HISTOIRE DE FRANCE

TOME CINQUIÈME — LA LUTTE CONTRE LA MAISON D'AUTRICHE (1519-1559).

LIVRE X. — LA FORMATION DE L'ESPRIT CLASSIQUE EN FRANCE.

CHAPITRE III. — LA FORMATION ET LA DIRECTION DES ESPRITS[1].

 

 

I. — L'ENSEIGNEMENT ET L'ÉDUCATION[2].

LES nombreux essais de réformes demandées ou accomplies dans les Universités au XVIe siècle visèrent autant leur organisation que leur pédagogie.

Les États d'Orléans, de 1560-1561, réclamèrent la réforme de l'Université, et une commission fut nommée pour la préparer, dont faisaient partie Ramus, Danès et Galland. Ramus fit imprimer, en 1562 (sans signature), les Avertissements sur la réforme de l'Université de Paris au Roy.

Il constatait la faiblesse de l'enseignement de la philosophie, en contraste avec celui de la rhétorique et de la grammaire, qui avaient suivi le progrès des idées. Il regrettait que la Faculté de droit donnât si peu de temps au droit civil, que la théologie fût très en retard et qu'on négligeât la connaissance de l'hébreu dans l'étude de l'Ancien Testament, du grec dans celle du Nouveau. Il proposait de diviser plus nettement le cours des études : aux collèges, la grammaire, la rhétorique, la logique ; aux Facultés, la philosophie (mêlée sans doute à la littérature), les mathématiques, la théologie, le droit, la médecine. Il protestait contre la place énorme donnée aux exercices de pure argumentation et de discussion controversiste.

Il s'élevait contre le nombre immodéré des professeurs et contre leurs exigences pécuniaires. Ainsi la médecine n'était guère enseignée que dans des cours particuliers et payants ; le médecin Dubois était renommé pour avoir un grand auditoire d'élèves, mais aussi pour exiger une rétribution très lourde. Ramus proposait que les professeurs, réduits à un plus petit nombre, fussent payés par l'État et donnassent un enseignement gratuit. Plus tard, il reprit quelques-unes de ses idées, en les appliquant au Collège royal. Il obtint en 1566 des lettres patentes, déclarant que advenant la vacation d'aucune place de nos professeurs, en quelque langue que ce soit, on le fera à sçavoir par toutes les Universités fameuses et autres lieux, et que ceux qui se voudront présenter et soumettre à la dispute et lecture de la profession vacante, ainsi qu'il leur sera proposé par le doyen et les autres professeurs, y seront receuz[3].

Dans l'enseignement qui correspond à peu près à l'enseignement secondaire d'aujourd'hui, on a quelque peine à déterminer le cours normal des classes, parce qu'il n'y avait pas d'uniformité et qu'en outre beaucoup d'élèves suivaient à la fois l'enseignement d'un collège et celui d'une Université. Au collège de Guyenne, à Bordeaux, le programme d'études, lorsque Montaigne y entra vers 1539, était le suivant : en septième, en sixième et en cinquième, on expliquait les Épîtres de Cicéron, et on commentait la grammaire latine de Despautère, divisée en rudiment, grammaire, syntaxe, prosodie, figures et tropes ; on faisait des exercices latins. En quatrième, on expliquait Cicéron, Térence, Ovide ; on continuait le thème latin. En troisième, auteurs latins, vers latins ; en seconde, latin et histoire ; en rhétorique, latin, étude de l'art oratoire. Les mathématiques étaient à peine représentées ; le français n'était enseigné qu'à travers le latin, qui remplissait les sept années. Le grec tenait une très petite place, mais les élèves l'apprenaient aux coure de l'Université. On mêlait à ces travaux pédagogiques des exercices littéraires plus libres : à certaines fêtes, les élèves déclamaient en latin devant un public de parents et de notables, jouaient des tragédies ou des comédies latines, quelquefois en composaient, ou bien c'étaient leurs maîtres qui en écrivaient à leur intention.

Le régime matériel des collèges ne parait guère avoir changé depuis le XVe siècle. Montaigne parle encore de cris d'enfants suppliciés, de mains armées de fouets. Il proteste contre les lettres et syllabes devenant la substance, contre le placage, contre tant de commentaires stériles sur des commentaires. Il observe que bien souvent les hommes faits trompent les espérances qu'on avait conçues d'eux, quand ils étaient enfants. J'ay ouy tenir à gens d'entendement que ces collèges où on les envoye, de quoy ils ont foison, les abrutissent ainsy. Le poète Grévin écrit à propos des collégiens :

... Combien de fois auras-tu le réveil,

Avant qu'un jour nouveau rentre dans ta courtine,

Par l'aiguillon d'une espesse vermine !

Cela ne vaut pas mieux que la paille et a boue de la rue du Fouarre.

Ces défauts étaient compensés par une ardeur au travail et par une passion d'apprendre, qui entraînaient également les maîtres et les élèves. Henri de Mesmes, qui fut un des grands magistrats du XVIe siècle, raconte ainsi les souvenirs de sa jeunesse et donne le spécimen d'une large instruction, qui fut celle de la moyenne des lettrés :

Nous estions debout à quatre heures et, ayant prié Dieu, allions à cinq heures aux estudes. Nous oyions toutes les lectures jusques à dix heures sonnées, sans intermission ; puis venions disner, après avoir en haste conféré demie heure ce qu'avions écrit des lectures. Après dlner, nous lisions par forme de jeu Sophoclès ou Aristophanus ou Euripides et quelquefois Demosthénès, Cicero, Virgilius.... A une heure aux estudes, à cinq aux logis, à répéter et voir dans les livres les lieux allégués, jusques à six. Puis nous soupions et lisions en grec et latin.

A ce régime, de Mesmes avait fini par savoir Homère d'un bout à l'autre.

Pour les enfants des nobles et des riches bourgeois, la première instruction se donnait souvent dans la maison paternelle, sous la direction d'un précepteur français ou étranger : celui de Montaigne ôtait un Allemand ; ou bien certains professeurs établissaient chez eux une sorte de pensionnat familial : Toussain, un des lecteurs royaux, recevait des jeunes gens venus de la province. Joachim du Bellay dit : Là, les de Beaune estoient... là verrois Robertet, Là quatre ans je passay, façonnant mon ramage De grec et de latin. Daurat, jusqu'à la fin de sa vie, eut à demeure des étudiants riches.

D'autre part, on ne s'attachait pas à une seule Université. Estienne Pasquier, pour ne citer qu'un exemple, passa par l'enseignement de Bourges, de Toulouse et d'Avignon, sans compter Paris. Il n'était pas rare non plus qu'on fréquentât les universités d'Italie ou d'Allemagne. Môme les jeunes gentilshommes s'y rendaient, à la fois pour en suivre les cours et pour voir du pays ; Brantôme y resta deux ans. Les professeurs étaient presque aussi nomades que les étudiants. Turnèbe enseigna à Paris (à Sainte-Barbe, au collège de La Marche), puis de 1545 à 1547, à l'Université de Toulouse, d'où il revint à Paris, appelé au Collège Royal. Le grand jurisconsulte Cujas passa de Toulouse à Bourges, à Valence, à Paris. Un autre professeur de droit, Baudouin, fut attaché successivement aux Universités de Bourges, de Strasbourg, d'Heidelberg, de Douai, d'Angers.

En outre, il n'était pas d'usage qu'on se spécialisât ; chacun aspirait à embrasser l'universalité des connaissances. On verra comment furent instruits Ronsard, les poètes de la Pléiade, du Bartas. Le savant Joseph Scaliger, âgé de dix-huit ans, étudia le grec à Paris avec Turnèbe, puis apprit l'allemand, l'italien, l'espagnol, l'hébreu, le syriaque : Il se glorifiait de parler treize langues anciennes ou modernes. Un autre érudit, Casaubon[4], s'attacha au droit en même temps qu'à la philosophie, prit connaissance, en passant, des principales langues orientales, et aborda l'Écriture Sainte et les commentaires rabbiniques. Un écrivain obscur, Bugnon[5], avait appris le grec, le latin, le droit, et continué ses études jusqu'à vingt-cinq ans. Ainsi l'instruction, dogmatique et exclusive dans ses théories, retrouvait la liberté par le contact des hommes avec les réalités et par la connaissance qu'ils prenaient de la diversité des mœurs et des choses.

