I. — CHARLES LE TÉMÉRAIRE ET L'ALLEMAGNE. GUERRES DE BOURGOGNE[1]. CHARLES le Téméraire avait repris dès son avènement la politique suivie jadis par Philippe le Bon, qui avait voulu fonder un État indépendant, gouverné selon les principes du droit divin[2]. Il simplifia l'administration des finances et de la justice, établit à Malines une Chambre des Comptes qui remplaça celles de Lille, de Bruxelles et de La Haye, et un Parlement dont le ressort s'étendit à tous ses États septentrionaux, y compris l'Artois et la Flandre française (1473). Il ne voulait pas seulement instituer un contrôle financier plus rapide et rendre meilleure justice. Par la création d'un tribunal suprême portant le nom de Parlement, et par le choix de Malines (ville d'Empire) comme siège des deux cours souveraines des Pays-Bas, Charles le Téméraire prétendait manifester sa complète indépendance à l'égard du roi de France. Dès 1470 d'ailleurs, il avait défendu à tous ses sujets d'en appeler au Parlement de Paris. En 1474 il organisa les Parlements de Beaune et de Dôle pour le duché de Bourgogne et la Franche-Comté. Louis XI avait violé le traité de Péronne, et Charles ne se considérait plus comme son vassal[3]. Le duc se condamnait ainsi à une lutte mortelle contre le roi de France. Pour sa sûreté, il lui fallait non seulement reconquérir l'indispensable frontière des villes picardes, mais encore ramener la France à l'état où elle était trois cents ans auparavant. Les alliances de Charles avec tous les féodaux en révolte contre Louis XI et avec le roi d'Angleterre prouvent que c'était bien là son intention. Mais son ambition ne s'arrêtait pas là. Il voulait reconstituer l'ancien royaume de Lothaire, de la mer du Nord à la Méditerranée[4], et prendre le titre de roi : il comptait sur l'anarchie de l'Empire, et sur l'inertie de Frédéric III, homme de très petit cueur. Il songea même à la couronne impériale. À partir de 1473, il sacrifia tout pour s'aller hurler contre ces Almaignes. Il commença ses conquêtes dans le pays d'Empire en soumettant la principauté de Liège, qui fut définitivement annexée en 1468. Au nord du Liégeois, il convoitait le duché de Gueldre ; il intervint en faveur du duc Arnold, emprisonné par son fils Adolphe, qui trouvait qu'il y avoit quarante-quatre ans que son père estoit duc, et qu'il estoit bien temps qu'il le fust ; à la mort du vieil Arnold, en 1473, le duc de Bourgogne recueillit sa succession[5]. Pour unir les deux tronçons de l'État bourguignon, Charles avait besoin de l'Alsace et de la Lorraine. On a vu que le landgraviat de Haute-Alsace[6] appartenait nominalement à Sigismond, duc d'Autriche. Ce prince, incapable et dépensier, avait à peu près achevé d'aliéner, par des contrats de gagerie, les domaines rhénans de sa maison[7]. Le pays était livré aux misères de l'anarchie féodale. Mulhouse, qui formait une république vassale de l'Électeur Palatin. était particulièrement menacée. En 1466, les nobles voisins, poussés par Sigismond, essayèrent de s'emparer de cette ville. Alors elle conclut, le 17 juin, une alliance de vingt-cinq ans avec Berne et Soleure. Les invasions des Suisses dans les domaines autrichiens recommencèrent. Plutôt que de laisser ses vieux ennemis s'emparer de Waldshut, qui leur aurait donné la frontière du Rhin, Sigismond leur promit une rançon de 10.000 florins et, pour se procurer cet argent, il résolut de mettre en gage les droits qui lui restaient encore dans la région. Il vint d'abord en France, les offrir au roi. Louis XI, depuis qu'il avait combattu les Suisses en 1444, avait pour eux une estime mêlée de quelque crainte[8]. Il refusa de recevoir Sigismond, qui se rendit immédiatement à Bruges. Le duc de Bourgogne l'accueillit avec empressement. Moyennant 50.000 florins, Charles le Téméraire acquit les droits que Sigismond avait conservés dans le comté de Ferrette, le landgraviat de la Haute-Alsace, les villes forestières de Rheinfelden, Steckingen, Laufenbourg et Waldshut, et le comté de Hauenstein ; il pouvait notamment y racheter les terres engagées par les ducs d'Autriche : il devait tout abandonner le jour où Sigismond lui rembourserait, en une fois, et les 50.000 florins, et les dépenses que Charles aurait faites pour le bien de l'Alsace (traité de Saint-Omer, 9 mai 1469). Une clause du traité promettait l'assistance de Charles le Téméraire au duc d'Autriche, s'il était attaqué par les Suisses. Peut-être Sigismond espérait-il recouvrer un jour ses domaines rhénans. Mais comment pourrait-il jamais rendre ces 50.000 florins, et les 180.000 florins que Charles le Téméraire se proposait de verser peu à peu, pour racheter les terres engagées ? La liante-Alsace et le cours moyen du Rhin paraissaient acquis à la maison de Bourgogne[9]. Charles le Téméraire prit possession du pays sans difficulté, et donna la charge de grand bailli à un noble alsacien, Pierre de Hagenbach, qui servait depuis longtemps sa maison avec dévouement. Hagenbach, homme de caractère rude et impérieux, fit revivre les prérogatives de souveraineté que la maison d'Autriche avait laissé périmer, et rétablit un gouvernement central. En deux ans, les principales forteresses furent occupées par les troupes bourguignonnes, les brigands féodaux durent faire soumission, et l'Alsace fut pacifiée. Mais tous ceux qui avaient jusque-là profité du désordre devinrent les ennemis du grand bailli. De plus, il entreprit de récupérer les terres domaniales, et mécontenta le' nobles et les villes qui croyaient les avoir acquises pour toujours. Sous prétexte de défendre les intérêts des innombrables créanciers de Mulhouse, la protégée des Suisses, il invita cette ville à accepter la suzeraineté bourguignonne. Il manifesta même l'intention de mettre la main sur les républiques de Bâle et de Colmar. Enfin, comme Charles le Téméraire le laissait sans argent, il viola une stipulation du traité de Saint-Omer et frappa d'un impôt la vente du vin. Dès 1473, la situation devint très grave. Plusieurs villes alsaciennes refusèrent de payer le mauvais denier. Le 14 mars, Bêle et son évêque, Colmar, Mulhouse, Strasbourg et son évêque, Schlestadt et le margrave de Bade conclurent une alliance de dix années : la Basse-Union était formée pour aider Mulhouse à se libérer de ses dettes et pour arrêter les progrès de la maison de Bourgogne sur le Rhin. Charles le Téméraire ne tint aucun compte de cet avertissement. Il voulait s'emparer aussi de la Lorraine. René II, petit-fils du roi René, qui devint duc de Lorraine en 1473, était un brillant et affable chevalier de vingt-deux ans, instruit, pieux et brave, et qui inclinait vers l'alliance française. Mais Louis XI craignit de se compromettre en le soutenant ouvertement et René dut subir l'alliance que Charles le Téméraire lui imposa, les armes à la main : le traité de Nancy (15 octobre 1473) donna aux troupes du Téméraire le droit de passage à travers la Lorraine, et plusieurs places fortes du duché furent bientôt occupées par des garnisons bourguignonnes. C'était la première étape vers l'annexion. Au moment de la conclusion du traité de Nancy, le duc de Bourgogne était en conférence à Trèves avec l'empereur (30 septembre-25 novembre 1473). Cette entrevue, qui provoqua une grande émotion dans tout l'Occident, était l'aboutissement de négociations qui duraient depuis 1470. Le duc de Bourgogne demandait à l'empereur le titre de roi des Romains ; en échange, il offrait la main de Marie, son héritière, pour Maximilien, fils de Frédéric III : après la mort de Frédéric, la couronne impériale appartiendrait successivement à Charles le Téméraire et à son gendre. La maison de Bourgogne-Autriche deviendrait alors la première de la Chrétienté. Elle organiserait la guerre sainte contre les Turcs : au besoin, les croisés réduiraient à l'impuissance le roi de France, le perfide Louis XI, l'empoisonneur, le fratricide, l'éternel perturbateur de la paix entre les fidèles. Le Téméraire constata bientôt que Frédéric ne se prêterait pas à cette combinaison grandiose. Offrant toujours la main de sa fille, il essaya d'obtenir la constitution d'un royaume de Bourgogne, qui comprit, outre ses domaines, les évêchés d'Utrecht, de Tournai, de Cambrai, de Toul et de Verdun, la Lorraine et la Savoie. L'empereur tergiversait, alléché par l'offre de l'héritage bourguignon. Charles se crut assuré du succès, et lit préparer à Trèves même la cérémonie de son couronnement. Mais Frédéric III, à défaut d'autre vertu politique, était très méfiant. Il savait l'histoire des multiples fiançailles de Marie de Bourgogne. L'ambition et la puissance de Charles effrayaient encore davantage les princes électeurs, qui ne se souciaient pas de le voir s'allier à la maison d'Autriche et prendre pied en Allemagne. Enfin Louis XI veillait[10]. Inquiet de cette entrevue, il avait envoyé à Trèves des agents, qui parlèrent d'un mariage possible entre le dauphin et Cunégonde, fille de Frédéric III, et l'empereur accueillit ces ouvertures : à la fin du mois d'octobre, il proposa au duc Charles une alliance entre l'Empire, la Bourgogne et la France. Le Téméraire, exaspéré, faillit quitter Trèves. Les conférences se prolongèrent encore un mois ; mais, à mesure que l'empereur reculait, le duc multipliait ses exigences. Le 23 novembre, il fut décidé qu'une nouvelle entrevue aurait lieu au mois de février. C'était une rupture. Soit pour la bien marquer, soit simplement pour éviter de payer les dettes qu'il avait contractées à Trèves, le chiche et sournois Frédéric III partit furtivement le 25 novembre, avant l'heure fixée pour la séparation[11]. Le duc de Bourgogne avait amené à Trèves toute une armée. Il alla, pour soutenir Hagenbach, faire une promenade militaire en Alsace. Il rejeta les réclamations des habitants et partit avec la conviction que le pays était soumis. Trois mois après, les Alsaciens étaient en pleine révolte et demandaient à retourner sous la domination autrichienne. Hagenbach, laissé sans secours par le duc de Bourgogne, fut traduit devant un tribunal extraordinaire où figuraient les magistrats des villes soulevées contre lui, et même quelques délégués suisses. Il fut condamné à mort et exécuté le 9 mai 1474. C'en était fait de la domination bourguignonne en Alsace[12]. Charles le Téméraire accueillit ces nouvelles par des imprécations et des cris de fureur ; mais il différa sa vengeance. Il croyait avoir trouvé le moyen de réparer en Allemagne son échec de Trèves, et d'établir son protectorat sur la riche principauté ecclésiastique de Cologne. Déjà, en 1463, à la mort de l'archevêque de Cologne Dietrich de Mors, Philippe le Bon avait essayé d'obtenir l'élection de son neveu Louis de Bourbon, évêque de Liège. Il ne réussit pas, mais ce fut Robert de Wittelsbach, frère de son allié l'électeur Palatin, qui fut choisi par le Chapitre, et la situation financière de l'archevêché allait donner à la maison de Bourgogne des prétextes