I. — FONDATION DES ÉGLISES EN FRANCE. EN l'année mil cinq cens cinquante-cinq, cinquante-six et suybvantes, dit Crespin, l'héritage du Seigneur commença d'être rangé et mis en ordre. Il entend par là que des églises protestantes furent constituées[1]. Les calvinistes, devenus de plus en plus nombreux, sentirent en effet la nécessité de s'organiser, non pas seulement pour lutter contre leurs adversaires, mais aussi pour mieux tenir en main les adhérents aux nouvelles doctrines. A vrai dire, le mot d'ordre venait de Calvin, et il était bien dans son esprit de répandre partout le principe d'autorité, d'autant qu'il luttait à Genève, avec une énergie farouche, contre les derniers représentants de l'individualisme. La plupart des pasteurs des Églises de France furent désignés par lui et les églises furent formées sur le modèle de celles de Strasbourg et de Genève. Un groupement de fidèles, un ou plusieurs ministres, un consistoire, une prédication régulière et les sacrements régulièrement administrés, tels sont les éléments d'une église calviniste constituée normalement. Le ministre en est le chef et le pasteur, de même que les fidèles en sont le troupeau ; il prêche, il donne les sacrements, il préside le consistoire. Le consistoire se compose du ministre, des anciens et des diacres. Les anciens sont chargés de réunir le peuple, de surveiller la conduite des fidèles ; les diacres visitent les pauvres ou les malades. Anciens et diacres sont élus par les membres de l'Église, le ministre par les anciens et les diacres. Réunis en consistoires, ils prennent les mesures relatives à la police, c'est-à-dire au gouvernement de l'Église. Calvin attachait beaucoup d'importance à l'observation de ces formes. Nous considérons comme d'un si grand prix l'existence d'un ministre et la distribution des sacrements, disait-il, que ce sont là comme les marques extérieures de l'existence même d'une Église. Ou bien il écrivait : Il ne seroit pas licite à ung homme de vous administrer les sacrements, sans qu'il vous reconnoisse comme ung troupeau de J.-C. et qu'il ne trouve en vous une forme d'Église. Cependant toutes les Églises de France ne furent pas constituées régulièrement du premier coup. Beaucoup n'eurent d'abord qu'un ministre, non pas élu, mais envoyé de Genève, et n'eurent pas de consistoire. Le ministre changeait très fréquemment ; il n'y avait presque nulle part de lieu fixé pour la célébration du culte (d'ailleurs Calvin n'y insiste pas). On se réunissait dans une maison désignée à l'avance ; pas toujours la même, afin d'éviter les poursuites. Les historiens calvinistes établissent une différence entre l'Église plantée qui n'est qu'un embryon, et l'Église dressée qui a son organisme complet. Le 14 mars 1556, le Procureur général faisait savoir au parlement de Paris qu'il se tenait dans la ville plusieurs assemblées, où se prêchait la doctrine de Genève, et il demandait qu'on prit des mesures contre ceux qui assistaient à ces réunions, contre ceux qui les recélaient, ou qui recélaient des colporteurs de livres. Le Parlement ordonna une enquête, l'évêque de Paris avait lancé un monitoire. Tous retardaient sur les événements, car, à cette date, il n'y avait plus seulement des assemblées : l'Église de Paris était fondée ou se fondait[2]. Les premiers organisateurs en furent Jean Le Maçon, d'Angers, et un gentilhomme manceau, le sieur de La Ferrière, qui s'était réfugié à Paris pour éviter les persécutions. On s'assembla au logis de La Ferrière, près du Pré-aux-Clercs ; puis Le Maçon fut choisi pour ministre à l'occasion d'un baptême qu'il fallait administrer. L'Église eut ensuite des pasteurs réguliers : en 1557, François de Morel ; puis Jean Le Maçon lui-même, désigné par le consistoire de Genève, comme le plus propre de la compagnie à exercer le ministère, quand Morel, trop connu à Paris, où il était fort surveillé, fut obligé de quitter la ville. En décembre 1558, Le Maçon fut de nouveau remplacé par Morel, qui avait tenu à reprendre ses fonctions, bien que Calvin eût déclaré quelque temps auparavant que sa présence enflamberait par trop la rage des ennemis[3]. L'Église de Paris eut un autre ministre, Antoine de la Roche Chandieu, qui, vers 1555, à vingt ans, exerçait déjà la charge de pasteur. A la date de 1557, elle possédait l'organisme complet : un consistoire, des ministres, des anciens, des diacres. Elle était en rapports étroits avec Calvin, qui lui envoyait des délégués, la conseillait, la réconfortait. Ses destinées furent très agitées et dramatiques pendant les dernières années du règne d'Henri II. Il n'en pouvait être autrement, dans le voisinage de la Cour, tout entière hostile, du Parlement, de l'Université, de la Sorbonne, également animés contre la Réforme, d'une police fortement organisée, et au milieu d'une population dont la majorité était fanatiquement catholique et excitée par les prêtres et les moines qui avaient à leur disposition les églises pour y prêcher le combat contre l'hérésie. En outre, l'organisation très forte des paroisses, où les clercs et les laïques se mêlaient étroitement, formait autant de centres de résistance, où chacun, se connaissant, se surveillait. Par contre, la grandeur de la ville, l'étendue des faubourgs, avec des parties très solitaires, donnait des facilités à se cacher ou à se réunir. Enfin, bien que les protestants fussent une petite minorité, ils étaient pourtant assez nombreux et se tenaient assez serrés pour se défendre dans une échauffourée. La grande excitation venait des prédicateurs, quelques-uns terribles. Un des plus ardents avait été pendant longtemps le théologien Le Picart, ancien ami de Béda, tout dévoué aux doctrines de la Sorbonne et tout imbu des passions populaires. Calvin le qualifie de personnage escervelé, fantastique et du tout semblable à un enragé. Son panégyriste lui attribue le mérite d'avoir rendu Paris constant en la Foy et religion chrétienne. C'était d'ailleurs, dans la vie privée, un homme de bonté et de charité ; il parait que son convoi mortuaire, en 1556, fut suivi de plus de 20 000 bourgeois ; le Parlement y assista. Le Picart eut des successeurs : à Saint-Eustache, en 1558, un docteur de Sorbonne, qu'on surnommait l'âme de Le Picart, ne parlait dans ses sermons que de massacrer les luthériens. En 1559, un Minime prêchait qu'il fallait tuer soi-même les réformés, au lieu de s'en fier aux lenteurs de la justice ; que d'ailleurs la plupart des magistrats étaient eux-mêmes infectés des erreurs réprouvées[4] ; que le moment était venu de se mettre en état de guerre, même contre les plus hauts en dignité, s'ils étaient suspects. Un jour, à la suite d'un de ses prêches, la foule assomma un pauvre homme qui, dans une querelle, avait été injurié du nom de luthérien, et un gentilhomme, très bon catholique, qui était venu à son secours. Tout cela créait un état d'effervescence parmi le peuple, que Bèze et Crespin appellent le plus stolide de France[5]. Entre 1556 et 1559 les réformés de Paris se réunissaient dans quelques maisons particulières prêtées par des coreligionnaires[6] : sur la rive gauche, rue du Marais[7], dans le voisinage du Pré-aux-Clercs, très solitaire le matin et le soir ; rue des Porées, près le collège de Sorbonne[8] ; rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, devant le collège de Navarre[9] ; sur la rive droite, chez un serrurier, rue de la Mortellerie[10] ou derrière le Gibet de Montfaucon[11]. Mais les incidents les plus dramatiques ou les plus bruyants de leur histoire se passèrent rue Saint-Jacques ou au Pré-aux-Clercs. Dans la partie de la rue Saint-Jacques, bordée d'un côté par le collège du Plessis, de l'autre par des maisons particulières[12], une maison, appartenant à un bourgeois nommé Berthomier avait été prêtée à des réformés qui, le soir, y tenaient des assemblées. Il parait qu'ils furent découverts par quelques boursiers du collège du Plessis. La foule est amassée par les cris de ces jeunes gens, le guet prévenu, la maison entourée. Des trois à quatre cents personnes qui s'y trouvaient, suivant Crespin et de Bèze, un certain nombre se font jour l'épée à la main ou se sauvent par les cours et jardins. Mais les femmes et quelques hommes étaient restés. Ces malheureux furent arrêtés par le Procureur du Roi au Châtelet, qui était accouru avec le guet, horriblement maltraités à leur sortie par la foule, qui n'avait pas quitté la place, puis enfermés au Châtelet. Pendant qu'on répandait sur eux les bruits les plus infamants, — on prétendait que, sous prétexte de célébrer le culte, ils se livraient dans l'obscurité à des orgies et à des débauches — les calvinistes, à l'étranger, s'agitaient en leur faveur. Le consistoire de Genève et Calvin faisaient parvenir des lettres à l'Église de Paris et aux femmes prisonnières, pour les soutenir, et en même temps se préoccupaient d'obtenir l'intervention des protestants de Suisse et d'Allemagne, avec lesquels Henri II avait alors alliance. Farel, Jean Budé, le pasteur Gaspard, Carmel et de Bèze se rendaient auprès de l'assemblée de Worms, pour intercéder auprès des princes. Ceux-ci envoyèrent à Paris des députés ; les Évangélistes suisses faisaient de même : d'assez longues négociations se poursuivirent. Elles n'empêchèrent pas le supplice de quelques-uns des prisonniers. Nicolas Clinet, un ancien maître d'école, Taurin Gravelle, avocat au Parlement de Paris, une damoiselle de Luns, âgée de vingt-trois ans, veuve d'un gentilhomme, M. de Graveron, furent les premiers condamnés à mort. Mademoiselle de Luns eut, comme les deux autres victimes, la langue coupée ; on lui fit seulement la grâce d'être étranglée, après avoir esté flamboyée aux pieds et au visage, avant d'être brûlée. Elle montra une constance invincible. Un peu plus tard, deux autres prisonniers furent encore suppliciés, au milieu des cris forcenés du peuple. Un vent très vif chassait par moments la flamme du bûcher, de sorte que les jambes des suppliciés brûlaient lentement, alors que la poitrine et la tête n'étaient pas encore atteintes. Du moins, après ces horribles exécutions, le gouvernement d'Henri II reconnut la nécessité de faire quelques concessions aux instances des réformés étrangers, dont on avait besoin, car c'était le moment où, après le désastre de Saint-Quentin, la France était dans une situation très critique. Il y eut ainsi un moment d'accalmie ; le ministre des Gallars écrivait à Calvin, le 27 novembre, que leurs ennemis étaient comme déconcertés et comme maîtrisés par la main de Dieu, qu'on avait relâché la plupart des prisonniers. Encore en novembre 1557, les princes allemands insistaient auprès d'Henri II pour que la politique à l'égard des réformés de France se modérât. Ainsi donc, dit de Bèze, se multiplioit l'assemblée de jour en jour à Paris. Au mois de mai 1558, quelques réformés qui se promenaient au Pré-aux-Clercs, où il y avait toujours grande foule d'écoliers et d'oisifs, se mirent, un jour, à chanter des psaumes ; on les écouta, une partie de la foule chanta avec eux ; ils revinrent en plus grand nombre, et le roi de Navarre ainsi que plusieurs gentilshommes se joignirent à eux. Grand émoi parmi