I. — MORT DE CHARLES VII ET AVÈNEMENT DE LOUIS XI[2]. CHARLES VII eut une fin douloureuse. Établi à Genappe, le dauphin garda son attitude équivoque et méchante d'héritier impatient d'hériter, et qui contrecarre toutes les volontés paternelles. En Italie, il se déclara partisan de Ferdinand d'Aragon contre la maison d'Anjou, et de Sforza contre la maison d'Orléans ; il se réjouit de voir les troupes de Charles VII chassées une seconde fois de Gènes. En Espagne, il conclut un traité d'alliance avec don Carlos, parce que Charles VII soutenait Jean II. En Angleterre, il se prononça pour la maison d'York, parce que Charles VII était favorable au parti de Henry de Lancastre et de Marguerite d'Anjou ; il apprit avec une vive satisfaction la chute de Henry VI et l'avènement d'Édouard d'York (4 mars 1461) et s'unit au duc de Bourgogne pour presser le nouveau roi d'envahir la France. Il entretenait de mystérieuses relations avec certains seigneurs et princes de l'Empire, et se faisait adresser des rapports secrets par les agents mêmes que Charles VII envoyait en Allemagne. En même temps, il écrivait, comme héritier du trône, aux Conseillers du Parlement de Paris et de la Chambre des Comptes, et aux bourgeois des bonnes villes de France, qui en étaient tout ébahis et embarrassés ; comme dauphin, il prétendait donner des ordres au Parlement de Grenoble. Eut-il sa part dans les intrigues de cour et les conspirations incessantes qui troublèrent les dernières années du règne de son père ? On n'en a point la preuve. II est certain du moins qu'il réussit à se concilier une partie de l'entourage de Charles VII. D'autres conseillers, restés fidèles au roi, songeaient avec inquiétude au sort qui les attendait, et quelques-uns disaient tout bas que l'intérêt de la couronne serait que Louis fût déshérité au profit de Charles, son frère cadet. Charles VII n'écouta point ces insinuations. Il espérait vaincre l'obstination du dauphin. Mais celui-ci ne voulait retourner en France que roi. Il savait que son père ne vivrait pas vieux. Depuis 1457, lui attribuoit-on mal incurable en une jambe, qui tondis (toujours) couloit et rendoit macères incessamment. Le dauphin, qu'on voyait, dit Chastellain, languir en l'expectation de l'heure promise, avait des espions qui le renseignaient sur les progrès de la maladie, et obtenait d'astrologues bien payés l'assurance que le roi n'en pourroit eschapper sans mort. Au mois de juillet 1461, Charles VII eut un phlegmon dans la bouche, et probablement aussi un ramollissement cérébral. Il mourut le 22 juillet, convaincu que son fils l'avait fait empoisonner. Le médecin Adam Fumée, qui fut arrêté et emprisonné au cours de la maladie du roi, allait faire sous le règne de Louis XI une brillante fortune ; il faut seulement en conclure qu'il était un des agents d'information du dauphin. Les soupçons qu'inspira l'attitude d'Adam Fumée furent sans aucun doute dénués de fondement : les hommes de ce temps-là voyaient des empoisonnements partout. Ce ne fut pas la seule fois que Louis XI, par son cynisme, son habitude de tout épier, son impatience d'apprendre la mort de ceux qui le gênaient, donna prise à la calomnie. Dès le 17 juillet, les conseillers présents à la cour avaient averti le dauphin de l'état désespéré du roi. Aussitôt Louis quitta Genappe, s'établit près de la frontière, à Avesnes, et ordonna à ses fidèles de se tenir prêts à le rejoindre en Champagne. Il ne savait point quel accueil il recevrait en France. Philippe le Bon, qui ne demandait pas mieux que d'agir en protecteur, leva, pour l'accompagner, une armée terrible et merveilleusement grande. Mais dès que Charles VII fut mort, Louis XI vit accourir à Avesnes le duc de Bourbon, nombre de seigneurs et de prélats, les délégués du Parlement et de l'Université de Paris, et quantité de capitaines