I. — DIPLOMATIE DE FRANÇOIS Ier EN 1520 ET 1521. LA guerre était considérée partout comme imminente, mais François Ier et Charles-Quint en pressentaient à tel point la gravité qu'ils essayaient au moins de la retarder. Au cours même des intrigues électorales, en mai 1519, de Boisy, ambassadeur de François Ier, et de Chièvres, ambassadeur de Charles, avaient tenu des conférences à Montpellier, sans réussir à se mettre d'accord. Dans une nouvelle entrevue, en janvier 1520, entre de Chièvres, et le nouvel ambassadeur du roi de France, qui avait remplacé Boisy, mort en 1519, les deux délégués s'ingénièrent à ne pas parler. Chièvres exposa d'abord qu'il y avoit quelque petite méfiance entre le Roi et l'Empereur et que les choses n'estoient pas telles comme elles avoient accoustumé, et qu'il falloit abiller le tout, s'il estoit possible... et me dist (c'est l'ambassadeur français qui écrit) que je commenssasse quelque chose. Mais l'ambassadeur ne voulait pas commencer du tout, et chaque jour ce fut entre les deux hommes le même jeu d'escrime défensive et futile. Puis, tout d'un coup, apparaît la vraie pensée de Charles et le sens des faits à venir s'éclaire. A la fin des pourparlers, Chièvres fit observer que, depuis les traictés (de Noyon et de Cambrai), est survenue la dignité impériale, par laquelle l'Empereur est en autre estat qu'il n'estoit lors. Cependant, ajoutait-il, l'Empereur ne demande chose quelconque en dehors des traictés, mais si le Roy, son bon père, désire quelque chose plus avant, se pourroit aussi, de par l'Empereur, déclarer autre chose que ledit seigneur Roy pourroit faire pour luy. C'était une ouverture pour une entente, mais où l'on indiquait qu'il faudrait tenir compte du nouvel estat de l'un des alliés, et cela précisément François Ier ne voulait pas le faire ; en quoi il avait raison. Pourtant, il ne commença pas immédiatement la lutte, bien que les circonstances parussent favorables. Charles, depuis la mort de son grand-père Ferdinand (1516), avait rencontré en Espagne de grosses difficultés. Ses droits à l'héritage d'Aragon et de Castille étaient assez contestables et pouvaient lui être disputés par sa mère, la reine Juana, et même par son jeune frère Ferdinand. Il agit contre sa mère en politique qui subordonne tout aux nécessités d'État et fit enfermer Juana, en profitant d'un état de folie qui ne peut faire doute, au jugement de la plupart des historiens actuels[1]. Avec son frère, il fut obligé d'user de ménagements, mais il osa destituer, en novembre 1517, le grand cardinal Ximénès, véritable maitre du pouvoir depuis 1516. Quand il alla en Espagne, en 1517, il y arriva comme un étranger. Il avait pris la route de mer, en quittant les Pays-Bas, et comptait débarquer sur un point des côtes du golfe de Gascogne. A la vue des vaisseaux qui l'amenaient, les habitants du rivage crurent à une attaque des Turcs ou des Français et se sauvèrent sur les hauteurs avec leurs femmes et leurs enfants. Cependant, la méprise expliquée, ils accueillirent fort bien le nouveau prince et lui apportèrent des vivres dont il avait grand besoin. De Villaviciosa, petit port des Asturies, jusqu'à Tolède, Charles avança lentement à travers un pays presque désert, où l'on n'avait pu réunir que quelques chevaux et, durant les premiers jours, une partie des gens de sa suite l'accompagnait à pied, pendant que les dames étaient traînées dans des chariots à bœufs. Lorsqu'il eut pris en main le gouvernement et qu'on vit qu'il s'entourait de conseillers tous flamands, qu'il s'abandonnait tout entier à l'influence de M. de Chièvres, que toutes ses faveurs allaient à des étrangers, le mécontentement fut très vif et gagna peu à peu toutes les classes de la nation. Les Espagnols n'attachaient aucun prix à la possession par leur roi du titre impérial, et cependant ce fut chez eux qu'il fallut trouver la plus grande partie des ressources pour les frais énormes de la candidature. Alors les impôts furent augmentés, et les Cortès d'Aragon et de Castille contraintes par toutes sortes d'actes arbitraires à fournir des subsides. On s'aperçut bien vite que toutes les libertés étaient menacées. La révolte commença à Tolède, en mai 1520 ; elle était surtout le fait des gens des villes, les communeros, soutenus au début par une partie de la noblesse et du clergé. Le 29 juillet, la junte révolutionnaire d'Avila cassa le conseil de régence de Charles, proclama la reine Juane et dressa un programme de réformes. Mais bientôt les rebelles des hautes classes, inquiets des progrès et des tendances de la révolution, firent défection et, après la victoire remportée par les troupes royales à Villalar, le 24 avril 1521, les dernières résistances se renfermèrent dans Tolède, où elles se prolongèrent quelque temps ; mais désormais Charles n'avait plus rien à redouter de l'Espagne. Au plus fort de cette révolte, il avait eu assez de sang-froid et de clairvoyance pour comprendre que les plus grands dangers ne venaient ni de la Castille ni de l'Aragon, et il s'était embarqué pour aller négocier avec le roi d'Angleterre et régler les affaires d'Allemagne. La confusion dans l'Empire est si grande, écrivait le cardinal d'Este en 1520, que chacun s'y comporte à sa guise ; il y a beaucoup de gouvernants, mais bien peu d'obéissants. C'est pour diminuer le nombre des gouvernants et augmenter celui des obéissants que venait Charles : il commença par accomplir, à Aix-la-Chapelle, la cérémonie solennelle du couronnement, qui consacrait son autorité. A la diète de Worms, qui se réunit le 27 janvier 1521, il régla la composition et les droits du Conseil de régence et de la Chambre impériale ; mais — et ce fut un grand événement, de très graves conséquences —Luther, appelé devant la Diète, refusa d'abjurer ses erreurs et put sortir de Worms sain et sauf. Vers le même temps, Charles conclut l'accord dont nous avons parlé avec son frère Ferdinand, à qui il abandonna ses domaines d'Autriche, de Styrie, de Carinthie, de Tyrol, c'est-à-dire toutes ses possessions allemandes, et il le choisit pour son lieutenant général en Allemagne. A partir de ce moment, le gouvernement de Charles-Quint fut presque une dyarchie. Allant d'Espagne en Allemagne, Charles s'était d'abord arrêté en Angleterre pour y faire visite au Roi. Henri VIII était, vers 1520, dans tout l'éclat de sa vigueur et de sa jeunesse. Grand, large de corps (il ne devint trop gros que plus tard), plus beau, disait-on, que François Ier, habile à tous les exercices, passionné pour la chasse, pour le jeu de balle, pour les tournois, amateur de somptuosité, de splendides costumes, il se plaisait à se faire une existence brillante. Mais il avait aussi une intelligente déliée, vive ; il parlait le latin, le français, l'espagnol ; il était érudit, lettré, humaniste. Il était pieux aussi, entendait chaque jour plusieurs messes et se mêla pendant quelque temps au mouvement qui entraînait certains esprits d'élite vers l'étude des questions religieuses. Tout en écrivant contre Luther un livre qui lui valut les félicitations du Pape et le titre de Défenseur de la foi, il tint en grande faveur Thomas Morus et d'autres réformateurs modérés. Mais il était dissimulé, brutal, farouche, sensuel, cupide, rapace, en même temps que très dépensier ; ses passions étaient violentes et ses entraînements terribles ; il ne savait se maitriser en rien. Eut-il une politique personnelle ou se laissa-t-il diriger par Wolsey ? Chancelier d'Angleterre, cardinal et légat a latere, Wolsey était à la fois le chef du gouvernement et de l'Église ; il conduisait, aussi toute la diplomatie, correspondant avec les ambassadeurs, ayant des rapports directs avec François Ier, avec Charles-Quint, avec Marguerite d'Autriche[2]. Il exerçait certainement une grande influence sur l'esprit de son maitre et il avait pris peu à peu l'habitude de décider même à lui seul. L'ambassadeur du Pape racontait que Wolsey lui avait dit un jour : Sa Majesté fera ceci et cela ; puis le lendemain : Nous ferons ceci et cela ; plus tard : Je ferai ceci et cela. Ce n'est pas à dire cependant qu'Henri VIII se soit entièrement effacé, mais plutôt que le Roi et son ministre eurent à peu près les mêmes idées, et peut-être les quelques divergences dont on croit saisir entre eux la trace n'étaient-elles qu'une habileté, qui excusait et facilitait les variations si fréquentes de leur diplomatie. Ils comprirent qu'ils n'avaient sur le continent aucun intérêt direct ; que François et Charles, si puissants, étaient faibles par leur rivalité, et qu'il fallait éviter à tout. prix ou bien qu'ils s'unissent[3] ou bien que l'un d'eux triomphât : ils s'y employèrent. Ils ne songèrent pas à un rôle idéal d'arbitre, trop haut pour leur génie et pour leur ambition ; ils voulurent tenir la balance égale entre les deux rivaux et n'intervinrent jamais entre eux qu'à leur propre profit. Ils trouvaient aussi une satisfaction d'amour-propre à se voir sollicités de part et d'autre. Leurs sympathies n'allaient pas du côté de la France. Oncle de Charles-Quint par son mariage avec Catherine d'Aragon, il semblait qu'Henri VIII eût des raisons de famille pour se rapprocher de l'Empereur. Pourtant les vrais motifs de ce rapprochement étaient ailleurs, et il fut tout d'abord entraîné vers Charles surtout par sa jalousie contre François Ier. François l'offusquait par l'éclat dont il s'entourait, par l'étalage de sa personnalité, par la prétention, dont tout le monde était complice autour de lui, de se donner comme le souverain glorieux par-dessus tous. De là vint entre les deux rois un antagonisme latent. Mais chez Henri VIII, très impulsif, les sentiments étaient à la fois très vifs et très variables. Tout comme les sentiments, les combinaisons politiques elles-mêmes furent fréquemment interverties, soit par les ambitions personnelles de Wolsey, qui rêva de devenir pape, soit par les fantaisies sensuelles d'Henri VIII, lorsqu'il songea — et ce fut dès 1527 — à répudier sa femme Catherine. Enfin les préoccupations d'argent déterminèrent en grande partie les desseins du roi d'Angleterre, tout comme ceux de ses prédécesseurs. Or, depuis Louis XI et surtout depuis Louis XII, les rois anglais étaient à la fois créanciers de la France et pensionnés par elle, et François Ier était engagé envers Henri VIII pour près de deux millions d'écus : dette énorme qui fut à certains moments sa sauvegarde, le roi d'Angleterre voulant conserver son gage, et même augmenter sa créance[4]. En 1520, il fut convenu que les souverains de France et d'Angleterre se rencontreraient sur