les catholiques : l'Université[13] ordonne des prières solennelles, pour expier la souillure du Pré-aux-Clercs, et décide que les écoliers y assisteront, tenant des cierges. L'évêque dénonce au Parlement les réunions de calvinistes, tenues, non seulement au Pré-aux-Clercs, mais dans certaines rues. La Cour répond, le lendemain 18 mai, par un arrêt contre les auteurs de conventicules... tant d'hommes que de femmes, dont la pluspart sont en armes et chantent publiquement à haute voix chansons concernant le faict de la religion et tendant à sédition et commotion populaire et perturbation du repos et tranquillité publique. Des poursuites sont ordonnées ; le Roi est averti. Le résultat allait être la reprise de la politique de répression à outrance[14]. Crespin énumère, comme ayant été fondées entre 1555 et 1557, à l'image de l'église de Paris, les églises de Meaux, Poitiers, Angers, des Îles de Saintonge, d'Agen, Bourges, Issoudun, Aubigny, Blois, Tours, Lyon, Orléans, Rouen, et autres. Son énumération est, en effet, exacte, mais incomplète[15]. Des églises existaient à Amiens, à Noyon, avant 1555, elles se fortifièrent à partir de cette date ; celle de Meaux, fondée une première fois en 1546, affaiblie après la grande persécution, fut reconstituée définitivement en 1555 ; Calvin lui écrivait en 1558, en lui envoyant un frère muni de ses instructions. La ville de Troyes fut très agitée[16] ; le moindre incident donnait lieu à des troubles sanglants. En 1538, un réformé n'ayant pas ôté son chapeau en passant devant la cathédrale est qualifié de teigneux de luthérien ; il répond, la foule s'amasse, s'empare de lui et l'aurait jeté à la rivière, si ses coreligionnaires ne l'avaient délivré. Ainsi, il existe à Troyes un parti huguenot assez fort ; aussi les ministres Macart et Le Maçon allèrent y prêcher et Gérard de Corlieu fut délégué par le consistoire de Genève pour y administrer l'Église en 1558. A Orléans, un des berceaux de la Réforme, on trouve en 1557 une église constituée[17] ; le ministre Faget écrit en 1338 qu'elle est très florissante : Genève envoya un réfugié, Pierre Gilbert, pour en prendre la direction. L'église de Tours fut organisée en 1556 ; Jean Poterat en fut le premier pasteur[18] ; mais, s'il faut en croire de Bèze, elle courut grand danger d'estre avortée à sa naissance, par suite de dissensions entre les fidèles, qui durèrent, malgré l'envoi d'un ministre de Genève. En 1559, une église était fondée à Chinon, une autre dans la petite ville de l'Ile-Bouchard. En 1558, la Réforme se répandait dans la région blésoise et orléanaise, dans la Beauce, et là elle prenait quelquefois les caractères d'un soulèvement populaire. Dans ce pays, composé surtout de bourgs ou de villages, les anciens furent choisis presque toujours parmi les paysans[19]. Chartres, Pithiviers, Chilleurs, Neuville-aux-Bois avaient des églises en 1559. Un ministre venu de Genève, Simon Brossier, organisa en 1556 l'Église de Bourges, qui reçut des ministres, des anciens et des diacres ; il fonda celles d'Aubigny et d'Issoudun. Le premier pasteur de l'église d'Angers fut, vers 1555, Jean de Fleurs, choisi par Calvin. Puis le groupe des fidèles angevins subit, en 1556, une terrible persécution qui le désagrégea, mais il fut, dit-on, reconstitué par d'Andelot, à son retour de Bretagne, dans les premiers mois de 1558. On a une lettre de Calvin, du 3 septembre 1554, aux fidèles du Poitou ; il leur recommande de se grouper : Car, combien que chascun puisse et doibve aussy prier Dieu en secret et s'estant retiré à part, et que chascun puisse lire en sa maison, si est-ce que ce sacrifice est agréable à Dieu de nous assembler pour le prier comme d'une bouche et de luy faire hommage solennel de nos âmes et de nos corps. Je sçay bien, dit-il, que vous ne pouvez pas faire aucune assemblée qu'en crainte et doubte. Je sçay aussi que vous estes guettez des ennemys. Néanmoins, il leur recommande de ne pas s'anonchaloir. Ceux qui ont des maisons peuvent les prêter pour le service de Dieu ; les autres ne doivent pas plaindre leurs pas, pour aller aux assemblées. Les détails qu'il ajoute montrent bien qu'il y avait un commencement d'organisation : il parle d'un accord, en vertu duquel aucun des membres de la petite église ne doit dévoiler à qui que ce soit ce qui s'y passe, tout en cherchant à gagner des âmes au Seigneur ; les néophytes seront admis par une sorte de vote. Ces conseils de Calvin furent suivis, car les réformés poitevins se réunirent, en 1555, autour d'un pasteur venu de Genève. Il faut croire que Calvin s'intéressait tout particulièrement aux fidèles de ce Poitou, où vingt ans plus tôt il avait prêché la Réforme, car il leur écrivait en 1555 une très longue lettre[20] afin de les mettre en garde contre les calomnies qu'on répandait sur lui, non pour se disculper, disait-il, mais pour éviter qu'ils fussent dégoustez et en la fin du tout aliénez de la doctrine. En 1557, l'Église était dressée : on en a les statuts, qui mentionnent des ministres, des diacres, un consistoire[21] ; on y voit qu'elle n'avait pas encore de temple et que le soin de désigner les endroits où se feraient les prédications appartenait aux anciens et aux diacres. Ceux-ci convoquaient le peuple par des avertisseurs, et il leur est recommandé d'arriver de bonne heure à l'endroit où se doit célébrer le culte, pour prendre garde que d'autres n'entrent ès dits lieux où les prédications se feront. Preuve que les cérémonies n'étaient plus absolument ignorées du public. Du reste, les réformés étaient devenus assez nombreux pour résister, en 1559, non seulement à la populace, qui les attaqua, mais à des troupes conduites par le lieutenant du sénéchal du Poitou. Battus enfin, ils trouvèrent asile au château de Jean de Parthenay, seigneur de Soubise. En Auvergne, il y avait des Églises à Issoire, à Clermont et dans les petites villes d'Ambert, de Saint-Germain-Lembron, de Saint-Bonnet-le-Châtel. Dans la Marche et le Limousin, le protestantisme ne commença guère à se répandre que vers 1556 ; il y fit des progrès rapides. Au Dorat, en 1557, les réformés obtinrent le droit de célébrer publiquement leur culte dans un faubourg ; mais, à Limoges, en 1559, les assemblées calvinistes étaient encore défendues par les consuls. A la Rochelle, un premier groupement avait été tenté en 1552, qui fut brisé à la suite de l'exécution de trois des adhérents[22]. Pierre Bicher, dit de l'Isle, ayant trouvé en 1558 un troupeau d'environ cinquante personnes, établit, le dimanche 17 novembre, le premier consistoire, composé du ministre, de quatre anciens, de deux diacres (quatre anciens de plus furent institués le 24 décembre suivant). Mais il fallait, à chaque assemblée, changer le lieu de réunion, pour échapper aux recherches. C'est alors que l'Église de Dieu, réformée selon la vérité de l'Évangile, a commencé d'être exercée la nuit. Un peu plus tard, un grand nombre de notables professaient ouvertement le culte nouveau. On a vu combien la Réforme avait pris d'extension en Normandie ; l'église de Rouen existait à la fin du règne de François Ier. Saint-Lô, Caen, Évreux, Vire organisèrent leur culte entre 1555 et 1559. Le 5 janvier 1558, Calvin écrivait aux fidèles de Dieppe, en leur envoyant un ministre : Vous adressant le porteur (de la lettre), lequel a conversé avec nous, en telle sorte que vous serez édiffiez en sa vie, et selon qu'il craint Dieu... nous ne doubtons pas que l'aiant congneu, vous aurez de quoi vous contenter. Il parait qu'il y avait eu parmi les Dieppois quelques faiblesses ou quelques irrésolutions, car il ajoutait : Et desja nous avons esté fort esjouyz de ce que vostre foy a repris vigueur, pour surmonter l'estonnement qui vous avoit saisy pour quelque temps. En 1559, les réformés de Dieppe, en écrivant le 12 avril au consistoire de Genève, se félicitaient d'avoir eu pour pasteur : Jean Knox, Escossois, singulier organe du Saint-Esprit, lequel, selon les grâces que le Seigneur a prodigalement espandues en luy, s'est fidèlement employé pour promouveoir par sainctes prédications la gloire de Christ, durant le peu de temps qu'il luy a esté loisible de converser avec nous. Comme le soleil, écrit un pasteur, ne se montre à la Bretagne qu'après s'être levé sur les autres provinces qui sont toutes à son orient, de même l'Évangile... a premièrement étendu sur l'Allemagne sa pure lumière, de là sur la France ; et la Bretagne, après tous, a eu le bien d'être éclairée des rayons salutaires[23]. C'est d'Andelot qui, le premier, fit prêcher dans la maison qu'il occupait, lors du voyage qu'il fit dans la province, en 1558. Il était accompagné de trois pasteurs ; une Église fut dressée au Croisic. En 1559, deux ministres de Genève s'installèrent en Bretagne. En 1556, le Parlement de Bordeaux, à la requête de l'archevêque, ordonnait une information contre ceux qui avaient chanté les Psaumes de Marot, interdisait aux imprimeurs et aux libraires d'imprimer ou de vendre, soit la traduction des Psaumes, soit les livres proscrits par la Faculté de théologie de Paris. En mai et en juillet, il condamna au supplice du feu trois réformés. Ce qui n'empêchait pas le Roi de stimuler encore son zèle par une lettre du 7 décembre 1556. La surveillance étroite qu'il exerçait, les poursuites nombreuses contre les réformés empêchèrent jusqu'en 1558 la constitution d'une Église, quoique le nombre des calvinistes fût grand dans la ville[24]. On a la liste des premiers pasteurs de Nérac[25] : Legay, dit Bois-normand, Jean Vigneaux, dit Le Masson, en 1558 ; Pierre Gilles en 1559, Jean Graignon en 1559. Gilles venait de Bordeaux, Graignon, d'Aix-en-Provence ; ils exercèrent leurs fonctions par intérim. Dans la Saintonge, Philibert Hamelin prêchait publiquement au son de la cloche, en Arvert, à la fin de 1556. Il fut arrêté et exécuté en 1557. Mais il fut remplacé à Saintes par André Mazières ; c'est à ce moment sans doute que Bernard Palissy, entraîné par les prédications d'Hamelin, s'était associé à un autre artisan et avait rassemblé neuf ou dix auditeurs, devant lesquels il avait lu, un dimanche matin, quelques passages tirés du vieux et du nouveau Testament. Puis, il avait été convenu que ces exhortations pieuses se continueraient régulièrement, de dimanche en dimanche, et seraient faites alternativement par six des fidèles. Tel fut, en 1536-1557, le petit commencement de l'église de Saintes. Mazières, dit La Place, secondé par un autre pasteur venu de Genève, Charles de Clermont, évangélisa presque toutes les localités de la Saintonge. Nous avons advertissement, écrivait-on au Connétable, que par le moyen des fugitifs qui descendent ès parties de Xainctonge du costé de Saint Jehan d'Angely, il se dresse des assemblées qui ne vallent rien, avec certaines prédications qui scandalisent grandement tout le peuple. Le parlement de Bordeaux envoya des commissaires enquêteurs, et fit arrêter, en 1558, un certain nombre de réformés, au nombre desquels était Bernard Palissis, dict le potier. Mais la résistance ou la connivence des officiers municipaux empêcha l'exécution des poursuites, et une grande partie de la province resta conquise