I. — LE SIÈGE DE LA ROCHELLE. LES massacres de Paris, la répétition dans les provinces (24 août-3 octobre) des mêmes cruautés, et la disparition des chefs et des principaux capitaines du parti, avaient épouvanté beaucoup de survivants. A Paris, le ministre du Rosier avait abjuré ; à Dijon les protestants s'étaient convertis en masse. La bourgeoisie riche était prête à s'humilier, à demander pardon de ses anciennes exigences, à renoncer à la liberté du culte, si la royauté consentait à lui laisser la liberté de conscience. Les déclarations royales qui ordonnaient de ménager les religionnaires paisibles lui offraient un prétexte pour couvrir ses défaillances d'une raison d'obéissance et de bon sens. Il y en avait même qui allaient jusqu'à détester les glorieuses énergies du parti, et le recours aux armes pour la défense des libertés religieuses. Un jurisconsulte, Charpentier, publiait que le malheur des fidèles était uniquement imputable à leurs chefs politiques[2]. Ceux-ci les avaient lancés dans des aventures où leur propre ambition était intéressée. L'Église du Christ était devenue un parti qui avait son organisation, une armée, des finances, des chefs, des ambassadeurs et un nom, la Cause. L'anéantissement de l'aristocratie militaire laissait la place à ces timidités de la classe moyenne, amoureuse de ses aises, craintive des coups. L'idée de Catherine, que la force du parti résidait toute dans ses chefs, semblait justifiée. C'était compter sans la démocratie protestante et sans les ministres. Les masses, peu sensibles à l'intérêt, à la peur, restèrent étonnamment fidèles à leur foi. Les pasteurs, nourris de l'Ancien Testament et pleins du souvenir des malheurs d'Israël, ne virent dans la catastrophe qu'une épreuve où Dieu retrempait les énergies et purifiait le cœur de ses élus. Tenus jusque-là au second plan par le prestige et les susceptibilités des chefs militaires, ils devinrent les conseillers du peuple. Ils lui inspirèrent la résolution de défendre la liberté religieuse, et celle de punir la trahison et le parjure. Dans le Midi, les premiers essais de résistance furent timides, enveloppés de mesure et de formes, soit par un reste de loyalisme, soit par désir de gagner du temps. Montauban ferma ses portes aux soldats du roi ; Nîmes attendit pour les ouvrir un temps plus doux. Les gens d'Aubenas et de Privas, en graissant le poignet de Laugieres, leur gouverneur, firent reculer le terme où ils devaient recevoir garnison. Les réformés amassaient vivres et armes et se mettaient en état de défense, mais ils tenaient leurs prêches la nuit pour n'avoir pas l'air de braver la déclaration du Roi du 28 août et ses lettres aux gouverneurs du 3 nov. 1572 qui interdisaient l'exercice du culte. A la Rochelle et à Sancerre, les deux places que la Réforme possédait encore au centre du royaume, la résistance prit une allure plus décidée. La petite bourgeoisie et le peuple continrent ou chassèrent la haute bourgeoisie pacifique. Les armateurs et les marins de la Rochelle, énergiques et actifs, nourrissaient la ville et la menaient. De concert avec les gueux de mer, ils continuaient à flibuster, guettaient et pillaient les navires du Roi Catholique. A l'entrée du havre, à Chef de Baye, se tenait le marché des prises et s'étalaient les dépouilles des Espagnols. La religion, la haine, l'intérêt animaient ces écumeurs de mer. Dans cette Genève maritime se réfugièrent les protestants de l'Ouest et les soldats huguenots de Strozzi qui avaient déserté après la Saint-Barthélemy. Cinquante gentilshommes, quinze cents soldats, et cinquante-cinq ministres renforcèrent le parti de la résistance et l'aidèrent à imposer au Conseil de ville les résolutions énergiques. La Cour envoya aux Rochelais pour gouverneur Biron qui, à Paris, lors des massacres, avait sauvé des protestants ; ils refusèrent de le recevoir. Le sieur de Vigean, chargé de négocier avec eux, eut beaucoup de peine à obtenir un sauf-conduit. Au retour d'une entrevue sans résultat, il fut attaqué et frappé de cinq coups d'épée (23 octobre 1572). Le ministre Languillier porta à Élisabeth une lettre des manants et habitants de la Rochelle où ils la suppliaient de rompre avec ceux qui veulent exterminer votre peuple de la Guienne qui de toute éternité vous appartient et vous est sujet. Biron reçut l'ordre d'investir la ville ; il prit ses dispositions pour passer l'hiver sous les murs, en attendant la grande armée qui se réunissait sous les ordres du duc d'Anjou. Les Rochelais furent surpris par cette brusque attaque ; ils n'eurent le temps ni de gâter les environs, ni de faire amas de vivres, ni de consolider leurs remparts. Mais le Roi leur fournit un chef. Charles IX, de tous les défenseurs de Mons, avait épargné le seul La Noue, brave parmi les plus braves, et loyal par-dessus tous. Pour être libre d'agir contre les protestants du Midi, il avait besoin de la neutralité de la Rochelle. De sa part, La Noue alla offrir aux Rochelais la liberté de conscience et la confirmation de leurs franchises s'ils consentaient à recevoir Biron pour gouverneur. En réponse, les assiégés proposèrent à l'ambassadeur le commandement de la défense. La Cour, consultée, lui permit d'accepter (nov. 1572). Avec l'autorisation du Roi, La Noue combattit les troupes du Roi, tout en exhortant ses coreligionnaires à céder. Il dressait des compagnies, consolidait les remparts, faisait des sorties, détruisait les travaux des assiégeants, et ne cessait pas de recommander la paix. La loyauté du Bayard huguenot était si bien établie que les soldats suivaient avec enthousiasme au combat ce prêcheur de soumission, et que la Cour attendait de l'organisateur de la résistance la capitulation de la ville. Le peuple et les ministres ne voulaient rien entendre. La Noue leur représentait la force de l'armée royale, l'indifférence des puissances protestantes. A toutes ces considérations de la prudence humaine, les ministres opposaient les prodiges de l'Ancien Testament et les raisons, pour les serviteurs de Dieu, d'espérer contre toute espérance. Cinq d'entre eux, délégués au Conseil de ville par le Consistoire, se prononcèrent contre la conclusion d'une paix particulière où tous les fidèles du royaume ne seraient pas compris. H ne fallait pas songer seulement à son utilité, car les Rubenites et les Gadites, bien qu'accommodez par delà le Jourdain, promirent d'accompagner leurs frères (des autres