I. — ALLIANCES ET LIGUES OFFENSIVES. APRÈS la paix de Prague, Richelieu, obligé de renoncer à son système de guerre indirecte, avait choisi son ennemi et, rompu avec l'Espagne seule. Parmi les derniers préparatifs et les premières luttes, il resserra ses alliances et en forma de nouvelles. La Suède était menacée d'une guerre avec la Pologne. La trêve de six ans que Charnacé avait fait conclure entre Gustave-Adolphe et Sigismond III arrivait à terme. Un ambassadeur français, Claude de Mesmes, sieur d'Avaux, la fit renouveler à Stuhmsdorf (12 sept. 1633) pour vingt-six ans. Par le traité de Saint-Germain-en-Laye (26 octobre 1635), le roi accorda un subside annuel de quatre millions de livres à Bernard de Saxe-Weimar, général des forces des confédérés, à charge de lever et d'entretenir une armée de 6.000 chevaux et de 12.000 hommes de pied allemands. Des articles secrets (27 oct.) liaient étroitement le Duc à la France. Il promettait servir le roi avec la dite armée envers et contre tous, quelque ordre et mandement qui lui puisse estre donné au contraire, aïant néantmoins la direction de toutes les actions de la guerre... si ce n'est quand il sera question de passer delà le Rhin, d'entrer dans un Pais nouveau et d'entreprendre quelque siège important ; auquel cas, le dit sieur Duc envoiera auparavant donner avis à Sa Majesté pour recevoir ses ordres... En récompense, le roi, à la paix générale, lui donnerait 1.500.000 livres de revenu en France, et s'efforcerait, lors des négociations, de lui conserver le landgraviat d'Alsace, y compris le bailliage d'Haguenau, tenu à présent par les armes de Sa Majesté, pour en jouir, sous le nom de landgrave d'Alsace, avec tous les droits qui ont appartenu ci-devant à la Maison d'Autriche. En Italie, Richelieu, jusqu'à la déclaration de guerre avec l'Espagne, avait travaillé à former avec les princes une ligue défensive. Il avait fait les plus vives instances auprès du pape. Mais Urbain VIII avait fini par comprendre que la lutte contre la Maison d'Autriche tournerait au profit des hérétiques. Son neveu, le cardinal Francesco Barberini, aidait à ce revirement. Il est convenable et utile, écrivait-il déjà, le 5 juin 1632, que le Père commun se conserve tel (neutre) pour s'entremettre comme médiateur entre les puissances catholiques. Richelieu avait fait suggérer au Pape par Noailles, que ne pouvant entrer dans la ligue comme père commun, il diroit à ses ambassadeurs et aux ambassadeurs des princes que la Ligue est nécessaire (2 janvier 1634). Urbain VIII s'en était défendu. Venise et le grand-duc de Toscane avaient refusé aussi de s'engager. Quand il fut sur le point de rompre avec l'Espagne, Richelieu fit proposer aux princes italiens une ligue, offensive celle-là, pour la revendication de la liberté de l'Italie. Bellièvre, ambassadeur extraordinaire, alla d'abord à Turin. Le duc de Savoie, Victor-Amédée, craignait bien plus la France, installée à Pignerol, que l'Espagne. Il savait que la liberté de l'Italie n'était qu'un prétexte. Ses frères, le prince Thomas de Carignan, et le Cardinal Maurice lui-même, bien que protecteur des affaires de France à Rome, étaient, de sentiments, espagnols. Thomas, en mars 1634, était allé aux Pays-Bas se mettre au service de l'Espagne. Mais Richelieu tenait Victor-Amédée par la peur et par l'ambition ; il ne lui offrait le choix qu'entre l'alliance ou la guerre et, en cas de succès, lui faisait espérer le titre de roi. La femme du duc, Marie-Christine, une fille de France, avait, de devenir reine, une envie de femme. Les négociations commencèrent. Suivant la tradition paternelle, le Duc proposa une expédition contre Gênes ou une invasion du royaume de Naples. Richelieu lui offrit le commandement des troupes de la Ligue, le Montferrat, un bon morceau du Milanais avec le titre de roi. Il lui demandait en échange la cession de la vallée de Barcelonnette et d'autres vallées alpines, la démolition de la forteresse de Montmélian et la reconnaissance de la suzeraineté de la France sur la Savoie. Le Duc refusa de raser Montmélian et de prêter hommage au roi de France. Il consentit seulement à lui céder Cavour et toutes les terres, de Cavour à Pignerol, pourvu qu'il pût lui-même s'annexer la partie de la Lombardie, située sur la rive droite du Tessin et le territoire d'Alexandrie, de la Scrivia à la mer. A ces conditions fut conclue à Rivoli, contre les Espagnols, une ligue offensive, où les ducs de Modène, de Parme et de Mantoue étaient compris (11 juillet 1635). Pour éviter la guerre avec l'Espagne, Richelieu avait jusque-là négligé de mettre les Grisons, conformément au traité de Monçon, en possession de la Valteline. En 1633, les Espagnols, commandés par Feria, avaient passé de la Valteline dans le Tyrol ; en 1634, l'armée qui vainquit les Suédois à Nordlingen avait pénétré en Allemagne par les cols des Alpes. Rohan, l'ancien chef huguenot, dont Richelieu employait l'activité hors de France, avait été deux fois envoyé dans les Grisons, et laissé là sans ordre et sans argent. Mais en 1633, le roi commanda à Rohan, qui avait réuni 12.000 hommes dans la Haute-Alsace, de pousser droit aux Grisons pour se saisir de la Valteline. Landé, lieutenant de Rohan, prit Ripa et Bormio (fin mars 1635). Ainsi les Espagnols, enfermés dans le Milanais et occupés d'ailleurs par l'attaque de la Ligue franco-italienne, ne pourraient, d'Italie, secourir les Pays-Bas que les flottes hollandaises isolaient du côté de la mer. C'est contre ces provinces, autrefois en partie françaises, que Richelieu se proposait maintenant de diriger son principal effort, c'est à Bruxelles qu'il avait fait porter sa déclaration de guerre à l'Espagne. Avec le succès de sa diplomatie, ses ambitions s'étaient étendues et dépassaient maintenant le programme de 1629. Les événements des Pays-Bas l'y poussaient. Les peuples et les grands, surtout dans les provinces wallonnes, étaient las de la guerre avec les Provinces-Unies, de la lourdeur des impôts et de la présence des troupes espagnoles. En 