I. — L'OPPOSITION CONTRE LES FAVORIS. LE gouvernement avait triomphé des États, mais il n'en était pas plus fort. Les ministres, Villeroy, Jeannin, Sillery, sont des septuagénaires, des hommes de second rôle, des premiers commis dont le hasard a fait des ministres dirigeants, et qui sont obligés de compter avec la Reine, inintelligente et paresseuse, avec la coterie ultramontaine et surtout avec Léonora Galigaï et Concini. C'est un singulier personnage que ce Florentin, disparu avant d'avoir donné sa mesure, sorte de premier ministre en expectative, un Mazarin avant la lettre, et qui n'eut pas ses moyens d'action. Car c'est pure hypothèse de l'imaginer amant de Marie de Médicis. Qu'aurait-il fait s'il avait été le maitre, comme Mazarin le fut d'Anne d'Autriche et du pouvoir ? Il était avide, comme Mazarin, indifférent comme lui aux injures — et, de plus, il était brave. Son principal but était assurément d'élever sa fortune aux plus hautes dignités où puisse venir un gentilhomme, mais avait-il pour second désir la grandeur du roi et de l'État, et, en troisième lieu, l'abaissement des grands du royaume, et surtout de la maison de Lorraine ? C'est Richelieu qui lui prête ce programme politique, et qui le défend d'avoir été un simple aventurier. Jusqu'en 1615, il semble n'avoir eu de crédit que celui qu'il tenait de sa femme. Léonora est son appui et son conseil, elle le soutient et le contient, mais les douleurs de tête, les troubles nerveux, les vapeurs dont elle était tourmentée redoublèrent. Elle essayait des remèdes étranges, faisant bénir par un prêtre des coqs et des pigeonneaux, qu'elle s'appliquait sur la tête pour trouver quelque allègement à ses peines. Elle devenait avare avec démence ; elle avait des crises violentes, pendant lesquelles elle ne ménageait ni son mari ni la Reine. Concini s'émancipa un peu et fit lui-même figure de favori. L'opinion, sans distinguer, rendait le mari et la femme responsables de toutes les fautes du gouvernement. Elle incriminait leur origine étrangère, leur fortune, leur entourage. Léonora, avec la permission du pape, gardait près d'elle un médecin juif, Elien de Montalto, en qui la reine (aussi) n'avoit pas peu de créance, et, à la faveur du médecin, les Juifs se glissaient dans Paris. Elle avait foi aux astrologues qui tiroient des nativités ou prédisaient l'avenir. Concini chérissait entre autres Côme Ruggieri, l'ancien ami de La Molle, qui, notoirement incrédule, avait vieilli doucement abbé de Saint-Mahé en Bretagne, et qui mourut en 1615 sans vouloir reconnoître pour rédempteur celui devant lequel il alloit comparoître pour être jugé. Le maréchal d'Ancre ayant voulu le faire inhumer en terre sainte, l'évêque de Paris y résista courageusement et le fit jeter à la voirie. Ce libertinage intraitable, ce prodige, comme dit Richelieu (et c'en était un pour le temps), fit que le roi bannit de Paris tous les Juifs. La faiblesse des ministres et l'impopularité des favoris étaient la force de l'opposition. Après la séance de clôture des États (26 février), les commissaires du roi avaient été d'avis d'abolir la paulette et, pour remplacer les 1.500.000 livres que le roi perdait, d'établir un impôt de 50 sols par minet de sel dans les pays de grandes gabelles et de lever un équivalent es autres pays. Le Parlement, menacé de la suppression de l'hérédité, s'agita. Sa clientèle de robins, de procureurs, d'huissiers était énorme et faisait l'opinion. Il suffisait, pour exciter le peuple, de crier contre le favori italien et de lui imputer la dilapidation du trésor de la Bastille et la menace de nouveaux impôts. Condé soufflait le feu. H fréquentait chez les gens de robe et montrait de l'amitié au président Lejay, à d'autres encore. Il donna même chez lui, le 23 février, un ballet où dansèrent de jeunes magistrats. La Cour se moqua du ballet des parlementaires, mais le Parlement en fut enorgueilli. L'usage était que toutes les Chambres se réunissent à la Grand'Chambre pour les séances solennelles ou extraordinaires. Pour parer aux désordres de l'État, parmi lesquels elles mettaient au premier rang la suppression de la paulette, es Enquêtes, composées des magistrats les plus jeunes et les plus ardents, demandèrent l'Assemblée générale, que le premier président, Nicolas de Verdun, refusa, le roi lui ayant fait défendre de l'accorder. Les Enquêtes répliquèrent que le Parlement n'estoit pas seulement estably pour rendre la justice aux particuliers mais encore constitué pour avoir l'œil à la conservation de l'Estat. Le 9 mars, elles envahirent la Grand'Chambre, pour aviser, disaient-elles, aux affaires non pas pour le seul sujet de la paulette, mais du royaume, qui estoit regy et gouverné à la volonté de deux ou trois ministres de l'Estat, qui bouleversoient les règles et loix de la monarchie. Le Premier Président fut entraîné ; il autorisa la réunion. La plupart voulaient dresser immédiatement des remontrances, le Premier Président, députer tout d'abord au roi pour lui faire entendre l'intention du Parlement. Mais la majorité fut d'avis de se passer d'autorisation et, Verdun déclarant qu'il périrait plutôt que de permettre que l'Assemblée délibérât sur des choses de telle importance sans que le roi fut adverti, toute la matinée se passa en contrastes. Le 10 mars, la Cour craignit une déclaration contre le maréchal d'Ancre et défendit à Condé de paraître au Parlement. Mais elle n'osa pas défendre l'assemblée des Chambres qui, le 10 et le 11 mars, décida de faire des remontrances et d'ajourner l'exercice de la justice jusqu'à ce qu'on connut la réponse du roi aux cahiers des États généraux. Quand Marie s'avisa de licencier définitivement les députés (24 mars), le Parlement riposta hardiment ; le 28 mars, il invita, sous le bon plaisir du roi, les princes, ducs et officiers de la Couronne à se trouver au Parlement. C'était la première fois qu'il osait, de sa propre autorité, convoquer les ducs et pairs pour délibérer sur les affaires de l'État. La réserve sous le bon plaisir du roi était purement formelle ; personne n'y aurait songé sans le greffier en chef, épouvanté de tant d'audace. La Reine interdit la réunion. Le Parlement s'obstina. Pour l'apaiser, elle fit, par arrêt de Conseil (13 mai 1615), ajourner au premier jour de l'an 1618 la suppression déjà arrêtée du Droit