et de possesseurs d'offices ; et ce fut un défilé de gens arrivant à cheval, en chariot, en litière, qui venaient lui faire obéissance. Rassuré, Louis XI pria Philippe le Bon d'amener seulement quatre mille cavaliers. Il partit pour Reims dans les premiers jours du mois d'août, car il frioit et ardoit de tirer avant. Les fêtes du couronnement furent splendides. La prodigalité de Philippe le Bon en fit tous les frais : ce fut comme l'apothéose du duc de Bourgogne. Le 13 août, tandis que Louis XI se tenait aux environs de Reims, dans l'abbaye de Saint-Thierry, le duc entra dans la ville du sacre ; sur l'ordre envoyé par Louis, qui se faisait tout humble devant son bel oncle, l'archevêque et les magistrats de la cité apportèrent à Philippe le Bon les clefs de la ville. Il amenait cent quarante chariots, remplis d'or monnayé, de vaisselle précieuse et de vins de Bourgogne, et des troupeaux de bœufs et de moutons, destinés aux banquets, car le roy, à toute ceste solennelle celebration, n'avoit ne parement de vaisselle, ne d'autre chose, sinon de ce que son oncle, le duc de Bourgongne, lui bailla et delivra. Le lendemain, Philippe alla chercher le roi ; les seigneurs bourguignons avaient des costumes de drap d'or et d'argent, des selles ferrées d'or, et des chaînes d'or en guise de brides. Le 15 août, Louis fut sacré. Philipe le Bon dirigea la cérémonie, comme doyen des pairs de France, et posa la couronne sur la tête du nouveau roi. A Paris, comme à Reims, Louis XI laissa le duc entrer quelques jours avant lui. Philippe le Bon en sortit, pour y rentrer avec le roi, le 3I août. Le grand duc d'Occident, qui, disait-on, portait un habit de 400.000 écus, et les fastueux seigneurs de sa suite absorbèrent l'attention du public. Dans le quartier des halles, la corporation des bouchers, fameuse autrefois par sa ferveur bourguignonne, ne put retenir ses transports de joie : O franqs et noble duc de Bourgogne, criait un d'eux, vous soyez le bien venu en la ville de Paris ; y a longtemps que vous n'y fustes, combien qu'on vous y ait moult desiré. Pendant un mois et demi, Philippe combla les Parisiens de tètes, de tournois et de cadeaux ; les bourgeois défilaient dans son hôtel, bouche bée, admirant la grande sale toute tendue de tappisserye de haulte lice ouvrée de fil d'or, touchant le mistère de Gedeon, ou bien l'immense tente de velours noir brodé, apportée dans les bagages du duc, et qui comprenait une chambre, une garde-robe, un oratoire et une chapelle. L'historiographe ducal, Georges Chastellain, célébra ces journées dans une Allégorie mystique sur les pasteurs allant à Bethléem : Marie, dit-il, c'est la maison de France ; Bethléem, c'est Paris ; Joseph, c'est le duc de Bourgongne, conservateur de l'enfant, lequel, comme serviteur humble de sa dignité, l'a administré lealment et l'a logié ès entrailles de son cœur. Mais l'enfant était né ingrat : la déconvenue des Bourguignons fut rapide. Ce roy Loys, saillant de mendicité en plenitude de souhait, sans terme entre deux , montra tout de suite qu'il voulait être le maître chez lui, et, très poliment, il refusa de donner des offices aux candidats que patronnait le bon duc. Monseigneur, demandait-on à Philippe, comment vous est-il de Paris ? comment vous y plaist-il ? — Je ne sçay, dist lors le duc. Il m'y plaist si bien que j'en voudroye estre dehors. Et il s'en alla, le 30 septembre. Dès le 24, Louis XI était parti pour la Touraine, impatient de régner. II. — LOUIS XI ET SON ENTOURAGE[3]. LOUIS XI, à son avènement, avait trente-huit ans. Fils du chétif Charles VII, petit-fils du fou Charles VI, arrière-petit-fils du pâle et maladif Charles V, le nouveau roi avait un aspect disgracieux et débile. Son visage, où brillaient des yeux perçants, était enlaidi par un nez bossué, démesurément long. Ses jambes étaient grêles et