au calvinisme[26]. La situation semblait si redoutable qu'Henri II avait convoqué en 1559 des Grands Jours à Saintes et avait mis à la disposition de la Cour M. de Burie, avec une force armée. Sa mort suspendit l'effet de ces mesures. L'église de Toulouse fut organisée en 1558 par Jean Le Masson et par un ancien carme, Nicolas Follion, dit La Vallée, remplacé bientôt par un ancien cordelier, Jean Cormère, dit Barrelle. Dans la région de Nîmes, de Montpellier, des Cévennes, les membres mêmes du haut clergé et les magistrats étaient souvent favorables à la Réforme, qui s'y développa plus que dans toute autre région de la France. D'assez bonne heure, les Églises y furent organisées[27], et le parti calviniste parait assez compact en face de ses adversaires. Les esprits étaient fort surexcités, il y avait toutes sortes d'effervescences. En 1557, à la suite de prédications faites à Anduze, deux à trois mille hommes ou femmes se réunirent, résistèrent à main armée aux officiers royaux et tinrent la montagne pendant quelque temps. Le Roi écrivit au sénéchal de Nîmes de convoquer le ban et l'arrière-ban, les gendarmes des compagnies, des gens de pied, en tel et si grand nombre que la force et authorité nous demeure et à justice. En Provence, de Bèze signale des églises à Marseille, à Fréjus, à Sisteron, à Castellane, en 1560 ; à ce moment, dit-il, la Provence n'en aurait pas compté moins de soixante, ce qui est d'ailleurs difficile à croire. A Castellane, l'établissement de l'église fut accompagné de troubles : en réponse aux prêches calvinistes, les catholiques organisèrent une grande prédication ; puis la foule ayant assiégé la maison d'un réformé, Antoine de Mauvans, celui-ci résista, réussit à sortir de la ville avec trois cents coreligionnaires en armes, saccagea les églises des faubourgs et finit par se réfugier dans son château fortifié de Mauvans. Mais, ayant commis l'imprudence de rentrer dans Draguignan, il fut reconnu, appréhendé, et tué par la foule au cri de : Au luthérien ![28] L'église de Grenoble dut être fondée avant 1561[29] puisque, le 26 octobre de cette année même, on écrivait à l'ancien pasteur de la ville, réfugié près de Neufchâtel, pour le supplier de revenir et lui promettre meilleur accueil que par le passé. L'église de Valence existait en 1559 et, avant cette date, des prêches réformés étaient faits dans la ville ; un Genevois avait fondé une petite école et apprenait à lire aux enfants dans un livre imprégné de catéchisme calviniste : Les instructions pour la jeunesse. Dans la Bourgogne, où les prédications avaient commencé de bonne heure, avec Michel d'Arande à Mâcon, en 1524, et s'étaient continuées de même pendant le règne de François Ier, il y avait déjà un assez grand nombre de protestants, si l'on en juge par le nombre des réfugiés à Genève, à partir de 1539. Mais les églises ne se formèrent qu'assez tard : celle de Dijon commençait à s'organiser en 1557, celle de Mâcon fut dressée vers 1559[30]. L'action de Calvin se retrouve partout, au moment de la constitution des Églises de France. Il intervient dans leurs affaires ; il les inspire de son esprit, de son souffle évangélique ; les pasteurs viennent presque tous de Genève, ayant été désignés par lui, ils y retournent sans cesse ; tout mot d'ordre est pris à Genève. Or, à la date de 1555, le calvinisme genevois est très fortement organisé : c'est une religion et c'est un État, avec ce double caractère d'avoir un dogme et une liturgie, et d'être un gouvernement, par conséquent d'avoir une politique : transformation profonde de la Réforme primitive française. Et, le Calvin de 1555 n'est plus celui des années de la première Institution chrétienne. Mêlé aux hommes et aux affaires humaines, il rencontre des adversaires ou des envieux ; comme tous les détenteurs d'autorité, il est entouré de gens qui flattent ses passions, exagèrent ses idées, l'excitent au lieu de le contenir. Il est devenu âpre et dominateur ; son caractère s'est aigri et exaspéré. Comme l'essence du calvinisme est la foi, comme Calvin se croit, en absolue sincérité de conscience, inspiré de la révélation du Saint-Esprit, il prend une imperturbable confiance en soi[31] ; il finit par confondre sa personne avec la cause même de la religion. Enfin, son esprit logique va jusqu'à l'extrême logique du protestantisme et s'empare de l'Écriture, pour l'imposer comme la règle irréductible et intangible. De là, chez lui, des accents de haine, des violences de
parole, qui le diminuent singulièrement. Un de ses contradicteurs obscurs est
impudent à mentir, frotté
parmi toutes les brebis rongneuses, flairant çà et là toutes les ordures pour
y mettre le nez, beste sauvage. Un
autre est fourbe et rusé, tout gonflé de mensonge et
d'astuce. Un Hollandais schismatique est accusé de turpitude honteuse. Pourquoy
il ne reste à ce vilain et ingrat, sinon d'escouler comme eau, et finalement
périr d'une façon horrible, avec tons ceux qu'il attierra à sa maudite
sequéle. Castellion est quelque chose comme un voleur[32], c'est la pire des pestes qui soit aujourd'hui ; c'est un
homme bien connu en ceste Église (de Genève), tant,
par son ingratitude et impudence que par la peine qu'on a perdue après luy
pour le réduire en bon chemin. C'est un
instrument choisi de Satan. Chef d'une religion, Calvin affirme le principe d'autorité et exige la soumission aveugle. Le supplice de Servet, brûlé en 1553, est le drame le plus célèbre et le plus terrible de l'histoire du calvinisme se faisant persécuteur, mais Servet pouvait être considéré comme un rationaliste. Bien plus significative est la lutte contre Castellion. Castellion était un Lyonnais qui s'était établi à Genève, où il avait exercé les fonctions de pasteur. En 1544, une première discussion grave s'engagea entre lui et Calvin, à propos d'un passage de l'Écriture Sainte et du Cantique des Cantiques, répudié par Castellion, comme étant un poème lascif et obscène, défendu par Calvin, comme étant porté par toutes les Églises au canon des livres sacrés. La divergence était profonde entre l'esprit de raison et l'esprit de foi. C'était dans le développement théologique de la Réforme le point précis où l'Église protestante se décidait entre deux conceptions différentes de la constitution ecclésiastique, celle que dans la langue de nos jours, on appellerait la conception orthodoxe, et la conception libérale. Or Calvin ne transige pas et, dans toutes les occasions, nie toute liberté de discussion. Dans une lettre à l'église de Poitiers[33], il s'écrie en parlant de ses adversaires : Je laisse là leur belle maxime : qu'il faut souffrir toutes disputes contraires, parce qu'il n'y a rien de certain ni résolu, mais que l'Escriture est un nez de cire[34] ; tellement que la foy que tous chrestiens tiennent de la trinité, de la prédestination, de la justice gratuite, sont choses indifférentes, desquelles on peult débattre à plaisir[35]. Il arrête donc le calvinisme à la limite que lui-même a tracée. Le problème était tragique ; il est celui de toute religion. Il fallait choisir entre une Église libre et progressive, où chacun ne s'engagera à obéir qu'à sa conscience et à Dieu parlant par elle, et une Église enchaînée à un ensemble de dogmes obligatoires. Dans le premier système, quel chaos ! Dans le second, quelle inconséquence ![36] L'inconséquence était encore plus grande pour le protestantisme — étant données ses origines — que pour toute autre religion. Dans tout cela, on retrouve quelques empreintes de l'esprit du temps. Que la virulence de Calvin, le ton auquel montent ses invectives contre ses adversaires soit celui des querelles littéraires de l'époque, cela peut être secondaire, bien que l'assimilation soit au premier abord déconcertante et fâcheuse, quand il s'agit d'un réformateur religieux. Ce qui est plus intéressant, en tenant compte de l'énorme différence entre les questions de foi ou de conscience et les questions purement intellectuelles, c'est une tournure d'intelligence commune aux réformés et aux humanistes. Les uns et les autres croient au livre, à la parole, au Verbe. Ils opposent rarement la raison au texte. Très simplistes, ils se persuadent que la parole est claire de sa nature ; ils ne s'aperçoivent pas qu'elle se déforme ou se transforme, suivant les moules des intelligences qui la reçoivent. Calvin ne songe pas un moment que ce qu'il appelle la parole de Dieu, c'est la parole telle qu'il la comprend, et il ne conçoit même pas qu'on puisse la comprendre autrement. Pas plus que Calvin ne permet de mettre en doute l'authenticité des livres saints, les humanistes ne songent à s'interroger sur l'authenticité des ouvrages anciens ; ils ne les analysent point, ils les prennent en bloc. Ils ont la même foi aveugle dans l'antiquité païenne que Calvin dans l'antiquité chrétienne ; ils ne souffrent pas qu'on la discute. Et, aussi bien que dans le protestantisme, il se forme dans l'humanisme, nous le verrons, un parti des orthodoxes et un parti des libéraux. Seulement la Renaissance n'était qu'une théorie, le calvinisme était un dogme. Or le protestantisme français alla tout entier du côté de Calvin : ce fut sa force et sa faiblesse. II. — LE SYNODE DE 1559. JUSQU'À la constitution des Églises, la Réforme française avait été surtout la manifestation individuelle de certaines croyances et une religion de sentiment intime. On a vu comment se transmettaient alors les idées nouvelles : un livre lu presque en cachette, un fidèle qui communique quelques articles de la foi de Genève, qui s'entretient avec un ami ou un voisin des scandales de l'Église catholique, et révèle, par contraste, l'existence d'une Église idéale, où Dieu est adoré en toute pureté et toute simplicité. Les convertis restent isolés ou bien ils se voient secrètement, quelques instants, n'ont pour culte qu'une prière dite à la hâte et l'échange de quelques exhortations pieuses[37]. Entre eux, pas de liens proprement dits, pas même l'apparence d'une hiérarchie. Encore en 1557, lorsque Bernard Palissy groupe autour de lui une dizaine d'artisans, il est convenu que chacun, à tour de rôle, fera l'office de pasteur, c'est-à-dire prêchera. Quand ils affrontent les poursuites, les réformés n'obéissent à aucun mot d'ordre, ils sont poussés seulement par le besoin personnel de se sacrifier. Sans doute, ils rencontrent des sympathies parmi leurs coreligionnaires ; on leur écrit, on les aide, on vient même les voir dans leur prison. Autour du bûcher, il y a plus d'un spectateur qui les admire et peut-être les envie. Mais là encore, ce sont des individus isolés qui paraissent, point des groupes qui agissent. Avec la constitution des Églises, le calvinisme gagne une grande force, celle de l'association et celle de la direction. Il rassemble en faisceau les efforts des croyants, il assure sa doctrine, il commence à avoir des intermédiaires entre l'État et l'individu. En 1557 déjà, les réformés de France firent des manifestations publiques de leur foi. Calvin écrivit en leur nom, au mois de novembre, une Confession, où il exposait la doctrine calviniste, et qu'il adressait au Roi, en lui demandant de la communiquer à son Conseil, espérant qu'elle serait trouvée accordante avec l'Église catholique. Cette lettre, très mesurée, très habile, résumait fort bien les principaux points du dogme protestant, non sans les atténuer. En même temps, l'église de Paris rédigeait un autre
