I. — L'ÉTAT DE LA QUESTION EN 1661. AU moment où Louis XIV prit le gouvernement de ses affaires, les protestants ne prétendaient plus à former une faction dans l'État. Les grandes familles, qui avaient cherché aventure et fortune dans les troubles, avaient déserté la cause, dès qu'elles la virent à peu près perdue. Les Huguenots étaient restés tranquilles pendant la Fronde ; aussi une déclaration, qui, à l'avènement de Louis XIV, avait confirmé l'Édit de Nantes, fut renouvelée en mai 1652 : Nos sujets de la R. P. R. (Religion Prétendue Réformée) nous ont donné des preuves de leur fidélité, notamment dans les occasions présentes, dont nous demeurons très satisfaits. En 1659, le cardinal Mazarin écrivait au synode des Églises réformées : Je vous prie de croire que j'ai une grande estime pour vous, étant de si bons et si fidèles serviteurs du Roi. Après 1661, le Roi, en plusieurs occasions, loua la fidélité, l'obéissance de ses sujets de la R. P. R., et leur zèle pour son service. La passion religieuse semblait, à de certains indices, s'apaiser. Des protestants servaient en grand nombre dans l'armée, dans la marine et les finances. Turenne, le plus illustre personnage de la R. P. R., n'était pas encore converti. Des protestants siégeaient dans la magistrature. Des savants des deux confessions collaboraient, à Paris ou en province, dans les sociétés savantes. Entre les docteurs catholiques et les ministres, les polémiques étaient courtoises, et non plus des disputes enragées. La controverse[2], débarrassée du fouillis des détails absurdes, ne faisait plus qu'attaquer ou défendre quelques points considérables. L'espérance était permise d'une réunion des Églises ou, à tout le moins, de la paix religieuse. Cependant, la haine survivait manifestement aux endroits où les protestants étaient demeurés nombreux, en Normandie, en Poitou et en Languedoc[3] par exemple. Les guerres religieuses y avaient laissé des ruines, que le passant voyait, d'églises, de châteaux et de maisons. Des fils, dont les pères s'étaient entretués, se rencontraient dans les rues. Les huguenots se tenaient serrés les uns contre les autres. Là où ils étaient la pluralité, ils vexaient les catholiques autant qu'ils le pouvaient. Ils leur fermaient les métiers dont ils occupaient les maîtrises. S'ils occupaient les charges municipales, ils surchargeaient les catholiques dans la répartition de la taille et des logements de gens de guerre. Ils persécutaient leurs coreligionnaires convertis au catholicisme. Des fanatiques bravaient les catholiques par des manifestations et des injures, festinaient en temps de carême, insultaient ou détruisaient les saintes images, gardaient le chapeau sur la tête quand ils rencontraient le Saint-Sacrement, coupaient les processions par le passage de leurs carrosses, déposaient des ordures devant leurs portes sur le chemin desdites processions, profanaient des cimetières catholiques. Les pasteurs répétaient contre l'Église les vieux propos furieux de l'Écriture sainte contre Babylone et contre les prêtres de Baal. Les protestants étaient plus riches que les catholiques. L'accès aux offices leur étant depuis longtemps difficile, ils s'employaient au commerce, aux manufactures, à la banque. Ils apportaient au travail une énergie qui, sans doute, leur venait de la vigueur transmise par les ancêtres révoltés du XVIe siècle, et qu'entretenaient leurs églises persécutées, la foi consentie par les croyants et l'autonomie des consciences qui faisaient elles-mêmes leurs affaires avec Dieu. Très souvent, les intendants notent que les plus riches de telle ou telle ville sont des réformés. — Les grands noms de l'industrie et de la finance, les Van Robais d'Abbeville. les Massieu de Caen, les Alison de Nîmes, les Herwarth, les Fromont, les Samuel Bernard de Paris sont des noms protestants. Il est possible que la plus grande partie des biens mobiliers ait été en mains protestantes. La persécution a donc créé et perpétué chez les huguenots l'aptitude à s'enrichir que leur reprochent aujourd'hui les descendants des persécuteurs. Au XVIIe siècle déjà, on voit contribuer à la haine catholique la jalousie du pauvre contre le riche, du petit marchand contre le grand, du petit industriel contre le gros, de la terre contre l'argent. En Normandie, en Poitou et en Languedoc, les catholiques étaient appuyés par leurs évêques, par leurs confréries, par à peu près toute la magistrature. En Languedoc, les États, où le clergé était très puissant, le Parlement, les juridictions inférieures, les marchands catholiques agissaient ensemble contre la R. P. R. C'est là que furent trouvés les principaux procédés de la persécution[4]. Sans distinction de lieux, la majorité catholique détestait le protestantisme. Vers l'année 1640 était entrée en scène une génération de disciples de Vincent de Paul, d'011ier et de Bérulle, d'élèves des Jésuites, d'élèves des Jansénistes, d'affiliés à la Compagnie du Saint-Sacrement. Ce fut le beau moment catholique, très court. Avant, les libertins parlaient sans se gêner ; ils étaient admis à la Cour et dans l'intimité même du Roi. Après, ils reparaîtront en foule, plus hardis. Pendant le beau moment, on voit par l'histoire des familles que l'on connaît, comme celles de Pascal, de Bossuet, de Racine, que la religion a pénétré toute la vie. L'aversion de la nation catholique contre le protestantisme n'était pas seulement inspirée par sa foi religieuse ; elle l'était aussi par sa foi politique. En ces temps-là, le premier devoir d'un homme était d'être religieux, et le second, tout proche du premier, d'obéir au Prince. La contradiction entre ces devoirs était une cause de grand trouble. Aussi le Prince, qu'il fût protestant ou catholique, voulait en son sujet la conformité religieuse pour que les deux obéissances confondues fussent fortifiées l'une par l'autre. Le sujet la voulait en son Prince pour n'avoir pas à distinguer et à choisir entre les deux autorités. Personne en France n'avait droit d'agir ou de parler, qui n'eût qualité pour cela, dans son office, tenu du Roi ou de l'Église. Un particulier qui se mêlait des affaires de l'État ou de celles de la religion était un être imprévu. Les ministres de la R. P. R. élus dans des consistoires n'avaient pas, aux yeux des catholiques, qualité de personnes publiques. Ils étaient tout différents des évêques à la fois officiers de Dieu et officiers du Roi. Ils ne portaient ni rochet, ni camail, ni crosse, ni mitre. Ils ne logeaient pas dans des palais, ils n'étaient ni comtes, ni ducs, ni pairs de France. Ils prêchaient, sur un ton particulier, dans de médiocres bâtisses. Toute l'organisation protestante semblait un corps étranger et qui sentait la république. Comme les nations n'avaient pas encore la conscience d'elles-mêmes qu'elles ont acquise depuis, l'unité religieuse paraissait aux protestants comme aux catholiques la condition première d'une communauté nationale. Le protestant Élie Benoist a dit : La différence de religion défigure un État. Les catholiques français s'affligeaient de la défiguration de la monarchie comme d'un malheur public. Ils se vantaient que le premier roi catholique eût été leur roi Clovis, miraculeusement sacré par l'évêque saint Remi, que leur empereur Charlemagne eût défendu l'Église et reculé la frontière chrétienne par delà l'Elbe et les Pyrénées. La France se parait de la sainteté de son roi saint Louis. Être catholique, elle considérait que c'était une de ses gloires. Les protestants méconnaissaient cette gloire. Les Français n'aimaient plus ensemble le passé de la France. Aux sentiments et aux opinions des catholiques une illusion se mêlait. La conversion des protestants était crue la chose la plus facile, et qu'il suffisait qu'on voulût, pour qu'elle s'accomplit. L'état de conscience huguenot, l'adhésion personnelle à une foi après réflexion et sur preuves acceptées, la chaleur de la foi, la passion de l'Écriture, l'enthousiasme biblique étant incompris de presque tous les catholiques, la force de résistance que contenait l'âme protestante était insoupçonnée. Peut-être faut-il ajouter que, la cause du protestantisme semblant perdue, et l'affaire manquée, nos pères, à qui nous ressemblons, n'aimant pas les causes perdues, la persévérance huguenote leur semblait une opiniâtreté — le mot a été dit plusieurs fois — et si invraisemblable qu'elle céderait à la raison. Au reste, les catholiques ne reconnaissaient pas à l'Édit de Nantes le caractère d'une loi fondamentale, que les réformés lui attribuaient. Ils pensaient qu'il n'avait pas été autre chose qu'un expédient Henri IV, il est vrai, avait marqué par des manifestations et procédures extraordinaires qu'il entendait faire autre chose et plus qu'un édit' comme un autre. Une doctrine, celle de la tolérance, se trouvait incluse dans l'acte, que le Roi appelle une loi générale, claire et absolue. Mais, par les circonstances où il s'était produit, par la distinction entre la liberté de conscience accordée à tous, et, la liberté de l'exercice restreinte à de certaines personnes et à de certains lieux, l'Édit avait l'air de n'être qu'un traité, qui, après une guerre, laisse à l'un des adversaires le terrain conquis, et à l'autre le terrain où il s'est maintenu. D'ailleurs, le Roi y regrettait, au préambule, qu'il n'eût pas plu à Dieu de permettre à ses sujets de l'adorer et prier pour encore en une même forme et religion. Dans les mots pour encore se trouvait l'espoir de la réunion future. Cet espoir, Louis XIII aussi l'avait exprimé dans l'Édit de Grâce de 1629, où il exhortait ses fidèles sujets de la R. P. R. de se dépouiller de toute passion pour être plus capables de recevoir la lumière du Ciel et revenir au giron de l'Église. L'Édit de Nantes, concluaient les catholiques, n'avait donc été, dans le dessein des deux rois, qu'un remède à un mal provisoire. Au lendemain même de l'Édit, était apparue la théorie, que plus tard exposera le préambule de l'acte de révocation : à savoir que le roi Henri IV ne l'avait accordé qu'afin d'être plus en état de travailler comme il avait résolu de faire pour réunir à l'Église ceux qui s'en étaient si facilement éloignés ; que son intention n'avait pu être effectuée à cause de sa mort précipitée ; que le roi Louis XIII, après que, usant de sa clémence ordinaire, il avait accordé à ceux de la R. P. R. malgré leur rébellion, un nouvel Édit, avait résolu de mettre à exécution le pieux dessein du roi Henri. Louis XIV, en abrégeant la durée du provisoire, ne ferait donc qu'entrer dans le dessein des rois sesdits aïeul et père. Restait à savoir par quels moyens serait mis à exécution le pieux dessein. Un des principaux, qui avait été tout de suite employé, fut d'interpréter l'Édit à l'extrême rigueur, de créer une jurisprudence qui restreignit autant que possible les droits accordés aux protestants, empêchât le progrès de la R. P. R. et en diminuât les forces de jour en jour : Nous ne demandons pas, Sire, à Votre Majesté, disait en 1651 l'Assemblée générale du Clergé, qu'Elle bannisse de son royaume cette malheureuse liberté de conscience qui détruit la liberté des enfants de Dieu, parce que nous ne jugeons pas que l'exécution en soit facile, mais nous souhaiterions au moins que ce mal ne fit pas de progrès, et que si votre autorité ne le peut étouffer tout d'un coup, elle le rendit languissant et le fit périr peu à peu par le retranchement et la diminution de ses forces. Cette pratique du retranchement fut employée par des municipalités, des États provinciaux, des présidiaux, des parlements, par tous les corps pourvus de juridiction, par le Conseil du Roi[5]. La Compagnie du Saint-Sacrement, dévote, charitable, espionne, implacable en ses poursuites, et qui avait des affiliations en tous les endroits utiles, s'acharnait contre la R. P. R. Mazarin avait contenu le zèle des dévots ; mais, dans les dernières années de sa vie, depuis l'année 1656 surtout, des déclarations du Roi, des arrêts du Conseil se succédèrent, drus et menaçants. Au mois de février 1658, les députés des synodes de la R. P. R., reçus en audience par le Roi, lui présentèrent de longues doléances motivées. Ils les renouvelèrent, l'année d'après, dans un long mémoire. Tel était l'état de choses que Louis XIV trouvait en 1661. Le Roi avait les sentiments, les opinions et les illusions de la France DU ROI. catholique. Plus que personne, il devait s'étonner qu'un Français osât n'être pas de la religion du Roi. Puis, il ne pouvait pas ne pas faire réflexion que les troubles d'Angleterre, le roi décapité, la République un moment établie dans ce vieux royaume, et aussi la République des Provinces-Unies, qui donnait le mauvais exemple de la liberté étaient des œuvres protestantes. Puis, s'il n'était pas encore dévot, il était un ferme croyant, et la particulière religion qu'il s'était faite dans la religion, la proximité de Dieu où il se mettait, l'idée qu'il avait d'un échange de bons offices entre Dieu et lui, la préoccupation de son salut, l'ambition de la gloire à mériter par la restauration de l'Église, faisaient de lui un ennemi certain de la R. P. R. Toutefois, il n'avait pas d'aigreur contre les protestants. Sa foi n'était pas aigre, sa foi était calme, comme celle d'un tout petit enfant. Et il n'avait pas le tempérament d'un persécuteur. La satisfaction qu'il sentait à être ce qu'il était, la joie de sa grande puissance le préservaient de la dureté en toutes occasions où son autorité n'était pas en cause, et les protestants, sujets fidèles, ne la contestaient plus, comme avaient fait leurs ancêtres, ne la contestaient pas encore, comme feront bientôt Bayle et Jurieu. Enfin Louis XIV ayant l'instinct de justice, il se sentait tenu envers les protestants, à faire observer ce qu'ils avaient reçu de ses prédécesseurs. Et il a cru, lui aussi, que la réunion de ses sujets en une même créance serait facile. Il a probablement exprimé son vrai sentiment à l'égard des huguenots dans ce passage de ses Mémoires : Je crus, mon fils, que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume était, en premier lieu, de ne les point presser du tout avec une rigueur nouvelle contre eux, de faire observer ce qu'ils avaient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au delà et d'en renfermer même l'exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance pouvaient permettre. Mais, quant aux grâces qui dépendaient de moi seul, je résolus et j'ai assez ponctuellement observé depuis, de ne leur en faire aucune et cela par bonté, non par aigreur, pour les obliger par là à considérer de temps en temps, d'eux-mêmes et sans violence, si c'était par quelque bonne raison qu'ils se privaient volontairement des avantages qui pouvaient leur être communs avec tous mes autres sujets. La naïveté de ces dernières paroles confond l'esprit, quand on pense aux maux terribles que tant de huguenots devaient préférer aux grâces et aux avantages. II. — LA PREMIÈRE PÉRIODE DANS L'HISTOIRE DE LA RÉVOCATION. DANS la marche vers la révocation de l'Édit qui sera faite en octobre 1685, une première période apparaît entre l'année 1661 et l'année 1679. A cette dernière date se rencontrent des circonstances diverses, par l'effet desquelles la marche