déformées, sa démarche embarrassée. Il s'habillait très simplement et se coiffait d'un mauvais chapeau de pèlerin, orné seulement d'une médaille sainte en plomb. Comme il entrait à Abbeville, en compagnie du fastueux Philippe le Bon, les simples gens qui jamais n'avoient vu le roy, raconte Chastellain, s'esmerveillèrent tous de son estre et dirent tout haut : Benedicite ! et est-ce là un roy de France, le plus grand roy du monde ? Tout ne vaut pas vingt francs, cheval et habillement de son corps. Dans sa vie privée, il ne recherchait que ses aises : il ne voulut point habiter le Louvre, et fit aménager pour lui à Paris l'hôtel des Tournelles. Mais il demeura de préférence en Touraine, à Amboise, ou dans le château fortifié, d'ailleurs vaste et de riant aspect, qu'il fit construire près de Tours, au Plessis. Il prit des précautions minutieuses pour faire du Plessis-lès-Tours une résidence sûre, saine et agréable. Louis XI, du reste, ne faisait nulle part de bien longs séjours. Le médecin astrologue Choinet, qui composa sur son ordre le traité du Rosier des Guerres, écrivait : Le prince doit penser de l'estat de son peuple et le visiter aussi souvent comme ung bon jardinier fait son jardin. Ce fut là un des principes de conduite de Louis XI, qui voulait avoir cognoissance de tout et de tous. Ses lettres, ses comptes, les chroniques, les dépêches des ambassadeurs italiens, le montrent en perpétuel voyage. Il part au lever du soleil, avec cinq ou six intimes, luy et ses compagnons habillés de gros draps gris, rudement, en manière de pèlerins ; les archers et les bagages suivent à distance. Il est monté sur une bonne mulle qui voise (chemine) bien doulx, ou encore il voyage en bateau. Il interdit qu'on le suive, et souvent il ordonne de fermer les portes de la ville qu'il quitte, ou de rompre un pont derrière lui. Les ambassadeurs qui ont ordre de le voir à tout prix doivent quelquefois traverser la France avant d'obtenir un entretien, à moins qu'il n'ait intérêt à leur parler. Il lui arrive de leur accorder audience en une petite cabane de paysan fort misérable. Dans les villes où il passe, il loge chez un bourgeois ou un fonctionnaire. Pour éviter les harangues et les réceptions, il arrive à l'improviste, par quelque petite ruelle. S'il lui faut subir une entrée solennelle, il demande au moins à n'estre pas reçu trop grandement. La ville de Tours fit de longs préparatifs pour fêter sa première visite, et le peintre Fouquet fut chargé de présenter un devis ; mais, au bailli de Touraine, qui s'informait si le roi auroit bien pour agreables des représentations de mystères, Louis XI répondit que non, et qu'il n'y prenoit nul plaisir[4]. Jamais prince ne montra telle aversion pour les cérémonies, les bals, les banquets et les tournois. À sa cour, les jeunes gens et les dames s'ennuyaient à mourir. Il ne commandait de fêtes que s'il voulait faire grand accueil à un prince ou bien à une ambassade. Ses plaisirs étaient ceux d'un petit gentilhomme. Il dînait volontiers hors de chez lui : l'ambassadeur Cagnola raconte, avec quelque surprise, qu'il a vu le roi, à Tours, manger, après la messe, dans une taverne de la place du Marché, à l'enseigne de Saint-Martin. Il s'invitait aussi, et très fréquemment, chez ses amis, presque toujours de petits nobles ou des bourgeois, comme son panetier Denis Hesselin, le receveur Jean Arnoulfin, les conseillers Guillaume de Corbie et Étienne Chevalier, ou Jean Luillier, clerc de la ville de Paris. Là, en joyeuse société, assis entre de jolies bourgeoises,- il buvait sec et faisait de grasses plaisanteries, car il aimait la gaillardise, et ses lettres témoignent de la liberté de son langage. Il parlait aux femmes et parlait d'elles sans ménagement, n'épargnant ni sa sœur, ni sa mère, ni la reine. Louis XI, qu'on a représenté bien à tort