tribus) aux guerres qui se presentoyent et de ne retourner en leurs maisons que leurs frères ne fussent pareillement logez et accommodez. Il fallait tenir les promesses faites aux protestants du Midi, car Josué tint parole aux Gabaonites, réputés pour être menteurs, et Dieu punit sur le peuple et la race de Saül la destruction qu'il fit des Gabaonites, rompant la foi jurée par ses prédécesseurs. Les ressources, disait-on, s'épuisent ; mais Dieu a-t-il abandonné Béthulie et Samarie ? La voilà leur suprême espérance. Dans cette argumentation qui semble figée circule l'ardeur d'une confiance invincible en Dieu, Père des faibles et des opprimés. Malgré La Noue, le Conseil repoussa l'idée d'un accommodement. Le peuple consulté déclara qu'une juste guerre était préférable à une paix honteuse. Des traîtres qui avaient comploté de livrer la ville au duc d'Anjou furent exécutés. Le loyalisme de La Noue exaspérait les plus violents. Un ministre, La Place, le traita de perfide, traistre, déserteur de son parti, et lui donna un soufflet. Convaincu qu'il fallait abandonner l'espoir de ramener les Rochelais, La Noue les quitta et passa dans le camp royaliste (12 mars 1573). Le duc d'Anjou avait rejoint Biron avec une nombreuse armée (11 février 1573). Son artillerie ouvrit un feu terrible. Le Conseil de ville envoya tout le monde travailler aux fortifications ; les femmes même remuèrent la terre. Les assiégeants poussèrent les travaux d'approche jusque sur le bord du fossé ; leurs tranchées entamaient la contrescarpe. Le 22 mars, ils tirèrent plus de 1500 coups de canon ; le 7 avril ils donnèrent l'assaut. Un combat furieux s'engagea ; les femmes lancèrent sur les assaillants des pierres, du goudron ardent, des cercles de fer chauffé au rouge. Les catholiques furent repoussés et laissèrent dans les fossés plusieurs de leurs capitaines. Ils revinrent à la charge le 10, le 13 et le 14 ; ce dernier jour l'assaut fut repris jusqu'à cinq fois. Les assiégés espéraient un secours. Montgomery annonçait d'Angleterre son arrivée prochaine avec la flotte qu'il avait rassemblée. Il parut le 19 avril à l'entrée du havre, mais il n'essaya pas de forcer la passe et ne tarda pas à s'éloigner. Les vivres commençaient à manquer aux assiégés ; ils se nourrissaient de coquillages et de poissons péchés dans la rade. Le duc d'Anjou avait amené, avec la noblesse catholique, les princes qui avaient abjuré dans l'épouvante de la Saint-Barthélemy ; le roi de Navarre, le prince de Condé faisaient campagne avec le duc d'Aumale, le duc de Guise et d'autres massacreurs, Maurevel et Cosseins. Les Montmorency étaient représentés par le plus turbulent et le plus hardi des fils du connétable, Thoré, et par son petit-fils Turenne, âgé de dix-sept ans. Ces parents de Coligny, quoique catholiques, servaient mollement la politique qui profitait aux Lorrains, ces vieux ennemis des Montmorency. Quatre cents gentilshommes, qui étaient ou renégats de la foi protestante, ou protestants loyalistes, comme La Noue, augmentaient encore la bigarrure de cette armée. Les anciens catholiques suspectaient les nouveaux convertis ; ceux-ci croyaient les hommes de la Saint-Barthélemy capables de recommencer le massacre devant la Rochelle. A ces soupçons, à ces haines, s'ajoutait l'ambition du duc d'Alençon, troisième fils de Catherine, alors âgé de dix-huit ans, qui ne trouvait pas que sa mère et son frère lui eussent fait une situation digne de sa naissance. Tout enfant encore, ce moricaud avait, par sa turbulence et ses prétentions, excité l'étonnement et presque l'admiration de Catherine. Il avait accueilli avec joie l'idée d'un mariage avec Élisabeth d'Angleterre, qui avait vingt et un ans de plus que lui. La différence de religion ne lui paraissait pas un empêchement : il eût sacrifié la messe pour une couronne royale. Coligny, qui avait deviné ses appétits de grandeur, se l'était attaché par la promesse d'une principauté en Flandre. Aussi le massacre de la Saint-Barthélemy, en ruinant ses espérances, lui causa une telle secousse que son âme égoïste en fut attendrie ; il osa déplorer la mort de l'Amiral. Mais sans se soucier de ses déceptions ou de ses sympathies, Charles IX l'envoya servir, sans commandement, sous les ordres du duc d'Anjou. Son quartier devint le lieu de ralliement de tous ceux qui, huguenots ou catholiques, redoutaient la chute de la Rochelle et désiraient un changement. De là partirent les avis secrets qui, pendant les longs mois d'épreuves, soutinrent le courage des assiégés. Même, des amis du duc d'Alençon, comme Thoré et Turenne, lui conseillaient de s'échapper du camp et de se former un parti. Il fut question de gagner Saint-Jean-d'Angély et Angoulême, où les protestants avaient des intelligences. Cette idée fut abandonnée comme trop hardie. Quand Montgomery parut, le duc d'Alençon, le roi de Navarre, le prince de Condé et leurs amis songèrent à se réfugier à bord de la flotte et à s'en aller en Angleterre recruter une armée. La Noue arrêta les conjurés au moment où ils tenaient à cheval une dernière délibération. Toutes ces intrigues énervèrent l'attaque. Elles eurent une conséquence plus considérable, en préparant à une action commune des hommes des deux religions, La Noue et les amis des Montmorency et du duc d'Alençon. Ainsi commencèrent les relations qui aboutirent à l'alliance des catholiques modérés avec les huguenots et à la formation du Parti des politiques. Cette entente ne fut pas déterminée uniquement par des raisons d'humanité ; autant que l'horreur des massacres du 24 août, les jalousies des grands et des princes y contribuèrent. L'armée catholique, renforcée par des Suisses, renouvela son attaque le 26 mai. Les Rochelais se défendirent comme chiens enragez ; l'assaut fut repoussé, mais la situation était désespérée. Plus de trois cents habitants avaient signé une pétition pour la paix. Il fallut mettre en prison les plus gros et les plus notables de la ville. Les événements de Pologne sauvèrent la Rochelle. Le dernier des Jagellons était mort le 7 juillet 1572. La politique française ne pouvait souffrir que cette couronne passât dans la maison d'Autriche, et Catherine résolut de faire roi de Pologne le duc d'Anjou pour qui elle avait convoité la main de deux reines, le gouvernement d'Avignon, une principauté en Italie et jusqu'au trône d'Alger. Elle envoya Monluc, l'évêque de Valence, soutenir devant la diète polonaise