I. — CATHERINE DE MÉDICIS. CATHERINE de Médicis, mère du roi mineur Charles IX, inaugurait sa régence au milieu de l'agitation, des inquiétudes et des espérances que provoquaient la chute des Guise et le retour de fortune des Bourbons. Protestants et catholiques se demandaient quelle politique elle allait suivre. Les grandes puissances n'étaient pas moins préoccupées des événements de France, où les intérêts religieux les plus graves, avec leurs conséquences internationales, étaient en jeu. Jamais le moment ne fut si favorable pour le protestantisme. Le gouvernement des Lorrains avait exaspéré l'opinion ; presque tout le monde reconnaissait la nécessité de réformer l'Église. Le catholicisme avait contre lui ses abus, les violences de ses chefs et l'esprit de changement. Qu'adviendrait-il si la Reine-mère se mettait à favoriser les novateurs ? Elle avait en 1560 quarante et un ans. Malgré neuf grossesses, l'âge mûr et l'embonpoint, elle était restée très alerte, grande chevaucheuse, grande marcheuse et grande mangeuse. Sa taille, autrefois, avait été belle, et sa peau était encore fine, mais elle n'avait jamais paru jolie avec ses grands yeux à fleur de tâte et son front bombé qui faisaient penser à son grand-oncle, le pape Léon X. C'était une Médicis par le goût des arts, de la magnificence et du luxe, comme par l'intelligence. Mais il y avait peu de raisons de la croire capable du premier rôle. Elle n'avait jamais essayé de disputer son mari à Diane de Poitiers, qui avait dix-neuf ans de plus qu'elle ; elle s'était résignée au partage avec une complaisance sans dignité. Peut-être se jugeait-elle suffisamment heureuse d'avoir été appelée au trône de France. Aussi, pendant les dix premières années de son mariage, elle s'était désespérée de sa stérilité qui la menaçait d'un divorce et d'une déchéance Parmi les confidents de sa peine, il y avait des partisans de la religion nouvelle qui lui suggérèrent de recourir à Dieu. Elle l'invoqua en sa détresse : Vers l'Éternel, des oppressés le père, Je m'en yrai... ... et lui ferai prière A haute voix qu'il ne jette en arrière Mes piteux cris... Quelque temps après, elle eut son premier enfant (1544). Les protestants crurent qu'elle leur garderait une reconnaissance éternelle[2]. Devenue Reine, elle avait constaté avec un peu d'humeur qu'Henri II, lors du fameux voyage d'Austrasie, en 1552, ne l'avait pas nommée régente avec pleins pouvoirs. Elle avait refusé de faire enregistrer au Parlement la Déclaration royale, car ce serait, disait-elle, plutôt diminuer qu'augmenter l'authorité que chacun estime qu'elle a. Elle avait mis la main aux affaires et s'était appliquée aux besognes les plus ardues de l'administration. Comme elle l'écrivait au Connétable, elle apprenait l'estat et charge de munitionnaire et se flattait d'y passer maistresse. Après la défaite de Saint-Quentin, elle s'était rendue encore plus utile. Pendant qu'Henri II tâchait de rassembler une nouvelle armée, il l'envoya à Paris pour y solliciter un secours d'argent. Elle alla à l'Hôtel de Ville, où s'étaient réunis les délégués du Parlement, les membres de la municipalité et les bourgeois notables. Elle parla avec tant de force de la nécessité de l'État que l'Assemblée, sans délibération, lui accorda 300.000 livres. Mais ces rares manifestations de son intelligence et de son activité n'avaient pas laissé une impression durable. Pour la masse de la nation, Catherine restait l'épouse résignée et effacée. II. — LES ÉTATS GÉNÉRAUX D'ORLÉANS. LA régente se trouvait en présence des États généraux, élus sous François II, après un demi-siècle d'absolutisme. Aux États généraux de 1484[3], les députés des trois ordres avaient été presque partout choisis en commun par les électeurs des trois ordres, mais en 1560 le Clergé, la Noblesse et le Tiers État étaient si divisés par les questions politiques et religieuses qu'ils firent leurs élections séparément. Les circonscriptions électorales ecclésiastiques furent, en 1560, très variées de nature et d'étendue, ici le bailliage, là le diocèse, ailleurs le gouvernement, ou une ville, ou un pays, ou une province ecclésiastique. Quant aux députés des ordres laïques, ils furent nommés par bailliages ou sénéchaussées. Cependant la ville de Paris eut une représentation distincte de la prévôté de Paris, assimilée à un bailliage. Dans certains pays d'États, les États prétendirent nommer
eux-mêmes les députés, mais la royauté se défiait de ces assemblées sur
lesquelles elle avait peu de prise. Le cardinal de Lorraine répondit au duc
d'Aumale, gouverneur de Bourgogne, que là comme ailleurs les élections devaient
se faire par bailliages afin que ceux des pays puissent
considérer plus particulièrement leurs affaires et mieux remonstrer leurs
plaintes. S'il n'est pas sûr que les paysans — tous les paysans — aient voté en 1484, leur participation aux élections de 1560 est certaine. Cette innovation (si c'en fut une) fit si peu de bruit que les contemporains n'en disent mot. Elle eut cependant pour effet d'augmenter beaucoup la proportion des officiers du roi parmi les députés du Tiers. Tandis que les villes déléguaient de préférence des consuls et des échevins, les campagnes choisirent naturellement les gens de justice et de finances à qui elles avaient affaire. Les Guise, qui étaient encore au pouvoir lors des élections (oct.-nov. 1560), avaient recommandé à leurs lieutenants d'avoir l'œil sur les reliques de la Conjuration d'Amboise ; aux magistrats, de surveiller les assemblées électorales. Ils avaient même interdit de discuter la question religieuse. Mais les esprits étaient trop excités pour se laisser intimider, et l'action du gouvernement restait faible, là où il n'avait presque point de soldats. Les provinces du Midi et de l'Ouest, travaillées par les prédicants calvinistes, la Guyenne dont le roi de Navarre était gouverneur, avaient, en majorité, voté pour les partisans des princes du sang et de la réforme ecclésiastique. Même dans les régions de la Loire et jusque dans le voisinage de la Cour, les opposants avaient parlé haut. Ils ne semblaient attaquer que les abus du Clergé, mais les Guise avaient si intimement lié leur cause à celle de l'Église qu'ils se sentaient visés. L'assemblée de la noblesse d'Angers permit qu'un ministre, Charles Dalbiac, dit Du Plessis, exposât la confession de foi des Églises protestantes et comment l'Église romaine avait ensorcelé toute la chrestienté. L'avocat du Roi au présidial d'Angers, Grimaudet, fut encore plus vif dans l'assemblée du Tiers État : Les prebstres du jourd'huy sont riches des biens du monde, pauvres des biens spirituels, vivans en délices le jour et la nuict, ...simoniaques... Et pour congnoistre leur avarice, par laquelle latentement ils ont souillé le ministère sacerdotal, l'enfant n'est baptizé sans argent ; ... 'homme et la femme ne peuvent solemniser leurs nopces sans bailler argent.... Les prêtres font marchandise des pardons et absolutions des péchés du peuple ; ne font les prières au temple de Dieu sans argent... ne permettent les sépultures des trespassés sans payer l'ouverture de la terre... ils ont tourné les œuvres de piété en quest (gain) sordide ; de l'administration des sacremens en ont fait magazin et boutique de marchandise. Grimaudet, ennemi du Clergé, ne l'était pas de l'unité catholique. Il distinguait dans la religion deux points : les sacrements et choses spirituelles ; — la discipline et police sacerdotale. C'était à un Concile général et universel, assemblée générale de tous les chrestiens et non des évesques seuls, de fixer le dogme, disait-il : Car si les disputes des saremens se traitent en concile national, ce sera faire ouverture d'introduire en la chrestienté autant d'opinions et de sectes qu'il y a de royaumes et de provinces. Mais la police du culte appartient au Roi : Il luy est commandé au dix-septiesme (chapitre) du Deutéronome prendre et lire le livre de la loy de Dieu... pour la maintenir, faire garder et punir ceux qui pécheront contre icelle.... Les ecclésiastiques mesmes escrivent que le roy, en telle et si puante pourriture des mœurs des ministres de l'Église et pour leur négligence, doit tirer son cousteau de justice pour trancher