sera précipitée. La première période est longue et confuse ; la seconde sera courte et tragique. En avril 1661, le Roi, à la requête de l'Assemblée du Clergé, ordonne par déclaration que deux commissaires, l'un catholique et l'autre de la R. P. R., seront envoyés dans chaque province pour y établir les choses dans le bon ordre qu'elles doivent être conformément aux édits, déclarations et règlements sur le sujet de l'exercice de la R. P. R.. En toute affaire où les deux commissaires seront d'accord, ce qu'ils arrêteront sera exécuté. Dans le cas de partage, l'affaire sera renvoyée au Roi. Plaignants et défenseurs se présentaient donc devant les commissaires. Mais, défenseur ou plaignant, le huguenot — particulier, ministre, consistoire, — n'était pas de force contre son adversaire catholique, qui était d'ordinaire l'évêché, représenté par son syndic. Les commissaires étaient inégaux aussi, le catholique étant toujours l'intendant de la province, et le protestant presque toujours un maigre personnage que l'intendant avait proposé au choix du Roi. L'Assemblée du Clergé recommandait que cet adjoint protestant fût pris parmi les hommes modérés. Plusieurs des commissaires de la R. P. R. furent mauvais défenseurs de leurs coreligionnaires, par exemple en Dauphiné, M. de Montclair, de qui l'intendant écrivait en 1664 : M. de Montclair est toujours en inquiétude de toucher ses appointements... : il travaille contre sa religion ; il semble bien juste que ce ne soit pas à ses dépens. Les arrêts des commissaires, ceux du Conseil, ceux des cours, des présidiaux et des municipalités, les ordonnances des intendants, des décisions de corps de métier, formaient une jurisprudence confuse. Les principes et les procédés en furent dégagés par un homme de loi, maitre Bernard, conseiller au présidial de Béziers, dans un livre publié en 1666 : Explication de l'Édit de Nantes par les autres édits de pacification et arrêts de règlement. Voici des exemples d'interprétation des textes par la méthode de Me Bernard : L'article XXVII de l'Édit de Nantes déclare, en termes absolument nets, les réformés capables de tenir et exercer tous états, dignités, offices et charges publiques quelconques, royales, seigneuriales ou des villes. Cependant Me Bernard demande : un protestant pourra-t-il tenir une charge dans une ville où l'exercice de la R. P. R. n'est pas permis ? Non, répond-il, car le moins est contenu dans le plus, in eo quo plus est semper est minus. Or, de ces deux choses, le droit d'exercice et le droit de tenir un office, laquelle est le plus ? C'est le droit d'exercice. Laquelle est le moins ? C'est le droit de tenir un office. Là où le plus n'existe pas, le moins ne peut exister. Donc, là où les protestants n'ont pas le droit d'exercice, ils ne peuvent prétendre à aucun office municipal. Ils ont droit certainement aux charges seigneuriales, reconnaît encore W Bernard ; mais il n'y a aucun article qui permette aux seigneurs de leur donner des charges, et, au contraire, il y en a d'exprès dans la religion catholique qui le leur défendent. De même, il n'y a pas de doute que l'accès aux charges d'État est permis aux protestants ; mais lorsque l'on a examiné la chose exactement, on a trouvé que cet article de l'Édit de Nantes déclare ceux de la R. P. R. seulement capables de tenir offices et dignités publiques, sans qu'il y ait nécessité qu'ils en tiennent. Les principaux articles sont ainsi commentés, et, par le commentaire, vidés de leur contenu. Or l'Assemblée du Clergé à qui le livre était dédié le reçut avec applaudissement, et lui donna, pour ainsi dire, force de loi. Il n'y a point de procès verbal où il ne soit cité. En 1685, à la veille de la Révocation, l'Assemblée reconnaîtra qu'elle a reçu un secours très grand et très considérable par les lumières du sieur Bernard[6]. C'était l'Assemblée qui mettait de l'ordre dans l'action diffuse répandue par tout le royaume. Elle se faisait requérante perpétuelle contre la R. P. R. On a vu qu'elle protesta, dans la session de 1650-51, contre la malheureuse liberté de conscience. Mais ce fut en 1652 que les protestants, pour s'être bien conduits pendant la Fronde, reçurent le grand satisfecit du gouvernement royal. L'Assemblée d'après (1655-56) présenta au Roi et à la Reine mère une Grande remontrance au sujet des Réformés. Gondrin, l'archevêque de Sens, y plaignit l'Église, la mère affligée, et montra les plaies profondes qui lui étaient faites tous les jours par la violence de ceux de la R. P. R., cette esclave révoltée. En 1665, l'Assemblée dressa les Articles concernant la religion, lesquels messieurs les archevêques, évêques et autres ecclésiastiques, députés en l'Assemblée générale du clergé, supplient très humblement le Roi de leur accorder. Le Roi accorda presque tout, par un édit, en avril 1666. Alors ses sujets réformés lui représentèrent, par des remontrances, les injustes rigueurs de cet acte, et le Roi leur donna en partie raison ; un autre édit, en 1669, amenda le premier. Aussi l'Assemblée de 1670 déclare que les évêques et les catholiques du royaume ont été mis dans la dernière consternation, car, désormais, les Réformés pourront prétendre une parfaite égalité entre leur religion, qui est toute fausse, et celle de J.-C., qui est toute sainte et sacrée. A chaque session revenaient les articles concernant la religion. Dans l'intervalle, le Clergé préparait une liste de ses griefs. Les députés des provinces apportaient des mémoires. L'Assemblée de 1675, par exemple, est informée qu'on a ouvert un nouveau prêche près de Castelnaudary ; que M. de l'Arc, conseiller au parlement de Rouen, s'étant converti au catholicisme, sa fille a été enlevée, conduite en Hollande et mariée à un Hollandais ; qu'un protestant nouvellement converti du diocèse d'Agen a été trouvé noyé ; que les protestants de Montélimar ont mis une grosse cloche sur une tour près de leur temple ; que Madame la princesse de Tarente fait faire le prêche dans son château de Vitré, sans qu'elle en ait le droit, car la justice du fief de Vitré ne lui appartient pas, etc., etc., etc. L'Assemblée avait plusieurs moyens, dont elle ne négligeait aucun, de convaincre le Roi de la justesse de ses plaintes. Cette année 1675 fut celle où elle fit à Louis XIV le beau don de 4.500.000 livres. Elle s'était bien gardée de mettre des conditions à l'octroi de la somme ; c'eût été grossier. Mais, dans la harangue de clôture, l'orateur de l'Assemblée, très joliment, parla de l'or que l'Église avait mêlé à l'encens de ses prières. Il insinua que, dans son zèle, elle avait donné beaucoup ; mais ce zèle, on ne l'accusera pas d'être aveugle, dit-il au Roi, quand votre justice, qui seule peut excuser notre confiance, soulagera nos maux, exaucera nos vœux, et surpassera toutes nos espérances. Ce qui était dire en beau langage le vulgaire : Donnant, donnant. Un autre orateur de la même assemblée célébra les prospérités du Roi, il lui demanda : N'est-ce pas à Dieu que vous êtes redevable de ces grands avantages ? Il fit lui-même la réponse : Oui, sans doute, Sire, et il conclut : Il faut maintenant que vous acheviez de marquer votre reconnaissance en employant votre autorité pour l'entière extirpation de l'hérésie. C'était répéter au Roi ce qu'il pensait, qu'il devait faire quelque chose pour Dieu, qui faisait tant pour lui D'autres orateurs célébrèrent la gloire d'un Roi, qui efface la gloire des siècles passés, qui fait l'honneur du siècle présent et le désespoir de l'avenir qui ne pourra suivre son exemple ; ils louèrent toutes ses vertus : cette infatigable application... à toute sorte d'affaires... sans aucune dissipation... cette charmante bonté... ces élévations sublimes... ces vues extraordinaires... Ils montrèrent au Roi, par delà le dernier degré de gloire où peut s'arrêter l'ordinaire ambition d'un conquérant et d'un invincible, un autre plus haut encore, où montèrent les Valentinien, les Théodose, les Charles. Mais ces héros du christianisme n'ont fait qu'ébaucher cette importante matière ; la forme en était réservée à Votre Majesté, Sire ; l'ouvrage est digne de l'auteur. Le Roi avait donc bien des raisons d'écouter avec sa charmante bonté les remontrances de son clergé. Il ne donnait pourtant pas toutes les satisfactions qu'on lui demandait, et même il répétait à toute occasion qu'il entendait respecter l'Édit de Nantes. Mais la plainte du Clergé revenait périodiquement. D'une session à l'autre, les agents généraux suivaient les affaires auprès du Roi et des conseils. Dans les diocèses, le travail d'enquête recommençait en vue de la session prochaine. Et, la session venue, revenaient les doléances et les dithyrambes. Le Clergé, comme en permanence, travaillait méthodiquement à la destruction du protestantisme. Déjà, au cours de cette première période, de graves atteintes furent portées à l'Église réformée. Chaque communauté paroissiale protestante était groupée autour du temple, dans les villes et bourgs où l'exercice était permis. Elle était administrée par un consistoire où siégeaient les ministres et les anciens. Ministres et anciens de plusieurs communautés se réunissaient en des colloques. Ministres et anciens de toutes les communautés de la province composaient le synode provincial. Chaque province enfin déléguait deux ministres et deux anciens au synode national. La R. P. R. avait donc une hiérarchie de conciles comme l'avait eue jadis l'Église catholique ; à tous ces degrés, les protestants délibéraient, décidaient, agissaient. La résolution fut prise de détruire cette organisation. Un synode national de la R. P. R. avait été tenu à Loudun de novembre 1659 à janvier 1660. C'était le vingt-neuvième, et ce fut le dernier. L'autorisation de convoquer les synodes provinciaux qui, auparavant, n'était demandée que pour la forme, ne fut pas toujours accordée sans difficulté : Les assemblées, disait Me Bernard, doivent être empêchées le plus qu'il se peut. D'autre part, il fut défendu, par déclaration de février 1669, au synode de chaque province d'entretenir aucunes correspondances avec les autres provinces... Enfin des arrêts du Conseil interdirent ou gênèrent les colloques. Les levées de deniers qui se faisaient entre ceux de la R. P. R. furent interdites aussi. On voulait évidemment briser le cadre et en isoler les morceaux. L'église gallicane catholique ne pouvait souffrir à côté d'elle le scandale d'une église gallicane protestante. L'exercice, c'est-à-dire le droit de célébrer publiquement le culte, avait été accordé par l'Édit de Nantes aux seigneurs haut justiciers — c'était l'exercice dit personnel ou de fief — ; à deux lieux par bailliage — c'était l'exercice de bailliage — ; aux lieux où l'exercice s'était trouvé notoirement établi en 1596, pendant toute l'année, et en 1597 jusqu'au mois d'août — c'était l'exercice de possession —. Un grand nombre de temples avaient été bâtis depuis ; les catholiques demandèrent qu'ils fussent détruits. Les temples du pays de Gex furent condamnés, sauf deux, pour la raison que, ce pays ayant été acquis à la couronne en 1601, les protestants ne pouvaient réclamer le bénéfice d'un édit de 1598. Me Bernard et le P. Meynier enseignèrent à être très exigeant sur les preuves à fournir de l'exercice de possession : Ni les synodes et les colloques des P. R., écrivait le P. Meynier, ni les tables qui sont à la tête des actes de ces assemblées, ni la qualité d'Église qui y est donnée, ni même les ordonnances des commissaires premiers exécuteurs de l'Édit ne sont des preuves assez fortes d'un exercice établi et fait publiquement au temps de l'Édit. A ce compte, la preuve était bien difficile. Aussi quantité de temples furent démolis. En Poitou, où le nombre des réformés paraît avoir été de 80.000, 74 temples furent contestés, 64 condamnés. Le culte ne fut plus exercé que dans une quinzaine de paroisses, et dans quelques maisons seigneuriales. Les protestants firent quelques résistances. Des soldats furent envoyés prendre quartier dans des villages rebelles, des pasteurs emprisonnés, une dame noble embastillée. On inventa toute sorte de tracasseries. Défense aux ministres de prendre le titre de pasteurs, de porter robes et soutanes et de paraître en habit long hors des temples. Défense aux consuls et échevins professant la R. P. R de porter au temple les marques de leurs honneurs. Défense aux réformés de Montauban d'aller saluer en corps les personnes de qualité qui passeront par la ville. Tout cela pour bien montrer que ceux de la R. P. R. ne formaient pas un corps, qu'ils n'étaient que des particuliers. On aurait voulu leur interdire de paraître dans les rues : Pour les enterrements des morts de la R. P. R... entendons que les convois partent, savoir depuis le mois d'avril jusqu'à la fin de septembre, à six heures précises du matin et à six heures du soir, et, depuis le mois d'octobre jusqu'à la fin de mars, à huit heures du matin et quatre heures du soir, et qu'ils marchent incessamment. Les convois ne seront que de trente personnes dans les lieux d'exercice, et de dix dans les autres. Un autre édit ordonne : A toutes les cérémonies de noces et baptêmes qui seront faites par ceux de la R. P. R., il ne pourra y avoir que douze personnes. Leur fait Sa Majesté défenses de marcher en plus grand nombre dans les rues. C'était dire aux protestants qu'ils faisaient une tache vilaine au royaume de France. Ils tenaient de l'Édit de droit d'ouvrir de petites écoles là où l'exercice leur était permis. Dans l'usage, ce mot désignait des écoles qui enseignaient les humanités. Il fut fait défenses à tous maîtres établis par ceux de la R. P. R.... d'enseigner dans lesdites écoles qu'à lire, écrire et compter seulement, défendu aussi qu'il y eût plus d'une école ni plus d'un maître au même lieu. On voulait obliger les protestants à envoyer leurs enfants aux écoles catholiques. Les protestants furent gênés dans l'exercice des arts et métiers. Un arrêt du Conseil déclare en 1664 que les lettres de maîtrise seront annulées s'il n'y est fait mention que l'impétrant professe la religion catholique, apostolique et romaine (R. C. A. et R.). L'arrêt ne fut pas exécuté dans toute sa teneur. Mais, par exemple, le corps et communauté des marchands et maîtresses lingères de Paris obtint l'exclusion d'une lingère qui faisait profession de la R. P. R. Il fut défendu à tous maîtres brodeurs et maîtres bonnetiers huguenots de Paris de prendre des apprentis. En Languedoc surtout l'attaque fut vive contre le travail protestant. Les États de la province, les communautés, le clergé s'efforcèrent ensemble de leur interdire la maîtrise des métiers. Ils obtinrent d'abord que les catholiques eussent partout au moins la moitié des maîtrises, et plus tard qu'ils en eussent les deux tiers. Les maîtres catholiques laissaient voir quelquefois qu'ils voulaient se débarrasser d'une concurrence. Les potiers d'étain de Montpellier requièrent, par l'entremise du syndic diocésain, l'exclusion de deux compagnons de la R. P. R. qui, ayant donné chef-d'œuvre, ont été reçus maîtres, et qui ont boutique, ce qui augmente encore le nombre des boutiques. En même temps que, par ces mesures et par quantité de vexations particulières, les protestants étaient invités