HISTOIRE DE FRANCE

TOME CINQUIÈME — LA LUTTE CONTRE LA MAISON D'AUTRICHE (1519-1559).

LIVRE XI. — LES HOMMES ET LES ŒUVRES.

CHAPITRE PREMIER. — LA LITTÉRATURE.

 

 

I. — LES POÈTES LYRIQUES ET ÉPIQUES.

RONSARD a écrit : La poésie française était avant nous faible et languissante[1] ; je excepte toujours Saint-Gelays, Héroet, Scève ; il exceptait aussi, et la Pléiade avec lui, Jacques Peletier, du Mans, et, en remontant plus haut, Le Maire de Belges : il se reconnaissait instinctivement en Le Maire, et l'on a découvert aujourd'hui qu'il tient de lui en effet.

C'est parmi les poètes lyonnais qu'il faut chercher les précurseurs qui eurent conscience de leur rôle.

On a déjà vu que Lyon était comme une seconde patrie des écrivains du XVIe siècle. Le plus considérable de ses poètes fut certainement Maurice Scève († 1564). Il avait tout ce qu'il fallait pour plaire à la Pléiade : un amour passionné de l'antiquité et de l'Italie, une tournure d'esprit philosophique et mystique, du raffinement, le dédain du profane vulgaire, auquel il était d'ailleurs inaccessible à cause de son obscurité coutumière[2]. Il s'ingénia à se faire une langue plus savante, une syntaxe plus régulière, des rythmes plus variés et plus musicaux. Il fut aussi un des premiers à chanter l'amour quintessencié, dans sa Délie, object de la plus haulte vertu, maîtresse allégorique, qu'il qualifiait d'ouvraige saint de l'éternel Moteur, et dont il adorait l'essence divine.

Du Bellay et Ronsard réalisèrent le nouvel idéal entrevu par Scève, et dont la Deffence et illustration de la langue française avait décrété l'esthétique.

Joachim du Bellay[3], né en Anjou vers 1522, appartenait à une ancienne famille que Jean, Guillaume et Martin du Bellay illustrèrent au XVIe siècle : le premier, évêque de Paris et cardinal ; les deux autres, hommes de guerre et écrivains remarquables. Il fut maladif toute sa vie, avec des sens très aiguisés et une imagination impressionnable. Son tempérament et le commerce avec les poètes Salmon Macrin[4], Jacques Peletier du Mans, l'entraînèrent de bonne heure vers la poésie. Venu à Paris vers 1547, il prit place parmi les disciples de Daurat. La publication de la Deffence fit de lui, avec Ronsard, le protagoniste le plus en vue des idées nouvelles. En 1553, il partit pour l'Italie avec son oncle, le cardinal Jean, et séjourna à Rome jusqu'en 1557. Il s'y renouvela par la connaissance plus directe des antiquités, par le contact avec l'esprit et les mœurs de l'Italie, par sa participation aux affaires publiques. Peut-être aussi son éloignement même du pays natal le rendit-il plus Français. A son retour, il se fixa à Paris, essaya de se faire courtisan, éprouva quelques mécomptes, et mourut en 1560.

Plus que ses contemporains, parce qu'il était ardent, passionné, inquiet, parce qu'il avait mené une existence assez agitée, du Bellay ressentit et reproduisit les contradictions qui étaient au fond de la Renaissance. Dès la Deffence et dans la Deffence, elles étaient visibles, et ses adversaires n'avaient pas manqué de les lui reprocher, nous l'avons dit. Elles apparurent dans ses poésies, dont les œuvres les plus connues sont, à partir de 1549, l'Olive, les Antiquitez de Rome, les Regrets, les Jeux rustiques, les Discours au Roy.

Lui qui avait préconisé comme pure doctrine l'imitation des maîtres, prêcha ensuite, d'exemple et de précepte, le retour à l'inspiration naturelle ; lui qui avait réagi contre les latinisants, écrivit des poésies latines ; lui qui s'était passionné pour la Rome antique, la désavoua dans son amour pour son pays d'Anjou. Quand il imita Horace, Pétrarque, Arioste, — ce qui lui arriva souvent, surtout au début, — il fut raffiné, obscur, quintessencié, lourd et même pédant, sans originalité. Le recueil connu sous le nom d'Olive qui est, à vrai dire, son début, est pris presque tout. entier à des poètes italiens de tout ordre[5]. Quand, au contraire, il suivit sa nature, en oubliant ses doctrines, il ouvrit les sources les plus pures et les plus abondantes de poésie sentimentale ou lyrique :

Last et nous ce pendant nous consumons nostre âge

Sur le bord incogneu d'un estrange rivage,

Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter,

Comme on voit quelquefois, quand la nuit les appelle,

Arrangez flanc à flanc parmy l'herbe nouvelle,

Bien Loing sur un estang trois cygnes lamenter.

D'autre part, l'inquiétude de son esprit, son tempérament maladif, qui le rendaient facilement irritable, en firent par endroits un poète satirique d'une verve âpre et puissante :

Comme un qui veut curer quelque cloaque immonde,

S'il n'a le nez armé d'une contre senteur,

Estouffé bien souvent de la grand puanteur,

Demeure ensevely dans l'ordure profonde :

Ainsi le bon Marcel[6], ayant levé la bonde,

Pour laisser escouler la fangeuse espesseur

Des vices enterrez, dont son prédécesseur

Avait, six ans devant, empoisonné le monde,...

Tomba mort au milyeu de son œuvre entrepris....

Puis il y a dans sa poésie une veine toute simple et mélancolique bien française, comme cette petite pièce, si justement populaire, à la différence d'autres œuvres ambitieuses de la Pléiade :

Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village,

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Revoyrai-je le clos de ma pauvre maison ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeux

Que des palais romains le front audacieux....

Plus mon Loyre gaulois que le Tybre latin,

Plus mon petit Lyré que le mont Palatin,

Plus que le marbre dur me plan l'ardoise fine,

Et, plus que l'air romain, la doulceur angevine.

Quoy ! Et pour venir à nos poètes français, quel homme a esté M. Ronsard[7] : Il a esté tel que tous les autres poètes se peuvent dire ses enfants et luy leur père, car il les a tous engendrez. C'est luy qui a deffaict la poésie layde, grossière, fade, sotte, mal limée, qu'estoit auparavant, et a fait ceste tant bien parée que nous voyons aujourd'hui. Voilà avec l'enthousiasme habituel à Brantôme, le jugement des contemporains. Et il ajoutait : Aussi, à son patron et à sa suite se façonnèrent ces admirables MM. Du Bellay, Baïf, Beleau, Jodelle, Nicolas Denizot, Olivier de Magny et Passerat.

Presque dès le jour où il parut, on s'habitua à voir en Ronsard un chef d'école. Il le fut réellement, et de bonne heure. Né en 1524 ou 1525[8], de parents nobles, au château de la Possonnière en Vendômois, il passa les premières années de sa vie à la campagne, qui inspira tant d'écrivains de ce temps, et dont il reçut l'impression très profonde :

Je n'avais pas quinze ans que les monta et les bois

Et les eaux me plaisaient plus que la Cour des Rois,

Et les noires forets épaisses de ramées,

Et du bec des oiseaux les roches entasmées ;

Une vallée, un antre en horreur obscurci ![9]....

Il ne resta que six mois au collège de Navarre, où son père l'avait envoyé, fut attaché comme page au Dauphin François, puis alla en Écosse auprès du roi Jacques V, en 1537 ; en Allemagne, avec Lazare de Baïf, ambassadeur de François Ier, en 1540. A ce moment, il ressentit les premières atteintes d'une surdité, qui devait être incurable. Alors il se donna tout entier aux lettres, refit ses études sous Daurat, entre 1544 et 1547, et publia en 1550 les premières Odes[10] et les premiers sonnets des Amours. De nouvelles Odes parurent en 1552, puis des Hymnes en 1555-56, et la suite des Amours en 1556.

Il eut à combattre quelques survivants de la génération précédente et particulièrement Mellin de Saint-Gelays, qui bientôt, se sentant le plus faible, s'inclina ; Ronsard put s'écrier :

J'entre sacré poète au palais de Henri !

Il avait triomphé non pas seulement de son rival, mais de tous ses prédécesseurs. En 1560, il rassembla ses œuvres en une première édition.

A l'avènement de Charles IX, en 1560, Ronsard, favori du Roi, arriva au comble de sa fortune. Mais, en même temps aussi, il tourna vers les affaires de la politique et de l'Église l'ardeur combative qu'il avait apportée dans les luttes poétiques, se donna tout entier au parti orthodoxe et fut aussi intolérant dans son catholicisme que dans son classicisme ; il écrivit en 1562 les Discours des misères du temps présent, autour desquels s'engagea une lutte ardente.

Il avait bien pu être entraîné vers le fanatisme catholique par son ami Daurat, esprit étroit et haineux, qui attaqua Ramus, qui célébra la Saint-Barthélemy[11], et qui a pu écrire, à propos de l'assassinai de Coligny, ces vers détestables à tous égards :

Cil qui estoit jadis chef des voleurs d'Églises,

Cil qui praline et saint de ses mains ravissoit,

Cil qui bouilloit en l'eaue et rotissoit au feu

Les innocents...

En une croix interne il pend.

Les poètes de la Pléiade furent en général hostiles à toutes les idées nouvelles en religion comme en politique.

Cependant quelques-uns de ses amis abandonnèrent Ronsard ; le calviniste Antoine de Chandieu publia, sous le nom de Zamariel, la Response aux calomnies contenues au Discours et Suyte du Discours sur les misères de ce temps, faits par messire P. Ronsard, jadis poète, aujourd'hui prebstre[12].

Mais Ronsard garda toute la faveur de la Cour. Il se mêlait d'ailleurs à tous les mondes, se liait avec les artistes et avec une société de gens de robe, beaux esprits et dilettantes. Là comme partout, il lui fallait un adversaire à combattre : il manifestait son admiration pour Lescot, à la fois en le louant et en attaquant Philibert de l'Orme.

L'idée du poème de la Franciade, qu'il nourrissait depuis longtemps, s'accordait avec ses tendances monarchistes et son patriotisme ; il voulait y montrer les origines de la France et de la royauté française, dans un lointain séduisant par son mystère même. Les quatre premiers chants furent publiés en 1572. Avec eux se termina la vie active de Ronsard : la Franciade n'eut pas grand succès, elle ne fut jamais achevée. Sous Henri III, il reparut de temps en temps à la Cour et auprès du Roi ; on ne le vit à l'Académie des Valois que par intermittences : dès 1574, prématurément vieilli à cinquante ans, il avait commencé à se retirer dans une des nombreuses abbayes qu'il avait reçues des rois. Sa gloire se purifia et grandit par l'éloignement jusque vers 1580 ; puis il mourut, non pas oublié, mais solitaire, en 1585.

Ronsard fut par excellence et affecta d'être le poète qu'avait préconisé la Deffence, inspirée d'ailleurs par lui en partie.

Non seulement il emprunta aux anciens quelques genres littéraires, et spécialement l'Ode, qu'il introduisit, le premier peut-être, en France, mais son œuvre fut pleine des Grecs ou des Latins, et nourrie de leur pensée. Il vécut en commerce intime avec tous les poètes et toutes les divinités de la Fable. Il les mêla à toutes les sensations qu'il reçut de la nature, à tous les sentiments qu'il éprouva, à ses amours comme à ses haines. Dans ses poèmes religieux eux-mêmes, il invoquait les dieux antiques et s'inspirait de Lucain, de Virgile et d'Ovide. Il imita aussi les Italiens et surtout Pétrarque. Mais il était certainement moins familiarisé avec l'Italie, qu'il ne visita jamais, qu'avec l'antiquité.

Tout cela dit, il resta bien Français par sa langue et par son style. On a démontré plus d'une fois qu'il prit bien plus de mots au vieil idiome national ou aux dialectes provinciaux qu'à l'antiquité ou à l'Italie. Il réalisa vraiment ce qu'il avait rêvé avec du Bellay et bien d'autres : il enrichit le français et le magnifia. Il fut également novateur par le rôle qu'il assigna dans la poésie à la technique : il inventa des rythmes nouveaux, avec une variété et en même temps un sens très juste du possible. Sa poésie fut essentiellement harmonieuse, on dirait presque harmonique.

Encore plus peut-être fut-il novateur par son ardente prétention de l'être. Dès l'origine, il affecta de s'éloigner de ses devanciers, prenant style à part, sens à part, œuvre à part, et il est certain qu'il y parvint.

Plus inégal qu'aucun des poètes de son âge, — il est parfois descendu aussi bas qu'eux, mais il est monté bien plus haut, — on peut dire qu'il eut encore plus de génie que de talent. S'il n'est pas entraîné par la passion ou par la vivacité de ses impressions, il est lourd, quintessencié, obscur, pédantesque.

Quand la Parque, ennemie aux Valois, nous ravit

Charles, astre du ciel, par toute France on vit

Les Muses se cacher : Phœbus n'osait rien dire

Ni ce Dieu voyageur, inventeur de la lyre ;

Les lauriers étaient secs, sec le bord pimpléen,

Le silence effrayait tout l'antre cyrrhéen,

Claire ne courait plus la source Aganippée....

Ses amis mêmes et ses partisans, qui admiraient cette poésie savante, ne s'en dissimulaient point les obscurités et — malgré leurs théories — ils entreprirent de les éclaircir pour le vulgaire. C'est ainsi que l'érudit Muret, Jean Martin et d'autres publièrent des commentaires explicatifs sur les poésies de Ronsard[13].

Mais, du génie poétique, il a les qualités qui se rencontrent rarement dans le même homme : une vive sensibilité, une puissance, une fougue qui va quelquefois jusqu'à l'emportement, l'impressionnabilité qui fait les imaginations plastiques, et une délicatesse, une grâce, une mélancolie exquises.

Personne n'a décrit plus fortement que lui l'enthousiasme poétique :

Tout le cœur me débat d'une frayeur nouvelle,

J'entends dessus Parnasse Apollon qui m'appelle,

Vois sa lyre et son arc branler à mon costé,

. . . . . . . . . . . . . . . . . et sens ma fantaisie,

Errante entre les dieux, se soûler d'ambroisie.