et, réséquer ce qu'il y a de mal. Or si nous regardons de près nous trouverons que.la source et fontaine de tous ces maux est dérivée des richesses acquises à l'Église par dévotion.... Lorsque ceste cause péchante en l'Église sera ostée, les ministres du culte seront remis à leur première lumière de sçavoir, littérature, chasteté et intégrité de vie. L'agitation dépassa quelquefois le corps électoral si restreint des villes. A Blois, le commun peuple s'efforça de rompre les portes de la salle où Jean Bazin, procureur du Roi en la prévôté, et ennemi des Guise, parlait devant les juges, échevins et bourgeois réunis à l'Hôtel de Ville en assemblée du Tiers État. Bazin dut recommencer son discours devant plus de quinze cents personnes. Les ordres laïques presque partout se montrèrent hostiles au Clergé, sinon favorables à la Réforme. Catherine de Médicis pouvait craindre que ces dispositions ne tournassent contre elle. Antoine de Bourbon avait fait le sacrifice de ses droits, mais les États généraux accepteraient-ils cet arrangement ? Les élus des ordres laïques, surtout ceux des bailliages d'Aquitaine, représentèrent que leurs pouvoirs avaient expiré avec François II. Ils avaient été nommés pour aviser aux maux du royaume ; l'avènement du nouveau Roi posait une question qu'ils n'avaient pas mission de résoudre, l'organisation du gouvernement. Chez quelques-uns, ces scrupules étaient sincères ; chez d'autres, ils masquaient des intentions peu favorables à la Régente. Les amis des Bourbons et les partisans de la Réforme voyaient que la faiblesse du roi de Navarre leur enlevait le moyen de constituer un gouvernement où ils auraient été les maures. Ils comptaient sur de nouvelles élections pour se procurer une majorité hostile à l'Église romaine et décidée à faire Antoine de Bourbon régent, même malgré lui. Ces calculs n'échappaient pas à Catherine, qui craignait qu'une autre assemblée ne la réduisit à la tutelle de ses enfants. Mais Antoine de Bourbon n'appuya as les réclamations des deux ordres, et le Conseil privé déclara que la dignité royale ne mourait point. Quelques jours après (21 déc. 1560), le Conseil réglait la forme et la manière dont les affaires devaient se traiter durant la minorité de Charles IX, et faisait le départ des pouvoirs de la Reine-mère et de ceux du premier prince du sang. Les gouverneurs des provinces, les capitaines des places frontières du royaume, ayant affaire en Cour pour le regard de leurs charges et le faites armes, s'adresseraient d'abord au roi de Navarre, et la Reine-mère, sur son rapport, en ordonnerait, par l'avis de son Conseil ce qui serait nécessaire. — Les lettres et dépêches de ces gouverneurs et capitaines seraient envoyées à la Reine-mère qui les transmettrait au roi de Navarre et, sur son avis et celui du Conseil, prendrait les résolutions. — Toutes choses concernant la justice, les finances et la police du royaume devaient être traitées et expédiées au Conseil privé, ladite Reine y assistant quand bon lui semblera, sinon lui en sera après fait rapport. Au Conseil étroit ou Conseil des affaires du matin, elle se ferait lire les lettres royaux avant que le Roi, son fils, les signât. Les secrétaires d'État avaient l'ordre de lui remettre sans aucunement les ouvrir les paquets qu'ils recevaient du dedans ou du dehors du royaume, et elle en prendrait connaissance à part, avant de les faire lire en pleine compagnie du Conseil des affaires. Les réponses du Roi seraient accompagnées d'une lettre de sa mère. Le roi de Navarre se contentait donc de peu : il restait à peu près uniquement chargé « de faire rapport » à la Reine-mère sur les affaires militaires. Catherine pouvait avec raison écrire à sa fille, la reine d'Espagne, qu'il était très obéissant et n'avait nul commandement que celui qu'elle voulait bien lui permettre (19 déc. 1560). La Régente et ses conseillers inclinaient à la tolérance. Le discours que le Chancelier, Michel de l'Hôpital, avait prononcé à l'ouverture des États (13 déc. 1560), était le manifeste d'une politique nouvelle. Les trois ordres, avait-il dit, ont été convoqués pour remédier aux divisions du royaume. Le pays est troublé et pourquoi ? Les princes, les seigneurs sont mécontents. Mais, qui a-t-on dépouillé de ses biens et dignités ? Et d'ailleurs le Roi n'est-il pas le libre dispensateur de ses grâces ? Non, la vraie cause des séditions, c'est la religion. Quoique l'esprit de douceur soit la marque d'une âme vraiment chrétienne, il faut pourtant reconnaître que les croyances bonnes ou mauvaises inspirent les plus ardentes passions. C'est folie d'espérer paix, repos et amitié entre les personnes qui sont de diverses religions. La communauté de foi est plus forte que les liens du sang et la communauté de race. Nous l'expérimentons aujourd'huy et voyons que deux François et Anglois qui sont d'une mesme religion ont plus d'affection et d'amitié entre eux que deux citoyens d'une mesme ville, subjects à un même seigneur, qui seroyent de diverses religions. Le Chancelier avait indiqué avec franchise les dangers que les passions religieuses faisaient courir à l'ordre, et l'esprit de prosélytisme à la patrie. Pourtant il ne concluait pas, comme les catholiques zélés, qu'il fallait anéantir les dissidents. Il partait de cette constatation pour faire la leçon aux deux partis. Aux esprits amoureux de nouveautés, il recommandait le calme et la réflexion ; où s'arrêterait la diversité des opinions si chacun était libre de choisir sa doctrine ? Voyez et prenez garde qu'il n'y ait autant de façons et manières de religions qu'il y a de familles ou chefs d'hommes. Qu'ils attendent donc la décision d'un libre et saint Concile. Il s'adressait ensuite aux catholiques. Le coulteau vaut peu contre l'esprit. Il nous fault doresnavant garnir de vertus et de bonnes mœurs et puis les assaillir (les Réformés) avec les armes de charité, prières, persuasions, parolles de Dieu. La douceur profitera plus que la rigueur. Osions ces mots diaboliques, noms de parts, factions et séditions, luthériens, huguenauds, papistes : ne changeons le nom de chrestiens. Il y avait, il est vrai, des esprits pervers pour qui la religion n'était qu'un prétexte à sédition. Contre ceux-là le Chancelier se montrait sans pitié. Au scandale des protestants, il avouait toutes les rigueurs des gouvernements précédents. Si est-ce que jusques icy a esté procédé si doulcement qu'il semble plus correction paternelle que punition, il n'y a eu ny portes forcées, ny murailles de villes abattues, ny maisons bruslées, ny privilèges osiez aux villes comme les princes voisins ont faict de nostre temps en pareils troubles et séditions. Le Roi a été contraint et pourra l'être encore d'employer la force. Mais que les bourgeois et habitants des villes prennent le soin et charge sur eux, aussitôt que quelqu'un se soulèvera en leur ville, de l'arrêter et le « faire punir selon les Edicts ou l'exterminer qu'il n'en soit plus de mémoire ». S'il y avoit un homme pestiféré ou infect de lespre, vous le chassiez de votre ville ; il y a plus grand'raison de chasser les séditieux. Ces déclarations énergiques indiquaient plus que le désir de faire peur pour échapper à la nécessité de réprimer ; encore moins fera-t-on l'injure à L'Hôpital, comme Théodore de Bèze, d'imputer à son esprit courtisan son approbation du passé. L'Hôpital était un homme de gouvernement. On se le représente volontiers comme une âme simple et ingénue, qui croyait à la vertu toute-puissante du bien et se reposait sur elle du soin de maintenir l'ordre. Son humanité n'était point faiblesse. Mais, à ce compte, il risquait d'avoir contre lui les deux partis. Il termina en exposant brièvement les besoins du Roi et en demandant pour cet orphelin engagé, endebté, empesché les secours de ses sujets. Le 1er janvier 1561, dans une seconde séance solennelle, la Cour entendit la réponse des Ordres. A la différence aussi de 1484, où tous les députés, sans distinction, avaient délibéré ensemble, en 1560 ils ne songèrent même pas à se réunir et siégèrent séparément en trois chambres. Il en fut désormais ainsi dans tous les États généraux ; les trois ordres ne s'assemblèrent plus que pour les séances solennelles, à