I. — ÉTAT RELIGIEUX DE LA FRANCE. C'EST entre 1530 et 1536 que les deux confessions catholique et protestante prennent décidément position l'une en face de l'autre en France. Le parti le plus fort et le seul qui fût vraiment organisé était le parti orthodoxe. En se refusant à toute réforme, il avait acquis le moyen d'action vigoureux qu'assurent toujours des croyances très arrêtées. Il venait d'établir une sorte de catéchisme au Concile de Sens ; il avait pour lui la Faculté de théologie et le Parlement, deux corps imposants ;qui mettaient à son service la science canonique et le droit coalisés. Outre qu'il s'appuyait sur tous ceux qui ne voulaient pas être troublés dans les situations acquises, il avait l'avantage de parler et d'agir au nom des principes de conservation sociale et politique, aussi bien que religieuse. Il retenait aussi dans ses cadres officiels des personnages éclairés, modérés, comprenant la nécessité de corriger les abus les plus graves, disposés cependant à maintenir l'unité catholique : des évêques tels que Jean et René du Bellay ou Jean de Montluc, des hommes d'État comme Guillaume du Bellay. Les partisans primitifs de Lefèvre d'Étaples étaient en dehors de ce catholicisme, mais ils ne formaient ni un parti, ni une secte ; ils étaient désagrégés, en 1530, et se trouvaient divisés en réformateurs pacifiques — de moins en moins nombreux, — luthériens, libres penseurs. Les luthériens n'avaient encore en France ni organisation, ni chef. Ils n'avaient reçu les doctrines de Luther qu'à l'état dispersé, elles s'étaient même fondues, chez beaucoup d'entre eux, avec celles de Lefèvre d'Étaples, ou bien, au contraire, elles avaient été pénétrées par les idées des zwinglistes, de sorte qu'il y avait peut-être autant de luthéranismes que de groupements, lesquels ne s'étendaient pas au delà d'une ville ou d'une région au plus : des croyances, pas encore précisément une religion. Les registres de la Faculté de théologie montrent que, dans le dogme et la discipline, tout a été mis en question par les réformistes, mais pas au même moment, ni par le même homme, ni dans le même ouvrage. Pourtant on peut trouver certains points où tous se rencontrent : d'abord dans l'opposition d'esprit à l'égard de la Faculté de théologie et des doctrines dites papales, et, en second lieu, dans la critique des opinions reçues, conduite au nom tantôt de la foi, tantôt des Écritures, tantôt de la raison. Mais, pour eux, le principal fondement est toujours l'Écriture : l'Écriture ne dit pas, nous ne trouvons pas dans l'Écriture, sont leurs formules consacrées. Il y a là un sentiment combiné de libre critique et de simplicité naïve, qui explique que la Réforme ait été à la fois la chose des érudits et du populaire. A toutes ces nouveautés, la Faculté de théologie répond imperturbablement par la simple affirmation d'hérésie ; Cela n'est pas dans l'Écriture, disent les réformistes. Ce que vous dites est hérésie, répond la Sorbonne. C'est l'autorité en face de la discussion[1]. Quant aux libres penseurs et aux sceptiques, ils ne goûtaient pas plus la Réforme que le catholicisme, ou même ils éprouvaient pour ces deux formes de croyance une semblable aversion ; mais ils étaient peu nombreux et complètement isolés ; le scepticisme restait quelque chose de tout individuel, également détesté de tous les partis. A l'écart se tenaient, dans une demi-indifférence, la plupart des érudits, des lettrés, des hommes du Collège royal. Ils ne combattaient point le catholicisme, mais ils le jugeaient dans leur for intérieur et volontiers ils ne lui demandaient qu'une chose : de les ignorer. L'érudition et la philosophie libres, dans l'Église ou à côté de l'Église, voilà leur conception ; elle a son expression dans le Pantagruel de Rabelais, qui parut précisément en 1532. Tout le reste de la population, l'immense majorité, était partagé en deux grands groupes, sur lesquels les protestants et les catholiques militants entreprirent d'agir : d'un côté, le peuple et les petits bourgeois, sans grande instruction, sans idées personnelles, disposés, pour la plus grande partie, à se laisser aller au courant des doctrines officielles ; de l'autre, la haute bourgeoisie et l'aristocratie, séduites aux doctrines de la Renaissance, mais inquiètes de voir agiter les problèmes religieux et moraux, amenées ainsi à rester fidèles à l'orthodoxie, à condition qu'elle se fit accommodante. Diverses causes cependant favorisaient les progrès du protestantisme. Tout d'abord son développement à l'étranger. La Réforme, après 1530, ce n'est plus des opinions suspectes et des témérités individuelles ; elle a fourni la preuve de sa force, elle est devenue un grand fait européen. Or l'Église, tout en la combattant, n'a pas encore organisé méthodiquement la résistance. Le Pape était presque tout entier à ses soucis politiques, aggravés par la rivalité de Charles-Quint et de François Ier ; dans son entourage, on avait tout au plus l'instinct obscur d'une contre-réforme possible ; parfois même on songeait à ramener à soi le protestantisme, à le ménager par conséquent. Chacun agissait, combattait sans guide. En outre, il y avait des universités en France qui n'étaient pas hostiles à la Réforme : Grenoble, par exemple, Toulouse, Orléans et Bourges. Les idées nouvelles s'étaient répandues d'autant plus facilement à l'Université de Bourges qu'elles y avaient été favorisées par la protection de Marguerite et même de sa mère, au moins pendant un temps : Michel d'Arande avait prêché dans la ville, avec l'autorisation tacite du Roi, et il y avait réuni un nombreux auditoire. L'érudit Alciat, qui y enseignait, était en rapports avec Érasme et, malgré sa prudence très avisée, il apportait dans les questions religieuses une certaine liberté d'esprit. A Orléans, l'Allemand Wolmar, un des professeurs de l'Université, avait eu de l'influence : c'était un esprit actif, décidé. Enfin la jeunesse des écoles comptait beaucoup d'étudiants aventureux. La propagande était facilitée par les conditions de l'organisation politique. La centralisation était incomplète : plusieurs universités, plusieurs parlements ; la volonté royale ne parvenant aux extrémités du pays que par toutes sortes d'intermédiaires ; des provinces, des villes conservant quelques vestiges de libre administration ; des possessions féodales subsistant avec certains droits de justice. En outre, le protestantisme étant un fait nouveau, pendant longtemps il n'exista point contre lui de législation ; on dut la constituer peu à peu ; la procédure était à créer : on ne savait pas si la poursuite et le jugement appartenaient aux tribunaux ecclésiastiques ou aux séculiers. Enfin, comme le Roi lui-même hésita longtemps, la suite et le concert firent presque toujours défaut dans la répression. Le parti catholique consacra tous ses efforts à les y introduire ; à peine y arriva-t-il vers la fin du règne. On voit très fréquemment François Ier obligé de déclarer, par des lettres spéciales, que certaines ordonnances seront appliquées dans les ressorts de parlements qui ne jugeaient pas qu'elles fussent applicables chez eux ou qui prenaient ce biais pour s'y soustraire. Il suffit de l'indifférence ou de la tolérance de magistrats municipaux, d'un seigneur ou d'un officier royal, pour que le protestantisme se développe librement pendant quelque temps. Les ordonnances répètent que les différents officiers locaux seront rigoureusement responsables de leur négligence, et des administrations séculières se mettaient quelquefois en opposition avec le pouvoir ecclésiastique ; c'est le cas d'un certain nombre de consulats dans le Midi[2]. Aussi, à condition de quitter le lieu où l'on est connu, où l'on a été exposé aux premières poursuites, on est presque toujours à l'abri ; une fois accueilli dans un de ces petits bourgs isolés si nombreux, dans une de ces gentilhommières perdues au fond des campagnes, dans un prieuré où l'on a des amis, on est vite ignoré. Calvin, même après la manifestation de 1533, semble être oublié, dès qu'il a réussi — sans trop de peine — à s'enfuir de Paris. Il vit en Saintonge, à Angoulême, à peine obligé de prendre quelques précautions pour se dissimuler. Puis il retourne à Noyon même. C'est dans ces conditions que commença à se constituer une France protestante, à partir de 1530. Dans le Nord, on trouve des réformés à Meaux, à Noyon, à Amiens. A Paris, il exista de bonne heure plus qu'un groupement, presque une petite église[3] ; elle se composait de lettrés, d'étudiants, de bourgeois et de gens du peuple ; elle avait son centre dans le quartier latin, au milieu des nombreux collèges qui entouraient l'Université. En 1534, on voit figurer, parmi les hérétiques arrêtés ou condamnés, un fils de cordonnier, un maçon, un gainier, un couturier, un bonnetier, de nombreux libraires, enlumineurs et imprimeurs, des orfèvres, des peintres, le riche marchand Étienne de la Forge, etc. ; ils se connaissaient presque tous. En Normandie[4] et dans le duché d'Alençon, qui y confinait, la Réforme fut prêchée dès 1524. La situation particulière du duché d'Alençon, qui appartenait à Marguerite, permit à Michel d'Arande et à Pierre Caroli d'y faire pénétrer les idées nouvelles, à ce point que, en 1530, un réformé allemand qualifiait Alençon de petite Allemagne. Toute la Normandie fut de bonne heure touchée : le Cotentin, les diocèses de Lisieux et de Bayeux, Caen, le Havre, Dieppe, le pays de Caux, Rouen plus 'encore. Les progrès se suivent à la trace des supplices : Lecourt, curé de Condé-sur-Sarthe, fut brûlé à Rouen, en 1533, Huchon et Geoffroy du Couldray, en 1535, Le Blond à Dieppe, en 1534 ; jusqu'en 1547 les autodafés ne cessèrent pas, et. beaucoup de victimes appartenaient au Clergé. Malgré la persécution, l'Église réformée de Rouen était constituée vers la fin du règne Orléans et Bourges étaient les deux foyers de la Réforme dans le centre, à cause de leurs universités ; le Clergé même y était en partie gagné aux croyances nouvelles et la Réforme orléanaise paraissait assez développée pour que, de Strasbourg, on songeât dès 1528 à envoyer dans la ville