le continent, pour discuter les conditions d'une entente ; mais les préparatifs faits pour la cérémonie et le soin que prenaient d'avance les deux princes à lutter de somptuosité indiquaient moins la cordialité de leurs rapporta que la rivalité de leurs amours-propres. Henri VIII avait fait construire près de Guines quatre grands pavillons en charpente, couverts de toile peinte et ornés à l'intérieur de splendides tapisseries. François Ier avait fait dresser près d'Ardres un pavillon de 60 pieds carrés, le dessus de drap d'or frizé et le dedans doublé de velours bleu, tout semé de fleurs de lys, de broderies d'or de Chypre, et quatre autres pavillons aux quatre coings, de pareille despence, et estoit le cordage de fil d'or de Chypre et de soye bleue turquoise, chose fort riche. Mais une tempête renversa les tentes françaises, et il fallut à la hâte bâtir tant bien que mal une salle pour les réceptions. Suivant l'usage, on avait pris les plus grandes précautions pour régler les détails des cérémonies et garantir la sécurité des deux rois et de leur cortège ; il y avait de part et d'autre bien des méfiances. Le nombre des hommes armés, des gentilshommes et des serviteurs, fut fixé minutieusement. Le 30 mai, François Ier partit de Montreuil avec sa femme et sa mère ; le même jour, Henri VIII et Catherine d'Aragon passèrent la mer. Le 1er juin, le cardinal d'York, en somptueux estat, comme il est coustumier de tenir, vint à Ardres trouver François Ier, et il fut décidé que l'entrevue aurait lieu le 7 juin dans un champ près de Guines, en territoire anglais. Là se tint le fameux Camp du Drap d'or. Le 7 juin, les deux rois allèrent l'un au-devant de l'autre, s'embrassèrent et entrèrent dans le pavillon d'Henri VIII, garni de vaisselle d'or et d'argent et de deux ou trois pipes de vin. Ils n'étaient accompagnés que de Wolsey et de Bonivet et restèrent ensemble un quart d'heure environ. Pendant ce temps, les escortes s'étaient jointes, faisaient bonne chère et tostaient en disant ces parolles : bons amys françoys et angloys, en les répétant plusieurs fois, en beuvant l'un à l'autre de bon couraige. Le 10, il y eut un grand banquet ; le Ii, les joutes commencèrent, à la vue des seigneurs et dames, qui s'étaient mis en grands frais de parure, jusqu'à se ruiner, et qui portoient leurs champs et leurs domaines sur leurs épaules[5]. Mais, malgré les efforts faits de part et d'autre, la glace ne se rompit pas. François Ier avait eu un mouvement de gentilhomme courtois, en allant un jour trouver Henri VIII à son lever, sans être accompagné ; seulement, un autre jour, il le froissa vivement en luttant corps à corps contre lui et en le jetant à terre. Le 24, les deux rois se séparèrent et se démontrèrent les plus grans signes d'amour et de privaulté l'un à l'aultre — s'entrepellant frères — qu'il estoit possible de démonstrer. François Ier n'avait obtenu de son frère qu'un traité qui reproduisait à peu près les stipulations de 1514 et 1518, et où il était surtout question de ses obligations pécuniaires. Puis, quelques jours après son départ, Henri VIII rencontrait à Gravelines Charles-Quint[6], accompagné de son frère Ferdinand, de l'archevêque de Cologne, de M. de Mièvres, et revenait avec lui à Calais ; entrevue moins brillante, mais plus cordiale que celle de Guines, et où la réserve et la simplicité de l'Empereur plurent beaucoup aux Anglais. Un traité secret fut signé le 14 juillet, dont la clause la plus importante était que les deux souverains se promettaient de se revoir et de s'entretenir de leurs intérêts : formule qui permettait à Henri VIII de rassurer François Ier, en lui affirmant qu'il ne s'était pas allié avec l'Empereur et qu'il resterait fidèle aux promesses faites au roi de France, tant que celui-ci tiendrait ses engagements. En Italie, la situation était fort compliquée. François Ier était maitre du Milanais et de Gênes, mais son gouvernement y était très impopulaire. Dans un mémoire qu'il adressait au Roi en 1546, Seyssel constatait déjà cet état de choses ; il y insistait : il parlait de la mauvaise volonté des Ligues suisses. Venise, qui s'était vite relevée des échecs de la Sainte Ligue et qui avait recouvré ses domaines de terre ferme par le traité de Noyon, était alliée à la France et le resta jusqu'au mois de juin 1523. Florence était sous l'hégémonie du Pape et suivait sa politique. Mais la Péninsule, en 1519 et 1520, était désolée par des bandes d'aventuriers qui, au premier bruit de guerre, allaient se mettre à la solde du plus offrant. On voyait, non pas seulement des princes, tels que le duc d'Urbin, le duc de Ferrare, le marquis de Mantoue, entreprendre des guerres privées, mais, comme au 'cive et au XVe siècle, des seigneurs sans terre lever des compagnies et combattre pour eux-mêmes ou pour les autres. Il suffisait de disposer de 2.000 à 3.000 hommes bien armés, bien exercés, pour devenir une puissance. Cependant les événements dont l'Italie avait tant souffert depuis la première expédition de Charles VIII, et le spectacle des armées étrangères qui la foulaient encore avaient réveillé chez les Italiens un sentiment national, qui allait faire une rapide mais courte explosion en 1526. Le Pape était encore considéré comme un auxiliaire précieux et sollicité ; il se sentait directement menacé par l'État de Naples aux Espagnols et par le Milanais aux Français, et il voulait à tout prix éviter que l'un des deux princes fût trop puissant dans la Péninsule. A ces préoccupations se joignaient des ambitions personnelles, car il cherchait à s'agrandir du côté de Parme et de Reggio et, en sa qualité de Médicis, il aspirait à rétablir dans Florence la toute-puissance de sa famille. Pour conserver ou reconquérir l'alliance de Léon X, François Ier fit des sacrifices considérables. Il s'engagea à le soutenir contre le duc d'Urbin ; il donna l'archevêché de Narbonne, les évêchés de Marseille, de Laval, de Bayeux, la plupart des évêchés du Milanais aux neveux du Pape, à ses créatures, à ses cardinaux ; il renonça à réclamer Modène et Reggio, qui lui avaient été promis. Léon X signa un traité secret, à la fin de 1520, puis très vite il se laissa reprendre par l'Empereur et remit à l'ambassadeur de Charles la haquenée blanche, signe de l'investiture de Naples. C'était accepter l'élection à l'Empire, qu'il avait cependant promis à François Ier de ne pas reconnaître. A partir de ce moment, il se montra haineux et âpre à l'égard de la France. En 1520, François Ier envoya en Suisse Antoine de Lamet, pour trouver moyen de faire une ligue et alliance perpétuelle avec tous les cantons des Ligues, car par le premier traité faict en l'an mil cinq cent seize, n'y avoit point de ligue, mais seulement une pacification du temps passé. Les Suisses ont esté si cauteleux qu'ilz n'ont voulu faire une chose où il y eust une fin qui fust durable, affin de tenir les princes en suspens, prendre argent d'ung costé et d'autre. Or, François Ier avait besoin d'eux, parce que son infanterie valait bien moins que celle des Espagnols. Lamet réussit, en mai 1521, à signer un traité avec douze cantons (Zurich persistait à s'abstenir) et leurs alliés du Valais, de la Ligue grise. Par ce traité, la paix de 1516 était confirmée ; les cantons accordaient au roi de France le droit de lever chez eux des soldats ; ils le reconnaissaient comme souverain légitime de Milan et de Gênes et s'engageaient à l'aider à y maintenir sa domination. A partir de 1522, François Ier eut en Suisse un ambassadeur ordinaire, qui résidait à Soleure. Mais l'alliance fut troublée, comme sous Louis XII, par les exigences des Suisses, par les intrigues des Impériaux ou des Papes et aussi par les fréquents retards dans le paiement des sommes dues aux cantons. Lorsque les confédérés se divisèrent en catholiques et protestants, il fallut toutes sortes de ménagements pour conserver les uns sans aliéner les autres. Au nord de l'Europe, François Ier reprit avec l'Écosse des rapports plus intimes ; il soutint le duc d'Albany, adversaire des Anglais ; il se déclara prêt à appliquer les clauses du traité signé à Rouen en 1517, qui resta pendant tout le règne la base de l'alliance entre les deux pays. Il envoya de même des renforts au roi de Danemark, qui luttait contre la Suède (il est question dans un mandement de 1.000 hommes transportés en Danemark). On ne voit cependant point qu'il ait considéré ces négociations autrement que comme secondaires. II. — LA GUERRE OUVERTE. FRANÇOIS Ier n'engagea les hostilités qu'en mars 1521. Il avait eu le grand tort, voulant faire la guerre, de ne pas la faire plus tôt, au moment où Charles était encore très gêné par la révolte des Communeros et où il n'avait pas négocié avec l'Angleterre et le Pape. François Ier n'avait que des alliés peu en état de soutenir la lutte : Robert de la Marck et Henri d'Albret ; c'est cependant eux qu'il lança d'abord en avant, contre le Luxembourg et contre la Navarre espagnole. Lui-même ne mit ses armées en campagne qu'en mai, alors que l'insurrection des Communeros touchait à son terme et que, d'autre part, les représentants de l'Empire siégeaient encore à Worms. De sages gens disaient qu'il eût mieux valu pour François Ier et Robert de la Marck attendre la séparation de la Diète, parce que l'Empereur n'aurait plus eu le moyen d'obtenir secours des princes dispersés. Des deux côtés, d'ailleurs, on n'était pas prêt — on ne devait jamais l'être — et il fallut faire des levées d'hommes hâtives, qui coûtèrent très cher. Comme le disait François Ier : Pour souldoyer grand nombre, avec l'artillerie nécessaire, pour estre le plus fort et passer partout, fault avoir infini argent, et assez gros trésor y est bientôt épuisé. Les deux souverains recoururent aux expédients. C'est une rencontre assez curieuse que François Ier ait emprunté 80.000 écus à la succession de Boisy, et Charles pris 850.000 ducats à celle de Chièvres, mort peu de temps après Boisy. Lesparre, envoyé au Sud-Ouest pour soutenir Henri d'Albret, s'empara de la Navarre espagnole, mais lorsqu'il essaya d'entrer en Castille, il fut repoussé devant Logrofto et vaincu à Esquirros (30 juin). La Navarre retomba au pouvoir de l'Espagne. Au nord de la France, les terres de La Marck furent occupées par les Impériaux dans les premiers jours de juin, et François Ier se borna à ravitailler Mouzon et Mézières. C'est que le meilleur de nos troupes était en Italie, sous le commandement de Lautrec et de son frère Lescun, qui devaient leur faveur, ainsi que leur frère Lesparre, à l'influence de leur sœur Madame de