Dans ses Discours sur les misères de ce temps, c'est la puissance d'invective, le réalisme dans l'image et dans le mot, que personne n'a dépassés. La passion lui fait oublier toutes les théories ; il devient tout français dans sa langue réaliste :

Ne presche plus en France une doctrine armée[14],

Un Christ empistolé tout noirci de fumée,

Qui, comme un Méhémet, va portant en la main

Un large coutelas rouge de sang humain.

Ou bien :

Que dirait-il[15]... de voir l'Église de Jésus-Christ,

Qui fut jadis fondée en humblesse d'esprit,...

Pauvre, nue, exilée, ayant jusques aux os

Les verges et les fouets imprimés sur son dos ;

Et la voir aujourd'huy riche, grasse et hautaine,

Toute pleine d'escus, de rente et de domaine ? •

Ailleurs, il a exprimé tous les amours, amour chaste, amour sensuel, amour mélancolique, dans les pièces si connues :

Mignonne, allons voir si la rose....

Plus étroit que la vigne à l'ormeau se marie,

Du lien de tes mains, maitresse, je te prye,

Enlace-moy le corps....

Marie, vous avez la joue aussi vermeille

Qu'une rose de may....

Le goût de Ronsard et des poètes de son école pour l'harmonie prosodique, et aussi leur habitude de prendre toujours l'antiquité pour guide, peut-être encore un tempérament très impressionnable à la sensation physique, les conduisirent à rêver l'union étroite, intime, de la musique et de la poésie. Ronsard voulait faire revenir l'usage de la lyre, laquelle lyre seule peut et doit animer les vers et leur donner le juste poids de leur gravité, et il allait jusqu'à écrire : La poésie, sans les instruments ou sans la grâce d'une ou plusieurs voix, n'est nullement agréable, non plus que les instruments, sans estre animés de la mélodie d'une plaisante voix. D'ailleurs, la poésie lyrique du temps, par son rythme, par sa cadence, par je ne sais quel mouvement flottant, appelle presque naturellement la musique. Les musiciens répondirent à l'appel ; les œuvres de Ronsard, de du Bellay, de Desportes, après celles de Marot, furent pour eux des thèmes favoris. On a de très nombreux recueils d'airs mis en musique par Lassus, Goudimel, sur l'invitation ou avec le plein assentiment de leurs auteurs[16].

Comme les poètes du temps avaient presque tous des esprits de logiciens, l'un d'eux, Antoine de Baïf[17], entreprit de créer un système de prosodie, qui n'avait réellement d'harmonie et de rythme qu'à condition d'être chanté. Ce fut son fameux essai de vers mesurés à l'antique, où il établissait une distinction, qui n'existe pas dans notre poésie, entre des syllabes brèves et des syllabes longues. La mélodie n'était plus, dès lors, un ornement ; elle devenait l'essence même de la prosodie poétique, puisque c'était elle qui donnait le rythme par le rapport de ses notes avec les brèves ou les longues. C'est principalement pour réaliser cette conception que fut d'abord fondée, en 1370, l'Académie de poésie et de musique,

Pour servir de pépinière d'où se retireraient un jour poètes et musiciens par bon art instruitz et dressés.... Afin de remettre en usage la musique selon la perfection, qui est de représenter la parole en chant accomply de sons, harmonie et mélodie, qui consiste au choix, règle des voix, sons et accords bien accomodez, pour faire l'effet, selon que le sens de la lettre le requiert.... renouvelant aussi l'ancienne façon de composer vers mesurez, pour y accomoder le chant pareillement mesuré, selon l'art métrique....

Et le vrai directeur de cette Académie fut moins Baïf le poète que Courville le musicien :

Je pris de Courville accointance,

Maistre de l'art de bien chanter,

Qui me fit, pour l'art de musique

Réformer à la mode antique.

Les vers mesurez inventer.

De fait, certaines poésies mesurées de Baïf, lorsqu'elles sont chantées, sont véritablement très musicales par l'accord parfait qui s'établit entre elles et la forme rythmique dont elles sont. revêtues.

Après du Bellay et Ronsard, la poésie lyrique française était créée. Elle était née de sentiments français et humains, auxquels le commerce avec l'antiquité avait donné leur expression forte et pure, quelquefois aussi, compliquée.

Il y a toute une École, dite de Ronsard : celle de ses imitateurs ou de ses disciples, dont la lignée se prolongea jusqu'au règne d'Henri IV, ce qui atteste non seulement la grande influence du maître, mais aussi le goût passionné des hommes de ce temps, auteurs ou lecteurs, pour la poésie. De cette foule on extrairait Vauquelin de la Fresnaye (1536-1607), auteur d'un Art poétique, des Foresteries, des Idilles[18] ; Remi Belleau (1528-1577), qui écrivit les Bergeries, les Amours ; Philippe Desportes (1546-1606), le seul qu'on rapproche quelquefois de Ronsard, et qui commença par les amours mythologiques de Diane, d'Hippolyte, pour finir par une traduction des Psaumes. Même pour ces écrivains, même pour Desportes, dont les premières poésies furent publiées seulement en 1573, les Italiens restèrent des modèles, à l'égal de Ronsard. Telle satire, où Vauquelin trace un tableau fidèle de la société française au XVIe siècle, est traduite, mot à mot traduite (à l'exception de seize vers) d'une satire italienne : Desportes est un poète italien déguisé à la française[19]. Par contre, on observe chez eux, à mesure que leurs œuvres se rapprochent de la fin du siècle, un peu plus de liberté à l'égard de l'érudition et de l'antiquité, et une veine de poésie rustique, assez bien en rapport avec la simplicité des mœurs au temps d'Henri IV. Ainsi se manifestait une fois de plus le dédoublement de l'esprit français au XVI siècle et se préparait la poésie des Racan et des Segrais, contre laquelle le classicisme de la seconde moitié du XVIIe siècle devait à son tour réagir.

Guillaume de Saluste, seigneur du Bartas[20], naquit en 1544, près d'Auch, en pleine Gascogne ; il passa son enfance et sa jeunesse au petit château de Bartas, entouré de météries, de moulins, de prés et de bois ; il y fit, dans un milieu tout familial, sa première éducation, qui parait cependant avoir été forte : langues anciennes (y compris l'hébreu), langues vivantes, sciences aussi bien que lettres. Jusque vers 1576, il resta dans ce petit coin de province. Pourtant il avait déjà publié, en 1574, Judith, et Uranie. Puis il fut entraîné malgré lui dans les luttes qui agitaient la France. C'était un huguenot très fervent et très doux. Il s'attacha à Henri de Navarre, lui rendit des services, et mourut avant son triomphe, en 1590 ou 1591.

Du Bartas fut ainsi un solitaire pendant une grande partie de sa vie, à une époque où, au contraire, les hommes se groupaient, se pénétraient. Il resta provincial — et provincial de Gascogne[21] — alors que Paris et la Cour attiraient de plus en plus les écrivains et donnaient le bon ton. On s'explique par là ce qu'il y a de candide et de maladroit dans son inspiration et dans ses œuvres. On a aussi en lui un type de poète huguenot mystique, préoccupé des questions morales et religieuses. Sa gravité naturelle, la profondeur de ses convictions firent qu'il garda de ses origines la grande éloquence déclamatoire, bien plus que la verve fantaisiste propre à la race.

Du Bartas a dit qu'il fut le premier de la France qui, par un juste poème, traita en langue française des choses sacrées.

Il composa et publia, en 1579, son œuvre capitale, la Première Semaine, qui est l'histoire poétique de la création ; la Seconde fut publiée en partie, en 1584 ; le reste après sa mort. La première Semaine eut un succès inouï : elle fut traduite en latin et en anglais, puis en italien, en allemand, en espagnol, même en danois et en suédois. Les pilastres et frontispices des boutiques allemandes, polaques et espagnoles, se sont enrichies de son nom, disait prétentieusement un de ses traducteurs.

L'intérêt du poème de du Bartas est d'être essentiellement calviniste et, étant calviniste, d'être biblique ; Dieu y apparaît dans toute la majesté que lui donnaient les protestants et avec toute la puissance dont ils le revêtaient :

Dieu, nostre Dieu, n'est pas un Dieu nu de puissance,

D'industrie, de soin, de bonté, de prudence....

... Dieu tous les ans ranime

L'amarry de la terre et fait qu'elle n'a pas

De tant d'enfantements encore le flanc las...

... O Dieu, je ne puis

Sonder de tes desseins l'inépuisable puis,

Mon esprit est trop court pour donner quelque atteinte

Même au plus bas conseil de ta Majesté Sainte[22].

C'est la paraphrase poétique de la confession de foi. Nous croyons que non seulement Dieu a créé toutes choses : mais qu'il les gouverne et conduit, disposant et ordonnant selon sa volonté de tout ce qui advient au monde.

 

II. — LES ÉCRIVAINS DRAMATIQUES[23].

L'HISTOIRE du théâtre offre la même unité dans les théories et la même contrariété dans les faits que les autres formes littéraires de la Renaissance.

Les humanistes et les hommes de la Pléiade voulurent tous que la comédie et la tragédie fussent inspirées de l'antique ; ils les considérèrent comme un exercice littéraire, comme un plaisir de délicats, comme des œuvres destinées à être lues plus encore qu'à être jouées. Ils proscrivirent les genres du moyen âge et particulièrement les Mystères. Il est vrai que, sur ce dernier point, ils obéissaient à des préoccupations religieuses ou morales, d'accord en cela avec le Parlement qui, dans l'arrêt de novembre 1548, avait interdit la Passion et les autres mystères sacrés.

Le poète Grévin, par exemple, écrivait :

Ce n'est nostre intention

De mesler la religion

Dans le subject des choses feintes. Aussi jamais les lettres Sainctes Ne furent données de Dieu

Pour en faire après quelque jeu....

N'attends donc en nostre théâtre

Ni farce, ni moralité,

Mais seulement l'antiquité.

Tandis que l'arrêt de novembre autorisait la représentation des Mistères profanes, honnestes et licites, les humanistes ne pardonnaient pas à ceux-ci plus qu'aux autres. Nous représenterons, dit l'un d'eux, une comédie ; non point une farce, une moralité, car nous ne nous amusons point en chose si basse ni si sotte... aussi avons-nous grand désir de bannir de ce royaume telles badineries et sottises.

Le grand événement dans l'histoire du théâtre français fut en 1552 la représentation de la Cléopâtre de Jodelle.

Étienne de Jodelle (né à Paris en 1532) avait reçu l'éducation livresque de la Renaissance et commencé à écrire de très bonne heure, à dix-sept ans ; il était enrôlé dans la Brigade en 1552. La Cléopâtre, qu'il improvisa en quelques semaines, fut jouée d'abord devant le Roi et la Cour, à l'Hôtel de Reims, en 1552, puis en 1553 au collège de Boncourt, devant un assez nombreux auditoire, composé en partie d'écoliers. C'était une amplification étroitement imitée de Sénèque ; elle fut accompagnée d'une comédie, Eugène ou la Rencontre.

La Pléiade fit de la représentation un second manifeste. Quelques-uns de ses membres jouèrent dans Cléopâtre ; Ronsard emboucha la trompette pour la célébrer et déclara que Jodelle fit, d'un ton gravement haut, Le premier resveiller le françois eschafaut. La fameuse fête du bouc[24] contribua, par le petit scandale qu'elle excita, à retenir l'attention publique.

En même temps, les humanistes formulèrent — après qu'elles avaient déjà été réalisées dans les faits — les doctrines du théâtre qu'ils rêvaient, et naturellement ils les empruntèrent aux anciens, et remirent en honneur Aristote, dont l'autorité avait été un peu délaissée dans la première partie de la Renaissance. Jules-César Scaliger a composa une Poétique, qui fut publiée en 1561, après sa mort. Parlant de la tragédie, il la définissait l'imitation par l'action d'un événement illustre, avec un dénouement malheureux et un style élevé, en vers ; il réclamait l'unité de lieu et l'unité d'action. Tous ceux qui vinrent après lui s'inspirèrent de ses idées.

Il faut peut-être chercher en Grévin[25] et en Garnier les vrais représentants du théâtre classique moderne au XVIe siècle.

Et cependant le premier n'appartient à la poésie et à la littérature dramatique que par deux années de sa vie. Il eut une de ces existences actives, multiples et nomades, qui furent celles de tant d'autres hommes du XVIe siècle. Né à Clermont en Beauvaisis, en 1538, il était inscrit en 1556 à la Faculté de médecine de Paris. Mais, en même temps, il fréquentait les humanistes, se liait avec les membres de la Pléiade et avec Ronsard, faisait ainsi partie du groupe si effervescent des jeunes poètes qui agitaient et passionnaient l'opinion, et donnait, de 1558 à 1560, deux comédies, les Esbahis, la Trésorière, et une tragédie, César, qui était louée par Ronsard lui-même. Seulement l'ardeur de son esprit, en quête des nouveautés, l'avait entraîné vers la Réforme. Après la conjuration d'Amboise en 1560, il prit peur, passa en Angleterre, puis revint à Paris, où il se fit recevoir docteur en médecine en 1562. Au frontispice de son Théâtre, publié en 1561[26], il était déjà représenté avec la longue robe de médecin.

Il fut encore une fois détourné de la littérature par des querelles religieuses et par des querelles médicales, celles-ci aussi ardentes que celles-là à une époque où tout était occasion de se battre furieusement. Il se déclara contre Ronsard, après qu'eurent paru les Discours sur les misères du temps, et eut ainsi à dos tout le parti catholique de la Pléiade ; il engagea contre un docteur de la Rochelle une lutte très vive, à propos de l'antimoine nouvellement découvert[27], dont, avec une égale passion, les uns vantaient, les autres niaient les mérites. Puis, la Faculté de médecine l'ayant rayé de la liste des docteurs, en sa qualité de protestant, il se réfugia au Piémont, auprès de Marguerite, duchesse de Savoie, qui le prit pour médecin, le fit nommer conseiller d'État et lui confia l'éducation de son fils. Mais il ne profita pas longtemps de cette accalmie dans sa vie si agitée ; il mourut, le 5 novembre 1570, à trente-deux ans à peine. Il n'avait eu qu'un moment pour donner sa mesure ; néanmoins ses deux comédies et sa tragédie suffisent à marquer fortement sa place dans l'histoire de la Renaissance.