un pasteur régulier. A Chartres, l'évêque était obligé, vers la même date, de faire rechercher les possesseurs de livres nouveaux venus d'Allemagne. Dans le Sud-Ouest, on ne voit que quelques germes déposés avant 1535. S'il y eut un commencement de propagande, aux environs de 1526, elle fut toute isolée et exceptionnelle dans le Poitou, l'Aunis, la Saintonge et la Guyenne[5]. Le Languedoc, au contraire, suivit de très bonne heure l'impulsion venue de Paris ou d'Allemagne. L'Université de Toulouse était très vivante et très agitée, et il y avait même dans la ville et dans la région un grand nombre d'augustins, sur qui les idées de Luther pouvaient avoir prise, sans compter qu'il y restait toutes sortes de vestiges de la doctrine albigeoise. En 1531, sur la liste des suspects arrêtés par ordre du Parlement de Toulouse, qui fut terrible aux novateurs, on trouve des avocats, des procureurs, des religieux, des professeurs des différentes facultés : parmi eux Boyssonné, un peu plus tard l'héroïque Jean de Caturce (de Cahors), brûlé en 1532. A Castres, un cordelier avait, en 1532, prêché les doctrines hérétiques pendant le carême. A Nîmes, un frère augustin avait nory les habitants de la ville pabulo caritatis et de bonne doctrine évangélique ; arrêté sur l'ordre du Parlement de Toulouse, il fut, à ce qu'il semble, soutenu par les magistrats nîmois[6]. En Provence, il est probable qu'il y avait des protestants après 1530, puisqu'un édit de 1536 ordonne de saisir tous les biens des hérétiques qui n'ont pas encore été confisqués. A Lyon, où se trouvaient tant d'humanistes et où fréquentaient des étrangers, venus de Suisse ou d'Allemagne aussi bien que d'Italie, la Réforme pénétra d'assez bonne heure. Mais ce ne sont là que quelques points occupés dans l'étendue totale du pays. Même dans les villes où le protestantisme a pénétré, les protestants ne forment qu'une petite minorité : à Paris trois ou quatre cents peut-être ; ailleurs l'Église réformée se compose de trente ou quarante fidèles. Le catholicisme restait donc dominant, mais il était menacé : le problème des destinées religieuses de la France s'agitait d'une extrémité du royaume à l'autre. François Ier ne pouvait plus retarder de prendre parti. Il se donna au catholicisme orthodoxe, mais ce ne fut, pendant quelques années encore, ni sans réserves dans son esprit, ni sans tergiversations dans sa conduite. En 1535, l'ambassadeur de Venise écrit : Le Roi très Chrétien fait profession d'être un excellent chrétien. Il l'était surtout par tradition monarchique. Ne voyait-on pas en effet en lui le successeur de Clovis[7] ? Comme ses sujets, il croyait que Dieu protégeait particulièrement la France. S'adressant aux notables, il déclarait leur parler, non comme Roy et maistre, à ses subjectz et serviteurs, mais comme subject et serviteur lui-mesme, à subjectz et serviteurs comme luy d'ung commun Roy, Roy des Roys et maistre des maistres, qui est le Dieu tout-puissant. Après vint à déduire l'honneur, révérence et obéissance qui appartenoit au grant Roy, l'obligation que lui debvoit ce royaulme plus que nul aultre, veu que desja l'espace treize ou quatorze cens ans, il l'a entretenu en paix, repos et tranquillité avec les amys et en victoire contre les ennemys. En outre, il sentait d'instinct la répercussion des choses religieuses sur la politique, et l'insistance des réformateurs à le rassurer sur ce point le montre bien. Zwingli lui écrivait dès 1525 : Vous ne vous laisserez jamais entraîner dans cette opinion, où certain personnage s'est efforcé de faire tomber votre illustre mère, à savoir qu'il faut s'opposer à la doctrine de l'Évangile, comme à ce qui trouble la paix, puisque, en Allemagne, tout est sens dessus dessous... Croyez-moi, ô Roi très illustre, partout où les magistrats ne s'efforcent pas d'arrêter le libre cours de la Parole, les gens de bien sont d'accord avec eux (les réformés allemands). Calvin reprendra ce thème dans sa préface de l'Institution chrétienne. Mais, en même temps, François ter était par ses goûts et par son caractère un homme de la Renaissance ; ses sympathies, l'entraînement de la mode, si l'on veut, le portaient vers les humanistes ; il se plaisait à se dire et à être dit leur Mécène. Dans leurs écrits, dans-leurs conversations, il avait puisé ce mépris, qui est si bien du temps, pour la gent monacale et sorbonique ; il ne lui déplaisait pas qu'on en dit du mal, d'autant qu'il ne se sentait pas aimé d'elle. Enfin, la politique intervenait, aussi compliquée et variable que l'esprit du Roi : d'un côté, la nécessité d'avoir des alliances protestantes contre l'Empereur, de l'autre, la nécessité de ne pas s'aliéner les catholiques. L'ambassadeur vénitien dit en 1535 : Néanmoins Sa Majesté conserve une amitié plus étroite que jamais avec tous les princes luthériens, pour un seul motif, celui de soutenir les ennemis de César ; par contre, on ne cessa pas de songer à un rapprochement avec l'Empereur, dans l'intérêt du catholicisme. Enfin, la Sorbonne, par ses excès, les luthériens, par leurs passions souvent inconsidérées, portaient le Roi, très impressionnable, aux partis les plus contradictoires, suivant le jour et les incidents. II. — CALVIN[8]. ON s'explique dès lors les fluctuations des années 1533-1536, si étranges que paraissent d'abord les mouvements désordonnés qui les remplissent. Les passions allaient en s'exaspérant. Les catholiques répandent des affiches comme celle-ci : Prions tous le Roi de Gloire Qu'il confonde ces chiens mauldicts, Afin qu'il n'en soit plus mémoire, Non plus que de vielz os pourris. Au feu, au feu ! c'est leur repère ! Fais-en justice ! Dieu l'a permys. Marot répond : En l'eaue, en l'eaue, ces fols sédicieux... Le Roy leur est un peu trop gracieux, Que n'a-il mys à bas ces sectes folles En l'eaue ? Quelque temps plus tard, il osera écrire : Viens veoir, viens veoir la beste sans rayson (la Papauté), Viens tost la veoir, atout (avec) sa triple creste, Non cheute encor, mais de tomber bien preste. Et les étudiants réformés chantent : La Sorbonne, la bigote, La Sorbonne se taira. L'année 1533 se passa dans une grande effervescence à Paris. Sur l'invitation du roi et de la reine de Navarre, Gérard Roussel avait prêché au Louvre pendant le carême, avec un grand succès. La Sorbonne s'en était émue et un ami de Béda n'avait pas craint de faire courir sur le Roi et sur la Reine des soupçons d'hérésie. François Ier très mécontent se prononça pour sa sœur, et, le 18 mai, Béda fut exilé à vingt lieues de Paris. Mais ce fut l'occasion d'une manifestation religieuse émeutière la foule se porta au collège de Montaigu pour acclamer Béda, des placards furent affichés partout et lus avec passion ; la masse faisait sentir sa force. Les catholiques ne s'en tinrent pas là. A la rentrée d'octobre, on fit jouer au Collège de Navarre une pièce satirique, où la reine Marguerite était représentée comme cédant aux instances d'une Mégère, nom qui faisait allusion à M(aître) G(érard[9]), comme recevant l'Évangile de sa main et. accablant de cruautés des malheureux et des innocents. Le Roi, encore une fois, ne pouvait laisser passer cette méchante impertinence, et le Prévôt de Paris, sur son ordre, fit, fouiller le Collège et saisir les écoliers acteurs ; leurs camarades jetèrent des pierres aux soldats chargés de l'arrestation. La Faculté de théologie dirigea alors l'attaque sur le terrain juridique. La reine Marguerite ayant publié la seconde édition du Miroir de l'âme pécheresse, d'abord imprimé en 1531 à Alençon, les théologiens, qui avaient le droit de contrôle sur les livres, profitèrent de ce que l'ouvrage était anonyme pour en interdire la lecture. Sur quoi, Marguerite s'en déclara l'auteur et réclama auprès du Roi, qui écrivit à l'Université. On vit bien alors que ce grand corps était partagé, quoi qu'il fût aux mains des violents ; Nicolas Cop, qui venait d'être nommé recteur et qui était favorable aux idées nouvelles, saisit les différentes Facultés. Devant celle des arts, il s'éleva contre l'audace des théologiens, qui ne formaient qu'une partie de l'Université et qui prétendaient l'engager sans avoir son assentiment. La Faculté des arts déclara que le livre n'avait jamais été condamné, pas même vu par elle ; les autres, plus hésitantes, sentirent cependant la nécessité de donner satisfaction au Roi, de sorte que la sentence fut rétractée et des lettres d'excuses rédigées. Ainsi les modérés l'avaient emporté, par le fait des excès de leurs adversaires. Mais, au même moment, François Ier avait à Marseille une entrevue avec le pape Clément VII, pour resserrer l'alliance de la France et du Saint-Siège et conclure le mariage de Catherine de Médicis, nièce de Clément VII, avec le second fils de France ; il fut ainsi rejeté vers l'action catholique. Dans une lettre aux Bernois, qui étaient intervenus en faveur de quelques réformés, il faisait la déclaration suivante : Nous, désirant la conservation du nom, qui nous a esté acquiz par nos prédécesseurs, de Roy très chrestien, n'avons en ce monde nulle chose plus à tueur que l'extirpation et entière abolition des hérésies. C'est dans ces circonstances que Calvin entra en scène, à propos du discours que Nicolas Cop devait prononcer à la rentrée de l'Université. Jean Calvin (Cauvin, de son vrai nom) était né à Noyon le 10 juillet 1509. Nulle ville n'a été plus pleinement picarde que Noyon. Aucune n'a mieux réalisé qu'elle ce mélange d'esprit frondeur et de dogmatisme obstiné, qui est la caractéristique du pays. Les bourgeois montrèrent constamment, vis-à-vis de l'élément ecclésiastique, une hostilité sourde... Tout ce monde d'hommes de plume et de procureurs, que les corporations religieuses entretenaient, favorisait de toutes manières l'esprit processif[10]. Calvin était foncièrement picard et noyonnais par ses ancêtres paternels, et son père, Gérard Cauvin, appartenait précisément à cette bourgeoisie moyenne, mêlée à la noblesse et à l'Église, dont elle vivait très souvent, mais sans avoir pour cela l'esprit ecclésiastique. Gérard Cauvin fut notaire apostolique, procureur fiscal, scribe en cour