I. — LE CONCORDAT ET LE CLERGÉ[1]. TRÈS considérables aussi dans le régime social et dans le régime politique de la France furent les conséquences du Concordat signé entre François Ier et Léon X. Pendant les années qui en précédèrent la négociation, la France et la Papauté s'étaient directement ou indirectement combattues, d'un côté sur les champs de bataille, de l'autre dans des conciles. Le Concile de Pise s'était effondré, mais celui de Latran durait encore en 1315. Préoccupé d'établir fortement l'unité gouvernementale dans l'Église, il poursuivait l'anéantissement de la Pragmatique Sanction, promulguée par Charles VII en 1438. Les auteurs de la Pragmatique avaient entrepris de régler à la fois la discipline générale de l'Église et les rapports ecclésiastiques de la France avec la Cour de Rome. Sur le premier point, ils avaient décrété la suprématie des conciles sur les souverains pontifes. Sur le second, ils avaient supprimé les grâces expectatives[2], les annates, et attribué aux chapitres des églises ou des abbayes le droit d'élire à tous les bénéfices vacants. La Papauté n'avait pas cessé de protester contre la Pragmatique. Louis XI avait consenti à la supprimer, puis établi un modus vivendi transactionnel, première ébauche du Concordat. Charles VIII, au contraire, et Louis XII l'avaient maintenue, sur la demande du clergé de France. Lorsque les négociations s'ouvrirent, en 1515, entre Léon X et François Ier, la question de la Pragmatique fut au premier plan. A Bologne, les deux souverains arrivèrent assez vite à un accord'. La rédaction définitive fut négociée à Rome, l'année suivante. Le Roi garda jusqu'au bout l'avantage et la direction du débat. La bulle du Concordat fut signée par le Pape en août 1516 et approuvée par le Concile de Latran en décembre. A la fin d'avril 1517, l'évêque de Bayeux, ambassadeur du Pape, présenta au Roy deux lettres signez et scellez en plomb : dedans l'une estoit l'approbation des Concordats, faicte par le Concile de Latran, et dedans l'autre estoit la révocation de la Pragmatique Sanction. Le Concordat établissait le régime suivant : En cas de vacance d'un archevêché ou d'un évêché, d'une abbaye ou d'un prieuré, le Roi avait le droit de nomination, le Pape celui d'institution, sans qu'il pût d'ailleurs refuser d'instituer le candidat présenté par le Roi. Les églises perdaient ainsi leur traditionnel droit d'élection. Les candidats présentés devaient être gradués : maîtres ou licenciés en tous, ou l'un des droits, en Université fameuse, avecques rigueur d'examen[3]. Exception était faite pour les personnes sublimes, c'est-à-dire de très haut rang, ou pour les membres des ordres mendiants, à qui leur règle interdisait de prendre des grades. Ces dispositions s'appliquaient exclusivement aux bénéfices consistoriaux, ainsi appelés parce que le Pape en conférait l'institution en consistoire. C'est là que les titres étaient examinés et qu'étaient produites les pièces établissant le revenu annuel réel du bénéfice. Après la question des bénéfices consistoriaux, de beaucoup les plus importants, le Concordat réglait celle des bénéfices collatifs, très nombreux, mais de bien moindre valeur : cures, prébendes, etc. Le mot de collation désignait la faculté concédée à des archevêques ou évêques, ou à des abbés, de disposer eux-mêmes d'un certain nombre des bénéfices vacants dans leur ressort. Des laïques avaient aussi le droit de collation. Quelques monastères ou évêchés restaient en dehors des dispositions du Concordat et conservaient le droit d'élection ; c'étaient seulement ceux qui l'avaient obtenu jadis par une bulle empresse et spéciale. Il y avait dans ce nombre certaines des abbayes les plus riches de France : celles de Saint-Denis et de Cluny, par exemple. Le Pape renonçait aux grâces expectatives, mais conservait le privilège du mandat apostolique, qui lui permettait de désigner à une partie des sièges collatifs. Il gardait aussi le droit de nommer aux bénéfices dont le titulaire mourait étant en Cour de Rome. Enfin le Concordat réglait les appels au Pape et lui réservait le jugement des grandes causes en matière ecclésiastique. Sur presque tous ces points