l'ouverture et à la clôture des sessions[4]. Cependant le cardinal de Lorraine, choisi comme orateur par le Clergé, espérait que la Noblesse et le Tiers le chargeraient aussi de parler en leur nom. Mais les ordres laïques avaient de bonnes raisons d'exposer séparément leurs doléances. De dépit, le Cardinal refusa de haranguer le Roi pour le Clergé seul. Et Quintin, docteur régent en droit canon de l'Université de Paris, le remplaça. Il parla d'un ton monotone, sans un éclat ni une inflexion de voix, sans un geste, raide, les yeux à demi clos, le regard fixe, vraie personnification d'un système qui ne voulait pas changer. Il loua le Roi d'avoir convoqué tous ses sujets pour reconnaître solennellement les services que selon l'exigence des nécessités du royaume ils lui rendent et lui ont rendus, [ce] qui est autant que les vouloir [re]mercier, vouloir du tout répugnant et directement contraire à je ne scay quels malins esprits soufflans aux oreilles du prince quod omnia sunt regis[5], calomnieusement interpretans du juge Samuel. C'était, au nom du droit de propriété, une protestation contre les députés de la Noblesse et du Tiers, qui, dans la plupart des cahiers, recommandaient au Roi de dépouiller l'Église pour enrichir l'État. Nous vous requerons et interpellons, Sire, comme de chose qui ne se peut ny doit... vous abstenir de prendre sur le Clergé... don gratuit, décimes... subsides. Certainement semble (comme est la vérité) que le prince ne peult, saine et sauve sa conscience, les demander ny les ecclésiastiques, la leur aussi sauve, les accorder. Sans doute, ajoutait-il, le Clergé a besoin de réforme, mais le Roi ne devait toucher ni à l'Église Vierge immaculée, ni au dogme. Bien loin d'accorder des temples aux hérétiques, il fallait interdire aux sujets tout commerce avec les pays infectés et notamment avec Genève dont il s'excusait, sur le même ton impassible, de prononcer le nom odieux ; Displicet aures vestras et os meum fœdasse vocabulo tam probroso, sed ex Ecclesiarum præscripto cogor[6]. La loi de Dieu voulait que tout bon chrétien rompît toute relation avec les mal sentants de la foi et même elle lui donnait le droit de les battre et de les frapper jusqu'à la mort. Jacques de Silly, baron de Rochefort, qui parla pour la Noblesse, rappela qu'elle s'était ruinée pour doter l'Église et protesta contre l'abus des justices ecclésiastiques. Il revendiqua pour les gentilshommes la liberté de culte, non, à ce qu'il semble, comme le droit , naturel de tout homme, mais comme un privilège de leur ordre. L'orateur du Tiers, Jean Lange, avocat au Parlement de Bordeaux, s'éleva contre l'avarice et l'ignorance des clercs. L'Amiral se plaignit à la Reine que l'orateur du Clergé traitât d'hérétiques les sujets du Roi qui réclamaient des temples. Quintin fut obligé de s'excuser. Les trois ordres n'étaient d'accord que pour refuser toute espèce de subsides. Et cependant l'argent manquait pour les dépenses de la Cour comme pour les besoins du gouvernement. Le 13 janvier 1561, L'Hôpital se rendit aux Cordeliers où les trois ordres étaient assemblés ; il avoua une dette publique de 43 millions, le quadruple du revenu annuel du royaume. La détresse du Trésor ne toucha pas les députés. Le Tiers État, après dix jours de délibérations, se déclara sans pouvoirs pour accorder une augmentation d'impôts ; la Noblesse et le Clergé refusèrent tout don. La Régente se décida à congédier les États. La séance de clôture eut lieu le 31 janvier 1561. Le Chancelier indiqua les sacrifices que le gouvernement attendait de la nation. Le Tiers devrait consentir pour six ans une augmentation des tailles, le Clergé racheter pour le compte du Roi les domaines, aides et gabelles qui avaient été aliénés. Puisque les députés ne se croyaient pas autorisés à voter les subsides nécessaires, il les invitait à aller dans leurs bailliages consulter leurs électeurs. Il leur donnait rendez-vous dans quelques mois à Melun, mais ils pouvaient se dispenser de revenir en si grand nombre ; il suffisait que chaque gouvernement envoyât un député de chaque ordre dûment instruit de ce qu'il avait à dire. Le cahier que le Tiers État avait remis au Roi surpassait, dit Augustin Thierry, en valeur politique, en idées comme en étendue ceux de la Noblesse et du Clergé. Dans ses 354 articles, il indiquait des réformes importantes : ... l'interdiction aux prêtres de recevoir des testaments ; la réduction des jours fériés aux dimanches et à un petit nombre de fêtes ; l'élection des officiers de magistrature par le concours de l'ordre judiciaire, des magistrats municipaux et de la couronne ; la révision des anciennes lois et ordonnances et la réunion en un seul corps de celles qui seraient maintenues ; la poursuite d'office contre les crimes notoires sans qu'il eût besoin de partie civile ; la suppression des douanes intérieures et l'adoption d'un seul poids et d'une seule mesure dans tout le royaume ; l'établissement des tribunaux électifs de commerce et de police ; des règlements prohibitifs sur la coupe des bois de haute futaie ; la restriction des justices seigneuriales au profit de la justice royale ; la peine de déchéance des droits seigneuriaux pour tout noble convaincu d'exactions envers les habitants de ses domaines ; enfin, la tenue des États généraux au moins une fois tous les cinq ans et le choix immédiat d'un jour et d'un lieu pour leur prochaine convocation. La réforme du Clergé était réclamée même par le Clergé. Depuis que le Concordat avait attribué au Roi la nomination aux évêchés et implicitement abandonné au Pape la première année du revenu des bénéfices vacants (annates), François Ier et Henri II avaient rempli l'Église d'hommes d'État, de cadets de grande famille, de diplomates, qui n'avaient ni le goût ni le temps de s'intéresser à leurs ouailles et qui le plus souvent vivaient loin de leurs diocèses. L'indifférence de ces pasteurs expliquait en partie les progrès du protestantisme. Il fallait, disait le cahier du Clergé, en revenir à la Pragmatique sanction de Bourges, rendre aux chapitres l'élection des évêques, aux moines celle des abbés. La Noblesse et le Tiers État, tentés peut-être par l'exemple des Églises protestantes où les fidèles choisissaient les ministres, demandaient à intervenir dans les' élections ecclésiastiques. Ils réclamaient aussi l'abolition des annates. L'Ordonnance d'Orléans, promulguée le jour même de la clôture des États, donnait force de loi à quelques-uns de ces vœux. Elle se taisait sur la périodicité des États généraux, mais semblait leur reconnaître en un article assez équivoque (art. 135) le droit de voter l'impôt. Comme les cahiers, elle touchait à toutes les parties de l'administration, aux plus grandes comme aux plus petites, à la réforme du Clergé et à la publication des Almanachs et prognostications, à la vénalité des charges et aux constructions en saillie sur les rues, à la police du royaume et à l'importation des parfums étrangers. Elle promettait, en les ajournant, les économies que les États réclamaient. Tous les offices de judicature et de finances créés depuis Louis XII seraient supprimés par extinction et le Roi s'interdisait de pourvoir aux vacances jusqu'à ce qu'ils fussent réduits à un tel estat et nombre qu'ils estoient lors et au temps du décès dudit Roi. Après, les charges cesseraient d'être vénales ; les Parlements et. les Cours souveraines se recruteraient, comme autrefois, à l'élection. Quant aux sièges subalternes et inférieurs, les maires, échevins, conseillers et capitouls de la ville éliront trois personnages les plus suffisans et capables et le Roi pourvoira à la nomination de celui des trois qu'il avisera. Afin de réduire le nombre des degrés de juridiction, qui est l'une des causes de la longueur des procès, le Roi veut qu'en chaque ville où la justice est exercée sous son nom n'y aura que le siège du baillif, sénéchal ou autre principal siège ressortissant de sa cour du Parlement. Les justices royales inférieures, prévôtés, vigueries, etc., devaient être supprimées à mesure des vacances. Les juges qui avaient payé leurs charges très cher s'indemnisaient aux dépens des justiciables ; ils prélevaient sur les plaideurs des droits connus