Châteaubriand. Cette famille de Foix fournit ainsi trois généraux également incapables, à qui furent dus en grande partie les revers subis de 1521 à 1529. Il est vrai qu'en 1521 Lautrec trouvait l'Italie presque entière tournée contre les Français et les choses déjà si désorganisées qu'il dut payer de son argent une partie de la solde des Suisses. Ces échecs ou ces embarras décidèrent François Pt à accepter les propositions faites par l'Angleterre ; il investit officiellement Henri VIII du titre de médiateur et écrivit à Wolsey une lettre, où il lui confiait le soin de son honneur et de ses intérêts, et où le terme de mon bon amy était répété jusqu'à trois fois. Les conférences s'ouvrirent à Calais, le 4 août, en la présence (en réalité présidence) de très Révérend Père en Dieu, Messire Thomas (Wolsey), archevêque d'York, cardinal et légat en Angleterre, lieutenant de très haut et très puissant prince le Roy d'Angleterre. François Ier était représenté par Duprat ; Charles, par Gattinara. Les deux souverains affirmaient leur désir de la paix, mais ils ne la concevaient chacun qu'avec des conditions qui la rendaient presque impossible. Gattinara, d'ailleurs, était personnellement très hostile à la France Dans une lettre à Charles-Quint, il se prononçait contre toute trêve. Il comptait sur le bon vouloir du roi d'Angleterre et il avait raison. En effet, les conférences à peine commencées, Wolsey s'était rendu à Bruges, le 12 août, auprès de Charles-Quint, à qui il avait fait dire qu'il voulait l'advertir d'aucunes choses que nul homme vivant ne doit savoir ni entendre que luy (Henri VIII), vous et moy. Il avait promis aux ambassadeurs français à Calais que son voyage ne durerait qu'une semaine, il en dura trois. Peut-être cependant Henri VIII n'aurait-il pas osé violer ouvertement son devoir de médiateur, s'il avait trouvé une bonne volonté pacifique plus décidée chez François Ier. Mais celui-ci faisait grand fonds sur sa puissance militaire. Le 26 août 4524, il écrivait à ses ambassadeurs : Et quant à la guerre que j'ai du costé de Mouzon, Mézières et Picardie, je vous advise que de ceste heure sont en mon royaume neuf mil cinq cens Suisses et oultre ceux-là trois mil des haulx quantons, qui ont ja passé Lozanne (Lausanne). J'ai tiré toute la gendarmerie de Bourgogne. Pareillement (je) mande à Monsieur de Vandosme qu'il face soner le tabourin et assembler les dix mil hommes de pié et, des deux mil chevaux (qu'il a), qu'il y en mecte mil (en campagne). Il sentait bien que le cardinal d'York n'alloit pas si vertueusement en besogne, comme il le debvoit, et ses ambassadeurs ne savaient que penser, si n'est qu'il court ung temps qu'il faut avoir bon pied et bon œil et ne se fier trop aux gens. Mais Wolsey jugeait peut-être aussi que François Ier avait plus besoin de la paix que son rival, que c'était donc à lui à faire les sacrifices. Aux ambassadeurs français, qui se plaignaient des exigences des Flamands, comme on disait, et déclaraient qu'ils eussent rompu les conférences, n'eût été le désir de complaire à Henri VIII, il répondait que cela serait bon si le roi de France était le plus fort, mais qu'il était au contraire en plus grand danger que l'Empereur ; qu'une victoire lui servirait de peu, qu'une défaite serait très redoutable. Les ambassadeurs de Charles lancèrent un manifeste en latin cicéronien, très violent. Non Burgundiam, non tot alia dominia, quia contra omne jus fasque possidet Gallus, non tot injurias majoribus nostris illatas, non totiens rupta fondera, violatum jusjurandum, violatum ltesumque a Gallis jus et honestatem publicam præ oculis habuimus[7]. Les ambassadeurs français composèrent une autre invective, aussi violente et non moins cicéronienne. Ils rappelaient la longanimité du Roi envers le jeune Charles, à qui il n'avait cessé de prodiguer son aide, à qui il avait permis de réunir en paix ses héritages. Comment celui-ci avait-il répondu à ces bienfaits ? par des outrages répétés. Fallait-il donc les subir docilement ? Non pas certes. Non feremus, non patiemur, non sinemus ! Tantum testamur immortalem Deum, perfidiaa injuriarumque ultorem, nos extra culpam esse, curasseque omnia ut bello abstineremus, quœ ad pacem quietemque spectarent faceremus, et invitos et reluctantes arma induisse[8]. Dans les discussions fastidieuses, qui se poursuivirent jusqu'à satiété sur les mêmes points, Gattinara affectait une hauteur dédaigneuse ; Duprat s'engagea quelquefois maladroitement. A propos de l'attaque de La Marck, il offrit sa tète, si on lui prouvait que le Roi l'avait favorisée. J'accepte l'oblation de la tête du chancelier, répondit Gattinara et, le lendemain, il produisit une lettre de François Ier, très compromettante, sur laquelle Duprat ergota péniblement. Il paraît que Duprat offrit encore une fois sa tête, à propos de Naples, ce qui faisait dire à Gattinara que le chancelier de France se montre fort libéral de sa tête, en ajoutant qu'il en eût préféré une de porc. C'étaient les plaisanteries du temps. Les délégués du cardinal n'avaient pas trop tort de dire : Nous sommes de tout le tueur marrys et déplaisans d'ouyr telles choses, car certes nous désirerions la pacification et apaisement de ces difficultés ; or les discussions n'y menaient guère. Les prétentions des souverains et l'attitude des plénipotentiaires variaient suivant la fortune des hostilités, qui avaient continué pendant les négociations. Les Impériaux avaient pris Mouzon au mois d'août, puis avaient mis le siège devant Mézières. La ville paraissait si peu en état de défense qu'on avait, quelque temps auparavant, conseillé au Roi de l'abandonner. Tel n'avait pas été heureusement l'avis de M. d'Orval, lieutenant du Roi en Champagne, et de Bayard, qui s'étaient engagés à tenir dans la place[9]. Tous deux l'avaient fait remparer en hâte et l'avaient garnie de vivres et de munitions. A leur appel, étaient venus Montmorency et des chefs renommés, de Montmoreau, Boucal. Ils résistèrent si bien que les Bourguignons levèrent le siège, le 26 septembre, après un mois d'attaques infructueuses. Montmorency, et vous Bayart, écrivait le Roi, j'ay veu ce que m'avez escript et faict sçavoir par le capitaine Pierrepont, lequel je vous renvoye et, sachant que vous le croirez de ce qu'il vous dira, je ne mets discours autre, fors que je vous advertis que non seulement je suys content de vous, mais povez estre seurs que j'en feray telle démonstration que tout le monde le cognoistra. On devait le connaître pour Montmorency bien plus que pour Bayard. Madame disait pourtant de celui-ci que c'est un personnage qui vault et mérite tant et tant que pour luy on ne sçauroit trop faire. Mais Bayard n'était pas plus de ceux qui savent se faire valoir que Montmorency de ceux qui se laissent oublier. François Ier, qui avait 30.000 hommes de pied, 3.000 hommes d'armes et une nombreuse artillerie, laissa peut-être échapper l'occasion d'accabler l'armée impériale, commandée par Charles-Quint en personne, près de Valenciennes (24 octobre), et il ne réussit même pas à empêcher la prise de Tournai. Puis, en Italie, Lautrec perdit Milan, Parme, Plaisance, et laissa Sforza rentrer dans le duché. Aussi les projets de paix qui, vers le mois d'octobre, avaient été contrariés par les exigences de François Ier, le furent en novembre par celles de l'Empereur. Le 22 novembre, les conférences furent rompues ; le 24, Henri VIII, Léon X et Charles s'unissaient par un traité offensif contre François Ier. A la fin de 4521, l'Empereur pouvait regarder avec satisfaction les événements qui s'étaient accomplis. La révolte des Communeros était anéantie ; la Navarre reprise ; Florence et Mantoue se déclaraient contre François Ier. Ferdinand était solidement établi en Autriche ; les opposants d'Allemagne avaient été abattus, le duc de Wurtemberg s'était réfugié à la cour de France et Luther à la Wartbourg ; la Chambre impériale avait été reconstituée, un Conseil de régence organisé, avec Ferdinand comme président. L'alliance avec l'Angleterre paraissait absolument solide. Léon X était mort en décembre, mais il était remplacé par Adrien VI, ancien précepteur de Charles, naturellement favorable à son élève. Enfin, Charles s'était allégé d'un lourd fardeau, en donnant aux Pays-Bas un gouvernement particulier, qu'il confia à sa tante Marguerite. François Ier cependant continuait à porter son principal effort en Italie ; Lautrec y reçut un secours de 16.000 Suisses, mais pas d'argent pour les payer ; il fut battu à la Bicoque, le 29 avril 1522, à cause de leur obstination à attaquer l'ennemi dans une position défensive très forte. Abandonné par une partie de ses contingents, il perdit Lodi, Crémone, tout le Milanais, sauf les forteresses de Milan, de Crémone, de Novare, et rentra en France après la prise de Gènes par les Impériaux. III. — COMPLOT DE BOURBON. EN 1523, l'événement capital fut la trahison du connétable de Bourbon. La situation en France était fort trouble : la bourgeoisie s'irritait des demandes incessantes d'argent. Au mois de novembre 1522, trois conseillers au Parlement avaient été menés à la Bastille, pour avoir fait observer que le Roy avoit gros revenu et que d'iceluy n'estoit fait aucune chose pourfitable pour le royaume et la chose publique. Le populaire s'agitait ; le 30 juin, il y eut presque une émeute. Toutes les chroniques sont pleines des méfaits des soudards, qui faisoient des maulx inestimables. Une bande avait pour chef un certain Mauclou ou Montelou. Pris enfin, il eut une main coupée dans la cour du Palais, une autre sur le parvis de Notre-Dame, et fut décapité devant l'Hôtel de Ville ; son corps en quartiers fut exposé aux quatre portes principales de la ville. Il y eut aussi des assemblées d'aventuriers en Poitou, en Anjou, en Auvergne, en Limousin. Bourbon se disait mécontent du
gouvernement désordonné et sensuel pratiqué en France par le Roi et
prêt à le réformer. En mai, juin et juillet 1523, il poursuivit des
négociations à Londres, à Valladolid, à Moulins : Ledit
Bourbon, écrivait à Charles un de ses agents, jure
servir Votre Majesté envers et contre tous, sans nulz excepter, et accepte
dès ceste heure vostre alience et ligue défensive. Et quant au roy
d'Angleterre, il s'est ouffert de tous points en faire au dit et voloir de V.
M. Deux traités furent conclus par le connétable, l'un avec
l'Empereur, l'autre avec le roi d'Angleterre. Bourbon devait recevoir en
mariage Madame Éléonore, sœur de Charles-Quint, veuve du roi de Portugal, ou
Madame Catherine, une autre sœur de Charles, avec une dot de 100.000 écus.