 

II. — LA DOCTRINE ESTHÉTIQUE[6].

C'EST dans ces conditions complexes, mais où domine toujours le  culte de l'antiquité classique, que se produisirent les doctrines et les œuvres.

Tout l'esprit de la seconde moitié du siècle se trouve concentré dans la Deffence et illustration de la langue françoyse de du Bellay. Les théories qu'on y rencontre n'étaient pas absolument nouvelles. Non seulement les contemporains de François Ier les avaient en partie connues ou pratiquées d'instinct, mais ce manifeste lui-même avait des précédents. Jacques Peletier du Mans[7] avait publié en 1544 une traduction de l'Art poétique d'Horace ; il y préconisait les conceptions littéraires de l'antiquité et demandait en même temps la mise en honneur de la langue française. En 1548, Sibilet avait donné un Art poétique de sa composition. Il louait encore Marot et les poètes de François Ier, mais il reniait presque tous les genres du passé, recommandait le Sonnet et l'Ode et écrivait : Ces langues (grecque et latine) sont les deux forges d'où nous tirons les meilleures pièces de nostre harnoys.

Joachim du Bellay, mécontent d'être devancé, composa de hâte et de verve et fit éditer sa Deffence en 1549, vers Pâques. C'est un plaidoyer pour le français contre les humanistes trop épris d'antiquité, mais c'est aussi un plaidoyer contre les Français trop épris du moyen âge.

Par le premier point, la Deffence se rattache à la longue querelle du français et du latin, qui a occupé presque tons les esprits au XVIe siècle[8]. Le latin qui, au moyen âge, était tout simplement la langue vulgaire des savants, avait été complètement transformé par l'étude passionnée des modèles antiques. Aussi le regardait-on comme l'interprète par excellence de la pensée, comme la langue vraiment noble. Dans le monde savant et pédagogue, on en décrétait l'emploi exclusif ; beaucoup d'écrivains, même de poètes, continuaient à parler latin. Longtemps après 1349, Hotman publiera en latin sa Franco-Gallia[9] ; Scévole de Sainte-Marthe, Pasquier, presque tous les poètes composeront des vers latins[10]. Cependant les partisans du français avaient d'assez bonne heure engagé la lutte au nom de la raison et du patriotisme. Toutes les œuvres de la première moitié du XVIe siècle, qui ont compté, non seulement au regard de la postérité, mais dans l'opinion des contemporains, furent écrites en langue vulgaire : prose aussi bien que poésie. Après Rabelais et Marot, après Calvin même, qui avait jugé nécessaire de traduire en français l'Institutio christiana, une réaction victorieuse de la langue morte n'était plus possible.

Du Bellay n'était donc pas aussi hardi qu'il le paraissait : la porte qu'il enfonçait était aux trois quarts ouverte. Mais son œuvre est intéressante d'abord par la passion qu'il y met : il ne veut pour la poésie d'autre langue que la langue nationale ; il affirme que celle-ci est apte, ou peut le devenir, à exprimer toutes les idées et tous les sentiments. La seule condition pour cela est de l'enrichir de termes nouveaux, de la purifier des termes vulgaires, d'y introduire le style. Ici intervient une des idées directrices de la Pléiade, c'est que la littérature est œuvre d'art et, comme telle, a pour qualité fondamentale, non seulement la valeur des pensées, mais au moins autant la beauté de la forme : ainsi restaurée, la langue française s'égalera aux anciennes.

Cette conception explique pourquoi du Bellay ne transigea ni avec le moyen âge, ni même avec le XVe siècle, où la littérature lui apparaissait comme trop populaire et la langue comme trop peu artistique. Il proscrivit les genres chers aux générations précédentes : virelais, rondeaux, ballades, coqs-à-l'âne ; puis les sujets et les personnages pris dans la vie courante et familière, enfin le sans-gêne rythmique ou prosodique ; il proclama la hiérarchie des genres, la valeur supérieure de l'épopée, de l'ode et du sonnet ; il voulut que l'inspiration s'exerçât sur de grands sujets, qu'elle les cherchât en dehors de la réalité, et qu'elle se soumit à des règles strictes de syntaxe, de prosodie, de goût.

Pour s'élever à cette hauteur, il crut — avec tout son siècle — qu'il fallait prendre les anciens pour guides et pour modèles. C'est en les étudiant, en se nourrissant de leurs œuvres, qu'on se formera une pensée, une langue, un style. C'est dans le moule de leurs genres et même de leurs sujets que se coulera une nouvelle littérature digne de la France. Qu'on lise donc Homère, Virgile, Horace ; qu'on lise aussi les grands Italiens qu'ils ont déjà inspirés, Pétrarque par-dessus tous les autres.

Ces idées étaient celles de Ronsard et de toute la Pléiade. Une des idées sur lesquelles ils insistèrent le plus, ce fut la dignité particulière de la littérature. Pour aucun d'eux, elle ne fut un simple jeu de l'imagination. Du Bellay, Ronsard, tous les poètes de la Pléiade font consister l'art surtout dans l'effort de l'esprit pour s'élever au-dessus de lui-même :

Croie donc notre poète que le premier accès à la souveraineté est par le courage.... Sache donc quiconque se voudra faire profès de la religion des Muses que leurs saints autels sont inaccessibles à celui qui sera avaricieux d'autre chose que d'honneur.

Puisqu'il exige cet effort, ce désintéressement, puisqu'il atteint cette hauteur de noblesse idéale, l'art n'est l'apanage que de quelques esprits rares et ne s'adresse qu'à quelques intelligences. Ronsard est l'apôtre hautain de ce dogme en partie nouveau. C'est pour cette raison même que certains écrivains persistaient à n'employer que la langue latine. Scévole de Sainte-Marthe écrit :

Ayant employé quelques heures en l'exercice de la poésie, j'ay tousjours esté plus studieux de la latine que de la françoyse, trouvant meilleur de soumettre mes écrits à la censure de ceux que la cognoissance des lettres a rendus capables de bien juger, qu'à l'audacieuse licence des plus ignorans d'entre le peuple, qui pensent avoir droit de jugement sur tout ce qu'ils trouvent escrit en leur vulgaire

Pontus de Tyard[11] disait grossièrement qu'il n'avait pas cherché à être compris par les veaux, et du Bellay, plus poétiquement, en parlant de Scève :

Gentil esprit, ornement de la France,

Qui d'Apollon saintement inspiré,

T'es le premier du peuple retiré,

Loing du chemin tracé par l'ignorance,

Scève divin !

Jamais on n'a tant appliqué à la lettre le Odi profanum vulgus d'Horace.

Ainsi l'œuvre d'art, bien que française, ne prenait plus ses racines en France et ne s'adressait plus qu'à quelques Français. Elle était à la fois trop savante et trop étrangère pour s'ouvrir à tous. A force de craindre d'être vulgaire, elle cessait d'être populaire.

Ces doctrines rencontrèrent quelques résistances, qui même se prolongèrent, comme par un courant souterrain, dont on retrouve çà et là des traces. Sibilet, le premier, répondit à du Bellay, dans une préface mise à sa traduction de l'Iphigénie, qui parut en 1549. Il s'éleva contre la conception d'une poésie fermée aux prétendus profanes : Si quéqu'un par fortune, prend plaisir à mes passe-tems, je ne suys pas tant envieus de son aise que je vœilhe défendre la communication de mes ebbas, pour les réserver à une affectée demye douzaine des estimés princes de nottre langue ».

Un poète de Lyon, Guillaume des Autelz, se déclara partisan des novateurs, mais lui aussi, avec des réserves, surtout au sujet de l'imitation exclusive des œuvres antiques : Je ne suis point de l'avis de ceux qui ne pensent point que le François puisse faire autre chose digne de l'immortalité, sans l'imitation d'autrui. Il protestait, comme Sibilet, contre le dénigrement de l'ancienne poésie.

Au reste encores ne tiens-je si peu de conte de noz anciens François que je mesprise tant leurs propres inventions que ceux qui les appellent espisseries, qui ne servent d'autre chose que de porter témoignage de nostre ignorance. Pourquoy est plus à mespriser l'élaborée ballade françoise que la superstitieuse sextine italienne ?

