HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE III. — LE MINISTÈRE DE RICHELIEU.

CHAPITRE VI. — LES INSTRUMENTS DE COMBAT[1].

 

 

I. — L'ARMÉE.

LES prédécesseurs de Louis XIII n'avaient ni les moyens, ni l'idée d'entretenir de grandes armées. En temps de paix, quelques régiments de gens de pied et quelques compagnies de cavalerie leur suffisaient pour se garder ; en cas de guerre ou de révolte, ils levaient, dans le royaume ou au dehors, des soldats de renfort, qu'ils s'empressaient, la paix conclue ou l'ordre rétabli, de licencier.

Les soldats de l'armée permanente, comme les autres, étaient  des volontaires, engagés librement. En droit, tous les nobles devaient le service à raison de leurs fiefs ; en fait, rien ne les obligeait à servir que l'honneur, le goût des armes et l'amour de la gloire. La levée en masse de la noblesse, ou, comme on disait, la convocation du ban et de l'arrière-ban était rare. Quant à l'appel aux armes de tous les sujets du roi, c'était un recours de désespoir, prévu plus qu'expérimenté, si l'invasion mettait le royaume en danger.

L'armée d'Henri IV, sur le pied de paix, ne se composait que d'une dizaine de mille hommes, cavaliers ou fantassins. Le régiment des gardes françaises, le premier en titre des régiments d'infanterie de France, comptait 1.600 hommes ; les quatre vieux régiments d'infanterie, Picardie, Piémont, Champagne, Navarre, à 20 compagnies, n'avaient que 33 hommes par compagnie. Les compagnies de gendarmes d'ordonnance et de chevau-légers[2] commandées par le roi, par les princes du sang et les plus grands seigneurs, n'étaient au complet que sur le papier ; la plupart des soldats et des officiers ne rejoignaient que sur convocation expresse. Outre les gardes françaises, le roi avait une maison militaire nombreuse : les Cent gentilshommes au bec de corbin, qui étaient au nombre de 200 ; la Compagnie écossaise et les trois Compagnies françaises des gardes du corps (à cheval) ; les Cent Suisses ; une compagnie de chevau-légers ; la Compagnie des gendarmes du Dauphin, et une compagnie de carabins, qui, en 1622, quitta la carabine pour le mousquet et forma la première compagnie des mousquetaires.

Pendant la minorité de Louis XIII et sous le gouvernement de Luynes, cette armée commença à s'augmenter. On conserva quelques-uns des régiments levés contre les rebelles ou les huguenots : Normandie, Chappe, Rambures, Bourg d'Espinasse, Sault, Vaubecour et Beaumont, qui devinrent, comme on disait, des corps entretenus. Le régiment des gardes Suisses, créé en 1616, et les vieux régiments furent portés à 2.000 hommes. On forma une nouvelle compagnie de chevau-légers.

Ce n'était pas assez contre la maison d'Autriche. Dans les premières années du ministère de Richelieu, l'armée monta à 60.000 hommes. En 1633, lors de la déclaration de guerre à l'Espagne, elle aurait compté 135.000 fantassins et 20.880 cavaliers ; en 1639, d'après un état au vrai des effectifs et de la solde, elle était de 123.800 fantassins et 22.380 cavaliers.

On renforça les régiments existants et on en leva d'autres, une centaine environ. Quelques-uns furent recrutés en Suisse et en Allemagne, qui étaient les grands marchés d'hommes. ... Je suis obligé de remarquer, écrit Richelieu, qu'il est presque impossible d'entreprendre avec succès de grandes guerres avec des François seuls. Les étrangers sont absolument nécessaires pour maintenir le corps des Armées et, si la cavalerie françoise est bonne pour combattre, on ne peut se passer de l'étrangère pour faire les gardes et supporter toutes les fatigues d'une armée. Notre nation bouillante et ardente aux combats, n'est ni vigilante à se garder, ni propre à former des desseins ou des entreprises qui ne se peuvent exécuter sans peine. Aussi les armées françoises étoient toujours composées de la moitié d'étrangers, et, disait encore Richelieu, nous avons expérimenté combien il est dangereux d'en user autrement.

Mais l'Allemagne avait peine à suffire à sa propre consommation. Les Cantons suisses, inquiets des mouvements des grandes puissances, n'autorisaient pas volontiers de grandes levées, de peur d'être pris eux-mêmes au dépourvu. Il fallut recruter ailleurs, en Italie, en Écosse, dans la principauté de Liège, en Irlande. Le P. Joseph songea même à lever des Polonais qu'on aurait embarqués à Dantzig pour les transporter en Hollande ou en France.

Les soldats de race française étaient aussi des mercenaires. Le roi donnait une compagnie ou même plusieurs compagnies, autrement dit un régiment, à des gens de naissance ou de mérite, c'est-à-dire qu'il les autorisait par commission à lever une centaine ou un millier d'hommes, dont il les constituait chefs et propriétaires. Les officiers, ainsi favorisés, enrôlaient dans les villes et les campagnes des hommes de bonne volonté ; ils leur payaient une prime d'engagement, ils les armaient, les équipaient et les menaient à l'armée.

Le besoin d'hommes augmentant toujours, le gouvernement imposa aux villes et aux Élections l'obligation de lui fournir des soldats de seize à quarante ans. Mais les habitants des villes et des campagnes ne furent pas pour cela astreints au service militaire. C'était un recours à leur bourse, non un appel aux armes. Les enrôlés furent aussi des volontaires à qui les paroisses et les villes payaient la prime d'engagement et qu'elles équipaient à leurs frais. Elles se débarrassèrent ainsi de leurs mauvais garçons. Même avec cette compensation, la charge leur paraissait lourde. Les États de Normandie remontraient qu'il n'y avait pas de paroisse qui n'eût été forcée, outre sa taille, de lever, vêtir, armer trois et quatre soldats, dépense qu'ils estimaient à cent livres du (au) moins. Rouen avait fourni 50.000 livres et Caen, 30.000 livres. Les provinces levèrent aussi à leurs frais des régiments ou complétèrent les effectifs de régiments existants.

Quand les Espagnols prirent Corbie, en 1636, et poussèrent leurs éclaireurs jusqu'à Pontoise, le roi défendit aux marchands de conserver plus d'un apprenti, tous les autres devant servir à l'armée (11 août). Quatre jours après, il ordonna de cesser le travail partout et de fermer tous les ateliers de France. C'était pour jeter sur le pavé une foule d'hommes qui, par patriotisme ou faute de pain, s'enrôleraient. Mais point de contrainte. Sa Majesté, dit l'ordonnance, juge que chacun doit quitter de bon cœur toute occupation pour prendre les armes en une occasion si urgente. C'est l'indication du devoir, non un ordre.