à sortir de cette religion frappée de disgrâce, des efforts étaient faits pour les convertir par la discussion et par la propagande. Les jansénistes, réconciliés depuis la paix de l'Église, y prirent une grande part. Nicole et Arnauld écrivirent un traité de la Perpétuité de la foi de l'Église catholique touchant l'Eucharistie, Arnauld publia Le renversement de la morale par les calvinistes, L'impiété de la morale des calvinistes, L'apologie des catholiques. Mais le grand champion de l'Église fut Bossuet. Après avoir converti Turenne en 1668, Bossuet résuma ses entretiens avec le maréchal dans l'Explication de la doctrine catholique. Il y défend l'Église contre l'accusation de pratiques superstitieuses, contre l'accusation de ne point aimer Dieu et de croire le salut possible sans le secours de la grâce. Il réduisait si étroitement le différend entre les deux religions que les protestants étonnés crurent à un artifice de guerre. L'approbation pontificale accordée au petit livre lui donna l'autorité d'une confession de la foi catholique. Mais, tout limité qu'il fût, le différend demeurait irréductible. On le vit bien dans un colloque tenu en 1678 entre Bossuet et Claude, un des plus grands ministres de la R. P. R. Une nièce de Turenne, Mlle de Duras, demeurée protestante, niais inclinant à se convertir, avait voulu, avant de se décider, entendre les raisons du ministre et de l'évêque. Ils les lui donnèrent. L'un et l'autre avaient qualité pour parler au nom de leurs Églises. Tous les deux donnèrent toutes leurs raisons. Cette dispute du catholicisme et du protestantisme autour d'une âme est un document précieux de notre histoire religieuse. La controverse, éparse en des milliers d'écrits, y est ramassée en une forme précise et dramatique. Dans une conversation avant le colloque, Bossuet instruisit Mlle de Duras de sa doctrine sur l'autorité de l'Église ; à savoir que le seul moyen de terminer les disputes sur la foi c'est d'écouter l'Église même ; qu'un particulier ne peut se résoudre qu'avec tout le corps et qu'il hasarde tout, quand il se résout par une autre voie ; que, pour savoir en quelle Église il faut demeurer, il ne faut que savoir quelle est celle qu'on ne peut jamais accuser de s'être formée en se séparant, celle qu'on trouve avant toutes les séparations, celle dont toutes les autres se sont séparées ; que cette Église, Jésus, sorti du sein invisible de son Père, l'a fondée en assemblant autour de lui une société d'hommes qui le reconnaissait pour maître ; que lui-même l'a nommée son Église dans la parole : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; qu'à cette Église primitive les fidèles qui ont cru depuis se sont agrégés ; que c'est elle que le symbole appelle universelle. Et Bossuet exprima sa tranquille confiance en l'accomplissement de la promesse divine : L'ouvrage de J.-C. est éternel. L'Église, fondée sur la confession de la foi, sera toujours et toujours confessera la foi ; son ministère sera éternel ; elle liera et déliera jusqu'à la fin du monde sans que l'enfer l'en puisse empêcher ; elle ne discontinuera jamais d'enseigner les nations. La dispute avec M. Claude se divise en deux actes, dont le premier dura quatre heures. Au premier acte, Bossuet voulut faire avouer au ministre que les protestants eux-mêmes croient à la nécessité d'une autorité qui termine les débats pour la doctrine. Il montra, par des textes tirés du livre de leur Discipline, que, lorsque des débats sont portés du consistoire au colloque, du colloque au synode provincial, du synode provincial au synode national, l'entière et finale résolution est faite, en ce dernier ressort, par la parole de Dieu, à laquelle, si on refusait d'acquiescer de point en point, et avec exprès désaveu de ses erreurs, on serait retranché de l'Église. M. Claude ne pouvait nier le fait, si bien établi par l'évêque, mais il ne voulut pas convenir que les Églises protestantes entendissent l'autorité au même sens que l'Église catholique. Il compara l'autorité des synodes à celle des parents ou des magistrats, qui est utile et ne peut être rejetée, bien que les pères et les magistrats puissent se tromper. Or, tout aussi bien qu'eux, les synodes peuvent errer : Dieu seul est infaillible ; nul ne peut obliger un homme à croire l'Église comme Dieu même, sur sa simple parole ; un chrétien doit se servir, pour interpréter l'Écriture sainte, de la raison même que Dieu nous a donnée. Bossuet prit acte de l'aveu que chaque particulier doit croire qu'il peut entendre mieux l'Écriture sainte que les conciles universels et toute l'Église. En effet, à la question si une femme, un ignorant peut croire qu'il lui peut arriver d'entendre la parole de Dieu mieux que tout un concile, M. Claude a répondu : Oui. Au second acte de la conférence, Bossuet veut obtenir un second aveu : à savoir que, selon le sentiment de M. Claude, l'homme, qui reçoit la première fois des mains de l'Église l'Écriture sainte, est obligé d'examiner si le livre est véritablement inspiré de Dieu ou non, et que, par conséquent, il doute si l'Évangile est une vérité ou une fable. M. Claude répond que celui qui reçoit l'Écriture pour la première fois ne doute pas, il ignore. Il a entendu dire à son père et à ceux qui l'ont instruit qu'elle est divinement inspirée... ; mais, pour ce qui est de l'Écriture, il ne sait ce que c'est. Il a une persuasion humaine, douteuse... la foi divine ne lui viendra que lorsqu'il aura lu l'Écriture. — L'enfant qui récite le symbole parle comme un perroquet sans entendre ce qu'il dit. Bref, ceux qui reçoivent l'Écriture demeurent, jusqu'à ce que Dieu ait révélé la foi à leur conscience, des catéchumènes. Catéchumène, Monsieur ! s'écrie Bossuet. Il ne faut pas, s'il vous plaît, parler ainsi. Ils sont chrétiens, ils sont baptisés, ils ont en eux le Saint-Esprit et la foi infuse. Ému, scandalisé — : Laissons le perroquet, dit-il, — il affirme qu'un chrétien est toujours en état, avant de lire l'Écriture, de faire cet acte de foi : Je crois que cette Écriture est la parole de Dieu, comme je crois que Dieu est. L'Église, en effet, le lui enseigne, et il croit en l'Église, — Credo in unam sanctam ecclesiam catholicam et apostolicam, — comme il croit au Père, au Fils et au Saint-Esprit, cela avant toutes choses, préalablement et ensemble. Il le croit par la grâce du baptême. Que fait donc M. Claude de cette grâce du baptême ? Vous dites qu'il n'est pas en état de faire cet acte de foi ? Il n'est donc pas fidèle et son baptême ne lui sert de rien ?.. Il faut l'instruire comme un infidèle en lui disant : Voilà l'Écriture que je crois inspirée de Dieu, lis, mon enfant, examine. Vois si c'est la vérité même ou une fable. L'Église la croit inspirée de Dieu, mais l'Église peut se tromper. Cette manière d'instruire fait horreur et mène à l'impiété... M. Claude ainsi pressé, serré, sommé de faire l'aveu qu'un baptisé n'est pas nécessairement un chrétien, riposte par un argument habile et redoutable : Les Grecs, les Arméniens, les Éthiopiens, nous-mêmes... nous sommes baptisés ; nous avons par le baptême et le Saint-Esprit cette foi infuse dont vous venez de parler. Chacun de nous e reçu l'Écriture sainte de l'Église où il e été baptisé... Que si, ayant reçu l'Écriture sainte de la main de l'Église où nous sommes, il nous en faut aussi, comme vous dites, recevoir à l'aveugle toutes les interprétations, c'est un argument pour conclure que chacun doit demeurer comme il est et que toute religion est bonne. Bossuet, étourdi du coup, se recueillit, pria, parla en
tremblant. Il avait affaire, comme il dit, à un homme qui parlait avec netteté et avec force, et qui enfin poussait les
difficultés aux dernières précisions. Il se tira médiocrement de la difficulté. Ces schismatiques, dit-il, que M. Claude a nommés, croient une fausse église, mais, au moins, ils la croient. Or, M. Claude enseigne qu'il ne faut pas même croire la vraie sans examen préalable ; en cela, les protestants parlent contre tout le reste des chrétiens. Et Bossuet répète sa question, il la précise : le chrétien, qui demeure dans l'ignorance, tant qu'il n'a pas examiné lui-même l'Écriture, est donc comme un infidèle ? M. Claude répond Oui. Et l'évêque conclut : Eh bien, Monsieur, c'est assez !... On peut donc discourir sans fin ; nous avons tout dit de part et d'autre, et on ne ferait plus que recommencer. Plus tard, dans la polémique au sujet de ce colloque, Bossuet pourtant recommença. Il montra les périls de l'examen, et qu'il peut mener jusqu'à la négation de Dieu : S'il fallait toujours examiner avant de croire, il faudrait commencer par examiner si Dieu est.... Il donna les grands motifs de soumettre à une autorité souveraine l'humanité pour qu'elle ne tombe pas en anarchie, et l'esprit pour qu'il ne se tourmente pas dans le trouble : Les principes de la nouvelle Réforme n'ont pu changer la condition nécessaire de l'humanité, qui demande, pour empêcher les divisions et mettre les esprits en repos, une décision finale et indépendante de tout nouvel examen général et particulier. Il vanta le bonheur de ceux qui naissent dans le sein de la vraie Église. Dieu a donné à cette Église une telle autorité qu'on croit d'abord ce qu'elle propose et que la foi précède ou plutôt exclut l'examen. Sur cette autorité, le Chrétien qui prend en main l'Écriture commence par croire d'une ferme foi que tout ce qu'il va lire est divin.... Il croit tout avant que d'avoir lu la première lettre et que d'avoir seulement ouvert le livre. Et son âme demeure tranquille. M. Claude aussi recommença. Les protestants défendirent contre la doctrine de l'obéissance préalable le droit de la conscience éclairée par le Saint-Esprit, mais aussi par la raison que Dieu nous a donnée. Ils réclamèrent la liberté pour le particulier de se résoudre autrement qu'avec tout le corps, dût-il hasarder tout. Ils furent en effet, et de plus en plus, conduits à tout hasarder dans le péril de la liberté. Bientôt, ils feront de ce péril leur gloire[7]. Le colloque n'avait eu pour témoins que diverses personnes de qualité. Pour tenter la conversion du million de protestants qui demeuraient dans le royaume, il aurait fallu un grand effort de science, de prédication et de charité. L'Église n'en était pas capable. La réforme catholique ne l'avait pas touchée toute entière ; il s'en fallait de beaucoup. Les séminaires, desquels les réformateurs espéraient qu'ils corrigeraient l'ignorance et le mauvais exemple des ecclésiastiques étaient encore très rares. La plupart ne seront ouverts que dans les toutes dernières années du siècle[8]. Quoique l'Église de France, disent les Mémoires de Noailles, un des agents de la révocation, eût alors de célèbres théologiens, de grands évêques, de savants prédicateurs, des lumières enfin et des mœurs vraiment respectables, les mêmes causes qui avaient favorisé les nouvelles sectes subsistaient en province. Des milliers de paroisses étaient à l'état d'abandon[9]. En maints endroits, des confréries religieuses étaient des foyers de piété, mais très étroits. Des ordres religieux, Jésuites, Capucins, Oratoriens faisaient de grands efforts de propagande, mais qui ne suffisaient pas. Des missions furent envoyées en diverses parties du royaume. Elles ne furent, au cours de cette période, ni nombreuses, ni efficaces. Le Gouvernement recourut à des moyens moins évangéliques. En i676 fut établie la caisse des conversions que dirigea l'académicien Pellisson, huguenot converti, devenu intime serviteur di, Roi. La caisse était entretenue par des fonds de l'Église et du Roi. Le tarif des consciences n'était pas très élevé : en général, six livres pour une conversion. Le converti signait un acte d'abjuration et une quittance ; les commis de la Caisse vérifiaient et classaient les pièces de cette comptabilité. Des apostasies furent ainsi obtenues parmi les misérables et les indifférents. Même il y en eut qui, après s'être convertis, retournèrent au prêche, pour se convertir et toucher la prime une seconde, une troisième, une quatrième fois. Il semble que les, conversions aient été assez nombreuses, mais que le chiffre ait été grossi pour les yeux du. Roi. C'était à qui enverrait les plus longues listes. L'illusion fut ainsi donnée qu'un grand nombre de huguenots ne tenaient guère à leur foi, et que l'on viendrait à bout de la R. P. R. par la combinaison de divers moyens, le jour où l'on serait résolu pour de bon à les employer. III. — LA SECONDE PÉRIODE (1679-1685). CETTE résolution fut prise vers l'année 1679. La paix faite à Nimègue permit au Roi de donner une grande application à la conversion des hérétiques. Bientôt, il est vrai, la politique de Louis XIV, les annexions ordonnées par les chambres de réunion, inquiétèrent l'Europe ; des coalitions furent projetées. Mais la trêve de Ratisbonne, conclue en 1684, promit une longue période de paix. Le Roi écrivit à son ambassadeur à Madrid : Mes desseins ne tendent qu'a affermir la paix de l'Europe, et à profiter d'une si favorable conjoncture du temps pour ajouter au bonheur de mes sujets celui d'une parfaite et entière réunion au giron de l'Église, et pour contribuer autant qu'il me sera possible à l'augmentation de la religion dans tous les autres États.... L'Assemblée du Clergé avait reconnu en 1680 que, tant que
la guerre avait duré, des considérations d'État
retenaient le zèle de S. M. La paix faite, elle attendait de lui qu'il donnât
libre cours à son zèle. Bientôt, mise en conflit par le Roi avec le Pape,
dans l'affaire de la régale, elle sentit le besoin de justifier à Rome sa
docilité envers le Roi que nous avons, comme
elle disait, en invoquant les services rendus à l'Église par le nouveau Constantin. Le Roi, embarrassé et
troublé, lui aussi, par les mêmes causes, ne pouvait refuser des
manifestations nouvelles de sa foi. En juillet 1682, l'Église et lui
manifestèrent ensemble. L'Assemblée adressa aux protestants l'Avertissement pastoral, qui, après des effusions
de piété et de charité paternelles et fraternelles, s'achevait par la menace
: Vous devez vous attendre à des malheurs
incomparablement plus épouvantables et plus funestes que tous ceux que vous
ont attirés jusqu'à présent votre révolte et votre schisme. Le Roi
écrivit aux évêques une lettre qu'ils reçurent en même temps que
l'Avertissement. Il les informait qu'il avait ordonné aux intendants d'agir
de concert avec eux pour prendre toutes les mesures