la candidature du duc d'Anjou. L'ambassadeur arriva presque en même temps que la nouvelle des massacres du 24 août. L'émotion fut grande dans ce pays où les protestants formaient une minorité respectable ; où l'aristocratie, à l'exception de quelques évêques, était acquise aux idées de tolérance. Monluc crut d'abord la partie perdue. Les fautes de ses adversaires et ses habiles plaidoyers lui ramenèrent l'opinion. Dans les récits qu'il fit répandre, il adoucit l'horreur des faits, amoindrit la responsabilité de Charles IX et celle du duc d'Anjou, expliqua l'égorgement en masse par des mesures de précaution que la populace, furieuse, avait outrepassées et dénaturées. Des compétiteurs sérieux d'Henri de Valois, l'un, le tsar Ivan le Terrible, répugnait par sa barbarie ; l'autre, l'archiduc Ernest était, comme Allemand, odieux à ces Slaves et, comme prince autrichien, suspect à un peuple épris de liberté ; la façon dont les Habsbourg avaient traité la Bohème était pour les Polonais un avertissement. Ces antipathies, l'espoir de se concilier l'appui du Grand Seigneur, allié de la France, et enfin le désir de se procurer l'argent nécessaire à la création d'une marine nationale dans la Baltique, acquirent à la fin au prince français la majorité de la diète. Mais les protestants et les patriotes s'entendirent pour réduire le pouvoir du roi ; ils stipulèrent les garanties les plus précises en faveur de la liberté religieuse. Avant que le grand Maréchal de la couronne proclamât le résultat du vote, Monluc dut, au nom de Charles IX et du roi élu, accepter les restrictions à l'autorité royale et jurer de maintenir et garder paix entre les religions différentes. De plus, l'ambassadeur de France ayant représenté la Saint-Barthélemy comme le crime du hasard et de la populace, on exigea de lui qu'il signât, au nom de son martre, la promesse de réhabiliter les victimes des massacres et d'en punir les auteurs. Ce succès donnait à la Cour le moyen de terminer, sans trop de honte, l'entreprise de la Rochelle. Le roi de Pologne ne pouvait s'acharner contre une ville protestante. Le 19 juin, le duc d'Anjou savait son élection ; le 24 il arrêtait avec les assiégés les principaux articles d'un accord. La liberté de conscience était accordée à tous les protestants, mais la liberté du culte n'était autorisée qu'à la Rochelle, à Nîmes, à Montauban et dans les maisons de quelques seigneurs hauts justiciers. Le siège fut levé le 6 juillet. Sancerre tenait encore. La Châtre, après avoir essayé de la prendre d'assaut, la bloqua (mars 1573). Il bâtit autour de la ville des fortins et les relia par des tranchées, qu'il fit garder par des sentinelles et des patrouilles de cavalerie. Les Sancerrois furent affamés. Ils mangèrent les ânes, les chevaux, puis les chats, les chiens, les rats, les herbes de rempart. Les cuirs, les parchemins, même des ongles et des cornes de bœuf servirent à faire de la bouillie. On fabriqua du pain de paille haschée et d'ardoize y meslant du fumier de chevaux et tout ce qu'ils pensoient avoir quelque suc. Des parents déterrèrent leur fille et la mangèrent. Quelques fanatiques prolongeaient la défense, résolus plutôt à mourir de faim l'un après l'autre et à tenir bon jusques à demi douzaine de personnes que de se rendre aux adversaires. Mais il fallut céder. Les assiégés obtinrent la vie sauve et la liberté du culte (19 août). La ville se racheta du pillage moyennant 40.000 livres ; ses remparts furent rasés ; l'horloge, les cloches et toutes les autres marques de sa dignité de ville lui furent enlevées. Elle fut faite un village a demy ruiné. Une petite garnison fut installée dans le château. II. — LE MIDI PROTESTANT. DANS le Midi, le particularisme provincial et l'esprit d'indépendance de la noblesse assuraient un solide point d'appui à la Réforme. En ce pays, où jadis les hérésies les plus audacieuses et les plus subtiles avaient poussé ; où la sécheresse dogmatique s'allie avec les plus ardents enthousiasmes, et la logique avec le rêve et l'extase, la cause protestante trouva ses organisateurs, ses politiques et ses sauveurs. Le règlement en quarante articles qui fut apporté, dit-on, du Béarn à Millau est une œuvre de sagesse pratique, coupée par un élan d'enthousiasme Le législateur règle l'organisation de la défense ; il définit le rôle respectif des villes et des armées ; il subordonne les chefs de guerre au maire et au Conseil des villes, le pouvoir militaire au pouvoir civil ; il prescrit aux capitaines et aux soldats la pratique des vertus chrétiennes ; il leur commande, au nom de Dieu et au nom du parti, de ne pas fouler le peuple des campagnes. Et subitement le ton s'élève : Estans asseurés qu'en ce faisant, ils seront benits et aux champs ils habiteront en toute seureté ; rien ne les espouvantera ; le cousteau meurtrier ne passera point par leur terre ; cinq d'entre eux poursuyvront cent de leurs ennemis et cent, dix mille. Le Seigneur établira son alliance avec eux. Alors que Nîmes et Montauban atermoyaient encore (septembre 1572), la guerre avait commencé dans les Cévennes. Les réformés du Gévaudan s'étaient emparés de Marvejols et de Florac ; leurs coreligionnaires du Vivarais, maîtres du château du Chaylar, fermaient aux catholiques l'entrée des montagnes (novembre 1572). Même ils étaient descendus jusqu'au Rhône pour occuper le Pouzin. Millau et Montauban, à la nouvelle des massacres de Toulouse et de Bordeaux, se mirent en pleine révolte (6 octobre 1572). Le Roi fit partir le gouverneur du Languedoc. Damville n'était plus le catholique furieux dont la Cour avait dû, à plusieurs reprises, modérer le zèle. Le massacre de la Saint-Barthélemy, la mort de Coligny son parent, la grande faveur des Guise l'avaient refroidi et mis en défiance. 