d'intervention. Robert, à peu près privé de ses revenus par l'incurie de ses prédécesseurs, voulut reprendre de force certains biens engagés à des taux usuraires, et lever de nouveaux impôts. Il entra en lutte contre son Chapitre et ses sujets ; les villes, et notamment Neuss, lui refusèrent toute concession, et le Chapitre résolut de le déposer. Robert appela le duc de Bourgogne à son secours, et, au printemps de 1474, le Téméraire réunit, pour aller le défendre, ses compagnies d'ordonnance, son arrière-ban et une multitude de mercenaires étrangers[13]. Pendant ce temps, s'organisait contre lui une coalition formidable. Les guerres de Bourgogne allaient éclater. Par l'importance des intérêts engagés, par le nombre des belligérants, ces guerres sont, dans la période qui suit l'expulsion des Anglais de France, jusqu'aux expéditions d'Italie, l'événement le plus considérable de l'histoire politique européenne. La mort du Téméraire ne les terminera point, et elles ne seront arrêtées que pour quelques années par le traité signé à Arras en 1482. Elles se relient aux grandes guerres politiques des siècles suivants : car, une fois le duc de Bourgogne disparu, c'est, à propos de ses dépouilles, la lutte entre les maisons de France et d'Autriche qui commencera. Louis XI aurait pu, dès le début, frapper de grands coups. Il avait une excellente armée, de gros revenus. Il adopta une politique de temporisation et d'action presque constamment indirecte, d'une remarquable habileté. Aussi bien ne se sentait-il pas suffisamment sûr de la fidélité du peuple qu'il gouvernait si tyranniquement. Il estimoit, dit Commynes, n'estre pas bien aimé de tous ses subjectz, et par especial des grans, et, si je osoie tout dire, il m'a maintes foiz dit qu'il congnoissoit bien ses subjectz, et qu'il le trouveroit (il s'en apercevrait) si ses besongnes se portoient mal. Il tint donc son armée en réserve, mais son argent, le talent de ses diplomates, toutes les ressources de sa rouerie enjôleuse, il les prodigua pour semer d'embûches le chemin où s'était engagé le duc de Bourgogne. Il luy faisoit beaucop plus de guerre en le laissant faire et luy solcitant ennemys en secret, que s'il se fust declairé contre luy. Les ennemis qu'il sollicita en secret, ce furent avant
tout les Suisses, qu'il parvint à réconcilier avec le duc d'Autriche. Cette
coalition, dit encore Commynes, tourna à grand
prouffit au roy, et croy que ce feust une des plus saiges choses qu'il feist
oncques en son temps. L'union des Suisses et de l'Autriche, vainement
entreprise par Charles VII, était, il est vrai, rendue plus facile par les
progrès mêmes de la maison de Bourgogne. Sigismond, en haine des Suisses,
avait livré l'Alsace au Téméraire ; il le regrettait, car le duc avait
repoussé ses propositions réitérées de faire la guerre aux Cantons il
apercevait que l'alliance bourguignonne ne lui était d'aucun profit. Les
Bernois, de leur côté, auraient voulu s'agrandir vers le Nord et l'Ouest ;
les progrès des Welches[14] leur
interdisaient cet espoir. Les prétentions de Hagenbach sur Mulhouse, leur
alliée, ses incursions sur leur propre territoire, enfin le projet déclaré
par le Téméraire de se tailler jusque dans les Alpes son royaume de
Bourgogne, leur inspiraient des craintes pour leur indépendance même. Les
Lucernois, et aussi les gens de Fribourg, de Soleure, de Bâle, qui ne
faisaient pas partie de la Confédération, avaient les mêmes sentiments. Mais
les cantons orientaux (Zurich, Zug, Schwyz,
Unterwalden, Uri, Glaris) n'avaient pas affaire aux ducs de Bourgogne
: c'était la maison d'Autriche, leur voisine, qu'ils redoutaient. Sigismond,
d'autre part, ne voulait point renoncer définitivement aux territoires qui
lui avaient été pris par les Suisses. Aussi les négociations entamées par lui
avec la Confédération, en 1471-1472, n'aboutirent-elles point. Il fallut que
Louis XI s'en mêlât. Dès 1470, Louis XI et les Suisses, sur la demande de ces derniers, s'étaient engagés réciproquement à ne pas soutenir le duc de Bourgogne, s'il prenait les armes contre la France ou contre les Cantons. Louis, selon sa coutume, s'était acheté en Suisse de solides appuis. Le prévôt, de Munster-en-Argovie, Jost de Silinen, et un des hommes d'État les plus écoutés à Berne, Nicolas de Diesbach, le servirent avec un dévouement qu'il entretint à beaux deniers comptants[15]. Lorsque, dans l'été de l'an 1473, Sigismond lui demanda de l'aider à recouvrer l'Alsace, le roi se fit accepter comme arbitre pour terminer sa querelle avec les Suisses : moyennant une pension de 10.000 florins, payée par la France, le duc d'Autriche reconnut aux Confédérés leur indépendance et leurs conquêtes ; en échange, les Suisses promirent assistance à Sigismond (Règlement perpétuel du 30 mars 1474). Les villes de la région rhénane montrèrent de leur côté un vigoureux esprit d'initiative. Le 23 février 1474, d'accord avec les Confédérés des huit cantons, elles décidèrent de racheter au duc de Bourgogne les terres qui lui avaient été engagées par Sigismond et de lui offrir une somme totale de 80.000 florins ; Strasbourg, Schlestadt, Colmar et Bâle s'engagèrent à les payer. Comme il était peu probable que le Téméraire acceptât cette proposition, la Basse-Union conclut une alliance défensive avec les Confédérés (31 mars) et avec Sigismond (4 avril). Ce fut l'Union de Constance. Le duc René II, irrité des excès commis en Lorraine par les soldats bourguignons, et sollicité par Louis XI et la Basse-Union, abandonna l'alliance du Téméraire, signa un traité avec le roi de France le 15 août 1474, et devint membre de la Basse-Union l'année suivante. Enfin Frédéric III conclut avec Louis XI, le 30 décembre 1474, un traité particulier, qui resta d'ailleurs sans effet. Dans cette coalition, ce n'étaient pas les princes qui allaient jouer le rôle le plus actif : Sigismond était toujours sans argent et sans armée ; René II était mal servi par la Noblesse lorraine, et Frédéric III était prodigieusement lent et avare ; mais les Confédérés suisses, les gens de Fribourg, de Soleure et des villes rhénanes, allaient opposer au duc de Bourgogne quarante mille excellents soldats. Le 6 avril 1474, Sigismond informa le duc de Bourgogne des décisions prises pour le rachat de l'Alsace. Malgré cette menace directe, le Téméraire partit, le 22 juin, avec toutes ses forces disponibles, afin de régler les démêlés de l'archevêque de Cologne et de ses sujets. Une des villes révoltées contre l'archevêque, Neuss, située dans une fie du Rhin, était à peu près inexpugnable : ce fut elle que le duc Charles assiégea. Il s'y obstina pendant un an Les habitants se souvenaient du traitement qu'il avait fait subir à Dinant et à Liège. Ils résistèrent énergiquement, soutenus par les villes voisines, et, au bout de longs mois d'attente, par l'armée impériale. Tandis que le Téméraire s'entêtait en cette folle entreprise, où se consumaient peu à peu son armée, son artillerie, son argent, son prestige, Louis XI besongnoit. À force de bonnes paroles, de cadeaux et de pensions, et grâce à l'adresse de son représentant Nicolas de Diesbach, il décida les Suisses à déclarer la guerre au duc de Bourgogne. Il promit de les secourir et de verser 20.000 francs par an, à partager entre les huit cantons, Fribourg et Soleure ; les Bernois s'engagèrent à lui fournir, à la première réquisition, six mille mercenaires (traité du 26 oct. 1474). Le même jour, les Confédérés envoyèrent une lettre de défi au duc de Bourgogne. Au mois de novembre, les contingents de l'Union de Constance occupèrent la haute Bourgogne. Puis les Suisses entrèrent en Franche-Comté. La Savoie, objet de leurs convoitises, fut également envahie, bien que la duchesse Yolande, propre sœur de Louis XI, fût jusque-là restée neutre. Le 30 avril 1475 expira la trêve que le roi de France avait signée l'année précédente avec le duc de Bourgogne. À ce moment, l'armée réunie par Frédéric III se préparait à quitter Cologne pour attaquer Charles le Téméraire. L'occasion était bonne pour Louis XI, qui aimait la guerre sans risques. Ses troupes entrèrent en Picardie, en Bourgogne, en Franche-Comté, en Luxembourg. Dans les deux. Bourgognes, elles tuarent, bruslarent, pillarent, et emmenarent hommes et femmes, et, en Picardie, Le Tronchoy, Montdidier, Roye, Corby, Doullens, furent incendiés[16]. Charles le Téméraire, cependant, avait trouvé de nombreux alliés. La plupart, il est vrai, ne pouvaient pas ou ne voulaient pas l'aider efficacement : les adversaires de Frédéric III en Allemagne, tels que le roi de Bohème et de Hongrie Mathias Corvin, et l'Électeur Palatin, n'étaient pas disposés, non plus que Venise, à faire le jeu de la maison de Bourgogne ; la duchesse Yolande, irritée de l'invasion de la Savoie par les Suisses, avait pris, contre son frère Louis XI, le parti du Téméraire, et le duc de Milan, Galéas Sforza, avait promis des mercenaires, qui devaient traverser librement la Savoie pour se mettre au service du duc Charles (traité de Moncalieri, 30 janv. 1475) : mais Yolande n'avait ni argent, ni soldats, et Sforza était bien décidé à se ranger du côté du plus fort. Louis XI et Jean II, roi d'Aragon, étaient depuis longtemps en guerre : l'alliance de Jean II et du Téméraire ne fut pas pour le roi de France un embarras nouveau. Une partie de la haute Noblesse française s'agitait. Le
comte de Saint-Pol tentait de reformer une coalition féodale. Ce singulier
connétable avait chassé de Saint-Quentin les soldats dont il redoutait la
fidélité au roi, et il offrait la ville tantôt à Louis XI, tantôt au duc de
Bourgogne, pour les tenir tous deux en crainte,
et avec le dessein de la garder pour lui. En 1475, il essaya d'organiser une
nouvelle ligue du Bien public. Il promit au duc de Bourgogne de le servir et secourir, et tous ses amis et aliez, tant
le roy d'Angleterre que aultres. Il entra en négociations avec les
ducs de Bretagne, de Bourbon, de Nemours, le roi René, le comte du Maine. Les seigneurs, annonçait-il au duc de Nemours, ont intention de laisser le roi aller à la chasse et
prendre tous ses ébas comme il souloit (avait
coutume) faire, mais l'auctorité du
gouvernement du roiaume demourroit entre leurs mains. Ses ouvertures
ne furent pas repoussées, mais personne n'osa remuer. Quant aux offres de
Saint-Pol lui-même, Charles le Téméraire n'était point disposé à les accepter
; il baissait le perfide connétable : en 1474, il avait entamé des