1632, plusieurs seigneurs mécontents se mirent en relations avec Richelieu et Frédéric-Henri de Nassau, le nouveau stathouder, offrant de soulever le pays, si la Hollande poussait plus vigoureusement et si la France engageait ouvertement la guerre contre l'Espagne. Richelieu prétendait que les Belges donnassent le signal ; on ne s'entendit pas. L'agitation, réprimée avec quelque rigueur, reprit à la mort de l'Infante Claire-Isabelle-Eugénie[2] (1er déc. 1633), quand finit le régime de demi-autonomie dont le pays jouissait depuis 1598. Plusieurs grands seigneurs compromis se sauvèrent en France[3]. Richelieu pouvait craindre que les Belges désespérés ne se donnassent aux Provinces-Unies. Il prit ses précautions. En 1634, dans le traité d'alliance défensive qu'il conclut avec les Hollandais, il offrit de leur payer un subside annuel de 2.300.000 livres ou de se joindre à eux pour faire la guerre au roi d'Espagne ; auquel cas seront préalablement faits partages des conquestes de part et d'autre. L'année suivante, la ligue étant de défensive devenue offensive (8 fév. 1635), le roi s'engagea à commencer toute sorte d'hostilités aux Pays-Bas, aussitôt après la ratification du traité. Il ferait entrer dans les provinces espagnoles 25.000 hommes de pied et 5.000 chevaux. Les Hollandais le seconderaient avec une armée d'égale force. Les peuples des Pays-Bas seraient invités à chasser les Espagnols, ce qu'effectuans dans le terme de trois mois, lesdites provinces demeureraient jointes et unies en un corps d'État libre que la France et les États-Généraux prendraient en leur protection et alliance. Au cas où elles demeureroient
adhérentes aux Espagnols, le roi et les États-Généraux se partageraient
le pays, à condition toutefois que, dans l'étendue
du dit partage, les places et les lieux qui d'eux-mêmes auront secoué le joug
des Espagnols, moyennant qu'ils fassent un corps de trois ou quatre villes,
demeureront libres, sans aucune sujettion à Sa Majesté et aux dits sieurs les
États qu'un serment de ne rien faire contre leur service, ains l'avancer
autant qu'ils pourront. Le roi prendrait le pays du Luxembourg, les
comtés de Namur et de Hainaut, l'Artois et la plus grande partie des Flandres
; les États s'annexeraient le marquisat du Saint-Empire, où est comprise la
ville d'Anvers, la seigneurie de Malines, le duché de Brabant, le reste des
Flandres et le pays de Waes. Les alliés invitaient le roi d'Angleterre à se
joindre à leur ligue et vaguement s'engageaient, en ce cas, à considérer ses intérêts et ceux de sa maison. II. — LE DÉBUT DES HOSTILITÉS ET LES ÉCHECS. L'ARMÉE française, commandée par le maréchal de Châtillon, passa la Meuse près de Mézières et, traversant le pays de Liège pour aller au-devant des Hollandais, elle rencontra et battit à Avein (ou aux Avins), près de Rochefort, une partie de l'armée espagnole, que commandait le prince Thomas de Savoie (20 mai 1635). Le prince d'Orange, Frédéric-Henri, arriva après la bataille. Les alliés prirent Tirlemont, où ils tuèrent, pillèrent, violèrent à plaisir, mais ce fut le terme de leur succès. Les Hollandais se retirèrent ; les populations furieuses s'armèrent contre les envahisseurs ; l'armée française, qui comptait vivre sur le pays, fut en quelques semaines réduite de 20000 soldats à 6.000 mendiants que les Hollandais furent obligés de rapatrier par mer. L'infériorité de l'armée française fut en cette première campagne révélée. Les généraux ne savaient pas nourrir les troupes ni davantage les conduire. Ce fut bien pis l'année suivante (1636). Condé ne réussit pas à prendre Dole, et cette invasion de la Franche-Comté, qui faisait partie du Cercle de Bourgogne, décida l'Empereur à déclarer la guerre à Louis XIII. Le Cardinal Infant, Don Fernando, gouverneur des Pays-Bas, franchit la frontière, poussa droit jusqu'à la Somme et prit Corbie, qui gardait le passage (13 août). Ses coureurs s'avancèrent jusqu'à Pontoise. Un moment l'épouvante fut grande dans Paris ; beaucoup de bourgeois faisaient filer leur argent et leurs meubles vers Orléans. Le Roi qui, avec les premières troupes qu'il put réunir, surveillait la marche des Espagnols, eut la mortification de constater de ses yeux, qu'à quelques lieues de Paris des gentilshommes s'étaient mis, eux et leurs biens, sous la sauvegarde des ennemis. Mais la population se ressaisit. Richelieu, attaqué par les trembleurs et les mécontents, se promena en carrosse par la ville et, par son assurance, étonna les uns, réconforta les autres et se fit admirer de tous. Les Cours souveraines, les Ordres religieux donnèrent de l'argent. Le vieux maréchal de La Force s'installa sur les marches de l'Hôtel de Ville et reçut les engagements. Les crocheteurs vinrent lui taper dans la main. Monsieur le Maréchal, je veux aller à la guerre avec vous. L'Infant, comme inquiet de son audace, s'arrêta à Corbie. Des troupes arrivaient à Paris et nombre de gentilshommes. Les volontaires s'organisaient. Quand Louis XIII eut une armée, il se dirigea vers Corbie, où le Cardinal Infant ne l'attendit pas. La place fut reprise. A l'Est, les Impériaux, commandés par Gallas et Jean de Werth, avaient envahi la Bourgogne sans rencontrer de résistance. Mais ils s'acharnèrent à prendre la petite place de Saint-Jean-de-Losne, qui gardait le passage de la Saône. Les habitants, aidés de quelques soldats, repoussèrent tous les assauts ; les envahisseurs quittèrent le royaume (3 novembre). L'année de Corbie fut partout malheureuse. Du côté des Pyrénées, les Espagnols s'emparèrent de Saint-Jean-de-Luz (octobre 1636), et les Français ne parvinrent pas, dans une première attaque, à leur reprendre les îles Lérins, qu'ils avaient occupées pour servir d'escale à leurs galères entre Barcelone et Gênes. En Allemagne, le fils de Ferdinand II, l'archiduc Ferdinand, fut élu roi des Romains. Richelieu n'avait pas réussi à décider Maximilien de Bavière à poser sa candidature contre celle du prince autrichien. Les catholiques n'étaient pas disposés à faire le jeu des calvinistes