Robert Garnier[28] était né à la Ferté-Bernard dans le Maine, vers 1535 ; il étudia le droit à l'Université de Toulouse, fut nommé lieutenant criminel au présidial du Mans, s'y maria, y resta, et y mourut. Il consacra ses loisirs de magistrat à écrire un grand nombre de tragédies, entre 1568 et 1580 : Porcie, Hippolyte, Cornélie, Marc-Antoine, Antigone, Bradamante. Elles furent jouées à Paris avec de grands applaudissements.

Garnier peut ainsi être considéré comme le premier en date des auteurs dramatiques modernes, par la continuité voulue comme par la valeur de sa production et aussi par les titres mêmes de ses pièces, qui annoncent la tragédie du XVIIe siècle.

Mais, dans le théâtre comme dans les autres genres littéraires, les prétentions des humanistes ne répondaient pas entièrement aux goûts du public. Larivey écrit : Je sçay bien que plusieurs ne prennent goût qu'à l'Antiquité... Aultres veullent que, comme les aages sont variables et diffèrent l'un de l'autre,... qu'ainsy les modernes comédies ne doivent estre pareilles à celles qui estoient desja il y a mil six cens ans. Il ne faut pas oublier d'ailleurs combien le théâtre restait populaire encore au XVIe siècle ; il n'était guère de petite ville, même de bourgade qui n'eût, à un moment donné, ses représentations. Devant ces auditoires peu instruits, les abstractions savantes de la tragédie philosophique n'étaient pas de mise ; il fallait de l'action, de l'intrigue, des passions ; beaucoup demeuraient attachés aux vieux sujets, dont la naïveté leur plaisait.

Vauquelin de la Fresnaye, dans son Art poétique, exprimait précisément les conditions d'un théâtre du peuple. Quel plaisir ce serait, disait-il, de voir une tragédie tirée de l'Ancien Testament,

Et voir représenter aux festes de Village,

Aux festes de la ville, en quelque Eschevinage,

Au saint (à la tête du saint) d'une paroisse, en quelque belle nuit

De Noël, où naissant un beau soleil (Jésus-Christ) reluit,

Au lieu d'une Andromède au rocher attachée,

Et d'un Persé qui l'a de ses fers relachée,

Un Saint-George venir bien armé, bien monté,

La lance à son arrest, l'espée à son costé,

Assaillir le Dragon !

Aussi, lorsqu'on examine la liste, forcément très incomplète, des pièces jouées dans la seconde moitié du XVIe siècle, on rencontre, à côté des tragédies de Grévin et de Garnier, qui furent représentées même en province[29], un grand nombre de mystères ou de moralités et, sous la forme même de la tragédie, des sujets romanesques ou pris en dehors de l'antiquité : Roméo et Juliette, Édouard roi d'Angleterre, la Pucelle d'Orléans[30]. Sans parler des Farces, qui continuèrent à se jouer un peu partout, on peut dire que la comédie, tout en imitant les Latins ou les Italiens, resta bien plus populaire que savante.

 L'auteur comique le plus fécond du temps, Pierre de Larivey, né à Troyes entre 1535 et 1540, se vante dans plus d'une de ses préfaces d'avoir suivi Plaute et Térence et les traces de ceste sacrée antiquité. Mais, à vrai dire, il avait beaucoup plutôt suivi les modernes Italiens, ainsi d'ailleurs qu'il le reconnaissait lui-même. Il publia en 1579 Six premières comédies facétieuses : le Laquais, la Veuve, les Esprits, le Morfondu, les Jaloux, les Escoliers[31]. Toutes n'étaient que des traductions adaptées d'auteurs italiens : Laurent de Médicis, L. Dolce, Grazzini, Gabbiani, Razzi, dont on a identifié les pièces.

 Mais Larivey en prenait à l'aise avec ses modèles ; il modifiait ou supprimait des personnages et des scènes, donnait un ton français aux choses. Et d'ailleurs, latine et encore bien plus italienne, la comédie ultramontaine, par ses types de valets, de femmes galantes, de vieillards ou de jeunes gens débauchés, par la licence de ses tableaux et de son langage, était faite pour plaire à la foule et ne s'éloignait guère du théâtre du moyen âge. Elle était à peine une nouveauté.

 

III. — LES ÉRUDITS[32] ; ÉTUDES ANTIQUES.

DANS les travaux d'érudition classique, la France eut une grande part durant la seconde moitié du XVIe siècle, mais les érudits de ce temps ne firent que continuer l'œuvre de leurs devanciers, qui en avaient fixé presque définitivement la méthode. Comme eux, ils s'attachèrent à l'étude des auteurs grecs et latins[33], recherchèrent les textes, en établirent des éditions critiques ou qu'ils croyaient telles, et les commentèrent. Ainsi Adrien Turnèbe, qui fut professeur au Collège royal, n'a guère fait autre chose que de publier ou commenter des ouvrages des anciens : Horace, Pline le Naturaliste, Aristote, Théophraste, Plutarque, Philon le Juif, Arrien, Platon, Oppien. Cicéron, à lui seul, était représenté par huit de ses plaidoyers et traités académiques. C'est là pourrait-on dire, la moyenne de production d'un savant de l'époque.

Cette science fut plus française qu'italienne et, plus encore que pendant la première moitié du siècle, nos savants furent en rapport avec l'Allemagne plutôt qu'avec l'Italie. Aussi disparurent progressivement les purs humanistes, c'est-à-dire les hommes qui s'attachaient presque exclusivement à l'art d'écrire, pour qui la science n'était qu'une rhétorique, et qui avaient composé l'école si florissante en Italie de 1450 à 1550. Le Français Antoine Muret (1526-1585), qui n'a guère laissé que des discours remplis de lieux communs d'une élégance vide[34], lutta lui-même contre la superstition du cicéronianisme. Henri Estienne protestera, après beaucoup d'autres, contre ces excès dans le De latinitate falso suspecta, dans le Pseudo-Cicero, où il montre combien les puristes connaissent peu en réalité la vraie langue, forte et vivante, des Latins, et combien ils se trompent, en frappant de proscription, sous prétexte qu'ils se rapprochent trop du français, des termes ou des modes de style, qui précisément appartiennent au parler le plus franc des Romains.

Henri Estienne II[35], fils de Robert Ier, né très probablement en 1531, appartenait à l'illustre famille des Estienne. Sa vie, comme celle de son père, rassemble les traits les plus caractéristiques de la profession d'imprimeur, à l'époque de la Renaissance, alors qu'elle était en rapports si étroits avec l'érudition.

Comme on éditait un grand nombre de livres latins ou grecs, il était nécessaire aux imprimeurs de connaître à fond ces deux langues et d'avoir reçu une éducation très forte[36]. Henri Estienne a raconté qu'il n'avait jamais parlé, étant enfant, que le latin, et que, à peine sorti du berceau[37], il avait appris le grec ; le poète Daurat disait que, chez les Estienne, le père, la mère, les servantes, les enfants et les clients parlaient la langue de Plaute et de Térence avec une pureté impeccable. Henri se distingua par une prodigieuse précocité, puisque, déjà en 1544 ou 1546, il fournissait à son père des notes pour une édition d'auteur grec. Mais, à côté de cette éducation livresque, il prit par sa profession même des jours sur la vie et sur le monde, car les imprimeurs étaient obligés, pour leurs affaires, d'entretenir des relations avec presque tous les pays. Robert Estienne avait auprès de lui comme correcteurs des Allemands ; il correspondait avec l'Italie, avec les Pays-Bas ; Henri partit en 1547, à seize ans, pour l'Italie et y séjourna jusqu'en 1349, puis il passa en Angleterre en 1530, et revint en France par la Flandre et par Anvers, où la grande imprimerie Plantin était un lieu presque européen. Le métier d'imprimeur, très en vue et très estimé, était aussi très surveillé, depuis que s'était ouverte la question religieuse. Toute édition, toute traduction des livres sacrés semblait grosse de périls pour la foi. Vers la fin de 1550, Robert et Henri furent contraints de quitter Paris et se réfugièrent à Genève, où ils firent acte d'adhésion à la Réforme.

Henri retourna alors en Italie, où il découvrit Anacréon, dix livres de Diodore de Sicile. Bien que protestant émigré, il fut employé par l'ambassadeur français, Odet de Selve, à une mission politique. Après avoir passé ensuite quelques mois à Paris, il retourna à Genève et y fonda une imprimerie, qui fut en grande partie soutenue par la libéralité du fameux banquier d'Augsbourg, Fugger.

Mais il avait, comme tant d'hommes de sa génération, comme son père lui-même et presque tous les membres de sa famille, un caractère inquiet, remuant, irascible, un esprit indépendant. La plupart de ses ouvrages sont remplis d'invectives sanglantes contre le clergé catholique, ce qui ne l'empêcha pas cependant d'obtenir la faveur d'Henri III, ce qui ne l'empêcha pas davantage d'être en butte aux poursuites de Messeigneurs de Genève. L'Apologie pour Hérodote, ce livre de combat contre le catholicisme, fut par eux jugé scandaleux. Henri fut même emprisonné pour certaines épigrammes et condamné à crier Mercy à Dieu et à Messeigneurs.

A partir de 1573, son commerce dépérit et, jusqu'à la fin de sa vie, il eut à se débattre contre des difficultés financières de plus en plus douloureuses. Dans un voyage en Allemagne, en 1585, il perdit toute une cargaison de livres. En 1588, il était à Bâte ; en 1591, à Genève, et il finit par mourir à Lyon, épuisé et pauvre, en 1598.

Son œuvre est immense et complexe. Outre d'innombrables éditions d'auteurs anciens (la plupart avec commentaires et, pour les Grecs, avec traduction en latin) : Anacréon, Pindare, Plutarque, Platon, Homère, Isocrate, il publia le Traicté de la Conformité du language françois avec le Grec (1565) ; l'Apologie pour Hérodote[38] (1566) ; le Thesaurus græcæ linguæ (1572), œuvre énorme, qui, par une injustice du sort trop commune, fut une des causes de sa ruine, par suite de tous les frais qu'elle occasionna ; Deux Dialogues du nouveau langage françois italianizé (1578) ; La précellence du langage françois (1579) ; puis aussi un poème latin : Principum Musa Monitrix[39] (1590). Dans presque tous ces ouvrages[40], l'érudition s'accompagne de discussions philosophiques, religieuses ou morales, de digressions satiriques virulentes. La personnalité de l'auteur, ses passions, sa vie, ses haines éclatent aussi bien dans l'Apologie pour Hérodote que dans le Nouveau langage françois italianizé.

Jacques Amyot[41] naquit en 1513, à Melun, d'une très humble famille. Il vint à Paris au collège du cardinal Lemoine, où l'on a même prétendu qu'il fut domestique en même temps qu'étudiant. Reçu maître ès arts en 1532, la protection de la reine Marguerite de Navarre lui assura une chaire à l'Université de Bourges où, pendant douze ans, il enseigna le grec et le latin. Ses premières traductions d'auteurs anciens lui valurent de François Ier le don de l'abbaye de Bellozane (en Normandie). A partir de ce moment, sa carrière fut très brillante. Envoyé officieusement au concile de Trente, il fut en 1554 nommé précepteur des deux fils aînés d'Henri II. Puis on le voit comblé de bénéfices et. d'honneurs : successivement ou concurremment Grand-aumônier de France, membre du Conseil privé, évêque d'Auxerre (à partir de 1570), commandeur de l'ordre du Saint-Esprit, garde de la Bibliothèque du Roi.

Avec des apparences très modestes, il était fort habile à se pousser. Il ne manqua pas de dédier ses œuvres aux différents rois et, dans ses dédicaces, il se faisait parfois trop humble : Je n'osoys croire qu'il pût sortir de moy, personne si basse et si petite en toute qualité, chose qui pust estre mise sous les yeux de vostre Majesté. Mais c'était le langage du temps et, d'ailleurs, malgré le culte professé pour les lettres et la science, la réputation acquise ne couvrait pas toujours l'infériorité des origines. Brantôme raconte que Charles IX se plaisait à répéter à Amyot qu'il se nourrissait de langues de bœuf, — on le disait fils d'un boucher. Un jour même, des membres du Parlement, irrités de ce qu'il avait voulu violer un de leurs privilèges honorifiques, desbagoulèrent contre lui des injures, jusqu'à l'appeler manant et fils de bouchier. Il laissait dire. Mais sa fortune éclatante, sa faveur auprès des rois, surtout d'Henri HI si impopulaire, l'exposèrent à bien des épreuves et même à des périls, au temps de la Ligue. Les séditieux d'Auxerre s'ameutèrent contre lui en 1589. Il essaya de toutes sortes de compromissions pour échapper ; ce n'était pas du tout un héros, Il mourut en 1593.

Amyot n'a fait œuvre que de traducteur, mais en y mettant presque du génie. Traduction du roman grec de Théagène et Chariclée, des Amours pastorales de Daphnis et Chloé, des Vies des hommes illustres, Grecs et Romains, de Plutarque, et des Œuvres morales du même auteur. Par sa traduction de Plutarque, il devint, sans y avoir songé, un inspirateur de l'Aine française. Beaucoup d'hommes et de femmes trouvèrent dans les vies des hommes illustres l'idéal de l'héroïsme. Toutes les bibliothèques du XVIIe siècle eurent leur Plutarque.

L'enseignement du droit reflète exactement les préoccupations de la pensée du temps. Un premier fait considérable s'y produisit : ce fut, à côté du droit canonique, le développement de l'étude du droit romain, pendant longtemps limitée à quelques universités : Bourges, Orléans, Angers. La Faculté de décret de Paris, elle-même, ne l'introduisit que subrepticement chez elle. En 1541, pour la première fois, un docteur reçut l'autorisation de faire des leçons privées sur deux titres du Digeste : De regulis juris (Des règles du droit), De verborum significatione (De la signification des termes). Puis, dans un Mémorial de la Faculté, qui comprend les années 1542 à 1551, on voit figurer presque régulièrement des leçons de droit romain, à côté du droit canon. Un certain Delacroix lit le titre De Actionibus (De la Procédure), du Livre IV des Institutes (droit romain), pendant qu'un autre professeur commente le De Accusationibus (Des Accusations), du Livre IV des Décrétales (droit canon). De même, Rebuffi, un professeur renommé, commente le De Exceptionibus (Des Exceptions), du Livre II des Décrétales, et l'un de ses collègues le De rerum divisione (De la division des choses), du Livre II des Institutes.