négociations avec Louis XI pour se débarrasser de lui. Seule, l'alliance du roi d'Angleterre semblait pouvoir servir le duc de Bourgogne. Édouard IV s'était engagé, le 25 juillet 1474, à débarquer en France avant le 1er juin 1475, pour reconquérir son royaume. Le duc lui fournirait un renfort de six mille hommes ; la conquête achevée, Édouard IV lui donnerait la Picardie et les domaines du comte de Saint-Pol, la Champagne et diverses seigneuries : Charles les tiendrait, ainsi que toutes ses autres terres, en pleine souveraineté. La guerre de France avait encore des partisans en Angleterre : Édouard IV put lever de gros subsides et réunir une armée de treize male hommes. Deux mille archers devaient se diriger vers la Bretagne, pour entraîner dans la lutte le duc François II. Le reste marcherait sur la Champagne, où l'on retrouverait l'armée bourguignonne, et Édouard IV serait sacré roi de France à Reims. Cependant l'armée bourguignonne était toujours devant Neuss. Le duc Charles toute sa vie avoit travaillé pour faire passer les Angloyz, dit Commynes, et, à ceste heure qu'ilz estoient prestz et toutes choses bien disposées pour eulx tant en Bretaigne que ailleurs, il demourroit obstiné à une chose impossible de prendre. Enfin, après quelques engagements indécis entre les troupes de Frédéric III et de Charles le Téméraire, les deux princes firent la paix, le 19 juin 1475 : le duc abandonna l'archevêque de Cologne, et l'empereur rompit son alliance avec Louis XI et les Confédérés de Constance. Le 27, Charles le Téméraire quittait Neuss. Le 6 juillet, Édouard IV débarquait à Calais : Louis XI, qui n'entendait pas le faict de la mer aussi bien qu'il entendoit le faict de la terre, n'avait pas su l'empêcher de passer. Mais Édouard fut tout de suite découragé : le duc de Bretagne ne bougeait pas, et Charles le Téméraire avait maintenant en tête de conquérir la Lorraine. Les vivres manquaient aux Anglais, et toutes les grandes villes de l'Est avaient des fortifications neuves. Reims seul était en danger. Louis XI y envoya son meilleur ingénieur, Raulin Cochinard, il était décidé à sacrifier, s'il le fallait, la ville du sacre : si vous ne vous mettez en sûreté, écrivait-il aux habitants le 4 août, fauldroit par necessité que la ville fust desmolye, dont il nous desploiroit. D'autre part, il avait fait avertir le roi d'Angleterre et ses conseillers que, hormis les concessions de territoires, il était disposé à être généreux. Considérant la pauvreté de l'armée, l'approche de l'hiver et la petite assistance des alliés, les Anglais écoutèrent les offres de Louis XI, malgré les sommations exaspérées du duc de Bourgogne. Ils allèrent loger près d'Amiens, et bientôt on ne vit plus dans les rues de la ville que soldats anglais titubant et chantant, gorgés de vins fins et de toutes bonnes viandes qui font envye de boire, aux frais de Louis XI. Le 29 août, les deux rois eurent une entrevue à Picquigny ; Louis avait fait construire un pont sur la Somme, et avait pris les plus minutieuses précautions pour sa sécurité : un fort treillis de bois s'élevait au milieu du pont et les deux princes vinrent s'entrebrasser par entre les troux. Édouard reçut 75.000 écus comptants et la promesse d'une pension annuelle de 50.000 écus ; une trêve de sept ans fut signée ; les deux rois conclurent un accord de parfaite amitié, s'engagèrent à se protéger contre leurs sujets rebelles, et il fut convenu que le dauphin épouserait la fille d'Édouard IV. En fait, le roi d'Angleterre vendait la renonciation de sa dynastie à la couronne de France. Le lord chancelier et les conseillers influents eurent aussi des pensions. En septembre, l'armée anglaise repassa la Manche[17]. Le 13 du même mois, Louis XI conclut une trêve de neuf
années ravir avec Charles le Téméraire, à Souleuvres, en Luxembourg. L'acte
ne mentionnait ni le duc d'Autriche ni la Basse-Union ; le duc de Lorraine et
les Suisses avaient liberté d'adhérer au traité, mais le roi s'engageait à ne
pas les secourir s'ils faisaient la guerre au duc de Bourgogne. Il
abandonnait donc ses alliés, quitte à se faire pardonner un jour sa
défection, et à renouer la coalition. Pour le moment, il voulait en finir
avec les féodaux rebelles. Le mois précédent, afin d'enlever à Charles le
Téméraire toute envie de sauver le comte de Saint-Pol, il avait joué une
comédie, dont Commynes fut témoin. Au moment de recevoir deux émissaires du
connétable, Sainville et Richer, il avait fait cacher derrière un paravent un
prisonnier bourguignon, le sire de Contay. Sainville, introduit dans la
chambre, se mit à raconter au roi qu'il venait de la cour de Bourgogne, et
que le duc était fort en colère contre Édouard IV. Et
en disant ces parolles, pour cuyder (croyant) complaire au roy, il commença à contreffaire le duc de
Bourgongne, et à frapper du pied contre terre, et à jurer sainct Georges...
Le roy rioit fort, et luy disoit qu'il parlast
hault, et qu'il commençoit à devenir ung peu souri, qu'il le dist encores une
foin. L'autre ne se faignoit pas (ne se
faisait pas prier), et recommençoit encores
de très bon cueur. M. de Contay estoit le plus esbay du monde. Et rioit le
roy et faisait bonne chère. Contay alla rapporter à son maître ce
qu'il avait entendu. À Souleuvres, Louis XI et Charles le Téméraire s'entendirent
pour perdre Saint-Pol Le connétable venait d'abandonner Saint-Quentin et de
se réfugier auprès du duc de Bourgogne, car il ne
sçavoit plus à quel sainct se vouer. Le duc viola le sauf-conduit qu'il
lui avait donné, et Saint-Pol fut remis aux gens du roi. Il fut décapité à
Paris, le 19 décembre[18]. Le duc de Bretagne, grâce à la protection d'Édouard IV, fut seulement obligé de jurer sur la croix de Saint-Laud qu'il aiderait le roi de France contre ses ennemis (paix de Senlis, 29 sept. 1475). Mais Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, qui n'avait point d'alliés puissants et ne possédait que de petites seigneuries dispersées, se trouvait à la merci du roi. Depuis la guerre du Bien public, il n'avait point cessé d'intriguer. Très inquiet d'une enquête dirigée contre lui, il s'enferma dans sa forteresse de Carlat. Assiégé par les soldats du roi, il se rendit à discrétion le 9 mars 1476. Le povre Jacques fut enfermé dans une des cages de la Bastille, et Louis XI ordonna qu'on ne le mette jamais dehors, si ce n'est pour le gehenner. Il fut décapité à Paris le 4 août 1477. Les favoris du roi, notamment geais gendre Pierre de Beaujeu, se partagèrent les biens du duc de Nemours. Le sire de Beaujeu profita également de la rancune du roi contre le duc de Bourbon, qui, en cette année 1475, avait gardé une équivoque réserve. En avril 1476, sur l'étroit commandement et contrainte du roi, le duc fut obligé de céder à son frère Pierre la baronnie de Beaujolais, qui mettait en communication les États des ducs de Bourbon et de Bourgogne. Le chef de la maison d'Anjou, du fond de la retraite champêtre où il vivait en Provence, inquiétait aussi Louis XI. En 1474, le roi René avait rédigé un testament par lequel il partageait sa succession entre son petit-fils René II de Lorraine et son neveu Charles II, comte du Maine. Louis XI, qui était fils d'une sœur du roi René, se voyant ainsi complètement frustré, avait saisi l'Anjou et même le duché de Bar, bien qu'il fût situé hors du royaume. Alors le roi René se mil à négocier avec les ennemis de Louis XI et parla de léguer la Provence à Charles le Téméraire. Le 6 avril 1476, le Parlement de Paris décida qu'il y avait lieu d'ajourner le roi René, voire même de procéder à son arrestation. Cette menace eut l'effet souhaité : le vieux roi, effrayé, jura sur la croix de Saint-Laud, quelques jours après, de ne jamais s'allier au duc de Bourgogne, et il tint parole[19]. Tandis que Louis XI réduisait à merci ses vassaux, Charles le Téméraire continuait sa lutte contre la coalition. René II lui avait envoyé un défi à Neuss, le 10 mai 1475, et il avait repris les villes de sûreté occupées par les Bourguignons dans son duché. Charles déclara qu'il trouvait matière de joye dans ce défi. Et, en effet, malgré la résistance des contingents alsaciens et des volontaires suisses, il entrait à Nancy le 30 novembre. Il ne lui restait plus qu'à faire la paix avec les Suisses. Mais les Confédérés étaient inquiets de son alliance avec le duc de Milan, et voulaient qu'il renonçât à l'Alsace ; le parti français travaillait à empêcher la conciliation. Le Téméraire, d'ailleurs, n'aurait accepté qu'une paix humiliante pour les Suisses. Les négociations n'aboutirent point, et il ne songea plus qu'à tirer d'eux une vengeance éclatante. Il quitta Nancy le il janvier 1476, emmenant une armée de vingt mille hommes et une nombreuse artillerie. Il se proposait d'aider la duchesse de Savoie à reconquérir ses domaines du pays de Vaud, que les Bernois avaient envahis. Les Suisses adressèrent à Louis XI des sollicitations réitérées, mais le roi se contenta de s'établir à Lyon, d'où il surveilla les événements, avec une armée de dix mille hommes. Le 23 février, le duc de Bourgogne reprit Grandson, sur la rive méridionale du lac de Neuchâtel ; les quatre cent douze Suisses qui avaient défendu la ville furent pendus ou noyés dans le lac. Mais, le 2 mars, le duc fut assailli par une armée égale en nombre à la sienne, et fournie par la Confédération, Fribourg Soleure, les villes forestières et la Basse-Union. L'attaque fut si furieuse que, presque sans combat, les Bourguignons se débandèrent ils se dispersèrent dans le pays de Vaud, le Jura, l'Italie. Les montagnards n'avaient pas de cavalerie pour les poursuivre ; après avoir pillé les trésors du camp bourguignon, l'armée victorieuse se disloqua. Charles le Téméraire en profita pour rester à Lausanne et prépara sur place sa revanche, sans prendre le temps de manger ni de dormir. Mais ses demandes de subsides et de troupes furent très mal accueillies par ses sujets. Il les avait lassés par ses continuelles exigences, sa tyrannie, sa brutalité. La Noblesse était irritée de la rigueur des règlements militaires ; le Clergé avait dû renoncer à ses immunités financières ; la Bourgeoisie était ruinée par cette politique mégalomane[20]. Les États-Généraux des Pays-Bas, assemblés à Gand après la bataille de Grandson, repoussèrent les demandes exorbitantes présentées par le chancelier. Le duc fut obligé d'accepter tous les aventuriers qui se présentèrent au camp de Lausanne. Il réunit ainsi vingt-cinq mille hommes, pour la plupart indisciplinés. Il essaya de gagner l'alliance de l'empereur : le 6 mai 1476, il promit par serment, devant le légat du pape, de donner sa fille en mariage à Maximilien. C'était l'éternel marché de dupes : Frédéric III ne fournit au Téméraire ni un soldat, ni un denier. Le duc de Bourgogne, épuisé par un travail surhumain, était tombé malade au milieu du mois d'avril. Le 8 mai, il se déclara guéri ; mais il avait perdu son endurance : il n'était plus qu'un impulsif, secoué par une idée fixe de vengeance. À la fin du mois, il se mit en marche : il voulait écraser les Bernois dans Berne même. Tout d'abord, il mit le siège devant la petite ville de Morat. Les Confédérés accoururent au secours de la garnison bernoise qui défendait la place. Louis XI, selon sa constante politique, n'envoya pas de troupes, mais il avait prodigué les secours en argent. Une bataille s'engagea le 22 juin. La cavalerie