L'Empereur et le roi d'Angleterre lui promettaient chacun 100.000 écus pour
ses dépenses de guerre. Il était stipulé que l'Empereur ferait attaquer
Narbonne au mois d'août, que Henri VIII descendrait en Normandie, où il
devait être assisté de par aucuns gentilshommes,
serviteurs dudit Bourbon, de tout ce que possible sera. En échange de
son intervention, Henri VIII recevait de Bourbon l'engagement de le
reconnaître comme roi de France. Après l'entrée de l'armée impériale en
France, le connétable lui-même, avec ses gens et 10.000 hommes levés pour lui
en Allemagne, marcheroit incontinent au lieu que lui
sembleroit le plus propice pour mieulx besoigner. Ces combinaisons criminelles, qui paraissaient si redoutables pour la France, échouèrent misérablement. On a vu comment le Roi, prévenu, déconcerta les plans de Bourbon, qui fut réduit à s'enfuir en Franche-Comté. Les armées espagnole, allemande et anglaise ne réussirent pas beaucoup mieux. Au Sud, les Espagnols, au lieu d'assiéger Narbonne, se bornèrent à attaquer Fontarabie. La place fut rendue après quatre jours de siège par son commandant, qui fut jugé et sur un eschaffaut dégradé de noblesse et déclaré roturier, lui et. ses descendants, pour avoir esté négligent. A l'Est, les lansquenets allemands essayèrent d'entrer en France par la Lorraine ; ils furent presque anéantis par Guise, au passage de la Meuse, devant Neufchâteau. Les dames de Lorraine et de Guise estoient aux fenestres, qui en eurent le passe-temps. Seuls, les Anglais, qui avaient débarqué à Calais, où ils avaient rallié les contingents des Pays-Bas, arrivèrent jusque sur l'Oise, à Il lieues de Paris, où il y eut gros émoi et fuite de gens. La Trémoille, qui commandait en Picardie, avoit si petit nombre d'hommes qu'il estoit contraint, quand l'ennemi avait abandonné une place (l'attaque d'une place), de retirer les forces qui estoient dedans pour les mettre en une autre au-devant de cet ennemy. Mais les Anglais reculèrent devant des renforts envoyés par le Roi et rentrèrent en Artois. Très vite, les alliés furent mécontents les uns des autres et agirent sans plus se concerter. Aussi François Ier ne désespérait pas. Tout en continuant à parler de la Croisade, il commençait à se rendre compte du secours indirect qu'il recevait des attaques des Turcs contre ses ennemis. Soliman avait pris Belgrade en 1521 et Rhodes en 1522. Le Turc s'avance toujours plus avant et les Turcs chrétiens l'encouragent, en particulier celui de France, telle était l'opinion courante dans l'Empire ; néanmoins Ulrich de Wurtemberg, Robert de la Marck, le duc de Clèves et quelques-uns des Électeurs continuaient leurs intelligences avec François Ier, qui comprenait fort bien le parti qu'il pouvait tirer de leur appui et négociait très activement avec eux. Hanté par la fatale idée fixe, il reporta encore une fois la guerre en Italie et confia sa plus belle armée à Bonivet. Lorsque celui-ci, à la fin de septembre 1523, entra dans le Milanais, rien ne résista à l'armée française en sa première furie. Mais il hésita et se borna à s'établir, pendant un hiver très rigoureux, autour de Milan, dont il fit le siège. Dès le commencement de mars 1524, les Impériaux reprirent l'offensive. Colonna, mort le 28 décembre, avait été remplacé par Charles de Lannoy, médiocre général, mais politique subtil, qui apportait dans la guerre du sang-froid et de la clairvoyance, à défaut de décision. Les Vénitiens, qui redoutaient plus les prétentions de la France sur le Milanais que celles de l'Empire, venaient d'abandonner l'alliance française en 1523, et Lannoy avait ainsi avec lui les troupes vénitiennes et papales ; il avait reçu 6.000 lansquenets allemands : il était très supérieur en forces à l'armée française. Bonivet recula sur Vigevano, perdit Verceil, se concentra un moment à Novare, où il attendit 400 gendarmes de France et 6.000 Suisses, qui devaient descendre des Alpes par Ivrée, pendant que 6.000 Grisons feraient une diversion vers Lodi. Mais l'armée française était épuisée, sans munitions, presque sans vivres. Les grands chevaux étant morts pendant l'hiver, beaucoup de gens d'armes combattaient, montés sur des courtauds. Attaqué près de Romagnano par Bourbon et le duc d'Urbin, qui étaient venus rejoindre Lannoy, Bonivet tenta de profiter de la nuit pour franchir la Sesia. Il perdit 500 hommes et une partie de son bagage, fut grièvement blessé au bras d'un coup d'arquebuse et confia le soin de la retraite au comte de Saint-Pol et à Bayard. Le chevalier fit tête aux assaillants avec sa vigueur ordinaire, mais fut atteint dans les reins d'un coup d'arquebuse, au moment où il se jetait sur un corps ennemi, pour reprendre deux canons qui avaient été enlevés. Il se sentit perdu, refusa de se laisser emporter hors du champ du combat et, s'étant fait accoter à un arbre par son écuyer, il baisait dévotement la croix de son épée. Recueilli par les ennemis, il mourut au bout de quelques heures. Un agent de l'Empereur écrivait : Sire, combien que le dit sieur Bayart fust serviteur de vostre ennemi, si a ce esté domaige de sa mort, car c'estoit un gentil chevallier, bien aimé d'ung chascun et qui avoit aussi bien vescu que jamais homme de son estat ; et, à la vérité, il a bien monstré à sa fin, car ce a esté la plus belle dont je ouys oncques parler. La perte n'est point petite pour les François. Ces mots sont éloquents dans leur simplicité. Bayard fut en effet un type admirable de bravoure, de droiture, de modestie et de bonté. Et il est intéressant de constater que d'assez bonne heure — non pas immédiatement cependant — on opposa le gentilhomme fidèle à son roi au grand seigneur traître à son pays[10]. DES FRANÇAIS. Les Français précipitèrent la retraite : On ne vit jamais artillerie ny gens de pied courrir la poste de la sorte qu'ilz ont ceste foys faict. Les Suisses rentrèrent dans leur pays par Aoste, les troupes de Saint-Pol par Turin et Suze. L'Italie était encore une fois perdue. IV. — CAMPAGNE DE PAVIE. L'EMPEREUR qui, en 1523, avait porté son principal effort du côté de l'Italie, n'abandonnait pas ses projets sur la Bourgogne, et il écrivait à son frère Ferdinand de profiter des circonstances, pour envahir cette province. Il lui proposait de faire mettre François Peau ban de l'Empire, comme subject rebelle pour le royaume d'Arles, le Dauphiné. Le duc de Bourbon résolut d'entrer en France par la Provence, comptant sur les amis qu'il avait conservés dans le royaume. Il signa en juin un nouvel accord avec Henri VIII, pour le décider à envahir la France par la Picardie[11], et convint avec l'Empereur que des troupes espagnoles pénétreraient dans le Roussillon, pour aller le rejoindre au delà du Rhône. Il avait avec lui 800 hommes d'armes, 1 500 chevau-légers, 20.000 piétons allemands ou espagnols et une nombreuse artillerie. Il franchit le Var au début de juillet, sans rencontrer de résistance. Il voulait, dit-on, se porter directement sur Lyon ; mais les Impériaux exigèrent qu'il s'emparât d'abord de Marseille, dont les marins incommodaient fort le commerce espagnol et entravaient les relations entre l'Aragon et l'Italie. Arrivé devant la place, vers le 5 août, il trouva la garnison et les habitants très résolus à se défendre. Le capitaine, un banni italien, Renzo da Ceri, était énergique et habile ; André Doria, qui s'était mis au service de François Ier, croisait au large du port et le ravitaillait, tandis que les Espagnols ne recevaient que très difficilement des munitions et des vivres. François In s'avançait, mais lentement, de Lyon à Vienne, de Vienne à Valence ; il finit par asseoir son camp, en septembre, entre Avignon et la Durance, qu'il ne dépassa pas. Les Avignonnais avaient refusé de recevoir l'armée française et, Clément VII ayant envoyé un bref au Roi pour lui rappeler que la ville était papale, François Ier dut se borner à y faire une entrée solennelle, le 14 septembre. Menacé par la présence de l'armée royale, Bourbon résolut de donner l'assaut à Marseille, le 21 septembre : mais comme ses soldats s'y refusèrent, il se décida à la retraite et la mena rapidement. Il arriva à Nice dans les premiers jours d'octobre, ayant perdu beaucoup d'hommes et une partie de son artillerie, tout en ayant sauvé le gros de son armée, et, il rentra en Italie. François Ier, qui certainement craignait le hasard d'une bataille, s'était borné à faire surveiller les troupes impériales par Montmorency, en lui recommandant sans cesse de ne pas s'engager. Il voulait garder ses forces pour reconquérir ce duché de Milan qui obsédait sa pensée. Il franchit les Alpes dans les premiers jours d'octobre ; son offensive parut d'abord irrésistible, car il poussa presque d'un coup jusqu'à Milan, d'où Bourbon, Pescayre et Lannoy n'eurent que le temps de sortir par la porte orientale, durant que l'armée française enlevait les fortifications à l'Ouest ; néanmoins les Impériaux conservèrent le château, toujours imprenable. Ils étaient à ce point désemparés que très probablement une seule attaque sur Lodi eût donné au roi cette place très forte ; il n'osa la tenter, et. porta son armée vers Pavie. Pavie est située sur la rive gauche du Tessin qui, en amont, se divise en deux bras enveloppant une grande île, où se trouvait, au XVIe siècle, le faubourg de Saint-Antoine. La ville même était entourée de murailles soigneusement remparées, enfermant un château vers le Nord. A l'Est, un ruisseau rapide, avec des rives escarpées, la Vernavola, court du Nord au Sud et, avant de rejoindre le Tessin, coule parallèlement aux murailles de Pavie, dont il est séparé par un espace de un mille à un mille et demi, couvert au XVIe siècle d'abbayes : Saint-Pierre, Sainte-Thérèse, Saint-Jacques, Saint-Paul. Au Nord, à peu de distance de la ville, s'étendait le parc de Mirabello, clos de hautes et solides murailles. A l'Ouest, s'élevait la belle abbaye de Saint-Lanfranc. Milan, occupé alors par les Français, est à 15 milles au nord de Pavie ; Lodi, où se maintenaient les Impériaux, à 15 milles à l'Est. Don Antoine de Leiva, un capitaine très habile et très énergique, s'était enfermé dans la place ; il avait, au début du siège, 5.000 lansquenets, 400 Espagnols et 200 lances, nombre qui diminua considérablement par la famine, par les maladies, par les combats multipliés. François Ier commença le siège, le 28 octobre, mais une première attaque tentée contre la ville ne réussit pas, et les mesures de défense parurent si formidables qu'on hésita à en tenter une seconde. Les-ingénieurs proposèrent alors de barrer le bras principal du Tessin,. en aval du point où il se sépare en deux, de façon à entrer dans Pavie par le lit du fleuve ; puis, les premiers travaux ayant été renversés. par une crue subite, on renonça à les reprendre. Assez vite, le Roi transforma le siège