L'attaque la plus énergique contre du Bellay se trouve dans un ouvrage anonyme, le Quintil Horalian, qui était probablement l'œuvre d'un certain Barthélemy Aneau, directeur d'un collège de Lyon. L'ouvrage est lourd, sans esprit, mais non pas sans bon sens. L'auteur voyait bien les contradictions, les exagérations, les parti-pris, les a priori de la Deffence[12]. A propos des genres, il disait : Les noms sont changez et deguisez, au demourant la chose est la même, et il affirmait que les genres du moyen âge avaient déjà illustré notre langue.

Noz majeurs certes n'ont esté ne simples, n'ignorans ny des choses, ny des parolles. Guillaume de Lorris, Jean de Meung... Messire Nicole Oresme, Alain Chartier, Villon, Meschinot et plusieurs autres n'ont pas moins bien escrit ne de moindres et pires choses, en la langue de leur temps propre et. entière, non péregrine et pour lors de bon aloy et bonne mise, que nous en la nostre.

Bien entendu il plaçait Marot à un rang très élevé.

Du Bellay ne fut ni insensible, ni indifférent à ces critiques ; elles l'amenèrent à modifier l'expression de quelques-unes de ses idées. Mais le sens et la portée historique de son manifeste ne furent pas changés par là.

Toutes ces discussions sont bien dans l'esprit d'un temps qui cherchait partout à définir la raison des choses. On multiplia jusqu'à la fin du siècle les Arts poétiques ; Peletier en composa un en 1555[13], et la Préface de la Franciade de Ronsard n'est pas autre chose qu'un Art poétique.

Le manifeste de du Bellay ne représente pas uniquement une doctrine littéraire ; il exprime bien les conceptions esthétiques de toutes les intelligences du temps. La plupart des artistes furent aussi des hommes de doctrine et pensèrent comme du Bellay. Les traités d'architecture de Jean Bullant, de Philibert de l'Orme[14], sont fondés sur les mêmes principes, et, ce qui est très significatif, reprennent presque exactement les mêmes formules. Seulement, au lieu de Virgile ou d'Homère, c'est Vitruve qu'ils invoquent ; au lieu de l'Iliade ou de l'Énéide, ce sont les temples de Rome qu'ils étudient et qu'ils pillent, ainsi que le voulait du Bellay pour les auteurs anciens ; et eux aussi font cela pour l'illustration et enrichissement de l'art français.

C'est pourquoi les traductions ou les traités didactiques se multiplièrent : traductions de Vitruve, d'Alberti, de plusieurs livres de Serlio, du Songe de Polyphile ; Reigle d'architecture de Jean Bullant, en 1364, Architecture de Philibert de l'Orme en 1567. Tout comme les écrivains, les artistes, eux aussi, oublièrent ou bien dédaignèrent les traditions nationales et eurent la prétention d'introduire en France la vraie architecture, la vraie sculpture, la vraie peinture, c'est-à-dire celles des Grecs et des Latins ou des Italiens.

Enfin, ils furent, aussi bien que les écrivains, des hommes de propagande passionnée, et ils visèrent à répandre leurs doctrines dans le public. Seulement, à la différence des poètes, qui ne songeaient qu'à une élite, ils s'appliquèrent à vulgariser les connaissances fondamentales de l'art nouveau, au profit des humbles. A vrai dire, ils songeaient moins au public appelé à juger leurs œuvres qu'aux collaborateurs obscurs dont ils se servaient. Et c'était ainsi un moyen pour eux d'assurer le succès des saines doctrines, en y intéressant ceux qui les secondaient dans leurs travaux. Jean Martin, Philibert de l'Orme, Jean Bullant disent à plusieurs reprises qu'ils veulent faciliter l'exercice de l'architecture aux pauvres ouvriers, qui n'ont pas assez de ressources pour payer des leçons. De l'Orme écrit :

Telle est la curiosité que j'ai de l'enseigner (l'ordre ionique) à plusieurs pauvres compagnons, qui sont de bon esprit et, s'efforcent journellement à mesurer, contrefaire et protraire (sic) ce qu'ils voient, pour s'en pouvoir aider, lorsque l'occasion s'en présentera, ce que je loue grandement.

 

III. — LES INFLUENCES ÉTRANGÈRES : L'ITALIE[15].

IL faut ajouter à l'influence de la littérature et de l'art antique  celle de la littérature et de l'art italien. Elle s'exerça par les Italiens qui vinrent en France, par les Français qui allèrent en Italie, par les livres et la gravure. C'est actuellement une des questions les plus étudiées et les plus importantes dans l'histoire de l'esprit français au XVIe siècle. On notera cependant ceci : tandis que l'influence de l'antiquité a été durable et décisive en France, pendant plus de trois siècles, et dure encore, même aujourd'hui, celle de l'Italie, dans la forme où elle s'exerça au XVIe siècle, a été momentanée. Elle n'en reste pas moins comme une caractéristique du temps.

 Beaucoup d'Italiens vinrent en France, dans la seconde moitié du XVIe siècle, comme dans la première. Les révolutions de la Péninsule, la conquête espagnole, la restauration des Médicis à Florence amenèrent des représailles terribles, bouleversèrent toutes les conditions, et chassèrent de Naples, de Milan, de Florence, de Gênes, un grand nombre d'hommes compromis ou ruinés. En même temps qu'ils se mirent au service des rois, ils apportèrent les modes et l'esprit de l'Italie. Les Strozzi de Florence se réfugièrent à la cour de France ; Pierre Strozzi, on l'a vu, fut un des plus brillants seigneurs du temps d'Henri II. Puis, à mesure que s'accrut l'autorité de Catherine de Médicis, ses compatriotes arrivèrent plus nombreux auprès d'elle[16]. Enfin Lyon continua à être une grande ville de banque, et la banque y fut surtout tenue par des ultramontains[17], les Albizzi, les Gondi, les Guadagni[18].

Il resta aussi en France un certain nombre des écrivains ou des artistes qui étaient venus y chercher fortune au temps de François Ier : Luigi Alamanni, qui devint maître d'hôtel de Catherine de Médicis, et dont la famille s'unit à des familles françaises ; Primatice et ses collaborateurs, que rejoignit, sous Henri II, Niccolo dell' Abbate, le plus connu de tous ; Jérôme della Robbia, Ascanio son gendre, ancien élève de Cellini, qui devint orfèvre d'Henri II et habitait avec son beau-père l'Hôtel de Nesle ; Dominique Florentin[19] (Domenico del Barbiere), qui fut employé par les Guise. Cependant l'immigration des gens de lettres ou des artistes alla plutôt en diminuant ; même elle cessa presque complètement avant le dernier quart du siècle.

D'autre part, des Français, en plus grand nombre peut-être que sous François Ier, allèrent en Italie, surtout à Bologne, Padoue, Venise et Rome. Ils étaient attirés à Padoue et à Bologne par leurs Universités, célèbres dans toute l'Europe pour l'enseignement du droit ; à Venise, par la richesse de la ville, la somptuosité des cérémonies, la splendeur de l'art, les séductions de la vie, la beauté des femmes[20]. A Rome, devenue un des grands centres diplomatiques de l'Europe, la politique française avait des représentants à demeure, entourés d'un très nombreux personnel. Le cardinal du Bellay, le cardinal de Tournon, M. d'Avanson, nos plénipotentiaires sous Henri II, avaient auprès d'eux Joachim du Bellay, Olivier de Magny. Les élections pontificales, fréquentes au XVe siècle, mettaient en mouvement tout un monde d'ambassadeurs extraordinaires, de cardinaux, d'abbés et de serviteurs, qui avaient sous les yeux le spectacle de la cour papale ou des cours cardinalices et celui des fêtes religieuses, que le décor et la musique faisaient splendides. En même temps, ils pouvaient contempler les œuvres du XVIe siècle consacrées déjà par la renommée, ou bien les monuments antiques, les Ruines, comme on disait, qui parlaient tant à toute imagination. Florence était un peu moins fréquentée que jadis.

Or, à la date où commence le règne d'Henri II, ce qu'on peut appeler l'œuvre de la Renaissance était accompli en Italie. Tous les principes en avaient été fixés ; Raphaël, le Corrège, Léonard de Vinci, Machiavel, l'Arioste, étaient morts depuis longtemps ; il y avait même eu après eux toute une génération presque éteinte en 1547, et il faut bien prendre garde que, vers cette date, c'est comme une période nouvelle, celle du baroque, qui commence en Italie. D'autre part, les contemporains d'Henri Il ou de Charles IX ne purent guère s'inspirer ni de Paul Véronèse (1528-1588), ni du Tasse (1544-1595), ni même de Vignole (1507-1573)[21]. Outre les morts illustres, le grand survivant, Michel-Ange, resta pour eux le maître, surtout en architecture, — la coupole de Saint-Pierre fut commencée vers 1544. On peut ajouter à Michel-Ange l'architecte Palladio, qui publia, en 1554, les Antiquités de Rome.