bourguignonne, maladroitement postée devant les archers, ne put soutenir le choc des piquiers suisses. L'armée du Téméraire fut en grande partie exterminée. Louis XI quitta Lyon et alla faire des pèlerinages, pour rendre grâces à Notre-Dame de ce que ses besongnes s'estoient bien portées[21]. Dès le mois d'avril, à la nouvelle de la déroute de Grandson, les partisans de René II en Lorraine avaient pris les armes, aidés sous main par le sire de Craon, qui occupait pour Louis XI le duché de Bar. Après la bataille de Morat, où le duc de Lorraine s'était battu bravement dans les rangs suisses, Lunéville fut repris aux Bourguignons. Charles le Téméraire, qui s'était arrêté en Franche-Comté pour rallier ses fuyards, chargea un de ses lieutenants, le Napolitain Campo-Basso, de défendre la Lorraine. Or, ce Campo-Basso était un traître, qui, à plusieurs reprises, avait offert à Louis XI de tuer le duc ou de le faire prisonnier. Il laissa René et les Strasbourgeois s'emparer de Nancy, le 7 octobre 1476. Alors Charles le Téméraire résolut de reconquérir le duché avec la petite armée qu'il venait d'organiser péniblement. Grâce aux intrigues de Louis XI, il allait encore une fois avoir affaire aux Suisses. Le roi de France, en effet, réconcilia les Bernois avec la duchesse de Savoie, afin que leur ardeur guerrière ne se dépensât pas sans profit pour lui (traité de Fribourg, 14 août 1476) ; il donna aux Confédérés 24.000 florins, et les décida à signer, le 7 octobre, une alliance avec René II. Tandis que Charles le Téméraire assiégeait Nancy, le duc de Lorraine, muni de 40.000 francs fournis par Louis XI, parcourait les cantons suisses et y recrutait sept ou huit mille mercenaires. En y ajoutant les troupes lorraines et les contingents envoyés par la Basse-Union, il réunit près de vingt mille soldats. Charles le Téméraire, qui en avait à peine dix mille, s'obstina à l'attendre. Si je les debvois combattre seul, déclarait-il, si les combateray-je. Le 5 janvier 1477, pour la troisième fois depuis dix mois, le grand-duc d'Occident dut fuir le champ de bataille, au galop de son cheval. Mais, cette fois, il fut tué dans une embuscade : deux jours après, on retrouva son cadavre[22] L'insuccès des entreprises de Charles le Téméraire avait eu des causes multiples : la supériorité militaire des Suisses, la supériorité politique du roi de France, peut-être aussi l'impossibilité que le rêve de la maison de Bourgogne s'achevât. Cette puissance, née d'accidents heureux, et dont le principal avait été l'abaissement momentané de la Monarchie française, pouvait-elle se soutenir ? L'ambition des grands ducs d'Occident devait aboutir fatalement au projet d'un royaume de Bourgogne, projet d'exécution malaisée, sinon irréalisable. Cette formation d'un État entre la France et l'Allemagne avait été une des combinaisons les plus malheureuses des partages carolingiens. Aux desseins de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire s'opposaient la nature elle-même, puis l'existence de petits États déjà constitués, la Lorraine et la Savoie, qu'il fallait absorber, et surtout l'inévitable résistance de la Royauté française et des Allemagnes, qui, malgré la faiblesse de l'empereur, étaient, selon Commynes, chose si grande et si puissante qu'il est presque increable. De cette tâche difficile, Charles était moins capable que personne. Sa politique perfide et violente provoqua contre lui des coalitions et lui interdit les solides alliances ; sa ruineuse tyrannie le fit haïr de ses sujets. Entouré de traîtres qu'il refusait de soupçonner, dédaigneux de tout conseil, et d'ailleurs médiocre général, il était condamné à la défaite. En moins d'un an, il épuisa les ressources et détruisit le prestige de sa maison ; sa mort en acheva la ruine. II. — LA SUCCESSION DE BOURGOGNE[23]. MARIE de Bourgogne, à la mort de Charles le Téméraire, se trouva entourée de convoitises et de périls, sans argent, sans armée, sans appui. Toute l'œuvre politique de son père et de son aïeul fut anéantie en quelques jours. Les États-Généraux des Pays-Bas, réunis à Gand, lui promirent fidélité, mais ils obtinrent le droit de s'assembler spontanément et de s'opposer à une déclaration de guerre ; les organes de gouvernement qu'avaient créés dans les Pays-Bas Philippe le Bon et Charles le Téméraire furent supprimés, les anciennes libertés locales rétablies. La concession de ce Grand Privilège (11 février 1477) ne calma pas l'effervescence soulevée dans les villes par la mort du grand-duc d'Occident. Des troubles graves éclatèrent à Gand, à Mons, à Bruges, à Ypres. Nombreux étaient les prétendants à la succession de Charles le Téméraire. Et d'abord il y avait ceux qui voulaient l'avoir tout entière, en épousant sa fille. Un d'entre eux, Maximilien d'Autriche, pouvait invoquer la volonté du défunt duc : Marie l'avait accepté pour fiancé l'année précédente, et ils avaient échangé des joyaux en signe de mariaige. L'empereur écrivit à Louis XI, dès le 13 février, que les domaines bourguignons devaient revenir à sa future belle-fille et à son fils, sauf les revendications légitimes qui pourraient être présentées par voie diplomatique. Mais il aurait mieux fait de lever une armée que d'envoyer des manifestes. De toutes parts, les princes voisins se préparaient à dépecer l'héritage. René II, aussitôt après sa victoire de Nancy, avait dirigé ses troupes vers la Bourgogne. Sigismond d'Autriche et les Suisses élevaient des prétentions sur la Franche-Comté[24]. La Hollande, la Zélande, la Frise, le Hainaut, furent bientôt réclamés par le comte Palatin et par le duc de Bavière. Enfin Louis XI voulait defaire et destruyre ceste maison et en departir les seigneuries en plusieurs mains. Les bonnes et agreables nouvelles du désastre de Nancy lui avaient causé un tel saisissement de joie que d'abord il n'avait su qu'à grand peyne quelle contenance tenir. Marie de Bourgogne et sa belle-mère Marguerite d'York lui adressèrent une lettre suppliante, en promettant d'user de son conseil pour la conduite de leurs affaires. Nous avons en ferme credence, écrivaient-elles, que vostre bonté et clemence sera telle envers nos desolées personnes, que vous garderez de toute oppression cette maison de Bourgongne. Il ne nous porroit cheoir en pensée que en voulsissiez estre le persecuteur, meismement de moi, Marie, à qui vous avez fait tant d'honneur que m'avez levée des saints fonts de baptesme. Louis XI laissa cette lettre sans réponse. Avant qu'il apprit la mort de son ennemi, il était décidé, dit Commynes, le jour où cet événement se produirait, à marier l'héritière de Bourgogne avec le dauphin Charles, ou avec quelque jeune seigneur de ce royaulme, pour tenir elle et ses subjectz en amytié et recouvrer sans debat ce que pretendoit estre sien. Ce saige propos lui commença jà ung peu à changer le jour qu'il sceut ladite mort. Il exila en Poitou Commynes, qui l'engageait à la prudence. Il résolut d'annexer les villes de la Somme, l'Artois, la Flandre, le Hainaut et les deux Bourgognes (duché et Franche-Comté), et d'abandonner le Brabant, la Hollande et aultres grandes pièces, à aucuns seigneurs d'Almaigne, qui scroient ses amys et qui lui aideroient à executer son vouloir. Il fit démontrer par des juristes que Marie de Bourgogne n'avait aucun droit sur la succession de son père. En réalité, les fiefs de Charles le Téméraire, y compris le duché de Bourgogne, étaient transmissibles aux femmes[25]. Le seul argument valable invoqué par Louis XI était la félonie de son vassal : il ne manqua point d'ailleurs de faire intenter en Parlement un procès à la mémoire de Charles le Téméraire. En aucun cas, cependant, la Franche-Comté et le Hainaut ne pouvaient être confisqués par le roi de France, puisque c'étaient des terres d'Empire. Mais Louis XI avait réponse à tout : la Franche-Comté, écrivait-il à Frédéric III, ne dépend point de l'empereur, car le duc de Bourgogne ne lui a jamais fait hommage pour ce fief, et l'on rapporte que le Hainaut n'est pas de l'Empire. Avec moins de détours, les fidèles Lyonnais déclaraient : Le roi a voulu et veuit tousjours soubstenir et maintenir que le royaume s'extend d'une part jusques ès Alpes, où est encloz le pays de Savoye, et jusques au Rhin, où est encloz le pays de Bourgoigne[26]. La plupart des prétendants à la succession de Bourgogne furent facilement écartés. René II, à la première injonction de Louis XI, rentra en Lorraine. Sigismond d'Autriche se désista également, pour continuer à recevoir sa pension. Les Suisses renoncèrent à leurs projets sur la Franche-Comté, moyennant 100.000 florins ; Maximilien, il est vrai, mit une surenchère afin d'obtenir leur alliance ; mais il ne put jamais payer les 150.000 florins qu'il avait promis : pendant les dernières années du règne de Louis XI, grâce à ses largesses et malgré la constante duplicité dont ce roi avait usé envers les Suisses, ils luy obeyssoient comme ses subjectz, et plusieurs milliers d'entre eux venaient servir dans ses armées. Par la corruption, le roi de France attira à son service les principaux serviteurs de Charles le Téméraire, et même le frère du duc, le grand bâtard Antoine. Ce fut un seigneur bourguignon, Jean de Chalon, prince d'Orange, qui fut chargé, avec le sire de Craon et Charles de Chaumont-Amboise, de soumettre les Bourgognes. Dès le 7 janvier 1477, avant même que le cadavre du Téméraire eût été retrouvé, Jean de Chalon recevait cette mission[27], et, le 9, Louis XI écrivait au sire de Craon : Maintenant est temps d'employer tous vos cinq sens de nature à mettre la ducé et comté de Bourgongne en mes mains. Pour triompher des répugnances de la population, qui redoutait les impôts du roi et la tyrannie de ses officiers, il n'épargna ni les concessions aux villes, ni les pensions et les offices aux nobles et aux bourgeois influents, ni même les fausses promesses, car il assura qu'il voulait garder le droit de sa filleule, et la marier au dauphin, et à ce moment-là il était bien résolu à ne pas le faire. Les États de Bourgogne et de Charolais, et, après une assez vive résistance, ceux de Franche-Comté, acceptèrent la protection royale. Mais les appels de la princesse Marie au loyalisme de ses sujets. et surtout les grans pilleries, à la verité trop excessives, du sire de Craon provoquèrent bientôt un soulèvement général[28]. Jean de Chalon, qui avait été maladroitement frustré du prix de sa défection, et le brave Simon de Quingey, un des rares fidèles de la maison de Bourgogne, dirigèrent la résistance. Simon de Quingey tomba aux mains du roi en 1478 et fut enfermé à Tours dans une cage de fer[29]. Louis XI poursuivit d'une haine furieuse Jean de Chaton : il le comparait à Judas, et l'appelait le prince aux trente deniers. Il ordonna de le prendre et de le brusler, et il le fit condamner en outre à estre pendu aux fourches par les piés ; mais on dut se contenter d'afficher des tableaux où était