Rien de plus brave que la noblesse qui cherche la guerre volontairement, rien de plus piteux que les campagnes de l'arrière-ban. En 1635, Louis XIII, qui avait besoin de cavalerie pour envahir la Lorraine, convoqua sa fidèle noblesse. Quelques milliers de nobles le rejoignirent à Saint-Dizier. Mais quels soldats ! Il ne faut faire nul estat de nostre noblesse volontaire[3], écrivait le roi à Richelieu, que pour faire perdre l'honneur à celui qui voudra entreprendre avec eux quelque chose de bon où il y aura la moindre fatigue. Quand on les veut envoyer seulement à trois lieues d'ici (Saint-Mihiel) tirant vers Metz ou Nancy, ils murmurent, jurent et disent tout haut qu'on les veut perdre et qu'ils s'en iront... Depuis hier midi, nous avons perdu 8 à 900 chevaux de noblesse, quelques harangues, promesses, flatteries, menaces que je leur aie pu faire.

Richelieu compare cette noblesse, qui ne va à la guerre que par la nécessité des Loix du Royaume, sinon à la lie, du moins au vin qui est au-dessous de la barre et dont on fait si peu de cas qu'à peine peut-il servir pour des valets. Et, il propose de laisser aux nobles le choix entre une contribution en argent et le service dans des compagnies réglées.

II n'y a donc, en temps ordinaire, dans l'armée de Louis XIII, que des volontaires servant à prix d'argent. Le roi laisse aux chefs des compagnies et des régiments la charge de vêtir, d'armer, d'équiper les recrues ; il paie lui-même la solde et fournit le pain de munition. En principe, il n'a pas d'autre obligation. Mais quand les armées firent campagne en Italie, en Lorraine, en Allemagne, aux Pays-Bas, il dut, sous peine de les voir périr, pourvoir à leur entretien et à leur équipement. Il passa des marchés avec des entrepreneurs, qui s'engageaient, pour un prix fixé, à transporter, dans un lieu désigné, le pain et les autres approvisionnements. On eut même l'idée, en 1635, de confier la fourniture de toutes les armées à un seul adjudicataire, le sieur Rose, puis on revint au système des adjudications séparées. Dans l'un comme dans l'autre cas, l'État ne cessa pas d'être volé. Pour un Falconnet, dont Michel Le Tellier, intendant de l'armée du Piémont, dit qu'il est homme de service fort intelligent, il y a des milliers de Rose, fort intelligents, qui sont de grandissimes fourbes.

L'État n'habille pas les recrues, mais il réhabille les soldats. J'ai fait distribuer, écrit Le Tellier (29 juillet 1642), aux majors de chaque régiment d'infanterie qui sert à la campagne quatre mille quatre cent trente-quatre paires d'habits de munition, pour être distribués aux soldats effectifs de chaque corps, qui ont hiverné dans le Piémont, à l'exclusion des valets, des officiers et des soldats des recrues.

L'État n'avait ni service d'habillement, ni magasins. Il obligeait les villes à lui fournir des vêtements de soldats, justaucorps en drap de Vire ou de Château-Renaud, bas de chausses et souliers. Il n'avait pas de fabrique d'armes. Il achetait à l'industrie privée en France et à l'étranger et il distribuait aux soldats des mousquets, piques, pistolets, épées, de la poudre et des balles. Il retenait sur la solde le prix des armes, des munitions et des fournitures.

Il n'avait pas de casernes. Il logeait les garnisons dans les citadelles, les corps de garde, les casemates, et les troupes en marche ou en campagne chez l'habitant.

 Les armées se battaient six mois, et six mois hivernaient. La plupart des soldats et des officiers étaient alors licenciés ou quittaient le corps. Mais la guerre, en se perpétuant et en s'étendant, obligea le gouvernement à conserver assez près du lieu des futures opérations, ou même en pays ennemi, des régiments et des compagnies à effectifs très réduits, ou, comme nous dirions, les cadres et les dépôts.

Pour que la charge fût moins lourde aux populations, les cantonnements étaient prodigieusement étendus. En 1639, l'armée du maréchal de Châtillon avait pour quartiers d'hiver la Picardie, la Normandie, le Maine et le Perche ; — l'armée du maréchal de La Force, l'Orléanais, la Touraine, l'Anjou, le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois ; — l'armée du Maréchal de Brézé (entre La Force et Châtillon), la Champagne, l'Île-de-France, les Trois Évêchés, la Lorraine ; — l'armée du duc de Longueville, la Bourgogne, le Berry, le Bourbonnais, le Nivernais, le Limousin, la Marche ; — l'armée du cardinal de La Valette, le Dauphiné, la Provence, le Haut-Languedoc, l'Auvergne, le Lyonnais ; — l'armée du prince de Condé, la Guyenne et le Bas-Languedoc.

Il n'y avait point d'hôpitaux militaires ; le premier ne fut créé qu'en 1639. Quand un soldat était blessé ou malade, on l'acheminait vers l'hôpital de la ville la plus voisine. Chaque compagnie avait un chirurgien. Des religieux, surtout des Jésuites, suivaient les régiments, instruisaient les soldats et les soignaient, à la fois aumôniers et infirmiers volontaires. Quant aux soldats infirmes ou estropiés, l'usage était de les hospitaliser dans les couvents. Mais ces frères lais n'étaient pas toujours édifiants et les moines s'en débarrassaient au meilleur marché possible. Les officiers touchaient des pensions sur des legs faits au Clergé à cette fin, et qui étaient insuffisants. Richelieu eut l'idée de transformer le château de Bicêtre en Hôtel des Invalides et de prélever pour l'entretien de cette fondation une somme de cent livres sur les abbayes et les prieurés d'un revenu supérieur à 2.000 livres. Mais l'établissement ne dura pas faute d'argent. Les vieux soldats continuèrent à mendier.

La guerre, en s'éternisant, prenait aux campagnes et aux villes des milliers d'hommes attirés à l'armée par le goût des aventures, le mépris du travail manuel et quelquefois aussi par le besoin, après quelque délit, de se perdre dans une foule anonyme. Les racoleurs engageaient, sans enquête, les gens solides, l'État ayant besoin de trop d'hommes pour se montrer difficile. Bon pied, bon œil, c'était la première vertu du soldat. L'aptitude professionnelle, réduite au tir du mousquet et au maniement de la pique, s'acquérait vite et, pour ainsi dire, sans leçon. Il n'y avait pas de dressage savant et méthodique, comme dans les armées modernes.

La plupart des soldats s'habituaient si bien à la vie militaire qu'ils n'en voulaient plus d'autre. Licenciés, ils vivaient des restes de la solde et, quand ils n'avaient plus d'argent, mendiaient ou volaient. Mais ils accouraient aussitôt que les officiers faisaient battre le tambour pour enrôler des hommes.

La compagnie, le régiment leur sont une famille ; ils ont des noms de guerre, La Fortune, La Jeunesse, La Pierre, La Fleur, La Violette et La Coupe, dont le caractère poétique ne doit pas faire illusion. Ils ne diffèrent pas beaucoup des soudards vêtus à la pendarde, que décrit Brantôme ; ils s'habillent comme ils veulent et souvent comme ils peuvent. Les princes, les grands, le roi ont des gardes ou des compagnies d'hommes d'armes, ayant tous même costume, richement étoffés et empanachés. Mais les compagnies ordinaires n'ont point d'uniforme. Les capitaines les habillent, si c'est nécessaire, lors de l'enrôlement et laissent ensuite à l'État ou aux bonnes fortunes de guerre le soin de renouveler le costume. Au retour de campagne, des soldats marchant en bandes, éclopés, à peine recouverts de haillons, et leurs plaies entourées de linges sordides, semblaient des mendiants qui se traîneraient aux fêtes de quelque pèlerinage fameux.