en une espèce de blocus, et passa les mois de-décembre et de janvier dans une inaction surprenante, puisqu'il dis--posait de près de 30.000 hommes, fantassins ou cavaliers. Son camp formait un vaste demi-cercle au Nord, depuis l'abbaye de Saint-Pierre à l'Est, jusqu'à celle de Saint-Lanfranc à l'Ouest ; c'était comme une ville improvisée, où les marchands, les vivandiers, les femmes composaient une agglomération de 70.000 individus. Une partie de l'armée-française occupait le faubourg de la rive droite, dont on s'était emparé dès le début du siège. En Italie, on était persuadé que la victoire ne pouvait échapper à François Ier ; les Vénitiens traitèrent avec lui en décembre, le Pape-un peu plus tard. Bourbon ne voyait le salut que dans une diversion. d'Henri VIII au nord de la France, d'autant, lui écrivait-il, que le Roy et tous les princes de France, ensemble les principaux capitaines sont de par deçà. A la fin de janvier 1525, la situation avait peu changé : dans Pavie, les assiégés réduits aux extrémités, mais contenus par l'implacable énergie de Leiva ; autour de Pavie, l'armée du fort mal payée et qui commençait à souffrir. Une lettre montre les plus grands seigneurs contraints de nécessité de se aller chauffer à la cuysine du Roy. A Lodi, l'armée impériale se concentrait : 6.000 Italiens, 13.000 Allemands, 3.000 Espagnols, 800 lances et plus de 1000 chevau-légers. Seulement ces troupes non plus n'avaient pas reçu de solde depuis longtemps, car Charles-Quint, lui aussi, était tout à fait à court d'argent. D'autre part, François Ier avait commis la faute de détacher un corps vers Naples, soit qu'il aspirât toujours à la conquête de ce royaume, soit qu'il ait pensé obliger ainsi les ennemis à divertir une partie de leurs forces. On ne peut croire, écrivait dès le 22 novembre l'ambassadeur florentin, que le Roi Très Chrétien veuille envoyer de ses troupes au royaume (de Naples) ; s'il le fait, il fera plaisir à ces seigneurs (les Impériaux). Ce fut en effet une fausse manœuvre, qui affaiblit l'armée française, sans donner le change aux Impériaux. Vers le 20 janvier, Bourbon, Lannoy et Pescayre réunis décidèrent de se porter sur Pavie, pour en faire lever le siège. Ils quittèrent Lodi le 24 janvier et, le 3 février, arrivèrent à un mille des avant-gardes françaises. Deux partis s'offraient à François Ier : abandonner le siège, se retirer vers le Nord, sur Binasco, et compter que l'armée impériale, inactive et non payée, se démembrerait, ou bien attendre les ennemis dans son camp. Ce dernier avis, soutenu par Bonivet, prévalut, car le Roi se croyait très supérieur à ses adversaires ; en quoi il s'abusait, son armée étant moins nombreuse que ne l'indiquaient les relevés officiels. Il se borna donc à reporter l'assiette de ses troupes de l'Ouest à l'Est, pour faire face aux arrivants, et s'établit fortement vers Mirabello en occupant le parc, de façon à être couvert par les murs qui en formaient l'enceinte et par la Vernavola, sur la rive gauche de laquelle les ennemis campaient. Les corps de troupes étaient si voisins que de l'un à l'autre on entendait les cris et les tambourins. Ils restèrent ainsi en présence près de quinze jours. La tactique des Impériaux parait avoir été de fatiguer les Français par des escarmouches et d'enlever peu à peu les approches du camp royal, car ils avaient l'avantage d'être libres de leurs mouvements, tandis que François Ier, obligé de se maintenir autour de Pavie, se trouvait comme assiégé à son tour entre l'armée de secours et la place. Les Français se gardaient si mal que Leiva, à la faveur d'une attaque feinte, reçut de la poudre et de l'argent, et qu'un de ses capitaines alla assister, dit-on, au conseil où se décida la bataille. Entre les deux armées, c'étaient presque tous les jours des escarmouches, et le Roi avait tout juste le temps d'ouïr la messe avant de monter à cheval. Il se trompait en croyant que les ennemis ne vouloient pas manger de la bataille et en faisant dire aux Cantons suisses que les ennemys ont perdu toute espérance de sçavoir porter le faix de cette guerre. Un Italien, qui était dans le camp royal, voyait bien plus juste et signalait l'imprudence et la témérité des Français. Il y eut une série d'épisodes fâcheux pour François Ier. Chiavenna ayant été prise par des troupes impériales qui opéraient dans la vallée de l'Adda, les Suisses rappelèrent 6.000 Grisons ; 2 006 Valaisans furent presque anéantis à Saint-Lanfranc ; 2.000 Italiens qu'on avait appelés de Savone furent dispersés avant d'arriver au camp ; le condottière Jean de Médicis, atteint d'un coup d'arquebuse au genou, dut quitter l'armée : or c'était un des chefs les plus habiles et les plus populaires, et une partie de ses soldats, au nombre de près de 3.000, se débanda. Cependant, le camp royal, fortifié presque partout, paraissait imprenable ; mais les chefs français, comptant que les hautes murailles du parc de Mirabello le mettaient à l'abri d'une attaque, ne l'avaient fait occuper que par quelques troupes. Le 23 février, à la suite d'un conseil de guerre, Lannoy, Pescayre et Bourbon se décidèrent à livrer bataille, pour tourner la position, en s'établissant à Mirabello, et débloquer Pavie en débordant le camp français par l'Ouest[12]. Dans la nuit du 24 au 25, les Impériaux détachèrent des troupes, qui firent brèche sur trois points dans les murs du parc. Les soldats portaient des chemises blanches afin de se reconnaître ; ils marchèrent dans un ordre parfait, en silence. Puis, au petit jour, l'armée impériale pénétra dans le parc par les brèches. L'artillerie française causa d'abord de grands ravages dans les troupes de Pescayre obligées de défiler de flanc devant elle, mais, peu à peu, l'armée espagnole fut concentrée et aborda le camp royal. C'est alors que François Ier, abandonnant sa position, rangea son armée en avant de ses retranchements : en tête les gens d'armes, commandés par lui et flanqués de soudoyers allemands, en arrière le duc d'Alençon, plus loin, en observation vers Pavie, La Palice. Le Roi se jeta sur les ennemis en masquant son artillerie, et il le fit si précipitamment que les fantassins ne purent le suivre. Aussi, après avoir renversé ce qui se rencontrait devant lui, il se trouva isolé, sa gendarmerie décimée par les arquebusiers que Pescayre avait mêlés à ses cavaliers. Attaqués à part, les gens de pied succombèrent après une lutte énergique ; les Suisses se battirent fort mal et se débandèrent. A ce moment, Leiva sortait de Pavie et se jetait sur le camp, pendant que le duc d'Alençon quittait le champ de bataille[13]. Il n'y eut plus dès lors que des luttes presque individuelles. François Ier restait avec ses amis[14] et les gentilshommes de sa maison ; presque tous furent tués ou pris à côté de lui. Entouré d'hommes d'armes espagnols, allemands, italiens, il se défendait héroïquement, et, bien que blessé au bras, il écartait les assaillants de sa terrible épée. Il refusa de se rendre à un gentilhomme de la suite de Bourbon qui l'avait reconnu et ne se livra qu'à Lannoy, qui arriva à temps pour le sauver, car les soldats se pressaient de tous côtés autour de lui et ne l'auraient pas ménagé dans leur acharnement à s'emparer de lui. Ils se le disputaient avec fureur. La bataille était finie avant midi ; 6 à 8.000 Français avaient péri, dit-on, et parmi eux les plus grands seigneurs : les uns, derniers survivants des guerres d'Italie, La Palice, La Trémoille ; les autres qui avaient fait presque leurs premières armes avec François Ier lui-même : Bonivet, Lescun, le Binard de Savoie. La plaine resta couverte de sang pendant quelques jours ; les Espagnols avaient montré une cruauté froide ; ils avaient tué bien plus qu'ils n'avaient fait des prisonniers. Beaucoup de témoignages s'accordent à constater que la bataille avait été menée au hasard par les Français. Les Français ont perdu la tête, quand a cessé leur artillerie, écrivait un Italien. Monluc plus tard portera ce jugement : Je diray seulement qu'elle ne fust guières bien conduicte ne (de) plusieurs endroits de nostre costé, qui fust cause de faire perdre ceux qui faisoint leur debvoir. Or, encores que nostre camp feust faible, si ne se feust pas perdue la bataille, sans qu'on n'y eust autrement combatu qu'on n'y fist. V. — CAPTIVITÉ DE FRANÇOIS Ier ET TRAITÉ DE MADRID[15]. FRANÇOIS Ier fut mené d'abord au monastère de Saint-Paul, puis à la forteresse de Pizzighettone, d'où il écrivit à sa mère la célèbre lettre. Madame, pour vous faire sçavoir comme se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est sauve. Et pour ce que, en vostre adversité, ceste nouvelle vous fera ung peu de reconfort, j'ay prié qu'o' me laissant vous escrire ceste lettre, ce que l'on m'a aisément accordé ; vous suppliant ne vouloir prendre l'extrémité vous-mesme, en usant de vostre accoustumée prudence ; car j'ay espérance que Dieu ne me abandonnera pas, vous recommandant vos petits enfants et les miens...... Monseigneur, lui répondait Madame, je ne puis par meilleur endroit commencer ceste lettre que de louer Nostre Seigneur de ce qu'il luy a pieu vous avoir gardé ronfleur, la vie et la santé... vous asseurant, Monseigneur... que ainsy de ma part je soutiendré, selon vostre intencyon et désir, la fortune, en tète sorte que pour le secours de vos petys enfants et afères de vostre royaume, je ne vous seray ocasion de vous adjoindre peine davantage.... Dans son trouble, sans doute, le Roi avait oublié de parler des affaires de son royaume. Tombé du faite de gloire où il se croyait arrivé, il était comme désemparé, sans volonté arrêtée et préoccupé surtout de lui-même. Sa mère déploya au milieu de ces circonstances terribles beaucoup d'énergie et d'habileté'. Elle se trouvait à Lyon et y maintint le siège du gouvernement ; elle fit prendre des mesures de défense et payer les troupes pour éviter les désordres ; on sentit partout sa main ferme et un peu dure. Comme les hostilités cessèrent en fait après la bataille, l'inaction de Charles-Quint et de ses alliés ne tarda pas à rassurer le pays, et l'on eut assez vite le sentiment que tout se résoudrait par des négociations. Mais de quel prix paierait-on la paix et la liberté du roi ? La Régente comprit fort bien que le succès éclatant remporté par Charles devait inquiéter plutôt que satisfaire ses alliés mêmes ; elle agit donc en Angleterre et en Italie, en même temps qu'elle entamait des pourparlers avec l'Empereur. Aux yeux de François Ier la solution était simple : il terminait ainsi une lettre à l'Empereur : S'il vous plaist avoir ceste honneste pitié de moyenner la seureté[16] que mérite la prison d'un roy de France, lequel on veut rendre amy et non désespéré, pouvez estre seur de faire un acquest au lieu d'un prisonnier inutile, et de rendre un roy à jamais vostre esclave. Il garda longtemps cette illusion d'être traité en vaincu de tournoi et d'exiger de Charles, au nom de la vertu, qu'il renonça à ses intérêts politiques. Mais celui-ci voyait les choses d'un esprit plus positif, et c'était bien son droit. A cette lettre et à d'autres du même genre, il répondait qu'il attendait des propositions de paix raisonnées. Ce n'était pas cependant qu'il fût bien décidé sur la