peint et pourtrait la stature et epitaphe de Jean Chaton, prince d'Orange, pendu la teste en bas et les piés en hault. Chaumont-Amboise, nommé lieutenant général dans les Bourgognes à la place du sire de Craon, réussit assez vite à pacifier le duché. En Franche-Comté, au contraire, les gentilshommes, les bourgeois et les paysans opposèrent une longue résistance : pour venir à bout des habitants de Dôle, il fallut détruire leur ville ; la guerre ne prit fin qu'au bout de quatre années, par l'épuisement complet du pays. Louis XI soumit rapidement les places conservées par la maison de Bourgogne en Picardie, ainsi que le comté de Boulogne, qu'il déclara tenir en fief de Notre-Dame. Il occupa même pendant quelque temps Cambrai, cité impériale, et expulsa l'évêque, frère naturel de Philippe le Bon[30]. En Artois, les difficultés furent plus considérables. Saint-Omer et Aire restèrent imprenables. Les habitants d'Arras, malgré les promesses et les cadeaux de Louis XI, voulurent, avant de se soumettre, consulter Marie de Bourgogne ; les vingt-deux bourgeois envoyés auprès d'elle furent arrêtés en route, et le roi leur fit trancher la tête : Il y en avoit un entre les autres, raconte-t-il dans une lettre du 20 avril 1477, maistre Oudart de Bussy, à qui j'avois donné une seigneurie au Parlement ; et, afin qu'on congneust bien sa teste, je l'ay faicte atourner d'ung beau chaperon fourré, et est sus le marché d'Hesdin, là où il preside. Ni les violences, ni les caresses de Louis XI ne désarmèrent les rancunes des Arrageois. Craignant qu'ils ne livrassent leur ville à l'ennemi, le roi, par lettres patentes du 2 juin 1479, ordonna de les expulser en masse. Les fortifications furent en partie détruites, et Arras perdit jusqu'à son nom. Afin de repeupler la ville, appelée désormais Franchise, Louis XI décida d'y faire habiter et demourer de ses autres bons et loyaux sujets des villes de son royaume à lui loyales et obeissans. Toutes les provinces de France, sauf les Bourgognes et le Dauphiné, durent fournir un contingent d'immigrants, ou aider à leur établissement. C'est ainsi que les Troyens furent taxés à quarante-huit gens de métier et trois bons marchands, les Toulousains à six gens de métier et deux marchands. Les bonnes villes s'empressèrent d'envoyer le rebut de leur population, et, malgré d'énormes dépenses, malgré l'obligation imposée aux marchands français d'acheter à plus hault pris la moictyé qu'ilz ne valloient des lots de draps de Franchise, l'échec fut complet. À la fin de son règne, Louis XI autorisera les anciens habitants à revenir dans la ville ; mais l'industrie et le commerce d'Arras étaient ruinés pour longtemps, et jamais les fabriques de tapisserie qui avaient fait sa renommée ne furent rétablies[31]. Louis XI convoitait surtout le riche comté de Flandre. Il espérait l'avoir par des intrigues, et son barbier, le Flamand Olivier le Daim, entretenait ses illusions. Les ouvertures que, pour gagner du temps, lui faisaient les États-Généraux de Gand, l'aveuglaient sur les véritables sentiments de la population. Il comblait de flatteries les ambassadeurs des États, et buvoit souvent à eus et à ses bons sugés de Gant. En même temps qu'il offrait au roi d'Angleterre et aux princes des pays rhénans le démembrement de l'héritage bourguignon, il assurait aux envoyés flamands que le mariage du dauphin et de Marie était son vœu le plus cher, et qu'il osteroit la couronne de son chief pour la poser sur le chief de son filz et de ma dite damoiselle, et se retraire en quelque lieu pour vivre en privé estat. Malgré ces belles parolles, que les Flamands jugeaient à leur valeur, il tâchait de provoquer dans le comté une révolte à son profit : au mois de mars 1477, il montra aux ambassadeurs des États une missive secrète que lui avaient récemment apportée deux conseillers de Marie de Bourgogne, le chancelier Hugonet et le sire de Humbercourt : Marie, espérant se concilier les bonnes grâces de son terrible parrain, affirmait dans cette lettre que, pour se gouverner, elle ne tiendrait nul compte de l'avis des États. La perfide révélation du roi eut des résultats tout différents de ceux qu'il attendait. Les Flamands, ne voulant point de Louis XI pour maître, pardonnèrent à la jeune Marie sa duplicité ; mais Hugonet et Humbercourt, qui étaient partisans du mariage de la duchesse avec le dauphin, furent arrêtés par les Gantois, jugés sommairement et décapités le 3 avril ; et, le 21, Marie de Bourgogne accorda définitivement sa main à Maximilien d'Autriche : elle l'épousa le 19 août[32]. Dès le mois de juin, Louis XI, pensant avoir par horreur ce qu'il ne povoit avoir par honneur, était entré en Hainaut avec des forces considérables et avait commencé une guerre de dévastation. Il fit venir des journaliers pour saccager les récoltes. Il écrivait, le 25 juin 1477, à Antoine de Chabannes, chargé de réduire Valenciennes : Je vous envoye troys ou quatre mille faucheurs, pour faire le gast (dégât) que vous savez. Je vous prye, mettez-les en besongne, et ne plaignez pas cinq ou six pippes de vin à les faire bien boyre et à les enyvrer. Après la prise d'Avesnes, cette ville fut brûlée et tous les habitants massacrés. La cruauté des bouchiers françoys ne réussit qu'à exaspérer la résistance. Au bout de trois mois, Louis XI dut conclure une trêve. Pendant l'hiver, il fit d'immenses préparatifs militaires, écrasa ses bonnes villes de contributions et de réquisitions. Mais Maximilien, de son côté, réunit une grosse armée. Les campagnes de 1478 et de 1479 eurent peu de résultats. Une sanglante bataille livrée, le 7 août 1479, à Guinegate (aujourd'hui Enguinegatte), près de Saint-Omer, resta indécise[33]. La mort de Marie de Bourgogne, survenue le 27 mars 148, amena Maximilien à composition. L'héritage bourguignon appartenait maintenant aux deux enfants qu'il avait eus de Marie, Philippe le Beau et Marguerite. Fourbe et versatile, il était peu aimé des Flamands : les États de Gand l'acceptèrent comme tuteur de son fils Philippe le Beau, mais il fut bien spécifié que la Flandre seroit gouvernée soubz le nom de Monseigneur Phelippe, par l'advis de ceulx de son sang et de son Conseil. Or les Flamands voulaient la paix. Les Français, de leur côté, étaient las de payer tant d'impôts, d'être pillés par les gens de guerre du roi et par les corsaires des Pays-Bas ; Louis XI avait conscience de l'erreur qu'il avait commise en jetant Marie de Bourgogne aux bras de Maximilien, et puis il se entait malade, et jà bien bas : il était pressé de réparer sa faute. Les négociations furent conduites par un transfuge bourguignon, l'habile sire d'Esquerdes, qui avait remplacé Antoine de Chabannes comme généralissime[34]. Un traité de paix fut signé à Arras le 23 décembre 1482. Le dauphin devait épouser Marguerite d'Autriche, qui lui apportait en dot la Franche-Comté et l'Artois. Il n'était point parlé du duché de Bourgogne, qui resta aux mains du roi, ainsi que la dot de Marguerite. La petite princesse fut amenée à Paris, pour y être élevée en attendant son mariage[35]. Le démembrement de l'État bourguignon était accompli. Les vainqueurs de Charles le Téméraire, les Suisses, avaient tiré de leur triomphe beaucoup de gloire et d'argent ; René II avait repris la Lorraine et. Sigismond le landgraviat d'Alsace ; mais c'était Louis XI qui, en fin de compte, avait la plus grosse part des territoires : la Picardie, le Boulonnais, l'Artois, la Bourgogne, la Franche-Comté. Par sa faute, il est vrai, la maison d'Autriche était maintenant installée dans les Pays-Bas : un nouveau péril était né pour la monarchie française. III. — AFFAIRES D'ESPAGNE ET D'ITALIE[36]. CHARLES le Téméraire compta parmi ses alliés le roi d'Aragon, la duchesse de Savoie, le duc de Milan, Venise. Louis XI, en effet, s'était créé dans les deux péninsules des ennemis acharnés. II réussit, sans autre moyen que la diplomatie, à faire accepter son hégémonie par les princes italiens, mais, en Espagne, sa soif de domination l'entraîna en de périlleuses aventures de guerres et de conquêtes, qui lui firent négliger les véritables intérêts de la France. On a vu que Jean d'Aragon avait usurpé en 1441 la couronne de Navarre, qui aurait dû revenir à son fils, Don Carlos[37]. En 1458, il était devenu, en outre, roi d'Aragon. Sa dureté envers son fils et son ambition, qui coûtait cher à ses sujets, avaient déchaîné contre lui une violente révolte. La mort de Don Carlos, survenue un mois après le sacre de Louis XI, raviva la guerre civile : des troubles éclatèrent à Saragosse ; en Navarre, la puissante faction des Beaumontais refusa plus que jamais de reconnaître Jean et celui qu'il avait désigné comme héritier de ce royaume, le comte de Foix Gaston IV ; enfin les Catalans décidèrent de se détacher de l'Aragon et de se constituer en république. Louis XI, qui, avant son avènement, s'était déjà ménagé en Catalogne beaucoup de bons et loyaulx serviteurs[38], crut l'heure venue de dépouiller le roi Jean : Je le mettrai hors de tous ses royaumes, disait-il, tant et si bien qu'il ne lui restera pas la moindre parcelle de terre pour s'y faire enterrer. Il promit aux nobles aragonais de maintenir leurs privilèges, s'ils l'acceptaient pour seigneur. Le comte d'Armagnac alla demander à Madrid le renouvellement de la vieille alliance franco-castillane et exposer au roi Henri IV les droits que Louis XI déclarait tenir de sa mère, petite-fille de Jean Ier d'Aragon, ès royaumes d'Arragon, de Valence et principaulté de Cathalongne. Le roi écrivit aux Catalans que le royaume de Navarre était parti de la corone de França. Il n'osa point en dire autant de la Catalogne, de la Cerdagne et du Roussillon : saint Louis les avait, par traité, abandonnés à la couronne d'Aragon[39]. Mais il envoya deux ambassades au gouvernement insurrectionnel de Barcelone, pour lui proposer sa protection (octobre et novembre 1461). Il connaissait la richesse agricole et commerciale de cette principauté de Catalogne et de Roussillon : pendant de longues années il allait en poursuivre la conquête. Les Catalans, très jaloux de leur indépendance, qui était presque complète sous le régime aragonais, auraient encore mieux aimé se soumettre à Jean II qu'à Louis XI. Ils repoussèrent les offres du roi de France. Celui-ci fit alors volte-face et signa une série de traités avec Jean II[40] : il lui promit une armée pour réduire ses sujets rebelles, moyennant deux cent mille écus d'or ; comme gage du paiement de cette somme, Louis devait recevoir les comtés de Roussillon et de Cerdagne. D'autre part, Jean II confirma la succession de la Navarre à la maison de Foix, au mépris des droits de sa fille Blanche, qu'il envoya prisonnière en France ; or, au même moment, le fils aîné du comte de Foix épousa Madeleine, sœur de Louis XI. Au moyen de ces conventions, Louis espérait contraindre les Catalans à résipiscence, annexer le Roussillon et mettre un jour