Il faut que la passion du danger ou la nécessité de vivre soit bien forte pour que l'État trouve tant de combattants volontaires et à si bon marché ; il en a même pour six livres. La solde est, il est vrai, élevée : pour les vieux soldats, de 12 livres ; pour le caporal, de 20 livres ; pour le sergent, de 30 livres ; pour l'enseigne (sous-lieutenant), de 73 livres ; pour le lieutenant, de 100 livres ; pour le capitaine, de 300 livres par mois.

Mais, bien que l'État se soit obligé, par ordonnance, à payer tous les neuf jours un acompte, le prêt, et le reste tous les trente-six jours, après la montre (revue), le plus souvent il ne paie ni ne nourrit les soldats. D'une compagnie de l'armée d'occupation du Piémont, l'intendant Le Tellier écrit qu'elle n'aura coûté en six mois qu'un peu de poudre et une paire de souliers. Les soldats de Menillet sont nus et misérables ; depuis le 18 mars (on était alors au 15 novembre), ils n'ont touché que 3 livres 12 sols. Le pain manquait souvent ; les troupes fondaient de misère.

Les soldats désespérés se débandent. Le régiment de La Rochegiffard, faute de montre, perd en vingt-quatre heures 800 hommes. Ils s'en vont même quand on les paie. Pour empêcher les troupes de déserter, écrivait l'intendant de l'armée d'Italie à Richelieu (3 sept. 1630), il faudrait garder les passages du Mont Genèvre, du Pas de Suze et du Mont Cenis et faire pendre, sans autre forme ny figure de procès, tous les soldats se retirant sans congé, et quant aux cappitaines et officiers les envoyer aux lieutenants généraux d'armée ou à Sa Majesté pour estre punis suivant les ordonnances.

Chefs et soldats s'indemnisaient, comme ils pouvaient, de l'impuissance ou de l'incurie du gouvernement. Souvent les capitaines arrêtaient au passage la solde de leur compagnie. Ils demandaient plus de rations qu'ils n'avaient d'hommes et partageaient avec le munitionnaire la différence. Ils ne portaient ni les manquants, ni les déserteurs, ni les morts, et se faisaient payer la solde sur des états fictifs. Le jour de la revue, ils racolaient des soldats d'occasion ou les empruntaient à d'autres compagnies ; c'est le jeu des passe-volants.

Les généraux, les colonels traitaient avec les populations et leur vendaient la dispense de loger des troupes. En pays ennemi, ils allégeaient, moyennant finances, les contributions des habitants. travailles, mestre de camp (Colonel) d'un régiment d'infanterie, raconte tout naturellement qu'envoyé en quartier d'hiver en Piémont, pays abandonné aux troupes, il aurait pu faire un traité fort avantageux, mais se contenta de régler les choses sur un pied que son régiment y pût subsister. Cet homme désintéressé ne trouvait pas cependant blâmable d'agir autrement.

Les soldats pillent. Richelieu ne voit d'autre moyen de garantir le plat pays que d'enfermer, l'hiver, les gens de guerre en lieux clos. Sinon, ils courent la campagne, maraudent, maltraitent et dépouillent leurs hôtes. Dans un village de l'Est où ils sont cantonnés, ils réduisent à la misère cinquante familles sur quatre-vingts ; il n'y a plus dix habitants du lieu qui couchent dans des draps. Des populations s'enfuient à leur approche. Ils sont violents, querelleurs prompts à la main.

Quel crèvecœur, déclarent les États de Normandie, d'en avoir armé quelques-unes (compagnies) qui n'ont quasy tiré l'espée que contre ceux qui la leur ont mise en main, que telle compagnie de chevaux légers aye passé des mois parmy nous à vivre à discrétion, battre ses hostes, piller, ravager, rançonner le pays, meurtrir impunément au veu de la justice, les magistrats pré-sens, dans le milieu des villes, d'autres mettre les chevaux dans les granges, deffonser les tonneaux, embrazer les maisons et traicter les hostes en Cravates (Croates), ne s'estime enroollez que pour se dissiper, après s'estre gorgez du sang du peuple, sans avoir quasi veu ni sceu où estoit l'ennemi que par la lecture des gazettes.

En Guyenne, dit un rapport officiel, le sang se répand comme l'eau sur la terre. Trois ou quatre individus ont, par gageure de moins de quinze sous et une fois de cinq sous, tiré et tué de sang-froid des hommes avec des arquebuses, comme ils auraient fait des oiseaux sur des arbres. S'ils traitent ainsi leurs compatriotes, comment doivent-ils se conduire en Piémont, en Alsace, en Lorraine, aux Pays-Bas ?

Il y avait une centaine de régiments d'infanterie de force très inégale depuis le régiment des gardes, qui fut porté à 6.000 hommes, jusqu'aux régiments nouveaux de 700, 800 ou 1.000 hommes. Le nombre des compagnies et leur effectif est aussi très variable. Chaque compagnie était commandée par un capitaine, un lieutenant, un enseigne, deux sergents, menée par un fifre et un tambour, logée par un fourrier. Le mestre de camp est le chef de toutes les compagnies d'un régiment et le capitaine, chef d'une de ces compagnies[4]. Le Colonel général de l'infanterie française possède dans tous les régiments entretenus, mais dans ceux-là seulement, une compagnie, la compagnie colonelle.

Les régiments non entretenus portent le nom de leur mestre de camp : Ribérac, Castel-Bayard, Du Plessis-Juigné, etc., et naturellement changent de nom à chaque changement de chefs. Tant qu'ils ne sont pas réformés, c'est-à-dire supprimés, les mestres de camp et les capitaines peuvent disposer des régiments et des compagnies, les donner ou les vendre. Le Code Michaud avait interdit la vénalité des charges militaires, promettant entretènement ou autre récompense aux officiers qui deviendraient incapables de servir. Mais l'abus fut plus fort que la loi. Seulement le roi se réserva le droit d'autoriser le marché et de refuser les acheteurs qui ne lui paraîtraient pas dignes du commandement. Le prix des charges variait suivant les régiments et les temps ; faible dans les régiments de formation récente, qui n'étaient pas sûrs du lendemain, et baissant à la moindre menace de paix, il était très élevé dans les régiments entretenus ou permanents. Une compagnie de Piémont, Navarre, Champagne, valait de 12 à 13.000 livres, le régiment des gardes françaises, 200.000 livres.

L'arquebuse, arme très lourde qu'on tirait appuyée sur une fourche, avait été remplacée par le mousquet, plus portatif, — et qu'on épaulait. Des piquiers étaient mêlés aux mousquetaires, en proportions variables. On n'avait pas encore imaginé d'adapter l'arme blanche au bout du canon, pour en faire une arme à la fois offensive et défensive. La force de pénétration des armes à feu fait que l'infanterie a renoncé à se couvrir de fer.