d'Église, secrétaire de l'évêché et promoteur du Chapitre. C'était un homme d'affaires ; il s'embarrassa dans l'administration des biens du clergé, qui lui était confiée, commit peut-être des actes équivoques, compromit sa fortune, se brouilla avec ses mandants, soulevant toutes sortes de querelles, usant de toutes les ressources de la procédure, et finit par laisser en mourant (1534) une situation, sinon obérée, au moins difficile. Cependant il avait été pendant un temps en très bonne posture, puisqu'il avait placé son fils auprès de la famille noble des Hangest et, d'autre part, obtenu pour lui des bénéfices ecclésiastiques. Il a dû avoir une certaine influence sur le caractère de Jean, mitigée d'ailleurs par ce fait qu'il ne le garda pas longtemps auprès de lui. En effet, Calvin ne resta à Noyon que jusqu'en septembre ou octobre 1523. Bien qu'ayant obtenu, en 1521, la chapelle[11] de la Gésine en l'église cathédrale, plus tard, en 1527, la cure de Marteville, échangée en 1529 contre celle de Pont-l'Évêque près de Noyon, il ne retourna jamais que très irrégulièrement dans sa ville natale, et pour des séjours peu prolongés. C'est donc en dehors d'elle que son intelligence se forma et que ses idées se développèrent. Jusque vers 1535, il fut surtout l'élève des universitaires ou le disciple des humanistes et des réformateurs français ou allemands. Quand il arriva à Paris à la fin de 1523, la Renaissance avait déjà commencé, et son premier maître au collège de la Marche, Mathurin Cordier, était un partisan de la nouvelle culture intellectuelle ; mais le combat durait encore entre les doctrines du XVe siècle et celles du XVIe, et, par une fortune singulière, Calvin les connut successivement les unes et les autres, puisqu'il passa du collège de La Marche au collège de Montaigu, que dirigeait Béda. Or, en cette année 4523, Berquin fut jugé une première fois ; on parlait de Luther depuis près de quatre ans ; Lefèvre d'Étaples publiait la traduction française des Évangiles ; un hérétique était brûlé solennellement. Calvin, sans doute, était encore bien jeune pour comprendre la portée de ces événements et s'y mêler, mais il ne pouvait y rester indifférent. Et, comme il demeura à Paris au moins jusqu'à la fin de 1527, il n'ignora certainement rien des faits si graves des années 1525 et 1526, alors que les supplices se multipliaient et que le bruit des luttes entre Béda, Érasme et Lefèvre d'Étaples remplissait l'Université. Rien n'indique au reste qu'il y ait eu chez lui, à ce moment, une conversion, qui supposerait une maturité par trop précoce. Si l'on constate un relâchement des liens qui le rattachaient à l'Église, c'est que son père le fit passer de la théologie au droit. On pense que Calvin se trouvait vers 1528-1529 à Orléans, dont l'Université était essentiellement consacrée aux études juridiques ; on y enseignait le droit civil et le droit canon ; elle avait des professeurs renommés, particulièrement Pierre de l'Estoile ; un an plus tard, il allait à Bourges, encore une université juridique, où Alciat interprétait le droit romain. Dans ces deux villes Calvin rencontra en outre l'érudit Melchior Wolmar, par qui il fut initié à l'étude du grec. De 1530 à 1533, il est presque toujours à Paris ; or c'était le moment où François Ier venait d'instituer les premiers lecteurs royaux. Il suivit le cours de grec de Danès, celui d'hébreu de Vatable, et s'intéressa aux travaux de Budé. Il avait ainsi connu, à vingt-trois ans, la Sorbonne, les universités, même le Collège de France naissant, et reçu une éducation très complexe et variée, où il entrait de la théologie, de la scolastique, des humanités, du droit, de l'histoire, de l'érudition, et il avait rencontré, à Orléans ou à Bourges, plus encore qu'à Paris peut-être, la Réforme. Pendant cette première période de sa vie, Calvin apparaît extraordinairement laborieux et avide de s'instruire, sans avoir pourtant la curiosité ardente qui entraînait tant d'intelligences vers toutes les manifestations de l'humanisme ; il est insensible à la poésie, il a peu d'imagination. C'est encore un élève, mais d'esprit aiguisé, pénétrant, avec une grande faculté d'assimilation[12]. La conduite de Calvin était très régulière, correcte, digne : il avait déjà beaucoup de piété. Son caractère devait être sérieux, sans grand enjouement, sans vivacité, mais plutôt sympathique, car il se lia avec des jeunes gens de Noyon, avec des étudiants dans les universités où il passa, avec ses maîtres mêmes, et ces relations continuèrent plus tard : Mathurin Cordier fut un de ses disciples dévoués, après avoir été son professeur. Déjà, du reste, sans qu'il faille exagérer son influence, Calvin exerçait une certaine action autour de lui ; il fut adjoint au procureur de la nation de Picardie à l'Université d'Orléans. Il n'y a pas lieu de s'arrêter aux calomnies méprisables, autant que puériles, inventées contre lui par des pamphlets de son temps, bien que d'ailleurs elles soient encore répétées dans quelques livres d'aujourd'hui ! L'originalité de Calvin va se révéler tout d'un coup — à lui-même sans doute — dans sa conversion. On a beaucoup discuté pour en fixer le début avec précision[13]. Il faudrait distinguer trois phases et peut-être quatre : Calvin commence à douter ; il s'éloigne de la théologie de son temps ; il rompt avec l'Église ; il constitue la doctrine calviniste. Sur la première, on ne sera jamais informé, non seulement parce que les documenta font défaut, mais parce que ce sont là des problèmes obscurs qui échappent à celui même qui en est le sujet. Sur la seconde et sur la troisième, on peut arriver à une solution, si l'on ne tient pas à antidater le protestantisme de Calvin, pour grandir son rôle, et si l'on se rend compte de l'état des esprits en France. Nous nous en tiendrions volontiers au témoignage de Calvin lui-même : Je fus mis à apprendre les Loix, auxquelles combien que je m'efforçasse de m'employer fidèlement, pour obéir à mon père, Dieu toutes fois, par sa providence secrète, me fist finalement tourner bride d'un autre costé. Et premièrement, ainsi soit que je fusse si obstinément adonné aux superstitions de la Papauté qu'il estoit bien mal aisé qu'on me peust tirer de ce bourbier si profond, par une conversion subite, il donna et rangea à docilité mon cœur lequel, eu esgard à l'aage, estoit par trop endurci en telles choses. Ayant donc receu quelque goust et cognoissance de la vraye piété, je fus incontinent enflammé d'un si grand désir de proufiter qu'encore que je ne quittasse pas du tout les autres estudes, je m'y employoye toutes fois plus laschement[14]. Tout le nécessaire est dans ces lignes ; seulement, il n'y faut pas chercher (et le fait est secondaire) une chronologie absolument serrée. Les points essentiels sont ceux-ci. Calvin n'a pas douté avant 1528 au plus tôt, — songez qu'il n'a que vingt ans en 1529, — puis il a reçu les premières semences de la nouvelle doctrine, mais elles ont mis quelque temps à germer et il a mêlé ses anciennes études à ses préoccupations nouvelles : ce qu'il explique en la fine et claire analyse de tout à l'heure ; il a d'ailleurs été troublé par les divisions entre les réformés. Tout cela est très naturel et l'histoire, faite par lui, de son état d'esprit au moment critique est exactement celle des incertitudes par lesquelles passèrent tant d'hommes à cette époque ; d'ailleurs, on ne saurait trop répéter que. le premier protestantisme en France était si large et si ouvert qu'on y entrait sans croire sortir du catholicisme. La mort de son père, survenue le 26 mai 1531, lui donnait sans doute plus de liberté ; néanmoins rien ne fut changé à sa vie, car, le 23 août, il assistait à une séance du Chapitre de Noyon, où l'on décidait des prières publiques centre la peste, et ses amis songeaient encore pour lui à des dignités ecclésiastiques. Il était bien probablement devenu sceptique à l'égard des vœux religieux, mais sans les condamner ouvertement. La sœur d'un de ses amis doit embrasser la vie monastique ; il va la voir sur le désir de la famille, qui s'inquiétait de la sincérité de cette vocation. Je sondai l'esprit de votre sœur, écrit-il, pour savoir si elle acceptait ce joug sans résistance, d'un esprit soumis ou bien dompté. Je n'ai jamais vu. personne plus disposée ou plus préparée, à tel point que rien- ne semble trop prompt pour son désir. On dirait qu'elle joue avec des poupées, chaque fois qu'elle entend parler de ses vœux. Je n'ai pas voulu la détourner de ses projets, puisque je n'étais pas venu pour cela, mais je l'ai avertie en peu de mots de ne pas trop prendre confiance dans ses forces, de ne pas se donner à elle-même d'elle-même des assurances téméraires, de tout faire reposer sur le pouvoir de Dieu, en qui nous sommes et nous vivons. C'est exactement les sentiments de la plupart des réformateurs français restés en France, aussi bien de Lefèvre d'Étaples que de Roussel, et Calvin n'avait connu que ceux-là ; il entend parler de ce qui se passe en Allemagne, mais il ne correspond pas avec l'Allemagne, pas même avec Strasbourg ou Bâle. Aussi son protestantisme, à ce moment, est un mélange des idées de Lefèvre et de Roussel, avec quelque chose de Luther ou de Zwingli, et, du reste, le discours qu'il composa pour Cop et que celui-ci prononça, comme recteur, à la rentrée des Facultés, en novembre 1533, est significatif[15]. Ce discours, qui est incontestablement d'un réformé, est cependant aussi d'un modéré ; la preuve en est dans le ton général, dans l'insistance sur les beaux lieux communs de morale, de philosophie et de théologie. Il ne traite pas directement les points controversés du dogme, mais aussi il ne se défend pas d'y faire librement allusion. Enfin on a pu constater que deux parties considérables sont empruntées presque textuellement à Érasme d'un côté, à Luther de l'autre : Calvin serait ainsi, à cette date, un homme de juste milieu. L'exorde débute par une définition de la philosophie chrétienne : don divin du Christ à l'homme, par où celui-ci peut atteindre à la vraie et sûre félicité ; science dont la splendeur obscurcit toute la sagesse