la main sur la Navarre. Il écrivait, tout joyeux : Il me semble que je n'ay pas perdu mon escot. Il comptait sans la vaillance des Catalans, sans l'énergie et l'astuce de Jean II : ce petit vieillard à demi aveugle fut un de ses plus redoutables adversaires. Indignés d'un pacte qui appelait contre eux l'étranger, les Catalans se préparèrent à une guerre sans merci. La belle armée dont Louis XI confia le commandement à Gaston IV ne put s'emparer de Barcelone et fut rapidement épuisée par le climat et les privations. Une complication imprévue se produisit : sollicité par la princesse Blanche de recueillir ses droits sur la Navarre, et par les Catalans de devenir leur seigneur, le roi de Castille envahit l'Aragon. Louis XI obtint la signature d'une trêve, le 13 janvier 1463. Il estimait que la cause de Jean II était perdue et qu'il serait facile désormais de lui enlever la Catalogne ; il ne s'agissait plus que d'écarter Henri IV, sans rompre l'alliance franco-castillane. Usant des procédés insidieux qui lui étaient chers, il proposa son arbitrage aux deux rois : Jean, à bout de ressources, ne put refuser, et les deux conseillers les plus écoutés à Madrid, l'archevêque de Tolède et le marquis de Villena, gagnés par des arguments sonnants, obtinrent le consentement de Henri IV. La sentence du roi de France fut que le roi d'Aragon devait garder tous ses États, sauf le canton navarrais d'Estella, qui serait donné en indemnité à Henri IV. Cette sentence mécontenta Henri IV, les rebelles et même Jean II, et ne procura point à Louis XI les avantages qu'il en attendait. Débarrassé des prétentions castillanes, il cessa de soutenir Jean II et dévoila ses projets au gouvernement de Barcelone : Si, déclarait-il à une ambassade catalane, on parlait dans le Principat un autre langage que le catalan, il ne s'occuperait plus de rien ; mais, si les Catalans étaient délivrés et détachés des Castillans et ne parlaient que le catalan, alors lui, qui originairement était, par sa grand'mère, véritable Catalan, ferait tout ce qu'il pourrait pour le bonheur de la Catalogne, chose qui serait bien facile, car, entre les Catalans et lui, il n'y avait pas de montagnes. Mais les Catalans, comme plus tard les Flamands, firent la sourde oreille, et cherchèrent un seigneur moins puissant. Ils s'adressèrent successivement au connétable de Portugal, qui sollicita vainement l'appui de la France, et au duc de Lorraine et de Calabre, Jean d'Anjou. Louis XI, espérant obtenir un jour de la maison d'Anjou la cession de la Catalogne, soutint le duc de Calabre par sa diplomatie et ses armes (1466-1470). Jean d'Aragon, en revanche, s'allia à tous les ennemis de Louis, et ses intrigues contribuèrent, après le traité de Péronne, à renouer en France la coalition féodale. La mort du duc de Calabre, survenue le 16 décembre 1470, au moment où Louis XI préparait l'invasion des domaines bourguignons, décida enfin le roi de France au sacrifice de ses projets sur la Catalogne. Aussi bien les affaires de Roussillon, de la succession de Castille et de la succession de Navarre pouvaient-elles suffire à occuper son activité. Les Roussillonnais et les Cerdagnols, en 1462, avaient fait cause commune avec les Catalans, et refusé d'accepter la domination française. Livrés à leurs seules forces, ils furent rapidement soumis : Perpignan capitula le 9 janvier 1463, et Puycerda le 16 juin. Les Perpignanais envoyèrent à Louis XI une ambassade, pour réclamer le maintien de leurs privilèges et protester contre la conquête : le roi de France, leur fut-il répondu, sachant qu'ils étaient alliés aux Catalans, et qu'ils avaient delaissé le roy d'Arragon, leur souverain seigneur, et qu'ilz n'avoient point de seigneur, les a conquis, ainsi que raisonnablement faire le povoit, attendu mesmement qu'ilz estoient sans seigneur. Et, par ce, n'est besoing qu'ilz demandent se le roy est leur seigneur, car, par le moien de ce qu'il les a conquis, il est bien cler qu'il est leur souverain seigneur et qu'ilz sont ses subgietz, sans soy aider d'autres raisons, s'il ne lui plaist[41]. La réponse du roi ne mentionna qu'accessoirement l'engagement pris par Jean II. Louis XI préférait invoquer le droit de conquête, parce qu'il était décidé à ne jamais rendre le Roussillon[42]. Il lui aurait été bien facile de parvenir pacifiquement à ses fins. Il aurait pu gagner ses nouveaux sujets. en ménageant leur esprit d'indépendance ; mais il restreignit leurs libertés, les écrasa de réquisitions, dépouilla de leurs biens un grand nombre de familles. Il aurait pu profiter des embarras du roi d'Aragon, pour lui arracher une cession définitive des deux comtés ; mais il négligea cette précaution, et plus tard, quand il promit son aide au duc de Calabre, il se déclara deppartiz de l'alyance et confederation avec le roy Jehan d'Aragon : ainsi, s'égarant dans les détours de sa tortueuse politique, il dénonça lui-même le pacte par lequel le roi d'Aragon lui avait engagé les comtés. C'est pourquoi, en 1472, au moment où Charles le Téméraire et ses alliés entreprenaient de démembrer la France, un soulèvement éclatait en Roussillon et en Cerdagne ; et Jean II, délivré des Angevins et vainqueur de l'insurrection catalane, entrait dans Perpignan, le 1er février 1473. Pendant deux ans, une aspre et cruelle guerre désola le Roussillon. L'armée française, nourrie avec des vivres envoyés de la frontière, brûlait les blés et saccageait méthodiquement le pays. Faictes le gest, écrivait le roi, en manière qu'il n'y demeure ung seul arbre portant fruit sur bout. Les habitants se défendirent désespérément : on appela le Roussillon le cimitière aux Françoys. Enfin la prise de Perpignan, le 10 mars 1475, termina la lutte. Louis XI chargea Imbert de Batarnay et Boffille de Juge du soin de sa vengeance : il rêvait d'expulsions en masse et de pillages. Ses conseillers eurent la sagesse de lui désobéir. Boffille, muni des pouvoirs d'un vice-roi, administra très habilement le Roussillon et la Cerdagne jusqu'en 1491, et calma peu à peu les habitants. En 1478, Jean d'Aragon fut compris dans le traité de paix que Louis XI signa, le 9 novembre, avec Ferdinand et Isabelle de Castille. La Castille avait été pour Louis XI et Jean II un autre terrain d'intrigues et de luttes. Henri IV, célèbre pour ses infortunes conjugales, n'avait qu'une fille, Jeanne ; les Castillans l'appelaient la Beltraneja, du nom de Beltran de La Cueva, qu'on supposait être son véritable père. En 1468, Henri IV désavoua la Beltraneja : Isabelle, sœur du roi, fut proclamée son héritière. Le mariage d'Isabelle devint une importante question diplomatique, comme le mariage de la fille du Téméraire. En Castille, comme en Bourgogne, Louis XI perdit la partie. La sentence d'arbitrage de 1463 l'avait brouillé avec Henri IV ; Jean d'Aragon circonvint Isabelle, se fit des amis dans la Noblesse castillane, et, lorsque Louis XI envoya à Cordoue le cardinal Jean Jouffroy, un des beaux parleurs de l'époque, évoquer les souvenirs de l'alliance franco-castillane et les exploits de Du Guesclin, il était trop lard : Henri IV se laissa émouvoir, promit de rendre son amitié à la France, mais Isabelle refusa d'écouter le cardinal, et, le 17 octobre 1469, elle épousa Ferdinand, infant d'Aragon. Henri IV, qui s'était opposé vainement à ce mariage, suivit les conseils du roi de France : il annula sa décision de 1468, reconnut la Beltraneja comme son héritière légitime, et Louis XI obtint la main de cette princesse pour le duc de Guyenne, avec lequel il venait de se réconcilier ; mais la révolte de celui-ci fit échouer le projet. A la mort de Henri IV, le 12 décembre 1474, la plupart des Castillans reconnurent pour souverains Ferdinand et Isabelle. Le roi de France joua double jeu : il négocia avec Ferdinand et Isabelle le mariage du dauphin Charles et de leur fille (janvier 1475), sans repousser les sollicitations du roi de Portugal Alphonse V, qui prétendait épouser la Beltraneja et monter avec elle sur le trône de Castille. Il se décida, le 23 septembre 1475, à accorder son alliance au roi de Portugal, et une armée française, commandée par Alain d'Albret, envahit le Guipuscoa ; mais, voyant la cause d'Alphonse V perdue, Louis rappela ses troupes. Les intrigues que, malgré la paix de 1478, il poursuivit jusqu'à la fin de son règne, ne purent empêcher Ferdinand et Isabelle de régner sur la Castille, et, en 1479, à la mort de Jean II, Ferdinand prit sans difficulté la couronne d'Aragon. Les tentatives de Louis XI pour placer la Navarre sous son protectorat ne réussirent d'abord qu'à le brouiller avec le comte de Foix Gaston IV, héritier et lieutenant général de ce royaume. Gaston mourut le 10 juillet 1472, au moment où il commençait à devenir pour Louis XI un vassal dangereux. Il avait été précédé dans la tombe par son fils aîné, de sorte que les domaines de la maison de Foix et l'expectative de la Navarre furent dévolus à un enfant, François-Phœbus, qui avait pour tutrice sa mère Madeleine de France. À la mort de Jean d'Aragon et d'Éléonore (19 janvier et 12 février 1479), le jeune François-Phœbus prit la couronne de Navarre, Madeleine fut régente, et le cardinal Pierre de Foix, qui recevait une pension de Louis XI, gouverna avec elle. Ce petit royaume, dépeuplé et ruiné par l'anarchie féodale, était fatalement destiné à être absorbé par la France ou par la Castille. Ferdinand et Isabelle firent une vigoureuse opposition aux menées du roi de France. Commynes, parlant de l'influence exercée par Louis XI en Espagne, dit très justement qu'une partie de la Navarre faisait ce qu'il voulait. Louis et Ferdinand, en effet, avaient chacun à leurs ordres une des factions navarraises ; quant à la prudente Madeleine, elle usait d'une politique de concessions et d'atermoiements. Le mariage de François-Phœbus, et surtout celui de sa sœur Catherine, qui lui succéda en janvier 1483, furent l'occasion d'âpres luttes diplomatiques. Il s'agissait pour Louis XI d'empêcher que le primogénit d'Aragon ne devint le chef de la maison de Foix. Enfin, peu après l'avènement de Charles VIII, Catherine épousa Jean d'Albret, dont les ancêtres avaient vertueusement servy la couronne de France. Cette victoire posthume de Louis XI et la conquête du Roussillon faisaient dire à Commynes que le nom de son maître était craint en Espagne : il ne pouvait prévoir que ces avantages seraient éphémères et ne compenseraient point le danger de l'unité espagnole, ni que le mariage de Ferdinand et d'Isabelle, aggravé par le mariage de Maximilien et de Marie de Bourgogne, allait compromettre pour de longs siècles la sécurité de la France et la paix de la Chrétienté. Louis XI, toute sa vie, s'intéressa aux affaires d'Italie, se renseigna sur l'imbroglio des négociations, des alliances et des guerres locales qui tour à tour apaisaient et agitaient la péninsule ; son abondante correspondance avec ces tyrans d'outre-monts auxquels