annuel et de la vénalité des charges. Mais elle n'évita pas les remontrances que le Premier Président et quarante magistrats suivis sur le chemin de la multitude du peuple allèrent lui présenter (22 mai 1615). Le Parlement affirmait son droit d'intervenir dans les affaires publiques, comme tenant lieu de l'ancien Parlement des barons, et justifiait sa prétention par de nombreux exemples : il avait poussé Charles V à déclarer la guerre au roi d'Angleterre et, sous Charles VI, moyenné l'accord entre les maisons d'Orléans et de Bourgogne ; il avait fait des remontrances à Louis XI, contre la suppression de la Pragmatique, et avait été loué de son zèle par ce prince si jaloux de son autorité ; il avait soutenu Louis XII contre le pape Jules II, conseillé la régente Louise de Savoie pendant la captivité de François Ier et concerté les traités de Madrid et autres conclus avec Charles-Quint. Il avait conservé la loi salique par son arrêt en faveur de Philippe de Valois — et par un autre arrêt, qui, fortifié de la valeur d'Henri IV, avait empêché la couronne d'être transférée en main étrangère. Lors du détestable parricide du Roi défunt, n'avait-il pas aussi, par l'arrest mémorable à jamais, détourné prudemment les orages qui semblaient menacer l'État. Ce rôle politique était naturellement dévolu à un corps qui ne s'est jamais séparé et desuny du chef auquel il est toujours, au plus mauvais temps et plus rudes saisons, tellement joint qu'on ne l'a point veu se despartir de l'obeissance des rois précédents. Il rappelait l'article du Tiers. Le
plus grand regret de votre Parlement, Sire, et qui le touche le plus
sensiblement, est d'avoir veu dans la ville capitale de France, à la face des
Estats, en presence de vostre Majesté, de la Reine vostre Mère, des Princes
et Seigneurs, qu'on a voulu rendre vostre puissance souveraine douteuse et
problématique... Discrètement, il blâmait la politique extérieure,
suppliant le Roi de considerer combien il est
necessaire d'entretenir les anciennes Alliances et Confédérations
renouvellées par le feu Roy. Il dénonçait la présence au Conseil de personnes introduites, depuis peu d'années, non par leurs
mérites et services rendus à vostre Majesté, mais à la faveur de ceux qui
veullent y avoir des creatures. Précisant contre le maréchal d'Ancre,
toujours sans le nommer, il demandait que les gouvernements des provinces et
places d'importance, les charges et dignités militaires ne fussent donnés
qu'à des naturels François, intéressés à la
conservation de l'État. II demandait aussi au Roi de réprimer
toutes intelligences, conseils secrets, habitudes et communications trop fréquentes
de ses sujets, tant ecclésiastiques qu'autres avec
les ambassadeurs des princes étrangers ; dénonciation générale qui
visait surtout l'entente du Clergé avec le nonce du pape. Plus hardiment encore, il réclamait qu'il fût fait recherche de toutes nouvelles sectes et gens infames qui se sont coulez à Paris, es maisons des grands, près de vostre Cour, depuis peu d'années, comme Anabaptistes, Juifs, magiciens et empoisonneurs, — et qu'on défendît à toutes personnes de les attirer par dons ou promesses, afin d'empêcher que ceux là n'approchent de vostre personne Sacrée, qui sont ennemis du nom chrestien et s'efforcent d'establir une Synagogue en vostre ville de Paris.... Il signalait le mépris de la justice, les empiétements du Conseil privé sur les Cours souveraines et les concussions des personnages les plus considérables. Il est tout notoire, disait-il, qu'aucuns conseillers d'État, ou autres ayant le maniement de vos affaires des finances, s'associent avec les partisans ou retirent d'eux des pensions ou des presens, pour leur faire adjudication de vos fermes et parties casuelles. — Les finances sont ruinées par la dissipation et profusion, qui, depuis le décès du feu roi, est incroyable. On a cessé de payer de grandes sommes à plusieurs princes, potentats et republiques estrangères ; il ne s'emploie plus de grands deniers aux bastiments superbes, et, néanmoins, au lieu d'excédents, il y a un déficit. Des quatorze millions de livres qui étaient à la Bastille ou entre les mains des trésoriers de l'Épargne, il n'en reste pas trois. Les dépenses de la maison du roi sont plus grandes qu'au temps d'Henri IV ; les pensions ont doublé et triplé. Le Roi est innocent des désordres, la Reine-mère est digne de louanges pour avoir sauvé le royaume d'un naufrage. Mais il y a des hommes qui traversent les sainctes intentions et résolutions de leurs majestés. — Pour pouvoir mieux informer de leur conduite, le Parlement supplie très humblement le Roi de lui permettre l'execution si necessaire de l'arrest du mois de mars dernier. Et au cas que ces remontrances, par les mauvais conseils et artifices de ceux qui y sont interessez, ne peussent avoir lieu..., vostre Majesté trouvera bon... que les officiers de vostre Parlement fassent cette protestation solennelle, sous vostre autorité, que... ils seront obligez de nommer cy-après les auteurs de tous ces désordres... afin d'y estre pourveu par vostre Majesté en temps opportun.... Pour la première fois, le Parlement s'attaquait à tous les abus en bloc et passait en revue la politique générale. C'était en raccourci un cahier d'États, mais agressif et visant plus les maux que les remèdes. En l'absence des États généraux, le Parlement est la voix qui crie le mécontentement public et, plus haut encore, les intérêts des Cours de Justice. La royauté lui avait conféré l'indépendance, en lui vendant l'hérédité des charges. Elle avait elle-même créé le pouvoir qui, dans l'abaissement de tous les autres, allait se dresser contre elle. Le lendemain, un arrêt du Conseil défendit au Parlement de s'entremêler à l'avenir des affaires d'État, et ordonna que l'arrêt du 28 mars, convoquant les princes, serait biffé sur les registres. Le Parlement refusa d'obéir. La Reine n'insista pas et se contenta d'une déclaration du Parlement, portant qu'il n'avait jamais entendu toucher aux actions de leurs majestés, encore moins à leurs personnes, et que par ses tres humbles remontrances, il n'a pensé entreprendre sur l'autorité du roi, mais y a été poussé par le seul zèle et affection à son service. II. — SUCCÈS ET CHUTE DU PRINCE DE CONDÉ. LA Reine s'était montrée conciliante pour ramener les