humaine. L'orateur continue en adressant à la bienheureuse Vierge la solennelle invocation, de beaucoup la plus belle de toutes : Salut, pleine de Grâce. Puis il fait un parallèle entre la Loi (la Bible), qui ordonne et qui menace, et l'Évangile, qui annonce la suprême bonté de Dieu, et il développe l'idée de la certitude du salut et surtout de la justification par la foi. Vient une invocation à la paix : Heureux ceux qui concilient les âmes dans la paix, qui enlèvent les divisions de l'Église. Et une glorification de la vérité et de ceux qui la disent : Hérétiques, séducteurs, imposteurs maudits, c'est ainsi que le monde et les méchants ont l'habitude d'appeler ceux qui purement et sincèrement s'efforcent d'insinuer l'Évangile dans l'âme des fidèles. Mais ils sont heureux et dignes d'envie ceux qui supportent toutes ces persécutions d'un esprit calme, qui possèdent la grâce de Dieu dans leurs afflictions, qui opposent à ces malheurs une âme grande et forte. Enfin une parole de réconfort et un appel : Réjouissez-vous, dit-il, car votre récompense est dans le ciel. Allons, hommes chrétiens, tendez de toutes vos forces à une si grande félicité... Tout cela est à coup sûr audacieux, mais n'est pas précisément révolutionnaire, et il y a une singulière exagération à comparer cette harangue à l'appel qu'en ce jour de la Toussaint, Luther avait adressé seize ans auparavant à l'Allemagne et au monde. Il existe entre les deux manifestations toute la différence d'une déclaration formelle de principes à un développement éloquent de sentiments, et Lefèvre d'Étaples, Roussel auraient presque pu s'exprimer comme Calvin. Seulement ils ne le faisaient pas, et Calvin le faisait, par l'intermédiaire de Cop, officiellement, en pleine Université. En cela consistait la grande hardiesse. Aussi la Faculté de théologie déféra le discours au Parlement, procédure qu'elle avait suivie déjà tant de fois ; mais Cop invoqua ses privilèges de recteur et retint l'affaire devant une assemblée générale de l'Université. Il déclara que son discours avait été mal interprété par ses dénonciateurs ; il s'indigna en outre qu'on eût supprimé à son égard la juridiction de l'Université, en saisissant immédiatement le Parlement. Dans les différentes Facultés, les avis furent partagés, au milieu d'un grand tumulte. Le fait que des poursuites furent engagées, que Cop d'abord, puis Calvin furent obligés de s'enfuir, ne démontre pas absolument qu'on ait vu en eux des hérétiques déclarés, car leur cas était celui de tous ceux qui se mettaient en opposition avec la Sorbonne ou montraient une indépendance qui déplaisait ; Lefèvre d'Étaples, Roussel avaient été de même poursuivis, puis étaient rentrés en grâce. Théodore de Bèze, qui avait cependant intérêt à dramatiser les faits ou à les grossir, se tient dans la juste mesure, en écrivant dans son Histoire ecclésiastique : Cop prononça une oraison, qui luy avoit été bastie par Calvin d'une autre façon que la coutume n'estoit. Cela estant rapporté au Parlement, le Recteur y fust appelé en intention de le retenir et furent aussi envoyés des sergents au Collège de Fortet[16], où Calvin demeuroit pour lors. Mais les advertissements de quelques amis garantirent l'un et l'autre ; Cop fut contraint par ce moien de se retirer à Basie et Calvin en Xaintonge. III. — LES PLACARDS DE 1534. AVANT même d'être informé de ces incidents, le Roi avait tiré de l'entrevue de Marseille les conséquences qu'elle comportait nécessairement. Le Pape ayant lancé en septembre une bulle par laquelle il l'invitait à travailler à l'extirpation de l'hérésie et rétablissait l'Inquisition en France, puis deux autres, dont l'une accordait un délai de deux mois aux hérétiques pour abjurer, et la seconde ordonnait la dégradation des prêtres et clercs entachés de mauvaises doctrines, François Ier les envoya au Parlement, le 10 décembre, avec une lettre fort significative : Nous sommes très marris et
desplaisants de ce que en nostre bonne ville de Paris, chef et capitalle de
nostre royaume et où y a Université principale de la Chrestienté, cette
maudite secte hérétique luthérienne pullule, où plusieurs pourront prendre
exemple ; à quoy de tout nostre pouvoir et puissance voulant y obvier, sans y
espargner personne qui soit, à cette cause. Nous vous mandons et très
expressément enjoignons que vous commétez certains d'entre vous pour, toutes
choses laissées, curieusement et diligemment eux enquérir de tous ceulx qui
tiennent icelle secte luthérienne... D'autre
part vous envoyons aussi au dit Évesque de Paris ou à ses vicaires ce vidimus
des bulles qu'il a pieu à nostre Saint-Père le Pape nous octroyer pour extirper
icelle secte du Royaume. Les instructions de Duprat et de Montmorency, qui accompagnaient la lettre du Roi, insistaient sur la portée des dispositions nouvelles. Je puis vous asseurer, disait Duprat, que vous ne pouvez mieux faire ni service plus agréable au dit Sire que d'exécuter vivement et sans acception de personne ce qu'il vous mande par ses lettres. Le Parlement, se conformant à ces ordres, élut, le 19 décembre, Nicole Queslain, président des enquêtes, et Jacques de La Barre, conseiller, pour procéder comme assistants de l'évêque aux procès de religion. En même temps Béda rentrait triomphalement à Paris. Mais ici encore se retrouvent les incertitudes habituelles. En même temps qu'une nouvelle persécution se déchaîne, que les suspects sont arrêtés et que les supplices se succèdent, la reine de Navarre agit auprès du Roi, et les intérêts politiques ainsi que la méfiance que François Ier conservait toujours à l'égard de la Sorbonne modifièrent pour un moment les résolutions du Souverain. Une lettre, datée du 28 février 1534, montre ce que les gens informés ou prétendus tels pensaient de cette situation complexe. Un personnage considérable aurait dit : Le vulgaire ne comprend pas les raisons de la conduite du Roi. Il est certain pour moi qu'il n'est pas mal disposé pour l'Évangile. S'il le dissimule, c'est qu'il ne peut faire autrement, à cause du Clergé de son royaume. Attendez seulement qu'il ait obtenu les parties de l'Italie qu'il désire et vous verrez ce qui restera de son amitié avec le Pape et les papistes. En effet, dès la fin de novembre 1533, François Ier avait songé à un rapprochement avec les princes allemands et il signait, le 27 janvier 1334, un traité secret avec le landgrave de Hesse. Aussi, du même coup et presque au même moment, on apprend qu'un moine prêche l'Évangile à Saint-Germain-l'Auxerrois, que Calvin a pu rentrer à Paris, que les évêques de Paris et de Senlis et un nombre considérable de personnages importants sont suspects de luthéranisme, que Béda vient d'être envoyé pour la seconde fois en exil ; mais on apprend aussi qu'un moine genevois a été condamné au supplice du feu et que la Sorbonne continue à attaquer les réformateurs, que François Ier a envoyé des commissaires dans le duché d'Alençon pour informer sur le luthéranisme, que Roussel et ses amis sont impliqués dans un procès d'hérésie. Les luthériens, fort maladroitement, reprirent l'offensive. Il y avait en effet en France un parti de religionnaires très passionnés, qui n'admettaient plus aucune transaction avec le catholicisme et répondaient au fanatisme de la Sorbonne par une haine farouche. Ils correspondaient avec les exaltés de Strasbourg et de Bâle ; ils accusaient de défection les modérés de France et d'Allemagne ; ils déclaraient n'avoir aucune confiance dans le Roi et ils étaient devenus incapables d'écouter un conseil de prudence. Peut-être aussi quelques-uns voulaient-ils empêcher les tentatives de conciliation entre les deux religions, dont le bruit courait toujours. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, on répandit et on afficha dans Paris et jusqu'en province des placards contre la messe. L'auteur en était, semble-t-il, un certain Marcourt, qui avait dû quitter Lyon vers 1530 ou 1531 et s'était réfugié à Neuchâtel. C'était un personnage emporté, ardent ; il appareil au vif dans une lettre de la comtesse de Valangin, se plaignant, en 1532, de ce qu'il a voulu de force prêcher dans son église. Se que luy feustdeffenduz et remontrez de non il (y) aller ; et si ne s'en voulutz déporter, mais luy vouloit-il entrer par force, poussant mon officier et aultres mes serviteurs, donnant à congnoistre le ditz prédicant, (que) si futz le plus fort, il ly feusse entrer par force, oultre mon voloyr, et nonobstant toutes deffenœs à luy faites, usant de grosses paroles rigoreuses. Dans la préface du traité sur la Sainte Eucharistie, composé en 1534, il écrivait : J'ai esté esmeu par bonne affection de composer et rediger en escript aucunz articles véritables sur les importables abuz de la Messe. Lesquels articles je désire estre publiez et attachez par tous les lieux publicques de la terre, affin que icelle faulseté, laquelle par si longtemps a esté occulte et cachée, soit d'ung chascun entendue et amplement congneue, et que par la miséricorde de Dieu on y puisse adviser et amplement remédier. Et il terminait par ce cri : Ainsi certes, en la fin, veullent ou non les rebelles, faudra-t-il que la vérité de Dieu soit congneue ! On a beau contredire, on a beau tuer, ernpescher, meurtrir et brusler, le conseil de Dieu est immuable. Le ton des placards était encore plus violent. J'invoque le ciel et la terre en
témoignage de vérité contre ceste pompeuse et orgueilleuse messe papale, par
laquelle le monde (si Dieu bientost n'y
remédie) est et sera totalement désolé,
perdu, ruyné et abysmé. Suivaient quatre articles. — Premièrement : le sacrifice de Jésus-Christ a été parfait
et ne doit jamais être réitéré par aucun sacrifice visible. Sont donc
menteurs et blasphémateurs le Pape et
toute sa vermine de cardinaux, d'évesques et de prestres, de moynes et autres
caphards, diseurs de Messes, et tous ceux qui y consentent. — Secondement : c'est une idolâtrie que de dire et croire à
la présence corporelle de Jésus-Christ sous les espèces du vin et du pain :
Il ne se peut faire qu'un homme de vingt ou
trente ans soit caché en un morceau de peste, tel que leur oublie.