L'enseignement nouveau rencontra une vive opposition. Les Facultés qui étaient pourvues du privilège de le donner ne voulaient pas que les autres fussent admises à conférer les grades. En 1576 encore, Cujas, quand il vint à Paris, n'obtint qu'à titre personnel et en considération de sa grande renommée, l'autorisation d'enseigner publiquement le droit romain et d'en conférer les grades. En 1579, l'ordonnance, rendue en conformité du vœu des États de Blois de 1576, contenait l'article suivant : Défendons à ceux de l'Université de Paris de lire (enseigner) ou de graduer en droit civil. L'Université céda provisoirement sur les grades et continua les leçons.

Mais cette nouvelle étude suivit d'abord les méthodes du moyen âge. L'école dite Bartoliste, du nom de son fondateur Bartole († 1357), restait attachée aux habitudes de la scolastique ; elle établissait toute discussion, moins sur les textes, moins sur les documents, que sur les autorités. Elle avait pour doctrine d'accumuler des opinions multiples, pour en tirer l'opinion commune. Forcadel, le rival de Cujas, se faisait un mérite de ne produire aucune thèse personnelle, de s'appuyer sur le témoignage des jurisprudents antérieurs, au lieu de tenter, par amour de la nouveauté, disait-il, de faire prévaloir des interprétations téméraires. Il ne se refusait cependant pas à professer des doctrines, il établissait même des synthèses. Comme les chefs de l'école, il n'isolait pas le droit romain des autres droits canon, germanique ; au contraire, il s'en servait pour les pénétrer, pour les vivifier ; il en tirait des théories toutes modernes. Par là l'école bartoliste était vivante, bien que peu scientifique.

Une autre école plus ancienne, celle d'Accurse ou des glossateurs, avait compilé ou résumé dans des Sommes énormes soit les textes, soit les gloses qui en avaient été faites. Enfin les traités, sommes, gloses, étaient composés pour des praticiens, et ne représentaient, à vrai dire, que des recueils d'opinions destinées à fournir aux juges une jurisprudence. Entre le droit et la science, il y avait donc un abîme.

Ces deux écoles furent de bonne heure attaquées par les hommes de la Renaissance.

Au cas que leur controverse estoit patente et facile à juger, dit Pantagruel aux docteurs, vous l'avez obscurcie par sottes et déraisonnables raisons et ineptes opinions de Accurse, Balde, Bartole... et ces autres vieulx mastins, qui jamais n'entendirent la moindre loy des Pandectes... Car, comme il est tout certain, ils n'avoyent congnoissance de langue ny grecque ny latine, mais seulement de gothique et barbare.

Les jurisconsultes de la nouvelle école, celle de la Renaissance, furent des humanistes ; ils avaient appris, eux, le grec et le latin ; ils connaissaient fort bien les auteurs anciens ; quelques-uns même étaient des lettrés. Alciat, un des promoteurs de la réforme, avait annoté Plaute et Térence et écrit des poésies latines. Budé doit aussi être compté parmi les premiers rénovateurs des études juridiques.

Comme pour l'érudition classique, la réforme commença par la publication d'éditions plus correctes et par des essais de restitution des textes : Digeste, Code, Institutes de Justinien, Loi des Douze Tables, Édit perpétuel. Henri Estienne, plus tard, édita en 1558 les Lois Impériales grecques et, deux ans après, les traduisit en latin.

Cujas[42], né à Toulouse en 1522, est, dans l'histoire du droit, le représentant le plus illustre de l'Université de cette ville, qui avait toujours donné une grande place aux études juridiques ; il y apprit les langues anciennes, l'histoire, la philosophie, en même temps que le droit, commença à y enseigner en 1547, puis passa par les Universités de Cahors, de Bourges, de Valence, de Turin, fit un court séjour à celle de Paris en 1576, et retourna à Bourges, où il mourut en 1590.

A Bourges, il eut pour auditeurs un grand nombre de juristes et d'érudits. A Valence, Joseph Scaliger et de Thou allèrent l'entendre. Vers la fin de sa vie, il était sollicité par Grégoire XIII de passer en Italie. On le qualifiait de professor legum admirandus, de vir Jurisprudentiæ in antiquam dignitatem restituendæ natus. Le Parlement de Paris, en 1576, le disait personnage de grande et singulière doctrine et érudition. Ce n'est pas qu'il n'ait eu des adversaires nombreux et violents, comme on l'était d'ailleurs en tout à cette époque : Forcadel à Toulouse, Duaren et Doneau à Bourges[43]. La vivacité des luttes démontre la nouveauté des doctrines de Cujas, et leur signification historique.

Ses œuvres sont immenses[44]. Elles se composent d'éditions : Fragments d'Ulpien, Code Théodosien, Institutes de Justinien, Novelles, puis de Commentaires sur le Code, le Digeste, les Institutes, sur les œuvres de certains jurisconsultes, Papinien, par exemple.

Cujas fut avant tout un professeur de droit civil, c'est-à-dire de droit romain, ce qui était à cette époque une sorte de laïcisation de l'enseignement juridique. On ne connaît de lui qu'un seul écrit sur le droit canon. Il pratiqua les habitudes d'esprit des humanistes ; très versé dans la littérature grecque et romaine, il sut rapprocher les textes historiques et littéraires des textes juridiques. En outre, au lieu de gloser sur le texte isolé ou de compiler les commentaires faits antérieurement sur un texte de jurisconsulte, il cherchait à le replacer dans l'œuvre même de ce jurisconsulte, puis le jurisconsulte dans son école, et l'école dans son époque. Ainsi, il introduisait dans l'étude du droit la notion historique et il se servait du droit comme élément de reconstitution des civilisations antiques. C'était autre chose et plus que d'en tirer des motifs de décisions, applicables par des magistrats dans la vie courante.

Les érudits et les juristes s'unissaient donc dans une communauté de méthode, et désormais les travaux sur le droit romain allaient intéresser les savants autant que les praticiens et devenir un des instruments de la culture générale. Ce fut un phénomène presque du même ordre que celui qui avait fait du latin, non plus un langage purement usuel et limité à son utilité immédiate, mais une partie intégrante de la pensée érudite. Un certain nombre d'esprits distingués, L'Hospital par exemple, rêvèrent l'union des lettres et du droit, et le jurisconsulte Charondas allait plus loin encore, en revendiquant pour la science juridique une sorte de préséance :

Je dirai que la vraie filosophie est comprise dans les livres de Droit, et non dans les inutiles et muettes bibliothèques des filosophes.

 

IV. — LES ÉRUDITS ; ÉTUDES NATIONALES.

NOUS avons dit comment les savants furent amenés à l'étude des antiquités françaises. Ils suivirent dans cette recherche les

méthodes qu'on avait appliquées à la reconstitution de l'antiquité. Mais, ayant à manier moins des textes littéraires que des documents, ils furent conviés à une précision plus rigoureuse, à une critique plus exigeante ; ils créèrent ainsi la science historique moderne. Leur œuvre se compose de publications de textes ou de synthèses fondées sur les textes.

Né à Paris, en 1528 ou 1529, d'une famille modeste, Estienne Pasquier[45] étudia le droit, sous Hotman et Baudouin, se rendit à Toulouse pour recevoir les leçons du grand Cujas, fut auditeur d'Alciat à Pavie, de Socin à Bologne, puis débuta comme avocat devant le Parlement de Paris, à la fin de l'année 1549. Il y avait pour confrères Pierre Séguier, Christophe de Thou, ses aînés ; Brulart, François de Montholon, Bodin, ses contemporains ; Loisel et Pierre Pithou, un peu plus jeunes : autant d'esprits forts et brillants, appelés à un grand avenir. Précis, ferme, modeste, laborieux avec méthode, Pasquier se fit assez vite une réputation solide, à laquelle ne nuisaient pas des fantaisies littéraires : le Monophile, les Colloques d'amour, à la mode de l'époque. Son mariage avec une veuve assez riche et la naissance d'un fils, en 1558, lui donnèrent cette vie de famille, qu'il aimait et qui était celle de la bourgeoisie moyenne, sur laquelle les habitudes de Cour avaient peu de prise : vie calme, régulière, partagée entre l'exercice de la profession et le culte des lettres. Pasquier allait tous les ans faire ses vendanges dans son petit domaine de la Brie ou dans la propriété de sa femme près de Cognac.

Avocat recherché, il fut, en 1564, chargé de soutenir devant le Parlement la cause de l'Université contre les Jésuites, qui s'étaient insinués dans l'enseignement. Dans ce procès, il montra les qualités de vigueur mesurée et l'attachement aux traditions de liberté chères à la bourgeoisie française, qu'il porta dans la vie politique, où il entra peu à peu. Il assista aux Grands Jours de Poitiers, à ceux de Troyes, fut nommé en 1585 avocat général à la Chambre des comptes, fut député aux États de Blois en 1588 ; il suivit Henri III à Tours et rentra avec Henri IV à Paris, en 1594. Il n'y mourut qu'en 1615.

Il n'avait jamais délaissé la littérature ni l'érudition ; après ses premiers vers, il publia les Ordonnances générales d'amour en 1564. En 1609, il se plut à réunir, sous le nom de Jeunesse de Pasquier, toutes les productions de ses premières années ; il y joignit les lettres innombrables écrites[46] à divers et qui montrent chez lui, avec un esprit gaillard, un sens très aiguisé, une vision précise et juste, une intelligence essentiellement judicieuse, avec une pointe d'ironie. Il avait, en vrai bourgeois français, l'instinct du réel. C'est peut-être pour cette raison que son œuvre capitale est une œuvre d'érudition, non pas antique, mais actuelle : les Recherches de la France, dont il fit paraître le premier livre en 1560, le deuxième en 1563 ; les huit autres furent publiés au début du XVIIe siècle seulement.

Il remontait jusqu'à nos origines, non plus fabuleuses et poétiques, mais historiques ; il étudiait les Gaulois, les Burgundes, les Goths, les premiers Francs, les Mérovingiens. Il parlait de Frédégonde et de Brunehaut, qu'il appelait, il est vrai, ces deux princesses. Il poursuivit dans les livres suivants l'étude de nos institutions nationales, de notre langue et de notre poésie. Que son érudition pèche par bien des lacunes ou des erreurs, qu'il ait fait en partie un livre à thèse, avec la préoccupation d'établir sur des faits arrangés une sorte de système de monarchie constitutionnelle, qu'il ait mêlé à l'examen des événements quelques préoccupations d'actualité, cela est incontestable, mais il eut le mérite d'avoir beaucoup travaillé, d'avoir souvent rencontré juste, et surtout d'avoir appliqué son effort à une œuvre d'intérêt national.

Jean Bodin[47] naquit à Angers en 1530 ; il alla faire ses études de droit à Toulouse, où il professa un moment, puis se rendit à Paris, devint maître des requêtes, secrétaire des commandements et grand-maitre des eaux et forêts du duc d'Alençon, le dernier des fils d'Henri II. En 1576, le tiers état de Vermandois le députa aux États de Blois. En 1584, Bodin se fixa à Laon, prit un moment parti pour la Ligue contre Henri III en 1589, puis se déclara pour Henri IV et mourut en 1596.

Ce fut un personnage d'esprit flottant, un peu aventureux, et pourtant modéré. Chose assez significative : bien qu'il ait appartenu jusqu'au bout au catholicisme, on l'accusa d'être protestant et on s'est demandé s'il n'avait point par sa mère des origines juives.

En 1566, il publia la Méthode historique (Méthodus ad facilem historiarum cognitionem) ; en 1576, La République ; en 1578, la Démonomanie ; en 1596, l'Amphitheatrum naturæ. Il avait composé le Heptaplomeres, sive Colloquium de abditis rerum sublimium arcanis[48]. La République est un ouvrage d'ordre très élevé, où Bodin soutient la théorie monarchique, en protestant contre la tyrannie, qu'il distingue de la monarchie, et en imposant quelques limites au pouvoir absolu. Or, dans la Méthode historique il y a des nouveautés, et dans la République, des hardiesses ; dans la Démonomanie, des idées arriérées, puisque Bodin croit aux démons et à l'astrologie, et nie les découvertes de Copernic ; dans le Heptaplomeres des conceptions téméraires pour l'époque, puisqu'il y institue une discussion religieuse entre des interlocuteurs de culte différent, et cite fréquemment le Talmud et la Cabale. C'est un singulier mélange de contradictions ou d'incertitudes.

François Hotman[49], né à Paris en 1521, étudia le droit à Orléans et commença à l'enseigner à Paris en 1546 ; puis, pour échapper aux persécutions dirigées contre les protestants, il alla à Lausanne et à Strasbourg, où il demeura très longtemps et acquit un grand renom de savant et de professeur. Calviniste passionné, en rapports étroits avec Calvin, il se mêla très ardemment à la politique, fut soupçonné de complicité dans la conjuration d'Amboise, écrivit contre le cardinal de Lorraine l'Épistre adressée au Tigre de la France, dont le ton était d'une violence farouche, revint en France en 1563, après la paix d'Amboise, enseigna à Valence et à Bourges, et quitta définitivement la France en 1572, après la Saint-Barthélemy. Il mourut en 1590.

C'est pendant son séjour à l'étranger qu'il publia, en 1573, les vingt premiers chapitres de la Franco-Gallia (La Gaule-France), qui fut traduite en français en 1574.

Il y prend l'histoire de France à ses origines, à la Gaule primitive et à la domination romaine ; suit cette histoire au travers du développement des institutions politiques, administratives et ecclésiastiques. Bien plus encore que Pasquier, il soutient une thèse, celle d'une sorte de monarchie constitutionnelle gouvernant avec le concours des États du royaume ; mais il le fait en se servant de notre histoire, tandis que d'autres fondaient leurs théories sur l'Aréopage d'Athènes et le Sénat de Rome. Et puis, il entreprend d'appliquer la méthode scientifique : Mon livre, dit-il, est un livre historique... Je n'ai pas avancé trois propositions sans témoignages et sans preuves évidentes.

Jean du Tillet écrivait avant 1570 les Mémoires et Recherches.... pour l'intelligence de l'État et des affaires de France, et, dès 1560, il avait publié une étude sur l'âge de la majorité des rois[50]. Fauchet écrit le Recueil de l'origine de la langue et poésie françoise, ryme et romans. Plus les noms et sommaire des œuvres de 127 poètes françois vivans avant l'an 1300 (1581) ; il compose, à l'aide des chartes et des chroniques, les Antiquités gauloises et françaises, et les Origines des dignités et magistrats de France (1584)[51]. Dans ses Antiquités, il citait les Serments de Strasbourg.