11 exécuta ses ordres avec plus de conscience que de passion. Nîmes, qu'il somma de se rendre, refusa (novembre 1572). Il attaqua méthodiquement les petites places qui lui servaient de boulevards, Cauvisson, Montpezat, et après les avoir soumises, alla investir Sommières (11 février 1573). A toutes ses propositions, les assiégés ne répondirent qu'en sifflant. Quand la poudre manqua dans la place, cent six Cévenols, chargés de munitions, forcèrent le blocus. Ils portaient au chapeau une cuiller d'étain (peut-être en souvenir des Gueux) avec des inscriptions caractéristiques : — Pour se rendre à Sommières. — Salut par Jésus-Christ. — Il faut prendre peine pour boire de l'eau vive. — Après deux mois de siège, la garnison obtint de se retirer vie et bagues sauves (8 avril). Elle avait épuisé les forces et les ressources de l'assiégeant. L'inaction que sa faiblesse imposait à Damville répondait peut-être à ses secrets désirs. Il accueillit les ouvertures qui lui furent faites par les religionnaires et conclut avec eux une trêve d'un mois. Quand il reprit les armes, ce fut pour les poser presque aussitôt après avoir pendant quelque temps harcelé Nîmes (juin-juillet 1573). Cependant les Rochelais s'étaient engagés, quoique sans pouvoirs, pour le parti tout entier. L'Édit de Boulogne (juillet 1573), qui enregistrait les conditions de leur accord avec le Roi, octroyait à Nîmes, à Montauban comme à la Rochelle la liberté de conscience et de culte, mais seulement la liberté de conscience à tous les autres réformés. Même les gentilshommes et autres seigneurs hauts justiciers n'obtenaient le droit de célébrer le culte en leurs maisons que s'ils avaient porté les armes avec les habitants des trois villes. Encore ne pouvaient-ils admettre aux mariages et baptêmes plus de dix personnes outre les parents, parrains et marraines. Ces conditions devaient paraître dures en comparaison des précédents édits de pacification, mais, après la Saint-Barthélemy, où l'existence même du parti avait été mise en question, elles marquaient une nouvelle défaite de la politique d'intolérance. Ni la guerre ni les massacres, ni la force, ni la ruse n'avaient eu raison de la masse calviniste. La Cause était bien vivante ; elle sortait de la crise, plus forte et plus confiante. Le péril avait été si grand, que la Providence de Dieu s'était visiblement manifestée. Ainsi donc, cette quatrième guerre est plus admirable que les trois précédentes en ce que par des moyens de nulle apparence, Dieu a fait de si grandes choses. Et peut-on dire que tant de merveilles ne se sont vues si clairement tandis que les Princes, l'Amiral et autres seigneurs, accompagnés des notables secours des princes étrangers, estoient en campagne : tellement qu'il sembloit que les bras des hommes estoient comme un voile entre la main de Dieu et son Église affligée... C'est le chant de victoire de la démocratie calviniste. Les protestants du Midi se plaignirent des conditions de la paix et restèrent en armes. Ils renforcèrent leur organisation militaire. Le Languedoc fut divisé en deux grands gouvernements, Montauban et Nîmes, qui furent donnés au vicomte de Paulin et à Saint-Romain, assistés et contrôlés chacun par un conseil. Ces Conseils de gouvernement ou États du pays devaient, dans les affaires importantes, prendre l'avis des États particuliers de chaque diocèse. Toutes ces assemblées étaient élues ; elles représentaient à côté et au-dessus des chefs de guerre la nation protestante. Les Conseils de gouvernement avaient le maniement des finances ; ils imposaient les villes et villages, sans acception de religion. Les catholiques, pour la plupart, s'accommodoient à ce joug, craignant plus rude bastonnade. Avec ces contributions et les revenus des bénéfices ecclésiastiques, les réformés purent garnir quelques places et préparer une levée de 20.000 hommes. Alors ils parlèrent clairement. L'Assemblée du gouvernement de Nîmes députa au Roi, Yolet, Philippi et Chavagnac, avec charge de demander le libre exercice de à religion dans tout le royaume, l'entretien aux frais du roi d'une garnison protestante dans toutes les villes fortes que le parti occupait et la cession de deux autres places de sûreté dans chaque province. L'Assemblée du gouvernement de Montauban fut encore plus exigeante. Elle voulait que le Roi fit justice des massacreurs et réhabilitât Coligny, La Rochefoucauld, Bricquemault, Cavagnes et autres victimes du 24 août, qu'il approuvât, déclarât légitime la résistance des protestants, et détestât le massacre. Que sy l'on trouve mauvais et indigne de vostre royalle grandeur de faire ouverte signification et protestation d'un tel regret, ce seroit (soubz correction) faire encore plus de tort premièrement à Dieu, puis à vostre conscience, à vostre honneur et sincérité, à vostre justice et royal office.... Charles IX devait s'émerveiller de la singulière et admirable bonté de Dieu qui lui avait conservé ses sujets protestants tout ainsy que feroit ung bon père de famille en sa maison quand après avoir veu massacres en sa face aulcuns de ses enfants naturels, en manifeste dangier d'entière ruyne, il voit remettre par la grâce de Dieu tout le résidu de ses enfants, avec sa maison, en un bon et seur estat. Reste le point principal, continuait la requête. C'était l'injonction adressée respectueusement au Roi de s'unir avec les princes protestants, potentats, républiques d'Allemagne, Suisse, avec l'Angleterre et l'Écosse, à telles conditions que les alliés se prêteraient assistance mutuelle en cas de troubles intérieurs, et que si l'un d'eux manquait à ses engagements les autres pourraient intervenir pour l'y contraindre. Les droits de la minorité française dissidente eussent été mis sous la sauvegarde et le contrôle de l'Europe protestante. La date seule du document : 24 août (1573), anniversaire de la Saint-Barthélemy, avait une particulière éloquence. Jamais Catherine n'avait entendu un pareil langage : Si Condé était encore en vie, disait-elle, et qu'il fût dans le cœur de la France avec 20.000 chevaux et 50.000 hommes de pied, il ne demanderait pas la moitié de ce que ces misérables ont l'insolence de nous demander. Elle pouvait se convaincre que la Saint-Barthélemy n'avait rien terminé. La disparition même des chefs protestants ajoutait aux embarras de son gouvernement. Les négociations étaient bien plus faciles avec les princes ou avec Coligny, quand il n'y avait que quelques personnes à persuader ou à tromper. Il fallait maintenant traiter avec les communautés protestantes composées de petites gens résolus qui avaient contre la Reine-mère une incurable méfiance. Sur cette masse, les promesses vagues, l'assurance des saintes intentions, les caresses et les sourires, tout cet art féminin où Catherine excellait, n'avait aucune prise. Les délégués étaient gens d'esprit qui savoient ce qu'est de la Cour. Ils se refusaient à entendre des contre-propositions, à les discuter, à négocier un compromis ; ils ne consentaient qu'à rapporter aux Assemblées la réponse du roi. Charles IX, n'osant rejeter les requêtes