que vous estimerez pouvoir contribuer au succès de ces projets[10]. D'ailleurs, — et ceci est peut-être la plus importante des circonstances — Louis XIV se convertissait décidément : Le Roi, écrit Mme de Maintenon le 19 avril 1679, a passé deux heures dans mon cabinet. C'est l'homme le plus aimable de son royaume. Peut-être n'est-il pas aussi éloigné de penser à son salut que sa Cour le croit. Il a de bons sentiments et. des retours fréquents vers Dieu. Et, le 28 octobre de la même année : Le Roi est plein de bons sentiments, il lit quelquefois l'Écriture sainte et trouve que c'est le plus beau des livres. Il avoue ses faiblesses. Il reconnaît ses fautes. Il faut attendre que la Grâce agisse. Il pense sérieusement à la conversion des hérétiques, et, dans peu, il y travaillera pour tout de bon. Madame de Maintenon fortifiait le Roi dans ses bons sentiments[11]. Elle avait trois ans de plus que lui. Son père, Constant d'Aubigné, fils d'Agrippa d'Aubigné, le soldat poète ami d'Henri IV, eut maille à partir avec Richelieu et fut emprisonné. Françoise d'Aubigné, la marquise future, naquit dans la prison de son père, à Niort. Le père, après qu'il fut libéré, s'en alla chercher à la Martinique, où il emmena sa famille, une fortune qu'il n'y trouva pas. Il mourut là-bas ; la mère et les enfants revinrent, très pauvres. Des amis entreprirent de convertir Françoise ; ils l'enlevèrent à une tante huguenote et la placèrent chez les Ursulines de la rue Saint-Jacques où elle devint catholique. Elle sortit du couvent pour vivre avec sa mère dans la pauvreté. La mère mourut, et ce fut une détresse plus grande. Une première aventure extraordinaire survint alors. Scarron, le poète comique, qui avait quarante-deux ans, qui était cul-de-jatte, et portait en lui, comme il disait, un raccourci de toutes les misères humaines, proposa à Françoise d'Aubigné de l'épouser. Elle accepta. Le mariage paraît avoir été conclu en 1652 : elle avait dix-sept ans. La misère pressait sans doute, et la jeune fille préféra aux incertitudes et aux hasards un établissement. Plus tard, dans une lettre à son frère, elle a dit : Moi qui n'ai jamais été mariée. Elle avait donc fait un mariage blanc. Elle ne fut pas ridicule dans ce ménage. Elle donna de la décence à la maison de son mari, fréquentée par tous les gens d'esprit et par des gens de Cour. Elle avait beaucoup d'esprit elle-même, et du plus délicat, trouvant sans chercher les mots qui font sourire les lèvres fines. Elle était belle ; sa beauté avait ce charme particulier qu'elle ne se découvrait pas toute au regard du premier venu. Enfin Madame Scarron se conduisait très bien. Ces raretés attiraient l'admiration de la ville et même de la Cour. Quand l'infime mourut en 1660, Madame Scarron, veuve et vierge, avait beaucoup d'amis. Une pension de deux mille livres l'assura contre la misère. Madame Scarron était pieuse, mais ne se laissait pas embarrasser par des scrupules de piété. Elle était l'amie de Madame de Montespan, ce fut chez sa maîtresse que le Roi commença de la connaître. En 1669, il la chargea d'élever les enfants nés de cet amour. Jamais enfants légitimes de France n'eurent une gouvernante si belle, si sage, ni d'un si bon esprit. Comme au foyer de Scarron, elle apportait de la décence au foyer de l'adultère double. Les qualités de son esprit étaient celles qui plaisaient le mieux au Roi : la distinction, le calme, le tact, la raison, la solidité, la piété. Peut-être ne les aurait-il pas tant goûtées, si Madame Scarron avait été laide. Il trouvait dans son commerce avec elle un mélange de galanterie et de dévotion, à contenter les deux hommes qui étaient en lui. Il fut libéral envers elle ; l'année 1674, elle acheta la terre de Maintenon, qui fut plus tard érigée en marquisat Madame de Maintenon eut l'idée fort ingénieuse de conseiller à Madame de Montespan de garder l'amitié du Roi en renonçant au péché. C'est le conseil que donnait, de son côté, Bossuet ; mais l'évêque, sans doute, s'imagina la chose plus facile que ne la croyait la dame. Les amants essayèrent de se séparer, puis se rejoignirent. Ce furent des heures où tous les deux pleurèrent. L'inconstance du Roi amena d'autres tempêtes ; Madame de Montespan fit de grandes scènes. Elle ennuyait le Roi, qui n'aimait pas, comme il disait être gêné. Plus longues devinrent les conversations du Roi avec la pieuse gouvernante des légitimés. Rassasié de sa maîtresse, il entendait mieux, de jour en jour, une voix intérieure, qui jamais ne s'était tue, lui rappeler son éducation chrétienne, l'horreur qu'on lui avait enseignée du péché mortel, la crainte du diable et de l'enfer. Le confesseur, le P. de La Chaise, gagnait à la main. C'était un habile homme, aimable, fidèle au Roi même dans les querelles avec Rome, puissant dans le tête-à-tête. En 1680, il ramena le Roi à la sainte table. Les exercices de dévotion, sermons, adorations, chapelets se multipliaient. Mais le pénitent avait à peine passé la quarantaine. Libéré de Madame de Montespan, il s'engageait avec Mademoiselle de Fontanges. Il la fit marquise et mère. Une maladie, en suite de couches, défigura la nouvelle maîtresse. Blessée au service du Roi, elle alla prendre, en juin 1680, ses invalides dans un monastère, où elle mourut, l'an d'après. Madame de Maintenon entreprit alors de rendre le Roi à sa famille légitime. Le mariage du Dauphin, qui avait été célébré en mars 1680, lui en donna l'occasion. Elle était dame d'atours de la Dauphine ; le Roi fut très assidu chez sa belle-fille, où il trouvait toujours la dame d'atours. Il se mit à témoigner de l'affection à la Reine. On me mande que la Reine est fort bien en cour, écrit Madame de Sévigné, le 28 août 1680. La pauvre Reine était fort reconnaissante à Madame de Maintenon : Le Roi ne m'a jamais traitée avec tant de tendresse que depuis qu'il l'écoute, disait-elle. Mais la Cour ne s'y trompait pas. Les conversations de Madame de Maintenon avec le Roi ne font que croître et embellir ; elles sont d'une longueur à faire rêver tout le monde, écrivait Madame de Sévigné en juin 1680. A je ne sais quel courtisan, la langue a fourché, qui a dit Madame de Maintenant. Le 30 juillet 1683, mourut la Reine Marie-Thérèse. Le Roi pleura beaucoup : Voilà, dit-il, le premier chagrin qu'elle m'a causé, mais il se consola très vite. Après trois jours de retraite à Saint-Cloud, il s'en alla à Fontainebleau, où Madame de Maintenon accompagna la Dauphine : Elle parut aux yeux du Roi dans un si grand deuil, avec un air si affligé, que lui, dont la douleur était passée, ne put s'empêcher de lui en faire quelques plaisanteries. Bientôt après — la date de la célébration clandestine n'est pas tout à fait certaine — Louis XIV épousa Madame de Maintenon. C'est assurément une erreur que d'attribuer à Madame de Maintenon la révocation de l'Édit. Elle ôtée, le cours des choses, qui venait de loin avec une force croissante, aurait suivi son chemin. Il semble, au reste, que Louis XIV n'ait jamais été conduit autant qu'on le croit par ses entourages. C'est bientôt fait que de dire qu'il suivit Colbert d'abord, et ensuite Louvois. La vérité pourrait bien être que la manière de Colbert lui convint d'abord, et ensuite celle de Louvois, et que le crédit de l'un, puis celui de l'autre correspondirent à deux moments de Louis XIV. De même, La Vallière, Montespan, Maintenon, se succèdent naturellement ; elles sont le printemps, l'été, l'automne de cette vie. Mais il est certain que l'instinct de dévotion, qui, joint à l'instinct de galanterie, avait attiré vers Madame de Maintenon le galant assagi fut fortifié par elle. Or, cette dévotion du Roi fut une des causes les plus fortes de la révocation. Les voies ordinaires du salut ne suffisaient pas à un homme comme lui. Saint-Simon croyait qu'il s'était toujours flatté de faire pénitence sur le dos d'autrui et se repaissait de la faire sur le dos des huguenots et celui des jansénistes. Madame de Maintenon met de pair les progrès de la dévotion et ceux de la résolution d'en finir avec l'hérésie. En août 1681, elle écrit : Le Roi commence à penser sérieusement à son salut ; si Dieu nous le conserve, il n'y aura bientôt plus qu'une religion dans son royaume. Quelques semaines après la mort de la Reine : On est fort content du P. de La Chaise ; il inspire au Roi de grandes choses. Bientôt tous ses sujets serviront Dieu en esprit et en vérité. La Cour se convertissait aussi ou faisait semblant, à mesure que se révélait plus clairement par les paroles, les avertissements, et les menaces du Roi que l'impiété, le blasphème, le libertinage seraient un obstacle aux avancements. Louis XIV commande la dévotion, la Cour obéit ; chacun veut prendre sa part du grand travail : Tout devient missionnaire. Colbert a défendu comme il a pu contre les vexations les protestants qui pratiquaient les professions utiles. Il a ordonné de grands ménagements, de la prudence, de la douceur, beaucoup de modération aux missionnaires et aux intendants chargés de procurer la conversion des officiers des galères ou des marins de la côte de Saintonge. Il a épargné autant d'ennuis qu'il a pu à Van Robais, le manufacturier qui travaille si bien à Abbeville, et, s'il réussit, portera un très grand préjudice aux fabriques de Hollande et d'Angleterre, et qui, d'ailleurs, est un fort bon homme. Il a gémi en apprenant les premières émigrations et recommandé aux intendants d'empêcher autant qu'il se peut que le Roi ne perde de ses sujets. Mais il voyait bien que la résolution était prise, et que c'eût été courir un risque trop gros que de vouloir résister et même contrarier. Il savait que Madame de Maintenon l'observait. En 1680, il félicite l'intendant de Poitiers de ses grands et prodigieux succès concernant les conversions dans tout le Poitou, cette province qui est la première dans laquelle Calvin a commencé de semer ses erreurs, et il l'invite à suspendre pour quelque temps les autres fonctions de son emploi pour vaquer à celle-là. Cet intendant était Marillac, et ses prodigieux succès étaient les dragonnades. Le Chancelier Le Tellier, l'habile homme, qui avait vu tant de choses, depuis un demi-siècle qu'il servait, et toujours discerné, même au temps des plus grands troubles atmosphériques, d'où venait le vent, achevait sa vie dans la dévotion. Son fils Louvois, le secrétaire d'État de la guerre, était inquiet de n'être plus tant l'homme nécessaire, comme l'appelait le Roi, depuis que la paix avait été conclue. Il lui fallait un autre moyen de crédit que la guerre ; il le chercha dans la passion du Roi à terminer la grande affaire. Il va devenir un convertisseur. En 1681, son zèle parait louable à Madame de Maintenon, comparé à l'indifférence de M. Colbert, qui ne pense qu'à ses finances. Au-dessous des grands chefs, les moindres personnages et les subordonnés travaillent à qui mieux mieux : à Paris, le procureur général de Harlay, le lieutenant de police La Reynie, le lieutenant civil Camus. Dans les provinces, les intendants ne s'emploient pas seulement à découvrir des artifices, des vexations et des rigueurs, ils commencent à prêcher et à convertir. Foucault écrivait : Je fis plusieurs conversions... J'ai converti tel ou tel. Par le concours de ces volontés et de ces obéissances, l'œuvre de la réduction des huguenots avança vite dans toutes les voies où nous l'avons vue engagée déjà. En apparence, c'est encore une mêlée. Déclarations, édits, arrêts du Conseil, arrêts de parlements, actes d'États provinciaux, de municipalités, d'intendants, se mêlent, et aussi se répètent. Il n'est guère d'injonction ou d'inhibition qui n'ait été plusieurs fois redite. Il arrive qu'un arrêt succède à un autre pour le compléter et réparer un oubli. On dirait une improvisation perpétuelle ; mais elle est conduite par de très claires intentions. Les protestants sont exclus, par arrêt du Conseil, de tous offices établis sur les terres des seigneurs hauts justiciers (novembre 1679) ; de tout le service des fermes — adjudicataires, participes, intéressés, directeurs, contrôleurs, commis, capitaines, archers et gardes ; (juin 1680) — ; de tout le service du recouvrement des tailles (août 1680) ; par arrêt du Parlement de Paris, de tous les offices de justice subalterne (août 1680) ; par déclaration de 1682, des offices de notaires, procureurs, huissiers ou sergents ; par arrêt du Conseil, des offices de prévois, lieutenants, exempts et archers des sénéchaussées, vice-sénéchaux, vice-baillis et lieutenants criminels de robe courte, de receveurs des consignations et commissaires aux saisies réelles des cours et sièges du royaume (septembre 1682) ; de toutes charges dans la maison du Roi, de la Reine et des princes du sang (mars 1683) ; des charges de secrétaire du Roi (janvier 1684). Chassés d'une si grande quantité d'offices, les protestants affluent aux professions libérales. Il y avait, par exemple, à Pau 200 avocats protestants contre 50 catholiques. Par déclaration du 11 juillet 1685, défense de recevoir avocats ceux de la R. P. R. Mais alors ils vont probablement envahir la profession médicale. Par une autre déclaration, considérant que la plupart des jeunes gens (de la R. P. R.) se détermineraient à étudier en médecine, se voyant exclus de toutes autres fonctions, en sorte que le nombre des médecins faisant profession de la R. P. R. s'augmenterait si considérablement que peu de nos sujets de la R. C. A. et R. s'attacheraient désormais à cette science, le Roi interdit la profession à ceux de la R. P. R. En juillet 1685 leur seront interdites l'imprimerie et la librairie. L'Édit de Nantes avait voulu assurer bonne justice à tous les sujets du Roi sans aucune suspicion, haine ou faveur. Des chambres spéciales, communément appelées Chambres de l'Édit, avaient été instituées à l'usage des protestants, à Paris, Rouen, Grenoble, Castres et Bordeaux. Elles furent supprimées. Un des édits de suppression (juillet 1679) rappelle que ces Chambres avaient été instituées à cause de la haine que les guerres civiles avaient excitée dans l'esprit de nos sujets ; mais elles n'avaient plus de raison d'être, attendu qu'il y a cinquante années qu'il n'est pas survenu de nouveau trouble causé par ladite religion, et que les animosités qui pouvaient être entre nos sujets de l'une et de l'autre religion sont éteintes. Le prétexte donné était un pur mensonge ; la vérité se trouve dans une lettre que l'archevêque d'Arles écrivait, au moment de l'édit, à un secrétaire d'État : J'aurai une application toute particulière pour concourir au zèle et à la piété de notre grand monarque qui, par la suppression qu'il vient de faire des Chambres de l'Édit, fera plus de conversions que tous nos prédicateurs et nos missions n'auraient su faire dans tout un siècle. Tous les protestants étaient pour ainsi dire en état de prévention. Des écrits, envoyés de Paris dans les paroisses du royaume, invitaient les curés, marguilliers et autres, à faire une recherche de la conduite des Réformés, et, s'il y avait lieu, d'en faire faire les informations devant les juges des lieux. On demandait en même temps un état du nombre des protestants, par noms, familles, métiers, avec estimation de leur fortune. Les réponses étaient envoyées au secrétaire d'État, ou bien au Père de La Chaise, confesseur du Roi. Et les dénonciations affluèrent aux parlements et aux justices inférieures. De faux témoignages étaient produits en justice. En 1665, l'intendant du Languedoc devait juger des protestants accusés d'avoir maltraité des coreligionnaires convertis au catholicisme. Mais, comme l'on est venu à récoler les témoins, l'accusation s'est trouvée fausse, le juge ayant supposé trois témoins et contrefait leur seing sans qu'ils en eussent jamais ouï parler... Messieurs les dévots, qui étaient les poursuivants de cette affaire, furent fort surpris... Mais, à cette date, le grand branlebas n'était pas commencé, et l'intendant qui écrivit cette lettre à Colbert savait que le ministre n'aimait pas les dévots. Plus tard, on ne regardera pas de