Quelques ouvrages, comme ceux de Pierre, de François Pithou (1539-1596 ; 1543-1621), eurent un caractère à la fois érudit et politique : tels le Traité de la Grandeur et des Droits de la Couronne de France (1587), et surtout le Recueil des libertés de l'Église gallicane (1594). Mais Pierre avait aussi publié les Coutumes de Troyes, le Premier livre des Mémoires des Comtes héréditaires de Champagne et de Brie, tiré pièce à pièce, au vray, d'anciennes chartes, et en même temps les Observations sur le Code Justinien, et les Déclamations de Quintilien.

Concurremment à ces travaux érudits, il y eut comme un courant qui entraîna des écrivains de second ordre à la publication d'ouvrages destinés à vulgariser l'histoire nationale. Le nombre de ces livres montre qu'un assez gros public s'y intéressait et qu'ils avaient des acheteurs. Gilles Corrozet, avait publié, en 1532, La Fleur des Antiquitez... de la ville de Paris[52] ; il écrivit le Trésor des Histoires de France, publié en 1583. Belleforest compose L'histoire des neuf roys Charles (1568) et les Grandes Annales et Histoires généralles de France (1579) ; Girard, sieur du Haillant, l'Histoire générale des rois de France[53] (1576) ; Papire Masson, quatre Livres d'Annales[54] (1578), Nicolas Vignier, le Sommaire de l'Histoire des Français, suivi d'un Traité de l'Estat et origine des anciens Français (1579).

En même temps, on cherchait à avoir au moins des notions sur le monde entier, en dehors des Grecs et des Romains. Belleforest traduisit, en 1575, la Cosmographie de Munster, description des pays d'Europe, ornée de figures qui donnaient la vision des choses décrites ; André Thevet publia en 1554 la Cosmographie du Levant, et en 1571 la Cosmographie universelle ; compilations médiocres et sans critique, mais qui élargissaient les horizons.

La transformation dans la façon de comprendre le droit romain et le discrédit lent, mais progressif, du droit canon, devaient favoriser l'étude du droit français, ou, comme on disait, du droit coutumier. Pourtant, elle ne se développera que difficilement tout d'abord. En effet, juristes et érudits, obsédés, là comme ailleurs, par la préoccupation de l'antiquité, considéraient le droit coutumier comme étant d'ordre inférieur et le réservaient tout au plus aux praticiens. Puis les règles pour l'étude de ce droit étaient mal établies. On avait publié un certain nombre de coutumes, mais c'avait été d'abord un travail pratique pour l'usage des magistrats, et quand on les commentait, on le faisait presque uniquement à l'aide du droit romain ou du droit canonique, maniés l'un et l'autre à la façon bartoliste ou accursiste.

L'un des créateurs de la science du droit national fut Charles du Moulin, qui fut en même temps un des esprits les plus indépendants et les plus hardis du XVe siècle. Né à Paris, en 1500, il fit à l'Université de bonnes études d'humaniste, suivit les cours de droit à Orléans et à Poitiers ; essaya de plaider à Paris, mais sans succès, à cause d'une toute particulière difficulté d'élocution, et se borna à être avocat consultant, spécialité dans laquelle il acquit une très grande réputation. Il publia, en 1539, son Premier Commentaire sur la Coutume de Paris, qu'il dédia au roi François Ier. C'est une date dans l'histoire du droit français.

Gallican dans l'âme et ardemment hostile aux empiétements de la Cour de Rome, il fut ainsi entra/né assez facilement à la Réforme, où son esprit, très ferme et très arrêté dans ses convictions, avec des apparences passionnées, fut très embarrassé de se fixer, passant du luthéranisme au calvinisme, pour revenir en fin de compte au luthéranisme. Il eut ainsi le sort de presque toutes les fortes personnalités du siècle, et les quinze dernières années de sa vie furent troublées par des persécutions. En 1552, pour avoir publié l'écrit sur les Petites Dates[55], favorable cependant aux droits du royaume, il est emprisonné, sa maison est pillée par la populace, parce qu'on le sait protestant ; il se réfugie en Allemagne, où il reste quatre ans, revient en France, est encore obligé en 1562 de s'enfuir de Paris à Orléans ; publie en 1564 le Conseil sur le concile de Trente, dans lequel il engage le Roi à ne pas recevoir en France les décrets du concile ; est de nouveau emprisonné pendant quelque temps. Persécuté par les ultramontains, il est assailli par les ministres calvinistes, insulté, calomnié, pendant que la Congrégation de Rome met ses livres à l'Index. Il meurt en 1566.

L'œuvre de du Moulin est considérable ; les parties essentielles en sont : les deux Commentaires sur la Coutume de Paris, publiés en 1539 et 1338, le Tractatus commerciorum et usurarum redituumque pecunia constitutorum et monetarum, paru en 1546 et bientôt abrégé et traduit sous ce titre : Sommaire du livre analytique des contracts, usures, rentes constituées, intérêts et monnoyes ; la Première partie du traicté de l'Origine, progrez et excellence du royaume et monarchie des Françoys et couronne de France, en 1561.

Voilà donc notre droit devenu l'objet des hautes études. Car, bien que du Moulin écrive pour les praticiens, il donne dans presque tous ses écrits une place à l'histoire, c'est-à-dire à l'érudition. Le commentaire sur la Coutume de Paris[56] est précédé d'une vue générale sur le moyen âge, jusque vers le XIVe siècle. Du Moulin plonge dans nos antiquités nationales, invoque la Loi Salique, discute, dans le passé comme dans le présent, le régime des fiefs, remonte aux origines de la monarchie. Mais aussi, il est l'homme de son temps et il a le sentiment du progrès. Il attaque les droits féodaux, il proclame, contre l'Église, la légitimité du prêt à intérêt ; il demande l'unification des coutumes : J'ay trouvé et connu clairement, dit-il dans une dédicace à Henri II, qu'il serait très nécessaire et utile et facile de réduire en une briève et équitable consonance (non toutes les coustumes de vostre royaume), mais plusieurs contrariétez, déduicts et intrications qui s'y fait, et même, il élargit plus tard cette idée dans son Oratio de concordia et unione consuetudinum Franciæ (Discours de la concorde et union des coutumes de France).

C'est ce mélange d'esprit pratique, juridique, philosophique et historique[57], qui fait de du Moulin un précurseur et agrandit son rôle, en l'opposant à l'humanisme juridique désintéressé et abstrait représenté par Cujas. Mais c'est que du Moulin était sorti des Universités pour entrer dans la vie, et qu'il n'avait pas connu le droit seulement par les livres.

La veine ainsi ouverte se continue au XVIe siècle par Guy Coquille[58] et par Loisel ; elle se prolonge en plein XVIIe siècle par Domat et, à la veille de la Révolution, par Pothier.

 

V. — LES PENSEURS ET LES INDÉPENDANTS.

EN quelques hommes, que l'on peut appeler des indépendants,   apparaissent certains caractères de l'esprit du XVIe siècle qui ne procèdent pas de la Renaissance, et le fort et le faible des idées nouvelles.

Ramus[59] (la Ramée) était né vers 1515, dans la Picardie, d'où sortirent tant d'hommes énergiques et de réformateurs. Fils d'un laboureur très pauvre, il fut réduit, pour étudier, à s'attacher comme domestique à un jeune écolier riche, avec qui il entra au collège de Navarre à Paris. A vingt et un ans, il soutint ses thèses sur ce sujet : Quæcumque ab Aristotele dicta essent commentitia esse (Que tout ce qui a été dit par Aristote est fausseté). Il s'attaquait ainsi au problème qui devait le passionner jusqu'à la fin de sa vie : la philosophie d'Aristote ou plutôt peut-être les opinions de ses commentateurs.

C'est en 1544 que commença la grande querelle, dont il devait sortir vainqueur — pour un moment — au bout de sept ans. Il avait publié en 1543 les Dialecticæ partitiones (Institutions à la Dialectique) et les Aristotelicæ animadversiones (Remarques sur Aristote). Dans les premières, il critiquait la pédagogie du temps, à laquelle il opposait une méthode à lui. Dans les secondes, il reprenait quelques-unes des idées de sa thèse et les précisait : il soutenait que certains écrits mis sous le nom d'Aristote lui étaient attribués à tort. A Aristote lui-même, il reprochait la sophistique, le manque de logique, à ses glossateurs l'abus de la scolastique.

Or, Aristote restait toujours pour l'Université le maitre intangible. En 1534, dans un programme de réforme de la Faculté des arts, la philosophie aristotélicienne était donnée comme l'objet normal et presque unique de l'enseignement.

Ramus excita ainsi bien des colères. Galland, recteur de l'Université, se mit à la tête de ses adversaires, dont les plus acharnés étaient un docteur, Joachim de Périon, et un jurisconsulte, Antoine de Gouvéa. Ils entreprirent de lui faire retirer le droit d'enseigner. La cause, portée par eux au Parlement, fut déférée à des arbitres, qui se montrèrent peu favorables à Ramus. C'est que celui-ci irritait par le ton hautain de son intransigeance et qu'il troublait des situations acquises. C'est aussi qu'à la date de 1544 on était en pleine crise du protestantisme et mal disposé pour toutes les hardiesses. même pour celles qui semblaient ne pas toucher à la foi. Par sentence du 10 mars 1544, le Roi condamna les deux ouvrages incriminés, fit défense à leur auteur d'enseigner la dialectique ou toutes autres parties de la philosophie, et d'user à l'avenir de telles médisances et invectives contre Aristote ne autres autheurs anciens receuz et approuvés, ne contre nostre dite fille, l'Université. Ramus continua de professer, mais uniquement la littérature et, en 1545, il fut appelé à la direction du collège de Presles. Il y expliqua Cicéron, Quintilien, non sans exciter encore l'opposition de l'Université par les critiques qu'il se permettait parfois contre ces deux auteurs.

Mais, à côté d'adversaires acharnés, il s'était fait des protecteurs. Le tout puissant cardinal de Lorraine le recommanda à Henri II, qui lui rendit la liberté de parler et d'écrire, et même le nomma, en 1551, professeur d'éloquence et de philosophie au Collège royal. Ses ennemis ne se turent pas : Galland, Charpentier, cet adversaire haineux de toutes les nouveautés, lancèrent contre lui quelques-uns de ces pamphlets, qui ont fait des querelles littéraires au XVIe siècle des champs clos d'injures et de calomnies. Rabelais, du Bellay se mêlèrent en prose et en vers à la lutte.

Cependant l'ouverture du cours de Ramus au Collège royal s'était faite au milieu d'une affluence considérable. De 1551 à 1561, il enseigna la grammaire, la rhétorique, même les mathématiques, aussi bien que la philosophie, portant dans toutes ces disciplines la netteté logique de son esprit et le sentiment des réformes nécessaires. Il fut vraiment le représentant du Collège royal et du haut enseignement. On a vu qu'il proposa un plan de réformes pour l'Université.

Toute cette œuvre singulièrement ample fut tentée au milieu de luttes et d'attaques, dont la violence s'accrut encore lorsque Ramus eut déclaré son adhésion à la Réforme. Des menaces d'assassinat furent proférées contre lui, en 1567 ; il n'y échappa qu'en abandonnant momentanément Paris. Puis il voyagea en Europe, de 1568 à 1570. Quand il revint, il se trouva déchu, en vertu des arrêts de 1568 et 1570, des fonctions qu'il avait occupées, ne les recouvra qu'en partie, et périt dans les massacres de la Saint-Barthélemy, peut-être à l'instigation de son rival Charpentier, qui n'avait pas cessé de le poursuivre de sa haine.

Ramus fut une intelligence forte et vaste : il aborda et embrassa presque toutes les parties du savoir humain, depuis la philosophie jusqu'aux sciences mathématiques, en passant par la littérature, et fit avancer chacune des sciences auxquelles il toucha. Son Arithmétique, sa Géométrie, son Algèbre furent considérées pendant longtemps comme des ouvrages excellents, et cependant ces sciences étaient en dehors des études de sa vie.

Ramus fut essentiellement un indépendant ; il le fut à l'égard de l'antiquité, ce qui, au XVIe siècle, suffit presque à classer un homme. Il fut également dégagé des préjugés de son temps ; en tout il osa parler de réformes : dans l'enseignement, dans la grammaire, dans la langue, dans l'orthographe.

Seulement, pour lui aussi, l'indépendance ne s'étendit pas à la politique ni à la foi. La dédicace de ses Institutions dialectiques n'est presque tout entière qu'une amplification sur ce thème : souhaiter au Roi la longue vie que lui méritent ses vertus et la protection qu'il accorde aux lettres. D'autre part, il fut le protégé du cardinal de Lorraine, cet adversaire acharné de la libre conscience. Dans ses critiques contre Aristote, il s'attache assez étrangement à condamner en lui le non croyant : Théologiens, s'écrie-t-il, délivrez le christianisme de cette peste... ; ne souffrez pas plus longtemps que la criminelle maladie de l'athéisme soit entretenue par des opinions auxquelles vous prêtez un appui inconsidéré.

Pourtant, il fut un défenseur passionné de la liberté intellectuelle, aussi bien contre Aristote que contre l'Université. Aucun parti ne le possédait, parce que la raison n'est d'aucun parti. Or, on a vu déjà que la génération d'Henri II, comme celle de François Ier, était une génération disciplinée, qui ne niait une tradition que pour en subir une autre, qui éprouvait le besoin de l'autorité dans la science, comme dans la politique et dans la religion.

Guillaume Postel[60] représenterait assez bien ce qu'on pourrait appeler l'esprit oriental de la Renaissance, avec ce qu'il y a toujours de rêveries chimériques et de fantaisies mystiques dans les choses de l'Orient.

