I. — LIGUE DE COGNAC. FRANÇOIS Ier ne quitta l'Espagne que le 17 mars, après avoir été échangé contre ses enfants sur la Bidassoa même. Il courut tout d'une traite jusqu'à Bayonne, où sa mère l'attendait, accompagnée des princes, grands seigneurs, prélats et dames de la Cour. On lui donna tous les passe-temps que possible, pour luy oster mélancolie, fascherie, et s'adonna dès lors à mettre le bon ordre partout. Le bon ordre consista d'abord à distribuer à ses amis les charges laissées vacantes par les morts de Pavie. Ce fut tout un renouvellement de personnel : Montmorency eut la Grande-Maîtrise de la maison royale et le gouvernement du Languedoc ; Brion devint gouverneur et lieutenant général en Bourgogne et amiral de France ; Saint-Pol, gouverneur du Dauphiné ; Louis de Brézé, de Normandie ; les compagnies d'ordonnances furent partagées entre les courtisans. François Pie resta longtemps à Bayonne, puis à
Saint-Germain, sans entrer dedans Paris, nonobstant
qu'il en eust approché, car il était fort courroucé contre les
Parisiens, à cause de l'opposition qu'ils avaient faite à la Régente[2] ; il fit même
arrêter quelques-uns des plus compromis, parmi eux, le pénitencier de
Notre-Dame, un avocat au Parlement, le prévôt des marchands. Tout cela parut chose assez estrange à ouyr. Le 13
avril 1397, on emprisonna encore quatre bourgeois, parce
que le Roy estant ès Espaignes prisonnier, eulx avec plusieurs aultres
tindrent en leur opinion qu'il ne convenoit que les bourgeois de Paris se
obligeassent (se portassent cautions) chacun en particulier de quelques grosses sommes à quoy
madame la Régente avait composé avec les Anglais. François Ier était bien résolu à ne pas observer le traité de Madrid. Le 13 janvier 1526, deux ou trois heures avant que les commissaires de l'Empereur vinssent lui apporter l'instrument de la paix, il avait fait rédiger une protestation[3] contre les clauses qu'il allait signer. Après avoir exigé de tous ceux qui l'entouraient le serment de tenir secret et de ne réveller jamais à personne ce que par ledit seigneur leur seroit dit cy-après, il avait déclaré que tout ce qui est convenu en iceluy traité sera et demeurera nul et de nul effect, en ajoutant que, pour mettre Dieu et justice de son côté, il estoit prest à faire ce qu'un Roy prisonnier de bonne guerre peut et doit faire, c'est-à-dire à payer rançon. Il justifiait sa conduite par les mauvais traitements qu'il avait subis, par sa longue maladie, par le fait qu'il était en état de captivité au moment du traité et qu'on exigeait de lui des otages en même temps qu'un serment — ce qui s'excluait — et il rappelait que le roi Jean, prisonnier des Anglais, n'avait payé qu'une rançon[4] ; enfin il proclamait qu'il n'était pas en droit d'aliéner la Bourgogne, sans le consentement des États de la province. Rentré en France, il commença cependant par temporiser. Il seroit bien marry, disait-il, que l'on pensast que en test affaire voulaist user de longueur et de dissimulation, laquelle ne luy pourroit servir de riens ne proffiter. Mais il demandait qu'on tint secrète encore pendant quelque temps la cession de la Bourgogne, sous prétexte qu'il avait besoin de préparer l'opinion à accepter cette clause. Lannoy, qui se sentait plus que personne responsable de la signature du traité et de la délivrance du Roi, vit assez tôt quel tour prendraient les choses. Le 7 avril déjà, il écrivait à l'Empereur que le roi de France prenoit délay à faire ce à quoi il est tenu ; et, le 16 mai, qu'il n'y avoit apparence qu'on rendît la Bourgogne. Pleust à Dieu, ajoutait-il, que je ne m'en fusse jamais mêlé. Il essaya, en juin 1526, de s'emparer du comté d'Auxonne, considéré comme dépendance de la Bourgogne. Mais, quand il y pénétra avec 500 chevaux et une assez nombreuse infanterie, il trouva la noblesse en armes et toute disposée à combattre ; il n'eut que le temps de décamper, non sans courir le risque d'être fait prisonnier au cours de sa retraite. De toutes parts venaient au Roi des encouragements à ne pas exécuter le traité de Madrid. Henri VIII et Wolsey lui faisaient dire qu'une alliance était nécessaire contre ceux dont la tyrannie et l'orgueil ne reculent devant rien ; les Italiens et le Pape étaient dans les mêmes dispositions[5] ; des princes allemands exprimaient les mêmes sentiments. Ce n'était point par sympathie pour la France. Mais tous, grands et petits, les petits surtout, comprenaient que le triomphe de Charles serait la ruine de leur indépendance. Ainsi commençait pour la France un rôle, qui lui fut d'abord imposé par les circonstances et dont elle fit un peu plus tard une politique consciente et raisonnée. Presque immédiatement après sa délivrance, le Roi avait affirmé à Clément VII et aux Vénitiens son intention de défendre la liberté de l'Italie, pourvu que les Italiens voulussent bien ne pas se manquer à eux-mêmes. Les princes de la Péninsule étaient restés fort défiants, tant que le Roi était prisonnier ; ils ne se dissimulaient pas que Madame, sous apparence de s'allier avec eux, cherchait tout simplement à obtenir la paix, en inquiétant Charles. Il semble en vérité que les Français nous tiennent pour des sots, disait un de leurs ambassadeurs ; ils pensent peut-être que nous nous livrerons à eux sur la seule garantie de leur bonne foi, afin de leur faire obtenir de l'Empereur des conditions moins onéreuses. Et il ajoutait : Au reste, ce serait vouloir l'impossible que d'attendre des Français qu'ils se gouvernent avec quelque sagesse. Ce sont des mots qui reviennent souvent, lorsque les Italiens parlent de François Ier, ce qui ne les empêchait pas de rechercher sans cesse son alliance ; ils ne pouvaient en effet s'en passer, si peu qu'elle valût à leurs yeux. Avec le roi d'Angleterre, François Ier commença par manifester sa reconnaissance : C'est à lui, après Dieu, que je rends grâce de ma liberté. Il a fait, pendant que j'étais prisonnier, un acte qui lui vaudra un renom éternel et qui obligera à jamais moi et les miens à lui rendre service ; puis il ratifia, le 15 avril, le traité de Moore. A Cognac, il reçut des députés de la Bourgogne, qui déclarèrent que l'engagement pris envers Charles-Quint était nul, puisque le serment prêté par les Rois au moment du sacre leur interdisait d'aliéner aucune partie du domaine. Ils proclamèrent leur ferme volonté de rester Français. C'est aussi à Cognac que François Ier, le Pape, les Vénitiens et divers princes