manifeste, d'un ton extrêmement maladroit, qui bien certainement ne fut pas
présenté au Roi, quoi qu'en dise Crespin[38]. En réponse à
leurs adversaires, qui prétendaient que les maux présents, défaite de
Saint-Quentin, invasion de la France, venaient de la trop grande indulgence
témoignée aux hérétiques, les ministres de l'Église affirmaient que les
échecs ou les fléaux avaient toujours coïncidé avec les persécutions : Quand vous fistes l'Édit de Chateaubriand, Dieu vous
envoya la guerre, mais quand vous en fistes sursoir l'exécution, et tant que
vous fustes ennemis du Pape, estant allé en Allemagne pour la liberté de la
Germanie, affligée pour la Religion, vos afaires prospérèrent à souhait. Au
contraire, que vous est-il advenu, depuis que vous vous estes joinct au Pape,
ayant de lui receu l'espée qu'il vous a envoyée (en 1556) pour sa
protection, et qui fut cause de vous faire rompre la guerre ? Dieu a tourné
en un instant vos prosperitéz en telles afflictions qu'elles ne touchent (à rien moins) qu'à
l'estat de vous et de votre royaume[39]. Puis ils disaient que l'Évangile avait jeté de telles racines dans le royaume que, si les protestants étaient exterminés, le Roi serait quasi Roi sans sujets. Ils s'élevaient contre les paillardises des papistes, proposaient de saisir le temporel des bénéfices pour l'appliquer à l'entretien des ministres de Dieu, aux gages des gens de justice, à la nourriture des pauvres et à l'instruction des petites gens ; le reste, qui est infini, pourrait être consacré aux besoins de l'État et au soulagement du peuple, qui porte seul le faix et ne possède comme rien. Ils protestaient cependant contre les calomnies qui les représentaient comme ennemis du pouvoir, affirmaient leur fidélité au Roi, et terminaient en demandant la convocation d'un libre et saint concile, présidé non par le Pape, mais par le Roi[40]. Il y eut une autre défense faite et imprimée, dit Crespin, pour servir en commun à tout le peuple et lui faire aussi entendre la vérité des choses susdites. Elle établissait une apologie du protestantisme à l'aide des écrits des Pères de l'Église : Tertullien, Justin, saint Hilaire, Eusèbe, en faisant ressortir les analogies entre le christianisme primitif et le christianisme réformé. Qui sera celuy qui croira du premier coup ce qu'on dit de nous estre vrai, s'il est adverti qu'anciennement les chrestiens estoient chargez des mesmes calomnies ? Qui sera celuy qui, nous voyant assaillis comme ils ont esté, ne se veuille enquérir si nous soutenons une mesme querelle et, ayant mesme occasion contre nous, nous avons aussi une mesme innocence ? Crespin prétend que ce petit livre fut d'un fruit inestimable, que les docteurs de Sorbonne s'efforcèrent en vain d'y répondre[41] et que bien des gens furent amenés, en le lisant, à s'enquérir de la pure doctrine. Mais les passions populaires ou les haines des persécuteurs n'en étaient que plus excitées, puisque les différents manifestes ou confessions de foi montraient la Réforme organisée et consciente. Cependant les Églises de France n'avaient pas encore de lien entre elles, la doctrine n'y était pas établie uniformément, elles étaient quelquefois travaillées de désaccords. En 1558, une très grave discussion s'éleva à Poitiers sur la prédestination, et le ministre parisien Antoine de Chandieu fut envoyé pour résoudre le différend. Cet incident aurait fait naître, dit-on, l'idée d'une réunion générale, où les croyances communes seraient définies. Calvin parait avoir été peu favorable au projet, dont on l'avait avisé. Si quelques-uns, écrivait-il, persistent à avoir tant de zèle pour rédiger une confession, nous cependant, nous attestons les anges et les hommes que cette ardeur n'a pas cessé de nous déplaire. Le 23 mai 1559, un certain nombre de ministres et d'anciens venus de tous les points de la France se réunirent à Paris, malgré les difficultés que présentait une pareille assemblée, à un moment où les yeux étaient de tous côtés ouverts sur les progrès menaçants de la Réforme[42]. On a les noms de onze Églises représentées, non compris Paris ; c'étaient celles de Saint-Lô, de Rouen, de Dieppe, d'Angers, d'Orléans, de Tours, de Poitiers, de Saintes, de Marennes, de Châtellerault, de Saint-Jean-d'Angély. Il y en avait davantage sans doute, mais le nombre de soixante-douze, indiqué dans un document du temps, ne saurait être accepté. Les délégués délibérèrent pendant trois jours, sous la
présidence de Morel, un des :ministres parisiens. Ils rédigèrent une Confession
de foy et des articles sur la discipline ecclésiastique. Le 29 mai, la confession
fut, dit Chandieu, lue, proposée et signée devant le
peuple qui, selon le temps et le lieu, y put assister. Il est probable
que le peuple était bien peu nombreux. Trois
délégués de Calvin étaient arrivés la veille au synode, alors que tout était
fini. Il fut convenu, et c'était peut-être une concession à Calvin, que la
Confession ne serait pas divulguée, qu'elle serait enfermée dans les archives
de chaque Église et ne serait communiquée aux magistrats ou au Roi que dans
le cas d'absolue nécessité. J'ai averti
soigneusement les membres de l'assemblée, écrivait Morel, de ne pas la répandre imprudemment dans le public, en
expliquant pourquoi cela serait fâcheux. Cependant, je me méfie de la
légèreté de quelques membres. Il avait raison, car, en 1559 même, la
Confession était déjà imprimée. Malgré l'abstention de Calvin ou ses résistances, si tant est qu'il ait réellement résisté, le synode s'inspira presque sans réserve de ses doctrines et fut animé de son esprit. Il ne pouvait guère en être autrement, puisque le président et la plupart des membres de l'assemblée avaient été à son école et ne cessaient point de correspondre avec lui. D'ailleurs, un d'eux lui écrivait le 5 juin : Confessioni vestræ nonnulla visum est addere, perpauca vero commutare[43]. La Confession de foi se compose de quarante articles[44]. Il y a un seul Dieu en trois personnes, qui se manifeste par ses œuvres : la création, et par sa parole : l'Écriture Sainte, règle immuable de toute vérité. Non seulement il a créé toutes choses, mais il les governe et conduit, disposant et ordonnant, selon sa volonté, de tout ce qui advient au monde. Pourtant le mal existe dans ce monde gouverné par lui, mais on ne peut cependant admettre que Dieu soit autheur du mal ou que la coulpe luy en puisse estre imputée. C'est qu'il y a des esprits nuisibles créés par lui, desquelz les uns sont descheuz et tresbuchez en perdition, les autres ont persisté en obéissance. Et il a des moyens admirables de se servir tellement des Diables et des meschans qu'il sçait convertir en bien le mal qu'ils font et duquel ilz sont coupables. Il faut d'ailleurs adorer en humilité les secrets cachés aux hommes, sans nous enquérir pardessus nostre mesure, mais plustost appliquons à nostre usage ce qui nous est monstré en l'Escriptuée saincte, pour estre en repos et seureté ; d'autant que Dieu, qui a toutes choses subjectes à soy, veille sur nous d'un soing paternel, tellement qu'il ne tombera point un cheveu de nostre teste sans son vouloir. Et cependant tient les diables et tous nos ennemis bridez, en sorte qu'ils ne nous peuvent faire aucune nuisance sans son congé. La parole de Dieu, au
commencement révellée par oracles a esté puis après redigée par escrit ès
livres que nous appelions escripture sainte. Mais quels sont les
livres saints ? une énumération en est donnée. Et s'il s'agit de savoir
comment on connaît que ces livres sont canoniques et règle certaine de foi, ce
n'est pas tant par le commun accord et consentement
de l'Église (ce qui eût été une
concession grave au catholicisme) que par le
tesmoignage et intérieure persuasion du sainct esprit, qui les nous faict
discerner d'avec les autres livres Ecclésiastiques. Seulement on ne
dit pas comment se manifeste ce témoignage et agit cette persuasion. L'homme, déchu par le péché originel, a été racheté par le sacrifice de Jésus-Christ. Il est sauvé uniquement par la foi, dont il est illuminé par la grâce secrète du Saint-Esprit, tellement que c'est un don gratuit et particulier que Dieu despart à ceux que bon luy semble. Et la foi n'est pas seulement baillée pour un coup aux esleux, pour les introduire au bon chemin, ains pour les y faire continuer aussi jusques au bout. Car, comme c'est à Dieu de faire le commencement, aussy c'est à luy de parachever. Néanmoins, la grâce, bien que le fidèle qui l'a reçue soit assuré de ne pas la perdre, non seulement ne refroidit l'affection de bien et sainctement vivre ; mais l'engendre et l'exite en nous, produisant nécessairement les bonnes œuvres. Au reste, combien que Dieu, pour accomplir nostre salut, nous régénère, nous réformant à bien faire, toutesfois nous confessons que les bonnes œuvres que nous faisons par la conduite de son Esprit, ne viennent point en conte pour nous justifier, ou mériter que Dieu nous tienne pour ses enfans, pour ce que nous serions tousiours flottans en doubte et inquiétude, si nos consciences ne s'appuyoyent sur la satisfaction, par laquelle Jésus-Christ nous a acquittez. C'est donc la nécessité et la puissance de la grâce, l'impuissance de l'homme et la négation de la liberté. C'est aussi l'assurance de l'homme en Dieu, avec la quiétude et commodité qu'elle donne, comme a dit Calvin. Jésus-Christ étant le seul intercesseur entre les Chrétiens et Dieu, le culte des Saints n'est qu'abus et fallace de Satan ; le purgatoire est une illusion procédée d'icelle mesme boutique, de laquelle sont aussi procédez les vœuz monastiques, pèlerinages, défenses du mariage (des prêtres) et de l'usage des viandes, l'observation cérémonieuse des jours, la confession auriculaire, les indulgences. Une Église est nécessaire — ce qui semble en contradiction avec l'idée que Dieu se révèle directement aux croyants par ses œuvres et sa parole et avec la doctrine de la Grâce. Non pas que Dieu soit attaché à telles aides ou moyens inférieurs, mais pour ce qu'il luy plaist nous entretenir soubz telle charge et bride. Toutefois il convient discerner soigneusement et avec prudence quelle est la vraye Églize, pour ce que par trop on abuse de ce tiltre. La vraie Église est la compagnie des fidèles qui s'accordent à suyvre icelle Parolle (de Dieu) et la pure religion qui en despend. Où la parole de Dieu n'est receue et qu'on ne faict nulle profession de s'assubjectir à icelle, et où il n'y a nul usage des Sacrements, à parler proprement, on ne peut juger qu'il y ait aucune Église. Pourtant nous condamnons les assemblées de la Papauté (la suite des idées est : où il y a cependant des sacrements), veu que la pure vérité de Dieu en est bannie, esquelles les Sacremens sont corrompus, abastardiz, falsifiez ou anéantiz du tout, et esquelles toutes superstitions et idolâtries ont la vogue. Les sacrements sont des symboles de la grâce de Dieu ; il n'en existe