princes, Bouillon, Longueville, Mayenne et Condé, qui, encore une fois, avaient quitté Paris et faisaient sécession. Marie se disposait à partir pour aller à la frontière faire l'échange des princesses et conclure les mariages, et naturellement craignait de laisser Condé derrière elle. Elle lui fit dire, par le duc de Nevers et Villeroy, son intention de l'emmener, mais il refusa de prendre un engagement avant d'avoir consulté ses alliés. Le secrétaire d'État Pontchartrain, lui porta une lettre de Louis XIII qui lui commandait de l'accompagner, ou bien de dire si son intention était d'y apporter refus ou difficulté (26 juillet). Condé s'excusa de ne pas suivre le Roi jusqu'à ce qu'on eût remédié aux maux de l'État dont il désignait les auteurs, le maréchal d'Ancre, le Chancelier, le commandeur de Sillery, son frère, les conseillers d'État Bullion et Louis Dolé, desquels il suppliait très humblement sa Majesté de faire justice au public. Le Roi leva deux armées, l'une pour l'escorter, l'autre pour surveiller les princes. Il partit le 17 août. Condé avait publié, le 9 août (1615), un manifeste où il accusait le gouvernement de n'avoir pas répondu aux cahiers des États, d'avoir fait rayer la proposition du Tiers, de prodiguer l'argent et les honneurs au maréchal d'Ancre et à ses créatures, d'inquiéter les protestants par les alliances d'Espagne. On voit courir des livres qui attribuent les malheurs de la France à la liberté de conscience ; le Clergé, dans son Assemblée générale, vient de jurer l'observation du Concile de Trente sans la permission de sa Majesté. Le Prince supplie le Roi de différer son départ, de répondre aux vœux des cahiers, de faire enregistrer son contrat de mariage au Parlement, d'écarter des affaires les étrangers et proteste que, si l'État continue à être aussi mal administré, il sera contraint d'en venir aux extrémités par la violence du mal. Condé voulait s'assurer le concours des protestants, réunis à ce moment à Grenoble (depuis le 15 juillet). L'Assemblée, qui avait reçu d'abord assez froidement son envoyé, accueillit mieux la proposition de poursuivre de concert la publication de l'article du Tiers, le rejet du Concile de Trente, la surséance des mariages. Elle écrivit au Roi (21 août) de ne pas continuer son voyage et se transporta à Nîmes, loin de Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné, dont elle se défiait. Tandis que le maréchal de Bois-Dauphin, avec une armée de 10.000 hommes de pied et de 2.000 chevaux, surveillait les mouvements des princes, le Roi se dirigeait vers Bordeaux et, de Poitiers, déclarait Condé et ses complices criminels de lèse-majesté (10 septembre). Le Parlement de Paris décida, le 13, à trois voix de majorité, que pour des raisons qu'il se réservait d'écrire au roi, il surseoirait pour un mois le registrement de la publication et neanmoins... fait défense à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de prendre les armes et faire assemblées et levées de gens de guerre, enjoint aux princes et officiers de la Couronne de se retirer près du roi et aux gentilshommes de rentrer en leur maison, sous peine d'être poursuivis comme criminels de lèse-majesté. Cependant Bois-Dauphin n'avait pas su arrêter l'armée des princes, qui passa la Loire (le 29 octobre) et se dirigea vers le Poitou, toujours côtoyée par l'armée royale. Du côté des réformés, Rohan, le marquis de La Force, et le duc de Candale, un fils de D'Épernon, qui venait de se convertir au protestantisme, étaient entrés en campagne ; l'Assemblée de Nîmes envoya l'ordre aux provinces de s'insurger (15 octobre). Un traité d'alliance fut conclu entre le parti et les princes à Sanzay, le 2 novembre 1615. Mais trois provinces seulement, le Languedoc, la Guyenne et le Poitou, armèrent ; et même dans ces provinces, plusieurs villes, Montpellier, Aigues-Mortes, Niort, Châtellerault, ne remuèrent pas. Lesdiguières offrit au roi 6.000 hommes contre ses coreligionnaires. La Cour étant arrivée à Bordeaux (7 octobre), Madame, sœur du roi, partit, sous la protection d'une armée, pour gagner la frontière, où Philippe III avait paisiblement amené l'infante Anne d'Autriche, sa fille, fiancée au roi de France. L'échange des princesses se fit avec toute l'égalité qui se put entre les deux nations. L'Infante, escortée par l'armée royale, gagna Bordeaux (21 nov.) où le mariage fut célébré le 28 novembre. Louis XIII, contre son habitude, s'était montré joyeux et galant. Ses désirs accomplis, Marie de Médicis inclinait à la paix par goût et par paresse ; elle écouta Villeroy et Jeannin, partisans d'un accommodement. Une suspension d'armes fut publiée et un congrès se réunit à Loudun pour négocier la paix (21 février 1616). Le roi y était représenté par le maréchal de Brissac, Villeroy, le président de Thou, Pontchartrain et De Vic ; les princes y étaient venus avec les princesses, comtesse de Soissons, princesse douairière de Condé, duchesse douairière de Longueville, dont les vanités et les appétits ne compliquaient pas peu les débats. L'assemblée de Mmes, transférée avec l'autorisation du roi à La Rochelle, envoya de là ses députés à Loudun. Les négociations furent longues ; il y avait des intérêts généraux et des intérêts particuliers en jeu. Naturellement les princes n'affectaient que le bien public ; ils demandaient que le Concile de Trente ne fût pas reçu, qu'il fût pourvu dans quelque temps aux remontrances des Parlements et au Cahier des États, que l'article du Tiers fût accordé, que les anciennes alliances fussent maintenues, que la citadelle d'Amiens fût enlevée au maréchal d'Ancre et que le prince de Condé fût chef du Conseil de sa Majesté et signât tous les arrêts qui s'expédieraient. La Reine eut beaucoup de peine à accorder la signature au Prince. Villeroy dut lui représenter que ce serait l'attacher à la Cour et que s'il pensait mal, il serait facile d'y pourvoir, sa personne étant en la puissance de leurs Majestés. Elle se décida plus difficilement encore à déposséder le maréchal de la citadelle d'Amiens, mais les princes se montrèrent intraitables. Elle consentit à ne pas publier le Concile de Trente, mais refusa d'accorder l'article du Tiers, qui l'eût brouillée avec les évêques et le pape. Condé, d'abord très ferme, tomba malade, et, dans une crise de piété, céda. L'Assemblée de La Rochelle obtint