conduite à suivre et, dans son entourage, on craignait évidemment ses
hésitations ou ses scrupules ; on le voit à des lettres de ce genre : Sire, lui écrivait de Lannoy, je crois qu'il vous souvient que M. de Bersèle disoit que
Dieu envoye aux hommes en leur vie un bon août et que, si on le laisse passer
sans le cueillir, qu'il y a danger que vous ne le retrouverez plus. Et
Ferdinand : Si j'étoie saige assez pour vous bien
sçavoir conseillier, il me semble qu'il ne fauldroit perdre une telle opportunité,
ains poursuyr vostre bonne fortune et faire de sorte que le dit roy de France
ne ses successeurs aient la puissance à vous ne aux vostres cy après porter
dommaige. Charles était en effet incertain. Il songeait sincèrement à assurer la paix à la Chrétienté et à poursuivre les projets de croisade. Je vois que ne me sçaurois où employer, si ce n'est contre les infidelles ; j'en ai tousjours eu la volonté et à ceste heure ne l'ay moindre. Puis il se rendait compte des difficultés de sa situation, si belle qu'elle parût. Après la victoire, certains avaient conseillé une triple invasion en France : du vice-roi de Naples et du connétable de Bourbon, par la Provence ; de Ferdinand, par la Bourgogne ; d'Henri VIII, par la Picardie. Mais le roi d'Angleterre, après avoir proposé un plan de démembrement du royaume, s'était montré fort peu disposé à agir. D'autre part, ni la victoire ni même le butin n'avaient enrichi l'Empereur. La solde de l'armée d'Italie n'était toujours pas payée, les soldats menaçaient de se mutiner ; encore le 20 avril, on n'avait pas pu les satisfaire entièrement. En Allemagne même, Charles rencontrait toujours de graves difficultés. Pendant la campagne d'Italie, François Ier avait entretenu des intelligences avec le roi de Bohème, avec le duc Ulrich de Wurtemberg et un grand nombre de princes, dont on trouva des lettres compromettantes dans ses bagages. Il est vrai que la défaite de Pavie avait eu pour effet de paralyser les projets des opposants. Mais le danger le plus grave venait des réformés, et surtout des paysans, en pleine révolte depuis le mois de juillet 1524. Tout ce qui jadis avait été en haut venait de couler à fond. Son frère Ferdinand lui écrivait : Les affaires de Luttère (Luther) sont ce jourd'huy si avancez en mal que en l'Empire n'y a autre chose, et non seulement aux villes, mais entre le commung peuple des paysans, lesquelz se sont élevez et assemblez par dix et vingt mil ensemble dont pouvez, Monseigneur, aussi considérer si j'ay cause de demeurer en Allemagne et si j'ay eu des affaires assez. Il est vrai que la révolte des paysans fut frappée à mort, le 15 mai, par la victoire des princes à Frankenhausen ; mais l'Allemagne n'en resta pas moins en état de convulsion pendant toute l'année 1523. Et les Turcs étaient si menaçants à l'Est qu'il avait fallu envoyer contre eux une partie des troupes que Charles comptait employer en Italie. En Italie, la victoire de Pavie n'avait pas seulement, dit
Guichardin, alarmé les princes dont la puissance
était peu considérable, mais elle donna encore beaucoup d'inquiétude au Pape
et aux Vénitiens. Clément VII manquait absolument de troupes et d'argent et
ses domaines étaient déchirés par les factions des guelfes et des gibelins,
dont la dernière avait toujours eu du penchant pour les Empereurs. Le pape Clément VII avait bien quelques-unes des qualités nécessaires pour évoluer au milieu des difficultés de la politique du temps, mais aucune de celles qu'il eût fallu pour la diriger. On lui reconnaissait de la gravité dans les mœurs, de la science, même de l'éloquence, mais il flottait dans des irrésolutions sans fin, lorsqu'il devait prendre un parti. Le parti adopté, lorsqu'il s'agissait d'exécuter, la moindre réflexion, le plus léger obstacle le replongeaient dans ses premières incertitudes. Assez clairvoyant pour se rendre compte des dangers qu'il courait entre Charles-Quint et François Ier, il ne vit qu'un moyen d'y parer, ce fut de se porter de l'un à l'autre ; mais en agissant ainsi, il se donnait l'air et le désavantage de les tromper tous deux. Charles essaya d'abord de pacifier l'Italie : ses généraux traitèrent avec le Pape, avec Florence, avec les petits États, qui reconnurent une sorte de protectorat impérial et donnèrent ou prêtèrent de l'argent ; le Milanais fut laissé à Sforza. Florence paya 100.000 ducats ; Sforza promit la même somme ; le duc de Ferrare prêta 50.000 ducats. Mais, quand les Italiens virent que les négociations de l'Empereur avec François Ier traînaient en longueur et que la France entrait en relations avec l'Angleterre, ils commencèrent à se réserver. Au nord de la Péninsule, où les troupes impériales semblaient établies à demeure, elles commettaient toutes sortes d'excès. Dans le Milanais, Sforza, étroitement surveillé, redoutait qu'on ne lui enlevât le duché et même qu'on ne s'emparât de sa personne. Or il avait auprès de lui un personnage hardi et entreprenant : le chancelier Morone, entendu aux affaires, plein de ressources, ambitieux, héroïque et fourbe et, comme tant de ses compatriotes déformés par la domination étrangère, mêlant des sentiments élevés de patriotisme à des passions basses. Morone et les Italiens crurent un moment pouvoir compter sur un des généraux de Charles-Quint, le vainqueur même de Pavie, Pescayre, qui se plaignait d'être sacrifié à Lannoy. Mais Pescayre, qui s'était d'abord entendu avec Morone pour entreprendre la délivrance de l'Italie, le trahit, dénonça le complot à Charles-Quint, s'empara de Morone et imposa les plus dures conditions à Sforza. Le Pape traita en décembre avec l'Empereur, qui avait besoin de lui pour obtenir une dispense de mariage avec Isabelle de Portugal, dont la dot était de 900.000 ducats, sur lesquels 400.000 entreraient en déduction des sommes énormes empruntées par lui au roi de Portugal. Encore une fois, l'Italie fut contenue, mais resta frémissante (octobre). Madame en profita pour négocier avec le Pape, avec Venise, avec la plupart des États et s'assurer au moins leur concours moral. Mais c'est surtout l'Angleterre que Charles avait à surveiller. Bien qu'Henri VIII se fût formellement déclaré contre la France en 1523, la Régente et le Roi n'avaient pas cessé d'entretenir des relations avec lui et de lui faire des avances ; des négociations assez mystérieuses se poursuivaient encore à la veille de Pavie. Pourtant, lorsqu'on reçut à Londres, le 9 mars, la nouvelle de la victoire impériale, le Roi pleura de joie ; Londres fut illuminé ; Henri VIII ne parlait que d'envahir la France et de la partager avec Charles. Il n'en parla pas longtemps, car il craignait toujours la prépondérance de l'Empereur en Europe ou son union trop étroite avec François Ier, union à laquelle pensaient des conseillers de Charles. Ses craintes augmentèrent lorsque le roi de France eut été transporté en Espagne. Pleust à Dieu, disait en effet de Praet, un des ambassadeurs de Charles, que S. M. (impériale) et le commun ennemy (François) fussent si bien conseillez que d'eux pouvoir accorder, et puisque Dieu ne veult que ung seul soit le monarque de la Chrétienté, que du moins eulx deux par ensamble la gouvernassent. La Régente usa très habilement de ces diverses circonstances. Le 27 juillet, des conférences se tinrent entre ses envoyés et le cardinal Wolsey. Il fut convenu que le roi d'Angleterre recevrait 2 millions d'écus d'or à la couronne, payables à 100.000 par an, et que, les deux millions payés, il continuerait à toucher jusqu'à sa mort une annuité de 100.000 écus. Wolsey eut 100.000 écus, outre 30.000 qui lui étaient dus : c'était un honnête courtage. Une ligue défensive devait être conclue entre les deux royaumes. Le traité fut signé à Moore le Il août, les signatures échangées le 30, et la paix publiée le 8 septembre. Une des conditions était qu'Henri VIII ferait amicalement tous ses efforts auprès de son très cher frère et cousin l'Empereur pour la délivrance prompte du Roi Très Chrétien, à des conditions honnêtes et raisonnables. Les conditions générales arrêtées, on discuta pendant quelques jours sur les détails d'exécution et surtout sur les ratifications, pour lesquelles les Anglais se montrèrent fort exigeants. Ils voulaient que le traité définitif fût ratifié par Madame, par le Roi aussitôt après sa délivrance, par les États de Normandie et de Languedoc. Un certain nombre de villes devaient s'engager, par obligation à part, à faire accepter au Roi le contenu des traités et à garantir le paiement des 2 millions. Puis la Régente reprit les négociations engagées par l'envoi de Rincon en Hongrie et Bohême, dans les années 1522 et 1523[17], et par l'ambassade du Hongrois Christophe Frangipan qui, à la veille de la bataille de Pavie, avait été chargé par François Ier de pousser le pacha de Bosnie à envahir les États autrichiens. Elle s'adressa directement à Soliman (elle ou son fils), qui écrivit au Roi une lettre solennelle, où il lui promettait son appui. Au mois de mai 1525, François était encore prisonnier à Pizzighettone, mais ni l'Empereur ni ses ministres ne voulaient l'y laisser, sentant qu'il suffirait d'un coup de main pour le délivrer. On s'attendait à ce qu'il fût transporté à Naples, comme le demandaient Bourbon et Pescayre, lorsque, à leur vif mécontentement, on apprit qu'il avait été conduit en Espagne. C'était une partie jouée par Lannoy, qui avait négocié avec Montmorency : François Ier, chose étrange, traversa la mer sur des galères prêtées par la Régente. Il comptait beaucoup sur ce séjour en Espagne pour avancer les négociations. Il gardait l'illusion d'une entente amicale avec l'Empereur, espérant sans doute en la séduction qu'il exerçait sur ceux qui l'approchaient[18]. En Europe, la nouvelle du passage en Espagne fit une impression très forte : les Italiens crurent que les deux rivaux allaient s'entendre aux dépens de l'Italie et que leur indépendance était compromise. Tout le monde fut détrompé, à commencer par François Ier, qui subit une dure captivité, durant laquelle il vit à peine l'Empereur. Il fut enfermé dans une des grosses tours de l'enceinte de Madrid. Pendant les six mois qui s'écoulèrent jusqu'à la signature du traité, il révéla une fois de plus les qualités et les défauts de son caractère. Il eut des élans d'héroïsme, comme lorsqu'il se déclara prêt à abdiquer et à garder la prison, plutôt que de céder