et de la France, et les Électeurs protestants, satisfaits des concessions de la paix de Prague, restèrent fidèles à la Maison d'Autriche. A la mort de Ferdinand II (15 février 1637), son fils lui succéda sans opposition. En Italie les succès et les revers s'entremêlaient. Le maréchal de Créquy ne put décider le duc de Savoie à marcher avec lui vers la Valteline au-devant de Rohan. Après leur victoire de Tornavento, les Français durent repasser le Tessin (1636) ; Victor-Amédée, après celle de Monbaldone (8 sept. 1637), ne put prendre Final. Victor-Amédée mourut le 8 octobre 1637 à Verceil, laissant pour successeur un enfant de cinq ans, Hyacinthe. Les Mantouans, sur qui Richelieu comptait, prétextèrent pour rester neutres la mort du duc Charles de Nevers (20 sept. 1636) et l'avènement de son petit-fils, qui était encore mineur. Le duc de Modène, au lieu d'entrer dans la ligue, prit les armes contre elle. Urbain VIII menaça Édouard Farnese, duc de Parme, son vassal, de l'excommunier, s'il n'en sortait point. En Valteline, Rohan, après avoir mis garnison là où il fallait, n'avait plus que 3.000 hommes pour faire tête aux Espagnols du côté du Milanais et aux Impériaux du côté du Tyrol. Posté à Tirano au milieu de la vallée de la Valteline, il avait d'abord marché aux Impériaux et, après les avoir battus (3 juillet 1635), il s'était retourné contre les Espagnols et les avait repoussés. En novembre, il recommença la même manœuvre avec le même succès contre ses ennemis isolés. En même temps il travaillait à réconcilier les Grisons et les Valtelins par des concessions réciproques. Le traité de Thusis (mars 1636), conclu sous sa médiation, permettait aux Grisons d'aller et venir en Valteline et même d'y posséder ; aux provéditeurs Grisons d'assister à l'élection des juges Valtelins. Mais Richelieu et le P. Joseph remplacèrent les articles du traité de Thusis par d'autres qui ne disaient rien du séjour que les Grisons pourraient faire dans la vallée et qui défendaient à leurs provéditeurs d'y demeurer plus de deux mois : corrections qui, pour se faire accepter, auraient dû être accompagnées d'une bonne somme d'argent. Au contraire, Priolo, que Rohan avait dépêché à la Cour de France avec le traité, n'avait pu même obtenir le paiement d'un arriéré de solde d'un million de livres dû aux Grisons auxiliaires. Le mécontentement de ces mercenaires gagna tous leurs compatriotes. La diète d'Ilanz décida de traiter avec les Autrichiens et de se défaire des troupes françaises. Rohan prévint Richelieu ; on mit quatre mois à lui répondre et on lui envoya seulement 100.000 livres. Il insista. La Cour se décida enfin à accepter le traité de Thusis et à envoyer 800.000 livres. Mais il était trop tard. Le 18 mars 1637, les Grisons avaient pris les armes et bloqué Rohan dans le fort du Rhin. L'armée de la Valteline, manquant de pain, ne put ni aller dégager son chef, ni agir contre les Espagnols qui entraient dans la vallée. Elle fut obligée d'évacuer la Valteline et le pays des Grisons. La politique catholique ne réussissait pas à la France. Les affaires des Suédois, de 1635 à 1637, ne furent, guère plus brillantes. La défaite de Nordlingen les avait rejetés au nord de l'Allemagne et forcés de renoncer à l'espérance d'un établissement sur le Rhin. Leur allié, le landgrave de Hesse, Guillaume V, fut refoulé dans la Frise, où il mourut (1er oct. 1637). Le chancelier Oxenstiern bornait maintenant ses ambitions à faire de la Baltique un lac suédois. Il espérait obtenir de l'Empereur la Poméranie, dont Gustave-Adolphe avait dépossédé Bogislaw XIV, et, à ce prix, il offrait la paix. L'Empereur refusant de dépouiller l'Électeur de Brandebourg, héritier de Bogislaw, Oxenstiern lança Baner, le meilleur général de la Suède, qui battit les Austro-Saxons à Wittstock (4 octobre 1636), envahit la Saxe, canonna Leipzig, mais fut obligé de décamper devant les Impériaux (16 février 1637) et de reculer jusqu'à Torgau. L'Électeur de Brandebourg aurait bien voulu ne prendre parti ni contre les Suédois ni contre l'Empereur. Quand Bogislaw mourut (mars 1637), il réclama l'héritage. En réponse, Wrangel envahit ses États, le somma de lui céder les deux places fortes de Spandau et de Custrin, et, sur son refus, réquisitionna Berlin. L'Électeur s'enfuit et se déclara pour l'Empereur. Mais l'hiver força Wrangel de rentrer, comme Baner, dans les cantonnements de Poméranie. III. — LE RELÈVEMENT DE BERNARD. C'ÉTAIT le terme d'une première période confuse, mêlée, pour la France, d'avantages et d'échecs. Bernard de Saxe-Weimar, qui jusque-là n'avait pu sortir d'Alsace que pour y rentrer presque DE aussitôt, reçut de l'argent, recruta des hommes et prit hardiment l'offensive en janvier 1638. Il passa le Rhin, s'empara des villes forestières de Säckingen, Laufenbourg et Waldshut, et assiégea Rheinfelden, la plus importante de ces quatre têtes de pont. Les Impériaux arrivèrent à l'aide ; il les battit et fit prisonnier le fameux Jean de Werth, qui, l'année de Corbie, avait tant épouvanté les Parisiens (28 fév.-2 mars 1638). Il entra dans Rheinfelden, et bloqua Brisach, l'un des meilleurs passages du Rhin et l'une des clefs de l'Alsace ; il la prit après cinq mois de siège (avril-déc. 1638). Ce succès de premier ordre fermait aux Impériaux l'entrée de l'Alsace et barrait la voie de terre, rouverte par la défection des Grisons, entre le Milanais et les Pays-Bas. L'Espagne fut forcée de se servir de la route de mer pour renforcer son armée des Pays-Bas. En 1639, une nouvelle Armada, portant 20.000 hommes, parut dans la Manche ; elle y trouva la flotte hollandaise et se réfugia dans les ports d'Angleterre. Depuis le traité de Suze avec la France (1629), Charles Ier, en lutte avec ses sujets, n'avait plus agi en Europe que par sa diplomatie ; il demandait à toutes les puissances le rétablissement du fils de l'Électeur palatin et voulut vendre à ce prix sa protection à la flotte espagnole. Les négociations durèrent longtemps. Tromp, l'amiral hollandais, qui guettait la sortie