que deux : le Baptême et la Cène où, pour les vrais fidèles, le corps et le sang de Jésus-Christ ne servent pas moins de manger et de boire à l'âme que le pain et le vin font au corps. Car, bien que Jésus soit au ciel jusqu'au jour du jugement dernier, cependant par la vertu secrette et incompréhensible de son Esprit, il nourrit le fidèle et le vivifie de la substance de son corps et de son sang. Cela se faict spirituellement, et d'ailleurs c'est un mystère qui surpasse l'intelligence humaine. Bref, pour ce qu'il est céleste, ne peut estre appréhendé que par foy. Dieu veut que le monde soit gouverné par loix et polices, afin qu'il y ait quelques brides pour réprimer les appétis desordonnez du monde. Et ainsy qu'il a estably les Royaumes, Républiques et toutes autres sortes de principauté... à ceste cause a mis le glaive en la main des Magistrats pour réprimer les péchez commis non seulement contre la Seconde Table des Commandements de Dieu, mais aussi contre la Première. On doit donc non seulement accepter qu'il y ait une autorité supérieure, mais honorer ceux qui la détiennent, obéir à leurs lois, payer les impôts, se soumettre. Par ainsi nous détestons ceux qui voudroyent rejetter les supérioritez, mettre communautez et confusion de biens et renverser l'ordre de Justice. La discipline et l'organisation sont réglées sur le modèle des églises de Strasbourg et de Genève : des anciens, des diacres, des ministres formant, dans chaque Église, un consistoire ; des synodes provinciaux et des synodes généraux. Les cas d'exclusion des fidèles, de déposition des ministres sont déterminés. Il fut très nettement dit à l'article premier que nulle Église ne pourrait prétendre primauté ou domination. La Réforme est donc bien définitivement un acte de foi, fondé essentiellement sur l'Écriture, dont le caractère divin est révélé à l'homme par le Saint-Esprit[45]. Telle est la doctrine irréductible et simple, en dehors de laquelle tout devient erreur et hérésie. Mais, en même temps, elle est une théologie et, comme telle, elle n'échappe pas à la nécessité, autant peut-être à la tentation de s'analyser, de raisonner sa croyance. Elle essaie d'expliquer l'inexplicable, sauf à se réfugier, à l'extrémité, dans l'affirmation du mystère divin et insondable. Il n'en est pas moins vrai que le protestantisme opposait un dogme à un dogme, une Église à une Église, une autorité à une autorité. La force des choses le voulait ainsi : pas de croyance religieuse sans dogme, pas de religion sans Église, pas d'Église sans autorité. Dès lors point de liberté, ni pour les esprits, ni pour les consciences. Néanmoins la Réforme, parce qu'elle avait commencé par la discussion, parce qu'elle donnait aux fidèles une part dans le gouvernement ecclésiastique, parce qu'elle les mettait plus directement en rapport avec Dieu, leur laissait une personnalité plus forte que le catholicisme. Et puis, peut-être, étant combattue, elle exigeait de ses adhérents une énergie plus grande et, étant persécutée, elle devait bien faire appel à la liberté. C'est ainsi qu'elle en contenait le germe pour l'avenir. En se fixant ainsi, la théologie calviniste rassemblait toutes les forces dispersées du protestantisme français, mais aussi elle donnait prise plus facile à ses adversaires ; on savait sur quels points on pouvait discuter ; on n'était plus en face de négations seulement. C'est ainsi qu'il put y avoir des colloques entre protestants et catholiques, soit pour se combattre, soit même pour essayer de rétablir l'union. Dans une conférence tenue en 1566, chez M. de Nevers, un docteur de Sorbonne, après que les ministres protestants ont dit qu'ils fondent leur religion sur la parole de Dieu, et que la parole de Dieu, ce sont les écrits des prophètes et apôtres, leur demande : Par quel moyen connoissez-vous que les uns sont canoniques et les autres apocryphes ? et ils répondent : Par l'esprit de Dieu, qui est un esprit de discrétion (discernement). Mais, dit le catholique, les anabaptistes prétendent aussi à des révélations individuelles ; et le ministre ne trouve qu'une réponse : il n'y a chez les anabaptistes que des imaginations de l'esprit humain, qui n'ont rien de commun avec les révélations du Saint-Esprit qui sont certaines et asseurées. III. — GRANDS SEIGNEURS GAGNÉS AU CALVINISME. LE second fait nouveau et considérable dans l'histoire du calvinisme français fut l'adhésion de quelques grands seigneurs à la Réforme. En 1558, Calvin, écrivant à d'Andelot, insistait pour qu'il se déclarât en faveur de la foi. Jusques icy ceulx qui ont esté appelez au martyre ont esté contemptibles (méprisables) au monde, tant pour la qualité de leurs personnes que pour ce que le nombre n'a pas esté si grand pour un coup. Ce sont bien, il est vrai, des petites gens, des artisans, des gens mécaniques, des petits bourgeois, des petits commerçants, des laboureurs qui apparaissent dans la plupart des arrêts de condamnation[46]. Dans un registre du Livre des habitants de Genève[47], où sont inscrits les réfugiés venus de France, figurent des chaussetiers, des couteliers, des merciers, des cordonniers, des menuisiers, des gens de la campagne. Mais sur ces listes mêmes on trouve des médecins, des avocats, et ailleurs on rencontre des personnages notables. En 1548, un lieutenant général au siège de Noyon est poursuivi pour hérésie ; en 1546, l'évêque de Nîmes se convertit ou du moins protège ouvertement les protestants ; en 1553, un conseiller au Parlement de Toulouse est condamné au feu ; un gentilhomme du Bas-Limousin est exécuté en 1551 ; un autre se réfugie à Genève. A Genève aussi s'étaient réfugiés, après leur conversion, le grand imprimeur Robert Estienne, les membres de l'illustre famille Budé. Dans un des convois de fugitifs, sur treize Français, il y avait neuf gentilshommes. De plus, les gentilshommes échappaient bien plus facilement aux poursuites que les petits bourgeois ou les artisans. Encore au XVIe siècle, un noble, dans son château, était à peu près indépendant. Il avait presque toujours le droit de justice, bien loin d'être justiciable. C'est pourquoi on rencontre si rarement des gentilshommes parmi les protestants condamnés. On ne s'expliquerait pas le mouvement militaire réformé, qui fit explosion presque immédiatement après la mort d'Henri II, si l'on ne pensait pas qu'il y avait déjà, avant 1539, bien des nobles convertis, mais qui étaient ignorés. Calvin exagérait donc et, en disant que le nombre des victimes n'avait pas été aussi grand pour un coup, il oubliait le drame de 1546, et celui de 1557, dont Paris était le théâtre au moment même ou il écrivait. Néanmoins, il manquait à la Réforme l'adhésion de personnages qui, par leur naissance, par leur situation politique ou sociale, attirassent à elle les hésitants. La fille de Louis XII, Renée de France devenue duchesse de Ferrare, s'était déclarée pour le protestantisme, mais elle vivait loin de France, en Italie, et l'on entendait parler surtout de ses malheurs. En 1554, elle avait été enfermée par sentence d'un tribunal inquisitorial, et délivrée seulement après avoir fait soumission[48]. Ce n'était pas vers elle que les protestants pouvaient tourner les yeux pour chercher un appui. Aussi les réformés et particulièrement Calvin conçurent-ils de grandes espérances, lorsqu'ils virent venir à eux le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, et deux des membres de la famille de Coligny. On ne peut déterminer exactement la date à laquelle Antoine de Bourbon adhéra au protestantisme[49]. De Bèze prétend qu'en 1555 il fit prêcher les doctrines nouvelles dans la chapelle du château de Nérac, et demanda des ministres à l'Église de Genève[50]. Cependant, en 1556, Antoine suivait une procession, un cierge à la main. Au commencement de 1557, le ministre protestant Villeroche, qui se trouvait à Nérac, écrit à Calvin que le Roi s'est entretenu pendant une nuit presque entière avec un calviniste, qui lui a parlé des devoirs des souverains, de la vie éternelle, de la vraie foi. Nous avons à fonder sur ce prince, qui jusqu'à présent a paru douteux, plus d'espérances et de plus hautes espérances qu'auparavant[51]. Le 14 décembre de la même année, Calvin écrit à Antoine : Pensez, Sire, quand Dieu, après vous avoir choisy pour être prince d'une si noble maison, vous a aussi retiré des ténèbres de superstition où vous estiez plongé comme les autres.... (il) n'a pas voulu que la foy que vous avez receu demeurast encloze en vous et comme ensevelie.... Et, de faict, ne douptez pas que beaucoup de gens ne regardent à vous.... D'autre part, Sire, les soupirs et angoisses de tant de pauvres fidèles méritent bien d'estre exaucés de vous.... Et si vous, Sire, qui devez estre l'organe des enfants de Dieu, avez la bouche close, qui osera ouvrir la sienne pour sonner mot ?[52] Antoine parut un moment convaincu ; car, au cours de l'année 1558, il assista, avec son frère Condé, aux réunions du Pré-aux-Clercs, où l'on chantait les Psaumes de Marot. Mais, en même temps, il courait les bals et faisait l'amour, ce qui choquait à juste titre la gravité calviniste et donnait à douter de sa sincérité. Personne d'ailleurs ne faisait fonds sur son énergie. Le roi de Navarre, selon son habitude, restera muet en présence du Roi, écrivait un réformé. Puis il recommença à vaciller. L'un de ses chapelains, un certain Pierre David, ancien moine augustin, converti à la Réforme, puis rengagé, disait-on, par les cardinaux de Bourbon et de Lorraine, avait entrepris de le ramener à l'orthodoxie. Alors un autre ministre protestant, Bois-Normand, agissant avec l'âpreté habituelle à plus d'un réformé, s'était séparé avec éclat de David et avait fait au Roi des observations assez rudes. Calvin s'efforçait de rhabiller les choses et de maintenir dans la foi Antoine, toujours prêt à s'échapper. A quel moment les Coligny se donnèrent-ils à la Réforme ? Le cardinal Odet passa d'assez bonne heure (dès 1551, disait-on) pour favoriser secrètement les luthériens ; seulement, très ambitieux et très mondain, il se garda de prendre position ; en 1556 et en 1557, il se déclarait encore pour l'orthodoxie et fut même choisi avec les cardinaux de Bourbon et de Lorraine pour concourir à l'établissement de l'Inquisition, que le roi avait songé à introduire en France. Il est vrai qu'il se récusa. D'Andelot, le premier, fit acte d'adhésion aux doctrines nouvelles, qu'il connut d'assez près, alors qu'il était prisonnier à Milan. Il parait que, dans un voyage qu'il fit en Bretagne, en 1558, il était accompagné de deux ministres, Carmel et Loiseleur, qui prêchaient publiquement. Ce fait, qui fut divulgué, et d'autre part une dénonciation de Granvelle qui, aux conférences de Marcoing, aurait révélé au cardinal de Lorraine les sentiments calvinistes de d'Andelot, irritèrent très vivement le Roi[53]. Henri II fit venir d'Andelot et, en présence du cardinal de Lorraine, lui reprocha d'avoir fait prêcher la nouvelle doctrine, d'avoir assisté aux manifestations du Pré-aux-Clercs, de n'avoir pas été à la messe, durant l'expédition de Calais, d'avoir envoyé à son frère des livres suspects. D'Andelot nia qu'il eût été au Pré-aux-Clercs, reconnut comme exactes les trois autres accusations, et déclara qu'il voulait garder sa conscience sauve, abandonnant au Roi son corps et ses biens. Il fut arrêté et