sous le nom d'épices et sollicitaient les cadeaux. L'Ordonnance leur défendait de recevoir désormais aucun présent, quelque petit qu'il fût, de vivres ou autre chose quelconque, excepté la venaison ou gibier pris es forests et terres des princes et seigneurs qui les donneront. Elle leur défendait aussi d'accepter gages ou pensions des seigneurs ou dames de ce royaume, de prendre bénéfices de leur archevêque ou évêque, des prieurs et chapitres de leur ressort, tous intéressés à s'assurer en cas de procès la faveur d'un conseiller ou. d'un président dans chaque parlement. Sur la réforme ecclésiastique, le gouvernement essaya de satisfaire les députés, sans dénoncer le Concordat ; il se réserva de débattre avec les envoyés du Pape la question des annates, mais l'Ordonnance interdit provisoirement tous transports d'or et d'argent boys du royaume, sous couleur d'annate, ou autrement, à peine du quadruple contre ceux qui contreviendroient à cette présente ordonnance. Les archevêques et les évêques seraient désormais élus et nommés : les archevêques, par les évêques de la province et le chapitre de l'église archiépiscopale ; les évêques, par l'archevêque, les évêques de la province et les chanoines de l'église épiscopale, appelez avec eux douze gentilshommes qui seront élus par la noblesse du diocèse et douze notables bourgeois qui seront aussi élus en l'Hostel de la ville archiépiscopale ou épiscopale. Ces électeurs, ecclésiastiques et laïques, s'accorderoient de trois personnages de suffisance et qualitez requises par les saints décrets et Conciles, âgés au moins de trente ans, entre lesquels le Roi choisirait le futur évêque ou archevêque. Les prélats et les curés seraient astreints à la résidence ; en chaque église cathédrale ou collégiale, une prébende serait affectée à un docteur en théologie qui ferait trois fois la semaine une leçon publique de l'Écriture Sainte et qui prêcherait le dimanche et jours de fêtes solennelles. Une autre prébende devait être réservée à un précepteur, chargé d'instruire gratuitement les jeunes enfants de la ville. Les hommes ne pourraient prononcer des vœux qu'à vingt-cinq ans et les filles à vingt. Défense était faite aux prélats, gens d'Église et curés de rien exiger pour l'administration des sacrements, laissant toutefois à la discrétion et volonté d'un chacun donner ce que bon lui semblera. Mais il était plus facile d'édicter des réformes que de les faire. Le gouvernement, besogneux, continua à créer et à vendre des charges, les juges à toucher des épices et des pensions. Les justices royales inférieures durèrent jusqu'à la Révolution. Les annates furent presque aussitôt rétablies que suspendues. Les évêques, toujours nommés par le Roi, ne résidèrent pas. De l'Ordonnance d'Orléans, il ne restait au bout de quelques années que le souvenir des vues réformatrices du Tiers et des bonnes intentions du Chancelier. La politique religieuse du gouvernement avait rencontré plus de sympathie que ses demandes de subsides. Le Chancelier rédigea une déclaration (janvier 1561) qui arrêtait les persécutions sans rompre trop ouvertement avec un passé d'intolérance. Le Roi ordonnait de mettre en liberté les prisonniers pour le fait de la religion en les admonestant de vivre catholiquement à l'avenir. C'était un sursis, en attendant la délivrance. III. — LA RÉGENTE ET LES PARTIS. DÉBARRASSÉE des États généraux, la Régente se retrouvait en face des chefs de partis. Antoine de Bourbon contestait à Catherine l'autorité qu'il lui avait cédée. La Cour était allée s'établir à Fontainebleau. Le duc de Guise, en sa qualité de grand mettre, avait les clefs du château. Le roi de Navarre demanda qu'il fût éloigné. Mais Catherine entendait opposer les Lorrains aux Bourbons et se fortifier de leur rivalité ; elle refusa. Antoine déclara qu'il s'en irait lui-même. Il avait fait venir ses chevaux et ses mulets ; son lit était troussé ; les Montmorency et les Châtillon se disposaient à le suivre. Cette désertion des plus grands seigneurs était un présage de guerre civile. Le petit roi, stylé par sa mère, manda le Connétable, fit appel à son dévouement, et lui commanda de ne point l'abandonner (27 février). Ce vieillard formaliste obéit. Antoine, réduit à partir seul, se résigna à rester. Mais l'alarme avait été chaude. Catherine ne cachait pas la peur qu'elle avait eue. Elle mit tous ses soins à apaiser Antoine de Bourbon ; elle lui promit de rappeler le prince de Condé, qui était sorti de prison, mais vivait dans une sorte de disgrâce. Condé, en effet, reparut à la Cour ; un arrêt du Conseil privé déclara son innocence (8 mars). Malheureusement la Reine ne sortait d'une difficulté que pour retomber dans une autre. Elle avait beaucoup de peine, comme elle l'avouait, à dévider toutes ces fusées (fuseaux). Les électeurs des trois ordres de la prévôté de Paris s'étaient réunis pour rédiger leurs cahiers et élire des députés aux États de Melun. Ils se prononçaient contre tout relèvement d'impôts. Le Tiers dressait la liste d'un Conseil de régence d'où il excluait les Guise. La Noblesse désignait comme régent le roi de Navarre, et s'il ne voulait accepter elle donnait ledit gouvernement au plus proche après lui. La Reine-mère alla trouver le roi de Navarre et lui demanda s'il avouait cette agitation. Il me fict response, écrit-elle, qu'il estoit bien ayse de ce qu'il voyoit, car par la je congnoistrois ce qui lui appartenoit et ce qu'il faisoit pour moi en me le ceddant. Catherine n'était pas femme à se payer d'un compliment. Elle répliqua qu'elle n'oubliait pas ses services, mais qu'elle ne se laisserait pas dépouiller. Enfin la duchesse de Montpensier, Jacqueline de Longwy, fit accepter un compromis. Antoine de Bourbon fut nommé lieutenant général du royaume (27 mars 1561) avec le commandement des armées. Il abandonna toute prétention à la régence ; ses frères signèrent avec lui cette renonciation. Catherine gardait l'administration des finances, les dépêches, la nomination aux offices et aux bénéfices. Pour donner aux esprits le temps de se calmer, on décida d'ajourner au mois de mai l'élection des députés et de tenir les États en août, non à Melun, mais à Pontoise. Ce gouvernement, toujours contesté, avait à diriger un royaume de plus en plus troublé. L'habileté ne manquait pas à Catherine, ni les bonnes intentions. Elle se montra politique sage et avisée. Elle a eu le mérite d'avoir essayé, pour guérir les maux du pays, le remède de la tolérance. Qu'elle ait adopté par scepticisme et par indifférence la doctrine d'apaisement que le Chancelier trouvait dans sa raison et dans son cœur, il n'en reste pas moins établi par sa correspondance et par les faits que son premier sentiment fut d'élever la royauté au-dessus des partis comme un pouvoir modérateur. Mais sa bonne volonté fut mise à une rude épreuve. Aux premières manifestations de tolérance, les catholiques répondirent par des émeutes. Prêtres et moines commencèrent à prêcher la haine et la désobéissance. Le prédicateur de Saint-Séverin, Fournier (dimanche 30 mars 1561), s'indigna qu'une femme pût conférer les offices et les bénéfices et prit à partie la maison de Châtillon. A Beauvais, le peuple s'arma sur le bruit que son évêque, le cardinal de Châtillon, avait, le jour même de Pâques, célébré la cène dans sa chapelle épiscopale suivant le rite de Genève. Le sang coula (6 avril 1561). Dans ce Paris, que Théodore de Bèze signalait comme la ville sanguinaire et meurtrière entre toutes celles du monde, une troupe de Réformés renouvela, au chant des psaumes, les fameuses promenades du Pré-aux-Clercs. Ils furent assaillis par les étudiants, chassés à coups de bâton et obligés de se réfugier dans le logis du sire de Longjumeau (27 avril). Ils s'y retranchèrent et appelèrent leurs coreligionnaires à l'aide. Deux jours après, deux mille étudiants se disposaient à donner l'assaut, quand l'intervention du prévôt de Paris sauva les trois cents assiégés. Le Roi bannit Longjumeau, mais ordonna au Parlement de sévir contre tous les perturbateurs sans distinction de religion. Aucun édit n'autorisait les réformés à tenir des prêches et à se rassembler, comme ils faisaient, de jour et de nuit. Mais la faveur du roi