une province française, mais qui ne tinrent pas. Il manqua de dignité dans ses appels réitérés à l'Empereur, dont il attendait la visite comme une grâce. La captivité épuisait ce tempérament fait pour la vie active ; il fut atteint d'une maladie grave, qu'on put croire un instant mortelle. Le 18 septembre, on prévint en toute hâte Charles, qui était alors à Tolède ; il arriva à la nuit à Madrid et se fit conduire à la chambre du Roi par Montmorency, qui portait le flambeau devant lui, le long des corridors sombres de la tour où François était enfermé. Il fit à celui-ci des promesses que la politique désavoua. Il autorisa Marguerite à venir auprès de son frère pour relever son courage. L'opinion en France était incertaine. Madame et Duprat n'étaient pas aimés ; on était irrité des prodigalités du Roi, de ses imprudences ; on lui reprochait de s'être donné tout entier à une coterie et l'on s'intéressait fort peu aux entreprises d'Italie, causes de tous les désastres. A ces mécontentements se joignaient les maux dont on souffrait, car les désordres des aventuriers et des gens d'armes redoublèrent après Pavie, et l'on dut prendre, à Paris, des mesures extraordinaires : guet de jour et de nuit, défense aux hôteliers de loger des vagabonds, sous peine de la hart. La Régente multiplia, sans grand résultat, des ordonnances sévères. En octobre encore, les gens d'armes pillaient partout, bien qu'on eût donné l'autorisation de leur courir sus et de les tuer comme ennemis du royaume. Même les grands corps du royaume laissaient voir leur mécontentement. Du Bellay dit que quelques membres du Parlement offrirent au duc de Vendôme de prendre le pouvoir : Je pense que l'occasion qui les mouvoit estoit pour la haine qu'ils portoient au chancelier Duprat. Vendôme refusa, en quoy il fit un grand service à la couronne, car plusieurs cherchoient novalitez et ne leur estoit besoing que de ung chef pour leur servir de couverture. Le parlement de Rouen, sur une lettre de la Régente lui demandant son concours, envoya incontinent querir l'archevesque de Rouen, l'évesque de Lizieux, le chapitre de Rouen, le bailly dudit Rouen et grand nombre d'autres grands et notables personnages de ladite ville et dudit duché, pour adviser ce qu'on debvoit faire. Il songeait même à constituer quelque chose comme une union des parlements de France. Le 17 mars, deux conseillers rouennais vinrent à Paris et se présentèrent au Parlement, où ils déclarèrent que ceux de ladite cour de Rouen et villes de Normandie, ayant bonne cognoisance de la cour de céans, laquelle a esté la première instituée et est la capitalle du royaume, qui entend et sçait les choses telles comme elles ont été conduites et faictes le temps passé, s'en remettaient aux décisions qu'elle prendrait et lui offraient tout service et toute obéissance. C'étaient là des paroles graves. Le parlement de Paris fit savoir qu'il avait pris des mesures semblables à celles du parlement de Rouen, mais il parla de l'obéissance due au Roi, à Madame et aux Enfants de France, « en laquelle la Cour voulait demeurer et non d'autres ». Seulement ses membres, précisément parce qu'ils étaient sûrs de leur loyalisme, voulaient aussi que la Régente tint quelque compte de leur opinion, et ils la voyaient avec colère continuer à s'entourer des favoris de qui venait tout le mal, suivant eux. Aussi, dès le 10 avril, la Cour, après que tous les conseillers eurent fait le serment de ne révéler ni déclarer à d'autres le contenu esdits articles, lui envoyait à Lyon des remontrances qu'elle reçut fort mal, reprochant au Parlement d'entreprendre sur son autorité et de mettre la division dans le royaume. Au mois de juillet, il sollicitait la Régente d'envoyer messire Antoine Du Prat, en ladite cour, pour conférer avec lui d'aucunes choses, qui grandement concernent le bien du Roy ; le 22 août, il donnait même l'ordre d'informer à l'égard du Chancelier, hardiesse qui ne fut pas suivie d'effet. A la fin de décembre, fut conclue avec le parlement de Paris une réconciliation bâtarde, sur la promesse de Madame de respecter ses privilèges. Un grand nombre de provinces et de villes n'étaient pas mieux disposées. Lorsque les États de Normandie furent appelés à ratifier le traité de Moore ils firent entendre des protestations assez énergiques : Secondement, ils craignent la conséquence pour l'avenir (des obligations financières qu'on leur demandait de contracter) pour les expériences qu'ilz ont tous les jours de telz et semblables cas ; car la coustume de France est que, depuis que le peuple a payé deux ou trois fois quelque tribut, il est à jamais continué, et ains ont esté levez tailles et autres subsides sur le peuple, qui durent et dureront jusqu'à la fin du monde. Dans une autre délibération, ils allaient plus loin encore, prétendant que l'engagement qui leur était demandé était une affaire qui touche et concerne viscérallement, en général et particulier, tout l'estat du royaume, sans la généralité duquel ne pourroient les dictes ratiffications estre faictes. A Paris, un Conseil fut constitué, où entrèrent les magistrats municipaux, des notables, l'évêque, des membres du Parlement. Il envoya à Lyon, auprès de Madame, des délégués qui protestèrent de leur fidélité, mais luy supplièrent qu'elle voulust désormais soy conduire par bon conseil et bon nombre et non par ung, deux ou trois, car l'on a vu les inconvéniens advenuz. Madame donna aux délégués de bonnes paroles, leur dit que le Roi était décidé à rester en prison plutôt que de démembrer le royaume, puis les prit par les sentiments et leur demanda de passer par Blois à leur retour, pour voir les Enfants de France. Les délégués y allèrent et furent esmerveillez de leurs bons petits propos. Les Parisiens ne se laissèrent pas toucher aussi facilement. Quand il s'agit de contracter les obligations contenues au traité de Moore, le Conseil demanda tout d'abord à voir les articles, et les représentants de la Régente furent bien obligés de les communiquer, tout en déclarant qu'il n'est pas toujours besoing que toutes choses que les Roys et princes font soient montrées à ung chacun. Madame finit par s'adresser seulement au Corps de ville, mais n'obtint son adhésion au traité de Moore que le 24 janvier 1526. Charles-Quint était au courant de ce qui se passait, il savait qu'il y a aucune division en France entre les princes[19] et que la Cour souveraine s'accordoit mal avec Madame ; mais il savait aussi que la nation, tout en étant mécontente de ses gouvernants, restait étroitement unie à son Roi contre l'étranger. Aussi avait-il pris assez vite son parti et, dès la fin de mars, ses idées pour la paix étaient arrêtées ; elles sont contenues dans les instructions qu'il adressait, le es, à Lannoy, à Bourbon, à Beaurain. Il insistait sur ce fait que la rupture des traités n'était pas venue de lui, et que cependant il consentait à suspendre les hostilités jusqu'à ce que François Ier eût répondu à ses propositions. Il insinuait qu'il pourrait revendiquer le royaume de France, donné jadis à son ancêtre Albert d'Autriche par le pape Boniface VIII (au temps des démêlés de ce Pape avec Philippe le Bel), ou tout au moins le comté de Toulouse, ancienne dépendance de l'Aragon, le Dauphiné, autrefois ressortissant à l'Empire. Néanmoins, pour montrer le désir qu'il avait de la paix, pour éviter l'effusion du sang chrétien et pour mieux préparer la lutte contre les Infidèles, il laissait de côté toutes les anciennes querelles et voulait se deffendre seullement aux plus fraîches et plus nouvelles. Au premier rang de celles-ci, il mettait la querelle de Bourgogne. Le roi de France devrait tout d'abord restituer le duché de Bourgogne avec ses dépendances et toutes les terres que possédait le duc Charles le Téméraire à sa mort ; accomplir diverses clauses du traité signé en 1435 à Arras ; céder Thérouanne, Hesdin et leurs dépendances. Puis venait la querelle d'Italie : François Ier devait abandonner ses droits sur Naples, Milan et leurs dépendances, promettre son concours à Charles pour l'exécution de ses desseins sur la Péninsule et pour son couronnement à Rome. Enfin la querelle de Bourbon : le duc recouvrerait tous ses domaines, biens meubles et immeubles, et obtiendrait la Provence ; ses États seraient soustraits à la souveraineté royale et érigés en un royaume qui passerait à ses descendants. Enfin, François Ier restituerait à Henri VIII tout ce qui pouvait lui appartenir et se chargeait de l'indemnité, que devait Charles en vertu de conventions antérieures. Le traité serait ratifié par le Roi, sur son serment, et par les Cours, États, Villes du royaume. Pour mieux assurer la paix, le dauphin épouserait Marie de Portugal, nièce de Charles-Quint. A ces diverses conditions, Charles proclamait une paix européenne, puis la croisade contre les Turcs, où il se réservait, en sa qualité d'Empereur, le titre de chef et capitaine général des forces chrétiennes. La responce sur tous ces poincts doit estre promptement faite pour nous en advertir à toute diligence, affin que selon icelle puissions congnoistre si l'on embrassera la paix ou debvrons prendre aultre champ pour avoir nostre raison, qui seroit à nostre regret. Ainsi Charles-Quint demandait un large démembrement de la France : la Bourgogne pour lui, la Provence pour Bourbon. Il prétendait imposer à François Ier l'humiliation de récompenser par une couronne la trahison du Connétable. Il ne chassait pas seulement François de l'Italie, il lui imposait de l'y servir comme une sorte de vassal. Il lui offrait de combattre sous ses ordres les Infidèles. Bien qu'il demandât sans doute le plus pour avoir le moins, ces propositions étaient exorbitantes. François Ier énonça à son tour les propositions suivantes : en ce qui concerne les cessions territoriales, il consentait à ce que la question de Bourgogne fût tranchée par justice, c'est-à-dire portée devant un tribunal arbitral ; il abandonnait à l'Empereur Milan, Gênes et Naples, Hesdin, Tournai et leurs appartenances, renonçait à toute suzeraineté sur la Flandre et l'Artois ; il s'engageait à prêter le concours de son armée et de sa flotte pour les entreprises que l'Empereur voudrait faire en Italie et en Allemagne, et à accompagner Charles à la croisade ; il se substituait à lui pour ses engagements envers Henri VIII ; il restituerait au duc de Bourbon son estat, pension et offices, et lui donnerait en mariage une fille de France, avec la dot accoutumée. Et la réconciliation serait scellée par un double mariage : de François Ier avec la reine Éléonore, du Dauphin avec la fille d'Éléonore. C'est autour de ces propositions respectives que se
poursuivirent de longs débats, au cours de l'année 15215. Mercurin de Gattinara,
pour l'Empereur, et le président de Selve, pour le Roi, y jouèrent le rôle