si près à la valeur des témoignages. Le Premier Président du Parlement de Bordeaux écrit en 1686 au secrétaire d'État Je vous envoie une copie ci-jointe d'un arrêt que nous avons rendu ce matin contre un ministre mal converti... Je vous dirai, monsieur, que la preuve était délicate et même défectueuse dans le chef principal, et que néanmoins le zèle des juges est allé au delà de la règle pour faire un exemple. Le condamné (aux galères perpétuelles) offre une seconde conversion plus sincère que la première ; il a une femme et de petits enfants... On espéra beaucoup de plusieurs sortes d'injustices commises à l'égard des protestants opiniâtres, et d'exemptions et privilèges accordés à ceux qui se laissèrent convertir. En 1682, Basville, alors intendant en Poitou, se félicitait, écrivant à Louvois, du succès des missions catholiques ; mais, dit-il : Le détail où j'ai cru être obligé d'entrer en faisant moi-même les rôles des paroisses où il y a de nouveaux convertis me parait aussi être une voie très efficace pour les exciter à faire leur devoir ; car, d'un côté, voyant la différence que l'on fait de ceux qui font bien ou mal dans l'imposition, et se trouvant d'ailleurs instruits par les missions, je trouve que tout cela ensemble achève de les persuader et the l'incertitude où la plupart d'entre eux avaient été jusqu'à cette heure sur le sujet de la religion... Les rôles de paroisses poitevines étaient coupés en trois colonnes. Première colonne, les catholiques ; ils sont exemptés d'une partie des impôts. Seconde colonne, les nouveaux convertis ; ils sont exemptés entièrement. Troisième colonne, les protestants ; ils sont surchargés. La surcharge varie du triple au quadruple et même, en Poitou, des protestants, qui payaient auparavant trente livres, furent taxés à cinq ou six cents en 1682. Au commencement de l'année 1680, Marillac visita son intendance de Poitou, escorté de religieux et de dragons, qu'il logea chez l'habitant huguenot. Il ne fut pas l'inventeur des logements militaires imposés aux réformés opiniâtres, mais il l'appliqua en grand. Le procédé, au reste, était depuis longtemps employé pour contraindre à l'obéissance toutes les sortes de récalcitrants. Le brigandage des soldats était à ce point redouté que la dragonnade de Marillac réussit. Plus de 30.000 conversions furent obtenues dans le Haut Poitou en un an. Même aux endroits que ne visitèrent pas les dragons, la renommée de leurs actions effraya les réformés. L'évêque de Luçon a noté que, cette année, au lieu d'une trentaine de conversions, comme à l'ordinaire, il s'en est fait quatre cents dans son diocèse, qui pourtant n'a pas eu part à cette bénédiction de la dragonnade. Louvois félicita Marillac d'un si beau succès. Il lui annonça, au mois de mars 4681, l'arrivée de tout un régiment de dragons pour le mois de novembre. L'intention du Roi, lui dit-il, n'est pas que vous les logiez tous chez les protestants ; mais, supposé que d'une compagnie de vingt-six cavaliers, les religionnaires en devraient loger dix, mettez-leur en vingt. Mettez-les chez les plus riches, en prenant pour prétexte que, quand il n'y a pas un assez grand nombre de troupes dans un pays pour que tous les habitants en aient, il est juste que les pauvres en soient exempts et que les riches en demeurent chargés. En même temps, il envoyait à Marillac une ordonnance par laquelle les convertis étaient exemptés pour deux années du logement des gens de guerre. Cette ordonnance, disait-il, pourrait causer beaucoup de conversions dans les lieux d'étapes. Enfin, il avertissait l'intendant de ne pas publier les intentions du Roi. Marillac ou ses subdélégués donneront l'ordre de bouche aux maires et échevins des lieux, sans leur faire connaître que S M. désire par là violenter les huguenots à se convertir. Louvois savait la vilenie du procédé, puisqu'il le dissimulait. Il en savait aussi l'efficacité, sa confiance en l'effet que produiront les logements militaires et l'exemption de ces logements atteste la méchanceté du fléau. Les témoignages protestants disent que les dragonnades furent terribles tout de suite : les hôtes ruinés par les exigences des soldats ; injuriés et battus, s'ils refusent d'entendre les capucins, logés eux aussi dans les maisons, des femmes traînées par les cheveux ou par la corde mise à leur cou ; des vieillards attachés à des bancs et sous les yeux de qui sont maltraités leurs enfants ; des hommes et des femmes portés dans des linceuls à l'église, aspergés d'eau bénite, déclarés catholiques et menacés d'être traités comme des relaps, s'ils retournent à leur religion ; la torture des pieds chauffés devant le feu ; la privation de sommeil infligée aux opiniâtres ; les viols. La preuve de ces cruautés est donnée par la correspondance officielle. Les protestants de Châtellerault ont réussi à faire entendre leurs plaintes par le Roi. Alors Louvois avertit l'intendant que S. M. ne comprend pas qu'il ait souffert la conduite des cavaliers accusés de brigandages. A la fin d'août, nouvelles réprimandes à Marillac avec ordre de punir les soldats coupables. En septembre, Louvois dit en termes polis à Marillac, qui a envoyé ses réponses aux plaintes des protestants, que S. M. a très bien vu qu'il mentait. Il lui ordonne de faire pendre le premier cavalier qui se conduira mal. En décembre, nouvel avertissement à Marillac ; en février 1682, l'intendant est rappelé. Il semble donc que le Roi ait réprouvé ces premières violences. Peut-être l'offensaient-elles, et ne les jugeait-il pas d'ailleurs nécessaires. Peut-être s'inquiéta-t-il du bruit qui en fut fait à l'étranger, au moment où, redoutant une coalition, il avait intérêt à ménager les princes protestants. S'il avait eu sincèrement horreur des moyens employés par Marillac, il l'aurait sincèrement disgracié. Or, Marillac fut nommé bientôt après intendant de Rouen. Et Louvois n'oubliera pas que les dragonnades avaient très bien commencé. Le Gouvernement espéra qu'il détruirait la secte sans recourir aux compromettantes violences des soldats. Il se proposa de circonscrire le foyer de l'hérésie, pour ensuite l'éteindre. L'Assemblée du Clergé répétait la prière, souvent faite au Roi, d'ôter à ses sujets la prétendue liberté de conscience,... piège préparé à leur simplicité, et de les mettre dans l'heureuse nécessité d'être toujours fidèles. En 1680, un édit défendit aux catholiques de se convertir à la R. P. R. sous peine de bannissement et de confiscation des biens, et aux protestants convertis de retourner à leur religion, sous la même peine. Les défenses furent répétées en 1683. Il ne fallait pas que la secte fît des recrues nouvelles, ni qu'elle réparât ses pertes. On essaya de supprimer les écoles protestantes. Défense fut répétée aux maîtres de la R. P. R. de prendre des pensionnaires. Leurs écoles, qu'ils établissaient aux endroits fréquentés des villes, devront être transportées auprès du temple, qui, presque toujours, était relégué dans un faubourg. Des académies protestantes enseignaient les arts libéraux et les sciences philosophiques. Elles étaient laborieuses. Colbert de Croissi compare dans un rapport de l'année de 1664, à l'inerte université catholique d'Angers, l'académie de Saumur, où les protestants réunissent tout ce qu'il y a de gens d'esprit dans leur parti pour la rendre célèbre et florissante. L'Académie de Saumur fut abolie en 1685. Celle de Sedan l'avait été en 1681. Comme les enfants protestants ne pouvaient tous trouver place dans l'unique école tolérée aux lieux d'exercice, et n'y recevaient à ailleurs qu'un enseignement élémentaire, les pères les envoyaient étudier à l'étranger. Une déclaration de juin 1681 ordonna de les rappeler sans retard des pays où ils pouvaient prendre des maximes contraires à la fidélité qu'ils nous doivent par leur naissance. La persécution travailla la famille protestante. Un édit de novembre 1680 interdit les mariages mixtes : les enfants qui en naîtront seront illégitimes et incapables de succéder... Le Roi, par une déclaration de 1682, s'attribue, en sa qualité de père commun de ses sujets, le droit de faire instruire dans la religion catholique les bâtards de l'un et de l'autre sexe de quelque âge qu'ils soient. On cite l'exemple d'un vieux bâtard de quatre-vingts ans, qui fut en effet requis de se convertir. Un article de l'Édit de Nantes défendait d'enlever par force ou par induction contre le gré de leurs parents les enfants pour les faire baptiser et confirmer dans la R. C. A. et R. Maître Bernard représenta qu'à le bien prendre cet article défendait, à la vérité, d'enlever les enfants de la R. P. R. ; mais que ceux-ci pouvaient fort bien, sans être induits ni subornés de personne, se réunir à la religion catholique, car la réunion à cette religion est naturelle ; en être séparé, c'est être dans un état violent. Il pensait que les enfants se trouvaient en puissance de discernement à l'âge de sept ans, ou de dix ou onze ans au plus tard. Le Conseil estima que ce plus tard était un peu trop tôt ; une déclaration de février 1669 attribua le discernement aux garçons à partir de quatorze ans et aux filles à partir de douze ans. Le Clergé s'en plaignit dans les assemblées de 1670 et de 1675, et le Roi regretta, en 1681, d'avoir exclu les enfants de se convertir, depuis l'âge de sept ans, auquel ils sont capables de raison et de choix dans une matière aussi importante que celle de leur salut. Il leur permit d'abjurer à défendit aux parents d'y mettre aucun empêchement. Ces nouveaux catholiques pourront, à leur choix, ou bien demeurer chez leurs parents pour y être entretenus et nourris, ou bien se retirer ailleurs, et leur demander pour cet effet une pension proportionnée à leurs conditions et facultés. Si les parents s'y refusent, ils seront contraints par toutes voies dues et raisonnables. Les protestants représentèrent au Roi dans une requête en l'année 1681 qu'ils aimeraient mieux souffrir toute sorte de maux et la mort que de se voir séparés de leurs enfants dans un âge si tendre. Ils répétèrent cette plainte et invoquèrent la puissance paternelle et la nature. On lit dans une de leurs doléances : Il n'est pas possible que la nature ne souffre pas beaucoup en nous. La naissance et la mort des huguenots furent surveillées par la police. La femme protestante se passera d'accoucheuse, si elle n'en veut prendre une qui soit catholique. Défense, par une déclaration de février 1680, qu'aucune personne, de quelque sexe que ce soit, faisant profession de la R. P. R., ne puisse dorénavant se mêler d'accoucher dans notre royaume. D'autre part, on voulut assurer l'accès du prêtre auprès des huguenots à leur dernière heure. L'Édit avait permis l'établissement d'hôpitaux communs aux deux religions, qui étaient administrés par un comité mixte de protestants et de catholiques. Mais les protestants avaient ouvert en quelques endroits des maisons où leurs malades étaient soignés ; ils réunissaient des fonds de secours, que les consistoires distribuaient à domicile, et des personnes charitables recueillaient chez elles les malades pauvres. Les catholiques prétendirent à un privilège de soigner les malades. En, Languedoc, l'effort fut constant pour chasser les réformés de l'administration des hôpitaux mixtes, pour transférer à ceux-ci les aumônes et rentes constituées par des religionnaires, et pour mettre aux mains catholiques les fonds protestants d'assistance. Un arrêt de septembre 1684 défendit aux particuliers de recevoir en leurs maisons les pauvres malades de la R. P. R., pour la raison que ceux qui voudraient se convertir seraient en danger de ne pouvoir le faire. On voulait les avoir à l'hôpital sous l'œil des religieuses et sous la main du confesseur catholique. On alla jusqu'à interdire aux protestants les assemblées de charité. Colbert écrivait au lieutenant de police en mars 1682 : Le Roi ayant été informé que Mme d'Hervarth et Mme de Monginot font une assemblée de dames de la R. P. R. pour assister les pauvres de ladite religion, Sa Majesté m'a ordonné de vous en donner avis et de vous dire que son intention est que vous empêchiez ces sortes d'assemblées, qui ne doivent pas être tolérées. Quant aux malades qui ont le moyen de mourir chez eux, ils recevront une visite lugubre, qui ne pouvait manquer d'être, et qui fut, en effet, l'occasion de scènes très cruelles. Une déclaration de novembre 1680 dispose que les juges ordinaires du lieu iront chez ceux de la R. P. R. qui sont malades pour savoir s'ils veulent mourir dans ladite religion. Aux lieux où ne se trouvent pas de juges, une déclaration d'avril 1681 ordonne que ce seront les syndics ou les marguilliers des paroisses, qui se rendront chez ceux de la R. P. R. En même temps, se poursuivait, plus acharnée, la guerre aux églises de la R. P. R. On n'usait pas seulement, pour ruiner les temples, des procédés de la chicane, perfectionnée toujours. Cosnac, l'évêque de Valence, raconte qu'après qu'il eut fait démolir, dans son diocèse, plus de quatre-vingts temples, il en restait dix ou douze, qui n'étaient pas dans le cas d'être rasés. Il obtint pourtant qu'ils le fussent, sauf deux qui l'importunaient, et dont il voulut se délivrer. Député à l'Assemblée du clergé, il vint à Paris en 1685 : Je n'oubliai pas, dit-il, mes deux temples. Le Tellier m'en donna un qu'il fit juger dans le Conseil, et je suppliai si pressamment Sa Majesté de m'accorder l'autre que je l'obtins de sa piété et de sa bonté, de sorte qu'avant la révocation de l'Édit de Nantes, je me glorifiais d'avoir détruit l'exercice des temples dans mon diocèse. Foucault rechercha la même gloire pour son intendance de Béarn. En 1684, il fut reçu par le Roi. Il lui montra, sur une carte qu'il avait fait faire de la province, qu'il y avait un trop grand nombre de temples trop proches les uns des autres, et qu'il suffirait d'en laisser cinq. Le Roi approuva. Or, Foucault avait choisi, pour les réserver, cinq temples dans lesquels les ministres étaient tombés dans des contraventions qui emportaient la peine de démolition. De retour en Béarn, il démolit les temples proscrits par le Roi et fit attaquer les cinq restants par le procureur-général au Parlement de Pau. Leur procès fut bientôt fait... en sorte qu'en moins de six semaines, il ne resta pas un temple dans le Béarn. Un des plus efficaces moyens de perdre les temples fut de les rendre responsables, pour ainsi dire, de toute contravention qui s'y commettait, aux édits, déclarations et arrêts. Sera fermé le temple où un ministre aura fait un prêche séditieux, en quelque manière que ce soit. Et les prêches étaient bien surveillés. Il a été ordonné en 1683 qu'il y eût, dans l'avenir, un lieu marqué pour les catholiques, afin que des savants en cette religion pussent aller entendre ce que les ministres disent dans leurs prêches. Sera fermé le temple, où sera entré un relaps ou bien un nouveau converti. Les ministres se plaignirent vainement qu'il leur fût impossible de connaître tous les visages d'un auditoire, qui était, dans les grandes villes protestantes, de deux ou trois mille personnes. A Montpellier, une toute jeune fille, née huguenote, convertie malgré elle, s'est échappée du couvent où elle a été enfermée. Elle va au