et ne pouvant, sans honte, les accepter, cherchait à gagner du temps. Il chargea Damville de continuer les négociations avec les protestants (18 octobre) et renvoya sa décision après le voyage qu'il allait faire dans l'Est pour accompagner à la frontière le nouveau roi de Pologne. III. - LES COMPLOTS DU DUC D'ALENÇON. LE duc d'Anjou quittait avec regret la Cour de France, son parti et la princesse de Condé dont il était follement amoureux. Sa mère n'était plus sensible maintenant qu'au chagrin de la séparation. L'attitude des députés polonais à Paris lui révélait un peuple d'humeur indépendante et fière. Ils avaient invité le nouveau roi à jurer les articles qui garantissaient les libertés religieuses, et, comme il se récriait contre cette exigence, Jean Zborowsky lui aurait posé nettement l'alternative : Jurabis aut non regnabis. Catherine et le duc d'Anjou commençaient à regretter leur bonheur. La santé du Roi leur donnait des inquiétudes et des espérances. La fièvre minait Charles IX ; son corps s'était voûté : à vingt-deux ans il avait l'air d'un vieillard. La Reine-mère voulait gagner du temps et retenir encore tout l'hiver le roi de Pologne, mais Charles IX, qui détestait ce frère préféré, déclara qu'Henri ou lui sortirait du royaume. A la fin de septembre, la Cour se rendit à Fontainebleau d'où elle s'achemina vers la frontière de Lorraine. Le Roi avait tenu à accompagner son frère, sans doute pour être plus sûr de son départ ; à Vitry il fut obligé de s'aliter. Le duc d'Anjou aurait voulu obtenir un nouveau délai. Les Guise recrutaient des hommes et le bruit courait qu'ils retiendraient de gré ou de force le chef du parti catholique. Le malade ne fut que plus ardent à presser le départ. Il mit tant d'affectation dans ses adieux que les spectateurs sentirent le contentement sous les plaintes et les cris. Le roi de Pologne, suivi de la Cour et toujours accompagné de sa mère, se dirigea vers Nancy et la frontière de Lorraine. Catherine avait donné rendez-vous à Blamont à Ludovic de Nassau et au duc Christophe, fils de l'Électeur palatin. Au lendemain de la Saint-Barthélemy, elle avait, avec son tranquille cynisme, renoué, comme nous avons vu, ses relations avec les princes protestants d'Allemagne et les révoltés des Pays-Bas. Le prince d'Orange et son frère avaient passé sur leurs répugnances ; ils avaient besoin de subsides. Ils reprirent le projet d'une alliance entre les Valois et l'Allemagne protestante et firent espérer à Charles IX la couronne impériale. Ils lui proposaient la conquête et la souveraineté des Pays-Bas. Catherine parut revenir à la politique de Coligny. Ludovic de Nassau reçut trois cent mille écus pour faire des levées ; le Roi promit d'embrasser les affaires du dict Pays-Bas aultant et aussi avant que les princes protestants les vouldront embrasser, en quelque sorte que ce soit, ouvertement ou aultrement. Le roi de Pologne, tant en son nom que comme député du roi de France son frère, donna son adhésion. Si Dieu veut que la France et la Poullongne ensemble facent ce qu'ils promettent, écrivait Ludovic de Nassau au prince d'Orange, il y aura moyen, à mon advis, de merveilleusement bien accommoder nos affaires[3]. Il n'est pas croyable que Catherine ait songé à se lancer dans une guerre contre Philippe II. Probablement ses promesses n'avaient d'autre objet que d'assurer à son fils un facile passage à travers les États calvinistes d'Allemagne. Ludovic de Nassau, qui accompagna le roi de Pologne jusque dans le landgraviat de Hesse-Cassel, ne put l'amener à mettre en articles les échanges de vues de Blamont. Furieux d'avoir été dupe, il jura en allemand qu'il leur joueroyt un bon tour, ayant déjà de l'argent pour le moings. Les trois cent mille écus du gouvernement français pouvaient servir à plusieurs fins. Les huguenots n'avaient pas cessé de remuer ménage, et beaucoup de catholiques étaient disposés à les imiter. Les amis de Montmorency, les modérés, tous ceux qui avaient conspiré sous les murs de la Rochelle, se sentaient enhardis par le départ du duc d'Anjou. Ils poussaient le duc d'Alençon à réclamer la lieutenance générale que le roi de Pologne laissait vacante. Ils comptaient avec son aide reprendre, au dedans, la politique de tolérance, et, au dehors le plan de l'Amiral. L'entente avec les Nassau faisait partie de ce programme. Quelque soin que Catherine, défiante, eût mis, à Blamont, à tenir éloignés l'un de l'autre Ludovic de Nassau et le duc d'Alençon, elle n'avait pu empêcher ni les correspondances secrètes, ni l'intervention des confidents, ni même les contacts directs. Ludovic écrivait à son frère : J'ay veu Monsieur le duc d'Alençon, lequel me pressant la main, m'a dit en l'oreille que, ayant à ceste heure cy le gouvernement comme avoit son frere le roi de Polongne, il s'employera en tout pour vous seconder. Mais Charles IX déclara qu'il n'y aurait plus de lieutenant général. Alors les ennemis de Catherine et les huguenots profitèrent du mécontentement du duc d'Alençon pour le pousser à une rupture. En traversant la Champagne, le Duc et le roi de Navarre devaient se dérober, gagner Sedan sous l'escorte d'une troupe de protestants, et appeler à eux leurs partisans. Catherine, prévenue par la reine de Navarre, sa fille, surveilla les princes. A Soissons, les capitaines des gardes visitaient tous les jours leurs chambres et même regardaient sous leurs lits. Thoré et Turenne poussaient aux résolutions hardies. Au contraire le mignon du Duc, La Molle, par jalousie, recommandait de temporiser. Il en appelait à la sagesse du maréchal de Montmorency de la témérité de ces gens de jeune barbe. Le Maréchal était, lui aussi, opposé aux aventures et même aux réclamations imprudentes, mais il n'était en son pouvoir ni de contenir les mécontents de toute origine et de toute religion ni de diriger son frère, Thoré, et son neveu Turenne. La guerre des pamphlets recommençait. Le De furoribus gallicis (1573), publié en français sous le titre de Discours véritable des rages exercées en France, raconte les massacres de Paris. Il recherche les causes du crime. Le gouvernement des régentes, surtout des régentes étrangères, a toujours été pour la France une cause de ruine et de honte. L'oubli de l'ancienne constitution a amené les troubles et. les misères dont le royaume souffre. Cet ancien état de la République, Hotman l'exposait, cette même année, dans la Franco-Gallia qui