de nombreuses concessions : le droit, pour cette fois et sans tirer à conséquence, de nommer les deux députés généraux ; l'augmentation des fonds destinés à payer les garnisons et les pasteurs ; l'octroi pour six ans encore des places de sûreté. Elle aurait voulu aussi la réforme de la Chambre de l'Édit de Paris, des Chambres mi-parties de Castres et de Nérac, la suppression de prétendue que le gouvernement accolait toujours au mot de religion réformée, etc. Mais Condé aspirait à la paix et au repos ; il signa le traité le 3 mai 1616. Il avait lieu d'ailleurs d'être satisfait ; les articles secrets lui donnaient, en échange de son gouvernement de Guyenne, la ville et le château de Chinon, le gouvernement du Berry, de la tour et ville de Bourges et 1.500.000 livres d'argent comptant pour frais de guerre. Les autres grands, ses complices, reçurent ensemble plus de six millions de livres. La paix de Loudun amena la disgrâce des ministres d'Henri IV. Dans la paix, dans la guerre, ils avaient montré même mollesse. Le Chancelier avait en 1616 soixante-douze ans ; Villeroy, soixante-quatorze ; Jeannin, soixante-seize. Le Chancelier dut d'abord rendre les sceaux qui furent confiés à Du Vair, premier président du parlement de Provence ; son fils Puisieux, le collaborateur de Villeroy, fut ensuite renvoyé, puis Villeroy et Jeannin furent disgraciés. Barbin, intendant particulier de la Reine-mère, devint contrôleur des finances ; Mangot, premier président du Parlement de Bordeaux, remplaça Villeroy et Puisieux comme secrétaire d'État. Barbin, dévoué à Concini et à Marie de Médicis, était un homme intelligent et énergique, qui présenta Richelieu à Concini. Celui-ci, après l'entrevue, déclara l'évêque capable de faire la barbe (ou la leçon) à tutti quei barboni. Concini était plus en faveur que jamais. En échange de la
citadelle d'Amiens et de la lieutenance générale de Picardie, il reçut la
lieutenance générale de Normandie et la citadelle de Caen afin qu'il trouvât son élèvement en cet abaissement qu'on
vouloit lui procurer. Mais il était maladroitement passionné. Il
voulut s'aider de Bouillon et de Mayenne contre ses ennemis, D'Épernon et
Bellegarde, et ne réussit qu'à rallier contre lui tous les grands. Condé reçut du peuple, à son entrée à Paris (20 juillet), un accueil enthousiaste. Chef des grands, il était aussi chef des conseillers de sa Majesté. Mais, au lieu de se concerter avec la Reine, il usa sans ménagement du pouvoir qu'elle lui avait abandonné ; il continua à cabaler ; il se laissa enrôler dans la ligue contre le favori. Le duc de Longueville souleva Péronne contre le Maréchal (14 août) ; Condé et ses alliés tinrent de nuit des assemblées où ils délibérèrent s'ils livreraient Concini au Parlement ou le tueraient. Concini, prévenu, se retira en Normandie. Les grands pressaient Condé de s'emparer du pouvoir, sous peine de l'abandonner. Il aurait avoué à Barbin lui même qu'il étoit en un tel état qu'il ne lui restoit plus qu'à ôter le Roi de son trône et se mettre à sa place. S'il en avait eu vraiment la volonté, il n'aurait pas choisi pour confident l'homme de Marie de Médicis. Mais la Cour croyait qu'il pratiquait le peuple, les colonels et les capitaines de quartiers, les curés et les prédicateurs et projetait de changer la forme du gouvernement. Sur le conseil de ses nouveaux ministres, Barbin et Mangot, et peut-être de Richelieu, Marie résolut de le prévenir et, n'osant se fier à ses gardes pour l'exécution, elle s'adressa à Thémines, gentilhomme gascon hardi et brave, dont le roi Henri IV lui avait dit qu'il ne regarderoit jamais que la royauté. Le 1er septembre 1616, Condé, venu au Louvre pour le Conseil, fut arrêté par Thémines et emprisonné dans une des chambres du château, d'où il fut quelques jours après conduit à la Bastille. Les princes s'enfuirent ; le peuple ne bougea pas, sauf quelque peu de populace, qui saccagea l'hôtel du maréchal d'Ancre, rue de Tournon. Le 6 septembre, le Roi alla faire enregistrer au Parlement, en un lit de justice, une déclaration contre Condé, qu'il avait fait, disait-il, arrêter pour, par ce moyen, le retirer de la puissance de ceux qui l'eussent achevé de perdre, s'il y fût davantage demeuré — et contre les princes et les grands, à qui il pardonnait leurs mauvais desseins... pourvu qu'ils revinssent dans quinzaine lui en demander pardon. Il n'y eut pas une seule protestation ; le gouvernement faisait impression par son énergie. Les grands ne songeaient plus qu'à jouer à la fausse compagnie. D'Épernon n'avait pas voulu s'engager avec eux. Guise fut le premier à revenir à Paris. Longueville, Vendôme et Mayenne traitèrent. Le favori de Condé, Rochefort, livra Chinon ; le maréchal de Montigny occupa le Berry. Seul Nevers, qui s'était déclaré le dernier contre la Cour, continuait à armer, sur le conseil de Bouillon, le démon des rebellions. III. — RICHELIEU, SECRÉTAIRE D'ÉTAT. LE maréchal d'Ancre était revenu de Normandie, plus présomptueux et plus décidé que jamais à éprouver jusqu'où la fortune pourrait le porter. Le gouvernement se fortifia. Le garde des sceaux, Du Vair, infatué de l'innocence de Bouillon et de Nevers, fut révoqué et remplacé par Mangot. L'évêque de Luçon, qui venait d'être désigné pour aller ambassadeur en Espagne, fut nommé secrétaire d'État (25 nov.). Barbin donna à Richelieu la préséance sur les autres secrétaires d'État et lui confia spécialement le service de la guerre. C'était, dans l'état des choses, le poste de confiance. Nevers fortifiait Rethel et Mézières et s'empara de Sainte-Menehould le 1er décembre. Bouillon et Mayenne, indice inquiétant, recommençaient leurs doléances. Les trois hommes énergiquement autoritaires qui dirigeaient les affaires, Barbin, Mangot, Richelieu, résolurent d'apporter des remèdes assez puissants à ces maux qui étoient à l'extrémité. M. de Praslin avait repris Sainte-Menehould le 26 décembre. Le 17 janvier 1617, le Parlement enregistra une déclaration royale qui déclarait le duc de Nevers criminel de lèse-majesté si, dans quinze jours, il ne venait en personne demander pardon. Le roi n'avait nommé que le duc de Nevers, mais Mayenne, Bouillon, Vendôme, le président Lejay se réunirent à Soissons pour rédiger la réponse que le duc de Nevers fit au roi et où il justifiait son éloignement par la puissance