (introduction du t. I), Paris, 1901. Bonnaffé, Dictionnaire des amateurs français au XVIIe siècle, Paris, 1884. Vandal, L'odyssée d'un ambassadeur. Les voyages du marquis de Nointel, Paris, 1900. Langlois, Manuel de bibliographie historique, Paris, 1904. Pougeois, Vansleb, sa vie, sa disgrâce, Paris, 1869. De Grandmaison, Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, 1890-92, et en tirage à part, Niort, 1892. Dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, Paris, 1770. U. Robert, Supplément à l'histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, Paris, 1881. Vanel, Les bénédictins de Saint-Maur à Saint-Germain des Prés (1680-1791), Paris, 1896. E. De Broglie, Mabillon et la Société de Saint-Germain du Prés, Paris, 1888, 2 vol. Bäumer, Joh. Mabillon, Augsbourg, 1892. Fougère, Étude sur la vie et les ouvrages de Du Cange, Paris, 1852. Fage, Étienne Baluze, sa vie, ses ouvrages, Tulle, 1899. Bernus, Richard Simon, Lausanne, 1869. Margival, Essai sur Rich. Simon, Paris, 1900.
[2] Il devra, disait cette instruction, rechercher et envoyer ici la plus grande quantité qu'il pourra de bons manuscrits et de médailles anciennes, et surtout ne laisser échapper aucun livre historique, ni aucun livre de lois civiles ou ecclésiastiques. L'instruction marque les lieux où il trouvera des manuscrits : le mont Athos, le Sinaï, les couvents des déserts de la Nitrie, Constantinople, Ispahan, l'Éthiopie. Elle nomme des personnes avec qui l'on peut faire affaire, par exemple un patriarche et un médecin qui sont grecs, partant plus curieux d'argent que de livres. Et, en outre, Vansleb devra noter tout ce qu'il rencontrera d'intéressant, décrire les édifices tant antiques que modernes, envoyer, si possible, les statues ou bas-reliefs qui sont de bons maîtres, faire des descriptions de toutes les machines, principalement de celles qui ne sont pas ici en usage, comme aussi de tous les outils et tous les arts qui sont différents des nôtres on qui ont quelque chose de singulier, et encore des vêtements et habits particuliers de chaque nation... Il dressera un recueil des inscriptions anciennes qu'il trouvera, afin que l'on puisse étudier en quel état sont à présent les misérables restes de la puissance ancienne. Enfin, Il remarquera tout ce qui peut entrer dans la composition de l'histoire naturelle de chaque pays. Il rapportera des animaux empaillés, des échantillons de roches, des graines, des feuilles séchées. Il notera toutes les recettes dont il pourra avoir communication...
[3] Voir dans Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme, 2e édition, Paris 1892, le chapitre II du livre I, intitulé : De l'influence de l'érudition contemporaine sur Bossuet. Les notes de ce chapitre donnent des Indications bibliographiques et des textes. M. Rébelliau constate que l'histoire de l'érudition française au XVIIe siècle est encore à faire.
[4] Bysantinæ historiæ varii scriptores, Paris, 1648-1711, de 24 à 47 vol. (suivant la façon dont ils ont été reliés).
[5] Sacrosancta concilia ad regiam editionem exacta, par les PP. Labbe et Gossart, Paris, 1871-72, 17 vol.
[6] Collectio regia maxima conciliorum, Paris, 1715, 12 vol.
[7] Acta sanctorum, Anvers, 1643 et suiv. (Le tome LVI a paru en 1902).
[8] Acta sanctorum ordinis Sancti Benedicti, Paris, 1668-1701, 9 vol.
[9] Annales ordinis Sancti Benedicti ad annum MCLVII, Paris, 1703-1739, 6 vol.
[10] Acta primorum martyrum sincera et selecta, par Dom Ruinart, Paris, 1689.
[11] De antiquis Ecclesiæ ritibus, par Dom Martène, Rouen, 1700, 3 vol.
[12] Gallia Christiana, Paris, 1656, 4 vol. Réédition, inachevée, en 13 vol., 1715-1785.
[13] Recueil des historiens des Gaules et de la France, commencé par Dom Bouquet, 8 vol. parus de 1737 à 1752.
[14] Histoire littéraire de la France, commencée par Dom Rivet, 9 vol. parus de 1733 à 1750.
[15] Annales ecclesiastici Francorum, par le P. Lecointe, Paris, 1665-83, 8 vol.
[16] Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, par le P. Anselme, 1re édit., Paris, 1674, 2 Vol. ; éd. par les PP. Ange de Sainte-Rosalie et Simplicien, Paris, 1726-33, 9 vol.
[17] Vie de Saint Louis, publiée d'après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale, par J. de Gaulle, Paris, 1847-51, 6 vol. (Soc. de l'Hist. de Fr.). — Histoire des Empereurs..., Paris, 1691-1738, 6 vol. — Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique..., Paris, 1693-1713, 16 vol.
[18] Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ latinitatis, Paris, 1678, 3 vol. Nouv. édition, Henschel-Didot, Paris, 1840-50, 7 vol.
[19] Glossarium mediæ et infimæ græcitatis, Lyon, 1688.
[20] Histoire de l'état de la ville d'Amiens, — publ. par la Société des Antiquaires de Picardie, 1841. — Les Familles d'outre-mer, Paris, 1869 (Coll. des Doc. inéd.).
[21] Conciliorum nova colleclio, t. I, Paris, 1683. — Miscellanea, Paris, 1678-1715, 7 vol. — Capitularia regum Francorum, Paris, 1677, 2 vol. — Vitæ Paparum Avenionensium, Paris, 1693, 2 vol. — Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, 2 vol., 1708. — Historiæ Tutelensis libri tres, 1717.