est un livre de doctrine et un livre de combat, une Politique et un pamphlet. L'œuvre a été inspirée par les circonstances ; l'horreur du présent a rejeté Hotman dans l'étude du passé. La lecture des anciens historiens lui a révélé un État pourvu d'institutions libres, où les assemblées étaient toutes-puissantes, où les rois n'agissaient que comme mandataires de la nation. Le nom des Francs, d'où vient celui des Français, signifie libre. Autrefois la monarchie, héréditaire en fait, ne l'était pas en droit ; la souveraineté résidait dans les trois ordres, dont la compétence s'étendait à l'universalité des affaires, et pouvait même aller jusqu'à déposer les rois. Il n'y avait d'impôts légitimes que ceux qui étaient consentis par les États généraux ; — de pouvoir légitime que celui qui était consenti par les mêmes États. ... Nos devanciers vrais François et conservateurs de leur liberté, ennemis de toute domination et tyrannie turquesque et soigneux de maintenir fermement test excellent precepte, que le salut du peuple est la supreme loy, donnoyent et mettoyent toute l'administration du politique du royaume en la disposition de l'Assemblée des États. Mais les choses sont maintenant bien changées. Le Conseil privé gouverne l'État au lieu de manier comme autrefois les particuliers affaires du Roy. Bien plus, les Parlements ont fondé un Estat inconnu à nos ancestres qu'on ne sauroit mieux appeler qu'un royaume de plaiderie. Depuis trois cens ans en ça ou environ, les gens de justice ont si bien sceu jouer leur personnage qu'ils ont non seulement mis sous leurs pieds et supplanté toute l'authorité de l'Assemblée des Estats, telle qu'elle a esté déclarée ci-dessus, mais aussi ont contraint tous les princes du royaume, voire mesme la Majesté du Roy, de passer sous leur main et de s'humilier sous leur grandeur. Où paraît le plus l'esprit de parti qui anime et soutient toute la thèse, c'est quand Hotman traite des régences. Non seulement il repousse toute constitution de régence qui ne serait pas consentie par l'assemblée des trois ordres, il va même jusqu'à refuser à ce pouvoir souverain le droit de conférer la régence à une femme. La coutume qui exclut les femmes du trône les exclut aussi du gouvernement. Et l'histoire est là pour justifier la coutume. Toutes les fois qu'on a passé outre, le royaume a pâti. Brunehaut, Frédégonde se sont souillées de tous les crimes. Isabeau de Bavière a vendu la France aux étrangers. Blanche de Castille a provoqué une insurrection et obligé la noblesse à appeler les Anglais à son secours. Catherine de Médicis n'est pas nommée, mais c'est à ses dépens que le pamphlétaire fait le procès aux reines-mères. On sent que c'est son crime, le crime de l'ambition et de la peur, qui inspire ce réquisitoire érudit contre le gouvernement féminin. D'autres pamphlets parurent. Le Réveille-Matin des François excitait contre Charles IX, ce tyran qui ne garde ni foy ni loy, les protestants, les catholiques et même le duc de Guise, descendant de Charlemagne. Les huguenots, lui disait-il, ne desireroient rien mieux que de vous voir remis au throsne que Hugues Capet usurpa sur les Roys vos prédécesseurs, s'asseurans bien... que non seulement vous lainiez leurs consciences libres : ains aussi tout exercice de leur religion sain, sauf et, libre par toute la France. Ces écrits agitaient le royaume. Les protestants du Midi, à qui le Roi avait permis de se réunir en assemblée générale, renouvelaient, à Millau, leur union, entière association et, fraternité mutuelle (16 décembre 1573). La Noue poussait les protestants de l'Ouest à reprendre les armes ; la complicité du duc d'Alençon levait ses scrupules[4]. Il eut de la peine à décider les huguenots à se concerter avec les malcontents, parmi lesquels se trouvaient des massacreurs de la Saint-Barthélemy. Avec l'intransigeance de la jeunesse, Du Plessis-Mornay eût voulu une action parallèle, non commune. Comme la Rochelle, épuisée, répugnait à de nouvelles luttes, les partisans de la guerre découvrirent si à propos une conspiration pour livrer la ville au Roi qu'il y a de bonnes raisons de la croire imaginaire. Mais la peur, fondée ou non, souleva les passions ; Guillaume Guy, fils d'un ancien maire, l'échevin Claude Huet, le plus riche négociant de la ville et le chef du parti pacifique, Jacques du Lyon, seigneur de Grandfief, et cinq capitaines étrangers furent mis à mort comme traîtres. Alors les Rochelais appelèrent La Noue. Il confessa en public le regret qu'il avait d'avoir quitté la ville, au temps du dernier siège, et en demanda pardon à Dieu et aux hommes. Il conseilla l'union avec les protestants du Midi. La paix, octroyée, ne durerait, disait-il, qu'autant qu'il plairait au Roi. Et d'ailleurs, n'était-il pas licite de rompre les serments qui sont faits au détriment de la gloire de Dieu même[5]. L'assemblée adhéra à la ligue du Midi. La noblesse de l'Ouest élut La Noue pour chef des armes, sous l'autorité d'un chef plus grand que tout le temps passé ; c'était désigner clairement le duc d'Alençon (janvier 1574). Le duc d'Alençon avait résolu de s'enfuir à Sedan et d'y attendre les reîtres et les lansquenets que Ludovic de Nassau avait levés avec l'argent du Roi. Sa fuite fut fixée au 10 mars. Pour distraire l'attention, la Noue devait prendre les armes quinze jours plus tôt. La nuit du mardi gras, les réformés, profitant des désordres du carnaval, surprirent Fontenay-le-Comte, Lusignan, Tonnay-Charente, Talmont, Melle, Brouage, Rochefort. Ces coups de main reculèrent la frontière de la Rochelle et lui donnèrent pour boulevards les places fortes de l'Aunis et de la Saintonge. Ce premier succès fut compromis par la précipitation de Jean de Chaumont, sieur de Guitry, qui devait se rapprocher de Saint-Germain pour favoriser la fuite du duc d'Alençon et qui parut devant Mantes dix jours avant la date fixée. Les conjurés n'étaient pas prêts. Le duc d'Alençon perdit la tête ; sur les conseils de La Molle, il alla tout raconter à sa mère et demanda pardon. La Cour prit l'alarme. Les tambours des Suisses, des gardes du corps et des compagnies françaises des gardes battaient aux champs. Le chancelier Birague, les cardinaux de Lorraine, de Bourbon et de Guise, coururent vers Paris tous montez sur coursiers d'Italie ou grands chevaux d'Espagne empoignans des deux mains l'arçon et en aussi grande peur de leurs chevaux que des ennemis. La Reine-mère emmena