Il n'y a plus dans la cavalerie que les gendarmes d'ordonnance qui soient pesamment armés et conservent casque et cuirasse. Mais ils ont quitté définitivement la lance d'ordonnance — et ne sont plus assistés que d'un écuyer. Les chevau-légers, — qui ne sont pas une cavalerie légère, étaient armés du mousquet, — du pistolet et du sabre. Les carabins, vrais batteurs d'estrade, disparaissent. Les mousquetaires à cheval, ou dragons, nouvellement créés, combattaient à pied et à cheval. Richelieu leva en Auvergne et ailleurs en France une cavalerie qu'il appela hongroise, en attendant un nom plus idoine.

L'artillerie était surtout employée dans les sièges. Le nombre des canons était, proportionnellement à l'effectif, considérable, mais c'étaient des pièces de force et de calibre très faibles qui tiraient des boulets de 4 à 6 livres. Au siège de La Mothe en Lorraine (1634), un ingénieur anglais au service de la France employa pour la première fois les obus. Les artilleurs, le plus souvent Allemands et Liégeois, étaient considérés plus comme des ouvriers que comme des combattants. Mais Louis XIII autorisa les officiers d'artillerie à porter les mêmes titres que les officiers d'infanterie et de cavalerie. Richelieu établit au Havre dans son gouvernement une fonderie de canons. Il en achetait partout. Il acquit de Sully la charge de grand-maître et la donna à son cousin La Meilleraye. Il dépensait pour l'artillerie tant d'argent que le surintendant, Bullion, la comptait parmi les trois gouffres où s'engloutissaient les finances.

Au siège des places, l'assaillant compte plus sur la famine que sur le canon ou sur une attaque de vive force. Les généraux de cette époque formés à l'école des Hollandais excellent à enfermer les places dans de lignes de circonvallation. Ils réquisitionnent les paysans d'alentour, ou au besoin emploient les soldats, et remuent une masse énorme de terre. Les ingénieurs s'appliquent à conduire l'assiégeant, à l'abri des tranchées, jusque sur le glacis de la place, mais ils n'ont pas encore imaginé le maximum de protection qu'offre le système des (tranchées) parallèles unies par des cheminements. Quelques-uns sont Français : le chevalier de Ville, D'Argencourt, Du Plessis Besançon ; d'autres comme Pompée Targon et le comte de Pagan sont des étrangers. Ils ne forment pas un corps à part et n'ont d'autre grade que celui qu'ils peuvent avoir dans les autres armes.

Les armées ne comptaient que quelques milliers de combattants, et elles étaient pourtant très nombreuses. Des vivandiers, des fournisseurs, des domestiques, des femmes, légitimes ou non, avec leurs enfants, suivaient De simples soldats avaient un valet ou goujat pour porter leurs armes. Chaque cavalier pouvait avoir deux chevaux pour lui et un pour son bagage ; il en avait bien davantage. Des généraux, des grands seigneurs faisaient campagne avec leurs gentilshommes, leurs équipages, leurs cuisiniers. Ils se procuraient par réquisition des bêtes de somme, des conducteurs, des charrettes. L'officier du roi, le capitaine du charroi, survenant, ne trouvait plus assez d'hommes ni de voitures pour compléter son personnel de charretiers et ses moyens de transport.

L'attention que donne Richelieu au service du charroi, dans son Testament politique, prouve que tout était encore à faire. Il voudrait que chaque régiment de mille hommes eût quinze chariots, portant toujours à sa suite quinze jours de pain ; qu'il fût pourvu de moulins et de fours, pour s'en servir à l'occasion ; que le général d'armée employât, suivant les pays, des chariots, qui sont moins sujets à verser, ou des charrettes qui tournent plus aisément en des lieux étroits. II recommandait de transporter le pain, non dans des caissons, qui pèsent et embarrassent beaucoup, mais dans des charrettes clissées par les côtés et couvertes de grandes toiles cirées, comme celles qui étaient en usage dans les armées impériales. Sublet des Noyers proposa de nommer un second capitaine du charroi, d'avoir des charretiers supernuméraires, des bourreliers, des maréchaux et des charrons. C'est la première idée du train des équipages.

Richelieu est admirable d'activité. Devant La Rochelle, ou lors de la première campagne d'Italie, il écrit de tous côtés, presse, excite, gourmande. Pendant les nuits d'insomnie, il ne cesse d'expédier des notes, des billets, des lettres. Il embrasse l'ensemble et le détail d'une opération ; il sait les grains, chairs salées, beurres, draps, linges, onguents et médicaments nécessaires dans une place ; — et les cordages, les apparaux, les ancres qu'il faut dans un navire. Mais, s'il tire un parti admirable des moyens existants, il n'a pas le temps d'en imaginer d'autres. Il possède à un degré éminent cette qualité française de pourvoir aux acunes de l'état de choses existant par l'effort passionné de l'intelligence et de la volonté. Le danger passé, il a vraiment trop d'affaires pour poursuivre une réforme et une organisation.

Il croit plus aux hommes qu'aux institutions. Il délègue aux armées, avec le titre d'intendants, des maîtres de requêtes et des conseillers d'État, gens dont la vigilance, la fidélité et la capacité étaient bien établies. Les chefs militaires commanderont les troupes ; les intendants les nourriront, les payeront, ou plutôt surveilleront, contrôleront, épureront tous les services.

Les termes de leur Commission les autorisent à intervenir dans toutes les affaires d'administration — et même de s'immiscer dans le commandement. Ils doivent se trouver aux conseils de guerre, connaître de tous crimes, délits, abus et malversations qui seront commis en l'armée, avoir l'œil à la direction, maniement et distribution des deniers du roi ; ordonnancer les états de paiement dressés par le général en chef, contrôler les opérations des trésoriers, se faire présenter les extraits des montres et revues pour avoir l'effectif vrai des régiments et des compagnies. Ils surveillent les comptables ; ils surveillent les fournisseurs. Ils construisent des ponts, élèvent des fortifications, distribuent des vivres, des vêtements, des couvertures aux troupes.

Ils sont les administrateurs de l'armée et ils en sont les grands juges. Ils connaissent, privativement aux prévôts des bandes, aux prévôts des maréchaux et aux juges ordinaires, des crimes et délits commis par les gens de guerre hors de dessous leurs cornettes et drapeaux et hors des factions militaires, comme aussi dans le quartier du général lorsque nos dits gens de guerre marchent ou séjournent en corps d'armée, délimitation très vague qui leur permet d'empiéter sur les juridictions concurrentes. Le gouvernement ne les trouvait jamais assez hardis. Des officiers s'étant approprié l'argent destiné à recruter des hommes, Le Tellier demanda l'autorisation de sévir ; il reçut en réponse un blâme. Le roi a trouvé fort mauvais que vous n'ayez pas fait mettre la main sur le collet à ces officiers... elle (Sa Majesté) vous a fort blâmé de ce qu'ayant appris le mal vous n'en ayez pas fait faire un exemplaire châtiment.

Les intendants devaient avoir l'œil à tout et à tous. Aux occasions qui se présenteront pour les affaires d'État, recommandait le surintendant des finances, Bullion, à Le Tellier, il en traitera en particulier avec M. le comte d'Harcourt. Lasnier, intendant de l'armée de la Valteline, était sûr, en contrecarrant Rohan, de plaire à un ministre qui mettait auprès des généraux certains personnages de robe longue comme espions et observateurs de leurs actions.