démesurée du maréchal d'Ancre, qui a chassé les anciens conseillers d'État. En même temps, ils armaient, fortifiaient leurs places, saisissaient les deniers royaux. A leur tour, Vendôme, Mayenne et Bouillon furent déclarés, comme Nevers, criminels de lèse-majesté. Le nouveau secrétaire d'État, Richelieu, pour faire voir à toute la chrétienté la clémence et patience du roi envers les rebelles et leur opiniâtreté en leurs crimes, publia, le 18 janvier 1617, une Déclaration sur le sujet des nouveaux troubles. Le roi, disait-il, a fait trois traités pour conserver la paix à son peuple ; il l'a rachetée avec des sommes immenses ; il a pardonné. Mais qui ne voit... que le seul moyen qui reste maintenant à sa Majesté pour empêcher les rebellions trop fréquentes en son État est de punir sévèrement ceux qui en sont auteurs. Si les princes continuent à faire paroître par leurs actions qu'ils n'ont autre dessein que d'abattre l'autorité de sa Majesté, démembrer et dissiper son État, se cantonner en son royaume, pour, au lieu de sa puissance légitime, introduire autant de tyrannies qu'il contient de provinces... ; en ce cas, sa Majesté... sera contrainte, quoiqu'à regret, de châtier ces perturbateurs de son État. Ce ton d'autorité était, depuis 1610, inconnu. Les actes répondirent aux paroles. Trois armées royales marchèrent contre les rebelles ; celle de Champagne était commandée par le duc de Guise, celle de Nivernais et de Berry par le maréchal de Montigny ; celle d'Île-de-France par le comte d'Auvergne, que Marie de Médicis avait fait sortir de la Bastille, où il était détenu depuis treize ans pour crime de lèse-majesté. Le gouvernement pouvait craindre que les rebelles ne fissent des levées en Allemagne. Bouillon, lié avec les protestants de l'Empire . et les Hollandais et parent de l'Électeur palatin, exploiterait naturellement, contre Marie de Médicis, le maréchal d'Ancre et l'évêque de Luçon l'accusation de pactiser avec Rome et l'Espagne. Le nouveau secrétaire d'État avait été aux États généraux de 1614 l'orateur d'un clergé très ultramontain ; il paraissait partager les passions de son Ordre. Le duc de Monteleone, ambassadeur de Philippe III, écrivait de lui : Il fait démonstration de grande amitié pour moi.... En toute la France il ne se pourrait trouver quelqu'un de plus dévoué que lui au service de Dieu, de notre Couronne. Avant même d'être arrivé à Paris, le nonce Bentivoglio, successeur d'Ubaldini, avait entendu parler de l'évêque de Luçon comme d'un des prélats les plus éminents de France par son zèle pour la religion (9 déc. 1616). Les ambassadeurs vénitiens rapportaient le bruit qu'il était pensionné par l'Espagne et engageaient la République à se méfier. Richelieu fit partir pour l'Allemagne Schomberg, fils d'un ancien colonel de reîtres au service de la France, et lieutenant général du roi au Bas-Limousin. Dans les instructions qu'il lui remit, il lui recommandait de faire cognoistre que c'est une pure calomnie.... de dire que nous soyons tellement Romains et Espagnols que nous veuillons embrasser les intérêts, soit de Rome, soit d'Espagne, au préjudice de nos anciennes alliances, de nous-mêmes, c'est-à-dire ou de ceux qui font profession de la religion prétendue réformée en France ou de tous autres qui, haïssant l'Espagne, font particulièrement estat d'estre bon François. Nul ne croyra aisément qu'un homme brusle sa maison pour faire plaisir à son voisin, que pour aymer aultruy on se veuille hair et perdre soy-mesme. Les diverses créances ne nous rendent pas de divers estats ; divisez en foy, nous demeurons uniz en un prince, au service duquel nul catholique n'est si aveuglé d'estimer, en matière d'estat, un Espagnol meilleur qu'un François huguenot. On accuse aussi leurs majestés d'avoir dissipé leurs deniers. Mais n'a-t-il pas fallu gratifier les grands de dix-sept millions, et dépenser vingt millions d'extraordinaire pour comprimer leurs révoltes ? C'est la vraie raison des nécessitez de l'État et non l'avancement de quelques personnes estrangères. Celuy dont on parle est bien loing du degré d'eslèvement où beaucoup d'autres (étrangers) sont parvenus ; il est seul estranger eslevé, estranger tellement François, qu'il ne faict part de sa fortune à aucuns autres que François[2]. Ce plaidoyer si habile ne pouvait convaincre personne. Mais les protestants étrangers, l'Électeur palatin par-dessus tous, n'avaient aucun intérêt à entretenir les troubles de France au profit de l'Espagne. Avant que Richelieu eût été nommé secrétaire d'État, les affaires s'étaient de nouveau brouillées en Italie entre le duc de Savoie et l'Espagne. La guerre recommença. D. Pedro de Tolède, le nouveau gouverneur de Milan, envahit les États du Duc ; le Duc appela à l'aide Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné, et envahit le Montferrat, qui appartenait au duc de Mantoue, allié de la France et de l'Espagne. En même temps, les Vénitiens guerroyaient contre l'archiduc Ferdinand de Styrie (celui qui devint empereur en 1619 sous le nom de Ferdinand II), pour le forcer à réprimer les pirateries des Uscoques, anciens sujet du Sultan, qui s'étaient sauvés dans les montagnes de l'Istrie, et là, sous la protection des princes autrichiens, vivaient aux dépens des marins et des commerçants de l'Adriatique. Les deux États avaient sollicité l'intervention de la France. De son côté, la Cour de Madrid faisait dire à Paris que pour la seule considération du roi très chrétien elle était prête à ménager le duc de Savoie. Richelieu, choisi pour aller en Espagne négocier un accord, avait été nommé, au moment de partir, secrétaire d'État. Mais le comte de La Rochefoucauld, chargé de le remplacer à Madrid, fut retenu à Paris par quelques galanteries et, la révolte des princes s'échauffant, ne partit pas. Nos propres affaires nous firent perdre pour lors la pensée de celles d'autrui. Pendant que Marie de Médicis et ses ministres perdaient le temps, Lesdiguières, sans consulter personne, marcha avec 7.500 hommes (19 décembre 1616) au secours du duc de Savoie. Le gouvernement désavoua Lesdiguières[3], mais il n'osa lui donner l'ordre formel de rentrer en France, de peur que le maréchal mécontent ne se joignit aux princes et ne soulevât le Midi huguenot. Pour sortir de tous ces embarras, Richelieu imagina, comme il l'écrivait, le 