enfermé au château de Melun. Il y reçut une lettre de Calvin, datée du 10 mai
1558. Calvin le félicitait d'avoir été produit par Dieu pour être un témoin
de sa vérité, en lieu où elle avait esté forcloze
jusqu'ici. Il le suppliait de persister dans la voie où il s'était
engagé ; il le mettait en garde contre le plus grand danger pour sa
constance, qui viendrait non pas des menaces, mais des alleschemens, sous couleur d'amitié. Il prévoyait
bien qu'on mettrait tout en œuvre pour ramener à l'orthodoxie un personnage
aussi considérable. En effet d'Andelot fut sollicité de toutes parts ; sa
femme enceinte alla le voir dans sa prison — les ministres protestants
redoutaient beaucoup l'effet de sa visite — ; le cardinal son frère essaya de
l'amener à un acte de soumission. D'Andelot resta pendant longtemps ferme
dans sa foi. Christ sera magnifié en mon corps, soit
par vie, soit par mort, écrivait-il, le 1er juillet, aux membres de
l'Église de Paris. Il fit baptiser à l'église réformée la fille qui naquit
pendant sa prison, affirmant toujours qu'il voulait combattre pour la cause
de Jésus. Le 19 juillet encore, Calvin parlait de lui au marquis de Vico, un
seigneur italien qui s'était donné tout entier à la Réforme : Or, Monseigneur, à grand peine pourriez-vous croire
comment Dieu a besogné puissamment en luy. On l'a sollicité de toutes parts
pour le réduire, sa femme luy montrant son ventre pour l'émouvoir à
compassion du fruict qu'elle portait, son frère le cardinal, et aussy des messagers
subornés. On requerroit seulement qu'il confessast devant le roy la faulte
d'avoir parlé inconsidérément et en trop grande audace. Vous serez
esmerveillé, oyant icy plus au long en quelle vertu il a résisté à tous
assaults. Mais, à ce moment même, l'énergie de d'Andelot avait fléchi ; il avait consenti à garder deux jours auprès de lui un docteur en théologie, à lui exposer ses croyances, et il écrivait au Roi qu'il était prêt à lui obéir. Il accepta même d'assister à une messe catholique. C'était un rude coup pour Genève. Faut-il donc que s'abaisse celui par qui nous triomphions et que Dieu nous humilie ? écrivait un pasteur à Calvin. D'Andelot cependant n'avait pas renoncé à la Réforme, puisqu'il s'excusa auprès de Calvin de la compromission à laquelle il avait consenti, et celui-ci lui répondit que ses excuses avaient couleurs pour amoindrir la faulte en partie, mais que le mal qu'il avait fait était bien grand, que d'autres âmes débiles s'autoriseraient de son exemple, que par lui la doctrine de Jésus avait été mise en opprobre et que leurs ennemis exultaient. Il faisait comparaison entre lui, qui avait cédé aux menaces, et tant de pauvres martyrs, qui avaient mieux aimé périr que de fléchir même sur des points secondaires de leur croyance. Comme il le lui disait, c'étaient des paroles rudes à entendre, mais il préférait contrister d'Andelot, pourvu que ce fût pour son salut, et il parait que celui-ci, admonesté par les pasteurs de Paris, promit de s'efforcer désormais de se donner à Dieu sans réserve. Pour l'Amiral[54], la question de la conversion est plus délicate. En 1555 déjà, Coligny, sans adhérer positivement aux doctrines réformées, ne partageait pas les passions de ceux qui ne voulaient avoir avec les protestants que des relations de juges à coupables ou à rebelles. En effet, cette année-là, il favorisa le départ pour l'Amérique de Villegagnon, alors tenu pour protestant avoué ; il était depuis assez longtemps en rapport avec Philippe de Corguilleray, sieur du Pont, fixé près de Genève, et il n'ignora pas les négociations entamées à Genève même pour décider un certain nombre de réformés de la ville à s'enrôler dans l'expédition de Villegagnon. Parmi eux se trouvaient des ministres : Coligny reçut les émigrants à son château de Châtillon-sur-Loing et leur fournit trois vaisseaux en sa qualité d'amiral. Après la prise de Saint-Quentin et pendant sa très dure captivité au château de l'Écluse, puis à Gand, de 1557 à 1559, il se fit apporter la Sainte Écriture pour, en la lisant, recevoir consolation et soulagement de ses ennuys. Il reçut aussi de son frère d'Andelot un livre plein de consolation. Mais, comme le dit de Bèze, ce n'était encore que le commencement de la pure religion, un besoin, dans l'adversité, de revenir à Dieu, un acte de chrétien plus que de réformé. La première lettre de Calvin à Coligny est du 4 septembre 1558, alors que l'amiral était encore retenu prisonnier. Calvin déclare qu'il ne cherchera pas à l'exhorter, puisqu'il le sait conquis à Dieu ; il ne se fait pas faute cependant de le mettre en garde contre les séductions du monde[55]. Un peu plus tard, en écrivant à madame l'Amirale, il lui confiait qu'il craignait pour son mari, lorsqu'il serait délivré, les menaces de son oncle le Connétable, les sollicitations de son frère le Cardinal. C'était à elle qu'il appartenait par son exemple de maintenir Coligny dans le devoir. A cette date, par conséquent, et en supposant même que Calvin exagère un peu l'adhésion de Coligny, celui-ci avait dû donner des gages. Sans se déclarer ouvertement, il allait de plus en plus se séparant du catholicisme officiel et manifestant des sympathies pour les réformés. Un des ambassadeurs anglais qui vinrent à Paris, au moment de la ratification du traité du Cateau-Cambrésis, en mai 1559, prétend que l'Amiral n'assista pas à la messe célébrée à cette occasion[56], et qu'il lui parla, avec de grands éloges, d'Édouard VI et des espérances que ce roi avait données à la Chrétienté ; or Édouard VI avait favorisé la Réforme en Angleterre. IV. — LE COUP D'ÉTAT DE 1559. LORSQUE le traité du Cateau-Cambrésis eut été signé, le 3 avril 1559, Henri II résolut de saisir corps à corps la Réforme. Seulement il ne se borna plus à agir contre les réformés ; il entreprit d'anéantir une opposition latente, qui avait grandi peu à peu : celle des autorités municipales ou judiciaires, en réalité celle de l'esprit laïque, inquiet de la mainmise de l'Église sur tous les pouvoirs, et aspirant sinon à la liberté religieuse, du moins à la tolérance. Il y avait déjà longtemps que se manifestait çà et là l'opposition de cette minorité. Très souvent les magistrats ou les officiers locaux avaient résisté aux décisions du clergé ou des parlements. L'édit de Châteaubriand constatait déjà ces résistances, car il y était question d'officiers de justice suspects, peu disposés à poursuivre les mal-pensants, ou négligents (article 23) ; il ordonne que les magistrats municipaux ne soient pris que parmi les orthodoxes (article 24) ; il prend des mesures contre les défaillances des seigneurs justiciers (article 28). En 1547, les consuls de Clermont-Ferrand intervenaient auprès de l'évêque, en faveur d'un carme à qui l'on reprochait des propositions malsonnantes, et lui faisaient remonstrer que le prescheur a très bien presché et instruit le peuple. En 1552, le chapitre décidait de faire par-devant notaires des sommations juridiques aux consuls et autres magistrats de la ville, pour obtenir l'expulsion des calvinistes, ce qui prouve que la municipalité n'y mettait pas grand empressement par elle-même[57]. A Autun, des poursuites ayant été dirigées contre deux libraires accusés d'avoir colporté des livres suspects, les juges, malgré leur aveu, ne les condamnent qu'à la peine du fouet, et même les arrachent au bourreau après trois ou quatre coups de verge. De Bèze dit que ces magistrats avaient déjà embrassé la religion ; tout au moins étaient-ils peu disposés aux persécutions. A la Rochelle[58], entre 1544 et 1549, le lieutenant général et le procureur général refusèrent d'exécuter les arrêts du Parlement relatifs aux hérétiques et firent même saisir le sergent du lieutenant criminel de Fontenay-le-Comte, chargé de suivre sur ces arrêts. La Cour ordonna leur arrestation ; leur propre sergent fut traduit devant le tribunal de Fontenay-le-Comte, fouetté publiquement et condamné au bannissement. En 1558, lorsque des commissaires du parlement de Bordeaux firent arrêter les membres de la petite Église constituée à Saintes, dont Bernard Palissy faisait partie, les prévenus réussirent à s'enfuir, grâce à la connivence des officiers de la ville. A Nîmes, le prévôt des maréchaux, Me Claude Aymès, était blâmé en 1554 de sa trop grande tolérance à l'égard des réformés : et, pour le faict de jugement des prisonniers prévenus d'hérésie, a esté dict que le sieur Aymès abusait grandement de sa charge. Les membres du siège présidial de la ville n'apportaient guère plus de zèle aux poursuites. L'évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, dans le Dauphiné, voulant informer sur des manifestations hérétiques en 1555, rencontrait chez les magistrats municipaux tous les mauvais vouloirs : ils déclaraient qu'ils n'avaient pas vu apposer de placards, ni entendu dire qu'on en eût apposé, alors qu'il était certain qu'on en avait affiché aux portes mêmes de la cathédrale. Dans le parlement de Paris, qui avait été pendant si longtemps terrible aux réformés, il se forma vers 1558-1559 une petite minorité de conseillers plus tolérants ou même acquis au protestantisme, et ce fait, se produisant en la Cour capitale du royaume, prenait une portée et une signification exceptionnelle. Regnier de la Planche observe un peu plus tard que la majorité, y ayant été fourrée par les menées et pratiques des gouverneurs du feu roy (Henri II), la plupart obéissaient servilement à Montmorency ou aux Guise, mais il ajoute qu'il y avait aussi un petit nombre de gens de bien. Ces gens de bien, même quand ils restaient attachés au catholicisme, étaient déterminés pour différents motifs à résister à l'arbitraire royal. D'abord ils étaient jaloux de maintenir les privilèges de la Cour souveraine, puis ils professaient un grand attachement aux théories d'indépendance de l'État, et par suite de l'Église de France, à l'égard de la Papauté. En 1555 déjà, le Parlement avait refusé d'enregistrer les édits qui supprimaient les appels à sa juridiction et attribuaient exclusivement aux tribunaux ecclésiastiques la connaissance des procès d'hérésie. Au nom de la Cour, le président Séguier avait fait entendre au Roi des remontrances assez courageuses et obtenu l'ajournement des édits. En 1557, il s'opposa à l'introduction de l'Inquisition en France. En 1558, Henri II ayant voulu donner entrée dans le Parlement au lieutenant civil (du prévôt de Paris), pour faire les fonctions de rapporteur dans les procès d'hérésie, la Cour refusa de recevoir ce magistrat, parce qu'elle avait le privilège de n'admettre que ses propres membres à ses délibérations. Il existait depuis quelque temps une divergence assez marquée entre la Grand'Chambre, plus disposée à la rigueur, et la Tournelle criminelle, présidée par Séguier et du Harlay, plus accessible à l'indulgence dans les procès pour cause d'hérésie. La Tournelle venait, en 1559, de commuer en bannissement la peine de mort prononcée par un tribunal inférieur