Tous les poètes de la Pléiade ont imité les écrivains italiens[22], anciens ou contemporains. On a pu composer un livre sur la part à faire à Pétrarque dans les œuvres de la Pléiade[23] ; elle fut énorme. Au bas de combien d'odes ou de sonnets de Ronsard, de du Bellay, de Magny, ne faudrait-il pas lire : imité de tel sonnet de Pétrarque, quand ce n'est pas d'une élégie d'Anacréon, d'une idylle de Théocrite, ou d'une strophe de l'Arioste ! Boccace aussi continua à être extrêmement goûté par un nombreux public. Un certain Le Maçon traduisait le Décaméron en 1545, et la traduction fut réimprimée en 1551 et 1552. Jean Fornier (un poète de Montauban) traduisit en vers les quinze premiers chants du Roland Furieux de l'Arioste en 1555 ; de Mesmes avait traduit en 1552 la comédie des Suppositi ; Jean Martin, en 1545, les Asolani, du cardinal Bembo. Larrivey, l'auteur comique, traduisit les Nuits facétieuses de Straparola, et il indiquait, parmi ses modèles, Laurent de Médicis, le cardinal Bibbiena, l'Arétin, dont il combinait, du reste, les inventions avec celles de Plaute ou de Térence, que ces Italiens eux-mêmes avaient tant imités. Les Histoires tragiques de Bandello, traduites par P. Boisseau, en 1564, fournirent matière à un nombre incalculable de drames, de romans, de nouvelles.

Jean Martin, à propos de l'Arcadie de Sannazar, écrit :

Ceste Arcadie ne représente que nymphes gracieuses et jolies bergères, pour l'amour desquelles les jeunes pasteurs, soubz le frais ombrage et petitz arbrisseaux et entre les murmures des fontaines, chantent plusieurs belles chansons, industrieusement tirées des divins poètes Théocrite et Virgile.

Les poètes de la Pléiade chantèrent aussi des chansons de ce genre, mais ils les tirèrent de Pétrarque et de Sannazar, autant que de Théocrite ou de Virgile.

Parmi les Italiens contemporains, Luigi Alamanni fut certainement un des plus goûtés et un des plus suivis par les Français. Telle poésie de du Bellay, de Magny, de Pontus de Tyard, n'est pas autre chose qu'une adaptation, qu'une appropriation et quelquefois une traduction en vers français d'une pièce d'Alamanni. Il avait composé un Art poétique ; or, on pourrait retrouver, a-t-on dit, dans la Deffence, la plus grande part de ses doctrines. Il est tout au moins à remarquer que du Bellay ait proscrit les genres que l'Italien avait condamnés et passé sous silence ceux qui ne figuraient pas chez son prédécesseur[24].

Il en fut un peu de même dans les arts : on peut suivre, pour ainsi dire, à la trace, Jules Romain, Parmesan, Cellini, Vasari ou le Primatice, dans l'art d'Henri II et de Charles IX, sans compter Raphaël et, plus encore que Raphaël, Michel-Ange.

Parmi les ouvrages didactiques consultés par les artistes français, figurent en première ligne les livres d'architecture de Serlio : le premier traduit en 1545, le cinquième (en italien) dédié à Marguerite de Navarre et traduit aussi en 1547. En 1551, on publia le Livre extraordinaire d'Architecture de Sébastien Serlio, qui contenait des modèles de trente portes de divers ordres.

Les auteurs français qui ont composé des ouvrages sur la théorie ou la pratique de l'art citent, parmi les maîtres à imiter, Raphaël, Bramante, L.-B. Alberti, Michel-Ange, même Mantegna, le seul peintre du XVe siècle considéré presque comme un classique.

Un des livres qui eurent le plus grand succès fut certainement Hypnérotomachie ou Discours du Songe de Polyphile, déduisant comme Amour le combat à l'occasion de Polia, qui avait paru en Italie en 1499, et qui avait pour auteur un certain Francesco Colonna[25]. L'original italien était illustré de gravures fort belles, que Jean Martin fit reproduire dans sa traduction, en y ajoutant quelques gravures françaises. L'influence du Songe de Polyphile fut considérable, surtout sur les artistes, et elle se constate dans un grand nombre d'œuvres de la gravure, de la tapisserie, de l'émaillerie, et des autres arts somptuaires[26].

Nous n'avons guère en ce chapitre à parler de l'Allemagne et des Pays-Bas, à partir de la mort d'Érasme (1536), de Dürer (1528), d'Holbein (1543). Non pas que l'activité intellectuelle ou artistique y ait cessé : les cours princières de Bavière, de Saxe, d'Autriche, du Palatinat, encouragèrent tous les arts. Mais, là aussi, les tendances devinrent de plus en plus antiques ou italiennes, et la part d'originalité du tempérament allemand ou flamand qui persista (car elle persista au milieu des imitations) échappa presque entièrement à l'attention des contemporains et surtout des Français. On ne pourrait guère retrouver que dans la gravure des influences septentrionales. Il faut noter pourtant que Dürer était connu chez nous et apprécié. Jean Goujon fait observer qu'il a été le seul à bien dessiner la volute du chapiteau ionique ; L. Mégret traduisit, en 1557, son Traité des proportions[27]. Ce fut surtout entre les érudits de France et des pays germaniques que les relations persistèrent ; elles devinrent même plus étroites.

 

IV. — L'OBSESSION DE L'ANTIQUITÉ.

LA Renaissance fut donc très livresque. Habitués à puiser leur première éducation dans les livres, les écrivains ou les savants et quelquefois les artistes aussi prirent l'idée que les livres contenaient toute sagesse et toute invention. Ils eurent le respect presque superstitieux des maîtres, à condition que ces maîtres fussent les Anciens. En tout ce qui venait des Grecs et des Romains, l'esprit du temps ne faisait aucune différence entre le meilleur et le pire. On cite, on admire les auteurs médiocres presque à l'égal des grands ; on accepte, même en matière scientifique, les assertions les plus hasardées. Presque personne, par exemple, ne songe à discuter les récits les plus étranges de Pline l'Ancien. Les ouvrages d'érudition ne sont bien souvent que des recueils de citations non contrôlées. Être mathématicien, astronome, médecin, physicien, c'est le plus souvent traduire et commenter les ouvrages de mathématiques, d'astronomie, de médecine des Anciens : les Astronomiques de Manilius, les œuvres d'Hippocrate. Aussi, dans la science ou dans l'érudition, la prodigieuse activité du temps n'a point fait de vraies découvertes. Le XVIe siècle n'est pas le siècle de l'invention.

De cette éducation, de ces préoccupations dirigées toujours dans le même sens, de ces théories proclamées, l'effet se retrouve même dans les manifestations de la vie privée ou publique. Les cérémonies, les entrées de villes, les fêtes princières prirent une tournure toute classique[28]

A l'entrée d'Henri II à Lyon, en 1548, on représenta des combats de gladiateurs à l'antique, une naumachie ou combat de gallères tout à l'antique, aussi une tragi-comédie, également à l'antique. A son entrée à Paris, en 1549, on vit un arc triomphal, une statue de l'Hercule Gaulois, les Argonautes, Jason, Castor, Pollux, des Sirènes, un arc de triomphe corinthien, surmonté de la statue de Pallas ; au marché des Innocents, Pierre Lescot et Jean Goujon avaient élevé la célèbre fontaine consacrée aux nymphes des eaux[29]. D'après un programme, rédigé pour une fête offerte au Roi en 1338, Jodelle devait faire voir Jason, Minerve, Mopsus, des Argonautes, tous costumés à la matelote antique, de blanc et de noir, et le spectacle devait s'ouvrir par un chant d'Orphée.