il ressemblait à tant d'égards, nous montre quel plaisir il prenait à débrouiller l'écheveau de leurs ruses savantes et à exploiter leurs discordes. Mais il évita les aventures et se contenta d'une action diplomatique constante, qui lui assura finalement en Italie le rôle de protecteur et d'arbitre. Au début de son règne, il est vrai, on le crut décidé à une politique d'annexion : il entreprit de reprendre Gênes ; mais, dés 1463, il abandonna ses droits à son très cher ami François Sforza. Il essaya même d'évincer d'Asti la maison d'Orléans, au profit du même duc de Milan, et, si les nécessités de la lutte qu'il soutenait en France contre les féodaux rebelles, et en Espagne contre la maison d'Aragon, l'obligèrent à ménager les prétentions des Angevins sur Naples, il manœuvra du moins de façon à ne pas leur fournir de soldats. Seule peut-être la Savoie tenta sa soif de conquête. Son union avec la fille du duc Louis, le mariage de sa sœur, Yolande de France, avec l'héritier présomptif Amédée, le très petit et mauvaiz gouvernement de son beau-père. et les tentatives de ses beaux-frères, surtout du remuant Philippe de Bresse, pour s'emparer du pouvoir[43], lui fournirent des prétextes d'intervention continuelle : il tint même Philippe enfermé pendant deux ans au château de Loches (1464-1466). Puis ce fut la régence troublée de Yolande de France, qui gouverna pendant la maladie de son mari, l'épileptique Amédée IX, et pendant la minorité de son fils Philibert Ier. On dit, déclarait Louis à des envoyés suisses en 1463, que je quiers avoir la seigneurie et dominacion de la maison de Savoye, ce qui n'est point ne que onques ne pensay, combien que ce fust esté et sereit à moy legière (facile) chose de faire, reu que j'ay à moy les plus principaulz barons de Savoye, mais je n'y vois point ne n'y entens d'aller, senon en bonne foy. On sait ce qu'il faut penser de la bonne foi de Louis XI. Ce furent sans doute les périls de sa lutte contre le Téméraire, et aussi la fermeté virile de Yolande de France, qui sauvèrent l'indépendance de la Savoie. Les succès de Charles le Téméraire, de 1468 à 1475, diminuèrent le prestige de Louis XI en Italie. Venise, que le roi de France s'était aliénée en cédant Gènes aux Sforza, empêcha que son nom ne figurât dans la Ligue conclue le 17 juin 1468 pour maintenir la paix dans la péninsule, et elle s'attira ainsi une guerre maritime ; elle prit une revanche platonique des dommages immenses causés à sa marine marchande par les corsaires français, en permettant au duc de Bourgogne de l'inscrire, sur le papier, parmi ses alliés. Le successeur de François Sforza, l'hypocrite Galéas, que Louis XI avait efficacement protégé contre la jalousie de Venise, traita, comme on l'a vu, avec le Téméraire, tout en assurant le roi de France de sa bonne et loyalle amour. Le roi de Naples, Ferdinand, un autre maitre fourbe, louvoya entre les deux adversaires ; il cherchait, écrivait-il, tel moyen que l'une des parties fût satisfaite sans que pour cela nous déplussions à l'autre. Yolande de France, inquiète des incursions des Suisses et de la faveur que son frère témoignait maintenant à Philippe de Bresse, fit appel au duc de Bourgogne, et ce fut en allant lui porter secours que Charles le Téméraire fut battu à Grandson. Dès qu'il fut vaincu, les princes italiens ne cherchèrent plus que le moyen de l'abandonner. Yolande, qui estoit tres saige et vraye seur du roy, fut la première à briguer l'amitié de Louis XI ; brutalement, Charles le Téméraire la fit enlever (27 juin 1476). Louis XI, décidé à employer toutes ses forces à la conquête des domaines bourguignons, se montra généreux, délivra sa sœur et se contenta de railler Madame de la Bourgongne. Sans annexer la Savoie, il y parla désormais en maître. À Milan, de même, après l'assassinat du tyran Galéas, et pendant la minorité de Jean-Galéas, Louis XI prit la haute main sur le gouvernement, et, espérant, à tort du reste, trouver dans le frère de Galéas, Ludovic le More, un instrument docile de la politique française, il favorisa la révolution qui, en 1479, porta Ludovic à la régence. De tous les princes italiens, les Médicis avaient été les plus fidèles à l'alliance de Louis XI. Les Florentins, disait le roi, se sont tousjours monstrez et exhibez vrayz et loyaulx François. Une crise terrible que leur république traversa, de 148 à 1480, acheva de faire d'eux les clients de la France. Le pape Sixte IV, ayant à se venger de Julien et de Laurent de Médicis, favorisa une conspiration tramée contre eux par la famille des Pazzi : le 26 avril 1478, Julien fut tué dans la cathédrale de Florence ; mais Laurent échappa aux meurtriers, qui furent massacrés : un des conjurés, l'archevêque Salviati, fut pendu le jour même, dans ses habits sacerdotaux. Le pape en prit prétexte pour lancer sur la Toscane ses condottières et ceux de son allié le roi de Naples. Ce fut en vain que Louis XI le menaça de la convocation d'un Concile œcuménique, et réunit un Concile gallican à Orléans : Sixte IV mettait pour condition à la paix l'exil de Laurent. Enfin le roi vint à bout de son obstination, en réconciliant Naples et Florence, et il sauva la maison de Médicis sans envoyer en Italie un soldat. Ses ambassadeurs déclaraient que la Monarchie de la religion chrétienne consistait véritablement en sa personne. Il tenait en effet en Italie le rôle d'arbitre qu'y avait joué autrefois l'empereur, et, malgré les protestations de Frédéric III et de Maximilien. il le conserva : jusqu'aux derniers moments de sa vie, son château du Plessis fut assiégé par des ambassades venues d'outre-monts. Il avait tracé le programme rationnel de l'action française au delà des Alpes : c'était la politique du bon sens, celle que ses successeurs auraient dû suivre. |
[1] SOURCES ET OUVRAGES À CONSULTER. On trouvera des indications bibliographiques dans Pirenne, Bibliographie de l'histoire de Belgique, 2e édition, 1902, et dans Toutey (voir plus bas). Principales sources pour la politique de Louis XI : outre Commynes et Jean de Roye, Chronique de Jean Molinet, dans Buchon, Chroniques nationales françaises, t. XLIII, 1827 ; Lettres de Louis XI, t. V et VI, 1895-1898 ; Commynes-Lenglet, t. III, 1747 ; De Gingins La Sarre, Dépêches des ambassadeurs milanais sur les campagnes de Charles le Hardi, 1858. Travaux d'ensemble : J. Foster Kirk, History of Charles the Bold, t. II et III, 1863-1868 (le t. III n'a pas été traduit par Flor O'Squarr). E. A. Freeman, Select historical essays, 1873. P. Henrard, Appréciation du règne de Charles le Téméraire, Mém. couronnés par l'Acad. de Belgique, t. XXIV, 1875. E. Toutey, Charles le Téméraire et la Ligue de Constance, 1902. Nous indiquerons les travaux spéciaux les plus importants ; il en parait chaque année de nouveaux.
[2] Charles le Téméraire, accentuant les prétentions paternelles, déclarait aux députés des États de Flandre que son autorité était d'origine surnaturelle, et leur conseillait de lire le Livre des Rois, en la Bible, où, par motz exprès, Dieu a designé et declairé le povoir des princes sur leurs subgectz.
[3] Il était stipulé dans le traité de Péronne que, si le roi n'en observait pas les clauses, les fiefs français du duc de Bourgogne appartiendraient désormais à celui-ci sans obligation d'hommage. — Sur l'œuvre de centralisation de Charles le Téméraire, voir Eug. Lameere, Le Grand Conseil des ducs de Bourgogne, 1900 ; H. Pirenne, Hist. de Belgique, t. II (sous presse).
[4] Sur sa tentative pour s'emparer de la Provence, voir plus loin. Tous les rêves, il les fit. Un jour, il déclarait avoir des droits sur le trône d'Angleterre.
[5] Adolphe, arrêté en 1471, ne recouvra sa liberté qu'après la mort du Téméraire.
[6] Cette seigneurie correspondait à peu près à notre ancien département du Haut-Rhin.
[7] Sur ces contrats et la politique de Sigismond, voir l'ouvrage de L. Stouff, cité.
[8] Il écrivait en 1471 au gouverneur de Roussillon, chargé d'une mission en Savoie : Vous savez que les Souysses sont vaillans gens, et y estiez quand je les combati. Sa vous sentiez qu'ilz venissent, je vous prie que vous n'aiez point de honte de faire retirer mes gens (Lettres, t IV. p 278-279).
[9] N. Witte, Zur Gesehichte der
Enlstehung der Burgunderkriege, Herzog Sigmunds Bezichungen zu den Eidgenossen
und zu Kart dem Kühnen, 1885.
[10] Depuis longtemps, il suivait attentivement les événements d'Allemagne, et, comme son père, se ménageait des amitiés parmi les princes du Rhin. Voir ses Lettres, t. III, p. 104 ; t. IV, p. 150 ; t. V, p. 143.
[11] K. Schellhass, Zur Trierer Zusammenkunft im Jahre 1473, Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, ann. 1891, t. II. F. Lindner, Die Zusammenkunft Friedrich III mit dem Kühnen zu Trier, 1894. A. Bachmann, Deutsche Reichsgeschichte im Zeitalter Friedrich III und Max I, t. II, 1894, chap. XVIII.
[12] Ch. Nerlinger, Pierre de Hagenbach et la domination bourguignonne en Alsace, 1891 ; cf. la Bibliographie des œuvres de cet érudit, Biblioth. de l'École des Chartes, 1899, p. 642. Travaux de H. Witte, dans la Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, nouv. série, t. I, II, VI à VIII, X, 1886-1895, et dans le Jahrbuch der Gesellschaft für Lothringische Geschichte, t. II à IV, 1890-1892.
[13] H. Diemar, Die Entstehung des Deutschen Reichskriegs gegen Herzog Karl den Kähnen, 1896. F. Schmitt, Der Neusser Krieg, 1896.
[14] C'est ainsi que les Suisses désignaient les sujets du duc de Bourgogne. Est-il nécessaire d'ajouter qu'il ne s'agissait point d'une haine de races ? Les historiens allemands ont représenté les guerres de Bourgogne comme un grand conflit entre les Germains et les Français. Le caractère cosmopolite des États de Charles le Téméraire, qui reniait sa qualité de Français, et les éléments si bigarrés des deux coalitions, infirment d'avance une pareille théorie.
[15] Dès 1466, Louis XI s'était attaché la famille des Diesbach. Louis de Diesbach, cousin de Nicolas et page de Louis XI, nous a laissé de curieux témoignages de l'attachement des siens au roi de France. Voir ses Mémoires, édit. Max de Diesbach, 1902. Les délégués des Cantons, réunis à Zurich en 1471, déclaraient naïvement, en remerciant Louis XI de ses bienfaits, que les Diesbach devaient maintenant être considérés comme appartenant au roi d'abord, aux Suisses en second lieu. Louis XI, cette année-là, avait fait distribuer 3.000 livres aux Suisses affin qu'ils soyent plus enclins à nous faire service.
[16] Deportemens des Françoys et Allemands, tant envers la duché que comté de Bourgoingne, Mém. et docum. publ. par l'Acad. de Besançon, t. VII, 1876. Pierre le Prestre, Chronique, édit. De Belleval, Mém. de la Soc. d'émul. d'Abbeville, 3e série, t. II, 1876 (Rédaction abrégée, sous le titre de : Hist. de Charles, dernier duc de Bourgogne, en appendice à Wavrin, édit. de Mlle Dupont, t. III, 1863). — V. de Beauvillé, Hist. de Montdidier, t. I, 1875.