Richelieu appréhendait de laisser à un seul homme la disposition d'une armée. Le maréchal de La Force, le bonhomme La Force, est doublé du maréchal de Brézé, beau-frère du cardinal. L'armée d'Italie a à sa tète trois maréchaux de France, D'Effiat, Marillac, Schomberg. Les Pays-Bas sont envahis, en 1635, par le maréchal de Châtillon assisté de Brézé. Trois corps d'armée, commandés par le cardinal de La Valette, le duc de Candale, et La Meilleraye, coopèrent au siège d'Hesdin ; trois maréchaux de France, Châtillon, Chaunes et La Meilleraye assiègent Arras. Le Cardinal de Sourdis est chef des Conseils du roi en l'armée navale près le sieur d'Harcourt qui en est le commandant en chef. On imagine les conflits. Les généraux allaient deux par deux, trois par trois, et commandaient alternativement chacun une semaine. D'ailleurs Richelieu ne mettait à la tète des armées que des hommes sûrs : le prince de Condé, La Force, Châtillon, ou ses parents : Brézé et La Meilleraye.

Ces généraux ne savaient pas la guerre. Ils avaient pour tout apprentissage militaire le siège de quelques places protestantes et ces deux campagnes d'Italie où la furie française, à Suze et à Veillane, avait tout fait.

Cependant l'art de la guerre s'était transformé, Waldstein levait des armées de 50.000 hommes et les faisait vivre. Gustave-Adolphe avait inauguré ces courses à travers l'Allemagne, où ses lieutenants excelleront. Il avait abandonné l'ordre en rangs profonds et, pour opposer un front plus étendu à des ennemis plus nombreux, se contentait d'une ligne de mousquetaires, couverte par une ligne de piquiers. Ses régiments, formés de bataillons et de compagnies d'égale force, évoluaient sans désordre et se mouvaient avec rapidité. Mais les leçons de tactique et de stratégie étaient perdues pour les généraux français ; ils ne savaient diriger ni une campagne ni une bataille. Ils se traînaient de siège en siège. Seuls, parmi les Français, Rohan, banni, employé loin de France à Venise et chez les Grisons, et Guébriant sont de véritables hommes de guerre.

Mais à l'école de l'expérience, une seconde génération se forma bien supérieure à la première. Un cadet de la maison de Lorraine-Elbeuf, le Comte d'Harcourt, se distingua en Italie. Il eut pour maréchal de camp Turenne, et celui qui fut le grand Condé fit, en 1640, ses premières armes comme volontaire à l'armée de Picardie.

 

II. — LA MARINE.

RICHELIEU pouvait, presque sans exagération, dire à Louis XIII que le feu roi son père n'avoit pas un seul vaisseau.

Lors du siège de La Rochelle, Richelieu était parvenu à réunir une flotte dont le principal mérite était d'être nombreuse. Mais il voulait mieux. Il avait acheté en 4626 au duc de Montmorency la charge d'amiral de France ; il en étendit les attributions qu'il exerça sous le nom de grand maître chef et surintendant de la navigation et du commerce.

Il y avait des amirautés provinciales qui n'avaient jamais reconnu l'autorité de l'amiral de France. Les gouverneurs de Bretagne et de Provence se disaient amiraux en leurs provinces. L'amiral de Guyenne prétendait commander sur la mer Océane depuis le pays de Retz (au sud de la Loire) jusqu'à la Bidassoa. II ne restait à l'amiral de France que les côtes de Normandie et de Picardie. Richelieu se fit nommer gouverneur de Bretagne ; il se débarrassa du duc de Guise, gouverneur de Provence. Quand il donna au duc d'Épernon le gouvernement de la Guyenne, il lui fit probablement ses conditions.

La puissance en armes, écrit Richelieu, requiert non seulement que le roi soit fort sur la terre, mais aussi qu'il soit puissant sur la mer. Sans flotte, la France est exposée aux insultes de l'Angleterre ; avec une flotte très forte, elle tiendra en respect tous ses voisins, elle fera trembler l'Espagne pour ses galions d'Amérique, unique source de sa subsistance, et pour ses places maritimes, et elle l'obligera à développer tellement sa marine que la plus grande partie du revenu des Indes se consommera en frais pour conserver le tout. Elle contraindra au respect des traités les Barbaresques dont l'infidélité naturelle est si grande qu'on ne peut s'en garantir que par la force.

Richelieu voulut d'abord se rendre compte de l'état de la marine.

Du camp devant Privas, avant même d'avoir achevé la défaite du parti protestant, il fit partir (31 mai 1629) Louis le Roux, sieur d'Infreville, qualifié de commissaire général de la marine, pour inspecter les côtes et les ports de l'Océan, les officiers qui y commandent, les magasins et les vaisseaux qui s'y trouvent ; pour vérifier les droits des seigneurs riverains et s'enquérir des vaisseaux marchands qui peuvent armer en guerre et des capitaines, patrons, charpentiers, canonniers et matelots qui sont esdites côtes.

Le rapport de D'Infreville est daté du 23 mars 1631. Les côtes semblaient appartenir aux villes et aux seigneurs plus qu'au roi. A Calais, Boulogne, Abbeville, Dieppe, Saint-Valéry-en-Caux, Fécamp, Le Havre, Caudebec, Honfleur, Carentan, Granville, Saint-Malo, Morlaix, Roscoff, Le Croisic, Nantes, Blaye, Bordeaux, etc., les ports et les quais étaient entretenus par les villes au moyen de droits d'octroi autorisés par le roi ou d'autres droits, comme le droit d'ancrage[5], usurpés sur lui. Le duc de Mantoue (Nevers), à Saint-Valéry-sur-Somme, l'abbé de Saint-Étienne de Caen, à Dive ; M. de Vendôme, à Saint-Gilles-sur-Vic (Poitou) ; le marquis de Royan aux Sables-d'Olonne levaient des taxes pour des travaux de construction et d'entretien qu'ils exécutaient bien ou mal. Il y avait des privilégiés, pourvus de rémunérations sans charges : à La Rochelle, le duc d'Elbeuf percevait un droit de droguerie et d'épicerie ; le curé de Port-en-Bessin prélevait sur toutes les pêches un poisson, qu'on appelait le poisson Saint-André ; au même Port-en-Bessin, un prébendier de Bayeux prétendait un droit du vingtième poisson, qui se baille à ferme trois cents livres. Les religieux de Saint-Wandrille (sur la Seine) prenaient, en tout temps, quatre deniers sur chaque vaisseau montant et descendant, et, la semaine de la mi-carême, cinq sous. A Brest, le gouverneur du château fait visiter les navires marchands et pour chaque visite lève dix sous. Le sieur de Rambures, qui s'intitule vice-amiral de Picardie, prend vingt sous par bateau qui aborde au Crotoy.