Sur la maison d'Antoine de Baïf on lisait de belles inscriptions grecques en gros caractères, tirées du poète Anacréon, de Pindare, d'Homère. qui attiraient les yeux des doctes passans. Dans un discours prononcé à l'Académie du Palais devant Henri III et des seigneurs de la Cour, l'orateur cite saint Augustin, il est vrai, mais aussi Pythagore et son disciple Archytas de Tarente, Charnels, roi des Lacédémoniens, Socrate, Alexandre, le tyran Périandre, puis Hippocrate, Tite-Live, Cicéron, Valère-Maxime, Platon, Sénèque, Plutarque, Homère. Amadis Jamyn[30], parlant de l'honneur, commence ainsi : Τιμή δ'έκ Διος έστι, l'honneur vient de Jupiter, comme a dit le poète Homère. Puis il raconte que l'Honneur avait un temple à Rome, qu'on lui rendait un culte, au témoignage de Plutarque.

Les écrivains finissent quelquefois par embarrasser leur français de tant d'allusions grecques ou romaines qu'il n'est plus intelligible que pour les initiés. Ronsard dira que François Ier, Nourrisson de Phœbus, des Muses le Mignon, cachait sous son auguste figure les Grâces et Mercure avec Pithon ; que, semblable à Priam, il vit ses jeunes enfants trépasser. A propos de la mort du dauphin François, il parlera de Germanicus et de Livie. Il compare Marguerite de Valois à Pallas, qui naquit de la cervelle de Jupiter, à la Mère Éleusine, qui sema le blé. N'a-t-elle pas, en effet, semé la France de science et d'arts ? Olivier de Magny, dans une ode à Bacchus, s'écrie : Toi, diz le père Lempnien, enfant du grand Saturnien, qui as vengé l'oultrage.... Que t'ont fait Lycurgue et Panthée.

Il serait intéressant de savoir combien il y avait de lecteurs ou d'auditeurs, au XVIe siècle même, capables de trouver là dedans autre chose que des mots. A vrai dire, le nombre énorme des traductions d'auteurs grecs et latins, déjà multipliées pendant la première moitié du siècle, contribuait sans doute à vulgariser ces connaissances. En 1554, traduction des Églogues et des Géorgiques de Virgile, par R. Le Blanc ; en 1560, de l'Énéide par des Masures ; en 1557, des Métamorphoses d'Ovide ; en 1546, de l'Âne d'or, d'Apulée ; sans compter les Vies de Plutarque par Amyot, en 1559.

Si Olivier de Magny retrace l'histoire primitive du monde, elle lui appela telle qu'à Lucrèce, à Virgile et à Ovide : on y retrouve les fleuves de lait coulant dans les campagnes, le nautonnier qui ne livre pas encore sa barque aux étoiles ; s'il parle de la modération de ses désirs, il dit, comme Horace, qu'il ne convoite pas les trésors plantureux des Perses ni des Arabes[31]. Et quand Peletier du Mans trace les règles de la comédie, voici le programme qu'il présente aux poètes : Il faut faire voir bien oculairement l'avarice ou la prudence des vieillards, les amours et ardeurs des jeunes enfants de maison, les astuces et ruses de leurs amies, la façon des pères, tantôt sévères, tantôt faciles, l'assentation et vileté des parasites, la vanterie et braveté d'un soudard retiré de la guerre, la diligence des nourrices, l'indulgence des mères. C'est-à-dire refaire toujours l'Aululaire, l'Heautontimorumenos, où figurent ces personnages de comédie[32].

Larrivey prend à l'Andrienne et à l'Eunuque de Térence presque toute sa comédie des Jaloux ; Jacques de la Taille, dans le prologue d'une de ses pièces, écrit : Vous verrez jouer une comédie faite au patron, à la mode, au pourtraict des anciens Grecs et Latins.

Qui est celuy, dit le traducteur de la Raison d'Architecture extraite de Vitruve, qui pourroit parler de philosophie sans soy aider de Aristote ? ou qui fasse jugement en astrologie sans Ptolémée ? ni en médecine sans Gallien ni sans Hippocrate ?

Brantôme lui-même allègue à chaque instant les Romains, — il est vrai que c'est sans les connaître ; — les jurisconsultes ne parlent plus que par le Digeste ou le Code et ne voient nos institutions qu'à travers le jour de l'antiquité.

Même les œuvres inspirées par les passions du temps n'échappent pas à cette sorte d'emprise de l'antiquité. La Servitude volontaire de La Boétie est surtout une brillante amplification, toute pleine de Salluste et de Tacite, et le Pamphlet du Tigre, dirigé contre les Guise, au temps des premiers massacres religieux, est une sorte de mise en œuvre des Catilinaires.

Dans cette imitation des anciens, on peut noter deux phases : la première, jusque vers 1560, est celle des influences surtout grecques ;  Homère est la grande passion des poètes : Je veux lire en trois jours l'Iliade d'Homère, disait Ronsard. Théocrite inspire les Églogues et les Idylles. Après la découverte, en Italie, par Henri Estienne, et la publication, en 1554, des poésies d'Anacréon, les hommes de la Pléiade se passionnèrent pour cette poésie raffinée jusqu'à la mièvrerie. L'admiration hésite alors entre Anacréon et Pindare. Platon, qui avait formé une partie des hommes de la génération de François Ier, continua à être très goûté : en 1542, traduction des Dialogues : en 1544, du Lysis, en 1547, du Criton, en 1553, du Phédon, en 1559, du Banquet. Personne n'ignore à quel point Plutarque devint populaire et fut un maître et un conseiller tout intime pour les hommes de la génération d'Henri III et d'Henri IV.

Pourtant, vers 1560, les écrivains latins commencèrent à reprendre le premier rang. Scaliger mettait les tragédies de Sénèque au-dessus de celles de Sophocle ; Sénèque devient très vite le grand maître de tous nos tragiques. Peletier du Mans est tenté de préférer Virgile à Homère ; Ronsard, avec son enthousiasme qui le porte d'un extrême à l'autre, finira par juger que Virgile est plus excellent et plus rond, plus serré et plus parfait que tous ; il reconnaîtra que les Français le connaissent mieux qu'ils ne font Homère.

Ce commerce presque continuel avec la mythologie grecque ou latine a-t-il abouti à une sorte de renaissance du paganisme ? On l'a prétendu[33], mais en attachant trop d'importance au fait que les poètes du temps transformèrent Henri II en Jupiter, Catherine en Junon, de même qu'ils paraient leurs maîtresses des noms de Cassandre ou d'Hélène. Ce sont là simples jeux d'imagination ou habitudes et procédés de style. Quand Goujon sculptait une Diane pour Anet, par allusion au prénom de la duchesse, il se gardait bien de donner à la Diane mythologique les traits de la Diane vivante. Baïf raconte qu'après le succès de la Cléopâtre de Jodelle, on offrit un banquet au poète et que, vers la fin du repas, on présenta un bouc à Jodelle, portant son jeune front de lierre entouré ; puis, que l'on cria à plusieurs reprises : Iach ! la ! Ha ! Évohé ! Les ennemis de Ronsard et de la Pléiade affectèrent de voir là un vrai sacrifice païen, et des historiens en ont pris texte pour prétendre que les poètes furent enivrés par l'antiquité au point d'en embrasser les croyances. Évidemment, il n'y avait dans cette fantaisie de jeunes gens effervescents qu'une manifestation littéraire et un amusement caractéristique d'une époque, où il se mêlait toujours un peu de pédantisme à la vie.

 

V. — LA RÉACTION CONTRE L'HUMANISME.

CEPENDANT, les novateurs n'avaient pas avec eux tout le public[34]. Ni tous les grands seigneurs, ni tous les courtisans, ni toutes les femmes de la haute société ne goûtaient sans réserve leurs doctrines et leurs livres ; il est probable que beaucoup ne connaissaient que par ouï-dire ou ne connaissaient pas du tout les grands ouvrages d'érudition contemporains ou les œuvres des Anciens tant louées. A plus forte raison, la masse demeura-t-elle étrangère à ces hautes spéculations : elle avait gardé l'amour de plus d'un genre condamné par la Renaissance.

Aussi on a encore imprimé de vieux romans dans la seconde moitié du XVIe siècle : les Quatre Fils Aymon, Fiérabras, Huon de Bordeaux, Ogier le Danois, Geoffroy à la Grand-dent, sixième fils de Mélusine », qui allaient faire partie, au XVIIe siècle, de la fameuse Bibliothèque Bleue[35]. Au théâtre, malgré le Parlement (arrêt de 1548)[36], on représenta ou on reprit le Mystère du Vieil Testament », la Vie de Monseigneur Saint Fiacre, la Nativité de Jésus. On joua encore en 1581 une Pucelle de Domrémy, véritable mystère ; ou bien on donna des pièces inspirées du même esprit que les vieux romans d'aventures : Lucelle, histoire de la fille d'un banquier qui s'éprend d'un prince de Valachie, caché pendant quelque temps sous le personnage d'un commis ; ou encore des pièces exotiques, la Sultane, empruntée à l'histoire de la Turquie.