italiens conclurent, le 22 mai, un traité de confédération, pour mettre fin aux guerres qui désolaient la Chrétienté, en réalité, pour régler les affaires d'Italie et dégager François le r des obligations contractées à Madrid. Les Italiens devaient entretenir dans la Péninsule une armée de 30.000 piétons, 2.500 hommes d'armes, 3.000 chevau-légers, armer dans la Méditerranée une flotte de seize galères ; François Ier promettait de l'argent, une armée, douze galères ; Asti revenait à la France ainsi que la suzeraineté de Gènes ; Milan restait à Sforza. Naples serait enlevée à l'Empereur, s'il persistait, avant ou après la guerre, à maintenir sous sa dépendance l'Italie septentrionale. Les Italiens s'engageaient à réclamer de lui la mise en liberté des Enfants de France contre rançon ou bien à fournir au Roi un secours de troupes pour l'obtenir, les armes à la main. Non seulement la Ligue était ouverte au roi d'Angleterre, conservateur de la très sainte alliance, mais on déclarait qu'elle avait été conclue sur sa promesse d'en être le protecteur et même le principal contractant. Ainsi la politique impériale se heurtait à toutes sortes d'obstacles, à la résistance de l'Europe autant que de François Ier. Après le traité de Madrid, Charles comptait réaliser deux des projets qui lui tenaient le plus au cœur : se faire couronner en Italie et rétablir en Allemagne l'ordre politique et religieux. Viendrait ensuite la guerre contre les Ottomans. Il fut bien vite réduit à ne rien entreprendre[6]. En effet, il était prodigieusement dénué d'argent ; le Pape se refusait à l'idée du couronnement ; le Sultan commençait une guerre qui s'annonçait comme terrible, et envahissait la Hongrie, vrai boulevard de l'Allemagne. Loin d'abolir l'hérésie, Charles dut faire aux luthériens de grandes concessions, sans même obtenir d'eux une promesse de secours contre Soliman. Quand le jeune roi Louis, à la tête des troupes hongroises, eut été vaincu et tué à Mohacz (août 1526), cet effroyable désastre ne fit que susciter des compétiteurs aux trônes de Hongrie et de Bohème, en ouvrant la voie aux ambitions de la maison d'Autriche, et la Chrétienté, en tant que Chrétienté, y resta presque insensible. II. — GUERRE EN ITALIE. MALGRÉ le peu d'empressement d'Henri VIII à donner son adhésion, les Italiens engagèrent presque immédiatement les hostilités. C'est qu'il y avait chez eux, avec un ardent amour de liberté, un âpre désir de vengeance contre les soldats impériaux, haïs à ce point qu'en pleine paix, des paysans du Piémont attaquèrent et massacrèrent toute une compagnie de cavaliers. Clément VII était vibrant d'enthousiasme : Il n'est possible de veoir homme plus content ne plus délibéré qu'est le Pape, qui s'est levé le masque tout et oultre, de quoy tant de gens sont esbahis. Mais les hostilités furent menées trop lentement par les confédérés de la Péninsule. Après avoir pris Lodi, le 24 juin 1526, ils marchèrent trop tard sur Milan, où Bourbon eut le temps d'amener des renforts, et ils n'osèrent l'attaquer. Et puis, ni Henri VIII ni François Ier n'agissaient. Que voulez-vous que je fasse, écrivait Clément VII à Montmorency, n'ayant moyen de trouver argent, à cause du retardement de ce que du costé du Roy se debvoit faire, touchant les choses accordées pour la Ligue ? De fait, il était abandonné par François Ier et, malgré les efforts de du Bellay pour le maintenir dans l'alliance française, il fut réduit à signer une première convention avec les Espagnols. Mais il était entouré d'ennemis dans l'État romain même, et ces ennemis s'entendaient avec Charles[7]. Dans la nuit du 19 au 20 septembre 1526, les Colonna entrèrent à Rome par surprise, plantèrent dans les rues l'aigle impériale, et firent le cry de par l'Empereur. Ce fut comme un essai de l'entreprise que Bourbon allait réaliser huit mois plus tard. Clément VII, réfugié au château Saint-Ange, signa une trêve avec Hugues de Moncade, un des généraux de Charles, qui s'était empressé d'aller soutenir les Colonna. Les autres confédérés de Cognac protestèrent faiblement contre l'attentat. Charles-Quint manifesta dans une lettre officielle son grand déplaisir de ce qui s'était passé à Rome, mais ne se fit pas faute d'en tirer profit. Et, comme le Pape avait désavoué la trêve et que les hostilités reprenaient dans toute l'Italie, il envoya dans la Péninsule un renfort de 10.000 hommes, placés sous le commandement de Lannoy, pendant que son frère Ferdinand y lançait Frondsberg avec des lansquenets allemands. Il s'assura l'alliance du duc de Ferrare, qu'il nomma généralissime de son armée, et prodigua les promesses au duc de Bourbon pour le retenir à son service. Acciajuoli, qui représentait en France le gouvernement florentin, adressait au Roi les instances les plus pressantes pour le pousser à agir : il s'était produit, disait-il, des événements capables de suffoquer l'Italie, mortels pour le pape, mortalissimes pour Florence. Il faut donc que le Roi envoie un personnage d'importance : Guise, Vendôme, ou mieux qu'il vienne lui-même. Mais François Ier était à la chasse et ne reçut un moment Acciajuoli que pour lui donner de belles paroles et repartir avec ses courtisans. En réalité, c'était de sa part calcul autant qu'insouciance : il voulait se servir des Italiens pour affaiblir l'Empereur, sans engager ses propres forces et ses ressources, et il comptait arriver ainsi à traiter séparément avec Charles. La ligue de Cognac était faite bien moins pour la délivrance de l'Italie que pour celle des Enfants de France. Et alors qu'il écrivait : Nous sommes décidés, le roi mon frère (Henri VIII) et moi, à faire à l'Empereur une guerre dont vous vous émerveillerez bientôt, il n'envoya ni hommes ni argent. Cependant la situation était désespérée en Italie. Le Pape flottait de l'alliance française à l'alliance impériale, signait des traités qu'il désavouait presque dès le lendemain. Le connétable de Bourbon avait quitté Milan avec les troupes impériales et les Allemands de Frondsberg, en février 1527, et il marchait vers le Sud ; les Espagnols de Naples menaçaient l'État romain. Le Pape, après avoir à plusieurs reprises traité, puis retiré sa parole, conclut en hâte un accord avec le représentant de l'Empereur, le 16 mars 1527. Il était trop tard. Bourbon, exaspéré par le sentiment même qu'il avait de la fausseté de sa situation, n'était d'ailleurs plus maitre de ses soldats, surtout des Allemands de Frondsberg, presque