— Tiercement : c'est une autre erreur de croire que
par transsubstantiation (comme ils parlent
de grands et prodigieux mots) Jésus-Christ
est sous les accidents du pain et du vin caché et enveloppé. — Quartement : la messe a été détournée de son vrai sens,
qui est de nous faire souvenir du sacrifice et de la Passion de Nostre
Seigneur. Le temps en est occupé en
sonneries, hurlements, chanteries, vaines cérémonies, luminaires, encensements,
desguisements et telles manières de sorcelleries. Et les placards se terminaient ainsi : En somme, vérité leur défaut, vérité les menace, vérité
les pourchasse, vérité les épouvante : par laquelle en bref leur règne sera
détruit à jamais. Cette violence d'accent fait ressortir la modération du discours prononcé l'année d'avant par Cop. Tout le protestantisme des guerres de religion est déjà dans ces placards ; c'est comme une nouvelle génération qui apparaît ; Calvin n'en est pas encore le chef ; elle n'en a pas à vrai dire, ce qui est le propre des vrais mouvements révolutionnaires. L'audace de ceux qui répandirent ce manifeste contribua à exciter les colères. Bientôt on le trouva, dit-on, à Paris, à Orléans, à Blois, à Amboise même, où était. le Roi, et à la porte de sa propre chambre. Ce fut alors une exaspération et un déchaînement féroce de fanatisme. Le Parlement et l'Université demandent des mesures extraordinaires ; des processions sont annoncées partout pour protester contre le sacrilège. Puis commencent les poursuites et les exécutions ; des hommes de toute classe sont conduits au bûcher : Barthélemy Milon, dit Berthelot, cordonnier ; Henri Poille, maçon ; Du Bourg, marchand de Paris ; une maîtresse d'école, accusée d'avoir défendu à ses élèves de dire l'Ave Maria ; un jacobin. En janvier encore, trente-cinq luthériens furent brûlés ; on parlait de trois cents arrestations : Dedans Paris on ne veoit que potences dressées en divers lieux, ce qui espouvantoit fort le peuple du dict Paris et ceulx des aultres villes qui veoyent les dictes potences et exécutions. Pourtant beaucoup réussirent à s'enfuir ; le Parlement en fit ajourner cinquante-deux, parmi lesquels on trouve des gens considérables : Pierre Caroli, Clément Marot, Ronault, principal du Collège de Tournay, le sire de Roberval, Françoise Bayard, veuve d'un conseiller, Pierre Duval, trésorier des Menus-Plaisirs, Mathurin Cordier, Léon Jamet, l'ami de Marot, un grand nombre d'imprimeurs, de libraires, de relieurs, quelques artistes, François Maju, graveur, Girard Lenet, peintre, Jean Lefèvre, dict le tailleur d'istoires. La procession que le Roi ordonna et suivit, le 21 janvier 1535, fut une grande manifestation catholique. Il en fut fait sans doute un compte rendu officiel[17]. On y lisait que le Roi très chrétien, informé des hérésies qui pullulaient dans le royaume, avait voulu, à la louange et honneur de la benoiste Trinité et de la sacrée Vierge Marie, mère de nostre Sauveur et rédempteur Jésus-Christ, aussi de la cour célestielle de Paradis, faire solempniser en ceste ville de Paris, capitale du susdict royaume, une dévote procession et assemblée générale, où le très précieux et sacré corps de nostre Seigneur Jésus-Christ a esté porté . On y vit paraître, comme par protestation, tout l'appareil du culte auquel les protestants s'attaquaient plus particulièrement : les croix et bannières des paroisses de la ville de Paris ; les châsses et reliquaires : châsses de saint Landri, de saint Marc, de saint Honoré, chef de saint Martin, de saint Philippe, châsse de sainte Geneviève, chef de saint Louis ; les fragments de la croix et de la couronne d'épines, le fer de la lance, l'éponge, le saint sang, la robe sans couture du Christ et même la verge de Moïse ; enfin le Saint-Sacrement, porté par l'évêque de Paris, marchant sous un dais que tenaient le Dauphin, ses deux frères et le duc de Vendôme. Quant aux assistants, c'était la France catholique tout entière, depuis le Roi seul, tenant une torche de cire vierge en sa main, teste nue, en grande révérante qu'il faisoit merveilleusement voir, jusqu'au dernier corps des marchands de la Ville. Des inscriptions avaient été mises sur le pont Notre-Dame[18] : à la Vierge : Avocate du genre humain, mère de Dieu, Vierge Marie, donne-nous secours, force et vertu contre les adversaires de l'Eucharistie. — Aux Saints : Vous tous, Saints et Saintes de Dieu, qui avez vaincu les tyrans avec le bouclier de la foi, intercédez pour nous, nous vous en supplions, afin que tous les hérétiques puissent être vaincus par nous. Enfin le Roi, après avoir dîné chez l'évêque avec les
membres de la famille royale, reçut les notables parisiens et s'éleva contre les machinacions que aulcuns meschans blasphemateurs, gens
de petite condition et de moindre doctrine, avoyent dressées contre l'honneur
du Saint-Sacrement, usans de termes réprovez et refusez. de toutes autres
nations. Il affirma sa volonté d'abattre l'hérésie et ajouta, dans une
phrase devenue célèbre, que, si son bras estoit
infecté de telle pourriture, il le vouldroit séparer de son corps,
c'est-à-dire (comme il
expousa luy-mesme) que, si ses propres
enffans estoient si malheureulx que de tomber en telles exécrables et
mauldictes opinions, il les vouldroit tailler pour faire sacrifice à Dieu. Cependant ce discours se terminait par un appel à la prudence et à la mesure ; le Roi recommandait à ses auditeurs de se méfier des accusations lancées à la légère ou par inimitié, et il affirmait que les faux accusateurs seraient punis aussi sévèrement que les coupables. Il fallait que le mal de la délation fût singulièrement répandu pour que de telles paroles fussent prononcées dans une pareille cérémonie. Mais les actes législatifs n'étaient pas pour calmer les esprits, car dès le 29 janvier, le Roi promulgua l'édit suivant : Pour la conservation et augmentation de la foi catholique, extirpation et extermination de la secte luthérienne et autres hérésies qui, à notre grand regret et desplaisir, ont pullulé et pullulent dans notre royaume, dont les sectateurs et imitateurs se sont rendus fugitifs, cachent et alitent en aucunes parties de nostre royaume, où ils sont tenuz et supportez par aucuns de nos subjectz, qui les recèlent pour empescher qu'ils ne soyent punis par justice, nous avons statué : que tous ceux et celles qui ont recélé et recèlent par cy après scientement les dits sectateurs seront puniz de telle et semblable peine que les dits sectateurs, sinon que d'eux-mêmes et par leur diligence ils amenassent et représentassent à justice iceux sectateurs. — En outre avons ordonné que tous ceulx et celles qui révéleront et dénonceront à justice aucuns des dits délinquants, soient des principaux sectateurs, soient de leurs fauteurs et recélateurs, auront la grande partie des confiscations et amendes sur ce adjugées.... En même temps, on avait entrepris de supprimer le livre, c'est-à-dire l'engin le plus redouté. C'est l'objet du fameux édit du 13 janvier 1535, qui défendait d'imprimer aucune chose sous peine de la hart et ordonnait de fermer les boutiques des libraires. Puis, reconnaissant l'aberration d'un pareil projet, preuve d'un véritable désarroi, on essayait le 23 février d'un moyen terme : l'imprimerie placée sous la surveillance d'une commission de Parlementaires, chargée de déterminer les livres approuvés et nécessaires. A deux reprises, le Parlement lui-même refusa d'enregistrer ces mesures. A l'étranger le sentiment, au travers de rumeurs inconsidérées, était bien que les mouvements de Paris avaient une véritable gravité. Granvelle, un des ministres de Charles-Quint, écrivait à l'ambassadeur impérial en France : L'on dit que le nombre est très grain des desvoiez de la foy en France, et Dieu veuille que le dit Roy y puist bien remédier ; mais il s'aperçoyt que son royaume n'est si nect des hérésies repens, comme il a souvent dit pour s'excuser du remède[19], le remettant à ceux à qui il touche. Et l'emprise que vous m'escripvez des dits desvoiez de mectre le feu aux esglises et de piller le Louvre dénotte qu'il y eust (chez eux) grande puissance. Mais les choses allaient de nouveau tourner. Au cours de l'année 1535, les projets d'union des Églises catholique et réformée, que Clément VII avait un moment agités, furent repris avec plus d'ampleur par Paul III, qui lui avait succédé en 1534, et des négociations furent entreprises avec les luthériens d'Allemagne. Tout revint à la douceur ; le Pape lui-même — au moins le bruit en courait-il, — avait écrit à François Ier de modérer les poursuites. Le Roi promulgua en effet à Coucy, le 16 juillet, un édit d'amnistie ; il y affectait de croire que l'hérésie avait disparu : Comme, par la grâce et miséricorde de Dieu, nostre Créateur, les hérésies et sectes nouvelles, contraires et desrogeantes à la foy et loy catholique de son Église, constitutions et traditions d'icelle, ayent cessé et cessent de présent, tant par la bonté et clémence divine que par la diligence que nous avons soubz sa puissance mise et fait mettre à la pugnicion exemplaire de plusieurs sectateurs et imitateurs des dictes erreurs.... Avons déclaré et déclarons que nostre vouloir est que tant ceux qui sont chargez et accusez des dites erreurs que les suspects et non accusés ni prévenus encore par justice ne soient poursuivis ni inquiétés pour raison d'icelles erreurs ; ains, s'ils estoient détenuz prisonniers ou leurs biens saisis et pris, voulons qu'ils soient délivrés, mis en liberté et leurs biens mis à pleine et entière délivrance ; et aux absens et fugitifs permettons de retourner en nos dits