En outre, la Nouvelle, ou pour mieux dire, la forme anecdotique, tout opposée à la forme dogmatique et raisonneuse de la Renaissance humaniste, a survécu. On la rencontre, par exemple, dans les Baliverneries de Noël du Fail[37].

Même chez ceux qui étaient nourris de l'antiquité, il se fit un retour vers nos vieux écrivains. Pasquier défend les rondeaux, ballades, chants royaux ; il goûte Maitre Pathelin. Fauchet énumère un nombre considérable de troubadours et trouvères, parle de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung, analyse des fabliaux. Henri Estienne lui-même, l'auteur du Thesaurus linguæ græcæ, avait une vieille table chargée de vieux livres français, romans et aultres, dont la plus grande part estoit escripte à la main. Noël du Fail parle de la conqueste du Saint Graal, qui est, à dire vrai, une ampoule ou phiole plaine d'huile, et puis il ajoute : Nos ancestres avaient mieux mais non si rhétoriquement parlé que nous, et leur langage (était) plus cler et plus entendible : en voudrois croire tous les livres de la Table Ronde et les Douze Pairs, la lecture desquels est plus douce, plus familière et coulante que ne sont les livres de nostre saison, voire de beaucoup plus.

Parmi les écrivains de la première moitié du XVIe siècle, Rabelais fut toujours goûté du public ; même il fit souche de prosateurs jusqu'aux premières années du XVIIe siècle. Marot fut réédité en 1556, 15'79 et 1596, et la vivacité même de l'offensive ou l'énergie passionnée de la défensive autour de son nom prouvent qu'il fallait compter avec lui.

La publication par Herberay des Essarts de sa traduction des huit premiers livres de l'Amadis de Gaule[38], entre 1540 et 1548, démontre aussi que le goût général était au moins hésitant. L'Amadis est une série d'aventures extraordinaires, où se rencontrent des chevaliers, des ermites, des princesses, des géants. Amadis, fils du roi Périon et d'Élisène, a été livré aux flots de la mer et recueilli miraculeusement ; il grandit, puis reçoit d'une fée une lance enchantée, pénètre dans le château d'un magicien, s'éprend d'amour pour Oriane, petite-fille d'un roi de Danemark, qu'il finit par épouser, après toutes sortes d'aventures extraordinaires. On trouve ici les thèmes des anciens romans de la Table Ronde. Or, jamais livre ne fust embrassé avec tant de ferveur que cestuy, l'espace de vingt ans ou environ.

A cette résistance aux novateurs se joignait une réaction contre les étrangers, qui devint une réaction contre l'esprit étranger lui-même. On en voulait aux Italiens de leur habileté, de leurs intrigues, de leurs convoitises. Ils arrivaient ruinés ou pauvres, pour faire fortune à la Cour, s'insinuaient dans les places ; ils étaient à la fois souples et violents, jusqu'au meurtre. Ascanio, l'élève de Cellini, tua un bourgeois en 1563 ; nombre d'Italiens figurent dans le livre des Duels de Brantôme ; on en voit paraître quelques-uns dans la Saint-Barthélemy[39].

Leur costume, le raffinement de leurs modes — on leur reprochait d'être fardés, musqués — la mignardise de leur langue et de leur accent qu'ils ne pouvaient jamais perdre irritaient ou faisaient rire. L'expression des colères se retrouve très virulente dans les Dialogues du langage français italianisé d'Henri Estienne, qui parurent en 1578.

L'esprit national se défendit d'abord par le culte de la langue nationale. La cause du français fut définitivement gagnée, soutenue comme elle était par les hommes mêmes de la Renaissance. Ronsard, dans la préface de la Franciade, écrit : C'est un crime de lèzemajesté d'abandonner le langage de son pays vivant et florissant. Ramus se félicite d'écrire, en français pour la France. Pasquier dit : Eh bien ! vous estes donc d'opinion que c'est perte de temps et de papier de rédiger nos conceptions en nostre vulgaire pour en faire part au public, estant, d'avis que nostre langage est trop bas pour recevoir de nobles inventions.... mais que, si nous couvons quelque chose de beau dedans nos poitrines, il le faut exprimer en latin. Quant à moy, je seray tousjours pour le party de ceux qui favoriseront leur vulgaire[40].

D'autres, plus obscurs, conduisent le même combat. Nostre langue, dit Mégret, en 1550, est aujourd'huy si enrichie par la profession et expérience des langues grecque et latine qu'il n'est point d'art ni de science si difficile et si subtile, ne mesme cette tant haute théologie, dont elle ne puysse traiter amplement et élégamment.

En 1576, un professeur au Collège Royal, Louis Le Roy[41], expliquait en français — non en latin, qui était d'usage — les harangues de Démosthène, et il donnait ses raisons : Quel profit rapporterions-nous si toutes les disciplines estoyent rédigées en nostre langue au lieu de se donner peine d'apprendre mots étrangers ! Bodin déclarait qu'il préfère écrire en langage vulgaire pour estre mieux compris de tous Français naturels. Et cependant, il avait publié d'abord en latin la Méthode historique, et il fut obligé de traduire en latin sa République, publiée en français en 1577. Mais c'était pour être lu dans tous les pays : le latin était compris dans toute l'Europe.

Ce culte de la langue se manifeste par les efforts pour en améliorer la terminologie ou la syntaxe. Jamais les traités de philologie, de grammaire, d'orthographe même ne furent aussi nombreux qu'au XVIe siècle[42].

A cette époque de systèmes, chacun voulut avoir et surtout produire le sien.

En 1565, Henri Estienne publiait le traité de la Conformité du langage françoys avec le grec ; en 1578, les deux Dialogues du nouveau langage françoys italianisé ; en 1579, le traité de la Précellence du langage français[43]. L'intention en était identique sous des apparences différentes : rendre au langage français toute sa pureté et le débarrasser des idiotismes et des mots italiens ; c'est contre ceux-là qu'il dirige toute sa verve. Il veut « montrer que l'excellence de notre langage était si grande qu'il devait non pas seulement n'être point postposé à l'italien, mais lui être préféré, n'en déplût à toute l'Italie ».

Au même temps, on songea à réformer l'orthographe, puisque tout donnait matière à des essais de réforme[44].

En même temps que la langue nationale était ainsi honorée, l'histoire nationale s'imposait à l'attention. La rédaction des coutumes, qui se poursuivit au XVIe siècle, conduisit à rechercher les anciens documents pour préciser les droits acquis, défendre ou combattre les privilèges. Les questions ecclésiastiques si nombreuses, qui se rattachaient au Concordat, obligèrent à étudier de plus près et sur les textes l'histoire des institutions de l'Église. Les événements politiques et les passions du temps rappelèrent la curiosité vers nos vieilles annales. On sait toute la querelle d'érudition qui s'agita autour des prétentions des Guise à la couronne, comme descendants des Carolingiens.

Les feudistes et les canonistes recherchaient les textes de l'ancien droit civil ou canonique français, comme d'autres les textes grecs ou latins. Des jurisconsultes commençaient à écrire des histoires locales ou généalogiques[45]. Alors reparurent les chartes, les diplômes royaux, les vieilles lois. L'érudition appliquée à l'étude de l'histoire nationale le prit quelquefois de haut avec l'autre. Un humaniste, qui ne fut qu'un érudit et un lettré incomplet, mais qui remua beaucoup d'idées et qui se révèle comme un des esprits les plus modernes, Louis Le Roy[46], osait écrire :

N'est-ce pas folye de s'adonner et affectionner tant à l'antiquité et laisser en arrière la cognoissance de sa religion et affaires du pals et temps où l'on est vivant... essayans entendre choses qui profitent plus, ignorées que sceues, si tant est que se puissent sçavoir ? Il y en a qui novent la généalogie des anciens dieux prétendus, leurs noms, cultes, oracles, pouvoirs, et ne lurent jamais en la Saincte escriture ; (savent) comment se gouvernoient Athènes, Lacédémone, Carthage, Perse, Égypte, Macédoine, Parthie, discourans de l'Aréopage, de l'Éphorie, des Comices romains, et n'entendent rien au Conseil de France, maniement des finances, ordre des Parlements.