tous luthériens et enflammés de haine contre le Souverain Pontife. L'armée s'avançait le long des Apennins, n'ayant devant elle que quelques troupes pontificales commandées par le marquis de Saluces, et suivie, mais de très loin, par les Vénitiens et le duc d'Urbin. Lorsque les soldats apprirent l'accord signé par le Pape avec Lannoy, ils n'en voulurent tenir aucun compte ; ils s'ameutèrent, furieux comme des lions, déclarant qu'ils voulaient pousser en avant et, laissant de côté Florence, que couvraient les troupes de la Ligue, ils se dirigèrent à marches forcées sur Rome. Le Pape avait perdu l'esprit ; tout en renouant, le 25 avril, avec la coalition, il n'avait pris aucune mesure de défense. Arrivé le 5 mai devant les murs de Rome, Bourbon se précipita le lendemain à l'assaut. Il fut tué d'un coup d'arquebuse, mais ses troupes emportèrent les retranchements, se répandirent dans la ville, y commirent pendant plus de huit jours d'horribles excès, l'occupèrent pendant plus de neuf mois et la laissèrent ravagée et ruinée pour plus de dix ans. Le Pape avait réussi à s'enfuir au château Saint-Ange, où il resta prisonnier ; il traita en novembre avec les ministres de l'Empereur[8]. Officiellement, Charles déplora la prise et le sac de Rome ; il le déclara dans un manifeste adressé aux princes de l'Empire, qui fut multiplié à un grand nombre d'exemplaires. Pourtant, alors qu'il savait la marche de Bourbon sur Rome, il prévoyait dans une lettre au Connétable la prise de la ville[9] ; mais certainement il n'avait jamais fait entrer dans ses calculs les horreurs du sac et du pillage. Du reste, sa situation restait fort difficile. Son général Antoine de Leiva lui adressait des lettres découragées : Il n'y a même aucun de mes amis ni de mes parents qui aient de la confiance en moi pour me donner de l'argent, parce qu'ils n'ont pas esté paiez de ce qu'ils m'avoient presté. Le crédit est perdu pour tout le monde. Votre Majesté se fie sur son bonheur et elle a raison, mais aussi il seroit bon de l'aider et de faire attention que Dieu ne fait pas chaque jour des miracles. Il conseillait à Charles de s'accorder avec François Ier, ce qui le rendrait maître en peu de temps de toute l'Italie et lui permettrait de la châtier. Pendant que ces événements se passaient, François Ier et Henri VIII n'avaient pas cessé de négocier ensemble. François Ier subordonnait son activité politique et militaire à l'alliance anglaise ; il avait envoyé, en février 1527, une ambassade extraordinaire à Henri VIII, et les deux souverains avaient conclu, en avril et mai, une paix perpétuelle. Mais en même temps qu'ils préparaient la guerre, ils ne s'abstenaient pas d'avoir des pourparlers avec Charles. En réalité, le Roi, soit qu'il fût vraiment malade, soit qu'il fût repris de sa paresse aux affaires, courait volontiers ses châteaux ou vivait à Saint-Germain, pour se donner le plaisir de la chasse ; la politique était surtout menée par Madame, par Duprat, par Montmorency, par Brion. A la fin de l'année 1527, on se crut un moment à la veille de conclure, car l'Empereur paraissait disposé à s'entendre avec les confédérés d'Italie et à renoncer à la Bourgogne. L'échec vint des méfiances réciproques entre les deux souverains. Charles disait qu'ayant été trompé une fois, il avait le droit de se méfier ; François pensait qu'ayant trompé Charles, il avait à craindre la réciproque. Il eut alors recours à une sorte de consultation nationale et convoqua non pas les États Généraux, qui auraient pu avoir des velléités de libre discussion, mais une assemblée de notables qui, le 16 décembre 1527, se réunit à Paris. Elle comprenait des cardinaux, des archevêques, des princes du sang, des grands seigneurs, des gentilshommes, des membres des divers parlements. Devant cet auditoire, le Roi se sentit à l'aise et donna cours à son éloquence, en exposant à son plus grand avantage les événements qui s'étaient passés depuis le début du règne. Il ne manqua pas de mettre ses échecs sur le compte de la fortune ou des fautes de ses serviteurs ; il fit un tableau pathétique de sa prison et termina en adjurant l'assemblée de le conseiller, en se déclarant prêt à retourner en Espagne pour le salut du royaume, et en demandant de l'argent, beaucoup d'argent, soit qu'il eût à payer la rançon de ses fils, soit qu'il fût obligé de poursuivre la guerre. Les notables se déclarèrent prêts à faire au Roi tout service et toute aide, en le remerciant de demander gracieusement là où il pouvoit commander. A la municipalité parisienne le Roi disait qu'il lui fallait entretenir une grosse armée, ou nous laisser à la discrétion du dict Empereur et autres nos adversaires ; que Charles faisait secrettement gros préparatifs pour entamer la guerre et passer par deçà par plusieurs lieux et endroits du royaume, ceste saison d'esté. Ce fut cependant lui qui déclara les hostilités, le 22 janvier 1528. Guyenne, roi d'armes de France, et Clarence, d'Angleterre, se rendirent à Burgos et se présentèrent devant Charles. Guyenne dit que le Roi Très Chrétien avait un merveilleux regret de persister dans son inimitié, alors qu'il désirait au contraire l'amitié de l'Empereur et offrait une fois de plus de payer une rançon pour la délivrance de ses enfants, seul différend qui subsistât actuellement. Vous voyez, ajoutait-il, le roy d'Angleterre et aussi les Vénéciens, Florentins et autres princes et potentats, tenir la partye du dit sieur Roy Très Chrestien, pourvu qu'ils voyent qu'il se mect à la raison (voulant dire par là qu'il offrait des conditions de paix acceptables) et que, à cause de ce que n'y voulez entendre, la paix universelle ne se peut faire, les ennemys de la foy gagnent pays, toute l'Ytalie est en armes, sang et rapines, le Siège apostolique troublé. L'Empereur répondit qu'il s'ébahissoit d'être défié par le roi de France, qui virtuellement était encore son prisonnier et lui avait engagé sa foi. Ce défi raviva en lui l'irritation qu'il avait conçue
contre François Ier à raison de son manque de parole. Il avait déjà manifesté
ses sentiments en septembre 1526, lorsqu'on lui avait proposé d'adhérer à la
ligue de Cognac. Il les exprima de nouveau très énergiquement et à deux
reprises à l'ambassadeur de France, à qui il écrivait, le 18 mars, que le dit Roy son maitre avait agi lâchement et
méchamment, en violant sa foi, et qu'il était prêt à le soutenir de sa personne à celle du Roy, ajoutant : Je vous escripz volontiers ce, signé de ma main. La