de Navarre et des Châtillon, et la bienveillance du gouvernement les enhardissaient à pratiquer ouvertement leur culte. Ils ne se refusaient pas cette satisfaction chère à toutes les âmes pieuses, mais où l'esprit d'opposition et le caractère frondeur de la race trouvaient un attrait de plus. A Chinon, ils se réunissaient en troupes de quatre cents à cinq cents pour assister aux prêches ; à Lectoure, le dernier dimanche de juin et le premier dimanche de juillet 1561, ils avaient publiquement et en armes célébré la cène. Dans le Midi, où les passions étaient plus ardentes, ils rendaient aux catholiques coup pour coup. A Leyrolle, à Serignac, à Brax (Agenais), ils tuèrent le curé ; ils saccageaient les églises. Le bruit courut qu'à Lyon un huguenot avait coupé le bras à un prêtre qui portait le Saint-Sacrement. A Paris, on leur prêtait l'intention de troubler la procession solennelle de la Fête-Dieu, où se manifeste avec tant d'éclat la croyance des catholiques en la présence réelle. Catherine inquiète appela à l'aide le favori des Parisiens, François de Guise, pour se fortifier de sa popularité contre le fanatisme des uns et de son énergie contre la turbulence des autres. Il fit escorte au Saint des Saints monté sur un beau cheval noir. La Régente, plus sensible au maintien de l'ordre qu'au triomphe du catholicisme, entrait résolument dans la voie de la tolérance. A Fontainebleau, elle laissait l'Amiral, la duchesse de Ferrare, Renée de France, et la princesse de Condé transformer leurs appartements en lieux de réunion et de prière. Coligny avait fait venir de Genève un ministre, Jean-Raymond Merlin, et il admettait aux prêches qui se tenaient chez lui les gentilshommes et les gens du commun. La Reine invita amicalement Merlin à cesser ses prédications, mais sans lui donner d'ordre. Le prédicateur de la Cour, Monluc, n'était guère plus orthodoxe ; le Connétable, indigné de ses sermons équivoques, s'en fut entendre un jacobin, qui prêchait dans les communs du château pour la valetaille. Il y rencontra le duc de Guise et le maréchal de Saint-André. Ces anciens ennemis s'entendirent pour sauver le catholicisme. C'est le Triumvirat (6 avril 1561). La formation de cette ligue rapprocha plus encore Catherine du parti réformé. Le 19 avril un édit accordait à tous les sujets du roi la liberté de prier librement à huis clos en leur logis. L'Hôpital l'envoya aux gouverneurs avant de le soumettre au Parlement. Il se défiait de cette Cour où, depuis le procès de Du Bourg, le parti de l'orthodoxie s'était renforcé, et qui s'en prenait à la Réforme seule du désordre général. Même ses membres les plus humains considéraient la coexistence des deux religions comme une monstruosité politique et un outrage à la vérité. L'Hôpital n'était pas l'homme qu'il eût fallu pour calmer les inquiétudes et susciter les bonnes volontés. Il apportait dans ses relations avec la magistrature une raideur qui rappelait ses mépris d'autrefois pour la procédure. Afin d'éviter les remontrances, il prévenait l'enregistrement. L'irritation fut si vive dans le Parlement, qu'il fut question d'ajourner le Chancelier[7]. Le cardinal de Lorraine essaya, lui aussi, de faire peur. Le jour du sacre (5 mai 1561), il exhorta Charles IX à garder la foi catholique et lui prédit que, s'il changeait de sentiment, il en résulterait sa destruction, et que quiconque lui conseillerait de changer de religion lui arracherait en même temps la couronne de la tête. La Reine pensait au contraire la consolider par la tolérance. Mais, après le liberté de conscience, les protestants demandaient la liberté de culte. Le 11 juin, le seigneur d'Esternay présenta au nom de son parti une requête pour obtenir des temples ou autres lieux publics bâtis ou à bâtir à leurs dépens. Aussi bien les protestants, en beaucoup d'endroits, célébraient ouvertement leur culte. Sur la plainte du Clergé, la Régente décida de consulter le Parlement, à qui elle adjoignit les princes et les membres du Conseil privé. Après plusieurs délibérations (23 juin-14 juillet), cette grande compagnie se prononça à trois voix de majorité contre tout exercice public ou privé de la religion nouvelle. Sur quoi le Chancelier rédigea l'Édit de juillet 1561, qui interdisait, sur peine de confiscation de corps et de biens, les conventicules privés ou publics, avec armes ou sans armes, où se feroyent prêche et administration des sacremens en autre forme que selon l'usage receu en l'église catholique. C'était l'avis de l'assemblée, mais tempéré par des dispositions qui défendaient aux magistrats les excès de zèle, prononçaient contre les faux délateurs des peines sévères et prohibaient sur peine de la hart les injures, les agressions, les enquêtes de la foule dans les maisons des religionnaires. Même avant de publier l'édit, la Cour s'attachait à rassurer ceux qu'il visait. Le ministre de Coligny écrivait aux églises que les moins puissants d'entre eux auroient occasion... d'estre assurets en leurs maisons ou de leurs voysins, jouissant de la prédication de la parole de Dieu. Les sympathies de la Régente pour Coligny et ses complaisances pour les protestants allaient croissant. A Saint-Germain-en-Laye, comme à Fontainebleau, avec moins de discrétion encore, il se faisait toujours quelque prêche dans les logis des seigneurs protestants. On disait même que le second fils de la reine, Henri d'Orléans, n'allait plus à la messe. Il essayait de convertir au pur Évangile sa petite sœur Marguerite et lui arrachait des mains les patenôtres et les livres de prières que lui donnait le vieux cardinal de Tournon. A ce moment, le roi de Navarre donnait le spectacle des plus étranges variations religieuses. En avril, il avait communié dévotement, en juin il était redevenu protestant, en août il retournait à la messe avec ostentation. Sa vie privée ne cessait pas d'être scandaleuse. Il est tout à Vénus, écrivait Calvin (totus est venereus). Mais Jeanne d'Albret, sa femme, venait de passer à la Réforme pour ne plus la quitter. Elle traversait lentement le royaume pour se rendre à la Cour et, dans les villes où les magistrats avaient cherché à appliquer l'Édit de juillet, elle restituait les temples à ses coreligionnaires. Son passage à Paris fut l'occasion d'une grande manifestation religieuse. Quinze mille protestants vinrent de toutes les parties de l'Île-de-France assister avec elle à une réunion de prières. Elle arriva le 29 août 1561 à Saint-Germain et elle fut reçue avec de grands honneurs. Les temps étaient mauvais pour le catholicisme ; le gouvernement était tiède, la noblesse et la bourgeoisie hésitantes ; les masses seules restaient attachées à l'ancienne foi. Les partisans de la religion nouvelle n'étaient qu'une minorité, mais ils avaient montré tant d'ardeur et d'activité, ils avaient si bien lié partie avec les ennemis des Guise, qu'ils venaient de l'emporter dans les élections ; ils arrivaient à Pontoise avec un programme de dépossession de l'ordre ecclésiastique. Les députés étaient très peu nombreux, un de chaque ordre par gouvernement ; et même les représentants du Clergé siégeaient à part de leurs collègues laïques à Poissy, où ils se confondaient avec une assemblée du Clergé de France. Il n'y eut de réunion plénière que le jour de la séance royale, le 27 août 1561, à Saint-Germain. L'orateur du Tiers État, Bretagne, vierg (maire) d'Autun, déclara que le Tiers État exténué par les impôts ne pouvait plus offrir qu'une bonne et loyale volonté. Puisque les dettes du Roi provenaient de dilapidations et de donations excessives, il n'y avait qu'à rechercher les coupables et les enrichis. Il fallait rompre aussi avec la politique religieuse des derniers rois : Les opinions diverses que tiennent vos subjects, dit Bretagne à Charles IX, ne proviennent que du grand zèle qu'ils ont au salut de leurs âmes. Ce souci si légitime était la justification et la raison même de la liberté de conscience. Le Roi devait soumettre la question de doctrine au jugement d'un Concile national et, en attendant, accorder aux novateurs le droit de se réunir publiquement. C'était le meilleur moyen d'empêcher les assemblées secrètes et nocturnes. Qu'on punit les perturbateurs, qu'on respectât les gens paisibles. Bretagne signalait à ce gouvernement obéré les richesses ecclésiastiques et, pour lui ôter tout scrupule, il lui montrait le Clergé, ignorant, corrompu, détournant à son usage les biens que les princes et les particuliers lui avaient confiés pour l'assistance des malades et des pauvres et pour l'instruction des peuples. Le Tiers, dans son cahier, proposait différents moyens d'acquitter la dette de l'État aux dépens du Clergé. Le plus prompt et le plus facile était la vente du temporel des gens d'Église mouvant (relevant de) de leurs bénéfices, soubs la réserve toutes fois d'une maison principale qui demeurera aux prélats, chapitre et collège titulaire, et autres bénéficiers, pour leurs habitations. — Quoique le Clergé ne retirât annuellement de ces biens-fonds que 4.000.000 de livres, le Tiers pensait qu'à cause des droits de haute justice qui y étaient généralement attachés, la vente produirait 120.000.000. Sur ce prix, 48.000.000 seraient réservés pour les besoins de l'Église et, placés au denier 12 (8,33 pour 100), rapporteraient au Clergé ses 4.000.000 de revenu annuel. 