des navires ennemis, finit par se lasser et les attaqua près de Douvres, dans les eaux anglaises ; 6.000 Espagnols seulement purent gagner Dunkerque (21 octobre 1639). Bernard de Saxe-Weimar ne se considérait pas comme un simple condottiere aux gages de Louis XIII. Il projetait probablement de se constituer un État indépendant sur les bords du Rhin ; en tout cas, il refusait de céder Brisach à la France. Richelieu le trouvait indocile et commençait à le trouver gênant. Quand Bernard lui offrit de lui conquérir la Lorraine et la Franche-Comté, il prit peur et envoya en Lorraine Feuquières, qui, d'ailleurs, fut battu par Piccolomini (mai 1639), en essayant de prendre Thionville. Le hasard servit bien Richelieu. Bernard mourut (18 juillet 1639), laissant une armée de mercenaires à vendre au plus offrant. Les troupes françaises qui faisaient campagne avec elle étaient peu nombreuses, mais commandées par Guébriant, un gentilhomme breton, brave, énergique, aimé de Bernard et de ses soldats. Il décida le colonel D'Erlach, gouverneur de Brisach, et le reste des Weimariens à se donner à Louis XIII (octobre 1639). C'était aussi donner au roi l'Alsace, avec deux places fortes, Brisach et Saverne. Les Suédois s'étaient remis en mouvement. Quand Oxenstiern eut bien compris que l'Empereur ne lui accorderait pas la Poméranie, il resserra son alliance avec la France. Un traité de confédération, d'une durée de trois ans (15 mars 1638-15 mars 1641), fut conclu à Hambourg entre le comte d'Avaux et Jean Salvius, conseiller secret de la reine de Suède. Le roi de France attaquerait par la Haute-Allemagne, la Reine de Suède, par la Saxe, et l'un et l'autre feront le théâtre de la guerre autant que se pourra dans les provinces héréditaires de la Maison d'Autriche. A Cologne, le roi très chrétien, à Lubeck ou à Hambourg, la reine de Suède, traiteraient séparément de la paix générale avec leurs ennemis et leurs alliés, mais à des conditions sur lesquelles les représentants des deux couronnes se seraient au préalable mis d'accord. La France serait garante du traité de Lubeck ou Hambourg, la Suède, de celui de Cologne. Baner, réconforté par les subsides français, sortit de Poméranie et refoula les Impériaux commandés par Gallas. Après qu'il eut battu les Saxons à Chemnitz (14 avril 1639), il ravagea la Bohème, la Silésie, la Moravie, puis une seconde fois la Bohême, raids formidables, qui contrastaient avec la marche lente des armées en ces riches pays du Rhin et des Pays-Bas, jalonnés de forteresses. Il assiégeait Prague, quand l'archiduc Léopold, frère de l'Empereur, survint avec une nombreuse armée. Baner se retira en Saxe et de là en Thuringe, où il appela à son secours l'armée weimarienne. Celle-ci fut arrêtée par le général bavarois, Mercy, et ne put le rejoindre, mais elle prit ses quartiers d'hiver sur la rive droite du Rhin, dans la Haute-Hesse (1639-1640). C'était la première fois que les Français passaient le fleuve en corps d'armée. Avec les Weimariens, ils s'essayaient à la grande guerre, et tâchaient de lier leurs opérations à celle des Suédois. Entre eux devaient servir de trait d'union les États protestants du centre de l'Allemagne, délivrés des Impériaux. Les Brunswick-Lunebourg, après avoir adhéré à la paix de Prague, recommençaient à armer. La veuve du Landgrave de Hesse, Amélie-Élisabeth de Hanau, avait négocié longuement sa réconciliation avec l'Empereur ; quand elle vit le moment favorable, elle renouvela son alliance avec la France (22 août 1639). Les Franco-Weimariens se mirent en marche au printemps de 1640 ; en mai, ils se réunissaient aux corps d'armée de Hesse, de Lunebourg et de Suède sous les murs d'Erfurth. En Piémont, Christine, veuve de Victor-Amédée, gouvernait pendant la minorité d'Hyacinthe. Richelieu l'invita à ratifier le traité de Rivoli. Cette fille d'Henri IV, française de cœur et qui signait ses Édits : Christine, sœur du roi très chrétien, par la grâce de Dieu duchesse de Savoie, devait cependant tenir compte des susceptibilités et de la misère de son peuple et elle eût bien voulu rester neutre. Le P. Monod, Jésuite, son confesseur et son conseiller, l'entretenait dans ces sentiments. Il redoutait le patronage de Richelieu et sa casuistique politique. Pignerol et Casal étaient la preuve, disait-il, que les rois les plus justes, quand il s'agissait de leur intérêt, trouvaient des ministres qui leur faisaient parattre juste l'injuste. Christine secrètement négocia une trêve avec le gouverneur de Milan, Leganez. Le maréchal de Créquy laissé seul fut tué en essayant de secourir une villette que les Espagnols assiégeaient. L'ambassadeur français à Turin, Michel Particelli, sieur d'Emery, surprit le secret de Christine et en informa son gouvernement. Richelieu fit signifier à la Duchesse que le Piémont devait être ami à tout faire ou ennemi ; Christine confirma le traité de Rivoli (3 juillet 1638). Richelieu, implacable, la força à emprisonner le P. Monod à Montmélian, et, plus tard, A Miolans avec les faussaires, les voleurs et les assassins (18 mai 1640). Hyacinthe, mort le 4 octobre 1638, eut pour successeur son frère, Charles-Emmanuel II, âgé de quatre ans et débile. Les frères de Victor-Amédée, le cardinal Maurice et le prince Thomas, revenu des Pays-Bas, s'allièrent à l'Espagne, contre la régente et les Français (mars 1639). Richelieu mit son secours à un très haut prix ; il se fit céder Cherasco, Savigliano, Carmagnole. Il pensait même, si Charles-Emmanuel venait à mourir, à substituer au cardinal Maurice, héritier légitime, la fille aînée de Christine, qui épouserait le dauphin. Il faisait publier à Paris que la plus grande partie de la Savoie n'était pas sujette à la loi salique. Immédiatement après, D'Emery demanda encore Revel, et, le prince Thomas y ayant devancé la garnison française, il voulut avoir Cavour en compensation. La Duchesse répliqua en pleurant qu'au besoin elle vendrait ses pierreries pour garder Cavour. Là-dessus, écrit-elle, il me dit que mes larmes ne défendraient pas