Pour être décentralisé, le service des côtes n'en était pas mieux fait. Le ponde Boulogne se ruine et dépérit ; le quai de Dieppe est mal entretenu. Vers Cherbourg il y a des pirates français qui ont commission du roi d'Espagne. Ils déprèdent les vaisseaux normands et sont soutenus par ceux du dit Cherbourg et gentilshommes voisins. Le port de Granville est négligé, quoique bon. A Nantes il se fait peu de travail à l'entretien du canal de la rivière, lequel diminue. Le phare des Sables-d'Olonne est en mauvais état ; le quai de Saint-Martin-de-Ré tombe en ruines. A Brouage il n'y a aucuns deniers destinés pour le port, auquel il ne se fait aucun travail, quoiqu'il se remplisse et bouche de vase. La navigation de la Dordogne et la Garonne est aussi incommode et difficile que grevée de droits.

Cependant la marine du roi se formait. On construisait des vaisseaux grands et petits, à Dieppe, à Fécamp, à Honfleur, à Saint-Malo, au Conquet, à Brest, à Concarneau, à Coueron, à Bordeaux, — à Brouage, dont Richelieu voulait faire, malgré les vases, le grand port de l'Océan. En la rivière de Vilaine, à La Roche-Bernard, le sieur de Beaulieu, capitaine du roi et l'un des plus habiles ingénieurs de la marine, avait mis en chantier un vaisseau de douze cents tonneaux, long de 200 pieds, large de 46, et dont le grand mât était haut de 216 pieds. C'était la Couronne, que le P. Fournier, aumônier de la flotte de Louis XIII, vante pour sa masse et sa légèreté. Le chevalier de Cangé avait fait plus grand encore ; le navire qu'il venait de lancer sur la Loire jaugeait 1.700 tonneaux.

On pouvait, disait encore D'Infreville, transformer en navires de guerre six vaisseaux de Dieppe, 2 de Honfleur ; 32 terre-neuviers de Granville et de Port-Bénie, et quarante navires de Saint-Malo, de 2 à 300 et même 400 tonneaux, armés, à l'ordinaire des marchands, de canons de fer, depuis dix jusqu'à vingt-six pièces.

Le gouvernement achetait des canons à l'étranger, surtout en Hollande, et il en faisait fabriquer en France par les maîtres de forges, à Châteaulin, à Auray, dans le comté de Laval. Il n'avait point d'arsenaux. A Boulogne il a été loué un magasin pour serrer les agrès et apparaux d'un navire anglais échoué. Au Havre, sur l'emplacement de l'ancien magasin pour la marine, un sieur Goujon s'était fait bâtir une maison. A Brest, du magasin construit sous François Ier, il ne restait que les quatre murs.

Cependant à Brouage et à La Rochelle il y avait des magasins de la marine.

Ces côtes, où l'insécurité ruine le commerce et trouble la pêche, sont désertées par les marins. Beaucoup s'engagent à l'étranger. De la Somme à la Bidassoa, de Cayeux à Bayonne, il n'y a que soixante capitaines, quarante six patrons (de barques), cent cinq maîtres (d'équipage), cinq mille trois cent soixante matelots, 820 charpentiers, 200 canonniers.

L'inspection des côtes de Provence fut confiée, en 1633, à Henri de Séguiran, seigneur de Bouc, premier président de la Cour des comptes, aides et finances de Provence, qui mena avec lui Jacques de Maretz, professeur es mathématiques de la ville d'Aix pour dresser le plan des villes et villages, le long de la côte.

Il y avait dans le port de Marseille et aux îles 11 vaisseaux français de 300 à 1.000 tonneaux, 1 vaisseau vénitien et 1 vaisseau anglais, tous navires marchands formidablement armés.

Trois vaisseaux de guerre appartenant au duc de Guise, la Vierge, la Sainte-Marie dit Pélicorne, et la Salamandre de 600 à 1.000 tonneaux, avaient été désarmés, et les boulets, les canons, les mousquets transportés aux magasins qui sont au logis du roi ou dans la salle d'armes du même logis.

Les navires étaient mieux pourvus que les forts. Au Château d'If, au fort de Ratonneau, à la Tour de Saint-Jean dit Pomègue, beaucoup de pièces étaient mal montées, mal affûtées, éventées. Au château de Cassis, qui appartenait à l'évêque de Marseille, Séguiran ne trouva qu'un concierge, serviteur domestique de l'évêque, qui lui fit voir ladite place, où il y avait seulement deux fauconneaux (dont l'un était éventé), cinquante mousquets, cinquante livres de poudre et vingt boulets.

La communauté de La Ciotat, qui comptait 2 500 marins, se gardait bien. Elle dépensait tous les ans sept à huit cents livres pour l'entretien de la forteresse bâtie à l'entrée du port.

A Toulon, les torrents du Las et de l'Osgotiel (aujourd'hui l'Eygoutier) charriaient une si grande traînée de pierres, graviers et limons qu'ils en remplissaient le port. Séguiran avisa au moyen de les détourner. Sur le quai, se trouvaient nombre de canons et d'autres pièces d'artillerie appartenant au roi. Dans la tour de Toulon, était gouverneur pour le roi le sieur Martin, un bonhomme dont Sourdis disait, quelques années après, qu'il n'avait pour toute garnison que sa femme et sa servante et qu'il se plaignait de n'avoir pas reçu un denier depuis vingt ans. Séguiran, sur quatre pièces, en trouva trois d'éventées.

La Méditerranée était infestée de pirates, musulmans ou chrétiens, contre qui les riverains se défendaient comme ils pouvaient. Les gens de La Ciotat avaient installé, sur l'une des pointes du cap de l'Aigle, en une logette, aux gages de 13 livres 10 sous par mois, un homme expert en la navigation, qui prenait garde à tous les navires de passage. Depuis Antibes jusqu'à Port-de-Bouc, des guetteurs, perchés en de pareilles logettes, avertissaient les habitants des apparitions suspectes.

Aux Salins d'Hyères, où le port était bon, les corsaires abordaient en toute liberté ; bien souvent, ils forçaient les commis de la Gabelle à fuir, pillaient leur mobilier, emportaient le sel. A Bormes, ils débarquaient presque tous les jours. Ils avaient ruiné entièrement le commerce de Saint-Tropez.

Dans les îles Lérins, la citadelle de Sainte-Marguerite, avec deux fauconneaux, cinquante boulets, deux pierriers et cinquante livres de poudre, n'était pas en mesure de protéger les alentours. Antibes, boulevard de cette frontière, avait un château gardé par des mortes-payes et des fortifications inachevées. Les quelques barques de négoce que les habitants possédaient encore, dix ou douze ans auparavant, avaient été prises par les corsaires d'Alger.

A l'autre bout de la Provence, les Barbaresques avaient pris, depuis quatre mois, et emmené en esclavage quatre-vingts mariniers des Martigues. La terreur régnait sur toute cette côte.

Cependant Séguiran comptait plus de 7.000 marins en Provence et il ne les comptait pas tous.

Richelieu pressa la construction des flottes nécessaires sur l'Océan comme sur la Méditerranée. La marine de l'Océan et de la Manche ou, comme on disait, du Ponant avait les plus gros vaisseaux : la Couronne de 1.200 tonnes, le Navire du Roi de 1.000, la Licorne de 600 ; les Trois Rois, le Coq, le Corail, le Saint-Louis de Hollande et le Saint-Louis de Saint-Jean de Luz de 500, etc., répartis en trois escadres, Bretagne, Guyenne, Normandie. La flotte que commandaient, en 1636, le Comte d'Harcourt et Sourdis était forte de 39 vaisseaux, montés par 5.530 hommes et jaugeant ensemble 11.800 tonneaux. Ces chiffres ne furent guère dépassés.