Né à la Dolerie, dans le Cotentin, vers 1510, il eut une jeunesse pauvre et difficile, comme Ramus et comme Amyot. Mais, en 1536, il était envoyé en mission en Orient et, en 1539, nommé lecteur au Collège royal pour l'hébreu et les langues asiatiques. Très indépendant et très naïf, Postel entreprit, lui bien chétif, de défendre son premier protecteur, le chancelier Poyet, disgracié en 1542 ; il fut brisé. Alors commença une vie errante, où s'exagérèrent peu à peu les défauts d'une intelligence vaste et pénétrante, mais peu équilibrée. De 1543 à 1532, il alla à Rome, à Venise, à Jérusalem, en Syrie, à Constantinople, puis revint à Paris, où il fit pendant quelque temps des leçons publiques, qui attirèrent une foule considérable. Il avait acquis, au cours de ses pérégrinations, la connaissance de presque toutes les langues parlées dans l'Asie occidentale, et il possédait à fond le grec et le latin ; il avait en outre amassé un trésor d'observations et de méditations solitaires.

Il ne resta pas longtemps à Paris. A partir de 1553, on le voit à Besançon, puis à Bâle, à Venise, à Vienne, où il professe à l'Université pendant quelques mois. Il repasse en Italie, est poursuivi comme hérétique par le Saint-Office, emprisonné à Rome. Délivré, il va à Bâle, à Trente, à Augsbourg, rentre enfin à Paris, où la liberté de son langage, l'étrangeté de ses allures (il se vêtait du costume oriental), la hardiesse de ses idées (il soutenait la supériorité de la civilisation musulmane et prêchait une alliance des religions) le firent traduire devant le Parlement. Convaincu de folie, il fut enfermé, à partir de 1562, au prieuré de Saint-Martin-des-Champs, où il resta jusqu'à sa mort en 1581. Sa détention y fut d'ailleurs très douce ; il continua ses travaux ; il recevait les visites de tout ce que Paris comptait de personnages notables, attirés par la singularité de l'homme et l'originalité de sa conversation, pleine de souvenirs mêlés à toutes sortes d'utopies[61]. Henri III lui-même alla voir le bonhomme Postel, comme on l'appelait.

C'était un vieillard très doux ; le moine qui lui succéda dans sa cellule dit qu'il vivait très sagement, très humblement, qu'il écrivait bien quelquefois (et disait) certaines absurdités, mais qu'il mourut dans les sentiments d'une piété très sincère.

L'œuvre de Postel est énorme et confuse : il était philologue, mathématicien, historien, philosophe. Dans les portraits qu'on a de lui[62], il est représenté, tantôt avec la sphère et le compas, tantôt avec un livre, où sont inscrits souvent des caractères hébreux.

Il publia un Alphabet de douze langues, avec introduction et commentaires ; un livre sur les Origines et l'antiquité de la langue et de la nation hébraïque ; la Description de la Syrie ; Les magistratures athéniennes ; la Concorde universelle ; L'Histoire mémorable des expéditions faites par les Gaulois et Françoys ; les Très merveilleuses victoires des femmes du Nouveau Monde ; Des merveilles du monde... et y est montré aussi le lieu du Paradis terrestre[63] ; Trois livres des Chroniques du mathématicien Jean Carlon ; la République des Turcs ; L'Unique moyen de l'accord des protestants et des catholiques ; La vraye et entière description du Royaume de France[64].

Palissy' est né en 1499, au plus tôt, en 1590 au plus tard, en Agenais vraisemblablement. Ses parents étaient de condition modeste sans doute ; il s'instruisit peut-être dans une de ces petites écoles de campagne assez nombreuses au XVIe siècle. Il devint un peu plus tard géomètre-expert et arpenteur, voyagea en Gascogne, en Béarn, s'établit en Saintonge, où il embrassa les doctrines de la Réforme[65], il fut même incarcéré en 1558, mais bientôt relâché.

On ne sait à quel moment au juste il commença ses expériences pour la fabrication des poteries émaillées, auxquelles il était sans doute préparé, pour avoir été, entre 1530 et 1540, ouvrier verrier. Il les a racontées non sans quelque recherche de l'effet[66]. Lorsqu'il fut maître de son procédé, la réputation et l'aisance lui vinrent assez vite. En 1562, les chefs des réformés et des catholiques mirent son atelier sous sauvegarde. En 1563, il fit imprimer à La Rochelle la Recepte véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs thrésors. En 1564, il fut employé par Montmorency à des travaux de décoration dans ses différents châteaux et reçut le brevet d'inventeur des rustiques figulines du Roy et de la Reine mère ; il construisit une grotte émaillée dans e jardin des Tuileries en 1570. On suppose qu'au moment de la Saint-Barthélemy, il était absent de Paris ; il y revint en 1575, après avoir séjourné à Sedan, et y fit des leçons publiques et payantes sur les sciences naturelles, où il eut, paraît-il, de nombreux auditeurs : des avocats, des médecins, des mathématiciens, même le sculpteur Barthélemy Prieur (qui d'ailleurs collabora peut-être à quelques-unes de ses œuvres de faïence). Le médecin de la reine Marguerite de Valois, le magistrat Henri de Mesmes s'intéressaient à ses travaux. Il publia en 1580 les Discours admirables de la nature des eaux et fontaines, tant naturelles qu'artificielles, des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, du feu et des émaux.... Puis il retomba dans l'obscurité, peut-être dans la misère. On ne retrouve guère trace de sa vie pendant près de dix ans. On sait seulement qu'il fut emprisonné par les gens de la Ligue, en 1589 ; il mourut en 1589 ou 1590.

Palissy est fort peu un homme de la Renaissance, c'est-à-dire qu'il doit très peu de chose à la pédagogie et aux idées de son temps ; c'est un autodidacte. Il ne sait ni le grec ni le latin ; il se forma en lisant beaucoup et en lisant toutes sortes de livres : l'Écriture Sainte, qu'en sa qualité de calviniste il fit passer en lui tout entière ; des auteurs anciens traduits : Pline le Naturaliste et Vitruve ; des modernes : Serlio et du Cerceau ; des auteurs du moyen âge, choisis surtout parmi les alchimistes ; des savants de son temps, comme Pierre Belon ou le philosophe thaumaturge et astrologue Jérôme Cardan. Cette instruction très libre, très personnelle, commencée tard, poursuivie sans guide, le munit de connaissances, sans l'asservir à une méthode et à une doctrine, et laissa intact son tempérament intellectuel, qui était d'un observateur et d'un inventeur ; mais aussi elle l'exposa à des tâtonnements et quelquefois à des erreurs.

Encore aujourd'hui, c'est comme artiste qu'il est célèbre, et on le connaît surtout comme l'auteur des rustiques figulines, c'est-à-dire de ces plats, recouverts d'un émail jaspé, dont la merveilleuse variété reproduit avec éclat les jeux de l'agate, du lapis ou des matières précieuses[67], et qui sont décorés de poissons, de lézards, d'écrevisses, d'animaux des eaux courantes ou d'insectes, imités avec un sens profond de la réalité. Or, c'est la vue d'une pièce émaillée qui lui avait inspiré l'idée de son émail et, cette idée une fois conçue, il n'eut pour maître et pour guide que lui-même. Quant à la décoration de ses pièces, il la trouva dans les choses mêmes qu'il avait vues dès son enfance : les plantes, les cailloux, les poissons, les insectes de son pays.

Plus tard seulement, quand il fut devenu à la mode, il chercha à modifier son genre et introduisit dans ses œuvres les sujets et le style qui plaisaient à ses contemporains : des Diane, des Madeleine au désert, des allégories, mais les modèles n'étaient plus de lui, il les demandait à des artistes, et il empruntait ses motifs ornementaux à Serlio et à du Cerceau, qu'il avait feuilletés.

Palissy est encore plus un homme de science et un penseur qu'un artiste, et sa science ou sa philosophie liait toujours de l'observation. Il s'intéresse aux sciences naturelles, parce qu'il a vécu en contact avec la nature ; il devient géologue pour avoir regardé les mines, les carrières, et pour y avoir trouvé des pierres, des métaux qui ont excité son attention. Il s'occupe de questions d'économie politique, pour avoir connu des paysans, des petits commerçants.

Cet esprit d'observation apparaît même dans les procédés de son style. Les formes : j'ai vu ; il existe quelque part... reviennent presque à chaque page ; l'observation y est le plus souvent présentée sous le couvert de l'anecdote. Seulement il ne s'en tient presque jamais à la simple constatation ; son esprit philosophique en tire des théories sur la nature des eaux et des pierres, sur les sels, sur la transmutation ; et il est admirable que sur quelques points ses doctrines scientifiques aient annoncé et devancé certaines théories modernes. Enfin, comme son intelligence est pratique, il se préoccupe toujours des applications matérielles, et il propose toutes sortes d'inventions : des fontaines, des systèmes de fortifications, etc.

Tandis que la plupart de ses contemporains ont tendance à invoquer l'autorité des anciens ou les opinions déjà exprimées, Palissy semble prendre un âpre plaisir à montrer le néant des prétendues théories, fussent-elles antiques, et à leur opposer toujours l'expérimentation personnelle. Tout le livre des Discours admirables est composé sur un dialogue entre Théorie et Pratique où, bien entendu, le beau rôle est à Pratique.

Avec une tout autre étendue d'intelligence, il a certains traits qui le rapprochent de Philibert de l'Orme : la même personnalité forte et rude, un peu chagrine, avec la même finesse cependant et quelque souplesse de conduite, le même tempérament d'inventeur, le même enthousiasme passionné ; on retrouve aussi en lui quelque chose de la hardiesse de pensée de Ramus ou de l'imagination aventureuse de Postel. Par certains côtés de leur existence, par leur caractère, par la tournure de leur esprit, ces hommes révèlent dans le XVIe siècle littéraire une sorte de démocratie intellectuelle, et tous quatre, d'ailleurs, sortaient du peuple.

Ambroise Paré (né près de Laval vers 1510) appartenait à une famille modeste, dont plusieurs membres exercèrent la profession de barbier et de chirurgien ; il reçut une fort petite instruction, et n'apprit ni le grec, ni le latin[68]. Il entra à l'Hôtel-Dieu de Paris, comme compagnon chirurgien, puis fut attaché à M. de Montejean, qu'il suivit dans la campagne de Piémont, en 1537-1538. Ce fut pour lui un apprentissage fécond et, quand il revint à Paris, il avait déjà acquis une réputation d'habileté professionnelle et même de hardiesse expérimentale, car il avait introduit dans le traitement des plaies quelques innovations opératoires. Alors il passa les examens d'entrée dans la corporation des barbiers-chirurgiens. Il assista ensuite à toutes les campagnes, sous Henri II, Charles IX et Henri III ; au siège de Metz, en 1552, il révéla d'une façon éclatante son dévouement à la science et à l'humanité et son génie de chirurgien. Cependant il n'obtint qu'en 1554, et non sans difficulté, le titre de docteur en chirurgie[69], car on lui reprochait la barbarie du latin qu'il avait été obligé d'écrire et l'insuffisance de ses connaissances générales. C'était toujours la lutte entre Théorie et Pratique. Il devint premier chirurgien des rois Charles IX et Henri III, était appelé auprès des hauts personnages du temps dans tous les cas graves, et sa renommée se répandit dans toute l'Europe.

Il avait publié, à partir de 1545, un assez grand nombre d'ouvrages : la Méthode de traicter les playes faictes par hacquebutes et aultres bastons à feu ; l'Anatomie universelle du corps humain. Il réunit ces traités et quelques autres, en 1575, sous le titre de : Les œuvres complètes de Monsieur Ambroise Paré.... avec les figures et portraicts tant de l'anatomie que des instruments de Chirurgie. C'est un beau volume, orné d'illustrations très élégantes à la mode de la Renaissance. Cette publication suscita de la part de la Faculté de médecine une opposition très vive. Les médecins étaient alors très hésitants : les uns s'attachant, en humanistes, à restaurer la science antique puisée dans les livres ; d'autres cherchant à rénover la médecine par l'observation anatomique et physiologique ; quelques-uns, comme l'Allemand Paracelse, faisant intervenir les théories alchimiques. Cependant les membres de la Faculté étaient en grande majorité partisans de la tradition et hostiles aux chirurgiens qu'ils dédaignaient. Ils blâmèrent Paré d'écrire en français, non en latin, l'accusèrent, d'être homme impudent et sans aucun savoir, et d'avoir inséré dans ses œuvres des choses abominables et nuisibles aux bonnes mœurs et à l'État[70]. Paré se défendit vivement et l'affaire,

portée au Parlement, se termina probablement par une transaction ; il en fut de même d'un autre différend avec le collège des chirurgiens. Du reste, les dernières années de Paré se passèrent en querelles scientifiques de toute sorte ; il mourut en 1590.

Paré est, lui aussi, un autodidacte ; on l'a vu. Pourtant il eut foi dans les maîtres anciens, dans Hippocrate, dans Galien ; il les cita et les invoqua souvent. Mais il croyait plus à l'observation, à l'expérience ; il affirmait le progrès. Les anciens, dit-il, nous servent d'eschauguettes, d'où nous pouvons voir plus loin qu'eux. Il ne faut pas s'endormir sur leur labeur, comme s'ils avaient tout su et tout dit. Il ne croit pas non plus exclusivement aux livres. Aussi n'est-ce pas grande chose (bien que ce soit quelque cas) de feuilleter les livres, de gazouiller et cacqueter, en une chaire, de la chirurgie, de sa perfection... si la main (suyvant la signification du vocable) ne besongne. Il emprunte à du Bartas ces vers :

Celui-là qui combat contre l'expérience

N'est digne du discours d'une haute science.

Il parle volontiers de ses observations : Voilà comment j'appris (à Turin) à traicter les playes faictes par harquebuzes ; non par les livres ; il se loue d'avoir sondé les secrets et les cœurs de quelques empiriques. Enfin il proclame, lui aussi, la langue françoise aussi noble que toute autre langue étrangère. Il proteste contre la séparation factice des sciences : Qui a faict le partage de la médecine et de la chirurgie ? et écrit : Les arts se parfont et polissent par succession de temps.

Il semble bien que, dans son œuvre même, on pourrait distinguer entre les généralités, où il est simple disciple, et les observations et la pratique chirurgicale, où il est un maitre, un innovateur et un inventeur.

Noël du Fail[71], né vers 1520, appartenait à une ancienne famille bretonne, dont tous les membres, au XIVe et au XVe siècle, avaient, suivant l'usage du temps, pratiqué le métier des armes. Ils ne s'y étaient pas enrichis et leurs descendants ne possédaient. que quelques petits fiefs aux environs de Rennes, où ils menaient l'existence modeste de tant de gentilshommes provinciaux. Vers 1539, Noël alla à Paris, et y étudia la médecine en même temps que les lettres. Il servit un moment dans l'armée de Piémont, assista très probablement à la bataille de Cérisoles en 1544, et passa quelque temps en Italie. De retour en France, il étudia le droit aux écoles d'Angers, d'Avignon, de Bourges, d'Orléans.