le Concordat était conforme à la Pragmatique, c'est ce que prétendra Duprat — et il constituait au succès pour le Gallicanisme, mais pour un Gallicanisme régalien et non plus indépendant, puisque tous les pouvoirs enlevés au Pape étaient remis au Roi. H n'était pas question des annates dans l'acte de 1516 ; le Souverain Pontife les avait passées sous silence, sachant combien cet impôt était impopulaire en France. Il les reprit plus tard, à la faveur d'une bulle particulière, que le Roi accepta, ayant besoin du Pape pour tirer du Concordat tous les avantages qu'il en avait espérés. Il abandonna l'article de la Pragmatique qui les avait abolies. A faire accepter le Concordat, François Ier rencontra une résistance[4], qui fut à la fois un effort peur maintenir une des traditions du moyen-âge, celle des libertés ecclésiastiques, et peut-être aussi une tentative de réaction contre les tendances de la monarchie à supprimer tout ce qui restait d'institutions indépendantes. Les répugnances à l'égard du Concordat devaient être d'autant plus vives qu'il se présentait sous le patronage de Duprat, peu aimé et peu estimé. Le Roi pensa emporter les choses par surprise, en ne parlant pas de l'abolition de la Pragmatique, à laquelle l'opinion publique restait très attachée, et que précisément le Concile de Latran avait supprimée le jour même où il approuvait le Concordat. Par des lettres patentes du 13 mai 1517, où estoient insérés de mot à mot iceulx concordatz, il manda aux différents Parlements de procéder à l'enregistrement. Mais il se heurta tout de suite à un parti pris très énergique. Le Parlement de Paris déclara qu'il délibérerait, et il délibéra en effet avec la lenteur qui faisait une partie de sa force. Il refusa d'admettre à ses séances le Bâtard de Savoie, délégué cependant par le Roi lui-même, à qui il envoya deux conseillers pour présenter des remontrances. François Ier leur manifesta son mécontentement du retard apporté à l'enregistrement et leur déclara qu'il y avoit des fois en leur compaignie et qu'il les connaissait bien... et que il se feroit obeyr. Malgré ces menaces, le Parlement rendit, le 24 juillet 1517, un arrêt portant qu'on devait appeler de la cassation et révocation de la dicte Pragmatique, et qu'il ne pouvait faire enregistrer les dits Concordats. Sa doctrine était que l'accord fait avec le Pape ne pouvait être publié qu'après l'approbation de l'Église de France. Invité par le Roi à lui faire connaître les raisons de son opposition, le Parlement lui adressa des remontrances écrites, qui portaient sur trois points. 1° Le Concordat décrétant que le revenu annuel des bénéfices impétrés serait déclaré à Rome, le Pape cherchait par là un moyen détourné de rétablir les annates, car autrement cette évaluation était inutile. 2° Le Concordat disposant que les grans causes seraient jugées en cour de Rome, et les grans causes étant certainement celles des archevêchés, des évêchés et des abbayes du royaume, la juridiction du Souverain Pontife était par là étendue abusivement. 3° Le Concordat supprimant les élections, les droits traditionnels de l'Église de France étaient violés. En résumé, la Cour protestait contre la révocation de la Pragmatique, décrétée par le Concile de Latran et attentatoire à l'autorité des conciles et à l'indépendance de la Couronne. Ainsi elle avait soin de s'en prendre bien plus à l'autorité du Pape qu'à celle du Roi. Le Roi avait fait rédiger par le Chancelier un long mémoire pour défendre le Concordat. Duprat y rappelait dans quelles circonstances cet acte avait été conclu et combien il était nécessaire de s'accorder avec la Papauté. Il insistait sur l'idée que le Concordat était en définitive un succès pour la politique gallicane, tout autant que la Pragmatique. Il signalait aussi les scandalles, simonies, parjure-mente, litiges et procès, qui procédaient — suivant lui — des élections. Il en venait ensuite à justifier directement le Concordat. Cet acte mettra fin aux litiges et scandales, puisque la nomination appartiendra au Roi : on ne verra plus des gens jeunes, inexpers, obtenir les archevêchés et évêchés, puisque les candidats doivent avoir un âge