temple, elle est dénoncée ; le temple est détruit. De même le temple de La Rochelle, parce qu'une relapse s'y est montrée. Et, cette relapse de La Rochelle, Marie Bernard, l'intendant de Rochefort la recommandera plus tard à la charité du Roi, parce qu'on s'est utilement servi d'elle, pendant les années 1684 et 1685, pour trouver des preuves de faits suffisants pour parvenir à la démolition des temples, et c'est par son moyen que celui de La Rochelle et plusieurs autres ont été détruits. Cherchant les raisons de l'incompréhensible opiniâtreté des huguenots, les catholiques pensaient qu'une des plus fortes était l'intérêt des ministres à garder leur emploi, et la répugnance des fidèles à désobliger leurs pasteurs, surtout lorsque ceux-ci étaient établis depuis longtemps dans un même lieu. C'est pourquoi il fut défendu à un ministre d'exercer au même endroit plus de trois ans. Dès qu'un temple a été détruit, le ministre doit quitter le lieu ; autrement, il détournerait ceux de la R. P. R., qui ont dessein de se convertir, de leur bonne résolution (juillet 1682). Les ministres s'en vont donc faire leur service ailleurs, mais le moins loin possible ; — aussi leur est-il défendu de s'établir plus près... que de six lieues. Mais les protestants font jusqu'à trente lieues pour aller entendre un prêche, ils partent en bandes le samedi soir, marchent tant de nuit que de jour en chantant les psaumes à haute voix, ce qui cause du scandale, partout où ils passent ; une déclaration leur interdit ces voyages. Toutes ces rigueurs contre les institutions de l'Église réformée, contre les personnes, les familles, les ministres, étaient souffertes patiemment. On disait patient comme un huguenot. Il y eut pourtant des mouvements en Languedoc, en Vivarais, en Dauphiné et dans les Cévennes. En 1683, des colloques, réunis à Chalançon et à Vallon, publièrent des manifestes. Il fut décidé que les églises interdites du Vivarais s'assembleraient pour prêcher la parole de Dieu, et recourraient à la force, si par malheur, ce que Dieu ne veuille, le clergé prévalait sur notre innocence et qu'il voulût abuser... du nom et autorité de S. M.. Dans le plat pays et dans quelques villes, catholiques et protestants s'armèrent ; des hobereaux catholiques mirent en campagne les garnisons de leurs castels. Les troupes du Roi arrivèrent et la répression fut dure. Noailles, gouverneur du Languedoc fit, un jour, pendre douze prisonniers par un treizième : Ces misérables, disent les mémoires, allaient au gibet avec une ferme assurance de mourir martyrs, et ne demandaient d'autre grâce, sinon qu'on les fît mourir promptement. Louvois ordonna par une lettre d'octobre 1683 de faire en Vivarais une telle désolation que l'exemple qui se fera contienne les autres religionnaires et leur apprenne combien il est dangereux de se soulever contre le Roi. Cette pauvre rébellion, suivie d'une facile victoire, servit à démontrer que la R. P. R. n'avait plus un parti capable de la défendre et qu'on n'avait pas besoin de se gêner avec elle. IV. — LA RÉVOCATION. LES protestants sentaient venir le coup de grâce. Au mois de janvier 1685, ils adressèrent au Roi la dernière requête. Ils y rappelèrent, en termes de profond respect, les droits qu'ils tenaient de l'Édit de Nantes. Nous vivons, dirent-ils, sous la foi sacrée des rois vos prédécesseurs, qui n'a pas été ensevelie avec eux dans leurs tombeaux. Ils représentèrent que l'Édit, chaque jour mutilé, semble un arbre dénué de ses feuilles et de ses branches, qui ne fait ombre que de son tronc. Tous les actes furent énumérés, qui violaient les droits de la nature et de la société civile. La rare malhonnêteté des procédures était démontrée, et l'odieux des violences : Toute l'Europe a été étonnée de ce qui s'est fait en Poitou. Dans l'extrémité de leurs maux, les requérants s'adressaient à la justice du Roi : Dieu, qui les a mis sous votre domination, les a mis en même temps sons votre protection royale. Ils se défendaient de toutes les imputations odieuses dont on les chargeait. Sans doute — et ici ils glissaient très vite sur des choses embarrassantes et péchaient par des omissions graves — leurs ancêtres, séduits quelquefois par l'intérêt des grands, ou pressés par la nécessité de défendre leur vie, ont eu le malheur de s'armer contre leurs concitoyens ; mais n'ont-ils pas eu aussi le bonheur de combattre pour les justes droits de l'aïeul de S. M., à qui une faction impérieuse et violente voulait ravir son légitime héritage ? Et, naguère, le temps de la minorité du Roi, ce temps d'épreuve pour ses sujets, n'a-t-il pas fait connaître la vérité et la sincérité du zèle des suppliants. Ils réclament pour leur religion les droits du christianisme, et repoussent les titres infamants d'hérétiques et de schismatiques. Ils croient, en effet, toute l'essence du christianisme, et, si leur conscience n'a pu recevoir plusieurs doctrines et plusieurs ouvrages qui leur ont paru opposés à la simplicité et à la pureté de la religion... ils se sentent innocents à cet égard devant Dieu et devant les hommes. Il est vrai, on ne cesse de dire qu'il est de l'intérêt d'un État qu'il n'y ait qu'une seule religion, et que S. M. étant toute puissante comme elle est dans son royaume, il serait de sa gloire de réduire tout à la seule religion catholique. Les suppliants ne veulent pas entrer dans la discussion de ces vues politiques. Ils connaissent le pouvoir du Roi ; ils seraient bien aveugles, s'ils ne voyaient ce que toute la terre en voit ; mais ils disent : Quand la diversité de religion se trouve permise et autorisée par les lois de l'État et qu'on ne peut plus la faire cesser sans renverser ces lois et sans affliger un grand nombre de sujets fidèles, la tolérance en est devenue juste et nécessaire. Ils avertissent le Roi qu'il y a, dans la religion une force supérieure à la force : V. M. n'ignore pas que la religion est une chose qui vient d'en haut et qui ne dépend point de la politique humaine ; elle a son siège dans l'esprit et dans le cœur où elle ne s'introduit que par les voies de la persuasion et par celle des prières et des vœux à Dieu. Les voies de la contrainte ne sont propres qu'à faire des athées ou des hypocrites. ou à exciter en ceux qui sont de bonne foi une fermeté et une persévérance qui se met au-dessus des supplices si on en vient jusque-là, comme il est presque inévitable, quand les premiers essais de la contrainte ne réussissent pas. Cette requête, qui s'achevait par une protestation de soumission absolue, fut reçue pour dire qu'on l'avait reçue, mais on n'en fit pas la moindre considération. Claude, qui l'avait, rédigée, annonçait comme chose sûre la révocation prochaine. Cependant, il paraît bien que la Cour espérait n'être pas obligée d'en venir à cette extrémité. Madame de Maintenon écrivait qu'on avait décidé de ne pas précipiter les choses, que Louvois lui-même voulait de la douceur. Quelques semaines encore avant la Révocation, le Roi, l'Assemblée du clergé lui présentant comme à l'ordinaire les articles sur la religion, accordera les uns, refusera les autres[12]. Il croyait que l'Édit allait devenir inutile par la conversion de tous ceux de la R. P. R. Probablement la décision d'en finir ne fut prise qu'au dernier moment, et le Roi y fut conduit par une série de circonstances imprévues. Louvois, malgré l'air de sévérité qu'il avait pris avec Marillac, et la résolution qu'il annonçait d'agir avec douceur, continuait les dragonnades. En 1684, dans le Languedoc et le Dauphiné, il les autorisa ou les ordonna. Au mois de mars 1685, il annonçait à Basville, alors intendant en Poitou, l'arrivée prochaine du régiment d'Asfeld. On lit, sur la minute de la dépêche, ces mots : Il ne convient point au service de S. M. qu'il se fasse aucune violence pareille à celles dont on s'est plaint du temps de M. de Marillac. Mais, après réflexion, la phrase a été barrée. Louvois laissait donc Basville seul juge de ce qu'il croirait utile pour le service de S. M.. Basville, avec les dragons, fit des merveilles en Poitou. En Béarn, dans l'intendance de Foucault, arriva en 1685 une chose extraordinaire. Un corps d'armée y avait été envoyé pour menacer l'Espagne avec laquelle le Roi se trouvait presque en état de guerre. La présence de ces troupes permit d'opérer non plus par petits paquets et successivement, mais largement et partout à la fois. Les troupes se répandirent dans la province, et bientôt Foucault expédia bulletins sur bulletins de victoire : J'ai mandé..., le 12 juillet, qu'il y avait jusqu'à présent seize mille âmes converties dans le Béarn, et que ce qui restait suivrait bientôt. Le 14, il annonce qu'à Pau les habitants de la R. P. R. se sont convertis par délibération ; et puis : Il y a eu trois mille huit cents religionnaires d'Orthez qui se sont convertis, de quatre mille qu'il y avait : ce qui m'a obligé de mander à MM. les ministres qu'ils pouvaient assurer le Roi de la conversion totale du Béarn, de vingt-deux mille qu'il y en avait n'en restant pas mille. Ainsi, le hasard du séjour d'une armée dans une petite province avait produit le miracle d'une conversion en masse. Le Roi s'émerveillait à la lecture des lettres de Foucault. Il félicita l'intendant d'un succès très avantageux à notre religion, disait-il, et d'un fort bon exemple pour les autres provinces de mon royaume. Le fort bon exemple séduisit les intendants voisins, ceux des généralités de Bordeaux et de Montauban. Louvois les mit en état de le suivre. A la fin de juillet, il écrit à M. de Boufflers, commandant les troupes de la frontière d'Espagne, que le Conseil de Madrid s'empressant d'accorder tout ce que S. M. peut désirer, une irruption en Espagne ne sera pas nécessaire : S. M. a donc jugé à propos de se servir des troupes qui sont à vos ordres, pour, pendant le reste de cette année, diminuer le plus que faire se pourra, dans les généralités de Bordeaux et de Montauban, le grand nombre des religionnaires qui y sont, et essayer d'y procurer, s'il est possible, un aussi grand nombre de conversions qu'il s'en est fait en Béarn. Le miracle du Béarn se renouvela en Guyenne. Dès les premiers jours de septembre, Boufflers informait que, depuis le 15 août, il s'était fait soixante mille conversions dans la généralité de Bordeaux et vingt mille dans celle de Montauban. Une semaine après, c'est cent trente mille convertis que compte Louvois. En Languedoc, les choses marchaient vite, trop vite, semblait penser le duc de Noailles : Je ne sais plus que faire des troupes, écrit-il, parce que les lieux où je les destinais se convertissent généralement, et cela va si vite que tout ce que peuvent faire les troupes est de coucher une nuit dans les lieux où je les envoie. Montpellier, en effet, se convertit par délibération. Nîmes même abjura. Le 3 octobre, des postes de dragons occupèrent les portes de la ville. Par ordre, les huguenots se rendirent à la cathédrale, où se trouvèrent le gouverneur Noailles, l'intendant Basville, les magistrats du présidial. L'évêque, en chaire, les harangua. Douze par douze, ils firent le serment d'abjuration, et chacun d'eux reçut une contremarque aux armes du prélat. La cérémonie faite, le gouverneur fit fouiller les maisons. Il accorda aux protestants qui n'avaient pas la contremarque vingt jours avant d'abjurer. Après, ce serait la confiscation avec les galères perpétuelles. Une messe fut célébrée en l'honneur des convertis, qui se tinrent à genoux, sous les yeux du régiment de La Fère. Presque partout, dans le royaume, opéraient les dragons et les missionnaires, et les dragons assuraient la victoire. Cosnac écrivit, après qu'il fut rentré à Valence, à l'issue de l'Assemblée de 1685 : A peine fus-je arrivé, qu'on envoya des dragons partout où il y avait des huguenots... Je ne m'épargnai pas, pour payer de ma personne et tâcher de faire des conversions. J'avoue que la crainte des dragons et les logements dans les maisons hérétiques y pouvaient contribuer plus que moi. Il est certain que le Roi ne sut pas toutes les violences commises. Foucault, dans une lettre écrite au Premier Président du parlement de Pau, avoue avec douleur les désordres que les officiers et soldats ont faits. Au reste, il les impute aux victimes : C'est la faute de ces misérables qui n'ont pas voulu entendre ce qu'on leur a prêché tant de fois qu'ils seraient obligés de se rendre lorsqu'ils seraient entièrement ruinés. Mais Foucault ne parle pas de ces désordres dans ses mémoires, encore moins en a-t-il parlé dans les dépêches envoyées à Versailles. Noailles n'a pas non plus fait connaître au Roi les violences commises en Languedoc. Dans une lettre à Louvois, du 15 septembre, où il demande quelques douceurs pour les nouveaux convertis, il se contente de dire que, quoi qu'on les ait fort ménagés à cause de leur prompte obéissance, il ne se peut qu'ils n'aient pas beaucoup souffert. Mais il annonce au ministre qu'il ne tardera pas à lui envoyer quelque homme d'esprit pour lui rendre compte de tout en détail et répondre à tout ce qu'il désire savoir et qui ne saurait s'écrire. Lorsqu'il arrive que le Roi soit directement informé de quelque violence, il ordonne à Louvois de réprimander l'intendant. Foucault, envoyé en Poitou, après qu'il eut converti le Béarn, y continua ses exploits ; mais des gens de Niort trouvèrent moyen de voir le Roi et de se plaindre. Et Louvois écrivit à l'intendant : La violence n'est pas du goût de S. M.. Comme Foucault ne changeait pas sa conduite, il fut menacé d'être rappelé, mais il ne s'émut pas. Il pensait sans doute qu'on lui en voulait seulement d'avoir laissé des plaintes arriver à l'oreille du maître. On tâcha d'intercepter les informations. En octobre 1685, Louvois mande à Foucault d'empêcher l'envoi de députés protestants ; s'il en arrivait à Paris, on les mettrait à la Bastille. Tous ces ouvriers de la révocation savaient bien qu'ils ne risquaient pas leur fortune à dépasser, en cette matière, les instructions et les ordres. De fait, si le Roi avait vraiment voulu punir les violents, il aurait mis à la Bastille les Marillac et les Foucault. Il aurait aussi prononcé quelque parole publique qui eût arrêté les excès du zèle. Il triompha de toutes les nouvelles qui arrivèrent en septembre et en octobre 1685. Le 6 septembre, il annonçait à la Cour les conversions de Bordeaux avec grand plaisir. Deux jours après, mêmes nouvelles du Poitou. Le 5 octobre, on apprit que Montpellier et tout son diocèse étaient convertis. Deux jours après, ce furent les nouvelles de Nîmes. Ces prises de villes permettaient d'espérer la capitulation prochaine de toute l'hérésie. Les lettres de Louvois chantaient la victoire. Si bien qu'il semblait qu'il n'y eût plus qu'un peu de patience à prendre. Il ne restait presque plus de huguenots ; ce petit reste ne pouvait manquer de se convertir, et l'éclat d'une révocation ne serait pas nécessaire. Mais voici que l'on commence à sentir certains embarras de la victoire. On a promis aux huguenots qui se convertiraient l'exemption de la taille et du logement militaire. La promesse pouvait être tenue, tant que l'on avait affaire à quelques centaines ou quelques milliers de convertis, mais il fallait compter à présent par centaines