A une intelligence solide et précise il unissait une imagination assez vagabonde, qui se portait facilement vers toutes choses. Il eut d'assez bonne heure le goût d'écrire, et il publia à Paris, en 1547, les Propos rustiques de Maistre Léon Ladulfi (anagramme de Noël du Fail) Champenois, et, en 1348, les Baliverneries ou Contes nouveaux d'Eutrapel, autrement dit Léon Ladulfi.

Après cette vie errante, qui avait duré plus de huit ans, il rentra dans sa province natale. Avocat au parlement de Rennes, conseiller au présidial, puis au parlement de la même ville, en 1572, il quitta cette charge en 1585, et mourut en 1591. A partir du moment où il eut abandonné Paris, son existence devint aussi calme et sédentaire qu'elle avait tout d'abord été agitée et nomade. Il partagea son temps entre ses occupations de magistrat et l'exercice de ses goûts littéraires, entre ses séjours à Rennes et son petit domaine familial de Château-Liétard, où il demeurait avec son frère aîné.

Il publia, en 1579, les Mémoires recueillis et extraits des plus notables et solennels arrêts du Parlement de Bretagne, et en 1585, les Contes et discours d'Eutrapel.

Les Propos Rustiques, les Baliverneries, les Contes d'Eutrapel procèdent de la même forme littéraire, c'est-à-dire de la nouvelle ; ce sont en général des dialogues familiers supposés, qui permettent toutes les digressions. L'inspiration de Rabelais y est très saisissable, et on comprend, en les lisant, que Pasquier ait qualifié du Fail de Singe de Rabelais.

Mais ce qui est très remarquable chez Noël du Fail, c'est l'esprit réaliste. Non seulement c'est lui-même qui se met en scène sous le nom d'Eutrapel, mais son principal interlocuteur est son frère, sous le nom de Polygame ; un autre de ses compagnons figure sous le nom de Lupolde. Et du Fail décrit son pays si exactement, si minutieusement, qu'on peut encore aujourd'hui déterminer les villages, les hameaux, les petits manoirs où se passent ses récits[72]. Les épisodes qu'il raconte sont quelque chose comme la chronique locale. Tous ces petits tableaux sont lestement enlevés à la façon de croquis de peintres, et nous avons par du Fail un spécimen de ce qu'aurait pu être une littérature provinciale et rurale, qui nous aurait donné la représentation d'une partie de la vie sociale de l'époque.

Du Fail décrit le petit manoir seigneurial, bâti d'une moyenne force, pour faire teste aux voleurs, coureurs, et à l'ennemy, soubs le crédit de quelques petites eaux qui l'environnent, avesques le pourpris, bois, jardin et verger. Dans le jardin aux allées carrées, des niches, des herbes, des fleurs, des fruits, puis le bois entouré de fossés. Le domaine se complète par une métairie et des pièces de terre exploitées directement ou louées. Le propriétaire vit d'une vie toute champêtre, surveillant les travaux, ayant pour distraction la chasse ou la pêche. Quelquefois aussy, avec deux lévriers et huit chiens courants, me trouveray à la chasse du renard, chevreau ou lièvre, sans rompre ou offencer les bleds du laboureur... L'autrefois, avec l'autour, oyseau bon ménager, quatre braques et le barbet, avecques l'harquebuze.

Puis le paysan, dans ses travaux journaliers : Demandez-vous ou souhaitez-vous plus salutaire et libéralle vie que la vostre ? Au matin... lians vos bœufs au joug, allez au champ chantans à pleine gorge... et là avez le passe-temps de mille oyseaux, les uns chantans sur la haye, les autres suyvans vostre charrue pour se patstre des vermets qui yssent de la terre renversée... Autrefois ayant la vouge sur l'espaule et la serpe bravement passée à la ceinture, vous pourmenez à l'entour de vos champs, voir si les chevaux, vaches ou porcs y ont point entré, pour avec des espines reclorre soudain le nouveau passage. Puis le dimanche, le jeu de l'arc, les grands dîners, présidés par le curé, où l'on mange de la poule et du jambon, la danse et la veillée égayée par des récits, et le paysan, le pourpoint bordé de vert, le petit bonnet rouge, le chapeau orné d'un bouquet, la ceinture bigarrée.

Il restera quelque chose de ces accents dans notre littérature jusqu'au XVIIe siècle, et du Fail, avec le génie en moins, fait quelquefois songer à La Fontaine. Du reste, ses œuvres répondaient à un certain goût du temps, car les Contes d'Eutrapel eurent cinq éditions de 1585 à 1587, et l'une d'elles fut publiée à Anvers[73].

Les tableaux tracés par Noël du Fail se compléteraient par la vue des petites habitations seigneuriales représentées dans quelques tapisseries du temps : manoirs aux toits pointus, flanqués de petites tourelles, entourés de douves, composés à l'intérieur de quelques pièces sans grand apparat, avec quelques ornements discrets et délicats, empruntés au style de la Renaissance. On y retrouve également ses paysans en pourpoint et haut-de-chausses, labourant, semant, et les assemblées de village qu'il a décrites.

Michel Eyquem de Montaigne[74], né au château de Montaigne en Périgord, le 28 février 1533, y mourut le 13 septembre 1592. Son père, issu d'une famille de négociants très aisés, avait le goût des aventures, et s'était enrôlé à l'époque des premières guerres entre François Ier et Charles-Quint, puis était revenu vivre dans son domaine de Montaigne, dont il ajouta le nom à son nom patronymique de Eyquem. Il avait épousé une femme de souche hispano-juive, dont le père et les oncles, les Lopès, étaient riches et très répandus dans la région du Sud-Ouest.

Montaigne fut élevé d'abord dans sa famille, sous la direction d'un professeur que son père avait fait venir d'Allemagne et de qui il apprit surtout le latin. A six ans, il entra au collège de Guyenne, à Bordeaux. Très probablement, il suivit les cours de la Faculté des Arts de la même ville, puis étudia peut-être le droit à Toulouse. Il devint, en 1554, conseiller à la cour des aides de Périgueux, et en 1557, au parlement de Bordeaux, où il connut La Boétie. Il se maria en 1565 et, deux ans après la mort de son père, qu'il perdit en 1568, il renonça à ses fonctions parlementaires, pour devenir un véritable gentilhomme campagnard dans sa demeure paternelle. Il fut cependant mêlé de temps en temps aux affaires publiques et aux honneurs : gentilhomme ordinaire de la chambre d'Henri de Navarre et d'Henri III, député à diverses reprises à la Cour par ses concitoyens, maire de Bordeaux entre 1581 et 1585, fonctions qu'il remplit consciencieusement, mais sans éclat et sans héroïsme[75]. Malgré sa modération en politique, les temps étaient troublés et terribles pour tous à ce point que, dans un séjour à Paris, en 1588, il fut enfermé pendant quelques heures à la Bastille[76].

Montaigne voyagea ; il alla en Allemagne, en Suisse, en Italie, mais ces voyages ne furent accomplis qu'en 1580-1581, alors qu'il avait près de cinquante ans, et par conséquent n'ont eu aucune action sur la formation de son esprit.

Sa première œuvre avait été, en 1569, la traduction de La Théologie naturelle de Raimond de Sebonde, un écrit philosophique du XVe siècle. En 1580, il publia deux livres des Essais ; en 1588, il en fit une cinquième édition, augmentée d'un troisième livre et de six cents additions aux deux premiers.

Montaigne est par beaucoup de points de sa vie un homme de son temps : il en a reçu l'éducation, il en a partagé les goûts, il en a fréquenté la société, il en a pratiqué les affaires. Il s'est intéressé à toutes les grandes questions de pédagogie, de science et de littérature, même de politique et de religion, qui furent agitées, et sur chacune il a dit son mot. Seulement, et c'est bien là un trait commun à presque tous les écrivains de l'époque, les faits dont il était le spectateur n'étaient pour lui que des occasions de raisonner philosophiquement sur des problèmes généraux ; il ne les discutait pas pour eux-mêmes, et il tint constamment pour les pouvoirs établis.

Comme écrivain, il est encore de son temps par son admiration pour l'antiquité, par l'autorité qu'il accorde aux auteurs grecs et romains, par la place qu'il leur donne dans sa pensée et dans ses œuvres. Dans sa bibliothèque, qu'on n'a pu encore reconstituer qu'en partie, on trouve 9 ouvrages grecs, 35 latins, contre 17 français, 13 italiens et 2 espagnols. Encore les ouvrages français et italiens concernent-ils souvent l'antiquité et, dans le nombre, il n'y a que deux romans. C'est donc bien une bibliothèque d'humaniste, mais d'humaniste assez élargi, comme le témoignent les histoires de Flandre, de Pologne, de Portugal, qu'il lisait.

Ces histoires, il les allégua quelquefois dans ses Essais, mais le grand entraînement de son esprit fut vers l'antiquité, et c'était toujours à elle qu'il revenait comme par une pente naturelle. S'il raconte la bataille de Dreux, il dévie bientôt de François de Guise à Philopœmen qui, dans un combat contre le Spartiate Machanidas, avait suivi, parait-il, la même tactique que le duc : Ce cas est germain à celuy de M. de Guyse. Puis il passe au récit d'une bataille livrée par Agésilas aux Béotiens, et le chapitre est terminé.

Le chapitre sur la liberté de conscience ne s'arrête pas longtemps à ce problème, si poignant au moment où Montaigne écrivait. Tacite, Scipion, Alexandre, Brutus, Julien, voilà les témoins à qui il demande des leçons pour les hommes du XVIe siècle. Tel chapitre sur la Peur ne se compose guère que de citations grecques ou latines.

Cependant Montaigne n'est pas tout entier de son temps. De bonne heure, il vécut plutôt à l'écart et, à partir de 1571, c'est-à-dire à l'âge de trente-huit ans, il se retira complètement du monde, de propos très délibéré, comme il le dit dans la célèbre inscription tracée sur une des poutres de sa bibliothèque. Las de l'esclavage de la Cour et des charges publiques, il se réfugiait vers les chastes Muses et consacrait sa demeure paternelle et ses douces retraites à sa liberté, à sa tranquillité, à son loisir. On a vu que les événements ne le laissèrent pas aussi indépendant qu'il l'eût souhaité. Néanmoins son château de Montaigne fut son principal séjour pendant les vingt dernières années de sa vie.

Situé à six lieues environ de Libourne, à douze lieues de Bordeaux, ce château représente, tel qu'on peut le reconstituer, l'habitation demi-seigneuriale, demi-bourgeoise, d'un gentilhomme aisé au XVIe siècle. Il était élevé sur une colline qui domine la Lidoire, petit affluent de la Dordogne ; il se composait d'un corps de bâtiment à deux étages, coupé de tours, avec des toits en poudrière, et flanqué de tourelles à ses extrémités. Il donnait d'un côté sur une cour, dont l'entrée était commandée par un haut bâtiment, qui gardait quelques allures de forteresse, de l'autre sur une terrasse, d'où la vue embrassait au loin un pays légèrement accidenté, entremêlé çà et là de bois, de champs cultivés et de prairies. Le château et le parc étaient entourés d'un domaine assez considérable, que Montaigne s'essaya à administrer, sans y trop réussir, du reste.

Même dans cette demeure, où arrivaient rarement les bruits du monde, Montaigne, après s'être isolé de la société, voulut s'isoler des siens, et il vécut presque enfermé dans sa Librairie (sa bibliothèque), qu'il avait installée au second étage du bâtiment de la porte d'entrée. On voit assez la différence d'une pareille existence avec celle d'un Ronsard, d'un Ramus, de la plupart des poètes ou des érudits de l'époque.

C'est grâce à cela peut-être qu'il n'épousa ni toutes les passions, ni toutes les haines de ses contemporains ; il s'éleva au-dessus des écoles aussi bien que des partis ; il prêcha la modération et la tolérance, en face de la violence et du fanatisme.

Et puis le contact plus intime avec la nature corrigea le formalisme et l'abstraction des livres, et son éloignement des hommes l'aida à étudier l'homme. De là vient l'admirable complexité de son livre, qui est d'un humaniste, d'un réaliste et d'un philosophe ; où il y a une si grande part d'observation et d'expérience, à côté d'une si vaste érudition ; où l'on retrouve toute la vie et tous les sentiments de ses contemporains, en même temps que la vie et les sentiments de Montaigne.

 Par son caractère, par son esprit, par la forme comme par le fond de son érudition, par la largeur de sa philosophie, par son ample compréhension de la nature, par sa tolérance, par son indulgence pour les faiblesses humaines, par son sensualisme, quelquefois un peu vulgaire, et par une sorte d'exubérance de vie physique qui s'épanouit dans toute son œuvre, par son indifférence enfin, Montaigne rappelle Rabelais, et il est avec lui dans le XVIe siècle l'intelligence certainement la plus indépendante.

 

 

 



[1] Sainte-Beuve exprime la même idée, mais à un autre point de vue : Jusqu'à la mort de François Ier.... même en se polissant par degrés, la poésie était restée constamment fidèle à l'esprit de son origine.

[2] Voici un exemple, entre beaucoup d'autres, de vers presque inintelligibles :

Si Apollo restrainet ma rais dores,

Sa marrissant tout honteux sous la nue,

C'est par les tiens de ce monde adores,

Desquels l'or pur sa clarté diminue.

Parquoy, soudain qu'icy tu es venue,

Estant sur toi, son contraire, envieux,

A congelé ce Boras pluvieux,

Peur contrelustre à ta divine face.

Mais ton tainet frais vainet la neige des Cieulx,

Comme le jour la clère nuict efface.

Cela veut dire tout simplement qu'Apollon, jaloux de l'éclat des yeux de Délie, la maîtresse idéale de Scève, a voilé le soleil.

[3] Chamard (H.), Joachim du Bellay (1522-1560), (thèse de la Faculté de Paris, 1900). Il donne la bibliographie jusqu'en 1900. Brunetière, la Pléiade française (Revue des Deux Mondes, 1900-1901). J. Vianey, Les Antiguitez de Rome, leurs sources latines et italiennes (Ann. de la Fac. de Bordeaux, Bullet. italien, 1921) ; Les sources italiennes de l'Olive (Congrès de Paris, 1900. Hist. comparée des littératures). L. Séché, Les origines de Joachim du Bellay (Rev. de la Renaissance, 1901) ; La vie de Joachim du Bellay (même revue, même année). H. Vaganay, J. du Bellay et les Rime diverse di molti excellentissimi autori (Rev. d'hist. littéraire de la France, t. VIII, 1901).