[17]
Ouvrages de J.-H. Ramsay et G. Périnelle, cités. J. Gairdner, Richard the third, nouv.
édit., 1898.
[18] C. Cagé, Le comte de Saint-Pol, Posit. des thèses de l'École des Chartes, 1885. Documents publiés par Devillers, Séances de la Commission royale d'hist. de Belgique, 1890.
[19] Pour François II et Nemours, travaux d'Ant. Dupuy et de B. de Mandrot, cités. P.-M. Perret, Louis Malet de Graville, 1889. De La Mure, Histoire des ducs de Bourbon, édit. Chantelauze, t. II, 1868. Lecoy de La Marche, Le roi René, t. I, 1875.
[20] Des gens de Dijon étaient poursuivis en justice pour avoir insulté le duc et ses officiers. Sur le pont de Montereau, avait dit un d'eux, Tanneguy du Chastel a fait l'office de bon chevalier (Rossignol, Hist. de la Bourgogne pendant la période monarchique, 1863. p. 20.) Sur le despotisme de Charles le Téméraire, voir Paul Frédéricq, Essai sur le rôle politique et social des ducs de Bourgogne dans les Pays-Bas, 1875.
[21] Sur Charles le Téméraire, Louis XI et les Suisses : K. Dändliker, Ursachen und Vorspiel der Burgunderkriege, 1878 : cf. l'article de P. Vaucher, Rev. historique, t. III, 1877. Ouvrages de B. de Mandrot et de Dierauer, cités. Delbrück, Die Perserkriege und die Burgunderkriege, 1887. Notes de D. de Mandrot dans son édition de Jean de Roye, t. II, 1896.
[22] Un récit de la bataille de Nancy, composé quelques jours après l'événement, a été publié par J. Meyer dans l'Alemannis, t. X, 1882. — Max Laux, Ueber die Schlacht bei Nancy, 1895. Pfister, Histoire de Nancy, t. I, 1902.
[23] SOURCES. Commynes, édit. B. de Mandrot, t. I, 1902 ; édit. Mlle Dupont, t. II, 1843. Molinet, édit. Buchon, Chron. nationales françaises, t. XLIV, 1828. Jean de Roye, édit. B. de Mandrot, t. II, 1898. Th. Basin, édit. Quicherat, t. III, 1857. Olivier de La Marche, édit. Beaune et d'Arbaumont, t. III, 1885. Jean de Haynin, édit. Chalon, t. II, 1842. Gérard Robert, Journal, Pièces publ. par l'Acad. d'Arras, t. I, 1852. Pierre le Prestre, Chronique, édit. De Belleval, Mém. de la Soc. d'émul. d'Abbeville, 3e série, t. II, 1878. Deportemens des Françoys et Allemands, Mémoires et doc. publ. par l'Acad. de Besançon, t. VII, 1876. Robert Gaguin, Annales, édit. de 1522. — Lettres de Louis XI, t. VI à VIII, 1898-1902. Commynes-Lenglet, t. III et IV, 1747. Kervyn de Lettenhove, Lettres et négoc. de Philippe de Commynes, t. I, 1867. Docum. publiés par le continuateur de Dom Plancher, Hist. de Bourgogne, t. IV, 1781 ; par Vayssière, Bull. de la Soc. d'Agric. de Poligny, t. XVIII, 1877 ; par De La Trémoille, Arch. d'un serviteur de Louis XI, 1888.
OUVRAGES À CONSULTER. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, t. V, 1850. Cl. Rossignol, Hist. de la Bourgogne pendant la période monarchique ; conquête de la Bourgogne après le mort de Charles le Téméraire, 1853. De Charmasse, Notes sur la guerre du Charolais, Mém. de la Soc. Éduenne, Nouv. série, t. X, 1881. Sur la conquête de la Franche-Comté, travaux d'Édouard Clerc, Mém. de l'Acad. de Besançon, années 1843, 1873 et 1883 ; du même, Les États généraux en Franche-Comté, t. I, 1881 ; X. Mossmann, Bull. de la Soc. industr. de Mulhouse, t. XLII, 1872 ; Beaune et d'Arbaumont, Les Universités de Franche-Comté, 1870. Ouvrages de B. de Mandrot, H. Sée, Ch. de la Roncière, Toutey, cités.
[24] R. Maag, Die Freigrafschaft Burgund
und ihre Bezichungen zu der Schweizerischen Eidgenossenschaft (1477-1678),
1891.
[25] A. De Ridder, Les droits de Charles-Quint au duché de Bourgogne, Travaux publiés par la conférence d'Histoire de l'Université de Louvain, fascicule III, 1890.
[26] Texte cité par H. Sée, Louis XI et les villes, 1891, p. 25
[27] Texte publié par Bonnassieux, Bibl. de l'École des Chartes, 1876, p. 59.
[28] Les États du duché de Bourgogne avaient accepté l'ultimatum de Louis XI à la fin de mois de janvier 1477. Les États de Franche-Comté avaient passé leur traictié avec le roi le 28 février. Dès la fin de février, toute la Franche-Comté se souleva. Au printemps, la noblesse du Charolais prit les armes, et, le 25 juin. les gens des faubourgs de Dijon tuèrent Jean Jouard, ancien président du conseil ducal, qui avait passé au service du roi.
[29] Sur Simon de Quingey : Mémoire de A. Salmon, Bibl. de l'École des Chartes, 3e série, t. IV, 1853 ; Dr Giraudet, Documents sur les prisonniers de Louis XI à Tours, Bull. de la Soc. archéolog. de Touraine, t. III, 1877.
[30] Abbé Henry Dubrulle, Cambrai au moyen âge (thèse, sous presse).
[31] Sur Louis XI et Arras : Travaux de l'abbé Proyart, A. Laroche, Boutiot, dans les Mémoires de l'Acad. d'Arras, t. XXXV (1863), XXXVII (1865), 2e série, t. I (1887). Paul Lachèse, Mém. de la Soc. des Sciences d'Angers, nouv. période, t. IX, 1886. A.-J. Paris, Louis XI et la ville d'Arras, 1868. Desplanque, Rev. des Quest. hist., t. VI, 1869. Brossier-Geray, Bull. de la Soc. Dunoise, t. V, 1885-1887. Pièces relatives à Jean de Doyat, Mém. de l'Acad. de Clermont-Ferrand, t. XXIX, 1887. H. Poullain, Orléans de 1461 à 1488, 1888. Tranchau, Bull. de la Soc. archéolog. de l'Orléanais, t. IX, 1887-1890.
[32] Sur le procès de Hugonet et de Humbercourt : Gachard, Bull. de l'Acad. des Sciences de Bruxelles, t. VI, 1839 ; Ch. Paillard, Mém. de l'Acad. royale de Belgique, t. XXXI, 1881. — K. Rausch, Die Burgundische Heiral Maximilians I, 1880.
[33] Le roi d'Angleterre aurait pu jeter son épée dans la balance. Il en était sollicité par les deux partis. Il désirait empêcher Louis XI de mettre la main sur la Flandre, mais il tenait aussi à la pension qu'il recevait chaque année depuis le traité de Picquigny. À force d'intrigues, le roi de France le réduisit à la neutralité : dans l'été de 1482, les deux rois signèrent une trêve valable durant leur vie et ung an après le premier decedant. Voir W. Webster, An anknown treaty between Edward IV and Louis XI, English historical Review, 1897, p. 521. Lettres de Louis XI, t. VII. p. 57 et 253, et t. VIII, p. 49, 193, 231 ; et une lettre d'Édouard IV analysée dans la Bibl. de l'École des Chartes, 1893, p. 415. Sur un projet de lord Hastings pour s'emparer de Boulogne, voir une Enquête, publiée par le chanoine Haigneré dans les Mém. de la Soc. Acad. de Boulogne-sur-Mer, t. XVII, 1895-1896, p. 421-428. Cf. le travail cité de G. Périnelle.
[34] P. M. Perret, Annuaire-Bull. de la Soc. de l'Hist. de France, 1891, p. 193 et suiv.
[35] Le dauphin était déjà fiancé à la fille d'Édouard IV. Le roi d'Angleterre se fâcha et commença des préparatifs de guerre ; mais la mort l'enleva le 9 avril 1483.
[36] SOURCES. Elles sont indiquées dans les ouvrages cités ci-dessous de J. Calmette, P. Boissonade, P.-M. Perret.
OUVRAGES À CONSULTER. Affairas d'Espagne : outre les ouvrages de G. Danmet. De La Roncière, H. Courteault (très utile), Desdevises du Dézert, Lecoy de La Marche, H. Sée, B. de Mandrot : J. Calmette, Louis XI, Jean II et la révolution catalane (sous presse. Travail neuf et important). P. Vidal, Histoire de Perpignan, 1897. F. Pasquier, La domination française en Cerdagne sous Louis XI, Bulletin historique et philologique, 1895. P. M. Perret, Boffille de Juge, Annales du Midi, 1891. P. Boissonade, Histoire de la réunion de la Navarre à la Castille, 1893. J.-C. Tauzin, Louis XI et la Gascogne, Rev. des Quest. hist., t. LIX, 1896. Ch. Fierville, Le cardinal Jean Jouffroy et son temps, 1874. — Affaires : excellent exposé et abondante bibliographie dans P.-M. Perret, Histoire des relations de la France avec Venise, 1896. Outre les ouvrages de Cipolla, Buser, Delaborde, De Maulde, Lecoy de La Marche, De La Roncière, Pastor (t. IV), on lira encore avec profit Huillard-Bréholles, Louis XI protecteur de la confédération italienne, Rev. des Soc. sav., 2e série, I. V, 1861. Le Mémoire sur la politique extérieure de Louis XI et sur ses rapports avec l'Italie, par Desjardins, Mém. de l'Acad. des Inscr., t. VIII, 2e partie, est vieilli.
[37] Le traité de Barcelone (1455) déshérita don Carlos et sa sœur Blanche, au profit de leur sœur cadette Éléonore, comtesse de Fois, qui devait avoir, avec son mari Gaston IV, la couronne de Navarre, à la mort de Jean d'Aragon.
[38] Rapport d'un agent du dauphin, publié par J. Calmette, Documents relatifs à don Carlos de Viane, Mél. de l'École de Rome, t. XXI, 1901, p. 469.
[39] Cf. Brutails, Condition des populations rurales du Roussillon, 1892, Introduction et p. 267.
[40] Traités d'Olite (12 avril 1462) pour la question de Navarre, de Bayonne (9 mai) sur la question de Roussillon (Calmette, La question du Roussillon, Annales du Midi). L'armée promise par Louis XI franchit les Pyrénées le 22 juillet.
[41] Vaesen, Du droit d'occupation d'une terre sans seigneur, Rev. d'Histoire diplomatique, t. I, 1887.
[42] Il déclara aussi la Cerdagne annexée à la couronne de France, en 1463. Selon M. Pasquier, il aurait suivi envers les Cerdagnols une politique habile et libérale. M. Calmette conteste ces conclusions.
[43] Sur l'anarchie de la Savoie au début du règne de Louis XI, voir principalement les Chroniques de Yolande de France, documents édités par L. Ménabrès, 1859 (publication de l'Acad. royale de Savoie, documents, t. I), et Fr. Mugnier, Orgueil féodal, Guy de Feysigny et Jacques de Montmayeur, 1894.