déterminé et être personnes qualifiées, promesses qui ne furent pas tenues. Il sortira beaucoup moins d'argent du royaume, puisqu'on n'aura plus à solliciter en Cour de Rome, etc. Suivait la réfutation des remontrances ; elle consistait surtout à déclarer que presque toutes les critiques du Parlement pouvaient aussi bien s'appliquer au régime de la Pragmatique ou à affirmer que les craintes relatives à l'augmentation du pouvoir des Papes en France étaient vaines. Le Concordat sans doute n'était point parfait ; mais, disait familièrement le Chancelier, il est certain et notoire qu'il n'y a chose au monde, quelle qu'elle soit, que, sy on veut tirer et excerper tout le mal qui y est et laisser le bon, ne soit trouvée mauvaise, ainsi qu'est d'un rosier, car à tirer seullement les espines et à laisser les roses, sera trouvé très mauvais. Il insistait surtout sur le fait qu'il y aurait désormais loy certaine et loy bien faite, par laquelle chacun se réglera et gouvernera. Du reste, il déclarait que le Roi autorisait le Parlement à protester contre l'abolition de la Pragmatique, pourvu que le Concordat fût enregistré. Les conseillers chargés de porter les remontrances ne furent envoyés par le Parlement, à Amboise, qu'en décembre 1518. Ils furent très mal accueillis. Le Roi leur fit attendre audience jusqu'à la fin de février ; il leur déclara qu'il ne voulait pas voir en France un Sénat comme à Venise, refusa d'entendre aucune de leurs objections et termina en leur disant bien rudement : Allez, partez demain et qu'il n'y ait faute. La Trémoille, dépêché à Paris, avec un ordre formel d'enregistrement, se présenta au Parlement, le 15 mars, et fit savoir que le Roi était merveilleusement courroucé des retards et dissimulations de la dicte Court, à laquelle il luy appartenoit de commander comme à ses subjectz, et à eulx à obéyr... et a dit que le Roy luy a répété les dictes paroles plus de dix fois en un quart d'heure. Et luy a chargé de dire à la dicte Court que, là où elle ne le feroit, qu'il feroit chose dont la dicte Court se repentiroit. La Cour n'obéit qu'à la dernière extrémité, et même elle fit entendre des protestations solennelles, véritablement courageuses. Toutes chambres assemblées, voyant et considérant les grandes menaces dont on usoit à son égard, elle enregistra, le 22 mars 1518, en cette forme : Leue, publiée et registrée par l'ordonnance et commandement du Roi nostre Sire, réitéré plusieurs fois, en présence du sire de La Trémoille, premier chambellan du Roi nostre dit Sire, et par luy spécialement à ce envoyé. En outre, le Parlement avait déclaré, le 19 mars[5], que les procès en matière bénéficiale seroient jugés par la dicte Court selon la Pragmatique. Près de dix-huit mois s'étaient écoulés depuis la signature définitive entre le Roi et le Pape. De son côté, l'Université s'était agitée. En 1517, elle avait présenté requête au Parlement contre le Concordat, mais celui-ci, toujours jaloux de l'Université, s'était borné à l'enregistrer ; elle essaya alors d'agir par ses propres forces : elle protesta fort énergiquement contre le Concordat, ordonna des processions, où devaient figurer des juvenes, c'est-à-dire des écoliers, et décida le Chapitre de Paris à s'unir à elle. Comme le Parlement, elle affectait de s'élever surtout contre les abus de l'autorité papale et de mettre. le Roi hors de cause. Après l'enregistrement du Concordat, elle en appela à un concile général ; le Recteur interdit aux imprimeurs d'imprimer le Concordat, sur peine de privation des privilèges de l'Université. Il y eut un moment de vive effervescence ; des libelles diffamatoires en mètres latins couraient contre François Ier lui-même. Mais l'autorité royale était trop forte. Des édits, présentés au Parlement dans le courant d'avril 1518, portèrent défense aux recteurs, sergents et députés des Facultés, procureurs des Nations, que désormais ils ne s'assemblent pour raison et à cause des choses concernant le faict de l'état du Roi, police et gouvernement de la chose publicque. L'Université, bien entendu, se soumit. Pendant six ans et plus, le Parlement continua à juger les procès en matière bénéficiale sans tenir