l'État et mille autres impertinences qu'il est mieux de taire. Tout le Piémont se souleva. Le Cardinal Maurice fit insurger Nice. Thomas surprit Turin (26-27 juillet 1639) ; les deux frères furent proclamés par le Sénat tuteurs du Duc et administrateurs de l'État. Christine s'était enfermée dans la citadelle. Le duc de Longueville poussa jusqu'à la citadelle, où il mit garnison française et conduisit la Duchesse à Suze (5 août 1639). Richelieu voulut faire tourner les malheurs de Christine au profit de la France. Louis XIII alla jusqu'à Grenoble au-devant de sa sœur pour lui arracher de nouvelles concessions. Richelieu déclara à la Régente qu'elle eût à céder Montmélian et à conduire le petit Duc en France ; sinon, le Roi l'abandonnerait. Christine consentit seulement à admettre dans Montmélian une garnison mi-partie française. Le cardinal de la Valette, commandant de l'armée du Piémont, mort en septembre 1639, fut remplacé par le comte d'Harcourt, cadet de la maison de Lorraine, qui savait la guerre. Les Français l'apprenaient en se battant. D'Harcourt investit Turin (10 mai 1640) et Leganez vint l'investir dans son camp. C'étaient trois sièges à la fois ; la ville piémontaise bloquait la citadelle, qui avait garnison française ; le comte d'Harcourt assiégeait la ville ; Leganez assiégeait d'Harcourt. Après quatre mois, Thomas demanda à capituler (18 sept. 1640) et s'accommoda avec sa belle-sœur. Mazarin, qui avait passé au service de la France, fit signer au Prince un traité par lequel il se mettait sous la protection de Louis XIII et promettait de se déclarer contre les Espagnols, si, dans trois mois, ils ne rendaient pas les places du Piémont qu'ils occupaient. IV. — LES SUCCÈS DÉCISIFS. JUSQU'ICI les coups que l'Espagne et la France se portaient n'étaient pas directs ou n'avaient pas été décisifs. Les Espagnols avaient pris en octobre 1635 les îles Lérins, que les Français avaient reprises en mars 1637. Ils avaient assiégé Leucate à l'entrée du Languedoc et avaient été repoussés par les milices et la noblesse de la province (28 sept. 1637). A leur tour, les Français avaient essayé de forcer l'entrée de l'Espagne, aux deux extrémités des Pyrénées. Condé, ayant attaqué Fontarabie par terre, tandis que Sourdis la bloquait par mer, avait été mis en déroute (7 sept. 1638). L'année suivante, il occupa Salses (19 juillet 1639) où les Espagnols rentrèrent cinq mois après (24 déc.). Aux Pays-Bas, le cardinal La Valette avait pris Landrecies (23 juillet 1637) et La Capelle (20 sept. 1637), mais, en 1638, le Maréchal de Châtillon battu devant Saint-Omer, qu'il assiégeait, n'avait pas mieux réussi devant Hesdin et s'était borné à prendre Le Catelet. En mai 1639, Feuquières est battu devant Thionville ; en juin, La Meilleraye, bien pourvu d'hommes et de canons par Richelieu, son cousin, qui voulait le faire maréchal de France, fait capituler Hesdin. Mais l'année 1640 fut marquée par un grand succès ; les maréchaux de La Meilleraye, de Châtillon et de Brézé prirent Arras, capitale et boulevard de l'Artois (juillet-août 1640). La barrière des Pays-Bas était forcée. Malheureusement les généraux de Richelieu (sauf le comte d'Harcourt) n'étaient guère capables que de conduire un siège. Le seul homme qui sût la grande guerre, Guébriant, un modeste, et qui n'était pas le parent du Ministre, était employé en Allemagne comme commandant du corps d'armée auxiliaire auprès des généraux suédois. Il allait du Rhin à l'Elbe, liant ses mouvements à ceux de nos alliés, obligé de s'accommoder à l'humeur de Baner, un ivrogne, et d'accorder, s'il était possible, les desseins des Suédois avec les instructions de son propre gouvernement. Suédois et Français se joignent, se séparent pour se joindre encore. Espagnols et Impériaux se donnent aussi la main. C'est un va-et-vient de troupes de toutes nations de l'Est à l'Ouest, et, tranchant sur cette confusion, les courses formidables des Suédois. Baner, renforcé par Guébriant, poussa une pointe vers Ratisbonne, où l'Empereur avait réuni la diète pour aviser aux moyens de rétablir la paix en Allemagne (21 janvier 1641). La menace du dégel l'empêcha de passer le Danube sur la glace et d'assaillir la ville ; il rétrograda par la Bohème. Il mourut à Halberstadt (20 mai 1641). En juin 1641, Guébriant et les Suédois, qu'il avait rejoints, battirent les Austro-Bavarois à Wolfenbuttel, mais ne purent les empêcher d'occuper la ligne du Weser. Les soldats manquant de vivres se révoltèrent. Les Brunswick traitèrent avec l'Empereur. Le suédois Torstenson, envoyé pour remplacer Baner, tomba malade en arrivant en Allemagne (oct. 1641) et Guébriant fut rappelé en France. Lorsque Louis XIII était allé assiéger Corbie en 1636, son frère Gaston d'Orléans, le comte de Soissons et quelques autres seigneurs de moindre importance, avaient résolu de profiter du désarroi des camps pour se défaire de Richelieu. A Amiens, l'occasion était très favorable, mais le cœur manqua à Monsieur, qui ne donna pas le signal de l'assassinat. Le coup failli, le comte de Soissons s'était réfugié à Sedan, dans la principauté souveraine du duc de Bouillon ; il avait même obtenu de Louis XIII d'y demeurer, à condition de ne pas comploter. Il se tint tranquille quatre ans, mais, en 1641, sur l'avis du mécontentement qu'excitait dans tout le royaume la surcharge des impôts, il crut le moment venu de prendre les armes contre le Ministre. Les Espagnols lui envoyèrent quelques milliers d'hommes, commandés par Lamboy. Il rencontra à La Marfée le maréchal de Châtillon, chargea sa cavalerie, la mit en déroute, mais fut tué (6 juillet 1641). Sa mort ôtait à la révolte le seul chef capable de la conduire. Guébriant, revenu d'Allemagne, passa le Rhin et battit à Kempen Lamboy, le vainqueur de La Marfée (17 janvier 1642). Quelques mois après, Guébriant eut encore à défendre la frontière du Nord. Richelieu avait donné une armée au comte de Guiche, de la maison de Grammont, qui avait épousé une de ses nièces. Guiche fut battu à Honnecourt, près du Catelet (26 mai 1642), par Francisco de Mello, qui avait succédé à l'Infant comme gouverneur général des Pays-Bas, Guébriant, dont la fonction était de réparer les fautes, couvrit Landrecies et ensuite retourna en Allemagne rejoindre les Suédois. Les événements d'Angleterre, de Catalogne et de Portugal servirent mieux Richelieu que ses généraux et ses armées. Les troubles que provoqua en Écosse, pays presbytérien, l'introduction de la hiérarchie et de la liturgie anglicane obligeaient. Charles Ier d'assister impuissant à l'essor de la puissance française. On a accusé, on a disculpé Richelieu d'avoir entretenu cette agitation, dont il profitait. Il aurait, en 1638, envoyé le comte d'Estrades à Londres, pour engager Charles Ier à garder la neutralité au cas où la France et les Provinces-Unies attaqueraient les places maritimes de la Flandre, et, comme il n'eut qu'un refus, il se serait mis en rapports avec les covenantaires d'Écosse. Mais si D'Estrades se trouva en Angleterre en 1638, ce n'est qu'en passant et pour gagner de là la Hollande '. On sait que les Écossais se sont adressés à Louis XIII et que le gouvernement anglais appréhendait quelques menées de la part de la France ; au delà, tout est hypothèse. Les troubles d'Espagne furent à Richelieu d'un bien autre secours. Philippe II avait laissé au Portugal son autonomie, sans consoler les Portugais d'avoir même roi que la Castille. Ils pâtissaient des guerres de l'Espagne, payaient des impôts très lourds, étaient dépouillés de leurs colonies par les Hollandais. Ils accusaient (peut-être sans raison) Olivarès de vouloir supprimer leurs Cortés nationales et l'indépendance du royaume, en donnant séance à quelques-uns de leurs députés dans les Cortès de Castille. Il y eut des troubles à Evora en 1637. La Vice-Reine du Portugal était Marguerite de Savoie, duchesse douairière de Mantoue, mais le secrétaire d'État, Miguel de Vasconcellos, Portugais, homme orgueilleux et dur, gouvernait. Le parti national avait pour chef naturel, le duc de Bragance, descendant de cette infante Catherine dont les droits avaient été sacrifiés à ceux de Philippe II. C'était un grand seigneur indolent et pacifique, mais poussé par une femme énergique et ambitieuse, Luisa de Guzman, sœur du duc de Medina Sidonia, et bien servi par son majordome, Pinto Ribeiro, qui était en relations avec tous les mécontents. La Cour d'Espagne, inquiète de quelques réunions de grands seigneurs portugais, manda le duc de Bragance à Madrid. Il fallait choisir entre la révolte ou un exil honorable en Castille ; les partisans de Bragance l'obligèrent à prendre le premier parti. Le 1ee décembre 1640, une troupe de conjurés marcha sur le Palais, força la garde castillane, tua Vasconcellos, proclama roi le Duc sous le nom de Jean IV. Les autres villes du Portugal s'insurgèrent. Les Cortès réunies reconnurent le nouveau roi. Les régiments espagnols qui tenaient garnison en Portugal avaient été expédiés en dehors ; il ne restait dans les pays que des recrues portugaises, qui se déclarèrent pour Jean IV. Ainsi firent les colonies portugaises presque toutes gouvernées par des nationaux. Ceuta seule resta fidèle à l'Espagne. Philippe IV, dont les troupes régulières étaient occupées au loin, eut beaucoup de peine à lever une petite armée, qui ne put pas même prendre Olivenza. La guerre traîna en 1641 et 1642. Les Portugais n'étaient pas en état de prendre l'offensive, mais ils retenaient sur leurs frontières des forces qui auraient pu servir ailleurs. Dès le mois de janvier 1641, Jean IV députait à Louis XIII deux membres de son conseil, pour lui annoncer son avènement. L'attention de Richelieu avait été déjà attirée sur le Portugal. En 1635, le P. Carré, un dominicain, qui lui servait d'espion, lui écrivait qu'à la nouvelle du passage de la flotte française commandée par Sourdis, les Portugais disaient : Quand est-ce que le roi de France nous délivrera du Pharaon d'Espagne ? Richelieu accueillit bien les ambassadeurs. Les deux gouvernements convinrent (1er fév. 1641) de faire la guerre à l'Espagne de toute leur puissance. La France enverrait une flotte de vingt vaisseaux qui, jointe à la flotte portugaise, s'efforcerait de détruire la marine espagnole. Mais Louis XIII refusa de s'engager à ne traiter avec l'Espagne que de concert avec le Portugal et même à continuer d'assister Jean IV, après la conclusion de la paix. Il promit seulement, lors des négociations, de mettre tous ses soins à se réserver la liberté de le secourir, pourvu que les alliés de Sa Majesté (très chrétienne) consentent d'entrer avec elle en pareille obligation. En échange de cette vague assurance, le roi de Portugal s'obligeait à ne pas traiter avec le roi de Castille sans le consentement de Louis XIII et de ses alliés. Louis XIII s'entremit entre la Hollande et le Portugal. Jean IV voulait une alliance, mais qui était difficile à conclure. Les Hollandais, en guerre contre les rois d'Espagne, avaient pris Malacca, Colombo (Ceylan), colonies portugaises, ils s'étaient établis au Brésil, autre possession portugaise, et, naturellement, ils refusaient de rendre au Portugal affranchi ce qu'ils avaient enlevé au Portugal dépendant de l'Espagne. Ils consentirent seulement à signer une trêve de dix ans (22 juin 1641), qui ajournait le règlement des affaires coloniales. Une flotte française, commandée par le marquis de Brézé, neveu de Richelieu, vint mouiller devant Lisbonne (6 août 1641). Ce fut tout le secours que les Portugais eurent de Richelieu. Il soutint mieux, et, pour cause, les Catalans révoltés. Charles-Quint avait uni indissolublement les deux Couronnes de Castille et d'Aragon, tout en leur laissant leur administration, leur législation et leur gouvernement propre. Même le nom de Couronne d'Aragon englobait trois États autonomes, Aragon, Valence, Catalogne. A leur avènement, les rois d'Espagne allaient, de la Castille où ils résidaient, se faire reconnaître par les Cortes, à Saragosse, à Valence, à Barcelone ; ils juraient devant elles de maintenir