26 décembre 1616, à Béthune, ambassadeur extraordinaire à Rome, de prendre une voye tout autre que celle qui avait été tenue jusqu'ici et d'attirer à lui la négociation. Comptant que les belligérants déféreraient plus volontiers au roi, quand il prendrait lui-même cognoissance de leurs affaires, qu'à ses représentants à l'étranger, il voulait forcer le duc de Savoie et inviter les Vénitiens à députer à Paris pour régler leurs différends avec l'Espagne, le duc de Mantoue et l'archiduc de Styrie. Il se flattait de conserver (ainsi) la paix pour soi-mesme et de l'establir par toute l'Europe (26 déc. 1616). Le dessein était hardi ; ce gouvernement qui, depuis la mort d'Henri IV, travaillait à s'effacer, subitement redemandait la première place. Richelieu s'aperçut bien vite qu'il avait visé trop haut. Les Vénitiens, tout en sollicitant ses bons offices, faisaient, à son insu, des instances pareilles en Espagne à mesme fin. Leur différend avec l'archiduc Ferdinand fut déféré à Madrid ; celui du duc de Savoie avec l'Espagne dut estre vuidé à Rome ; les deux négociations échappèrent à la fois à la France. Richelieu ne cache pas sa mauvaise humeur contre la République, qui a privé le roi de la gloire qui lui était due, en la transférant à un autre. Il proteste fièrement que Louis XIII n'a pas mérité de perdre le tiltre que le feu roy son seigneur et père a acquis à ceste couronne d'arbitre de la chrestienté (12 fév. 1611). De cette première rencontre avec la réalité diplomatique, Richelieu gardera de la défiance contre les Vénitiens, du dépit, en attendant la haine, contre les Espagnols, et la résolution d'aller prudemment et de surveiller son imagination. Mais il en tirera aussi (chose remarquable) des raisons d'espérer. Seulement vous diray-je, entre vous et moy, écrit-il à Béthune, que la conclusion de ceste affaire nous fait veoir que, nonobstant nostre foiblesse, encore n'y a-t-il point maintenant de princes plus puissans que le nostre en la chrestienté, ne voyant pas que ceux qui sont accoutumez à faire de (en) paroles des rodomontades soyent en estat de les faire en effect.... Et il devinait juste (12 fév. 1611)[4]. IV. — LA DISGRÂCE DE MARIE DE MÉDICIS. LA faiblesse de ce gouvernement, c'est que ces hommes énergiques passaient pour être les créatures d'un favori détesté de tout le monde. Pour faire peur au peuple, Concini avait fait, au commencement de 1617, dresser des potences en différents endroits de Paris. Il faisait surveiller, considérer, épier un chacun jusque dans les maisons, voir qui entroit et sortoit de Paris, emprisonner ceux de qui l'on avoit tant soit peu d'ombrage, sans autre forme de procès. Il avait la citadelle de Caen ; il occupa Pont-de-l'Arche et commença à fortifier Quillebœuf. Il se proposait de faire rebâtir le fort de Sainte-Catherine au-dessus de Rouen. Il négociait l'achat des gouvernements de Meulan, Pontoise, Corbeil. On lui prêtait l'ambition de se faire nommer connétable. Au lieu de dissimuler son pouvoir, il l'étalait. Il voulait qu'on le crût et le sût tout-puissant. Il regardait Barbin, Mangot et Richelieu comme ses valets, et, ne les trouvant pas assez dociles, projetait de les remplacer. Marie de Médicis elle-même était lasse de l'outrecuidance du mari et de l'humeur noire de la femme, qui la traitait de despietata, d'ingrata, de balorde. Elle aurait voulu les renvoyer à Florence et Léonora y était disposée, mais Concini voulait tenter jusqu'au bout la fortune. Richelieu et Barbin, inquiets de ses extravagances et craignant de se perdre avec lui, offrirent leur démission à la Reine-mère, qui les supplia de la servir encore. Mais Richelieu prenait ses précautions ; il aurait fait dire à Louis XIII qu'il n'y auroit rien, soit en sa charge, soit aux autres affaires qui viendroient en sa connaissance, qu'il ne lui en donnast un fidel advis. Le Roi, écrit Richelieu en 1622, se souvenoit qu'étant secrétaire d'État il m'avoit commandé certaines choses que j'avois fidèlement exécutées. Concini aurait dû s'assurer l'affection du roi. Louis XIII était dans sa seizième année. Sa mère avait soigneusement éloigné de lui tous ceux qui pouvaient lui inspirer une pensée d'ambition, mais elle ne s'était point défiée d'un gentilhomme provençal, Charles d'Albert de Luynes, de vingt-trois ans plus âgé que son fils, et qui excellait à dresser pour la chasse des oiseaux de proie, pies-grièches, émerillons, etc. Le jeune Roi, qui aimait par-dessus tout la chasse au vol, s'était dès 1614 attaché tendrement à ce serviteur de ses goûts. Il rêvait de lui, raconte son médecin Héroard, et, son gouverneur Souvré, jaloux de cette affection, ayant défendu à Luynes de venir dans sa chambre, il pria sa mère de renvoyer M. de Souvré et, de colère, eut cinq jours la fièvre. De maitre des oiseaux du Cabinet, Louis XIII fit son favori chef de ses gentilshommes ordinaires et lui donna, en 1615, le gouvernement d'Amboise. Marie excluait son fils des Conseils et des affaires et
même le bruit courait qu'il en était incapable et
que sa santé n'étoit pas assez forte pour prendre ses soins. A mesure
qu'il grandissait, la Reine et le Maréchal le faisaient surveiller de plus
près. Il se voyoit donc réduit, il y avoit plus de
six mois, à se promener dans les Tuileries, où il avoit pour compagnie un
valet de chiens et quelques jardiniers, quelque fauconnier ou autre ayant
charge d'une volière qu'il y avoit fait faire. Il passait son temps à faire
faire quelques élévations de terre, s'amusoit à en faire porter les gazons et
y faire travailler en sa présence, voire même lui-même conduisoit et menoit
les charrois et tombereaux sur lesquels on portoit de la terre.... Les
conseillers et les secrétaires d'État n'osoient le
voir, regarder ni parler à lui sans courir hasard d'être en même temps
chassés. Il souffrait de son effacement. Les propos qu'Héroard a
consignés révèlent chez lui le goût de l'autorité, le sens de sa dignité. Le
jeune Roi remarque que Condé ne parle pas à la Reine-mère aussi respectueusement
que l'étiquette l'exige. Monsieur le Chancelier,
dit-il, il ne faut pas tolérer cela. Il ne
voulut plus permettre aux capitaines des gardes de monter dans son carrosse,
comme ils le faisaient depuis le temps du roi Henri IV. Ils l'ont accoutumé peu à peu, dit-il, je leur en ferai peu à peu perdre la coutume.