Le Roy proclame même que les modernes sont supérieurs aux anciens, sauf en littérature[47]. Tamerlan vaut Alexandre, les navigateurs portugais sont bien au-dessus des Phéniciens ou Massiliens. Il va plus loin : il déclare Nicolas de Cues[48] et Copernic égaux aux plus grands, et il ajoute :

Jamais les mathématiques ne furent plus congneues, ni l'astrologie et cosmographie mieux entendues. Qu'est-il rien de plus admirable aujourd'huy que de voir tout le monde descouvert, dont une bonne partie estoit demeurée incongneue si longtemps ?... Au regard de la Physique et la Médecine, je puis véritablement affirmer qn'elles n'estoient en plus grande perfection entre les anciens Grecs et Arabes qu'elles ne sont en ce temps... l'Architecture, Paincture, Musique, sont presque remises à leur premier estai : et l'on a tant travaillé au droict civil qu'il n'est possible de plus.

Ramus donne à cette querelle des anciens et des modernes toute son ampleur : Nulle autorité n'est au-dessus de la raison ; c'est elle au contraire qui fonde l'autorité et qui doit la régler. Toute sa vie ne fut que l'application héroïque de cette pensée.

 

 

 



[1] Consulter : Histoire de la langue et de la littérature française, publiée sous la direction de Petit de Julleville, t. III, 1897. Lanson, Histoire de la littérature française, 8e édit., 1903. Brunetière, Manuel de l'histoire de la littérature française, 1898. Darmesteter et Hatzfeld, Le XVIe siècle en France, Tableau de la littérature et de la langue, suivi d'un recueil de morceaux choisis, 2e édit., 1883. Sainte-Beuve, Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle, 1re édit. en 1828. Faguet, Seizième siècle, études littéraires, 1893. Revue d'histoire littéraire de la France, paraissant depuis 1894. Revue de la Renaissance, depuis 1901.

On trouvera les indications bibliographiques et les éditions principales des auteurs dans l'Histoire de la langue et de la littérature française, dans l'Histoire de la littérature française de Lanson, dans la Revue d'histoire littéraire, dans Brière et Caron, Répertoire méthodique de l'histoire moderne et contemporaine, année 1901. Il a été fait depuis quelques années un nombre considérable de travaux (presque toujours des thèses de Faculté), qui ont renouvelé en grande partie l'histoire littéraire de la seconde moitié du XVIe siècle. Nous les signalerons à leur place.

[2] Quicherat, Histoire de Sainte-Barbe, t. II, 1862. Gaufrès, Claude Baduel et la réforme des études au XVIe siècle, 1880. A. Lefranc, Histoire du Collège de France, 1893. Douarche, L'Université de Paris et les Jésuites, 1888. Du Boulay, Historia Universitatis parisiensis, t. VI, 1673. C. Jourdain, Index Chartarum pertinentium ad historiam Universitatis parisiensis, 2 vol., 1856. Répertoire des ouvrages pédagogiques du XVIe siècle (Mém. et doc. publiés par le Musée pédagogique, fasc. 3), 1886.

[3] Un arrêt du Parlement, concernant la faculté de Décret (Faculté de Droit), avait décidé, en 1533, qu'un concours serait institué entre les candidats aux chaires, et, d'après une affiche de 1545, on voit que chaque vacance était rendue publique ; le concours s'ouvrait au bout d'un mois, les candidats argumentaient en présence de membres de la Faculté et du Parlement.

Dans la seconde moitié du siècle, les professeurs du Collège Royal dont le souvenir s'est conservé à un titre quelconque furent : pour le grec, Turnèbe (1547-1565), Daurat (1558-1588), Lambin (1561-1572), L. Le Roy (1572-1577) ; pour l'hébreu, Restaud de Caligny (v. 1543-1565), de Cinquarbres (1554-1587) ; pour le latin, Galland (1545-1559), Léger Duchesne (1565-1586), Passerat (1572-1601) ; pour les mathématiques, Forcadel (1560-1574) ; Charpentier (1566-1574) ; pour la médecine, J. Dubois (1550-1555), Akakia (1574-1588) ; pour la philosophie, Vicomercato (1542-1567), Ramus (1551-1572). Voir Lefranc, ouvrage cité.

[4] Isaac Casaubon (1559-1614) professa à Montpellier, puis, un moment, au Collège royal ; il a donné nombre d'éditions d'auteurs grecs et latins.

[5] Brunot, De Philiberti Bugnonii vita et eroticis versibus (thèse de la Faculté de Paris, 1891).

[6] Voir la plupart des ouvrages cités ci-dessus, et F. Brunetière, La Pléiade française (Rev. des Deux Mondes, 1900-1901). H. Chamard, Joachim du Bellay (1522-1580) (thèse de la Faculté de Paris), 1900. L. Clément, De Adriani Turnebi regii professoris Præfationibus et Poematis (thèse de la Fac. de Paris), 1899. — Dans les pages qui suivent, nous indiquons en note l'essentiel des renseignements sur les écrivains dont il n'est question qu'en passant.

[7] Jacques Peletier du Mans (1517-1582), poète, médecin et mathématicien, appartenait au parti des novateurs littéraires ; il a publié un Dialogue de l'orthographe (1550), un Art poétique (1555), des sonnets (1555), etc. Thomas Sibilet, né vers en 1512, mort en 1589, a écrit une Iphigénie d'Euripide, tournée du grec en français, 1549.

[8] Nous retrouverons la question. Voir Brunot, La langue au XVIe siècle, dans Histoire de la langue et de la littérature française, t. III.

[9] Voir plus loin.

[10] M. Chamard, dans son Joachim du Bellay, a dressé un catalogue partiel d'œuvres poétiques latines.

[11] Pontus de Tyard (1521-1605) a composé les Erreurs amoureuses (1549-1555) et quelques poèmes français ou latins. C'est un des médiocres membres de la Pléiade.

[12] Barthélemy Aneau (1500-1561) a composé de très nombreux ouvrages : Chant natal, contenant sept Noëls.... avec ung Mystère de la Nativité par personnages (1539) ; Imagination poétique des Latins et des Grecs (ou Picta poesis) (1552), etc., tous sans valeur. Guillaume des Autels (1529-1576), auteur de quelques poésies entre 1550 et 1574.

[13] H. Chamard, De Jacobi Peletarii Cenomanensis Arte Poetica (1555) (thèse de la Fac. de Paris), 1900.

[14] Voir plus loin.

[15] Rathery, Influence de l'Italie sur les lettres françaises depuis le XIIIe siècle jusqu'au règne de Louis XIV, 1853. Marius Piéri, Pétrarque et Ronsard ou de l'influence de Pétrarque sur la Pléiade française (thèse de la Faculté de Paris), 1895. Em. Picot, Les Italiens en France au XVIe siècle (Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux. Bulletin italien, t. I, n° 2) ; Des Français qui ont écrit en italien au XVIe siècle (Rev. des Bibliothèques, 1898-1901). Hauvette, Un exilé florentin à la cour de France au XVIe siècle, Luigi Alamanni (1495-1556) (thèse de la Faculté de Paris), 1903. Jos. Vianey, L'Arioste et la Pléiade (Ann. de la Fac. de Bordeaux. Bull. italien, 10901) ; Influences italiennes chez les précurseurs de la Pléiade (même Bullet., 1903). Il y a sur ce sujet une littérature considérable. Pour les rapprochements avec l'histoire de l'art, on peut consulter : Dimier, Le Primatice, peintre et architecte des rois de France (thèse de la Faculté de Paris), 1900. R. Kœchlin et Marquet de Vasselot, La sculpture à Troyes et dans la Champagne méridionale au XVIe siècle, étude sur la transition de l'art gothique à l'italianisme, 1900.

[16] On voit dans l'entourage de la reine Sylvia et Fulvie de la Mirandole, ses filles d'honneur, Battista Gondi, son maitre d'hôtel, S. Turcelli et G.-B. Benciveni, ses aumôniers, les deux Ruggieri, ses astrologues, San Severino, les Strozzi ; il est à chaque instant question d'eux dans les Mémoires, dans les récits des fêtes de Cour ; beaucoup firent souche en France.