querelle montée à ce ton se prolongea de façon interminable. François Ier se
défendait en déclarant que tout homme gardé ne peut
avoir obligation de foi. Il écrivait à l'Empereur : Si avez voulu ou voulez nous charger, non pas de nostre
dite foy (manque de foi) et délivrance seulement, mais que nous ayons jamais fait
chose qu'un gentilhomme aimant son honneur ne doibt faire, nous disons que
vous en avez menti par la gorge. Mais Charles-Quint avait le beau
rôle, et la réplique était difficile au constant rappel qu'il faisait des
stipulations du traité de Madrid et de l'engagement si formel contracté alors
par son adversaire. Le duc de l'Infantado qu'il consultait lui répondait très
justement : La décision d'un tel différend ne doit
point être remise au sort des armes, mais dépend uniquement de l'existence et
de l'authenticité des traités faits, ainsi que de l'arbitrage des hommes de
science et d'honneur consultés sur ce point. Il est clair, en effet, qu'un
jugement sain suffit pour terminer la contestation, ce que les armes ne
sauraient faire. L'Empereur voulut rendre publics tous les détails de
la querelle et, le 5 juillet, il envoya à son frère copie des documents
relatifs aux cartels, en lui demandant de les faire imprimer et publier. Il
avait écrit à la plupart des souverains pour les faire juges en cette matière
d'honneur. François Ier entoura de tant de conditions préliminaires la réception du cartel envoyé par l'Empereur qu'en réalité il refusa de le recevoir. Encore au mois d'août 1528, les hérauts de France et d'Espagne couraient les routes de Burgos à Blois et de Blois à Burgos, porteurs imperturbables de défis tour à tour reçus et renvoyés. Pendant ce temps, la guerre avait recommencé. Lautrec, qui avait été envoyé en Italie, avait reconquis une fois de plus le Milanais, en 1527, et rétabli l'autorité du roi dans Gênes, puis il s'était porté sur le royaume de Naples par les Abruzzes, laissant de côté Rome, que les Impériaux abandonnèrent, en février 1528, pour aller défendre le Napolitain. Victorieuses dans toute la région orientale du royaume de Naples, les troupes françaises se portèrent sur Naples, la seule ville, avec Gaète, qui restât à l'Empereur. En avril et en mai, la ville fut investie, du côté de la terre par Lautrec, du côté de la mer par une flotte vénitienne et par une flotte génoise qu'André Doria avait mise au service de la France, en laissant le commandement à son neveu Filippino. En mai et en juin, Naples semblait arrivée aux dernières extrémités, bien que les opérations du siège fussent menées lentement. La ville fut sauvée par la défection d'André Doria. Le Roi ayant fortifié Savone, les Génois s'en montrèrent très irrités, craignant qu'il ne voulût aussi en faire une rivale commerciale contre eux. D'autre part, André Doria se plaignait de ne pas recevoir la solde promise pour l'entretien de la flotte, d'avoir été frustré de rançons qui lui étaient dues pour des prisonniers ; il réclamait le maintien des droits de Gènes sur Savone. Or les conseillers de François Ier ne surent pas se décider à sacrifier la situation de la France à Savone, et M. de Morette, qui y commandait, écrivait : Toutes foys, que ce ne sera que bon que ledit Seigneur les entretienne tousjours (les Génois) en belles parolles, sans aucunement leur accorder ledit Savone, veu qu'il n'y a telle place en Italye et qui luy soit de telle importance. Puis Montmorency et Duprat, très hautains, en usaient dédaigneusement avec Doria, et quand il demanda son congé au Roi, en avril, ils le prirent au mot, puis tergiversèrent, tour à tour lui faisant des promesses et les reprenant, en hommes qui n'avaient pas le sentiment exact de la situation. En effet, l'Empereur traita en juillet avec l'amiral, qui envoya à son neveu Filippino l'ordre de quitter Naples. Il eût mieux valu donner six Savone que de mécontenter Doria, disait le cardinal Wolsey. Alors ce fut dans l'armée de Lautrec un désastre, augmenté par l'impéritie ou l'imprévoyance des gouvernants de France. Une flotte de secours, que commandait Barbezieux, n'arriva dans le golfe de Naples que le 17 juillet ; elle amenait le prince de Navarre, avec si petit nombre de gens qu'il fut contrainct d'envoyer au camp de Lautrec quérir escorte pour le conduire. La mortalité parmi les assiégeants était telle que de vingt-cinq mille hommes de pied n'en demoura pas quatre mille qui pussent mettre la main aux armes, et de huict cens hommes d'armes n'en demoura pas cent[10]. Lautrec, à ce moment, se montra ferme capitaine et, tout en envoyant à Montmorency des messages désespérés ou irrités, il tint tête aux Espagnols ; mais, quand il fut mort dans la nuit du 15 au 16 août, il n'y eut plus qu'à lever le siège. Le marquis de Saluces ramena l'armée sur Averse, où elle fut atteinte par les ennemis et presque complètement détruite : Ce qui n'était pas massacré mourait de soi-même. Une capitulation sauva les derniers survivants. L'année d'après, le comte de Saint-Pol, envoyé dans le Milanais, fut défait et pris à Landriano, le 21 juin. Cette déroute des Français fit poser les armes dans toute l'Italie. Pendant que ses troupes succombaient, en grande partie faute d'argent, le roi faisait bâtir à Fontainebleau, à Villers-Cotterets, au bois de Boulogne. Aussi n'y avait-il qu'un cri chez les alliés : Tout le mal, disait un Florentin, provient de ce que, dans cette cour, il n'y a pas de gouvernement et de ce que le Roi Très Chrétien n'est pas disposé à s'occuper de la politique. Madame, le Chancelier, l'Amiral (de Brion) ne sont pas d'une capacité qui convienne à un si grand État ; ils ne sont pas unis. En somme les affaires sont mal délibérées et plus mal encore dirigées... le Roi n'est pas obéi. Le florentin Capponi opposait aux maladresses du Roi (et aussi des Vénitiens) la diligence des Impériaux, l'accord constant entre les généraux de Charles et leur valeur personnelle. D'autre part, M. de Saint-Pol écrivait en janvier 1529 : Je voudrois avoir autant gagné (d'argent) au service du roy que M. le Chancellier ; je ne presserois pas tant que l'on m'en envoyast que je fays ; car je ne suys point larron. Et Lautrec, dès le commencement de la campagne, avait dit que, s'il y avait des revers, il ferait bien connaître le vrai coupable, voulant désigner Duprat. Il est vrai que celui-ci avait fort à faire à occuper l'abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire et l'archevêché de Sens, sur lesquels il avait mis la main ! Puis il avait voulu devenir cardinal[11] et ses exigences suspendirent plus d'une fois les négociations de la France avec le Pape. François Ier, qui avait mal soutenu ses alliés d'Italie, avait été mal secondé par son allié d'Angleterre. Henri VIII et Wolsey, très ardents en paroles, avaient fort peu agi ; le peuple anglais tenait à ne pas compromettre ses relations de commerce avec la Flandre, et son Roi à ne pas débourser. Non seulement Henri VIII ne donna pas les subsides qu'il avait promis, mais il exigea, en juin 1528, l'adhésion de la France à une trêve de huit mois conclue avec la Flandre ; ce qui dégageait de ce côté la situation de l'Empereur. Au début de 1529 encore, on ne pouvait rien obtenir des Anglais. III. — TRAITÉ DE CAMBRAI. CEPENDANT, malgré la constance de sa fortune, Charles continuait à avoir de graves soucis, car de 1526 à 1529 les affaires d'Allemagne et d'Orient ne cessèrent pas de se mêler à celles de France et d'Italie. En Allemagne, c'était l'opposition faite par les princes à Ferdinand et les progrès continus du luthéranisme. En Orient, ce furent, après la bataille de Mohacz, les prétentions de Ferdinand aux trônes hongrois et bohémien, qui rattachèrent directement la question germanique à la question ottomane et amenèrent, en 1529, les Turcs en pleine Allemagne, devant Vienne. Dans l'Empire, les princes Louis et Guillaume de Bavière, conseillés par leur chancelier Léonard d'Eck, un personnage remuant, qui entreprit de donner à la Bavière un grand rôle politique, menaient contre Ferdinand une campagne très ardente : ils posèrent leur candidature non seulement au royaume de Bohême, mais, pour l'un d'eux, au titre de roi des Romains. François Ier se montra disposé à les soutenir et continua ses intelligences avec Ulrich de Wurtemberg ou avec Philippe de Hesse qui, en 1528, se disait prêt à agir dans l'Empire, au prix d'un secours de 40.000 florins. Les princes catholiques s'unissaient pour combattre les tentatives de réforme religieuse ou sociale, les princes luthériens déclaraient mettre en commun leurs forces, leurs biens, leurs terres, leurs gens et toutes leurs ressources, pour le cas où le clergé et ses partisans oseraient former quelque entreprise pour le maintien des abus et contre la parole de Dieu. Le 15 mars 1529, s'ouvrit la seconde diète de Spire ; il y fut question des doctrines et pernicieuses hérésies et l'on y annonça la réunion d'un concile. Mais les luthériens ne se laissèrent pas effrayer et ils protestèrent[12] contre le recès de Spire, qui avait été promulgué le 19 avril. François let, au moment même où il commençait à négocier avec Charles, entrait en communication avec la Diète par un manifeste, où il cherchait à se purger des calomnies lancées par ses ennemis. Il se défendait d'être en quoi que ce fût autheur et alimenteur des schismes, discordes, séditions régnans en la Chrestienté. Il suppliait les membres de la Diète de ne plus ajouter foi à ces sycophantes, qui répandaient de tels bruits. Pourtant il avait eu la main dans les affaires de Bohème et de Hongrie. Ferdinand, après la déroute de Mohacz, avait réussi à se faire élire en Bohême au mois d'octobre 1526 et y avait été assez vite établi solidement. Mais, en Hongrie, il avait eu à lutter contre Jean Zapolya, proclamé roi par la diète de Stuhlweissenburg, pendant que lui-même était reconnu par celle de Presbourg (novembre et décembre). Or, François Ier s'était hâté d'envoyer Rincon auprès du roi de Pologne, pour le décider à appuyer Zapolya. L'ambassadeur de France, écrivait-on à Ferdinand, se conduit en flibustier, sans la moindre vergogne ; il fait charger piques, fourches, harnais devant son hôtel et les envoie en Hongrie (vers juillet 1527). Puis un évêque hongrois était venu en France avec Rincon et y avait signé un traité, qui promettait à Zapolya des secours, à la condition, s'il mourait sans enfant, d'assurer la Hongrie à Henri d'Orléans, second fils de France (1528-1530)[13]. Wolsey se rendait très bien compte de l'importance de la Hongrie : Il faut montrer de la faveur au prince Jean Zapolya, disait-il à Henri VIII, car entre V. M. et l'Empereur, il peut servir à de hauts desseins. Charles-Quint essaya de parer au péril le plus immédiat. Le Turc surtout était prochain. Bien que Ferdinand, tout comme Zapolya, eût envoyé une ambassade à Soliman, celui-ci avait déclaré très solennellement son intention de faire la guerre à l'Autriche ; en mai 1529, il avait quitté Constantinople, se dirigeant vers le Danube avec une immense armée. Toute l'Europe était en attente ; l'Allemagne remplie d'angoisse. L'Empereur se décida, pour sauver l'Empire, à s'accommoder avec la France[14]. Mais auparavant il allégea sa situation en Italie. Il n'avait jamais cessé de chercher à se rapprocher du Pape. En avril 1529, il lui écrivait, de la mesme manière comme s'il estoit en l'article de la mort, et le suppliait de donner la paix à la Chrétienté menacée par la nouvelle invasion des Turcs : La tardité pourrait couster chier à nostre foy catholique et aux âmes de ceulx qui en ont la charge. Clément VII accepta les offres très avantageuses qui lui étaient faites. Il s'engageait à renouveler à Charles l'investiture de Naples et à avoir avec lui une entrevue, dès son arrivée en Italie, pour régler d'un commun accord l'état de la Péninsule. L'alliance entre les deux souverains serait cimentée par le mariage de Marguerite, fille naturelle de l'Empereur, avec Alexandre, fils de Laurent de Médicis, qui serait imposé comme duc à Florence. Le Pape devait recouvrer Cervia, Ravenne, Modène, Reggio. Le traité fut signé à Barcelone, le 29 juin, au moment même où commençaient les conférences de Cambrai. François Ier, lui aussi, était disposé à négocier sérieusement avec l'Empereur : il venait de perdre coup sur coup deux armées en Italie ; il n'avait plus d'argent ; il était obsédé par la pensée de recouvrer ses enfants. D'ailleurs, une bonne partie de son Conseil inclinait à la paix : particulièrement Madame et Montmorency. Les négociations, engagées déjà et abandonnées à plusieurs reprises, recommencèrent à la fin de l'année 1528. Madame fit venir un soir le secrétaire de Marguerite d'Autriche, M. des Barres, pour parler à elle, l'entretint de ses enfants, du défi entre Charles et son fils, et termina en disant qu'elle était, pour sa part, délibérée de tant faire vers le dit