les lois et coutumes de chaque pays. A chaque demande de subsides, ils devaient réunir ces États généraux. Philippe II, après qu'il eut réprimé la révolte de Saragosse (1599), n'avait pas touché à ces privilèges et au régime particulariste des trois membres de la Couronne d'Aragon. Les libertés étaient ici bien plus grandes qu'en Castille, où l'impôt était devenu permanent. Quand Philippe IV s'était rendu à Barcelone, en 1626, pour se faire reconnaître, les Cortes de Catalogne, au lieu de voter l'impôt, avaient si résolument exposé leurs griefs qu'Olivares, pris de peur, avait ramené précipitamment la Cour en Castille. Cette humeur indépendante irritait des souverains et des ministres, habitués à gouverner absolument la Castille et portés à considérer l'Aragon, Valence et la Catalogne comme de simples provinces de la monarchie. Ces populations étaient d'ailleurs très patriotes. Lors de l'attaque de Salses par les Français, les Catalans avaient levé et payé des troupes et ils s'étaient très bien battus. Mais Olivares ne leur en sut aucun gré. Pour les humilier, il cantonna dans le pays, contrairement aux franchises, les troupes que le marquis de Los Balbases, fils du grand Spinola, avait menées au secours de Salses. Les soldats maltraitèrent leurs hôtes, saccagèrent des églises, outragèrent les femmes. En représailles, les habitants assassinèrent les soldats isolés et, quand ils le purent, les assaillirent en corps. Barcelone fut en pleine effervescence, quand le vice-roi de Catalogne, Santa-Coloma, fit emprisonner deux conseillers de la ville, un noble et un prêtre, qui venaient lui porter les plaintes du pays. Tous les ans, au mois de juin, des milliers de montagnards descendaient à Barcelone, pour se louer comme moissonneurs (segadores) aux propriétaires de la plaine. C'étaient des gens violents. Ils arrivèrent par bandes, comme d'habitude, la veille de la Fête-Dieu (7 juin 1640) ; beaucoup étaient armés. Ils parlaient haut de la tyrannie du vice-roi, des excès des soldats et dévisageaient, avec colère, les Castillans qu'ils rencontraient. Un coup de feu, tiré en l'air du palais du vice-roi pour dissiper un rassemblement, souleva l'émeute. Les montagnards criant : Vive le Roi. A mort le mauvais gouvernement de Philippe ! coururent sus aux Castillans, les poursuivirent jusque dans les églises et les massacrèrent. La milice se joignit aux émeutiers contre les soldats ; la ville ouvrit le feu contre les galères génoises, au service de l'Espagne, qui se trouvaient dans le port. Coloma, qui s'enfuyait sous un déguisement, fut reconnu et tué à coups de poignard. Dans toute la principauté, les scènes de Barcelone se renouvelèrent. Les troupes, harcelées par les paysans, se retirèrent en Aragon ou dans le Roussillon, province catalane, où elles ne furent pas mieux reçues. A Perpignan, la citadelle dut bombarder la ville pour forcer les habitants à leur en ouvrir les portes. Avec Perpignan, Collioure et Salses furent les seules places qui, en Roussillon, restèrent aux Espagnols. Les Catalans supplièrent Philippe IV de les charger seuls de la défense du pays, d'accorder une amnistie générale et de retirer ses soldats. Olivarès refusa tout. Philippe IV rassembla toutes les forces disponibles d'Espagne pour aller faire justice. Les Cortés de Catalogne votèrent l'insurrection ; elles appelèrent à l'aide les Aragonais et même le roi de France. Richelieu leur envoya Du Plessis-Besançon, un ingénieur diplomate, qui signa avec elles un traité d'alliance perpétuelle (16 déc. 1640). Mais le gouverneur de Leucate, D'Espenan, chargé de conduire un secours dans Tarragone et de la défendre contre le marquis de Los Velez, était un incapable, qui capitula le 22 décembre 1640 et consentit à sortir de la Catalogne avec toutes ses troupes. Du Plessis-Besançon se jeta seul dans Barcelone, résolu de périr avec les Catalans plutôt que de renoncer aux
espérances que j'avois, dit-il,
conçues d'une occasion de si haute conséquence pour
les intérêts de cette Couronne (de France).
Il organisa les gens de métiers, les aguerrit dans les sorties, et fit si
bien que les Barcelonais repoussèrent un assaut général (26 janvier 1641) et forcèrent Los Velez à
reculer sur Tarragone. Trois jours avant (23
janvier), les Cortés avaient déposé Philippe IV et élu comte de
Barcelone le roi de France, Louis XIII. La Mothe-Houdancourt, maréchal de camp, fut envoyé en Catalogne avec une armée (fév. 1641). Il assiégea Tarragone, que l'archevêque-amiral Sourdis bloqua par mer avec ses vaisseaux. C'était la seule place forte que Philippe IV possédât encore en Catalogne. La flotte espagnole surprit Sourdis et le força à fuir (20 août 1641). La Mothe-Houdancourt leva le siège ; Sourdis fut disgracié. Le principal effort de Richelieu fut, en 1642, dirigé contre les places qui restaient encore aux Espagnols dans le Roussillon. Collioure fut prise (avril 1642), puis Perpignan fut assiégée. L'importance de cette ville, capitale de la province et fortement retranchée, était si considérable que le Roi et son ministre quittèrent Paris, malades, pour se rendre au camp. Mais Louis XIII seul vint jusqu'à Perpignan. Après cinq mois de siège, la ville capitula (9 sept. 1642). Le Roussillon était débarrassé des Espagnols ; et dans la Catalogne même ils n'avaient plus que Tarragone. Ce sont là les grands succès du ministère, auxquels le hasard, il ne faut pas l'oublier, a sa part. Sans la révolte de la Catalogne et du Portugal, on pourrait discuter qui l'emportait d'Olivarès ou de Richelieu. C'est que les armées de Louis XIII ne valaient pas sa diplomatie. Le contraste est grand entre la supériorité de l'une et les demi-succès des autres. La marine, dont Richelieu était fier comme de son œuvre, ne s'était pas non plus signalée par des actions éclatantes. Il dit avec quelque rhétorique, à propos de la rencontre de Guetaria , où Sourdis brûla dix-huit navires de transport, que le Roi a réduit en cendre aux milieu des eaux toutes les forces que l'Espagne put ramasser en 1638 sur