[17] G. Yver, De Guadagniis (Les Gadaigne) mercatoribus florentinis Lugduni. XVIe p. Chr. N. sæculo, commorantibus (thèse de la Faculté de Paris, 1902). Il donne un tableau de la descendance et des alliances de la famille.

[18] Nous parlerons plus loin de ces artistes.

[19] Nous parlerons plus loin de ces artistes.

[20] Voir les Voyages de Montaigne.

[21] Le tableau des Noces de Cana est de 1562-1563, la Règle d'architecture de Vignole, de 1563, la Jérusalem délivrée, de 1575.

[22] Ils les imitaient, même quand ceux-ci écrivaient en latin. Olivier de Magny recommande de lire, après Ovide, Catulle et Virgile, les Italiens Flamien et Marulle ; on peut joindre à ces noms celui de Navagero, qui fut en effet très lu. Navagero avait publié des Épigrammes et des Églogues ; Flaminio, les Carmina de rebus divinis (qui furent traduits en français en 1569).

[23] Voir ci-dessus (Piéri). En dehors de l'imitation qui en fut faite, les Sonnets et les Triomphes de Pétrarque furent très fréquemment édités, soit en français, soit en italien.

[24] Voir Hauvette, ouvrage cité, p. 442-456. Il a reproduit une pièce de vers français, qui est tout entière comme un surmoulage d'une pièce d'Alamanni : Ninfe, che alberge l'onorata valle, Che al Tirren mance e d'Apennin si parte. Cui inflora e bagne il mio bel Hume d'Arno (Nymphes qui habitez la glorieuse vallée qui va vers la Tyrrhénienne et part de l'Apennin, et que fleurit et baigne mon beau fleuve d'Arno), devient :

Nymphe, qui le paya gracieux habitez,

Où court ce mien beau Loir arousant la contrée,

Qui tient du mont Gébenne (Cévenne) en la mer Armorique....

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En ce qui concerne la question de la Deffence, voir un article de P. Laumonier, Luigi Alamanni, son influence sur la Pléiade française, où la théorie de H. H. est discutée (Rev. de la Renaissance, 1903).

[25] L'ouvrage réussit à ce point que deux nouvelles éditions en furent faites en 1554 et 1561.

[26] Voir Benj. Fillon, Quelques mots sur le songe de Polyphile (Gaz. des Beaux-Arts, 1879). Claudius Popelin, Le songe de Polyphile, traduction, 1883. Charles Ephrussi, Étude sur le songe de Poliphile, 1888.

[27] Les quatre livres d'Albert Dürer, peintre et gèomètrien très excellent : De la proportion des parties et portraicts des corps humains, 1557.

[28] A comparer l'entrée de François Ier, à Lyon en 1515 et celle d'Henri II en 1548, on aurait bien l'idée de la marche des choses. Voir G. Guigue, L'entrée de François Ier, roy de France, en la cité de Lyon, le 11 juillet 1515 (réimpression), 1899. La magnificence de la superbe et triomphante entrée de la noble et antique cité de Lyon faicte au très chrestien Roy de France, Henry, deuxiesme de ce nom, le 25 de septembre 1548, Lyon, 1549.

[29] C'est la Fontaine dite aujourd'hui des Innocents.

[30] Amadis Jamyn (vers 1530-vers 1585), un des poètes distingués de l'École de Ronsard. Il a traduit trois chants de l'Odyssée et terminé la traduction de l'Iliade, commencée par Hugues Salel.

[31] Olivier de Magny, né à Cahors, à une date qu'on ne peut déterminer, mort vers 1560. Il fut secrétaire de l'ambassadeur de France à Rome, et, plus tard, secrétaire royal. Il publia Castianire (1553), réimprimée sous le titre de Les Amours, puis les Gayetés (1554), Les Soupirs (1557), Les Odes (1559). C'est un des bons poètes secondaires de la Pléiade. Nous parlerons plus loin de son sonnet à Caron.

[32] Dans la composition même, dans les tours de phrases, dans les images, dans les expressions, reparaît la latinité ou, pour mieux dire, une latinité particulière, exclusivement empruntée à certains auteurs, faite de certaines élégances de mots, presque tout entière en centons. Voir les poésies de Scévole de Sainte-Marthe, vrai travail d'écolier de rhétorique : Lœtum caput exeret undis Jordanes = Placidum caput extulit undis Neptunus (Virg.). — Tantæ molis erat perituram educere prolem = Tantæ molis erat Romanam condere gentem (Virg.). — Imprimis venerare hominum divumque parentem... Sacra ferens = In primis venerare deos atque annua magnæ Fer Cerori (Virg.), etc.

[33] Bourciez, par exemple, dans le livre cité plus haut. Voir tout le chapitre II du livre III.

[34] Pour se rendre compte de la variété de la production littéraire en France, pendant les trente-cinq années que nous étudions, on peut consulter : Ph. Renouard, Imprimeurs parisiens, fondeurs de caractères, 1898. J.-C. Wiggishof, Notes pour servir à l'histoire du livre en France, I, Imprimeurs et libraires parisiens, correcteurs, graveurs et fondeurs, de 1470 à 1610 (Extrait du Bulletin du Bibliophile, 1900). Ph. Renouard, Documents sur les imprimeurs, libraires, cartiers, graveurs... ayant exercé à Paris de 1450 à 1600 (Mém. de la Soc. de l'Histoire de Paris, 19o1). Baudrier, Bibliographie lyonnaise, 5 vol., 1895-1901. Dumoulin, Vie et œuvre de Frédéric Mord, imprimeur parisien, 1903.

[35] La bibliothèque du président Lizet, dont on a l'inventaire, dressé en 1554, contenait environ 215 ouvrages. Les livres de théologie y tiennent une assez grande place, à côté des livres de droit, parce que le Président, après avoir quitté ses fonctions judiciaires, s'était adonné à l'étude des questions religieuses. Parmi les autres livres qui peuvent être considérés comme formant le fonds de la bibliothèque d'un homme éclairé de ce temps, on trouve presque tous les auteurs latins et grecs (sauf pourtant Virgile et Horace), y compris les Pères de l'Église, puis Bersuire, Nicolas de Cues, Gerson, des humanistes italiens du XVe siècle, quelques traités de médecine, de Dubois, de Fernel, puis Perceval le Gallois (un roman du moyen âge) et 35 manuscrits en langue française grans, moyens et petitz, qui pouvaient être des romans aussi. Douët d'Arcq, Prisée de la bibliothèque du président Lizet en 1554 (Biblioth. de l'École des Chartes, t. XXXVII, 1876).

[36] Sur le théâtre, voir plus loin, et Lanson, Études sur les origines de la Tragédie classique en France (Rev. d'hist. littér., t. X, 1903).

[37] Voir plus loin.

[38] La version espagnole fut rééditée à la fin du XVe siècle. Les autres livres furent traduits de 1548 à 1556, par Collet, J. Gohorry, Aubert de Poitiers. Baret, De l'Amadis de Gaule et de son influence sur les mœurs et la littérature aux XVe et XVIe siècles, 2e édit., 1869.

[39] Brunot, p. 805-822, dans Hist. de la langue et de la littér. française, t. III. Bourciez, Les mœurs polies et la littérature de cour..., p. 267-308. Louis Clément, Henri Estienne et son œuvre française (thèse de la Fac. de Paris), 1898.

[40] Voir Bourciez, ouvrage cité, p. 143.

[41] H. Becker, Loys Le Roy (Ludovicus Regius) de Coustances (thèse de la Faculté de Paris, 1898).

[42] Grammaires de Meigret (1550), de qui on a pu dire qu'il était le fondateur de la grammaire française, de Robert Estienne (1557), de Ramus (1562).

[43] L. Clément, Henri Estienne et son œuvre française (thèse de la Faculté de Paris), 1898.

[44] Les essais remontent au début presque du siècle. La tentative la plus intéressante et la plus forte est celle de Meigret (dans des ouvrages ou traités publiés depuis 1542). Ramus aussi voulut réformer l'orthographe (voir Brunot, ouvrage cité).

[45] Giry, Manuel de diplomatique, 1894, p. 57 et suiv.

[46] H. Becker, Loys Le Roy, ouvrage cité ci-dessus.

[47] Il est curieux d'observer que du Bellay avait dit quelque chose de cela.

[48] Sur Nicolas de Cues, voir Histoire de France, V, I.