seigneur roy son fils qu'il délaissant toute rancune et se rengeast à la paix ; requérant au dit des Barres vouloir de sa part dire à madite Dame (Marguerite) de faire le pareil vers l'Empereur. Puis elle envoya à Malines les premières ouvertures de paix. Après de longs pourparlers, les négociations se poursuivirent à Cambrai, où Louise de Savoie et Marguerite se rendirent en juillet. Elles furent laborieuses : Marguerite excellait à prendre ses avantages ; elle écrivait à Charles qu'elle voulait user de la fortune et du temps, et elle commença par avertir le roi d'Angleterre de ce qui se passait, en lui affirmant que rien ne serait fait contre lui. Les Anglais, prévenus aussi par la France, firent tout le possible pour entraver la marche des négociations. Le rapprochement de François Ier et de l'Empereur préoccupait beaucoup Henri VIII, qui se mit tout d'un coup à faire des préparatifs belliqueux. Les Italiens, d'autre part, étaient très inquiets, depuis qu'ils savaient les conférences entamées à Cambrai, et leurs ambassadeurs auraient voulu les empêcher d'aboutir ; ils cherchaient surtout à s'assurer qu'ils n'étaient pas sacrifiés par le Roi. Montmorency leur en donnait les plus fortes assurances : Le Grand Maitre nous fit dire, écrit l'ambassadeur florentin, le 10 juillet, de nous trouver tous à la messe à l'église cathédrale, ce qui fut fait : alors il nous exposa qu'un bruit courait que la paix allait se conclure, en laissant les Vénitiens à la discrétion de l'Empereur, comme on l'avait fait jadis au même lieu (en 1308). Cela (disait Montmorency), ne pouvait venir que d'hommes de mauvaise foi, à qui déplaisait cette sainte paix. Il signifia à l'ambassadeur de Venise et à nous tous que pareil projet n'était jamais venu en discussion. C'était tout l'opposé de la vérité. A plusieurs reprises, les conférences menacèrent de se rompre ; seulement Marguerite ne se dissimulait pas les difficultés de la situation de l'Empereur ; elle se décida à quelques concessions, et le traité fut signé, le 3 août 1529. Le traité de Cambrai, c'est le traité de Madrid, sauf certaines cessions territoriales. Le roi de France garde la Bourgogne et ses dépendances, ainsi que Péronne, Montdidier, les villes de la Somme, les comtés de Boulogne, de Guines et du Ponthieu, mais il cède, restitue ou abandonne Hesdin, Lille, Douai, Orchies, Tournai, Saint-Amand, et renonce à toute souveraineté sur la Flandre et l'Artois ; il donne à Marguerite et à l'Empereur, pour leur vie durant, le comté de Charolais. Il s'engage à livrer toutes les places encore conservées dans le Milanais et dans le royaume de Naples et abdique tous ses droits sur ces deux États et sur Asti. Il annule les sentences portées contre Bourbon ou ses complices et promet de s'accommoder avec les héritiers du Connétable. Pour le bien de paix et retirer Messieurs les Dauphin et duc d'Orléans, il baillera 2.000.000 d'écus, dont 1.200.000 payables au moment de la mise en liberté, et le reste en rentes. Il se chargera de rembourser au roi d'Angleterre 290.000 écus prêtés par celui-ci à l'Empereur. Il renoncera à toute pratique contre Charles, soit en Allemagne, soit en Italie, et lui fournira même de l'argent, des navires, de l'artillerie et des matelots, pour son passage dans la Péninsule. Enfin l'amitié entre les deux princes est consacrée par le mariage de François Ier avec la reine Éléonore. Les Albret, les La Marck et les alliés italiens sont laissés à la merci de l'Empereur. François Ier renouvellerait-il à propos du traité de Cambrai ce qu'il avait fait pour le traité de Madrid ? On se le demanda pendant quelque temps et certains conseillers de Charles craignaient un manque de foi, dès que les Enfants de France auraient été rendus. De Praet cependant se refusait à le croire, veu la honte que le roi de France se feroit à soy-mesme, si aultre foys faulçoit sa parolle, et vu aussi le mauvais tour qu'il a fait à tous ses confédérés, qui n'étaient pas disposés à revenir à lui. D'ailleurs, ajoutait-il, oseroie dire (peut-être une folie) que, si ce ne fust pour la venue du Turc et pour ce que je suis chrestien, que je voudroye que le dit roy de France feist de nouveau la guerre à l'Empereur, afin que S. M. le puist prendre despourveu d'argent et gens. Malgré l'empressement de François Ier à jurer l'observation des conventions, malgré les ratifications des Parlements et des États provinciaux, malgré les bonnes paroles et les protestations d'amitié que prodiguaient le Roi, Madame et Montmorency, aux ambassadeurs de Charles, les défiances subsistèrent assez longtemps. Aussi l'Empereur mettait-il une certaine raideur à rappeler, quand il y avait lieu, les termes de la paix. Il écrivait en 1530 : J'ay trouvé estrange que, par les traitez de Madrid et de Cambray, ledit Roy Très Chrestien ait si expressément renoncé à tout ce qu'il tenoit en Italie... et puis, que les ambassadeurs viennent si tost presser et requérir d'avoir faculté de racheter ladite Comté d'Ast... qui nous faict penser que le dit roy n'a perdu le goust de cette Italie. Il retarda la délivrance des Enfants de France jusqu'à ce qu'il eût réglé toutes ses affaires en Europe. La venue du Turc avait été une des principales raisons de la paix. Soliman arriva devant Vienne, le 21 septembre ; mais, après un mois, pendant lequel les Viennois repoussèrent des assauts presque quotidiens, il leva le siège, le 16 octobre, et se retira en ravageant tout sur son passage. Le sol s'est effondré sous le sabot des chevaux, écrivaient les historiens turcs ; l'Autriche, jadis si bien cultivée, est devenue semblable à l'Empire des ténèbres. Il ne se considérait pas comme vaincu ; il affirma sa victoire en donnant la Hongrie à Zapolya et resta en rapport avec François Ier, avec les Vénitiens, qui se déclaraient prêts à vivre en amitié et en paix avec lui, et avec les princes de Bavière, qui continuaient à s'intéresser à la cause de Zapolya. Même Charles-Quint conseillait à son frère de traiter avec les Ottomans. Néanmoins la levée du siège de Vienne était un grand succès pour lui. En Italie, ses troupes étaient maîtresses du royaume de Naples et du Milanais, tenant ainsi la Péninsule par ses deux extrémités. Les Vénitiens, les Florentins, le duc de Ferrare et Sforza étaient fort inquiets, mais au moins aussi irrités contre la France qu'hostiles à l'Empereur. Après de longs entretiens avec le Pape à Bologne, Charles se résolut à négocier avec François