[4] Salmon Maigret (Macrinus ou Macrin), né en 1490, mort en 1557, a composé nombre de poésies latines, qui lui valurent de son temps une grande réputation. Il était valet de chambre de François Ier, qui l'avait en faveur.

[5] Vianey (Jos.), Les sources italiennes de l'Olive, Congrès de Paris, 1900, Hist. des littératures, p. 71-104.

[6] Le pape Marcel II (1555) entreprit des réformes dans l'Église ; il mourut au bout de vingt-cinq jours, non sans soupçon de poison.

[7] Lanson, Hist. de la littér. française, donne l'essentiel de la bibliographie. P. Laumonier, La jeunesse de Pierre de Ronsard, Rev. de la Renaissance, t. I et II, 1901-1902 ; Chronologie et variantes des poésies de Pierre de Ronsard, Rev. d'hist. littér. de la France, t. IX, X, 1901-1903. De Nolhac, Documents nouveaux sur la Pléiade : Ronsard, du Bellay (Rev. d'hist. litt. de la France, t. VI, 1899). H. Longnon, Essai sur Pierre de Ronsard. Ses ancêtres ; sa jeunesse (Posit. des thèses de l'École des Chartes, 1904).

Les œuvres de Ronsard parurent pour la première fois collectivement en 1560, puis, augmentées, en 1567 (une autre édition en 1572-1573, avec les Quatre premiers livres de la Franciade), une autre en 1584, puis en 1597, et enfin en 1617.

[8] Le 2 septembre 1525, d'après H. Longnon.

[9] Comparer avec une inspiration semblable de Marot. On aura ainsi la différence entre les deux époques et entre les deux génies, surtout en ajoutant les derniers vers de Ronsard :

Afin de voir au soir les Nymphes et les Fées

Danser dessous le lune en cotte par les prées,

où reparaît la conception mythologique classique.

[10] Sa première pièce de vers avait été composée vers 1543.

[11] Robiquet, De Johannis Aurali, poetæ regii, vita (thèse de la Fac. de Paris), 1887.

[12] Bulletin de la Société de l'Histoire du protestantisme français, t. XXXVII, 1888.

[13] Voir un curieux commentaire de Jean Martin (Laumonier, Chronol. des poésies de Ronsard, Rev. d'hist. litt., t. X, 1903).

[14] Dit-il à de Bèze.

[15] Saint Paul.

[16] Orlando de Lassus ne manqua pas de s'emparer du trop célèbre sonnet d'Olivier de Magny au nocher Caron. Il faut le citer, au moins en partie, pour montrer comment le raffinement et la mièvrerie de la pensée et la recherche de l'harmonie prosodique se prêtaient à l'avance au chant et prenaient, grâce à lui, une sorte de sensualité pour l'oreille. Olivier de Magny, désespéré des rigueurs de son amie, appelle Caron pour échapper à ses maux par la mort. Celui-ci refuse :

Cherche un autre nocher, car ny moy ny la Parque

N'entreprenons jamais sur le maitre des Dieux (l'Amour).

Et Magny reprend :

J'irai donc, maugré toy, car j'ay dedans mon âme

Tabt de traits amoureux et de larmes aux yeux,

Que je seray le fleuve (par mes larmes) et la barque et la rame (par mes traits) !

C'est tout à fait de la poésie de salon et déjà de la romance (Sur Olivier de Magny voir Jules Favre, Olivier de Magny, étude biographique et littéraire, 1885).

[17] Frémy, L'Académie des Valois, ouvrage cité.

[18] Lemercier, Étude littéraire et morale sur les poésies de Jean Vauquelin de la Fresnaye (thèse de la Faculté des lettres de Nancy, 1887).

[19] Flamini, Studi di storia letteraria italiana e straniera. J. Vianey et Vaganay, Un modèle de Desportes non signalé encore : Pamphilo Sasso (Rev. d'hist. littéraire de la France, t. X, 1903).

[20] G. Pellissier, La vie et les œuvres de du Bartas (thèse de la Faculté de Paris, 1882).

[21] Il a même composé quelques pièces de vers (dont l'une en l'honneur de Marguerite de Valois) dans le patois de son pays.

[22] Il ajoute (et voici un exemple de la platitude trop fréquente de son style, mêlé de déclamation et de familiarité) :

Tes secrets moins secrets, ô Dieu, je recognoi

Lettres closes à nous et patentes à toi.

[23] E. Rigel, Alexandre Hardy et le théâtre français à la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle (thèse de la Faculté de Paris, 1889), avec une très abondante bibliographie. E. Rigel, Le théâtre français avant la période classique, 1901. Em. Faguet, La tragédie française au XVIe siècle (1550-1600) (thèse de la Faculté de Paris I883). G. Lanson, Études sur les origines de la tragédie classique en France (Rev. d'hist. littér. de la France, t. X, 1903).

[24] Jules-César Scaliger, né en 1484, mort en 1558, était venu d'Italie se fixer en France, et vécut à Agen. Il soutint des querelles littéraires ardentes, et on l'a surnommé, avec quelque fantaisie d'ailleurs, un gladiateur de la république des lettres. Ch. Nisard, Les gladiateurs de la République des lettres, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, t. I, 1860. Lintilhac, De Scaligeri Poetice (thèse de la Fac. de Paris, 1887).

[25] L. Pinvert, Jacques Grévin, 1588-1570, étude biographique et littéraire (thèse de la Fac. de Nancy. 1898).

[26] Le Théâtre de Grévin eut une seconde édition dès 1562, preuve suffisante de son succès.

[27] La querelle de l'antimoine durera jusqu'en 1661, un siècle entier.

[28] Bernage, Étude sur Robert Garnier, 1880.

[29] A Parthenay, à Saint-Maixent, à Poitiers.

[30] On représenta même au collège de Navarre, en 1557, une tragédie latine sur le désastre de Saint-Quentin.

[31] Trois autres parurent seulement en 1611.

[32] Ch.-V. Langlois, Manuel de bibliographie historique, deuxième fascicule, 1904 (Livre I, chap. I et II).

[33] Le premier catalogue des manuscrits grecs de la bibliothèque de Fontainebleau fut dressé entre 1549 et 1552. Il contient 716 numéros (Omont, Bibliothèque de l'École des Chartes, t. XLVII, 1886).

[34] Ch. Dejob, Marc-Antoine Muret, 1881.

[35] L. Feugère, Essai sur la vie et les ouvrages de Henri Estienne, 1853 ; voir aussi : Caractères et portraits littéraires du XVIe siècle, t. II, 1859. L. Clément, Henri Estienne et son œuvre française (thèse de la Fac. de Paris), 1898.

[36] Voir, par comparaison, Dumoulin (Joseph), Vie et œuvres de Frédéric Morel, imprimeur à Paris depuis 1567 jusqu'à 1583, 1901.

[37] A teneris propemodum unguiculia.

[38] Sous un titre particulier : Introduction au traité de la Conformité des merveilles anciennes avec les modernes....

[39] La Muse conseillère des princes.

[40] Même les préfaces, celle du Thesaurus en particulier, sont-elles quelquefois toutes pleines de lui et de ses passions.

[41] Aug. de Blignières, Essai sur Amyot et les traducteurs français au XVIe siècle, 1851.

[42] J. Berriat Saint-Prix, Biographie de Cujas, 1822. Glasson, Histoire du Droit et des Institutions de la France, t. VIII, igo3, donne une bibliographie et une liste détaillée des très nombreux écrits de Cujas. P. F. Girard, article Cujas, dans la Grande Encyclopédie (avec bibliographie).

[43] A Bourges, lors de la cérémonie d'inauguration de son cours, les régents de droit s'abstinrent, sauf un, d'y assister.

[44] Elles sont toutes écrites en latin.

[45] L. Feugère, Estienne Pasquier, Étude sur sa vie et ses ouvrages (dans Caractères et portraits littéraires du XVIe siècle, t. I, 1848). P. Dupont, De Stephani Pasquierii latinis carminibus (thèse de la Fac. de Paris), 0398.

[46] Dix livres de ces lettres avaient été publiés en 1586.

[47] H. Baudrillart, Jean Bodin et son temps, 1858.

[48] Conversation sur les arcanes des grands mystères.

[49] Dareste, Essai sur François Hotman (thèse de la Fax. de Paris, 1850) ; François Hotman, sa vie et sa correspondance (Revue Historique, t. II, 1876).

[50] Jean du Tillet était greffier civil au Parlement de Paris. Il mourut en 157o. Les Mémoires, etc., furent publiés en 1577 et plus tard, en 1588, sous ce titre qui est resté : Recueil des Rois de France.

[51] Claude Fauchet (1530-1601) fut un moment premier président de la Cour des monnaies. Les Antiquités ne parurent qu'en 1599, mais elles avaient été composées bien avant.

[52] On publia même des plans de Paris ; c'était au moins une contrepartie des plans si nombreux de la Rome antique. A partir de la seconde moitié du siècle, les plans et vues de pays figurèrent sur un très grand nombre de tapisseries. Catherine de Médicis en avait toute une collection.

[53] Il est vrai que du Maillant, dans sa préface, se montre comme un pur disciple des anciens et ne voit guère dans l'histoire qu'un enseignement moral ; il dédaigne les menues choses et veut quelque belle sentence qui monstre au lecteur le proffit qu'il peult tirer de ce qu'il lit. Mais il n'est pas moins vrai non plus qu'il proposait aux Français la lecture de l'histoire de leurs ancêtres.

[54] En latin, le titre est : Papirii Massoni Annalium libri quatuor.

[55] Il s'agissait de bulles datées non authentiquement et par lesquelles la Curie romaine arrivait à rétablir les réserves.

[56] En réalité, il n'a guère commenté que le Titre des Fiefs ; mais c'est précisément là que le droit confinait le plus à l'histoire.

[57] Du Moulin n'est pas resté complètement étranger aux études de droit romain ; il y a porté la vigueur et la subtilité de son esprit.

[58] Guy Coquille (1523-1603) écrit l'Institution au droit français. — Antoine Loisel (1536-1617), poète et érudit, en même temps que jurisconsulte, publie en 1607 l'Institution de Coquille et y ajoute les Institutes coutumières.

[59] Ch. Waddington, Ramus, sa vie, ses écrits et ses opinions, 1855.

[60] Weill, De Gulielmi Postelli vita et indole (thèse de la Faculté des lettres de Paris), 1892.

[61] Abel Lefranc, La détention de Guillaume Postel au Prieuré de Saint-Martin-des-Champs (1563-1581). Bulletin de la Société de l'Histoire de France, t. XXVIII, 1891.

[62] Ils sont très nombreux au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.

[63] Attribué par Weill à Postel.

[64] Linguarum XII characteribus differentium alphabetum ; introductio ac legendi methodus. De originibus, seu de hebraicœ linguæ et gentis antiquitate. Syriæ descriptio. De orbis terrarum concordia libri IV. De magistratibus Atheniensium. Johannis Carionis mathematici chronicorum libri tres. Les autres titres sont en français.

Il y a à la Bibliothèque nationale un grand nombre de manuscrits de Postel, qui contiennent des essais, des écrits de circonstance, etc., dont les titres à eux seuls ajoutent à l'idée qu'il faut se faire de cet esprit universel et étrange.

[65] Les ouvrages sur Bernard Palissy sont extrêmement nombreux, on en trouvera l'indication dans Ernest Dupuy, Bernard Palissy, l'homme, l'artiste, le savant, l'écrivain, nouvelle édition, 1902. Il reste encore, à propos de la biographie et de l'œuvre de Palissy, des points obscurs.

[66] Il prétend qu'elles durèrent plusieurs années, qu'il inventa à lui seul tous les procédés, n'ayant jamais veu cuire terre ; qu'après avoir trouvé la composition de l'émail, il n'aurait pas réussi à en opérer la fusion et qu'il se résolut à jeter dans le four les tables, les chaises, tous les meubles de son logis. Il y avait, dit-il, plus d'un moys que ma chemise n'avait séchée sur moy ; encore pour me consoler, on se moquoit de moy... et on ailloli crier par la ville que je faisois brusler le plancher,.... et m'estimoit-on fol. Tout au moins estimera-t-on qu'il exagère un peu ou dramatise les choses, et il semble difficile de croire qu'il ait ainsi basteilé l'espace de quinze ou seize moys, à moins encore qu'il n'ait eu plus de ressources qu'il ne l'affirme.

[67] Voir sur tous ces points Ern. Dupuy, ouvrage cité.

[68] Dr Le Paulmier, Ambroise Paré d'après de nouveaux documents, 1884. Dr Malgaigne, Introduction aux œuvres d'Ambroise Paré, t. I des œuvres d'A. Paré, 1850.

[69] Il y avait deux corporations, l'une des barbiers chirurgiens, l'autre des chirurgiens, toutes deux rattachées à la Faculté de médecine depuis le commencement du siècle.

[70] Il s'agissait de détails physiologiques, qui semblaient d'autant plus dangereux à la lecture qu'ils étaient exprimés dans la langue vulgaire.

[71] A. de La Borderie, Noël du Fail, recherches sur sa famille, sa vie et ses œuvres (Bibl. de l'École des Chartes, t. XXXVI et XXXVIII, 1875 et 1877).

[72] Voir de la Borderie, qui a démontré l'exactitude réaliste jusque dans les moindres détails des tableaux tracés par Noël du Fail.

[73] Les Propos rustiques avaient été imprimés en 1547, 1548, 1549, 1554.

[74] Bibliographie considérable. Voir Brunetière, Faguet, Lanson, et l'Histoire de la langue et de la littérature française. Les derniers ouvrages sont : Stapfer, Montaigne, 1895. P. Bonnefon, Montaigne, l'homme et l'œuvre, 2e édit., 1898.

[75] La peste éclata à Bordeaux en 1585. Montaigne avait quitté la ville avant le fléau ; il s'abstint d'y revenir.

[76] C'est à peu près à la même date que Bernard Palissy fut prisonnier à cette même Bastille.