principal. Qu'on discutât à l'aide d'arguments historiques ou juridiques,
empruntés à la Sainte Écriture, aux histoires grecques
et romaines, même aux rois d'Égypte ou bien au Digeste et au Code ;
qu'on essayât de ruser avec Charles ou de faire appel à ses bons sentiments,
cela ne faisait point avancer la question d'un seul pas. Le Grand Commandeur
d'Espagne disait avec ironie qu'il fallait laisser
commenter les disputans et que l'on sçayt bien que Monsieur le Grant
Chancelier et le Président sont gens de Brant literature. D'un bout à l'autre de l'année, à travers les circuits de la diplomatie, l'obstacle au traité fut la question de Bourgogne, vrai patrimoine et tronc de la maison et des armes de l'Empereur et le chief de son ordre de la Thoison d'or, déclaraient les Impériaux. François Ier, même s'il n'avait pas l'intention d'observer très fidèlement le traité qu'il signerait, ne pouvait se résoudre à paraître abandonner, fût-ce sur le papier, une province si foncièrement française. Il faisait observer à l'Empereur que, dans ces conditions, on n'obtiendrait pas des États et des Cours souveraines la ratification du traité. D'ailleurs, lui et ses conseillers continuaient à se faire des illusions. Montmorency disait qu'il fallait considérer que le Roy recherchait l'amityé de l'empereur et s'attachait à luy complaire, comme s'il oubliait que la guerre est une chose pratique et que les défaites se paient. Le président de Selve déclarait naïvement : Mais la voye vraye pour parvenir à la paix, il fauldrait que toutes les querelles de l'Empereur et du Roy mon maistre fussent myses en un sac et faire une bonne alliance par mariage, et que, toutes les querelles abolies, jamais plus n'en fust parlé. Aussi Lannoy écrivait : C'est peine perdue de débattre avec lesdits sieurs, puisqu'ils dient que le Roy et son royaume ne peuvent rien aliéner et qu'il fault que l'Empereur se pourvoye par autre moyen. En novembre, rien n'était encore décidé, et Charles-Quint était fort embarrassé entre Gattinara, son grand chancelier, qui déclarait qu'on ne pouvait se fier aux Français, et Lannoy, qui jugeait la paix nécessaire et possible. D'autres conseillaient de garder le Roi prisonnier pendant quelque temps encore, ajoutant : Mieulx vauldroit attendre les hasarts soit de sa longue prison ou de sa mort que de le délivrer et qu'il demeurast puissant et ennemy. On est un peu étonné que l'Empereur ait consenti à signer un traité, qui lui était sans doute avantageux, mais dont on pouvait prévoir qu'il ne serait pas observé dans toutes ses clauses. En novembre encore, il déclarait qu'il ne laisserait jamais partir le Roy sans premier avoir Bourgogne. Mais François Ier finissait par être embarrassant et sa prison même devenait inutile, puisque la France se montrait en état de se défendre sans son Roi. Puis Charles avait contre lui l'Italie, le Pape et l'Angleterre, qui avaient partie liée avec la Régente. Enfin Soliman, dès la fin de 1525, annonçait à grand fracas et préparait en grand appareil une invasion en Hongrie. La situation de l'Espagne n'était guère satisfaisante. Je me trouvai au conseil, écrivait Granvelle à Marguerite, le 27 octobre, et furent les affaires assez longuement débattues, mesmement touchant l'extrême pauvreté des pays de par delà et qu'il n'estoit possible qu'ils pussent porter la guerre... On s'entretint aussi, parait-il, des murmures des pays marchands et autres émotions, en Flandre et ailleurs, de la secte luthérienne. Le Palatin et le landgrave de Hesse se concertaient pour défendre la Réforme menacée ; les princes catholiques, d'autre part, sollicitaient Charles de songer aux intérêts de la religion. Toutes ces raisons décidèrent Charles-Quint à la paix. Le traité dit de Madrid fut signé le 14 janvier 1526. François Ier restituait à Charles-Quint la Bourgogne et ses dépendances, qu'il livrerait dès son arrivée dans le royaume ; il renonçait à tous ses droits sur Naples, Milan, Asti et Gênes ; il s'engageait à fournir une flotte et une armée à l'Empereur pour le voyage du couronnement à Rome et pour la croisade contre les Infidèles ; il abandonnait la suzeraineté de la Flandre et de l'Artois et cédait Tournai ; il rendait à Bourbon tous ses biens et domaines et restituait ses complices dans leur état ; il délaissait tous ses alliés : le Pape, Venise, Henri d'Albret, le duc de Gueldre, les La Marck ; il se substituait à Charles en toutes ses obligations pécuniaires envers Henri VIII ; enfin, pour gage de paix et d'alliance, il épousait Éléonore, sœur de Charles-Quint. L'Empereur avait exigé que François Ier jurât, sur son honneur de roi et de chevalier et sur sa foi de chrétien, d'observer ses engagements, mais en même temps il réclamait des otages : ou bien douze grands seigneurs français, ou bien deux fils du Roi, dont le Dauphin. Enfin, le traité devait être ratifié, aussitôt après la délivrance du Roi, par le Roi lui-même, par les États généraux, par les États -de Bourgogne et par les Cours du royaume, sous peine pour François Ier de reprendre sa prison, si, dans le délai de quatre mois, toutes les conventions arrêtées entre les deux princes n'étaient pas exécutées. |
[1] La reine Juana resta emprisonnée jusqu'à sa mort, en 1555.
[2] Il était avide d'argent autant que de pouvoir. En 1520, il touchait de la France une pension de 14.000 livres ; il reçut de Charles l'évêché de Badajoz, qui rapportait 5.000 ducats, et une pension de 2.000 ducats, à prendre sur l'évêché de Palencia. Il vivait en souverain. Son palais, à Hampton-Court, était immense ; on traversait huit appartements pour arriver à la salle d'audience du cardinal, où d'ailleurs il était fort difficile d'être admis. Sa vaisselle d'or et d'argent valait, parait-il, 150.000 ducats. De Venise il reçut — ou exigea — un cadeau de 100 tapis de Damas, etc.
[3] Cela est tout à fait saisissant, lorsqu'on étudie les négociations engagées après Pavie jusqu'en 1527 et 1528.
[4] Voir sur ce point Jacqueton, ouvrage cité.
[5] Un moine de l'abbaye de Saint-Sauve à Montreuil, qui visita le Camp du Drap d'or, constate chez les Anglais un ordre excellent : pas de querelles, pas de débauches. Il dit que les Français l'emportèrent par le luxe des vêtements et le nombre des assistants, et qu'ils furent supérieurs dans les différents jeux. Mais rien n'égalait, suivant lui, la magnificence du pavillon d'Henri VIII : Id quod dolentes referimus, sed veritas vincit (ce que nous rapportons avec chagrin, dit-il, mais la vérité nous y oblige). Il ajoute que l'accès des tentes anglaises était facile pour tous, à la différence de ce qui se passe ordinairement en France ; on circulait dans le camp, on pénétrait partout ; personne ne s'en allait sans avoir bu d'un vin excellent. Un tableau conservé au château de Windsor représente le pavillon et le camp des Anglais, où circulent de longs cortèges.
[6] Il l'avait déjà vu une première fois, avant le Camp du Drap d'or.
[7] Nous n'avons pas voulu songer à la Bourgogne et à tant d'autres domaines possédés par les Français contre tout droit et toute loi, à tant d'injures supportées par nos pères, à tant de traités rompus, à tant de serments violés, à la justice et à l'honnêteté publique outragées et lésées par les Français.
[8] Nous ne le supporterons pas, nous ne le souffrirons pas, nous ne le permettrons pas ! Nous attestons le Dieu immortel, qui punit les injures et la perfidie, que nous n'avons à nous reprocher aucune faute, que nous avons tout fait pour éviter la guerre, pour assurer la paix et la tranquillité, et que nous avons pris les armes malgré nous et à contrecœur.
[9] E. Chuquet, Bayard à Mézières (Études historiques), 1903.
[10] Le Loyal Serviteur ne dit pas un mot d'un colloque ou même d'une rencontre entre Bayard et Bourbon ; il ne met en scène que l'Espagnol Pescayre, à qui il fait prononcer un assez long discours. Du Bellay, au contraire, dit : Le duc de Bourbon, lequel estoit à la poursuite de nostre camp, le vint trouver et dit audit Bayard qu'il avoit grant pitié de luy, le voyant en cest estat, pour avoir esté si vertueux chevalier. Le capitaine Bayard luy feit réponse : Monsieur, il n'y a point pitié pour moy, car je meurs en homme de bien, mais j'ay pitié de vous, de vous veoir servir contre vostre prince et vostre patrie et vostre serment. Aymar du Rivail rapporte les choses plus sobrement : Charles de Bourbon vit Bayart mourant, mais celui-ci ne voulut avoir avec lui aucun entretien (Voir J. Roman, Histoire du gentil Seigneur de Bayard, citée plus haut).
[11] Henri VIII promettait à Bourbon 100.000 couronnes d'or, mais toujours à la condition que le connétable le reconnût comme roi de France.
[12] Sur la bataille même, voir Höbler, Die Schlacht bel Pavia (dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XXV, 1885) ; il donne une bibliographie critique. Suivant lui, il est impossible de se rendre compte stratégiquement de la bataille de Pavie. Il nous semble cependant qu'on peut saisir la conception des Impériaux dans ses grandes lignes, et surtout qu'on peut suivre le développement de leur marche préliminaire de Lodi sur Pavie et de leur plan très habile pour enfermer François Ier avant de le combattre. C'est là presque le fait capital.
Quant à la bataille elle-même, nous la résumerions ainsi : les Impériaux, par une marche de flanc attaquent et prennent le parc, en dehors du camp ; François Ier, surpris, a le double tort de ne pas sortir de son camp pour les accabler, lorsqu'ils entrent dans le parc en colonnes disséminées, et plus tard d'en sortir, lorsqu'ils sont à peu près concentrés et qu'il eût fallu alors les attendre derrière les retranchements.
[13] On prétend cependant qu'il essaya un moment de secourir le Roi. Duval, Marguerite d'Angoulême et Charles d'Alençon, Pos. des thèses de l'École des Chartes, 1901.
[14] Höbler dit qu'il essaya un moment de gagner le Tessin.
[15] Ajouter aux ouvrages cités en tête de ce livre : Gachard, Captivité de François Ier (Dans Études et not. histor. concernant. l'histoire des Pays-Bas), t. I, 1890.
[16] Procurer la délivrance.
[17] L. Bourrilly, La première ambassade d'Antonio Rincon en Orient, 1522-1523. Rev. d'hist. mod. et contemp., t. II, 1900.
[18] Paillard, Documents relatifs aux projets d'évasion de François Ier et à la situation intérieure de la France en 1525, Rev. Histor., t. VIII, 1878 ; G. Salles, Un traître au XVIe siècle, Clément Champion, valet de chambre de François Ier. Rev. des Quest. histor., t. XXIII, 1900.
[19] Les princes.... pour non retourner a estre gouvernés par mignons comme par le passé.... et pour les injures grandes que auicuns ont receu du Roy et de Madame... la dégecteront du gouvernement, si d'aventure la peur que il auront que les États ne se enlèvent, ne les empêche. Rapport secret de Le Champion.