contre trois réformés. Ce fut un grand scandale : les fanatiques s'agitèrent, demandèrent que la Cour tout entière se réunit pour fixer sa jurisprudence. Et une mercuriale fut décidée pour la fin d'avril[59]. On savait que quelques conseillers tenaient pour les idées nouvelles : c'étaient Antoine Fumée, du Faur, Viole, et surtout un conseiller-clerc, entré au Parlement en 1557, Antoine du Bourg, fils de l'ancien chancelier sous François Ier. Ils furent très énergiques dans la délibération, demandèrent qu'un délai de six mois fin accordé aux réformés pour se convertir, avec peine de bannissement s'ils persévéraient ; ils attaquèrent très rudement les abus de l'Église et réclamèrent un concile. Le débat prenait une grande ampleur. Alors le Premier Président, Gilles Le Maitre, et un président à mortier, Minard, prévinrent le cardinal de Lorraine et le connétable, qui remontrèrent au Roi les dangers d'une pareille discussion. Le 10 juin, Henri II, accompagné des cardinaux de Lorraine et de Guise, du connétable, de François de Guise, du Garde des sceaux, entra dans la salle où siégeait la Cour[60] et ordonna que la délibération continuât. Viole et du Faur demandèrent la réunion d'un concile et la suspension des poursuites contre les réformés. Le conseiller du Bourg, nourri en l'Église de Dieu, parla très haut et très ferme, déclara qu'il plaidait la cause de Jésus-Christ., et protesta contre les supplices. Ce n'est pas chose de petite conséquence, s'écria-t-il, que de condamner ceux qui, au milieu des flammes, invoquent le nom de Jésus-Christ. Alors, le Roi se leva brusquement et, après avoir conféré avec les cardinaux, ordonna d'arrêter du Bourg et du Faur, puis, sur des informations qui lui furent données, les conseillers Fumée et de La Porte, qui furent conduits à la Bastille. D'autres se sauvèrent ; quelques-uns se soumirent. Ainsi la cour du Parlement perdit à ce coup son autorité et, quand une fois la persécution eut commencé par ce bout-là, ce ne fut pas pour un peu. L'arrestation des conseillers du Parlement était un véritable coup d'État et le commencement d'une politique. Venant presque immédiatement après la paix signée, et alors que Philippe II épousait une fille de France, elle manifestait une intention irréductible d'essayer contre l'hérésie un combat décisif, après tous ceux qu'on avait tentés. Les réformés avaient bien le sentiment que la conclusion de la paix aurait pour résultat un grand effort contre l'hérésie. On écrivait à Calvin, en août et septembre 1558, c'est-à-dire au moment où les négociations officieuses commençaient à s'engager : Si le Roi traite, il tournera toute sa puissance contre les protestants, et lui-même ne le dissimule pas. Il s'attachera à la guerre contre les luthériens pour en anéantir la race et le nom. Un peu plus tard, au moment des fêtes célébrées pour le mariage d'Élisabeth et de Marguerite de France, le pasteur Macar écrivait à Calvin, le 29 juin, la veille même de la blessure du Roi : Une trêve nous semble être accordée jusqu'au 10 juillet, jour du mariage de Savoie ; alors le Roi se retournera contre nous de toutes ses forces. Il a une longue liste de noms des diverses classes de la société ; néanmoins il ne les attaquera pas tous à la fois, mais brisant l'un après l'autre, il débarrassera en peu de temps la France, si les dieux (sic) le permettent, de la secte des luthériens. A la même date, le jésuite Canisius invoquait le saint zèle des rois de France et d'Espagne contre les hérétiques[61]. Morel parlait des menaces du Roi, d'espions répandus partout, d'une délibération du parlement de Rouen, confirmée par un édit, mettant les protestants hors la loi et permettant de les tuer impunément. Il parait que cette idée courait parmi le populaire lui-même et qu'on sentait, dans les faits qui se déroulaient ou qui se préparaient, l'action du cardinal de Lorraine et de Granvelle. Pasquier, bien informé, puisqu'il était à ce moment avocat au Parlement, raconte que le cardinal de Lorraine déclara en pleine Cour que le Roi avait voulu faire la paix à tout prix, pour de là en avant vaquer plus à son aise à l'extermination et bannissement de l'hérésie de Calvin[62]. Calvin écrit : La rage et cruauté
est grande contre toute la pauvre Église, les menaces sont terribles, les
appareils sont tels qu'il semble bien que tout doive estre perdu ; on
prétendait qu'Henri II manifestait à l'égard de Genève des intentions très
hostiles et que Paul IV prêchait contre elle une croisade. Quant à Henri II, il avait fait savoir longtemps avant, le 13 février 1557, à M. de Selve, son ambassadeur à Rome, que, sur le conseil du cardinal Caraffa, il avait projeté d'établir l'Inquisition dans le royaume, pour estre le vray moyen d'extirper la racine des erreurs, et que les États du royaume s'y étaient opposés. Mais il reprenait le projet sous une forme déguisée, en demandant au Pape un bref adressé à l'un des cardinaux français, lui donnant pouvoir de désigner des évêques ou des docteurs en théologie, qui joueraient le rôle d'inquisiteurs en France, sous l'autorité du Saint-Siège. Enfin, dans une lettre du 3 juillet 1559, après avoir fait connaître à son ambassadeur à Rome l'arrestation des membres du Parlement, Henri II ajoutait : Et j'espère bien, puisque Dieu m'a donné la paix, d'employer le temps et ce que j'aurai de force en main à faire punir, chastier et extirper tous ceux qui se trouveront imitateurs de ces nouvelles doctrines, sans y espargner personne, de quelque qualité ou dignité qu'ils soient ; en sorte que j'en purgerai mon royaume, s'il est au monde possible. Ce que vous pourrez faire entendre, si vous vous trouvez à propos, à nostre dit Saint-Père, et ailleurs où besoin sera. C'était, avec plus de force encore et avec une décision plus froide, la répétition de ce qu'il écrivait à de Selve en 1557 : A quoi (à l'extirpation de l'hérésie), je veux tenir la main et m'employer ardemment, comme celuy qui ne désire autre chose en ce monde que de voir mon peuple net et exempt d'une telle dangereuse peste et vermine que sont les dites hérésies. D'autre part, le cardinal de Tournon, qui était alors en Italie, adressait, le 9 juillet 1559, des félicitations au Roi pour la sainte œuvre qu'il avait accomplie, estimant, Sire, que tant plus les personnages sont en magistrature et autorité, tant moins l'on doit avoir égard à eux pour les chastier et punir s'ils tombent et se laissent aller en ces nouvelles doctrines. Il insistait sur la nécessité des châtiments, dévoilait les prétendus calculs des réformés, qui ne demandaient un concile que pour ne pas l'obtenir. Sire, ajoutait-il, chacun espère et présume que Votre Majesté n'a pas fait un si beau et si saint commencement pour ne le parachever comme il se doit. Et il faisait observer que le Roi catholique venait, lui aussi, de faire en Espagne de grandes exécutions d'hérétiques, sans avoir égard au rang des suspects. Au moment où cette lettre était écrite, Henri II se mourait. A l'occasion du double mariage d'Élisabeth et de Marguerite, de grandes fêtes furent célébrées, et un tournoi fut couru pendant trois jours dans la rue Saint-Antoine, qu'on avait dépavée pour la circonstance, devant l'hôtel des Tournelles. Le dernier jour, le 30 juin, le Roi, après avoir jouté contre le duc de Savoie, le duc de Guise et le jeune comte de Montgommery, exigea une quatrième joute contre ce dernier, qui avait eu sur lui un léger avantage. Au premier choc, la lance de Montgommery fut brisée et le tronçon, glissant sur l'armure, pénétra à travers la visière du casque jusqu'à la tempe gauche du Roi, qu'il perfora. Relevé tout sanglant, Henri fut conduit dans sa chambre du palais des Tournelles et la plaie fut pansée. On ne crut pas d'abord à un danger mortel ; le Roi avait assez bien reposé, les pansements s'étaient faits régulièrement. Néanmoins les imaginations étaient très frappées ; on citait des prédictions sinistres[63] ; les calvinistes voyaient dans la blessure du Roi un châtiment de Dieu, vengeant l'arrestation de du Bourg et des conseillers réformés. Le 1er juillet, un ministre écrivait à Calvin qu'on saurait dans quelques jours si le Roi avait quelque chance de guérir, et il ajoutait : Les jugements de Dieu sont un profond abîme, qui cependant s'éclaire parfois d'une lumière plus éclatante que celle du soleil. La tempête terrible de la persécution, qui avait bouleversé tout ce royaume, sans épargner presque aucune ville ou bourg, va s'apaiser peut-être par ce coup de la Providence[64]. Assez vite, l'état du Roi empira ; le célèbre chirurgien Vesale, envoyé de Bruxelles par Philippe II, était auprès de lui, avec Ambroise Paré, avec les chirurgiens et les médecins de la Cour, mais ils ne pouvaient rien contre la purulence de la plaie profonde, remplie d'échardes et d'éclats de bois, ni contre une fièvre intense ; le délire était la preuve d'une lésion intérieure. La Cour était agitée, des intrigues se nouaient, des revanches se préparaient mystérieusement ; les Guise sentaient venir leur règne, avec le jeune François, marié à leur nièce Marie Stuart. Le 8 juillet, le mariage de Marguerite avec Emmanuel-Philibert de Savoie fut célébré à minuit, devant une morne assistance. Deux jours après, le 10 juillet, à une heure après midi, le Roi expirait. Ses dernières paroles auraient été : Que mon peuple persiste et demeure ferme en la foy en laquelle je meurs. Jamais, au contraire, la foy en laquelle mourait le Roi n'avait été plus menacée. Organisé en Églises reliées les unes aux autres par des synodes, constitué sur le principe d'autorité, fortifié par l'adhésion de nobles et de grands seigneurs, dont quelques-uns participent aux affaires de l'État et à la direction du gouvernement, disposant de ressources d'argent et d'hommes, le calvinisme est une force et presque une puissance. Ses adversaires catholiques ont à combattre en lui, non plus des individus, mais un corps. Ainsi, dans la Réforme, toutes sortes d'intérêts profanes se mêlent à la pensée religieuse qui seule l'animait jadis ; elle perd son charme mystique, la ferveur communicative de sa piété, qui n'était qu'un élan de l'âme vers le divin indéfini ; elle devient sèche dans son dogmatisme trop précisé. Elle suit moins la religion de l'Évangile, de la loy nouvelle, qui annonce la suprême bonté de Dieu, comme le disaient Marguerite de Navarre et Calvin lui-même, que celle de la Bible, de la dure loy qui menace. Elle répond à la persécution, non plus par l'héroïsme touchant et admirable de martyrs qui se sacrifient pour leur foi, mais par l'enthousiasme de fidèles armés pour le triomphe de leur religion et de leur parti. Henri II était à peine mort que ce protestantisme nouveau apparut au grand jour des événements. |
[1] Il existait quelques églises en France avant cette date, nous l'avons dit, mais elles n'étaient qu'à l'état d'exceptions.
[2] Ant. de Chandieu, Histoire des persécutions et martyrs de l'Église de Paris, depuis l'an 1557, Lyon, 1583. Félibien, IV, p. 768, entre 1555-1556. Crespin, ouvrage cité, f° 468. Ath. Coquerel fils, Précis de l'histoire de l'Église réformée de Paris, 1882 (nombreux documents en appendice).