compte du Concordat. Le Roi finit par briser sa résistance, dans le lit de justice du 24 juillet 1527. L'ordonnance qui y fut lue défendit et prohiba... toute cour, juridiction et congnoissance des matières archiépiscopales et d'abbayes, et les transféra au Grand Conseil. C'est à partir de ce moment que le Concordat entra véritablement en application. Mais les protestations contre le nouveau régime ne cessèrent pas, au cours du XVIe siècle. Aux États d'Orléans (1560), l'Église et la noblesse s'entendirent pour en demander l'abolition ; il en fut de même à l'assemblée de Melun, en 1579, aux conciles de Rouen (1581), de Reims, de Bordeaux (1583). Ni le Roi ni la Papauté ne cédèrent. Toute la jurisprudence bénéficiale, écrit avec raison Gaillard, a été réglée sous le règne de François Ier, et à peine a-t-elle éprouvé depuis de légers changements, qui n'ont fait que développer et perfectionner les établissements formés sous ce règne. Le Roi et le Pape gagnaient également au traité de 1516. Le Concordat augmentait considérablement les pouvoirs du Roi, substitué aux chapitres pour la nomination aux grandes fonctions ecclésiastiques. A vrai dire, le souverain intervenait depuis longtemps dans les élections par l'exercice de la recommandation, et il était bien rare qu'elle fût sans effet : on en voit des exemples sans nombre, sous Charles VIII[6] et Louis XII. Du moins le clergé gardait, avec le droit strict d'élire, le privilège d'être sollicité et tout ce qu'il entraîne de transactions. Voilà ce qu'il perdit réellement. François Ier, d'ailleurs, poussa vivement ses avantages ; un accord conclu avec le Pape en 1531 supprima le droit d'élection pour la plupart des abbayes qui l'avaient conservé. Le Roi, dit l'ambassadeur vénitien, a la nomination à 10 archevêchés, à 82 évêchés, à 527 abbayes, à des prieurés et canonicats en nombre infini ; ce privilège lui assure la plus grande soumission et obéissance des prélats ou des laïques par le désir qu'ils ont d'acquérir des bénéfices. Quant au Souverain Pontife, l'accord avait pour lui l'avantage de supprimer, avec la Pragmatique, les derniers souvenirs du Concile de Bêle, et la Cour de Rome préférait certainement un clergé monarchique à un clergé indépendant. Personne d'ailleurs ne se préoccupa de remédier aux scandalles dont parlait le Chancelier. Dans les abbayes qui gardèrent jusqu'en 1531 le droit d'élection, le Roi intervint sans scrupules en faveur de ses créatures Il usa de séductions ou de menaces pour faire élire abbé de Cluny et de Saint-Denis Aymar Gouffier, de la famille de Boisy. Duprat s'empara par la brigue et la violence de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, malgré les privilèges des moines. Ce fut encore bien pis lorsqu'il s'agit de nommer aux évêchés ou aux bénéfices concordataires. Le Concordat eut des conséquences très graves et très étendues, même dans l'histoire sociale. Désormais l'Église de France fut divisée en deux clergés. D'abord le clergé royal, dans les hautes fonctions ou les riches abbayes. François Ier le composa de ses parents et de ses favoris ou de leurs parents et de leurs amis ; il obtint pour eux l'agrément pontifical, en liant partie à Rome avec des familles puissantes qui entrèrent dans sa clientèle, ou en se servant de ses cardinaux et de ses ambassadeurs[7]. Il s'organisa un vrai trafic, où les complaisances de la Cour pontificale se payèrent en monnaie d'évêchés français ; Bibbiena fut nommé évêque de Coutances ; bien d'autres étrangers reçurent des évêchés ou des abbayes en France. Le Roi, dans toutes les présentations faites au Pape, insiste toujours sur la naissance du candidat, sur les services qu'il a rendus ou pourra rendre, non pas à l'Église, mais à lui-même. Le Pape n'y trouvait pas à redire et ces termes devinrent bientôt de style. D'ailleurs la Cour romaine, dans l'enquête qu'elle faisait avant l'octroi de l'institution canonique, s'informait presque exclusivement de la valeur des bénéfices, non de la moralité du candidat. Des deux parts, la nomination d'un évêque ou d'un abbé est une affaire administrative et gouvernementale. Puis venaient les commendataires laïques : soldats, artistes, lettrés, fonctionnaires, qu'on récompensait ou payait en bénéfices d'Église. Ils touchaient les revenus des abbayes et déléguaient l'administration spirituelle à des prévôts munis de titres canoniques. Primatice eut l'abbaye de Saint-Martin-ès-Aires, à Troyes ; Philibert de l'Orme, celle d'Ivry ; Brantôme, celle de Brantôme. Ce fut une sorte de second clergé, mais tout en dehors du clergé même, et qui se multiplia dès le règne de François I. Restait le clergé des paroisses : curés et vicaires, etc. Sa situation et ses intérêts le confondirent bientôt avec les gradués qui obtenaient les minces bénéfices non sollicités par les personnes influentes, avec les moines des abbayes en commende, et aussi avec les innombrables licenciés ou docteurs des Facultés, candidats perpétuellement évincés aux fonctions rétribuées. Ce fut l'Église famélique, mais agissante, passionnée et démocratique, sortie en grande partie des universités, dont elle conserva l'esprit. Elle s'écarta peu à peu du clergé riche, elle prit contre lui des haines qui bientôt dévièrent contre la Royauté, auteur des maux dont elle souffrait. Il se fit parmi ces séculiers et ces réguliers ainsi rapprochés une opposition d'abord sourde, mais toujours ardente à l'institution nouvelle, et par suite à la Royauté. Elle éclatera au moment des guerres de religion, qu'elle explique en partie. Mais la grande conséquence sociale du Concordat, c'est que le clergé cessa d'être un corps pour devenir un ordre. Du même coup, une aristocratie fut créée dans l'Église qui, elle aussi, tout comme l'aristocratie laïque, eut ses privilèges, ses préjugés, et s'enferma dans un isolement hautain. II. — RAPPORTS DU ROI ET DU CLERGÉ. PENDANT tout son règne, sur ce clergé pour ainsi dire domestique, François Ier exerça un pouvoir presque sans limites. Il renouvela toutes les mesures qu'avaient prises, au moyen-âge, des rois comme Philippe-le-Bel et Philippe de Valois. Il se servit surtout de son pouvoir pour se procurer des ressources financières. En 1522, il s'empara dans certaines églises des joyaux et des objets de valeur, pour les vendre. Il fit enlever la grille d'argent doré donnée par Louis XI à Saint-Martin de Tours ; les joyaux de la cathédrale de Reims furent pris. Un règlement de 1522 accordait aux églises dépouillées dans les généralités d'Oultre-Seine et Languedoc un dédommagement de 200.000 livres, payables sur les biens du domaine. Mais ce dédommagement fut-il réellement perçu ? Les levées de décimes se multiplièrent. Le Roi y procédait avec le concours du Pape : il y en eut en 1518, 1522, 1526, 1527, 1529 : on a le compte de la décime du diocèse de Cahors en 1526. A côté de la décime, le don gratuit, les subsides[8]. En 1522, l'évêque et le chapitre de Troyes durent contribuer à un subside de 1.200.000 livres ; en 1523, il est question pour le clergé de Paris d'un reliquat dû par lui de Il 780 livres. En 1535, 1542, 1545, les exigences paraissent avoir été plus particulièrement lourdes. Le Roi prenait quelquefois le prétexte d'une croisade — en 1520, par exemple ; — ordinairement il invoquait des besoins urgents, les menaces d'invasion. Mais il savait que ses déclarations étaient accueillies avec incrédulité ; il était trop notoire qu'une partie de l'argent restait aux mains des favoris. En 1523, il en était réduit à certifier, sur sa parole, que la somme d'argent par lui demandée au clergé de Troyes ne sert qu'à payer les frais de la guerre et urgentes nécessités du royaume. C'était parole de roi, non de chevalier. Le clergé essaya plus d'une fois de se défendre. Mais il
était désarmé par le droit que s'arrogeait le Roi, toujours avec le
laissez-passer du Pape, de confisquer son temporel. En 1523, le Prévôt de
Paris reçut l'ordre de saisir les biens des membres du clergé, qui n'auraient
pas payé la décime dans un certain délai. En 1535, des lettres patentes
enjoignirent de saisir le tiers du temporel des
chapitres, collèges et communautés, la moitié du temporel des archevêques,
évêques, abbés, prieurs, couvents et commanderies. Des fermiers
étaient chargés d'administrer ces biens et de prélever sur les revenus les