42.000.000 seraient employés à payer la Dette. Il resterait encore une somme de 30.000.000 disponible, laquelle seroit bon et expédient de mettre es mains des villes principales et capitales du royaume pour en accommoder les subjects à rente et intérêt raisonnable. Les municipalités, constituées, si l'on peut dire, en Banques de Crédit industriel et commercial, feraient par des prêts et des avances croistre et augmenter les commerces, trafiques et marchandises. Elles serviraient au Roi un revenu annuel de 500.000 livres qu'il pourrait employer aux fortifications des villes frontières, entretenement et soulde de la gendarmerie ; l'impôt en serait diminué d'autant. Au reste, il serait permis au Clergé de racheter ses biens au prix du plus offrant et dernier enchérisseur. — Mais où trouverait-il l'argent pour user de ce droit de préemption ? DE POISSY La Reine-mère et le Chancelier se prévalurent de ces dispositions hostiles pour amener l'assemblée de Poissy à faire aux besoins du Trésor un sacrifice extraordinaire. Le Clergé s'obligea à payer pendant six ans 1 600.000 livres pour le rachat des domaines, aides et gabelles aliénés, hors de Paris, aux créanciers du Roi ; et, au bout de ces six ans, à amortir en dix ans les rentes constituées sur l'Hôtel de Ville au capital de 7.650.000 livres. Le gouvernement, qui demandait bien davantage, finit par accepter ce secours qui lui permettait de gager de nouveaux emprunts sur une subvention annuelle. Cet accord, arrêté le 21 octobre 1561, est connu sous le nom de Contrat de Poissy. IV. — POLITIQUE DE CONCILIATION ET DE TOLÉRANCE. L'ASSEMBLÉE de Poissy avait un plus grand objet. Alors que le dogme et la discipline n'étaient pas encore fixés, comme ils le furent après le Concile de Trente, en formules inflexibles, il était naturel que les esprits politiques et les cœurs généreux rêvassent de régler par des concessions réciproques les différends dos Églises. Les premières sessions du Concile de Trente (1545-49, 1551-52) n'avaient répondu ni à l'attente des princes ni aux espérances des modérés. Catherine et l'empereur d'Allemagne, Ferdinand, agissaient de concert pour obtenir de la Cour de Rome un libre et saint concile où les dissidents fussent admis et entendus ; et d'avance, ils indiquaient le minimum des concessions à faire : les prières en langue vulgaire, la communion sous les deux espèces, le mariage des prêtres. Mais le pape Pie IV, qui avait paru d'abord disposé à la conciliation, reprenait les maximes d'intransigeance et ne se pressait pas de convoquer le Concile œcuménique. Alors le gouvernement français décida la réunion d'un synode national. Il maintint sa résolution après que le Pape, pour empêcher cette action particulière de l'Église gallicane, eut annoncé la prochaine convocation du Concile général. Les députés des Églises protestantes furent donc invités à se rendre à Poissy, où siégeaient les prélats et les docteurs du Clergé de France. Douze ministres étaient chargés de débattre les points de doctrine, et parmi eux, au premier rang, Théodore de Bèze, célèbre comme écrivain et comme controversiste, que Calvin avait envoyé à sa place à la sollicitation de l'Amiral, du roi de Navarre et de Catherine de Médicis. La Cour voulut donner à cette rencontre des deux religions une grande solennité. Charles IX, accompagné de sa mère, de ses frères et des princes du sang, présida la séance d'ouverture comme s'il s'agissait d'une tenue d'États (9 septembre). Le Chancelier exposa les avantages que le Roi se promettait de cette réunion. Les prélats et les docteurs catholiques ne devaient pas se faire scrupule, déclarait-il, d'entrer en relations avec les ministres. Car ces évangélistes ne pourroient estre convaincuz d'hérésie manifeste selon les anciennes coustumes, attendeu qu'ilz ne sont ny macomistes, manichéens, ny ariens ou aultres semblables, mais receoivent (admettent pour règle de foi) l'escriture sainte, le Symbole des Apostres, ont les quatre principaulx conciles et la confession par eulx dressée, et tout leur différend est en cela qu'ilz veulent aujourd'huy que l'Église soyt réformée en la façon de la primitive. Il donna comme preuve de la sincérité de leur foi la constance et la voye plus qu'humaine par laquelle ils surpassoient les frayeurs et appréhensions de la mort. Le Clergé catholique attendait ses adversaires dans le lieu ordinaire de ses séances, le réfectoire des nonnains de Poissy. Ses docteurs et ses prélats occupaient les deux côtés de la salle au fond de laquelle le Roi et la famille royale étaient assis. Quand le Chancelier eut fini son discours, les ministres furent introduits. Ils apparurent, sous la garde du duc de Guise et des archers, dans leur simple et sévère costume, et s'arrêtèrent à une barrière qui les séparait des docteurs catholiques comme s'ils fussent des prévenus traduits à la barre d'un tribunal. Voici, dit le cardinal de Tournon, ces chiens genevois. Théodore de Bèze exposa la doctrine de l'Église réformée. Il dit en quoi elle s'accordait avec la doctrine de l'Église romaine, en quoi elle s'en séparait et franchement aborda la question de l'Eucharistie. La clarté de son exposition, la gravité et la précision de sa parole, le charme de son éloquence avaient contenu les passions de l'auditoire, mais quand il vint à dire que le corps de Notre Seigneur était éloigné du pain et. du vin autant que le plus haut ciel est éloigné de la terre, un grand murmure s'éleva. Le cardinal de Tournon dit au Roi et à la Reine : Avez-vous ouï ce blasphème ? Bèze, un moment troublé, reprit son discours et l'acheva au milieu du silence. Aussitôt le cardinal de Tournon conjura la Reine et le Roi et l'assistance de ne pas ajouter foi aux erreurs que Bèze avait professées. Catherine, sans doute, avait espéré que Bèze atténuerait les divergences des deux Églises. Les déclarations qu'ils avait faites ne prêtaient pas aux formules équivoques de conciliation. Aussi répondit-elle au Cardinal que le roi son fils et elle voulaient vivre et mourir en la foi catholique. Huit jours après (16 septembre), la Cour retournait à Poissy entendre la réplique. Le cardinal de Lorraine fit porter son argumentation sur deux points essentiels, l'autorité de l'Église et le sacrement de l'Eucharistie, qu'il développa longuement en une langue toute scolastique, embarrassée de formes latines et surchargée de citations de l'Écriture, des Pères et des Docteurs. Les protestants, afin d'établir leur filiation avec la primitive Église, avaient revendiqué dans le passé comme des ancêtres et des précurseurs non seulement certains hérétiques, mais encore les fidèles de l'Église romaine ennemis des abus et des superstitions, pour les réunir les uns et les autres en une Église spirituelle qu'ils opposaient à l'Église réelle. Le cardinal de Lorraine montra l'Église se perpétuant à travers les âges avec l'unité de sa foi, visible et non spirituelle, embrassant l'ensemble des fidèles et non pas seulement un groupe d'élus. Il passa assez rapidement sur la question des conciles, sur le caractère indélébile et la puissance sacramentelle du prêtre, même