Dans la Méditerranée, le navire de guerre préféré, c'est la galère, qui, allant à rames, n'est pas immobilisée par les calmes et même, au besoin, pousse droit dans le vent. Avec leurs équipes de vigoureux rameurs, les Barbaresques défiaient la poursuite des vaisseaux à voiles. Quand Richelieu arriva au pouvoir, la flotte de la Méditerranée ou du Levant consistait en quelques galères, qui pourrissaient dans les ports. Il résolut d'en faire construire immédiatement 30 et d'affecter tous les ans 240.000 écus à leur entretien.

Mais il y avait un préjugé contre les galères et il n'était pas facile de se procurer des rameurs. Les bonevoglie (rameurs de bonne volonté) étant peu nombreux, il avait fallu se rabattre sur les forçats ; la profession en fut déshonorée. Et puis, le maniement de la rame, surtout dans les courses de vitesse, essoufflait les hommes à les briser ; les nuits de sommeil sur les bancs de vogue n'étaient qu'à moitié réparatrices. A terre, les forçats croupissaient dans des bagnes infects. Aussi la fatigue, la mauvaise nourriture, la saleté décimaient cette population, et les arrêts des tribunaux ne suffisaient pas à combler les vides. Le gouvernement recommandait aux parlements de condamner plus aux travaux forcés qu'à mort et moins à la prison qu'aux travaux forcés. Il fit même ramasser et envoyer aux galères les mendiants, les vagabonds et les gens sans aveu, sous prétexte qu'on ne sauroit mieux employer l'autorité de la justice qu'en privant de la liberté ceux qui en ont usé avec trop d'excès. Naturellement les Barbaresques pris en mer étaient, si on ne les pendait pas, enchaînés à la vogue. Mais, malgré tout, il était difficile de se procurer les 7 à 8.000 rameurs nécessaires. Aussi voyons-nous que l'escadre du Levant n'eut jamais plus de 22 galères.

Le généralat des Galères appartenait, depuis 1598, aux Gondi. Richelieu leur acheta la charge en 1633 et la donna à un de ses neveux, le marquis de Pont-Courlay. Ainsi le grand maitre s'assura la supériorité que prétendait le gouverneur de Provence, amiral-né du Levant, sur le général des galères.

Richelieu voulut avoir aussi de gros vaisseaux dans la Méditerranée : 24 en 1640. A l'occasion il réunissait pour une action commune les flottes du Levant et du Ponant. En septembre 1642, il y avait, dans la rade de Toulon, 63 vaisseaux et 22 galères, toutes les forces navales de la Méditerranée et de l'Océan.

La construction des flottes était allée plus vite que l'organisation des ports, du personnel, du matériel. Richelieu fit bâtir et nettoyer le paradis et la chambre de Brest, le bassin du Havre, les havres de Brouage et de La Tremblade, sans y établir ni magasins, ni arsenaux. Il n'avait même pas de ports aménagés pour réparer ses escadres. Brouage, où il avait dépensé en fortifications plusieurs millions, était sur un estuaire, embarrassé de navires coulés et qui s'envasait sans remède. Il reconnut l'excellence de la situation de Brest trop tard pour y faire travailler beaucoup. Toulon était tout désigné pour être le port militaire de la Méditerranée, et Richelieu y avait, même avant 1633, envoyé les galères. Et cependant, en novembre 1641, le sieur Arnoux, délégué en Provence comme commissaire général de la marine, faisait acheter en toute hâte, dans le Dauphiné, le Lyonnais, le Vivarais, des planches, du chanvre, des cordes, des toiles ; il bâtissait trente magasins à l'extrémité du port ; il faisait placer en un même endroit les bois de construction. L'État achetait des navires à l'étranger ou aux particuliers, mais il commençait à mettre lui-même en chantier. Comme il n'y avait pas en France beaucoup de bons constructeurs, les mécomptes étaient grands. Un document officiel de 1641 se plaint des vaisseaux qui se sont ouverts à la mer et de tant d'autres qui se sont perdus de leur propre poids sans naviguer. A voir ces improvisations et ces coups de volonté, pour suppléer aux ressources d'une administration régulière, on pense, sans le vouloir, aux procédés et aux hommes de la Convention.

Le Grand maître, chef de la marine, a sa maison civile et militaire : 6 gentilshommes entretenus, 2 secrétaires pour les expéditions, un médecin, un chirurgien, un apothicaire et des gardes. Il est assisté d'un Conseil de marine[6], et pourvu, pour la correspondance, d'un secrétaire général de la marine, le sieur de Maunoy, conseiller du Roi. Richelieu fit de son oncle, le commandeur de La Porte, une sorte d'intendant général de la marine. Pour exécuter ses volontés, il disposait de 38 commissaires ordinaires, au traitement minimum de 300 livres chacun, de trois commissaires généraux et d'un contré leur général, au traitement minimum de 1200 livres.

Il y avait trois gardes généraux des magasins de la marine en Normandie, en Bretagne, en Guyenne, et probablement aussi un garde général des magasins en Provence (car les états de la marine du Levant manquent) ; des lieutenants et des commissaires de l'artillerie étaient plus particulièrement chargés des dépôts d'armes. On voit aussi que l'État entretient en 1633, dans la marine du Ponant, 8 canonniers, 4 pilotes et hydrographes et 3 charpentiers constructeurs ; c'est le début très humble de services aujourd'hui considérables.

Quelques historiens veulent que Richelieu ait, comme le fit plus tard Colbert, réparti tous les marins en classes, successivement ou toutes à la fois mobilisables, à la volonté du roi. En réalité les enquêtes faites par D'Infreville et Séguiran ne visaient qu'à dresser le compte des marins disponibles, sans préjuger rien sur le droit de l'État de les contraindre au service. Or le service obligatoire, compensé d'ailleurs par des avantages appréciables, est une des principales parties du système de l'Inscription maritime. Mais Richelieu n'eut jamais recours qu'aux engagements volontaires, sollicités d'ailleurs par de forts salaires. Un simple matelot touchait, en 1635, 21 livres par mois, savoir 12 livres pour la solde et 9 livres pour la nourriture[7]. Il est vrai que l'État, toujours besogneux, ne payait pas mieux la marine que l'armée. Pour avoir plus d'hommes à enrôler, le roi, lors de la déclaration de guerre à l'Espagne, commanda (2 nov. 1636) à tous matelots et gens de marine de quitter leur service à l'étranger et de rentrer dans le royaume, à peine de la vie.

La grande ordonnance de 1629, connue sous le nom de Code Michaud, avait décidé (art. 135) d'adjoindre aux canonniers en fonction cent cinquante canonniers de réserve, à qui le Roi donnerait une solde de 50 livres par an pour les avoir toujours disponibles ; — et cent cinquante apprentis canonniers, jeunes matelots, qui, dans l'intervalle de leurs voyages, s'exerceraient au tir du canon trois fois la semaine et recevraient chacun pour ce service dix livres par an. Mais ce projet ne fut pas plus exécuté que celui de la création d'une École de marine où 16 jeunes gentilshommes seraient entretenus à 400 livres de pension annuelle.