sommes auxquelles ils avaient été taxés. On entreprit même de vérifier les
titres de propriété des églises faisant partie de l'ancien domaine de la
Couronne, ce qui annonçait l'intention de discuter les titres du clergé à les
posséder. Des mandements lancés en avril montrent qu'on était décidé à passer
partout aux mesures de coercition contre les récalcitrants. Le clergé
transigea, comme il l'avait fait en 1521 Des difficultés de même ordre se
représentèrent en 1541 et se résolurent de même. D'autres façons encore, la main du Roi s'appesantit. Il brisa toute opposition à la juridiction laïque : défense de citer devant les juges d'Église toute personne n'appartenant pas au clergé, quand il s'agit d'actions personnelles, et aux juges d'Église eux-mêmes de délivrer aucune citation de ce genre. Les clercs mariés ou non mariés sont justiciables des tribunaux royaux s'ils exercent le commerce[9]. François Ier intervenait aussi dans la vie ecclésiastique et religieuse ; il envoyait aux prélats des instructions sur leur devoir de résidence, sur la célébration des offices, la répression des abus, la réformation de l'hérésie[10]. Maître du clergé français, le Roi, comme ses prédécesseurs, défendait énergiquement son pouvoir contre toute intervention de l'autorité pontificale : Lettres extrêmement nombreuses autorisant la publication en France des bulles pontificales, ce qui implique la faculté de l'interdire — et le Roi le fit plus d'une fois —, ou confirmant les pouvoirs de légat a latere : en 1540, du cardinal Alexandre Farnèse, en 1542, du cardinal Sadolet ; réserve constante du droit de régale sur les sièges vacants. Les ménagements à l'égard des papes s'expliquent bien plus par les nécessités de la politique étrangère que par des sentiments de considération pour les droits ou les prétentions de la Cour de Rome. |
[1] SOURCES. La Bulle du 18 août est reproduite dans les Ordonnances des rois de France, Règne de François Ier (nouvelle série des ordonnances des rois de France, publiées par l'Académie des Sciences mor. et pol.), t. I, 1515-1516. Le volume vient de paraître à la date du 15 déc. 1902.
OUVRAGES. Commentaire de M. Dupuy sur le traité des libertez de l'église gallicane de M. Pierre Pithou, éd. de 1715, 2 vol., Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, 4 vol., 2e édit., 1770. L. Madelin, Les premières applications du Concordat de 1518, Mélanges d'archéol. et d'hist. de l'École française de Rome, t. XVII, 1897. Gérardin, Étude sur les Bénéfices ecclésiastiques aux XVIe et XVIIe siècles (thèse de doctorat en droit de Nancy), 1897. Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français, 3e édit., 1898. Bourdon, Le Concordat de 1516 ; négociations ; réception en France, Posit. des mémoires du diplôme d'études supérieures de la Faculté des lettres de Paris (Hist. et géogr.), 1902. Pastor, Geschichte der Päpste... Leo X, 1906.
[2] La grâce expectative est le droit pour le Pape de faire réserver à un candidat désigné par loi un bénéfice, avant même qu'il soit vacant. L'annate attribue au Pape le revenu de le première année de tout bénéfice conféré.
[3] Il y avait des conditions d'âge : 27 ans pour les évêchés, 23 pour les monastères.
[4] De Vaissière, Journal de Barrillon, t. II.
[5] Ce même jour, il avait admis l'opposition de l'Université au Concordat et déclaré que même si l'acte était enregistré, les privilèges, franchises et libertés de l'Université resteraient intacts.
[6] Consulter les Procès-verbaux des séances du Conseil de régence de Charles VIII, publiés par Bernier, 1836.
[7] Madelin, article cité.
[8] Compte de la décime levée au diocèse de Cahors en 1526. — Taxe du don gratuit de 1535, Diocèse de Clermont-Ferrand. Mélanges histor., t. II et IV, dans la Collect. des doc. inéd. sur l'Histoire de France, 1877 et 1882.
[9] Ordonnance de Villers-Cotterets (1599).
[10] Sur ce dernier point, voir ci-dessous le chap. IV du liv. VI. Le clergé fut souvent entravé dans la poursuite des hérétiques par les administrations civiles. Le Roi lui-même était fort partagé entre ses sentiments catholiques et la crainte de voir l'Église empiéter sur les pouvoirs laïques, à la faveur des troubles religieux.