Lorsqu'en 1614 le duc de Vendôme vint à Nantes faire sa soumission, il lui
dit, la voix tremblante de colère : Servez-moi mieux
pour l'avenir que vous n'avez fait par le passé, et sachez que le plus grand
honneur que vous ayez au monde, c'est d'être mon frère. Souvent le maréchal d'Ancre, escorté de deux ou trois cents gentilshommes, paradait dans la cour du Louvre, tandis qu'il regardait de la fenêtre, n'ayant auprès de lui que Luynes et quelques valets. Il ne pouvait obtenir des trésoriers de l'Épargne 2.000 écus, et Concini, pour comble d'humiliation, les lui offrait. Le parvenu se vantait d'entretenir de ses deniers 6.000 Liégeois, qu'il avait levés contre les princes ; il écrivait à Louis XIII : Ne retienne Vostre Majesté aucune considération... de la despence que j'y fais pour son service, comme si sa fortune n'était pas faite uniquement de l'argent de celui qu'il prétendait obliger. De toutes ces humiliations, Louis XIII s'entretenait avec Luynes, et tous deux, pour y mettre fin, pensèrent à fuir de Paris et même à rejoindre l'armée des princes. Mais un projet parut plus facile et plus sûr ; ce fut de se défaire du Maréchal. L'affaire fut décidée entre le Roi, son favori, trois gentilshommes, un prêtre obscur, Déageant, espion de Luynes et commis de Barbin, et quelques valets. Ils s'assurèrent comme homme d'exécution, Vitry, capitaine des gardes, qui entrait en service le 1er avril. Cependant les ministres avaient hâte d'en finir avec la rébellion des princes. Les trois armées royales, pourvues d'argent et d'hommes, menaient les opérations avec vigueur. Montigny avait fait capituler la ville de Nevers ; Guise avait pris Château-Porcien et Rethel (18 avril) et se disposait à attaquer Mézières, la seule place que Nevers garda dans son gouvernement de Champagne. Le comte d'Auvergne, maître de Pierrefonds (1er avril), bloqua Mayenne dans Soissons ; il ne restait plus aux rebelles qu'à se rendre à merci. Le 24 (avril) au soir, les assiégeants entendirent dans la ville des sonneries de trompettes et de tambours. Un des assiégés cria aux soldats de service à la tranchée : Le maréchal d'Ancre, votre maître, est mort ; le roi, notre maître, l'a fait tuer. Le matin du 24, à dix heures, le maréchal d'Ancre entrait au Louvre par la grande porte, du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois, accompagné d'une cinquantaine de gentilshommes. Vitry, qui, avec quelques compagnons, le guettait, arriva sur lui et lui mettant la main sur le bras droit : Le Roy, dit-il, m'a commandé de me saisir de vostre personne. Le Maréchal s'écria : A mé (A moi), mais aussitôt il fut frappé à mort de plusieurs coups de pistolet. De tous les gentilshommes de sa suite aucun d'eux ne mist l'espée à la main que Saint-George, qui a esté despuis capitaine des gardes du cardinal de Richelieu. Le Roi et Luynes attendaient inquiets, prêts à fuir si le coup manquait. Les cris de Vive le roi leur apprirent l'heureux dénouement. Le colonel général des Corses, D'Ornano, éleva Louis XIII dans ses bras et le montra par la fenêtre aux gentilshommes et aux soldats de la garde, qui, massés dans la cour, criaient : Vive le roi. La Reine-mère comprit que c'en était fini de son pouvoir : J'ay régné sept ans, dit-elle, je n'attends plus qu'une couronne au ciel. La nouvelle s'était vite répandue dans Paris. Louis XIII avait fait porter immédiatement aux anciens ministres de son père l'ordre de revenir. Les gentilshommes affluèrent pour le féliciter. L'avocat général Servin, qui avait appris la nouvelle au sortir de l'audience, trouva, comme il le raconte lui-même, le Roi dans la galerie, accompagné du comte de Soissons, du cardinal de Guise, du (?) duc de Luynes et d'autres seigneurs en grand nombre. Le Roi lui dit alors, en paroles mêlées de larmes et d'allégresse : Je suis roi maintenant, je suis votre Roi, je l'ai été, mais je le suis et serai, Dieu aidant, plus que jamais. Il fit bon accueil au Premier Président et aux députés du Parlement. Je me suis bien trouvé de vos bons avis, je désire m'en servir en mes principaux affaires, et il les envoya au cabinet des livres, où les Conseillers Villeroy, Jeannin, Châteauneuf, Pontcarré, Gesvres, déjà en séance, leur demandèrent s'ils jugeaient à propos de faire le procès au corps mort. Les magistrats, après en avoir conféré, furent d'avis que le roi n'étoit tenu de justifier son action. Mangot, le garde des sceaux, était au Louvre. Luynes lui prit des mains les sceaux et lui ordonna de s'en aller. Barbin fut emprisonné. Richelieu vint voir ce qu'il pouvait espérer. Le Roi lui aurait crié : Me voilà délivré de vostre tyrannie, mais Luynes dit quelques mots en sa faveur. Il se rendit à la Chambre du Conseil ; Villeroy lai demanda en quelle qualité il se présentait, et ceux de ces messieurs qui faisoient l'ame du Conseil continuèrent à expédier les affaires sans s'occuper de lui. Après avoir été, raconte-t-il, assez en ce lieu pour dire que j'y étais entré, je me retirai doucement. La Maréchale avait fait demander aide à Marie de Médicis, et, se sentant seule, avait caché ses bijoux, ses pierreries, son argent, dans son lit où elle se coucha. Les archers de la garde la jetèrent sur le plancher, vidèrent sa paillasse et la menèrent prisonnière dans la chambre du Louvre où Condé avait été enfermé. Le corps de son mari fut le soir porté à Saint-Germain-l'Auxerrois et enseveli, nu, dans un mauvais drap, sous les orgues. Mais la populace déterra le corps, le dépeça et ou promena