royaumes... pourveu qu'ils seront tenuz de vivre comme bons et vrais chrétiens catholiques doivent faire, et se désister de leurs dites erreurs, qu'ils seront tenuz abjurer canoniquement dedans six mois prochainement venans. Marot, qui s'était enfui en Italie, revint en France et rentra même en faveur[20]. Pendant ce temps, les tentatives de conciliation se continuaient, malgré les résistances de la Faculté de théologie, qui écrivait au Roi : Non esse disputandum cum hæreticis : On ne discute pas avec les hérétiques. Par contre, l'évêque de Paris et Guillaume du Bellay s'employaient à faire réussir les projets de concorde. D'autre part, certains réformés de Paris voyaient ces projets avec une âpre irritation. Ils craignaient des embûches et s'irritaient des limites apportées à la discussion. Si les chefs des luthériens allemands ne voulaient venir à Paris que pour défendre la messe luthérienne et non pas pour corriger les superstitions et les erreurs, ils feraient mieux, disaient-ils, de rester en Allemagne. Le Roi fut amené à continuer de ménager les réformés de France par le besoin qu'il avait des réformés d'Allemagne. Du reste, au plus fort même de la persécution, il s'était toujours efforcé de ne pas se les aliéner. Le 1er février 1535, il adressait un manifeste aux révérendissimes, illustrissimes, inclytes Électeurs du Saint Empire Romain, princes, cités. Il rappelait qu'à la fin de 1534 encore il espérait arriver à apaiser les controverses. Mais à ce moment même, ajoutait-il, l'ennemi de la vérité et de la paix suscita certains hommes plus criminels qu'insensés, qui incontestablement préparaient la destruction de tout ordre établi. Il parlait des calomnies répandues en Allemagne contre lui par ses ennemis. J'aimai mieux (ajoutait-il) laisser ensevelis leurs paradoxes dans les ténèbres d'où ils sortaient, que les faire porter à votre connaissance, c'est-à-dire les porter à la lumière du monde[21]. IV. — LUTTE OUVERTE CONTRE LA RÉFORME. LES événements de France si complexes, cette lettre du Roi aux Allemands, sa conduite qui faisait qu'on ne désespérait pas encore de le ramener, sinon à la Réforme, au moins à la tolérance, expliquent en partie la préface de l'Institution chrétienne. Calvin, après s'être démis à Noyon, le 4 mai 1534, de ses derniers bénéfices, s'était rendu à Bâle vers la fin de l'année. Il n'était encore qu'un personnage de second ordre, car, au moment même de la publication de l'Institution chrétienne, un des réformés de la ville le qualifie simplement de Gallus quidam, un certain Français ; et si la tradition rapporte qu'à Angoulême et à Poitiers, où il s'était réfugié, il prêcha et répandit la bonne parole, ce n'avait pu être que passagèrement et en secret : des conversations, des colloques, si l'on veut, pas davantage. A Bâle va commencer son grand rôle et une nouvelle évolution, insensible d'abord, de la Réforme. La préface de l'Institution est datée du jar août 1535 ; elle est faite sous la forme d'une lettre au roi François II. Au commencement que je m'appliquay à escrire ce présent livre, je ne pensoye rien moins, Sire, que d'escrire choses qui fussent présentées à Vostre Majesté : seulement mon propos estoit d'enseigner quelques rudimens, par lesquels ceux qui seroyent touchés d'aucune bonne affection à Dieu fussent instruits à la vraye piété.... Mais voyant que la fureur d'aucuns iniques s'estoit si fort eslevée en vostre royaume qu'elle n'avoit laissé lieu aucun à saine doctrine, il m'a semblé estre expédient de faire servir ce présent livre tant d'instruction à ceux que premièrement j'avoye délibéré d'enseigner qu'aussi de confession de foy envers vous ; dont vous cognoissiez quelle est la doctrine, contre laquelle d'une telle rage furieusement sont enflambez ceux qui, par feu et par glaive, troublent aujourd'huy vostre royaume... Vous mesme vous pouvez estre tesmoin, Sire, par combien fausses calomnies elle est tous les jours diffamée envers vous : c'est assavoir qu'elle ne tend à autre fin sinon que tous règnes et polices soyent ruinées, la paix soit troublée, les loix abolies, les seigneuries et possessions dissipées ; bref que toutes choses soyent renversées en confusion... Icy est osté le congé d'ouvrir la bouche... mais j'entrepren la cause commune de tous les fidèles, et même celle de Christ. Et il termine : Vous ne vous devez esmouvoir de ces faux rapports par lesquels noz adversaires s'efforcent de vous jetter en quelque crainte et terreur... Et il est bien vraysemblable que nous, desquels jamais n'a esté ouye une seule parolle séditieuse et desquels la vie a tousjours esté cogneue simple et paisible, quand nous vivions sous vous, Sire, machinions de renverser les royaumes ! Qui plus est, maintenant estans chassez de noz maisons, nous ne laissons point de prier Dieu pour vostre prospérité et celle de vostre règne... Il est vrai que l'extrême fin contient une menace, mais elle s'applique aux adversaires : Mais si... ces impétueuses furies, sans que vous y mettiez ordre, exercent tousjours cruauté par prisons, fouets... nous certes, comme brebis dévouées à la boucherie, serons jettez en toute extrémité : tellement néantmoins qu'en nostre patience nous posséderons noz âmes et attendrons la main forte du Seigneur : laquelle sans doute se monstrera en sa saison et apparoistra armée, tant pour délivrer les povres de leur affliction que pour punir les contempteurs, qui s'esgayent si hardiment à ceste heure. Le Seigneur, Roy des Roys, vueille establir vostre thrône en justice et vostre siège en équité ! Calvin, dans sa préface même, abordait certaines questions de foi. Il faisait appel à l'Évangile et proclamait que la doctrine réformée n'est pas nostre, mais de Dieu vivant et de son Christ ; qu'elle n'était ni nouvelle, ni incertaine, comme on le reprochait, à moins qu'on n'appliquât ces termes à la parole de Dieu dont elle procédait. Il attaquait les théologiens, qui appellent foy se soumettre au jugement de l'Église, c'est-à-dire du Siège romain, qui prêchent la Messe, le Purgatoire, les pèlerinages et tels fatraz, qui n'ont tous qu'un même propoz ou de conserver leur règne ou leur ventre plein. C'est une discussion en règle, surchargée de renvois aux textes, embarrassée dans des détails, pleine des habitudes scolastiques et juridiques, assez mal à sa place dans une lettre, qui était un acte et qui aurait dû garder un caractère général. Mais, en résumé, cette préface plaidait moins la cause de la Réforme auprès du Roi qu'elle ne la posait en face de lui. L'accent partout très ferme et digne, très mesuré quand Calvin s'adresse à François Ier, plus âpre et sarcastique quand il parle des théologiens, la pensée et la forme du style toutes vibrantes du ton biblique, la simplicité même dans la franchise, tout donne l'impression de quelqu'un qui traite d'égal à égal. Rien qui soit d'un révolutionnaire, mais tout y est d'un démocrate chrétien. A la trêve de Nice, conclue en juin 1538, François Fe se rapprocha encore une fois de Charles-Quint et du Pape. Immédiatement le contrecoup se fit sentir dans la politique religieuse française, et la persécution reprit. A cette date, la lutte n'est plus engagée qu'entre la Sorbonne et le Parlement, soutenus par François Ier, et les protestants ou les libres penseurs ; le tiers parti n'existe plus. La pensée même qui l'avait animé se dissout peu à peu, sauf peut-être chez Marguerite, et les éléments s'en vont se perdre et s'absorber dans l'une des deux doctrines restées en présence. L'évolution religieuse française est arrêtée. DE 1540. En 1539 et en 1540, parurent de nouveaux édits contre les luthériens. Le Roi y rappelait toutes les mesures qu'il avait prises pour extirper et déchasser les mauvaises erreurs, et à la suite desquelles il avait pensé que son royaume en estoit purgé et nettoyé ; mais il apprenait qu'elles se glissaient de nouveau en France et que leurs propagandistes étaient recélés par plusieurs gros personnages : il fallait donc des actes exceptionnels. Ainsi l'Ordonnance de 1540 remettait à tous les agents de justice indifféremment et concurremment : membres des Cours souveraines, baillis, sénéchaux, prévôts, le droit d'inquisition à l'égard de toutes personnes, même ecclésiastiques (c'est-à-dire ayant le privilège de clergie), non revêtues cependant des ordres sacrés. Après l'information, les prévenus devaient être envoyés incontinent devant les Cours souveraines, sans qu'on eût à tenir compte d'aucun privilège ni d'aucune franchise, et la chambre criminelle de chaque Cour devait procéder toute affaire cessante. — Tous les vassaux et sujets du Roi, seigneurs temporels et hauts justiciers, étaient invités, sous peine de privation de leur juridiction, à procéder à des enquêtes sévères dans le ressort de leur justice et à renvoyer les prévenus devant les juges royaux. — D'ailleurs les prélats et les officialités gardaient tous leurs droits d'action contre les membres ayant ordres sacrés, seulement on mettait à leur disposition les forces du bras séculier. Enfin, il était enjoint à tous les sujets, sous peine de lèse-majesté, de ne recevoir ni favoriser les coupables, mais de les révéler à justice et de tout leur pouvoir aider à les extirper, comme un chascun doit courir à esteindre le feu public. A ce prix, le Roi espérait — il s'en était déjà flatté à plusieurs reprises — que son peuple demeurerait instruit et enseigné en la vraie foy. Le 30 août de l'année me, le Roi signait un nouvel édit et il le commençait par un aveu : malgré les efforts faits contre elle, la secte des damnables doctrines s'accroissait toujours ; il était donc nécessaire de continuer vivement, sans y perdre heure de temps, les exécutions. Mais le Clergé réclama au nom de ses privilèges : il voyait une atteinte à sa juridiction dans l'extension des pouvoirs des tribunaux laïques en matière d'hérésie. Le Roi dut céder, au moins dans la forme, et déclarer (le 23 juillet 1543) que le droit de recherche et de poursuite serait partagé entre les deux justices. A partir de ce moment, les arrêts particuliers ou généraux se succèdent presque sans interruption : lettres adressées aux Parlements pour stimuler leur zèle, renouvellement des pouvoirs des inquisiteurs de la foi, commissions à des membres des cours souveraines pour aller informer contre les hérétiques dans les pays les plus suspects. La Faculté de théologie agissait de son côté ; en réalité,