Sforza, qu'il laissa maure du Milanais, avec Venise, qui rendit à Clément VII Cervia et Ravenne et abandonna les places du Napolitain, avec le duc de Ferrare. Florence seule fut frappée, car Clément VII voulait à tout prix y rétablir la domination de sa famille. Assiégée par les troupes impériales, elle se défendit héroïquement et ne succomba qu'au bout de huit mois, en août 1530. Alexandre de Médicis en reçut le gouvernement. Avant même que le siège de Florence fût terminé, Charles avait réalisé le projet qui lui tenait à cœur : le couronnement impérial. Quand il eut reçu, le 22 février 1530, la couronne de fer des rois lombards et, le 24, la couronne impériale, il se considéra comme en pleine possession de ses droits et en situation d'accomplir les devoirs dont il croyait avoir la charge. Le 21 janvier 1530, il avait convoqué une Diète à Augsbourg pour le 8 avril. Dans la lettre de convocation, il insistait sur le péril turc et proposait aux États de l'Empire une discussion approfondie sur toutes les choses de la foi, afin que tous les chrétiens, réunis sous l'étendard du Christ, vivent en paix dans la même communion, la même unité, la même Église. Paroles probablement sincères, mais que n'étaient disposés à entendre ni les luthériens ni les princes, et qui s'accordaient difficilement avec les théories d'autorité de Charles lui-même. La Diète, ouverte seulement le 20 juin, écouta, le 25, la confession de foi des Églises protestantes, rédigée par Mélanchton et signée par un grand nombre de princes ou de villes ; puis, après des conférences stériles entre les docteurs des deux partis, elle se sépara, le 19 novembre. Ainsi fut déçue, une fois encore, l'espérance de rétablir dans l'Empire l'unité de foi. Les catholiques eux-mêmes avaient fort peu soutenu l'Empereur, qui dut se borner, dans le recez du 19 novembre, à des déclarations doctrinales et à des mesures défensives. Il n'espérait plus que d'un concile la pacification des maux de l'Église ; le Pape, sur sa demande pressante, consentit, le 1er décembre 1530, à en convoquer un pour l'année 1531. L'humeur de Sa Majesté s'était assombrie. Elle se plaignait fréquemment de ce que rien ne marchait, ne réussissait, et de ce que dans l'Empire, ce qu'à Dieu ne plaise, la révolte et la guerre étaient imminentes. Dans cet état d'esprit, Charles fortifia la situation de son frère Ferdinand, auquel de plus en plus il abandonnait l'Allemagne ; il lui donna l'investiture des domaines qu'il lui avait concédés en 1521 ; il y ajouta la Souabe autrichienne et le duché de Wurtemberg, confisqué sur Ulrich. Enfin, il parvint à le faire élire roi des Romains, le 5 janvier 1531. Mais, dès le 16 février, les Protestants adressaient un appel à François Ier et à Henri VIII contre cette élection et contre les décisions de la Diète. Les Enfants de France étaient toujours en Espagne, leur délivrance étant suspendue par l'attitude équivoque de François I. Tantôt, faisant à mauvaise fortune bon visage, il affectait de vouloir changer la paix en une alliance et amitié et multipliait les protestations et les témoignages de sympathie auprès des ambassadeurs impériaux ; tantôt il se reprenait à parler des conditions intolérables des traités de Madrid et de Cambrai, tout en déclarant qu'il y satisferait. D'ailleurs, il éprouvait de grandes difficultés à trouver la rançon énorme de 1.200.000 écus d'or. La fin de 1529 ainsi que les premiers mois de 1530 se passèrent à recueillir l'argent. Les nobles consentirent à payer, en don gratuit, le dixième du revenu de leurs fiefs et arrière-fiefs. Sur le clergé, le Pape autorisa la levée de quatre décimes, qui ne furent pas toujours perçus sans difficultés : le commissaire royal dans le Lyonnais regrettait plaisamment que le pays contint si peu de gentilshommes (qui payaient bien) et tant de prêtres (qui payaient mal). Les villes du royaume fournirent des subsides. Toutes les opérations financières et diplomatiques pour la délivrance des fils de François Ier finirent par se trouver concentrées aux mains de Montmorency, à qui Marguerite d'Autriche et les ambassadeurs de l'Empereur témoignaient une confiance toute particulière. Au mois de mars 1530, il arrivait à Bayonne avec l'archevêque de Bourges, le président Du Bourg, le trésorier de l'Épargne, le chancelier Duprat et une très nombreuse noblesse. Le connétable de Castille se tenait, de son côté, à Fontarabie. Mais alors se produisirent toutes sortes de difficultés, car chacun se défiait de son compagnon. Les Espagnols se montrèrent hautains, pointilleux, ils firent durer plus de quatre mois la vérification des monnaies données en paiement par la France ; certains écus ne furent pas trouvés de bon aloi (il fallut en ajouter 40.000 de plus). Ensuite les pièces furent emballées par 25.000 dans des caisses de bois ferrées, qui furent scellées et déposées à Bayonne, sous la garde d'archers soigneusement choisis. A cette masse énorme de cinquante caisses s'ajoutaient toutes les pièces des traités de Madrid et Cambrai : procurations, pouvoirs, garanties, ratifications, titres, en originaux ou en vidimus. Enfin il fallut réunir entre Bayonne et la frontière des vivres et des chevaux en quantité considérable. La reine Éléonore — qui allait en cette occasion faire son entrée dans le royaume comme reine de France — demandait 400 chevaux pour elle et 200 pour la comtesse de Nassau qui l'accompagnait. Entre temps, on régla les formalités de l'échange des enfants et de la rançon. Il fut décidé qu'il aurait lieu, comme pour François Ier, sur la Bidassoa : un ponton fut établi entre Hendaye et Fontarabie. A Hendaye, les 1.200.000 écus, les pièces du traité, les titres et un nombre déterminé de gentilshommes seraient placés dans une barque. Une autre, de pareil tonnage, partirait de Fontarabie, contenant les Enfants de France, le connétable de Castille et des gentilshommes espagnols, en nombre égal aux français. Les deux rives seraient désertes jusqu'à une certaine distance, et, des navires espagnols et français croiseraient à l'embouchure de la Bidassoa, pour éviter toute surprise. Madame Éléonore traverserait la rivière dans une embarcation particulière, sur la main droite de Messieurs les Enfants. Le 1er juillet, l'échange s'effectua : des deux côtés, on accosta le ponton au même moment, et les Espagnols passèrent un à un dans la barque française, où étaient les écus, pendant que les Français, un à un, les croisaient pour