de mille. L'État ne pouvant renoncer à cette part de contributions, la charge enlevée aux nouveaux catholiques devra être répartie entre les anciens. Ce sera donc un privilège dans le royaume très chrétien que d'être né hérétique. Aussi Louvois écrit, le 8 septembre, au contrôleur général : Le Roi me commande de vous avertir de surseoir, jusqu'à son retour à Fontainebleau, l'expédition et envoi de l'arrêt du conseil que S. M. vous avait ordonné pour faire exempter de la taille les nouveaux convertis. Il fait savoir, d'autre part, que les gens de guerre seront logés chez les nouveaux catholiques comme chez les anciens. Mais, bien que l'habitude fût prise par le Roi de manquer aux paroles données, il eût été trop scandaleux de retirer, après conversion, les promesses qui avaient été la cause de tant de Conversions. Il n'y avait qu'un moyen de légitimer le retrait des privilèges, c'était de faire rentrer tout le monde dans une condition commune par la suppression de l'Édit. Autre cause d'embarras et d'inquiétude. De partout, intendants et gouverneurs réclamaient des prêtres qui fussent capables de gagner par le précepte et par l'exemple l'âme des convertis. En même temps qu'il annonce la conversion de Pau, Foucault appelle des missionnaires . Les meilleurs prédicateurs n'y sont pas trop bons pour tenir la place des ministres qui prêchaient bien. Tous les curés de Béarn sont ignorants et de mauvaises mœurs. Lorsque, de Béarn, il a passé en Poitou, il écrit qu'un obstacle considérable aux conversions dans plusieurs paroisses est la vie scandaleuse des curés. Ils convertis ont toujours peine à s'approcher des sacrements ; ils en ont moins à entendre la prédication, mais la plupart des curés n'ont pas de talent pour les prêcher convenablement. En Languedoc, on avait proposé, en 1683, des conférences contradictoires. Il fallut y renoncer, disent les mémoires de Noailles, parce qu'on ne trouvait point de docteurs catholiques assez savants pour soutenir la cause de Dieu. Deux ans après, Noailles demande que S. M. oblige MM. les évêques d'envoyer de bons prêtres pour instruire les peuples qui veulent être prêchés. Il craint que le Roi ne soit plus mal obéi en cela par les prêtres que par les religionnaires. De Guyenne, Boufflers envoie les mêmes plaintes. Le Roi fait écrire aux évêques des généralités de Bordeaux et de Montauban pour les exciter à changer les curés, qui, par leur mauvaise conduite et ignorance sont incapables d'en faire les fonctions. Louvois constate que, dans ces généralités, des communautés entières n'ont point voulu abjurer entre les mains de leurs curés, par l'horreur qu'elles avaient du désordre de leur vie. Les mêmes doléances seront répétées après la révocation. Fénelon écrit, de Saintonge, où il prêche, que les huguenots paraissent frappés des instructions qu'il leur fait, jusqu'à verser des larmes. Mais ils savent que la mission de Fénelon n'est là qu'en passant : Dès que vous serez partis, nous serons à la merci des moines qui ne nous prêchent que du latin, des indulgences et des confréries ; on ne nous lira plus l'Évangile, nous ne l'entendrons plus expliquer et on ne nous parlera plus qu'avec menaces. Ainsi, des hommes convertis par la violence et par la peur attendent peut-être qu'on leur parle, mais les curés sont muets, n'ayant rien à dire. Ou bien, contents de les tenir enfin, ces huguenots maudits, ils les menacent. Leur zèle, comme dit Noailles, ressemble moins au vrai zèle qu'à l'esprit de haine et de vengeance. Or, si l'on monte, de la plèbe des curés, ignorants, grossiers et paillards, aux hauts degrés de l'Église, des évêques paraissent bien n'être animés que par l'amour-propre et par l'intérêt professionnel. Il est difficile de croire que Gondrin, archevêque de Sens, et Cosnac, évêque de Valence, aient ressenti les douleurs, qu'ils exprimaient, de l'Église, la mère affligée. Ces deux prélats n'étaient pas des hommes dont la vie fût mélancolique. Une des laideurs nombreuses de la révocation fut la médiocrité morale du clergé de France. La plupart de ceux qui s'étaient convertis dans un moment d'affolement demeurèrent donc huguenots au fond du cœur. Madame de Maintenon le savait et s'en consolait par une raison singulière : Je crois bien, disait-elle, que toutes ces conversions ne sont pas sincères, mais Dieu se sert de toutes les voies pour ramener à lui les hérétiques. Leurs enfants seront du moins catholiques, si les pères sont hypocrites. Leur réunion extérieure les approche du moins de la vérité. Ils ont les signes de commun avec les fidèles. Priez Dieu qu'il les éclaire tous. Mais en attendant que Dieu, à défaut de prêtres et de missionnaires, les éclairât, les nouveaux convertis insincères étaient nombreux et demeuraient groupés. Louvois s'en inquiétait : Il faut bien prendre garde, disait-il, que cette soumission unanime ne maintienne entre eux une sorte de cabale qui ne pourrait être par la suite que très préjudiciable. Les ministres étaient soupçonnés de travailler à maintenir cette cabale. Il en restait encore, malgré l'émigration et la proscription, et même le Gouvernement reconnaissait qu'il fallait bien qu'il y en eût, ne fût-ce que pour baptiser et marier, tant que la R. P. R. conserverait un fragment de statut légal. Lui-même en établit en plusieurs lieux. Il se trouvait embarrassé dans sa conduite, au point qu'un seul moyen lui restait de sortir d'affaire. Le Roi a jugé, écrit Louvois à son père, qu'en l'état présent des choses, c'était un bien de bannir au plus tôt les ministres. Le bannissement des ministres fut le principal objet de la révocation. Le texte de l'Édit, proposé par Le Tellier, médité et corrigé par le Roi, fut signé le 18 octobre. Le Roi rappelle au préambule le dessein de son aïeul, de son père et de lui-même, de réunir à l'Église ceux qui s'en étaient si facilement éloignés. Jusqu'à la trêve de 1684, il n'a pu que fermer des temples et les chambres mi-parties ; à présent que, par la permission de Dieu, ses peuples jouissent d'un parfait repos, il veut donner son entière application à rechercher les moyens de parvenir au succès du dessein. Rien ne lui parait plus simple : Nous voyons présentement avec la juste reconnaissance que nous devons à Dieu que nos soins ont eu la lin que nous nous sommes proposée, puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de la dite R. P. R. ont embrassé la Catholique ; et d'autant qu'au moyen de ce, l'exécution de l'Édit de Nantes... demeure inutile, nous avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux pour effacer entièrement la mémoire des troubles, de la confusion et des maux que le progrès de cette fausse Religion a causés dans notre royaume... que de révoquer entièrement ledit édit.... Le contraste est grand entre le préambule de l'édit de 1685 et celui de l'édit de 1598. En 1598, Henri IV rappelle les effroyables troubles, confusions et désordres des premières années du règne, et comment il s'est raidi contre la tourmente. Il prend le monde à témoin que, dans ce bon œuvre de la restauration du royaume, où Dieu a bien voulu se servir de son labeur, il a mis ce qui était de son devoir et pouvoir, puisqu'il y a tant de fois et si librement exposé sa vie. C'est une vivante personne qui parle, l'homme dont le pourpoint fut troué, la marmite renversée, et qui montra son panache blanc dans les batailles. A la fierté de la belle œuvre faite, une sorte de mélancolie se mêle. Henri IV conseillait à ses sujets de se contenir et vivre paisiblement ensemble, comme frères, amis et concitoyens ; mais il savait combien il est difficile d'ôter la cause du mal et trouble qui peut advenir sur le fait de la religion, qui est toujours le plus glissant et pénétrant de tous les autres. Et il priait Dieu de vouloir bien l'assister dans son entreprise : Sur quoi nous implorons et attendons de sa Divine bonté la même protection et faveur qu'il a toujours visiblement départie à ce royaume depuis sa naissance, et pendant tout ce long âge qu'il a atteint, et qu'elle fasse la grâce à nosdits sujets de bien comprendre qu'en l'observation de notre ordonnance consiste (après ce qui est de leur devoir envers Dieu et envers Nous) le principal fondement de leur union et concorde, tranquillité et repos, et du rétablissement de tout cet État en sa première splendeur, opulence et force. En 1685, c'est, dans une langue glaciale, impersonnelle, hautaine, la déclaration que trois rois n'ont accordé et consenti la tolérance que pour mieux la retirer à l'heure choisie ; le mensonge que le Roi s'est contenté jusqu'en 1684 de fermer des temples et des chambres mi-parties ; le mensonge que la meilleure et la plus grande partie des sujets de la R. P. R. se sont convertis. Le Roi ne pouvait pas ne pas savoir que les meilleurs étaient en exil ou aux galères. Dans l'ensemble des documents de notre histoire, comme de toute histoire, se trouvent de honteuses pages. C'en est une que le préambule de l'Édit de révocation. L'Édit ordonnait la démolition des temples et la cessation des exercices, la fermeture des écoles protestantes, le baptême par les curés de ceux qui naîtront de la R. P. R., l'exil des ministres qui ne voudraient pas se convertir, et la peine des galères pour tous sujets de la R. P. R. qui sortiraient du royaume. L'applaudissement fut presque universel. A peine quelques-uns, parmi lesquels Vauban et Saint-Simon, s'affligèrent et s'indignèrent tout bas. Saint-Simon, dans son Parallèle des trois premiers rois Bourbon, condamne l'acte commis sans le plus léger prétexte et sans aucun besoin, et raille l'illusion qui égarait Louis XIV : Le Roi se croyait un apôtre ; il s'imaginait ramener les temps apostoliques, où le baptême se donnait à des milliers à la fois, et cette ivresse soutenue par des éloges sans fin, en prose et en vers, en harangues et en toutes sortes de pièces d'éloquence, lui tint les yeux hermétiquement fermés sur l'Évangile et sur l'incomparable différence de sa manière de prêcher et de convertir d'avec celle de J.-C. et de ses apôtres. Mais des hommes, comme La Bruyère, comme La Fontaine, approuvèrent. Madame de Sévigné célébra l'édit : Rien n'est si beau que ce qu'il contient, et jamais aucun roi n'a fait et ne fera rien de plus mémorable. Bossuet a vraiment exprimé l'opinion publique, lorsqu'il a dit, dans l'oraison funèbre de Le Tellier : Publions ce miracle de nos jours, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis ; poussons jusqu'au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne : C'est le digne ouvrage de votre règne ; c'en est le propre caractère ; par vous l'hérésie n'est plus ; Dieu seul a fait cette merveille. Il faut, pour apprécier avec justice l'erreur de cet enthousiasme, se souvenir d'abord que la tolérance était une vertu à peu près inconnue aux XVIe et XVIIe siècles, et que les persécutions protestantes ne furent pas moins odieuses que les persécutions catholiques. Ce qu'aurait fait en France une majorité protestante contre une minorité catholique, l'histoire de Genève le dit, et celle de la Hollande, et celle de l'Angleterre. Mais, pour bien comprendre toute la conduite de la France catholique, il faut se souvenir aussi de beaucoup d'autres choses, très diverses : qu'au maintien de l'Église, s'intéressaient les nombreuses familles de la noblesse, de la magistrature et de la bourgeoisie, qui s'alimentaient à sa richesse ; que la passion française de l'ordre, de la grandeur et de l'éclat, ne trouvait pas à se satisfaire dans les divisions et les incertitudes, ni dans la modestie et médiocrité de l'Église huguenote ; que l'humeur française répugnait au dogmatisme et à la sévérité du prédicant huguenot et à son air étranger ; que la foi monarchique doublait la foi catholique dans le combat contre ce culte ennemi de la souveraineté, comme disait La Bruyère. Si donc la flatterie et la servilité firent leur bruit dans l'universel applaudissement, ce qui s'y manifesta aussi fut une répugnance, que l'on peut appeler catholique et nationale, à l'hérésie et à la dissidence calvinistes. Admettre deux religions dans le royaume, comme avait fait le roi Henri, c'était préparer une autre conception plus large, plus humaine, plus libre de l'État et de la patrie. Les esprits n'étant point prêts à la recevoir, et le petit-fils de Henri IV, placé en de tout autres circonstances que le grand-père, ne la comprenant même pas, la résolution fut prise de ramener les choses au point où elles étaient avant la révolte de la Réforme. Et ce fut, pour la France, un recul d'un siècle. On vit tout de suite que les choses ne se laisseraient pas refouler. L'article dernier de l'Édit autorisait ceux de la R. P. R. qui n'étaient pas encore convertis à demeurer dans le royaume, en attendant qu'il plût à Dieu de les éclairer comme les autres, et à condition de ne faire aucun exercice de leur religion. Peut-être le Roi avait-il cédé à un dernier scrupule en permettant à ces obstinés de mourir dans leur impénitence. Peut-être a-t-il voulu, par cette grâce, les dissuader d'émigrer. Mais il arriva que des nouveaux convertis s'en prévalurent pour refuser d'aller aux églises et de recevoir les sacrements au lit de mort. D'autre part, des ministres restèrent malgré l'Édit ; d'autres, qui avaient émigré, revinrent. Alors, des édits et, des actes se succédèrent, atroces et inutiles. Et ce fut la fuite d'Israël hors d'Égypte, sous tous les travestissements, par toutes les ruses, par toutes les hardiesses. Plus de 200.000 Français s'exilèrent[13], et ce n'étaient point les premiers venus, ces hommes, soldats, marins, magistrats, savants, manufacturiers, artisans, qui renonçaient à leur patrie, pour ne pas renier leur foi. Toutes ces forces enlevées à la France fortifièrent l'étranger qui allait devenir l'ennemi ; car les suites de la révocation se verront dans l'histoire de notre politique étrangère. Ceux qui croyaient exterminer la Réforme en France ont voulu l'exterminer en Europe. Cosnae devant l'Assemblée du Clergé en fit l'aveu avec une sotte fatuité. Louis XIV avec une fatuité superbe entretint de cette belle espérance ses ambassadeurs en Angleterre et en Espagne. Mais le protestantisme ne sera détruit ni en Europe, ni en France. La politique contre les réformés, comme la politique contre Rome et contre les jansénistes, finira en banqueroute. |
[1] SOURCES. Recueil des édits, déclarations..., rendus pour l'extirpation de la R. P. R. et autres contraires à la catholique, apostolique et romaine, Paris, 1686 ; plusieurs fois réédité et complété ; la dernière éd. par Pilatte, Paris, 1885. Les Procès-verbaux des assemblées du clergé, et les Mémoires du clergé, cités plus haut. Les Procès-verbaux de synodes, par ex. celui du synode de Châtellerault en 1663, publ. dans les Archives historiques du Poitou, t. XXXI. Les Procès-verbaux des missions des députés des églises réformées à la Cour, par ex. celui de M. d'Aubery (1668), dans la même publication, même tome. Les collections d'arrêts de parlements et de présidiaux contre les protestants, dont la plus connue est celle de Filleau, Décisions catholiques, Poitiers, 1668. Clément, Lettres... (voir à la table analytique le mot : Protestants). Depping, Correspondance administrative..., au t. IV.