c'était elle et le Parlement qui continuaient à mener la campagne. Elle
s'était réunie au commencement de 1543 et avait rédigé en juillet le
formulaire des croyances religieuses. Elle constatait de nombreuses
hésitations dans la doctrine et proclamait l'obligation de la fixer, à
l'égard même du Clergé ; elle voyait, par les
contentions et altercations d'aucuns prédicateurs preschans doctrines
contraires et diverses, plusieurs fidèles, selon ce qu'escrit Sainct Pol aux
Ephésiens, ainsi que petits enfants, mal stables et peu arrestez et de toutes
parts agitez et menez et tournans à tous vents de diverses doctrines[22] ; elle
revendiquait le devoir d'apaiser et composer les
flots de diverses doctrines et contraires opinions en la foy. La Faculté se déclarait bien asseurée du très sainct propos et religieux vouloir de nostre Roy très chrestien, ce qui était peut-être un moyen de l'engager à fond. Puis elle énumérait 25 articles, que devaient signer tous les docteurs et bacheliers, et pour ce que ce n'est chose seure de nourrir des loups en son troupeau, elle excluait à jamais quiconque s'y refuserait. Ces articles contiennent exactement toute la doctrine catholique ; ils affirment tout ce que niaient les réformés, aussi bien dans le dogme que dans le culte ou l'organisation de l'Église. La Faculté ajoutait ensuite quelques prescriptions de forme qui contribuaient à séparer nettement, même dans les habitudes de langage, les catholiques et les protestants. Elle recommandait de n'avoir aucunement en horreur (ces termes sont singuliers) ceste Salutation évangélique, laquelle l'Évangile nous a prescrite et baillée, de dire Jésus-Christ et non Christ, saint Paul, saint Mathieu, et non pas tout simplement Paul, Mathieu, sans aucune préface d'honneur. Le Roi, après avoir consulté son Conseil privé, qui jugea les articles conformes à l'observance catholique, les approuva et ordonna de les publier dans tout le royaume, de poursuivre tous ceux qui apertement ou par mots couverts prêcheraient ou enseigneraient aucune chose contraire, répugnante ou dissonante ; l'ordonnance fut enregistrée rapidement par le Parlement. Ainsi la doctrine se condensait ; la Faculté de théologie et le Parlement s'unissaient une fois de plus pour donner à la lutte contre la Réforme une direction plus précise et plus forte, et le Roi, en adhérant solennellement à leurs conceptions religieuses, se fermait toute autre issue que celle du pur catholicisme. En même temps, la Faculté s'attaquait directement aux livres : à partir de 1542, elle avait commencé à rédiger l'index des ouvrages condamnés. La liste qui parut en 1543 en contenait 65, parmi lesquels on trouve des œuvres de Calvin, de Luther, de Mélanchton, de Dolet, de Marot, et les traductions des Écritures que Robert Estienne avait éditées. Là encore, l'autorité laïque s'était unie étroitement à la Sorbonne, et, dès le ter juillet 1542, le Parlement avait publié une ordonnance très rigoureuse contre la propagande par l'imprimerie et la librairie[23]. Dans l'application des ordonnances, le Roi et le Clergé mirent en jeu toutes leurs forces ; cependant le grand rôle appartint aux magistrats séculiers et surtout aux Parlements. Tantôt ceux-ci jugeaient sur une enquête, ouverte soit par les délégués de l'Inquisition ou les tribunaux ecclésiastiques, soit par les baillis, sénéchaux, prévôts : ainsi les officiers du bailliage de Troyes envoient à Paris un prévenu qu'on enferme à la Conciergerie, jusqu'à jugement par la Cour. Tantôt ils se prononçaient sur un appel : le poète Germain Colin ayant été arrêté sur l'ordre du sénéchal d'Anjou et condamné, pour avoir tenu des propos hérétiques, à faire amende honorable et à être brûlé vif, après avoir subi la question, en appela au Parlement de Paris et comparut devant la Tournelle Criminelle. Sur sa rétractation, celle-ci cassa la première sentence, en ce qui concernait la peine de mort et la question, mais maintint l'amende honorable à faire à Angers même, au Palais, puis devant l'église cathédrale. Quelquefois aussi les Parlements nommaient, des commissions chargées de tenir des Grands Jours en province, avec délégation de souveraineté. Ces magistrats commettaient à leur tour des délégués enquêteurs ou jugeaient les prévenus que leur adressaient les juges locaux. Aux Grands Jours d'Angers, en 1539-1540, comparaissent un barbier, suspect d'hérésie, renvoyé devant cette juridiction par l'archiprêtre de Sancerre, et des hérétiques de La Rochelle, sur lesquels un conseiller de la Cour est allé informer. Dix à douze condamnations capitales furent prononcées dans ces conditions. Ou bien encore le Roi déléguait directement un magistrat unique, qui avait tout pouvoir d'informer souverainement sur les fauteurs d'hérésie ; des conseillers du Parlement parcoururent ainsi en 1545 le bailliage de Sens, l'Anjou, la Touraine, le Berry, l'Orléanais. De temps en temps, François Ier intervenait pour modérer le zèle de ses agents : un conseiller de Bordeaux, coupable seulement de paroles légères, fut rétabli dans son office, malgré une censure de l'évêque de Condom ; un marchand de Strasbourg, prisonnier à la Conciergerie, pour avoir dit plusieurs paroles scandaleuses, fut relâché. Mais ce sont là des exceptions. Dès 1539, la persécution avait de nouveau sévi. A Toulouse, à Rouen, à Grenoble, à Bordeaux, les supplices n'avaient pas discontinué. De 1544 à 1547, ils reprennent plus nombreux. Parmi les victimes on trouve des luthériens et des sacramentaires[24] ; de simples dissidents, qui n'ont fait adhésion à aucune secte, mais qui ne professent pas régulièrement le culte catholique ; dès libres penseurs ; des prêcheurs et des colporteurs de livres. La place Maubert à Paris est le théâtre de ces horribles exécutions : en 1546, Pierre Chappot et Gobillon, Michel, Gresteau, Dolet. Les livres sont brûlés aussi bien que les hommes : l'Institution Chrétienne, à défaut de Calvin. L'arrêt rendu, le 4 octobre 1546, contre les soixante-et-un de Meaux annonce la politique tragique du règne d'Henri II. Les réformés de la ville se réunissaient dans une maison possédée par un des leurs, Étienne Mangin. Quelques-uns d'entre eux y furent arrêtés, au nombre de 61, au moment où ils tenaient une assemblée, le 8 septembre, et renvoyés devant le Parlement par le bailli de Meaux. La Cour déclara qu'il y avait eu négligence de la part de l'évêque à laisser se tenir de semblables réunions ; elle constata une fois de plus que l'hérésie pullulait dans la ville et aux environs. Elle ordonna, attendue la grande suspicion que l'on peult avoir... qu'il y a encores plusieurs luthériens et hérétiques au dit Meaux et en bien grant nombre, que des informations nouvelles fussent poursuivies par les autorités ecclésiastiques et laïques ; elle décréta que tous les livres concernant la doctrine chrétienne seraient déposés au greffe dans un délai de huit jours ; elle enjoignit des prédications et des processions solennelles ; elle déclara que la maison de Mangin serait rasée et à sa place une chapelle édifiée en l'honneur du Saint-Sacrement. En même temps, elle frappait de peines terribles les prévenus qui avaient comparu devant elle : quatorze hommes furent condamnés à la torture, à la question extraordinaire et à être brûlés vifs ; un quinzième à être pendu sous les aisselles, pendant l'exécution des autres, puis fustigé et enfermé ; d'autres, hommes ou femmes, à assister au supplice, ou bien la corde au col, ou bien testes nues, puis à être fustigés, à faire amende honorable, à prendre part à une procession générale et à entendre une prédication exortatoire au peuple, singulièrement et principalement de la révérence et adoration du précieux corps de nostre Seigneur Jésus-Christ, ensemble de l'observance des commandements de nostre Saincte Mère Église.... Quelques prévenus, pourtant, surtout des femmes, furent acquittés. Malgré la férocité des peines, les mauvaises doctrines continuaient à se répandre, même dans les ordres religieux : sur une plainte de la Faculté de théologie, en 1544, le général des Augustins fut obligé de reconnaître que beaucoup de membres de l'ordre participaient aux hérésies. De tous côtés se levaient des disciples de la Réforme et la foi nouvelle était fécondée par le sang des martyrs. V. — LA RÉFORME ET LA RENAISSANCE. LE protestantisme est constitué en France, au moment où se termine le règne de François Ier ; nous verrons plus tard quelle en était l'organisation. Son esprit et son dogme se sont modelés, depuis quelques années seulement, sur l'Institution Chrétienne. Le luthéranisme, qui avait absorbé les doctrines de Lefèvre d'Étaples, va être à son tour remplacé par le calvinisme. Telles qu'elles se présentent pendant le règne de François Ier, la Renaissance et