corrompu, mais il appliqua tout son effort à démontrer la présence réelle, substantielle et charnelle du corps et du sang du Sauveur dans l'Eucharistie. Il opposa l'accord unanime de l'Église universelle à l'opinion de ces nouveaux hérétiques, que tous les chrétiens, que les luthériens eux-mêmes rejetaient. A tout le moins, de ce différend ne refusés l'Église grecque pour juge si tant vous abhorrés la latine, c'est-à-dire romaine, recourant à une particulière puisque l'universelle vous déplaist. Que diray-je ? Croyez-en la confession Augustane (d'Augsbourg) et les Églises qui l'ont receue. De toutes incontinent vous vous trouverez convaincus. Bèze aurait voulu répondre ; on ne le lui permit pas. Il était maintenant trop visible qu'une conciliation était impossible. Catherine ne pouvait réussir là où Charles-Quint, avec un moins grand désaccord de doctrines, avait échoué. L'arrivée d'un légat pontifical, Hippolyte d'Este, cardinal de Ferrare, surexcitait les catholiques. La Cour l'accueillit froidement ; les pages criaient : Au renard ! après son porte-croix, mais sa présence rappelait la réunion prochaine du Concile général. L'Église gallicane, même si elle avait été tentée d'adopter une transaction, aurait craint le désaveu de l'Église universelle. Toutes ces difficultés embarrassaient la Reine. Elle abandonna les grandes discussions publiques, pour réduire le Colloque à un débat obscur entre théologiens, à portes closes. Si elle continua d'y assister, ce fut par un reste de bonne volonté et comme pour manifester les dernières espérances de ses illusions. Dans cette grande dispute se produisit l'ordre religieux, si différent des anciens ordres, qu'Ignace de Loyola avait fondé pour la défense et la propagation du catholicisme (1541). Malgré le patronage du cardinal de Lorraine, il avait eu beaucoup de peine à se faire accepter de l'Église gallicane ; pendant dix ans, le Parlement avait différé d'enregistrer les bulles des papes qui l'instituaient et les lettres patentes des rois qui l'autorisaient à s'établir en France. Les Jésuites étaient suspects par leur origine espagnole et par leur vœu d'obéissance absolue au Pape ; ils étaient mal vus des évêques, dont leurs privilèges leur permettaient de décliner la juridiction ; odieux à l'Université de Paris qui détestait la concurrence de leurs maîtres et le droit qu'ils s'étaient fait attribuer par Jules III de conférer les grades contrairement au privilège des Universités. Le caractère hybride de leur Institut inquiétait. Qu'étaient-ce que ces moines que la règle dispensait de la présence au chœur, des offices en commun, des austérités débilitantes ; ces réguliers qui portaient le costume et menaient la vie des prêtres séculiers ? En effet ce n'était pas une communauté de solitaires qu'Ignace de Loyola avait voulu organiser, mais une milice toujours prête à défendre les positions que l'hérésie menaçait ou à attaquer celles qu'elle avait conquises et qui fit reculer la Réforme en Allemagne, en Autriche et en Pologne. Le péril du catholicisme en France décida l'Assemblée de Poissy à avouer ces défenseurs de la Foi. Mais ils ne furent autorisés qu'avec toutes sortes de limitations : ils étaient reconnus, non comme religion nouvellement instituée, mais par forme de société et collège ; ils devaient quitter leur nom de Société de Jésus ou Jésuites, se soumettre à la superintendance, juridiction et correction de l'ordinaire, et ne rien entreprendre au préjudice des évêques, curés, paroisses, universités (15 septembre 1561)[8]. Habilement ils acceptèrent, comme simples prêtres, les restrictions que, comme jésuites, ils auraient repoussées. A peine admis, ils se signalèrent. Le successeur de Loyola, Lainez, leur second général, qui avait suivi le Légat en France, dit en face à Catherine que si elle ne chassoit telles gens sentans mal de la religion chrestienne, ils gasteroient le royaume de France. Il traita, dit-on, Bèze et ses compagnons de loupi, volpi, serpenti, assassini. Il parlait avec tant de passion qu'il fit venir les larmes aux yeux à la Reine-mère[9]. Le cardinal de Lorraine avait invité au Colloque les théologiens de la confession d'Augsbourg pour accabler les calvinistes sous le désaveu des luthériens. Mais Bèze et ses collègues prévinrent le coup ; ils déclarèrent nettement que, dans l'usage et action de la Cène, ils n'admettaient ny transubstantiation ny consubstantiation, et même qu'ils rejetaient toute manière de présence par laquelle le corps du Christ est maintenant cherché ailleurs qu'au ciel. Il fallut clore le colloque sans attendre les Allemands (18 octobre 1561). Les puissances catholiques surveillaient les actes de la Régente ; l'Espagne encourageait les Guise à résister. Catherine était, en partie, responsable de cette ingérence des étrangers. Elle recherchait pour ses enfants les plus belles alliances et, pour les obtenir, caressait Philippe II. Elle déclarait dans ses lettres à sa fille Élisabeth qu'elle aimait son gendre comme le fils le plus cher. Elle se disait fière de lui et affectait de lui communiquer toutes ses affaires. Il ne lui suffisait pas d'avoir marié Élisabeth à ce puissant roi d'Espagne, elle rêvait encore d'unir Marguerite, son autre fille, à don Carlos, fils de Philippe II. Mais la main de l'infant était fort recherchée ; on parlait de le marier avec Marie Stuart. Le cardinal de Lorraine désirait cette alliance, qui eût relevé les Guise et consolidé l'Église catholique en Écosse. Dès que Catherine fut avisée de ce projet, elle recommanda à son ambassadeur en Espagne et à sa fille d'avoir l'œil à cette intrigue (7 avril 1561). Elle parle de Marie Stuart en des termes aigres-doux et désigne les Guise par une périphrase qui trahit ses inquiétudes : Sous qui soulet aystre roi (ceux qui s'étaient habitués à être rois). Ses craintes et son ambition maternelle la mettaient à la merci de Philippe II qui lui faisait prodiguer par Chantonnay, son ambassadeur à Paris, les avis, les remontrances, et pis encore, les offres de service. Un envoyé extraordinaire, D. Juan Manrique de Lara, avait apporté, avec des compliments de condoléances sur la mort de François II, la recommandation de ne pas tolérer les nouveautés. Catherine protestait qu'elle n'avait rien de plus à cœur que de maintenir la religion, comment ayl a été jonques ysi. Mais le gouvernement espagnol ne se contentait pas de ces assurances ; il voulait la répression de l'hérésie. La Reine-mère finit par s'impatienter de ces conseils violents. Dans une lettre de juillet 1561, Charles IX faisait remarquer à l'évêque de Limoges, son ambassadeur à Madrid, que nous ne sommes pas aussi malades que le croit la Cour d'Espagne. Catherine, obligée de justifier son orthodoxie, donnait avec humeur à l'évêque de Limoges des éclaircissements affin qu'ilz cognoissent que nous sommes meilleurs chrestiens que peult estre ilz ne s'imaginent. Elle soupçonnait les Guise de faire courir de mauvais bruits et elle jurait à sa fille qu'elle tenait la même forme de vivre, elle et ses enfants, que aunt fait les rois vos pères et grands pères et n'ai nulle intention de changer. A mesure que se développait sa politique de tolérance, les représentations de l'Espagne devenaient plus vives. La jeune Reine mettait à sa mère le marché à la main : ou agir avec Philippe II contre les protestants, ou s'attendre à une alliance de Philippe II avec les catholiques. Employez-nous, disait Élisabeth, car nous vous baillerons tout notre bien, nos gens et se que nous avons pour soutenir la religion, ou si vous ne les punisses (les hérétiques) vous ne trouverez point movais que ceux qui demanderont secours audict Roy monseigneur pour guearder la foy, il leur donne (juillet ou août 1561). Chantonnay faisait la même déclaration à Charles IX ; il tenait les mêmes propos à des gentilshommes. Le recrutement des mécontents et des fanatiques s'opérait sous les yeux de la Cour. Catherine se plaignit à l'évêque de Limoges des dispositions de Philippe II qu'elle attribuait à l'imposture et calumnye de quelzques malheureus. Serait-il vrai que le roi d'Espagne voulût lui déclarer la guerre ? Touttefois je ne veulx riens croire tant je l'estime prince de vérité, de vertu et