Les Lettres de Mme de Sévigné ; de Mme de Maintenon, éd. Lavallée Paris, 1865-6, 4 vol. ; de Bossuet, dans ses Œuvres ; de Fénelon, dans ses Œuvres complètes, éd. de Saint-Sulpice, Paris, 1848-52, 10 vol. aux t. VII à IX. Les Mémoires de Louis XIV ; de Foucault (collection des Documents inédits) ; de Daniel de Cognac, publ. par la Société de l'histoire de France, 1852, 2 vol. ; du duc de Noailles, dans la collection Michaud et Poujoulat, 2e série, t. X. Le Journal de Dangeau (1684-1715), Paris, 1854-68, 19 vol.
De nombreux écrits contemporains de polémique : Bernard, Explication de l'Édit de Nantes, Paris, 1666. Le P. Meynier, L'Exécution de l'Édit de Nantes dans le Bas-Languedoc, Pézenas, 1662 ; du même auteur L'Édit de Nantes dans le Dauphiné, Valence, 1664. Bossuet, Exposition de la doctrine catholique, dans ses Œuvres, éd. Lachat, t. XIII (voir sur cet ouvrage la Revue Bossuet, t. III (1902), p. 251) ; du même : Relation de la conférence avec M. Claude, ibid. Nicole, De la perpétuité de la foi, Paris, 1664. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, Paris, 1682. Soulier, Histoire des édits de pacification, Paris, 1682, et Histoire contenant la naissance, le progrès, el la décadence du calvinisme en France, Paris, 1689. Bayle, Critique générale de l'Histoire du calvinisme du P. Maimbourg, Villefranche, 1682 ; du même : Ce qu'est la France tout catholique sous le règne de Louis le Grand, Paris, 1685 ; et Dictionnaire historique et critique, éd. Beuchot, Paris, 1820, 15 vol. Claude, Relation succincte de l'état où sont maintenant les églises réformées de France, 1666 ; du même : Réflexions solides sur le monitoire du clergé, 1682 ; et : Les plaintes des Protestants cruellement opprimés dans le royaume de France, éd. Puaux, Paris, 1885. — Des documents sont produits dans les ouvrages cités plus bas d'Elie Benoist, Rulhière, Michel, Rousset, Puaux et Sabatier.
OUVRAGES. Elie Benoist, Histoire de l'Édit de Nantes, Delft, 1693, 5 vol. Rulhière, Éclaircissements sur les causes de la révocation de l'Édit de Nantes, Paris, 1788, 2 vol. Michel, Louvois et les Protestants, Paris, 1870. Puaux et Sabotier, Études sur la révocation de l'Édit de Nantes, Paris, 1886 (voir, à la fin, la bibliographie du bicentenaire de la révocation). Rousset, Histoire de Louvois, Paris, 1863, 4 vol. Allier, La cabale des Dévots, Paris, 1904. Rébelliau, Bossuet historien du Protestantisme, éd., Paris, 1892.
Un très grand nombre d'articles dans le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, Paris, 1853 et suiv. ; dans les frères Bang, La France protestante, la 2e édit., par Bordier, en est au tome VI (lettre G) ; des articles dans la Revue des Questions historiques, Paris, 1866 et suiv., dans la Revue historique, Paris, 1876 et suiv., et dans les Études publiées par les Pères de la compagnie de Jésus, Paris, 1888 et suiv.
Sur l'histoire provinciale et locale, un très grand nombre de travaux, parmi lesquels : Dom Devic et dom Vaissète, Histoire générale du Languedoc, nouvelle édition, t. XIII (par Roschach). Galland, Essai sur l'histoire du protestantisme à Caen et en Basse Normandie, Paris, 1898. Lièvre, Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou, Paris, 1856-60, 3 vol. Soulier, L'intendant Foucault et la révocation en Béarn, Pau, 1886. Donen, La révocation de l'Édit de Nantes à Paris, Paris, 1894, 3 vol.
La bibliographie courante est donnée par le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme, plus haut cité.
[2] Voir Rébelliau, Bossuet, historien du protestantisme, au chap. I du Livre Premier.
[3] Il n'est pas possible de déterminer exactement le nombre des protestants en 1661. Le synode général, tenu en 1659-1660 à Loudun, constate l'existence de 630 églises avec 726 pasteurs. D'après une étude d'Osmont de Courtisigny (Bulletin du protestantisme..., 1888), le nombre des fidèles aurait dépassé 1.700.000. D'après Les mémoires des évêques de France sur la conduite à tenir à l'égard des Réformés (1698), publiés par Lemoine, Paris, 1902, il y aurait en France de 650.000 à un million de nouveaux convertis. Il parait certain qu'en 1661 le nombre des protestants dépassait 1 million.
[4] Voir Gachon, Quelques préliminaires de la révocation de l'Édit de Nantes en Languedoc, 1681-85, Toulouse, 1899.
[5] Voir Décisions Royales sur les principales difficultez de l'Edict de Nantes par I. A. M. P. L. D. A. D., sans date ni indication de lieu. Date vraisemblable : 1631. Ce sont des extraits des remontrances présentées au Roi par les Députés Généraux des Églises réformées, avec les réponses du Roi : le premier document est de 1599 et le dernier de février 1630. — Voir aussi dans l'Explication de l'Édit de Nantes par Me Bernard, nombre d'arrêts antérieurs au règne de Louis XIV.
[6] Me Bernard eut un collaborateur en la personne du P. Meynier, jésuite. Le Père avait précédé le juge. Il avait publié en 1662, à Pézenas, l'Exécution de l'Édit de Nantes dans le bas Languedoc. En 1664, il s'en fut en Poitou, où il conseilla le commissaire départi, Colbert de Croisai. Il composa pour lui un petit traité appelé Vérités, où était exposée une interprétation de l'Édit, telle que, de 48 églises existant en Poitou, 3 seulement auraient été maintenues. En 1870, il donna son Édit de Nantes exécuté selon les intentions de Henri le Grand, où il dressa tous les moyens de contester à ceux de la R. P. R. le droit à l'exercice. Lui aussi fut un inspirateur des Assemblées du Clergé : On a résolu, dit le procès-verbal de 1675, d'augmenter la pension du P. Meynier, jésuite, jusqu'a la somme de mille livres par an pendant le temps qu'il demeurera à Paris à la poursuite des affaires de la Religion, ou qu'il sera employé par ordre de MM. les évêques dans leurs diocèses pour les mêmes affaires. Me Bernard voyageait comme le P. Meynier. Il a raconté, dans son commentaire, à l'article I de l'Édit, qu'il a travaillé dans les diocèses de Nîmes, Uzès et Mende, et poursuivi des arrêts au conseil d'État.
[7] Voir dans Rébeillau, Bossuet historien du protestantisme, le § IX du livre V : Contribution involontaire de Bossuet à la transformation du protestantisme.
[8] Voir l'article SÉMINAIRES dans le Dictionnaire de Théologie.
[9] Voir Dubois, Henri de Pardaillan de Gondrin, archevêque de Sens, cité au premier chapitre de ce livre. Voir aussi abbé Dumaine, Monseigneur Louis d'Aquin, évêque de Séez, Paris, 1902. Au diocèse de Séez, dans une paroisse voisine de la ville épiscopale, un curé, examiné par ordre de l'évêque, s'excuse de n'avoir pas étudié en théologie. A la question : Qu'est-ce que la matière d'un sacrement, il répond qu'il ne saurait le dire. Prié de montrer son Nouveau Testament, il déclare qu'il en a un, mais qu'il ne peut à présent le montrer. L'évêque le fait appeler devant lui pour l'interroger lui-même. Le pauvre homme s'agite en mouvements convulsifs et tombe de sa chaise. A la fin, pour clore le procès-verbal, on lui demande, selon l'usage, ses nom, prénom et demeure, et il répond : Ah ! triste nom, Nicolas, nom d'un grand saint, Nicolas Féré, prêtre, curé de Trémont, y demeurant dans une pauvre habitation. Les mauvaises mœurs, grossières ou licencieuses du clergé séculier, du régulier surtout, sont attestées par des preuves qui pourraient servir de commentaires aux chansons de nos pères. Et naturellement aussi l'insuffisante éducation donnée aux fidèles ; la superstition qui s'adresse aux images, chargées de colifichets et d'affiquets. L'archevêque de Sens fait enlever d'un autel une statue de saint Joseph. Il voit à Saint-Médard de Naisse, devant l'autel de la Vierge, un grand nombre de cierges, dont un du poids de sept livres, et, dans la même église, on ne parvient pas à entretenir une lampe devant le Saint-Sacrement, comme si ce n'était pas déshonorer la Vierge que de la préférer au Fils de Dieu. Enfin d'étranges anecdotes feraient douter de la foi vantée de nos pères. A Champcoueste, dans le doyenné de Provins, le curé n'ayant qu'un calice d'étain a remontré à ses paroissiens qu'il lui en fallait donner un en argent. Les paroissiens lui ont répondu qu'il célébrât la messe, s'il voulait, dans un sabot. Ces désordres s'expliquent en partie, parce que des évêques continuent de négliger le devoir des visites épiscopales. L'évêque de Séez a trouvé dans son diocèse des paroisses qui, de mémoire d'homme, n'avaient pas vu d'évêque. A Saint-Didier-sous-Écouves, il a confirmé 201 personnes, parmi lesquelles 32 avaient soixante-dix ans et au-dessus. Voir aussi Pignot, Un évêque réformateur, Gabriel de Roquette, évêque d'Autun, Paris, 1876, 2 vol.
[10] L'Avertissement pastoral fut signifié dans tous les temples en séance tenue exprès par un délégué de l'évêque et un délégué de l'intendant.
[11] Sur Madame de Maintenon, voir de Noailles, Histoire de Mme de Maintenon et des principaux événements du règne de Louis XIV, Paris, 1849-1858, 4 vol. ; Geffroy, Mme de Maintenon d'après sa correspondance, Paris, 1887, 2 vol. ; Souvenirs sur Mme de Maintenon, publiés par le comte d'Haussonville et G. Hanotaux, Paris, 1903, 9 vol. ; Read, La petite-fille d'Agrippa d'Aubigné, dans le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme, aux t. XXXVI et XXXVII ; de Boislisle, P. Scarron et Françoise d'Aubigné, Paris, 1894.
[12] A toute occasion, le Roi proteste de son respect pour l'Édit ; il déclare ne vouloir. rien changer aux libertés et concessions accordées à ceux de ladite R. P. R., ne vouloir donner aucune atteinte à ce que l'Édit de Nantes a prononcé en faveur de ceux de ladite religion. Ces assurances sont répétées jusqu'à la veille de la révocation.
[13] Ce chiffre s'applique seulement aux années qui ont immédiatement précédé et suivi la Révocation. Il est du reste très hypothétique. On peut approximativement évaluer à un million le total de ceux qui émigrèrent de 1680 à 1720.