l'Océan. Le succès qu'Armand Maillé de Brézé, neveu du ministre, remporta sur la flotte des Indes (22 juillet 1640) révèle en ce jeune homme un tempérament audacieux d'homme de guerre et d'homme de mer, mais faut-il, comme Richelieu, mettre sa gloire par-dessus celle des Anglais et des Hollandais, qui n'avaient jamais pu battre cette flotte, — à raison de quoi elle portoit le nom de Vierge. On sent que le créateur de la marine militaire cherche à se faire illusion à lui-même. La défaite des Espagnols en 1640 ne les empêcha point l'année suivante de battre la flotte de Sourdis. Mais la révolte de Catalogne et la sécession du Portugal décidèrent en faveur de la France. L'Espagne divisée contre elle-même ne pouvait plus agir au dehors que faiblement et par à-coups. En Italie, le comte d'Harcourt força le prince Thomas, qui avait repris les armes, à faire la paix. Les négociations (oct. 1641-juin 1642) aboutirent à un traité qui laissa la régence à Christine, donna à Thomas Ivrée avec 2.000 fantassins et 1.000 cavaliers, et la lieutenance générale dans le comté de Nice au Cardinal Maurice. Les Français promettaient de restituer les places qu'ils occupaient en Piémont, aussitôt que les Espagnols en auraient fait autant, et les deux princes savoyards d'obliger les Espagnols, même par la force, à évacuer. Mais Mazarin, le plénipotentiaire français, ne rendit que Cherasco et Savigliano, et garda la citadelle de Turin et toutes les places importantes. Les embarras des Habsbourg de Madrid rendirent les Habsbourg de Vienne plus traitables. La Diète de Ratisbonne s'était prononcée pour la paix ; elle avait prié l'Empereur de se mettre en rapport avec la Suède et la France. Les plénipotentiaires de ces deux puissances, D'Avaux et Salvius, avaient renouvelé les engagements du traité de Hambourg (30 juin 1641) et conclu qu'ils dureraient jusqu'à la paix générale. Ils attendirent à Hambourg le représentant de l'Empereur, Lutzow. Ils y signèrent avec lui, le 25 décembre 1641, des préliminaires qui fixaient au 25 mars 1642 l'ouverture des négociations et qui désignaient la ville de Munster pour la réunion des représentants de la France et de l'Empire, et celle d'Osnabruck pour ceux de l'Empire et de la Suède. Richelieu crut qu'il tenait la paix en Allemagne ; il en parle dans son Testament politique comme si elle était faite. Mais les peuples devaient soupirer longtemps encore après ce bienfait. Il y avait trop d'intérêts en jeu et de trop graves pour que la diplomatie d'alors, si lente et si formaliste, les réglât rapidement. L'accord préparatoire de Hambourg ne parlait point d'armistice, on négocierait en se battant. Ainsi les revers et les succès des armées auraient leur répercussion à Osnabruck et à Munster sur les demandes des diplomates. Mais le Congrès ne s'ouvrit même pas à la date fixée, et la guerre continua entre la France, la Suède et l'Empereur. Le nouveau chef de l'armée suédoise, Torstenson, le meilleur élève de Gustave-Adolphe, envahit la Silésie et la Moravie et, forcé de reculer jusqu'en Saxe, battit complètement les Austro-Saxons près de Leipzig (2 novembre). Un mois après, il entra dans cette ville. Quand Richelieu mourut, la Suède était installée en Saxe, à l'entrée de la Bohème et des États héréditaires de la maison d'Autriche, comme la France l'était sur la frontière du Milanais et en pleine Espagne. |
[1] SOURCES : Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, V-VIII. Aubery, Mémoires pour servir à l'histoire du cardinal duc de Richelieu, II. Mémoires de Richelieu, Mich. et Pouj., VIII-IX. Léonard, Recueil des Traitez de paix, 1693, III, IV et V. Du Mont, Corps diplomatique, VI. Mercure François, XX, XXI, XXII. Vittorio Siri, Memorie recondite, VIII. Du même, Il Mercurio, overo historia dei correnti tiempi, 1635-1655. Mémoires de François de Paule de Clermont, marquis de Montglat... contenant l'histoire de la guerre entre la France et la maison d'Autriche durant l'administration du cardinal de Richelieu et du cardinal Mazarin..., Mich. et. Pouj.. 2e série, V. Mémoires et lettres de Henri de Rohan sur les guerres de la Valteline, p. p. le baron de Zurlauben, 1758, 3 vol. Correspondance du cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, I et II, Coll. Doc. inéd. Mémoires de Fontenay-Mareuil, M. et P., 2e série, V. Mémoires de Nicolas Goulas, S. H. F., I. Mémoires de Claude de Bourdeille, comte de Montrésor, M. et P., 3e série, III. Mémoires de H. de Campion, p. p. Moreau, 1857. [Claude Malingre], Histoire générale des guerres et mouvemens arrivez en divers estats du monde sous... Louys XIII, 1647, III et IV. Mémoires de Du Plessis-Besançon... accompagnés de correspondances et de documents inédits, p. p. le comte Horric de Beaucaire, S. H. F., 1892. Lettres, Mémoires et négociations de monsieur le comte d'Estrades..., Londres, 1743, I. J. Le Laboureur, Histoire du maréchal de Guébriant, 1656.
OUVRAGES
A CONSULTER : Le Vassor, Histoire de Louis XIII, V et VI. Le P.
Griffet, Histoire du règne de Louis XIII, II et III. G. Fagniez, Le
P. Joseph et Richelieu, 1894, II. Henri Lonchay, La rivalité de la
France et de l'Espagne aux Pays-Bas (1685-1700), Mémoires de l'Académie
royale de Belgique, t. LIV, 1896. A. Waddington, La République des
Provinces-Unies, la France et les Pays-Bas espagnols de 1630 à 1650, 1895,
I et II. Carutti, Storia della Diplomazia della Corte di Savoia, II,
1876. Ricotti, Storia della monarchia piemontese, V, 1869. O. Vigler, Une
invasion en France sous Louis XIII, R. Q. Hist., oct. 1894. Duc d'Aumale, Histoire
des princes de Condé, III, 1886. Le général Dufour et Rebut, Le P. Monod
et le cardinal de Richelieu, Mémoires de l'Académie des sciences,
Belles-Lettres et Arts de Savoie, 3e série, VIII, 1880. E. Charvériat, Histoire
de la guerre de Trente ans, 1878, II. Droysen, Bernard von Weymar,
1885, II. Flassan, Histoire de la diplomatie, III. Gardiner, History of
[2] L'archiduc Albert était mort en 1621.
[3] A. Waddington, La République des Provinces-Unies, etc., I, p. 145-180.