de parolle, ne pouvant me persuader qu'il soit pour entreprendre une guerre sans juste occasion. Elle s'adressait à Philippe II lui-même et le suppliait, quoi qu'on pût lui dire, de la croire prinsesse cretiene etment (aimant) la conservation de notre religion. Philippe II croyait plus volontiers les relations de son ambassadeur, les rapports des Guise, les faits eux-mêmes qui montraient les rapides progrès de la Réforme. Charles IX, dans une lettre à M. de Limoges, protestait fièrement que chacun est maître en sa maison et n'apartient pas au subject quand un prince luy commande chose raisonnable de s'en plaindre ou recourir ailleurs pour se dévoyer de l'obéissance qu'il lui doit. Mais l'intérêt de Philippe II l'obligeait à resserrer son alliance avec les Guise et le parti catholique français. Pour préserver ses Pays-Bas de la propagande calviniste, il avait besoin de ruiner en France le parti protestant. C'est un mérite pour la Régente d'avoir résisté quelque temps à cette pression. A vrai dire, elle cédait au courant qui entraînait vers la Réforme une grande partie de la nation. Les progrès de la nouvelle Église, sous ce régime de demi-tolérance, étaient énormes. Le mépris d'un clergé et d'un culte corrompus, l'attrait de la nouveauté et le désir de s'abreuver aux sources vives de la parole de Dieu avaient fait beaucoup de prosélytes ; l'aristocratie était entamée. La politique et la mode s'en mêlaient. La haine des Guise avait amené une foule de conversions qui, sans être bien sincères ni profondes, faisaient impression et en provoquaient d'autres. Le curé de Provins, Claude Haton, évalue à tort les protestants au quart de la population ; l'ambassadeur vénitien exagère aussi leur nombre. Mais il y avait des huguenots dans toutes les provinces et dans toutes les classes. Tandis que le premier Synode national (Paris, mai 1559) n'avait, d'après les calculs les plus élevés, réuni que soixante-douze Églises, un an après la Provence seule en déclarait soixante ; Coligny, lors de l'Assemblée de Fontainebleau, comptait cinquante mille Réformés en Normandie ; enfin, au moment du Colloque de Poissy, le prince de Condé réclamait, au nom de deux mille cent cinquante Églises, le droit de bâtir des temples. Les pasteurs, en beaucoup d'endroits, faisaient défaut aux fidèles. L'esprit de Dieu et l'esprit de parti avaient changé la face du royaume. La Reine, docile aux mouvements de l'opinion, inclinait de plus en plus vers ce qu'elle croyait le parti de l'avenir. Pour faire contrepoids au roi de Navarre, qui agissait maintenant de concert avec le duc de Guise, le Connétable et le maréchal de Saint-André, elle se rejetait du côté de Coligny, de d'Andelot, du prince de Condé et des protestants. Elle avait fait entrer d'Andelot au Conseil privé, et refusa d'écouter Chantonnay qui accusait l'Amiral de préparer une expédition de flibustiers contre les colonies espagnoles. Sur une menace que fit Montmorency de quitter la Cour, elle déclara qu'il pouvait s'en aller. Elle éloigna Sipierre, le gouverneur de son fils, qui blâmait discrètement ses imprudences ; elle fit prier ses enfants en français. Par son ordre, chaque parlement délégua à Saint-Germain deux de ses membres pour délibérer sur les moyens de pacification. Cette assemblée fut d'avis d'accorder aux Réformés la liberté des prêches, tout en leur refusant le droit de bâtir des temples dans les villes. De cette consultation le Chancelier tira l'Édit de janvier (17 janvier 1562) qui accordait aux protestants la liberté du culte hors des villes closes et qui, même dans l'enceinte des villes, leur permettait de tenir des assemblées dans des maisons privées. C'était le dernier terme d'une évolution, qui, dans son cours rapide, avait entraîné le Chancelier et la Reine de la simple et miséricordieuse tolérance à la reconnaissance presque absolue de la liberté du culte. En un an, les Réformés avaient passé du régime de la persécution à la quasi-jouissance du droit commun. Aussi cet édit leur resta-t-il cher comme la charte de leur affranchissement, et ils ne cessèrent pas, pendant les persécutions et les guerres civiles, d'en réclamer le rétablissement. Ils en étaient redevables au Chancelier, qui se laissait mener par ses généreuses illusions, et aussi à Catherine, dont l'esprit modéré, indifférent aux passions religieuses, n'abandonna cette politique de tempérament que sous la pression des événements et des hommes. |
[1] SOURCES : H. de la Ferrière, Lettres de Catherine de Médicis, I. [Lalourcé et Duval], Recueil de pièces originales et authentiques concernant la tenue des États généraux d'Orléans en 1560... ; de Blois en 1576, de Blois en 1588... ; de Paris en 1614... ; Barrois, 1789, I. — Recueil des cahiers généraux des trois ordres..., I. Duféy, Œuvres de Michel de l'Hospital, chancelier de France, 1824, I. Correspondance du nonce Prosper de Sainte-Croix avec le cardinal Borromée, dans Aymon, Tous les synodes nationaux des Églises réformées de France, 1710, I. Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, XIV, 1559-1589. Procès-verbaux des Assemblées générales du Clergé, 1767, I. Baum et Cunitz, Histoire ecclésiastique, I. Mémoires du prince de Condé,1743, I-IV. Mémoires-journaux du duc de Guise. P. de La Place, De l'Estat de la religion et république. Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, I et II. 1838, Coll. Doc. inéd. [La Popelinière], Histoire de France, 1550-1577. 1581, I. Jean de Serres, Commentariorum de statu religionis libri tres, 1571. Hub. Languet, Arcana seculi sexti decimi. Huberti Langueti Epistolæ secretæ, 1669. D'Aubigné, Histoire universelle, Société de l'Histoire de France, I, 1886.
OUVRAGES À CONSULTER : Picot, Histoire des États généraux, 2e éd., 1888, II et V. Arthur Desjardins, États généraux (1355-1614). Leur influence sur le gouvernement et la législation du pays, 1871. Baum, Theodor Beza nach handachriftlichen Quellen dargesleflt, 1843-1844. De Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, III, 1885. Comte J. Delaborde, Les Protestants à la Cour de Saint-Germain, 1874. Klipffel, Le Colloque de Poissy, Paris, s. d. [1867]. De Ruble, Le Colloque de Poissy, sept.-oct. 1581, Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Île-de-France, XVI, 1889. Soldan, Geschichte des Protestantismus in Frankreich bis zum Tode Karls IX, 1855, 2 vol. Ebeling, Sieben Bücher franzasischer Geschichte, I et II, 1869-72. Bouillé, Histoire des ducs de Guise, 1849, II. Forneron, Les Guise et leur époque, I. Delaborde, Gaspard de Coligny, II. Robiquet, Histoire municipale de Paris depuis les origines jusqu'à l'avènement de Henri III, 1880.
[2] ENFANTS D'HENRI II ET DE CATHERINE DE MÉDICIS :
François II, 1544-1560.
Louis, duc d'Orléans, 1548-1550.
Charles IX, 1550-1574.
Henri, duc d'Orléans, puis duc d'Anjou, 1551-1589.
François, duc d'Alençon (puis duc d'Anjou), 1554-1584.
Élisabeth, 1545-1568, mariée à Philippe II, roi d'Espagne.
Claude, 1547-1575, mariée au duc de Lorraine, Charles III, le 5 février 1558.
Marguerite, 1552-1615, mariée à Henri IV.
Victoire et Jeanne, jumelles, nées le 23 juin 1556 et mortes la même année.
[3] Les États de 1560 n'ont ni l'importance ni le caractère des États de 1484.
[4] Les députés de chaque ordre se groupaient dans leur chambre respective, ceux du Clergé par provinces ecclésiastiques ; ceux de la Noblesse et du Tiers par gouvernements, et formaient autant de bureaux qu'il y avait de gouvernements ou de provinces ecclésiastiques. On comptait en 1560 14 provinces ecclésiastiques ou archevêchés et 18 gouvernements (Paris et Île-de-France, Bourgogne, Normandie, Guyenne, Bretagne, Champagne, Languedoc, Picardie, Dauphiné, Provence, Lyonnais, Orléanais, Touraine).
[5] Que tout appartient au Roi.
[6] Il me déplaît de souiller vos oreilles et ma bouche de ce nom ignominieux, mais j'y suis forcé par le commandement du Clergé.
[7] Journal de Nicolas Brulart, chanoine de Notre-Dame de Paris, Mémoires de Condé, I, 39.
[8] Crétineau-Joly, Histoire de la Compagnie de Jésus, 1857, I, p. 334.
[9] Relation de Claude Despence, un des théologiens catholiques, insérée par de Ruble, dans son Colloque de Poissy, Mémoires de la Société de l'histoire de Paris, XVI, p. 39.