le duc d'Alençon et le roi de Navarre dans son carrosse. Le Roi partit le lendemain, escorté par les Suisses, et s'arrêta au faubourg Saint-Honoré, dans la maison d'Albert de Gondi. Il semblait disposé à tout apaiser. L'âme du complot, l'homme que le duc d'Alençon avait le plus chargé dans sa déposition, Thoré, avait fui. Aux autres la voie du pardon fut ouverte. Charles IX voulut voir Guitry, qui s'était retiré en Normandie, et l'interrogea sur les raisons de la prise d'armes. Les nouvelles de Normandie contribuaient à le rendre accommodant. Le seul capitaine marquant qui eût échappé à la Saint-Barthélemy, Montgomery, venait de débarquer dans le Cotentin (mars 1574) et de s'emparer de Saint-Lô. Charles IX, qui lui avait fait offrir, s'il voulait vivre hors de France, la libre jouissance de ses revenus et de ses biens, envoya l'ordre à Matignon, son lieutenant général en Basse-Normandie, de le lui amener mort ou vif. Il était venu s'installer au Bois de Vincennes pour respirer un air plus pur que celui de Paris (8 mars). Le duc d'Alençon et le roi de Navarre l'y avaient suivi. Ils se sentaient suspects, et pensèrent de nouveau à fuir. La Molle, qui à Saint-Germain avait retenu son maitre, était maintenant le plus ardent à recommander d'agir. Ce baladin, cher aux dames et dévot à la Vierge, diseur de patenôtres et mignon de couchette, laissa ses plaisirs pour les complots. Il s'était chargé de réunir des hommes et de l'argent. Avec lui, Annibal de Coconat, gentilhomme piémontais, grand massacreur du 24 août, expert aussi en gaillardises amoureuses ; un ancien ambassadeur à Constantinople, Grandchamp, et un redoutable artisan d'intrigues, alors à ses débuts, Jacques de La Nocle-La Fin, formaient le conseil dirigeant. Turenne, qui était de la conspiration, mais se défiait des conspirateurs, n'assistait que de loin en loin aux conciliabules. Quelques comparses mêlaient leur étrange personnalité à ce monde d'aventuriers : Grantrye, ancien agent de Charles IX auprès des Ligues grises, avait rapporté du pays de Paracelse le secret de la pierre philosophale et l'art de transmuer en or les plus vils métaux. A cet alchimiste faisait pendant un astrologue, Cosme Ruggieri, homme noir qui n'a le visage bien fait, qui joue des instruments... toujours habillé de noir, puissant homme. Devin, nécromancien, fabricant de philtres et jeteurs de sorts, son aspect, ses allures, ses accointances avec les puissances d'en bas excitaient la terreur même chez ses complices. Il s'était laissé entraîner par La Molle, qu'il aimait de l'amitié la plus tendre, pour qui il composait des charmes et envoûtait des images de cire. Il s'agissait toujours de gagner Sedan et d'y joindre le comte Ludovic. Les conjurés avaient fait des achats d'armes et de chevaux. Mais la Reine fut prévenue. Le maréchal de Montmorency, qui blâmait l'entreprise, et craignait, s'il ne la révélait pas, d'être accusé de complicité, porta à Catherine la lettre d'un conjuré, le capitaine Saint-Martin, où il était question de chevaux et d'expédition. Un bourgeois de Paris, Yves de Brinon, enrôlé par Grandchamp, dénonça le complot, les complices, la date de l'exécution. Le Roi, furieux d'une trahison qui suivait un pardon si récent, mit sous bonne garde le duc d'Alençon et le roi de Navarre. La Molle fut arrêté dans le château même (10 avril) ; Coconat dans le couvent où une grande dame l'avait caché. Grantrye, Saint-Martin, Ruggieri, allèrent les rejoindre dans les prisons du Palais ; La Fin, Grandchamp, Turenne s'enfuirent. Lorsque Condé apprit l'arrestation des princes, il quitta secrètement Amiens, siège de son gouvernement, et se sauva en Allemagne. Les réformés des Pays-Bas eurent encore un plus mauvais succès : le duc Christophe et Ludovic de Nassau avaient été battus et tués à Mookerheyde (14 avril 1574) par le successeur du duc d'Albe, le commandeur de Requesens. Charles IX n'osa pas faire leur procès à son frère et à son beau-frère ; il se contenta de les faire interroger par des commissaires. Le roi de Navarre s'excusa de ses projets de fuite sur la disgrâce où le tenait la Reine-mère. Le duc d'Alençon, qui avait peur, humblement conta les détails du complot et, dans ce long récit, compromit ses complices. La Molle montra pour son bon maître un grand dévouement et ne parla qu'à la question. Coconat avait accusé tout le monde. Les plus grandes dames, une princesse même s'intéressaient à ces héros d'alcôve. Charles IX fut impitoyable ; ils furent conduits en place de Grève. La Molle, fidèle jusqu'à la mort aux deux adorations de sa vie, marmottait en dernière oraison : Dieu ait merci de mon âme et la Benoîte Vierge. Recommandez moi bien aux bonnes grâces de la reine de Navarre et des dames (30 avril). Des complices obscurs, Tourtay, Saint-Martin, avaient été pendus sans cérémonie. Ruggieri était protégé par la terreur qu'il inspirait ; il fut condamné aux galères, mais sa prison ne fut ni rigoureuse ni longue. A Marseille, le gouverneur lui permit de tenir école d'astrologie. Il ne tarda pas à rentrer en grâce et mourut très vieux, abbé de Saint-Mahé en Bretagne et incrédule notoire, toujours craint et admiré. Le nom du maréchal de Montmorency avait été plus d'une fois prononcé dans le procès. La Molle et Coconat avaient dénoncé ses mauvais desseins ; son frère, Thoré, l'âme du complot du Mardi gras, était venu attendre aux portes de Paris le duc d'Alençon et le roi de Navarre ; son neveu, Turenne, n'était pas moins compromis ; enfin lui-même n'avait révélé le complot qu'au dernier moment. De l'ensemble de ces faits il résultait contre lui des présomptions très graves : Charles IX le fit arrêter et conduire à la Bastille (4 mai). Le maréchal de Cossé, qui avait avec les Montmorency les attaches de famille les plus étroites, et qui appartenait au parti des politiques, eut le même sort. Paris, toujours dévoué à la maison de Lorraine et à la tradition de la Saint-Barthélemy, fournit tous les soirs quatre compagnies de milice pour être sûr que, la nuit, Montmorency serait bien gardé. Son frère Damville, le gouverneur du Languedoc, qui inspirait autant de défiance, était plus difficile à saisir. Il commandait à une armée et à une grande province ; il avait, pour le défendre d'un coup de main, une garde albanaise et, pour éventer les menées, un flair très subtil. Ses démarches étaient si réfléchies qu'il ne donnait prise à aucune accusation. Chargé de