[3] Lettre de Calvin, janvier 1558.
[4] C'est en 1559.
[5] Dépourvu de raison ; du latin stolidus.
[6] Weiss, Lieux d'assemblées huguenotes à Paris avant l'édit de Nantes, 1524-1528, Bull. de la Soc. de l'histoire du protestantisme français, t. XLVIII, 1899.
[7] Aujourd'hui rue Visconti, entre la rue de Seine et la rue Bonaparte.
[8] Place de la Sorbonne actuelle.
[9] Près de l'École polytechnique.
[10] Rue de l'Hôtel-de-Ville.
[11] Rue de Crimée, n° 93.
[12] Le collège du Plessis donnait sur la rue Saint-Jacques, à l'endroit où se trouvent aujourd'hui les bâtiments du lycée Louis-le-Grand, vers la rue du Cimetière-Saint-Benoit ; la maison de Berthomier était en face : probablement une de celles qui subsistèrent jusqu'à l'achèvement de la nouvelle Sorbonne.
[13] Du Boullay, VI, p. 523.
[14] En 1559, encore, il est question d'assemblées illicites tenues rue d'Amboise, près de la place Maubert, et au collège de la Merci, ainsi que de prédications faites par un pasteur venu de Genève.
[15] Il y a dans le dernier tome de la France protestante (pièce justificative n° XVIII) une liste des églises par provinces, mais elle s'applique à l'année 1562, et ne donne qu'une partie des églises fondées entre 1555 et 1560. Les ouvrages et les documents publiés depuis 1858 permettent de la compléter sur certains points. — Nous suivons ici le même ordre que pour l'expansion du Calvinisme.
[16] Recordon, Le protestantisme en Champagne, I, 1863.
[17] B. Mercier de Lacombe, Orléans au temps des guerres de religion, Posit. des thèses de l'École des Chartes, 1899.
[18] Dupin de Saint-André, Les pasteurs et les membres de l'Église réformée de Tours, Bull. de la Société de l'histoire du protestantisme français, t. XLIV, 1895.
[19] L. Bastide, La Réforme dans les environs de Patay, Bull. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, t. XLVIII, 1899.
[20] Il est au moins très probable que la lettre en question était en effet adressée à l'Église de Poitiers. Bonnet, ouvrage cité, t. II, p. 10 ; Calvini opera, t. XV, p. 435, 436.
[21] Bullet. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, t. XXII, 1873. Lièvre, Histoire des protestants du Poitou. Eug. Arnaud, Le Synode général de Poitiers en 1557, 1872.
[22] De Richemond, Anciennes églises et lieux de culte des réformés à la Rochelle, Bull. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, t. XLIV, 1895.
[23] Histoire ecclésiastique de la Bretagne depuis la réformation... par Philippe le Noir, 1683, publiée par Vaurigaud, 1851.
[24] Crespin, ouvrage cité, f° 428. Gaullieur, ouvrage cité, p. 144, 145.
[25] Tessier, Listes de pasteurs de Nérac, Bull. de la Société de l'hist. du protestantisme français, t. XLVIII, 1899.
[26] Weiss, Quelques épisodes de la Réforme à Saintes et en Saintonge, Bull. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, t. XLII, 1893. H. Patry, Un mandat d'amener du Parlement de Guyenne contre Bernard Palissy..., 1558, Bull. de la Soc. de l'hist. du protestantisme, t. LI, 1902.
[27] Cependant, il semble que celle de Nîmes n'ait été vraiment constituée qu'en 1659, par Guillaume Mauget, délégué par le consistoire de Genève ; il est vrai qu'il s'empara du Capitole le 29 septembre, ce qui montre de quels moyens il disposait. Hist. du Languedoc, XII, 76.
[28] Arnaud, ouvrage cité.
[29] Weiss, La fondation de l'Église de Grenoble, d'après une lettre inédite du 16 octobre 1661, Bull. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, t. XL, 1891. Arnaud, ouvrage cité.
[30] F. Naef, La Réforme en Bourgogne, 1901.
[31] Buisson, Sébastien Castellion, 219, n. 1.
[32] A propos d'une discussion sur le libre arbitre et la prédestination, Calvin écrit, parlant de Castellion : Est-ce la fatalité ou ta libre volonté qui te poussait, quand, dans ces dernières années, tu avais une gaffe à la main, pour enlever le bois dont tu voulais chauffer te maison ? Tu auras beau parler de la fatalité : il est constant — et cela suffit pour ta juste condamnation — que, le sachant et le voulant, tu te fis au détriment d'autrui un gain honteux et criminel. La chose était très simple : Castellion, habitant à Bâle sur les bords du Rhin, prenait au passage les bûches flottantes, ce qui était parfaitement autorisé. Buisson, Sébastien Castellion, p. 249.
[33] Sur l'état de la question et l'opinion d'une grande partie des protestants d'aujourd'hui, relativement au supplice de Servet, voir plusieurs articles dans le Bullet. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, t. LIII, 1903. Un monument a été élevé à Genève en souvenir de Servet, et inauguré le 22 octobre 1903, date anniversaire de l'exécution.
[34] Chose curieuse, ce mot de nez de cire est emprunté aux catholiques, qui s'indignent qu'on puisse tirer à soi l'Écriture, comme on fait d'un nez de cire (in quamvis interpretationem flectere). Berger, La Bible au XVIe siècle, 1879, p. 153, 154.
[35] Il n'admet pas même la discussion sur les personnes. Si Castellion attaque certains ministres de Genève : C'est de la sorte qu'ont débuté tous les schismatiques, dit Calvin... à commencer par lui.
[36] Voir Buisson, Sébastien Castellion, p. 201.
[37] Voir cependant Weiss, Les premières professions de foi des protestants français (Bull. de la Soc. d'hist. du protest., t. XLIII, 1894).
[38] Nous insérerons icy pour préface (aux persécutions) la remontrance et requeste présentée au roy Henri deuxième, divulguée puis après. Martyrs, f° 488.
[39] Cette propension constante à retrouver dans les événements humains grands ou petits l'effet de la vengeance divine est un état d'esprit tout biblique, plus développé chez les protestants que chez les catholiques : Avez-vous jamais entendu comme feu Poncher, archevesque de Tours, poursuyvant l'érection d'une chambre ardente, fut bruslé du feu de Dieu, qui luy commença au talon et, se faisant couper un membre après l'autre, mourut misérablement sans qu'on pût jamais trouver la cause ? Suivent une foule d'exemples identiques : Duprat, le premier persécuteur des réformés, qui mourut jurant et despitant Dieu, et fust trouvé son estomach perse et rongé des vers ; Jean Rusé qui, venant de faire un rapport au Parlement contre les fidèles, fut pris du feu au petit ventre... dont misérablement il mourut, bruslant par tout le ventre, sans monstrer aucun signe de reconnoistre Dieu.
[40] Pour réclamer la liberté, ils invoquaient, entre autres arguments, celui-ci : Considéré aussi que les Juifs sont soufferts par toute la chrestienté, encores qu'ils soyent ennemis mortels de nostre Seigneur Jésus-Christ, que nous tenons d'un commun accord et consentement pour nostre Dieu rédempteur et sauveur.
[41] Un docteur déclarait que les protestants étaient hérétiques, puisque la Sorbonne les avait décrétés tels et, sans autre discussion, proclamait qu'il les fallait brûler. Ceneau, évêque d'Avranches, énumérant les signes extérieurs de la vraie Église, les découvrait dans les cloches, tandis que les églises protestantes avaient pour signes visibles les arquebuses : les cloches sonnent, les arquebuses tonnent ; celles-là ouvrent les cieux, celles-ci les enfers. L'antithèse se poursuivait par des lieux communs du même ordre. Le passage se retrouve en effet dans les œuvres de Ceneau et montre que Crespin n'exagère pas. Voir A. Bernard, De vita et operibus Roberti Cenalis (thèse de la Faculté de Pa ris), 1901.
[42] H. Dieterlen, Le synode général de Paris, 1559 (thèse de la Faculté de théologie protestante de Montauban), 1873.
[43] Il a semblé utile d'ajouter quelques articles à votre Confession, et d'en modifier seulement quelques points. Qu'est-ce que cette Confession de Calvin ? C'est tout simplement celle de 1557 adressée au Roi ; les ressemblances entre les deux textes sont grandes. Seulement Calvin est plus court.
[44] Sur la question de texte, voir Corpus reformatorum. Opera Calvini, t. IX (Prolegomena) ; Karl Muller (ouvrage cité), p. XXXIII, et Histoire ecclésiastique (éd. Baum et Cunitz), I, p. 201.
[45] Sur ce point, voir Jacques Pannier, Le témoignage du Saint-Esprit (thèse de la Faculté de théologie protestante de Paris), 1893. Sam. Berger, La Bible au XVIe siècle, étude sur les origines de la critique biblique, 1879.
[46] Voir, par exemple, les arrêts de la Chambre ardente.
[47] Hauser, Documents sur la Réforme en Auvergne, article cité. Hauser, La Réforme et les classes populaires en France au XVIe siècle, Revue d'hist. mod. et contemp., t. I, 1899-1900.
[48] Rodocanachi, Renée de France, duchesse de Ferrare, 1896.
[49] De Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, 1881, t. I, p. 220 et suiv.
[50] De Ruble dit que ce serait en 1557.
[51] Bonnet, ouvrage cité, t. II, p. 164, note.
[52] Bonnet, ouvrage cité, t. II, p. 167.
[53] Le doute sur l'exactitude des témoignages peut venir de cette observation. Si d'Andelot avait réellement fait prêcher en Bretagne, au printemps de 1558, on n'aurait pas eu besoin d'attendre la dénonciation de Granvelle pour le compromettre auprès du Roi.
[54] H. Patry, Coligny et la Papauté en 1556-1557, Bullet. de la Soc. de l'hist. du protestantisme français, 1902. Erich Marcks, Gaspard von Coligny, 1892, pp. 88 et ss.
[55] Bonnet, II, 264, note.
[56] Au témoignage d'Hotman, Vie de Coligny, trad. fr., éd. de 1665, p. 21, cité dans Delaborde, Gaspard de Coligny, t. I, p. 315.
[57] Hauser, La Réforme en Auvergne, art. cité.
[58] Weiss, Les Rochelais d'autrefois devant le tribunal impartial de l'histoire. L'hérésie roche-taise devant le Parlement, article cité.
[59] On appelait mercuriales des assemblées non publiques de la Cour, pour discuter des questions de discipline intérieure. Le nom venait de ce que ces assemblées se tenaient le mercredi (Mercurii dies).
[60] C'était alors aux Augustins, parce qu'on préparait le Palais pour les fêtes du mariage de Madame Élisabeth et de Madame Marguerite.
[61] Lettre du 1er juillet. Speramo che piu se movera (il espère que l'empereur Maximilien agira plus énergiquement), vedendo II Santo Zelo deli Re di Hespagna et Franze contro li medesimi. Beati Petri Canisii, Societatis Jesu, Epistulæ et Acta, t. II, 1898.
[62] Cité par Delaborde, I, 368.
[63] Nostradamus avait écrit (centurie 1, n° 35) :
Le lion jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duel ;
Dans cage d'or les yeux lui crèvera,
Deux playes une, puis mourir mort cruelle.
Le lion jeune, c'était Montgommery ; la cage d'or, le casque doré.
[64] La lettre est en latin.