les débris par les rues. A Paris et dans les autres grandes villes, la population se réjouissait d'être délivrée de cet ennemi public. Les rebelles déposaient les armes, ouvraient les forteresses, licenciaient leurs soldats, comme s'ils n'eussent combattu que Concini. Mayenne, Nevers venaient eux-mêmes assurer le Roi de leur obéissance ; Bouillon, qui était malade, envoyait des députés. Il n'y avait plus qu'un seul parti, celui du Roi. Le vide s'était fait autour de la Reine-mère, qui, pendant 9 jours, fut comme prisonnière. Elle demanda à voir son fils sans pouvoir l'obtenir. Luynes voulait l'éloigner ; elle finit par se résigner à quitter Paris et la Cour. Ce fut l'évêque de Luçon qui négocia les conditions de sa retraite . Comme il voyait que le parti vainqueur ne lui faisait pas grâce, il s'attacha à Marie de Médicis, espérant la réconcilier avec Luynes et Louis XIII, ou contre Luynes avec Louis XIII, et, dans les deux cas, refaire sa fortune. II obtint pour la Reine-mère, qui l'avait nommé chef de ses conseils, de ne pas aller plus loin que Blois. Avant le départ, la mère et le fils se virent pour se dire adieu (2 mai). Les paroles avaient été concertées d'avance. Marie, avec des paroles entrecoupées de sanglots, protesta qu'elle n'avait jamais eu d'autre but que les intérêts de son fils. Le jeune Roi dit seulement qu'il vouloit commencer à gouverner son État, qu'il en étoit temps et qu'en tous les lieux il lui témoignerait qu'il étoit bon fils. Le lendemain, 3 mai, elle sortit du Louvre et traversa Paris, insultée, au passage, d'allusions à ses rapports avec Concini. |
[1] SOURCES : Mémoires de Mathieu Molé, procureur général, premier président au Parlement de Paris et garde des sceaux de France, p. p. Aimé Champollion-Figeac, S. H. F., I. Richelieu, Instructions et maximes que je me suis données pour me conduire à la Cour, p. p. Armand Baschet, 1880. Lettres, instructions diplomatiques et Papiers d'État da cardinal de Richelieu, p. p. Avenel, I, Coll. Doc. inédits. Mémoires de Richelieu, Mich. et Pouj., 2e série, VII ; de Pontchartrain ; de Fontenay-Mareuil, M. et P., 2e série, V. Mémoires de Brienne, M. et P., 3e série, III. Maréchal d'Estrées, Mémoires de la régence de Marie de Médicis, 2e série, VI. Arnauld d'Andilly, Journal inédit (1614-1620), p. p. Achille Halphen, 1857. Maréchal de Bassompierre, Journal de ma vie, S. H. F., II, 1848. Négociations, lettres et pièces relatives à la conférence de Loudun, p. p. Bouchitté, Coll. Doc. inéd., 1862. Charles Bernard, Histoire du roy Louis XIII, 1646. Héroard, Journal sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII, p. p. Soulié et Ed. de Barthélemy, 1869, II (1610-1628). Mémoires du marquis de Montpouillan, fils du maréchal de La Force et favori de Louis XIII, t. IV des Mémoires du duc de La Force, p. p. le marquis de la Grange, 1846. Déageant, Mémoires... envoyez à M. le cardinal de Richelieu, contenant plusieurs choses particulieres et remarquables arrivées depuis les dernières années da Roy Henry IV jusques au commencement du ministère de M. le cardinal de Richelieu, 1668. Relation exacte de tout ce qui s'est passé à la mort du maréchal d'Ancre (attribuée à Michel de Marillac), M. et P., 2e série, V. Adrien Blanchet, Un récit inédit de la mort du maréchal d'Ancre, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, 1900. Mercure françois, IV, Paris, 1618.
OUVRAGES À CONSULTER : Le Vassor, Histoire de Louis XIII, 1757, I. Le P. Griffet, Histoire du règne de Louis XIII, 1758, I. G. Hanotaux, Histoire du cardinal de Richelieu, II, 1re partie : Le chemin du pouvoir. Le premier ministère (1614-1617), 1896. Berthold Zeller, Louis XIII. Marie de Médicis, chef du Conseil. Etats généraux. Mariage du Roi. Le Prince de Condé (1614-1616), 1898 ; du même, Louis XIII. Marie de Médicis. Richelieu ministre, 2899. Glasson, Histoire du Parlement de Paris, son rôle politique depuis le règne de Charles VII jusqu'à la Révolution, I, 1901. Anquez, Histoire des Assemblées politiques des réformés de France, 1859. Dufayard, Le connétable de Lesdiguières, 1892. P. Batiffol, Au temps de Louis XIII, 1904.
[2] Avenel, Lettres... du cardinal de Richelieu, I, 208-235.
[3] Avenel croit que Richelieu encourageait l'expédition, tout en la condamnant publiquement, mais les textes prouvent le contraire. Voir la lettre de Richelieu à Péricard, représentant de la France à Bruxelles, 13 janvier 1617 (Lettres, I, 250) ; de Richelieu à Béthune, 18 janvier (I, 260). Quant à la lettre de Richelieu à Lesdiguières, si souvent citée (27 janvier, Lettres, I, p. 274), c'est une réponse banale, aux compliments que Lesdiguières lui avait adressés pour sa nomination de secrétaire d'État.
[4] Richelieu se félicitait quand même de la conclusion de la paix en Italie. Le même jour (12 fév. 1617 ; Lettres, I, p. 297-98) il écrivait à Béthune : J'ay esté très aise d'apprendre par ce que vous m'avez escrit que M. de Desdiguières, touché du desplaisir qu'ont leurs Majestez de son voyage, se résolve de sonner bien tost retraitte au lieu d'où il est parti. On voit que les deux lettres de Richelieu à Lesdiguières du 19 mars 1617, postérieures d'un mois à celles-ci, ne peuvent contenir aucune espèce de sous-entendu. Il n'y est question que de l'attitude prise par Lesdiguières dans le conflit entre le gouvernement et les grands, et il ne saurait être question d'autre chose, le gouvernement ayant accepté, bien qu'à contre-cœur, de porter la négociation à Rome et à Madrid.