entrer dans la barque espagnole où étaient les Enfants ; puis chacun gagna la rive opposée. Il était nuit quand la reine Éléonore et les jeunes princes entrèrent à Saint-Jean-de-Luz. On dépêcha un courrier pour avertir le Roi qui se tenait à Bordeaux avec sa cour ; il alla jusque près de Mont-de-Marsan, où son mariage avec Éléonore fut, après tant de délais (depuis 1526), célébré et consommé. Les manifestations de joie furent beaucoup plus vives pour le retour des princes que pour celui du roi leur père ; une sensibilité naïve s'exalta chez le populaire. N'est point mémoire d'homme avoir vu démontrer une plus grande joye au peuple et gens de Paris. La reine Éléonore aussi fut fort bien accueillie, car on lui attribuait l'honneur de la paix et d'estre médiatrice de la conservation d'icelle. Ceux de Bordeaux lui ont fait son entrée avec autant d'apparente volonté et honorable que faire se peut, écrivait l'ambassadeur de Charles, et n'est question sinon de son bon traitement. Il ajoutait que le Grand-Maître multipliait auprès de la reine les marques de dévouement et. déclarait son désir de voir se maintenir et se confirmer l'union entre les deux souverains. En 1531, Charles-Quint a été couronné empereur ; il est tout-puissant en Italie ; il a fait élire son frère roi des Romains ; les Turcs ont. été repoussés devant vienne ; il a été, à Cambrai, le dispensateur de la paix ; il a essayé d'être, à Augsbourg, l'arbitre des croyances. Quoiqu'il n'ait pas triomphé partout ni complètement, il est arrivé an comble de la gloire et de la puissance. A cette même date, le roi de France a perdu le Milanais ; il est exclu de l'Italie ; il a renoncé à la traditionnelle souveraineté sur la Flandre et l'Artois. Mais le premier de ces faits n'intéresse pas à fond notre histoire ; le second, gros de conséquences pour l'avenir, pouvait paraître secondaire aux contemporains, car il s'agissait de droits réduits à peu près à l'état de formules. La France, après tant de revers, était diminuée moralement, mais restait intacte, puisqu'elle conservait la Bourgogne, en même temps que la réunion des domaines de Bourbon à la couronne augmentait la puissance de la royauté. François Ier cependant avait accumulé bien des fautes : mauvais choix des hommes, maladresses, inaptitude ou négligence aux affaires. S'il avait pu résister, se relever du désastre de Pavie, sauver la Bourgogne, c'est qu'il y avait dans le royaume force et vigueur. C'est aussi que l'Empereur eut de tous côtés des ennemis : les Turcs très redoutables ; en Allemagne, les réformés et les princes catholiques, les premiers luttant pour leur liberté religieuse, les autres pour leur indépendance politique, ensemble adversaires de la monarchie impériale ; en Italie, à peu près tous les princes, qui n'entendaient point laisser rétablir l'autorité du rex Langobardorum, pendant que la tyrannie impériale inquiétait et blessait même le roi d'Angleterre. La France, principal adversaire de Charles-Quint, était assurée de nombreuses sympathies : les unes s'offrirent à elle, elle rechercha les autres. Le Roi eut le mérite de comprendre cela. Il se sentait si utile à ses alliés qu'il pensa qu'ils seraient toujours obligés de lui revenir, même s'il les abandonnait. Ce fut une situation originale, extraordinaire. François Ier, malgré sa grande légèreté, en tira presque une politique, qui après lui se précisera et deviendra la politique nationale. Contre l'Empire, cette survivance du moyen âge et de Rome, incorporé à la maison d'Autriche, la France sera, jusqu'au temps de Louis XIV, le défenseur de l'Europe moderne. En outre, l'Empereur ne poussa jamais à fond la lutte contre le royaume ; il l'attaqua à peine dans ses œuvres vives, au Nord-Est ou en Bourgogne : une seule fois, il envahit la Provence, encore fut-ce moins son fait que celui de Bourbon ; après Pavie, il s'arrêta. Il semble que, sentant l'Europe contre lui, il se soit aussi rendu compte de l'extraordinaire force de résistance de la France et de sa vitalité. De 1531 à 1547, les guerres mettront encore moins en cause l'unité territoriale de la France, puisque, de l'aveu même de l'Empereur à Cambrai, la question de Bourgogne est close. Elles ne seront en réalité que des luttes de prépondérance, avec le Milanais pour enjeu. |
[1] Voir la bibliographie en tête de ce livre.
[2] Les Parisiens restaient froids aux événements. Il est à noter qu'à la publication de la paix ne fust faicte grosse joye ou feus, pource que on n'y entendoit riens.
[3] C'était la seconde.
[4] Ce qui était inexact.
[5] Ils redoutaient aussi beaucoup la réalisation de la clause de mariage avec Éléonore. Il fallait tout faire pour en dissuader le Roi lui-même et ceux qui l'entouraient, disaient-ils, alors qu'on négociait encore les clauses du traité de Madrid.
[6] A ses soucis se joignaient les premiers symptômes des malaises dont il devait plus tard souffrir si cruellement. Autour de lui on constatait qu'il changeait ; il était triste, sombre, enfermé dans ses pensées.
[7] V. L. Bourrilly, La première défection de Clément VII à la Ligue de Cognac, août-septembre 1526, Bullet. ital., Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, t. I, n° 3.
[8] En réalité, Clément VII ne fut libre qu'en décembre et il n'attendit pas la bonne volonté des ministres de Charles ; il s'enfuit à Orvieto.
[9] Mon cousin, je ne sçay au vray ce que vous aurez fait avec le Pape depuis vostre entrée à Rome, mais ce que je désire le plus seroit une bonne paix, avec assurance que le Pape prenne la peyne de venir icy.
[10] Du Bellay énumère les morts notables : le comte de Vaudemont, le prince de Navarre, nouvellement arrivé, le seigneur de Tournon et son frère, messire Claude d'Estampes, le seigneur de Négrepelisse..., etc. La liste est longue et montre que dans son chiffre global il n'exagère que peu.
[11] Il le fut en janvier 1528.
[12] De là le nom de protestants qui leur fut appliqué désormais à l'égal de celui de luthériens.
[13] Par un acte du 28 septembre 1529, Jean Zapolya reconnaît avoir reçu 20.000 écus de France, d'après les conventions arrêtées avec Duprat.
[14] Il avait en vain essayé d'arrêter Soliman, comme il l'avait déjà tenté en 1525, en lui opposant le Sophi de Perse, à qui il envoya un ambassadeur, au commencement de 1529, et qui entama les hostilités ; mais Soliman n'en continua pas moins à marcher sur Vienne. L'action diplomatique auprès de la Perse se continua en 1590 et 1531.