négocier avec les protestants du Midi, il pouvait s'excuser de son insuccès sur leur intransigeance. Entre la Cour, qui ne consentait à accorder que la liberté de conscience, et les réformés, qui exigeaient la liberté du culte, comment pouvait-il établir une entente ? Mais Charles IX restait soupçonneux et défiant ; il voulait en Languedoc un gouverneur dont il fût sûr pour pouvoir s'engager à fond contre La Noue et les protestants de l'Ouest. Le jour même où Cossé et Montmorency furent emprisonnés (4 mai), il le révoqua et nomma à sa place le prince Dauphin, fils du duc de Montpensier. Damville, pour gagner du temps, écrivit au Roi, protesta de son innocence, offrant même de quitter son gouvernement si on lui donnait les moyens de se justifier. Cependant il se fortifiait dans Montpellier. Il fit plus ; il ménageait les protestants depuis plusieurs mois, il osa conclure avec leurs députés une trêve de sept mois (29 ou 30 mai). Deux mois après, l'alliance entre les catholiques modérés et les protestants du Languedoc était un fait accompli. Le massacre de la Saint-Barthélemy avait pour résultat inattendu de scinder le parti catholique et de réunir sous les mêmes drapeaux, au grand scandale des zélés, des soldats des deux religions. La Cour était plus heureuse dans le Nord. Le maréchal de Matignon enferma Montgomery dans Saint-Lô. Montgomery rompit le blocus et se réfugia dans Domfront, mauvaise place, défendue par un mauvais château ; il y fut immédiatement attaqué. Avec quarante-cinq gentilshommes et quatre-vingts arquebusiers il fit tête sur la brèche pendant cinq heures à deux cents gentilshommes et à mille arquebusiers. Forcé de capituler, il n'eut d'autre promesse que d'être livré sain et sauf aux mains du Roi. Il aurait mieux valu le passer par les armes sur ce rempart où il avait fait en pourpoinct ce que peut faire un homme qui cerche la mort (26 mai). Quand ces nouvelles parvinrent à la Cour, Charles IX touchait à sa fin ; la fièvre ne le lâchait plus. Il mourait non pas empoisonné avec la poudre de corne d'un lièvre marin, mais victime, comme François II, des fatalités morbides que le sang des Valois et des Médicis lui avait transmises, et qu'il avait aggravées par l'abus de la chasse et les exercices les plus violents. Il mourait aussi de son crime : ses nuits et ses jours étaient hantés de cauchemars où il lui semblait voir ces corps massacrés se présentant à lui les faces hydeuses et couvertes de sang. Il n'avait pas comme sa mère de merveilleuses ressources d'inconscience et d'oubli. Moins coupable, il était plus tourmenté. C'est elle en effet qui est la grande criminelle. Elle avait élevé ce fils dans de telles habitudes d'obéissance, elle l'avait tellement asservi à ses commandements que la Saint-Barthélemy n'a été que la manifestation effrayante de cet empire. Jusque dans les angoisses de la mort, il n'a pas cessé de révérer la main dominatrice. Sa dernière parole fut : Et ma mère ? Elle-même, dans une lettre à la duchesse de Ferrare, rend témoignage du culte que son fils lui avait voué, n'ayant rien reconnu tant que après Dieu moi. Cette superstition de piété filiale est à considérer dans un jugement sur Charles IX. II n'a été, sa vie durant, que le serviteur de sa mère, ainsi qu'il signait encore à dix-neuf ans les lettres qu'il lui écrivait. Il a prêté son nom à un gouvernement qui n'était pas le sien et sa timide velléité de pouvoir personnel n'a servi qu'à le déshonorer. Le 30 mai 1574, dans l'après midi, expirait ce roi débonnaire[6] plus souillé de sang que le plus cruel des tyrans. Il ne laissait qu'une fille ; la couronne revenait à Henri d'Anjou, roi de Pologne. Jusqu'au retour de son fils, Catherine continuait à diriger les affaires. |
[1] SOURCES : Lettres de Catherine de Médicis, IV. Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, 1578, II et III. Cauriana, De Obaidione Rupellae, éd. Delayant, 1838. Groen van Prinsterer, Archives de la maison de Nassau, 1re série, IV, 1837. Loutchitzky, Documents inédits sur l'histoire du Languedoc et de la Rochelle après la Saint-Barthélemy, 1571-1574, Paris, 1873. Teulet, Corr. diplomatique, V-VII. Archives curieuses, VIII. Histoire de la Rochelle, d'Amos Barbot, Arch. hist. de la Saintonge et de l'Aunis, XVIII, 1890. Mémoires de J. Choisnin ou Discours... de l'élection du roy de Pologne, Panthéon littéraire. La Noue, Discours politiques et militaires. Estienne Giry, Histoire des deux sièges de Sommières, Pièces fugitives du marquis d'Aubais, II, 1759. Mémoires de Brantôme, S. H. F., V, VI et passim. Mémoires du vicomte de Turenne depuis duc de Bouillon, 1565-1566, p. par le comte Baguenault de Puchesse, S. H. F., 1901. Mémoires de Michel de La Huguerye, p. par de Ruble, S. H. F., I. Chroniques fontenaisiennes, publiées par La Fontenelle de Vaudoré, 1841. Amyrault, Vie de François de La Noue, 1661. Haag, France protestante. Pièces justificatives.
OUVRAGES A CONSULTER : Hauser, François de La Noue, 1892. D. D'Aussy, La faction du cœur navré, Revue des Quest. historiques, XL, 1886. Decrue, Le parti des politiques au lendemain de la Saint-Barthélemy, 1892. L. Lalanne, Brantôme sa vie et ses écrits, 1896. D'Aumale, Princes de Condé, II. Dareste, Essai sur Hotman, 1850. Duc de Noailles, Henri de Valois et la Pologne en 1572, 1887, 8 vol. D. Vaissète, Histoire du Languedoc, édit. nouvelle, XI et XII, Toulouse, 1889. Ménard, Histoire de la ville de Nîmes, V, 1875. Corbière, De l'organisation politique du parti protestant en France en 1575, Mémoires de l'Académie des Sciences et lettres de Montpellier, VIII, 1886-87. Anquez, Histoire des Assemblées politiques des réformés de France, 1859. G. Weill, Les théories sur le pouvoir royal en France pendant les guerres de religion, 1891.
[2] Les récriminations de Pierre Charpentier n'étaient pas sincères (Voir John Viénot, Un apologiste de la Saint-Barthélemy, Fischbacher, 1903), mais elles exprimaient, il n'en faut pas douter, les sentiments secrets de beaucoup d'âmes protestantes, sincères celles-là.
[3] Groen von Prinsterer, Archives de la maison de Nassau, IV, p. 284.
[4] Voir plus haut : La Casuistique de l'insurrection, livre premier, chap. premier, § II.
[5] Hauser, La Noue, p. 66-67 et les notes.
[6] Prince débonnaire, piteux et plein de toute générosité, ainsi s'exprime son confesseur Sorbin dit de Sainte-Foy, dans l'Histoire véritable de son règne, Archives curieuses, VIII, p. 274.