Cependant l'État ne manqua ni de matelots ni d'officiers. Chaque vaisseau était commandé par un capitaine, un lieutenant et un enseigne, et, sous leurs ordres, par des officiers mariniers en nombre variable : maitre, pilotes, contremaîtres, quartiers-maîtres, maîtres de misaine, maitre et compagnons canonniers, maitre valet (calier) et compagnon (calier), etc., caporaux (d'armes) et prévôt (capitaine d'armes), etc. Il y avait dans les plus gros vaisseaux un écrivain, analogue à nos commissaires du bord, un chirurgien et son barberot (aide) et un aumônier, d'ordinaire un Jésuite.

Tous les capitaines de vaisseaux étaient indépendants les uns des autres ; mais, quand ils naviguaient en escadre, l'un d'eux, à titre de chef d'escadre, avait autorité sur ses collègues. Au-dessus des chefs d'escadre étaient un ou plusieurs amiraux qualifiés de lieutenants généraux du roi ou encore de Chef des Conseils du roi en son armée navale. Ces commandants en chef des forces de mer n'étaient pas nécessairement des marins, tandis que les chefs d'escadre et les capitaines étaient toujours des professionnels.

Il y avait des officiers roturiers, qui, comme le capitaine Giron, le capitaine Daniel, le capitaine La Chesnaye et notre grand Duquesne, étaient, le plus souvent, des capitaines marchands passés au service de l'État. C'est à ces loups de mer qu'on confiait les besognes difficiles : par exemple, en 1636, le commandement des six brûlots de la flotte. L'Ordre de Malte était la grande école navale de la jeunesse noble. Beaucoup de cadets, surtout en Provence et en Languedoc, allaient servir sur les galères de l'Ordre et, dans leurs croisières contre les corsaires barbaresques, apprenaient la marine et la guerre. Pour être chevaliers de Malte, ils ne cessaient pas d'être sujets du roi, à qui ils fournissaient un personnel tout formé d'officiers de marine. L'inspecteur général de la marine, La Porte, était commandeur de l'Ordre, comme le commandant de l'escadre de Bretagne, Des Gouttes. Isaac de Razilly, qui négocia un traité avec le sultan de Maroc, Des Roches, Pontac, etc., étaient des chevaliers de l'Ordre. Les galères de la Méditerranée étaient menées par des chevaliers, des baillis, des commandeurs : Forbin, Castellane, La Valette, etc. Au-dessus d'eux se plaçait, pour l'expérience et la bravoure, le chevalier Paul, fils, dit-on, d'une blanchisseuse du château d'If.

Pour donner à la marine nouvelle le règlement et le code dont elle avait besoin, le Commandeur de La Porte réunit à Brouage, en 164e, le Conseil de Marine et lui soumit un projet dressé par le sieur de Manty, chef d'escadre en la province de Guyenne, et, marin très expérimenté.

Manty dit quelles connaissances et quelles qualités sont requises du matelot et du capitaine. Il détermine le rôle de chacun : lieutenant, maitre d'équipage, pilotes, contremaîtres, etc. Il fixe les peines. Il demande que, pour avoir à l'avenir de bons navires, on prenne l'avis, toutes les fois qu'il s'agira d'en construire un, de six ou sept capitaines français et de trois charpentiers étrangers, flamands ou anglais, bien experts. Il propose d'établir en chaque escadre, comme chez les Hollandais, un fiscal ou docteur qui tienne le Journal du bord, transmette les ordres de l'amiral, et juge les officiers et capitaines en Conseil de guerre, assisté du chef d'escadre et d'au moins neuf capitaines.

Il veut que le chef d'escadre soit bon connaisseur de la mer et de la guerre sur mer, et qu'il soit actif. Il chassera tout le jour, toutes voiles dehors. En cas de rencontre, si les ennemis se trouvent égaux de canon, [il] les doit aborder furieusement et en venir aux mains ; s'ils sont plus faibles, les canonner à bout portant jusqu'à ce qu'il les voie en déroute et qu'il ait obtenu la victoire. Que tous les capitaines aient perpétuellement devant les yeux et se souviennent que le roi leur a mis entre les mains lesdits navires pour y mourir plutôt que de les rendre à ses ennemis et y commettre la moindre lâcheté du monde.

Il y avait un autre règlement (probablement perdu) de ce qui se devait faire dans les pays étrangers.

Manty n'avait pas cherché à faire une œuvre originale ; les punitions, très rigoureuses, étaient empruntées aux Hollandais ; il le déclare nettement. Ailleurs encore il invoque l'autorité des Hollandais, maîtres dans l'art de la navigation.

Mais ce règlement que Richelieu n'eut probablement pas le temps d'examiner est intéressant comme indication et comme tentative. Colbert s'en inspirera dans ses deux Ordonnances sur la marine.

 

 

 



[1] SOURCES : Avenel, Lettres du cardinal de Richelieu, II-VIII. Mémoires du cardinal de Richelieu, Mich. et Pouj., 2e série, VII-IX. Maximes d'État ou Testament politique d'Armand Du Plessis, cardinal duc de Richelieu, 1re et 2e partie, 1764. Mercure François, passim et surtout XIII et XVIII. Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, XVI. Robillard de Beaurepaire, Cahier des États de Normandie sous Louis XIII et Louis XIV, III, 1878. Mémoires de Mathieu Molé, S. H. F., II, 1855. Correspondance de Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, p. p. Eugène Sue, I et III, Coll. Doc. inédits, 1839. Le P. Fournier, Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, 1643. Mémoires de Messire Robert Arnauld d'Andilly, Mich. et P., 2e série, IX.

OUVRAGES À CONSULTER : Caillet, L'administration en France sous le ministère du cardinal de Richelieu, 1863, II. D'Avenel, Richelieu et la monarchie absolue, 1895, III. N.-L. Caron, Michel Le Tellier, son administration comme intendant d'armée en Piémont, 1640-1643, 1880. Gabriel Hanotaux, Origines de l'institution des intendants des provinces d'après les documents inédits, 1884. D'Aumale, Histoire des princes de Condé, III, 1886. Jules Roy, Turenne, sa vie et les institutions militaires de son temps, 1884. C. J. Bourelly, Le maréchal de Fabert, 3e éd., 1885, I.

[2] Villegomblain dit qu'au licenciement de 1598 Henri IV ne conserva que trois compagnies de chevau-légers et deux compagnies de gens d'armes.

[3] Il devrait dire involontaire.

[4] Le terme de colonel est alors surtout en usage dans les troupes étrangères.

[5] Droit perçu sur les navires étrangers.

[6] Il faut donc ajouter ce Conseil de marine aux autres sections du Conseil du roi.

[7] Il avait donc (d'après les calculs de D'Avenel) un salaire d'environ 56 francs par mois, un peu intérieur à celui des simples matelots des Messageries et des Transatlantiques, mais deux fois plus fort que la solde des marins de l'État.