[22] De re diplomatica libri sex, Paris, 1681
[23] Voir Rébellion, Bossuet historien....
[24] SOURCES. Clément, Lettres..., Depping, Correspondance..., Guiffrey, Comptes des Bâtiments. Histoire et Mémoires de l'Académie des sciences depuis son établissement, en 1666, jusqu'à l'année 1790, 114 vol., Paris, 1783-1797 (table alphabétique par Godin, Demours et Cotte, 10 vol., 1734-1809). Fontenelle, Œuvres, Paris, 1790, 8 vol. Ch. Perrault, Mémoires, publ. par Lacroix, Paris, 1878. Huygens, Œuvres complètes, publ. par la Société hollandaise des sciences, La Haye, 1888 et suiv. (en cours de publication).
OUVRAGES. Outre ceux de Maury et de Bertrand : Maindron, L'Académie des sciences, Paris, 1888. Biot, Mélanges scientifiques et littéraires, Paris, 1858. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, Paris, 1854. Liard, Descartes, Paris, 1882. Fouillée, Descartes, Paris, 1893. Cournot, Considérations sur la marche des idées... dans les temps modernes, Paris, 1872, 2 vol. Bertrand, Les fondateurs de l'astronomie moderne, Paris, 1865. Tannery, Les sciences en Europe de 1559 à 1648, et Les sciences en Europe de 1641 à 1715, aux t. V et VI de l'Histoire générale du IVe siècle à nos jours, Paris, 1895. Voir, à la fin de ces deux études, les indications bibliographiques sur l'histoire générale des sciences.
[25] Discosi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze attenenti alla meccanica ed ai movimenti locali.
[26] Exercitatio anatomica de motu cordia et sanguinis in animalibus.
[27] L'on a confirmé la vérité de l'hypothèse de l'anneau qui environne le globe de Saturne, et outre le satellite de cette planète qui avait déjà été découvert, l'on en e remarqué encore deux autres moins grands. L'on a observé et dépeint avec beaucoup de soin le corps de la lune avec toutes ses taches et inégalités semblables à nos montagnes Les nouvelles étoiles, les comètes, les taches du soleil, quand il s'en est présenté, ont été observées avec pareille diligence. Comme aussi les éclipses du Soleil et de la Lune, et surtout les éclipses des satellites de Jupiter dans l'ombre de cette planète, si utiles pour déterminer les longitudes ou différences des méridiens de différente endroits de la Terre. L'on a même trouvé dans ces éclipses de quoi prouver, par des raisons très fortes, que la lumière ne traverse pas d'un lieu à un autre en un instant, comme Descartes et plusieurs philosophes avec lui l'ont cru, mais que, pour passer depuis le Soleil jusqu'à nous, il lui faut près d'un quart d'heure, et depuis les étoiles fixes, peut être dix ou douze ans, à raison de leur grande distance. L'on est après (et c'est un des plus considérables travaux à quoi l'Observatoire doit servir), à faire une description nouvelle du ciel où toutes les étoiles fixes soient mises exactement dans leurs places, qui est le fondement de toute l'astronomie, et à établir sur les observations la théorie des planètes, pour faire des tables et des éphémérides plus justes qu'on n'a encore eu jusqu'ici. L'on a mesuré avec beaucoup d'exactitude la grandeur de la Terre, et l'on a trouvé sa circonférence de 20.541.600 toises de Paris ; et, afin de faire connaître sûrement cette mesure à la postérité, l'on a déterminé par le moyen des pendules, qui est une mesure durable à jamais, la longueur de ces toises...
L'on a appliqué la géométrie à la recherche des causes dans les matières physiques, étant reçu par presque tous les philosophes d'aujourd'hui qu'il n'y a que le mouvement et la figure des corpuscules dont tout est composé qui produisent tous les effets admirables que nous voyons dans la nature... Et, comme Descartes, faute d'expériences et d'assez mûre considération, s'est mépris en plusieurs choses, l'on a expliqué quelques parties de la physique plus véritablement qu'il ne fait, comme sont les lois du mouvement dans la rencontre des corps... et je puis dire la même chose pour ce qui est de la nature et des effets de la lumière et des réfractions. (Extraits d'un mémoire rédigé en 1679 par Huygens, pour Pellisson, en vue de l'histoire du Roi. Œuvres complètes de Huygens, t. VIII, p. 196.)
[28] Seculum philosophicum oriri, quo cura acrior veritatis extra scholes etiam in viros republicæ natos diffundatur ; his nisi satisfaciat desperatam religionis veram propagationem esse... nihil efficacius esse ad confirmandum atheismum sut certe naturalismum invalescentem, et subruendam a fundamento jam pæne apud multos et magnos sed malos homines labescentem religionis christianæ fidem... multos intra ecclesiam ipsis hæreticis aoriores hostes esse ; metuendum esse ne hæresium ultima sit, si non atheismus, saltem naturalismus publicatus... (Extrait de la première lettre de Leibniz à Arnauld, publ. p. Grotefend, Briefwechsel zwischen Leibniz, Arnauld und dem Landgrafen E. Don Hessen-Rheinfels, Hanovre, 1846, p. 140.)
[29] Déjà ce combat est commencé. Malebranche a publié en 1674-75 sa Recherche de la vérité. Un autre cartésien, Bayle, en 1682, les Lettres à un docteur de Sorbonne sur les Comètes. Sur Malebranche et sur Bayle, voir au volume suivant, le chapitre Les sciences, la philosophie, l'érudition, la théologie.