la Réforme sont des faits en voie de s'accomplir, mais non pas accomplis ; elles sont bien près de fixer leur pédagogie et leur théologie, elles ne les ont pas encore immobilisées. Elles sont donc restées, au moins pendant un temps, larges, souples et libres. Au reste, elles diffèrent l'une de l'autre profondément. La Renaissance vient du Midi, ressuscite l'antiquité païenne, n'a d'attache avec aucun autre passé que le passé gréco-romain. A mesure qu'elle se développe, elle subordonne de plus en plus les questions chrétiennes et morales aux préoccupations intellectuelles. Elle est facilement incroyante ou indifférente, aussi bien dans la politique que dans la religion. C'est pourquoi elle s'accorde facilement avec la Royauté, l'Aristocratie et l'Église. Mais aussi son action ne s'étend guère au delà des classes supérieures et ne va jamais jusqu'au peuple. La Réforme est un produit de l'esprit du Nord. Elle est une réaction contre l'exagération de la culture antique et contre le scepticisme, qui en est le fruit ; un retour au sentiment religieux, un acte de foi bien plus qu'un acte de liberté. Elle ne contient le principe de liberté que par son opposition au catholicisme. Comme la religion est, au XVIe siècle, une affaire d'État, et comme la Réforme mêle elle-même les questions d'État aux questions de religion, elle est en opposition forcée avec la monarchie et les classes dirigeantes. Mais aussi elle peut entrer en communication avec le peuple et satisfaire quelques-unes de ses aspirations intimes. Ainsi la Renaissance ouvrait les esprits, y répandait une forte culture et les initiait à la liberté intellectuelle ; la Réforme retrempait les âmes, élevait les cœurs et leur rendait l'aliment fécond des grandes convictions. Renaissance et Réforme n'étaient pas inconciliables absolument, puisqu'on les trouve réunies chez des hommes tels que Robert Estienne, Palissy, Jean Goujon ; pourtant elles demeurèrent le plus souvent séparées. La Renaissance a précédé la Réforme et a pendant quelque temps aidé à ses progrès. En face du catholicisme dogmatique, elle conduisait à douter et elle détruisait l'espèce de fatalisme d'unité sur lequel avait vécu le moyen-âge. Par le développement des méthodes critiques, par la connaissance des langues anciennes, le grec et l'hébreu, elle fournissait le moyen de comparer le catholicisme moderne et le christianisme primitif. Mais, tandis que les indifférents s'arrêtaient là ou se contentaient de nier, les croyants, c'est-à-dire les réformés, se servirent de ces instruments pour restaurer la foi. Et l'on en revient toujours à ceci, que le fondement de la Réforme est tout religieux. Or, le besoin de se rapprocher de Dieu vient des sentiments du moyen-âge, tels qu'ils furent exprimés dans plus d'un ouvrage mystique et, par exemple, dans l'Imitation de Jésus-Christ, ou bien encore il procède de l'Évangile lui-même. Ainsi la Renaissance et la Réforme retournent toutes deux au passé, mais la première au passé païen, la seconde au passé chrétien. Quant à leurs conséquences historiques, la Renaissance, qui triompha sans réserve — et sans mesure, — anéantit pour longtemps toutes les idées du moyen-âge français qu'elle proscrivait ; le protestantisme, qui succomba en France, y amena néanmoins, dans l'Église même qui l'avait combattu et surtout dans la nation qui l'avait repoussé, une évolution religieuse, d'où le christianisme orthodoxe sortit revivifié. FIN DU TOME V-1 |
[1] Quand le Parlement de Toulouse requiert contre des réformés arrêtés en 1580, l'accusation leur reproche de ne croire que l'Écriture, de rejeter tous les articles ajoutés par l'Église romaine, de déclarer que le Siège de Borne est vacant, de ne pas admettre le Purgatoire, de protester contre l'abus des indulgences. de nier l'efficacité des prières aux Saints, de repousser le libre arbitre et d'affirmer la justification par la foi.
[2] Hauser, La propagation de la Réforme en France, Rev. des cours et conférences, 1894.
[3] Doumergue, ouvrage cité, p. 283 et suiv.
[4] Oursel, Étude historique sur la Réforme en Normandie.... au temps de François Ier. Posit. des thèses de l'École des Chartes, 1899. Douen, L'imprimeur Simon Dubois et le réformateur P. Caroli, 1529-1534, Bull. de la Soc. d'hist. du Protestantisme, t. XLV, 1896.
[5] Gaullieur, Histoire de la Réformation à Bordeaux et dans le ressort du Parlement de Guyenne, t. I, 1523-1563, 1884. U. de Robert-Labarthe, Histoire du Protestantisme dans le Haut-Languedoc, etc., 2 vol., 1895 et 1896. A. Puech, La Renaissance et la Réforme à Nîmes, 1893.
[6] Hauser, Nîmes, les consulats et la Réforme, Bullet. de la Soc. du Protest., t. XLVI, 1897.
[7] Une Inscription, composée à l'occasion d'une cérémonie catholique, disait :
Le Roy Clovis, par la bonté immense,
Receut jadis les fleure de lys des cieux,
Après qu'il eust de la Foy congnoissance,
et le refrain était :
France fleurit sur toutes nations.
[8] Voir Doumergue, qui donne la bibliographie. A. Lefranc, La jeunesse de Calvin, 1888.
[9] Gérard Roussel.
[10] A. Lefranc, ouvrage cité, p. 25.
[11] Cela donnait le droit de dire les messes pour lesquelles la chapelle avait été fondée, et d'en toucher la rétribution. Dans l'espèce, Calvin, trop jeune encore, avait un délégué, avec qui il partageait les bénéfices de la chapelle.
[12] Il ne faut guère voir qu'un travail d'écolier, une sorte de thèse de Faculté, dans le Commentaire sur le traité de la Clémence de Sénèque, qu'il publia en 1532. Qu'Il y ait quelque intention dans le choix du sujet et une protestation — bien timide, — contre les supplices ordonnés par la Sorbonne et le Parlement, cela n'est pas impossible, mais précisément sent un peu l'amplification de rhétorique. L'ouvrage est dans le moule conventionnel : un jugement littéraire et des citations nombreuses, qui étaient d'ailleurs courantes à cette époque.
[13] Cela n'a pas d'importance. En tout cas, les discussions reposent sur des incertitudes dans la définition des mots ou bien encore sur des partis pris.
[14] Ailleurs il écrit : Commençant un peu à sortir des ténèbres de la Papauté et ayant prins quelque petit goust à la saine doctrine, quand je lisoye en Luther qu'Œcolampade et Zwingle ne lalasoyent rien ès sacrements que des figures nues et représentations sans la vérité, je confesse que cela me destourna de leurs livres, en sorte que je m'abstins longtemps d'y lire. Or, devant que je commençasse à escrire, ils avoyent conféré ensemble à Marpourg (en) et par ce moyen leur première véhémence estoit un peu modérée.
[15] Nous n'avons de ce discours, tel qu'il fut prononcé, qu'une copie postérieure, mais la première page du manuscrit (en latin) de Calvin, heureusement retrouvée, permet de noter des différences intéressantes entre le texte préparé par lui et celui que Cop adopta. En effet, tandis que Cop dit que l'Évangile doit être interprété dans sa pureté, ce que ne font pas les sophistes qui ne parlent jamais ni de la fol, ni de l'amour de Dieu, ni des œuvres véritables, Calvin avait ajouté : ni de la rémission des péchés, ni de la grâce, ni de la justification : ce point est très important. On en trouverait sans doute d'autres si, au lieu d'une page, on avait tout le manuscrit. D'un autre côté, à propos de la salutation à la Vierge, qui figure dans le discours de Cop, un éditeur protestant du xvi6 siècle a écrit : Nous n'avons pas cru devoir supprimer ces mots, par ce qu'ils s'expliquent par l'époque où le discours fut prononcé. Mais alors, on s'attribuait donc le droit de faire ailleurs des modifications au texte ? Tout cela donne à songer.
[16] Le Collège de Fortet se trouvait près de la place actuelle du Panthéon, dans la rue dite aujourd'hui rue Vallet.
[17] Le récit de la cérémonie, et surtout le préambule de ce récit dans la Cronique du Roy Françoys Ier en a toute l'allure.
[18] Elles étaient en latin.
[19] Pour éviter d'administrer le remède nécessaire : les poursuites contre les hérétiques, qu'il n'osait pousser à fond, malgré les sollicitations de Charles-Quint, à cause de la nécessité pour lui de ménager les protestants allemands.
[20] On ne sait pas au juste s'il abjura ou n'abjura pas à Lyon.
[21] Parmi ces calomnies contre lesquelles le manifeste royal protestait, figurait celle-ci : on avait fait courir le bruit que les ambassadeurs du Sultan Soliman étaient reçus avec honneur par le Roi, tandis qu'il faisait à peine accueil aux députés allemands, Or, cette assertion, au moins dans se première partie, n'était pas absolument inexacte. La Cronique de Françoys Ier dit, en faisant un rapprochement qu'on pourrait presque croire intentionnel : Il est aussi à notter que pendant qu'on faisait les dictes exécutions, environ la fin du moys de janvier mil cinq cens trente quatre (1535), estoit à Paris l'ambassade du Turc, qui y séjourna assez long espace.
[22] En 1542, dans un règlement sur la réforme de la discipline, on lit ceci : Que les étudiants s'abstiennent absolument de tous les livres hérétiques... qu'ils ne participent en rien à la faction luthérienne..., qu'on demande secrètement aux jeunes gens s'ils ont des camarades immoraux, qui aient des livres religieux suspects ou qui s'efforcent d'entraîner leurs condisciples à leurs doctrines.
[23] Les libraires ou autres marchands qui voudront exposer en vente aucuns livres, qui leur seront venus de nouveau, avant qu'ouvrir leurs balles, seront tenus à appeler quatre libraires jurez pour assister à la dite ouverture.
[24] On donnait le nom de sacramentaires aux disciples de Zwingli, qui niaient absolument la présence réelle dans l'Eucharistie.