comme un avare, eut pour la chasse et les animaux un goût ruineux. Il fit des dépenses énormes pour entretenir du gibier dans ses forêts, et pour peuples ses chenils et ses volières. Procurer au roi de France un chien ou us oiseau d'espèce rare fut un moyen diplomatique, et, partout où il séjournait, il fallait supporter multitude de chiens couchans et oiseaux, gastans les lits et les honnestes mesnages des bonnes gens. sans en oser rien dire. Je crois, dit Commynes, que si tous les bons jours qu'il a euz en sa vie, ès quelz il a eu plus de joye et de plaisir que de travail et d'ennuy, estoient bien nombrez, qu'il s'y en trouveroit bien peu ; et croy qu'il s'y en trouveroit bien vingt de peine et de travail contre ung de plaisir et d'ayse. Louis XI en effet fut un roi passionné pow ton métier, un travailleur merveilleusement actif et méthodique. Il passa la plus grande partie de sa vie à s'informer, à voir lui-même les choses et les gens, puis à imaginer des combinaisons politiques, à donner des ordres et dicter des lettres. Il avait un service d'espions, des dossiers où il conservait tous les papiers secrets qu'ils avaient découverts ou volés ; c'est à son désir d'être rapidement renseigné qu'est due la fameuse ordonnance de 1464, par laquelle il organisa le service des postes royales. Il avouait qu'il était curieux comme une femme : Mon frère, écrivait-il à Olivier de Coëtivy, je suys de la nature des femmes : quant l'on me dit quelque chose en termes obscurs, je veulx savoir incontinent que c'est. Commynes dit de son côté : Nul homme ne presta jamais tant l'oreille aux gens ny ne se enquist de tant de choses, comme il faisoit, ny ne voulut congnoistre tant de gens. D'ailleurs sa memoire estoit si grande qu'il retenoit toutes choses. Ainsi renseigné, il prétendit tout diriger dans son royaume, se mêler de tout, même des menues choses, et rongier en leur puissance ses voisins. Il avait une ambition démesurée, et son imagination, sans cesse en travail, altérait parfois ce sens naturel qui n'était pas toujours aussi parfaictement bon que l'assure Commynes. Sa politique, à force d'être fertile en combinaisons, eut souvent des allures capricieuses et brouillonnes. Sa subtilité même le rendait parfois hésitant, craintif à entreprendre, ou versatile. En revanche, nul ne savait mieux soy tirer d'ung maulvais pas, en temps d'adversité. S'il s était trompé, il s'en apercevait vite, et avait l'art de reculer pour saillir plus loin. Jamais il ne s'entêta par orgueil : il disoit que quant orgueil chevauche devant, que honte et dommaige le suyvent bien près ; et de ce pechié n'estoit-il point empesché. Il se plaisait aux intrigues et aux praticques. Il s'entendait admirablement à brouiller ses adversaires, à leur susciter mille obstacles, et puis à adoucir leurs rancunes, à obtenir d'eux une trêve au moment voulu, ou bien une bonne paix. Ce roi, qui trouva moyen d'éviter toute guerre sérieuse avec les Anglais, de réconcilier Marguerite d'Anjou avec Warwick et les Suisses avec Sigismond d'Autriche, était vraiment un habile homme. Il avait un pouvoir de séduction dont il était conscient, et il cherchait à mener lui-même, autant que possible, ses négociations. Il enjôlait les gens par son langage affable, ses manières toutes cordiales, familières, bourgeoises. C'était une sirène, a écrit le chroniqueur bourguignon Molinet. Thomas Basin l'accusait d'avoir pris pour modèles François Sforza et le roi de Naples Ferdinand ; l'ambassadeur milanais Maleta écrivait : Il semble qu'il ait toujours vécu en Italie et qu'il y ait été élevé. Il avait en effet la souplesse des diplomates italiens, leur penchant à la fourberie et aux artifices compliqués. Comme eux, il était un très habile corrupteur. Jamais on ne vit prince plus acharné à gaigner ung homme qui le pouvoit servir ou qui luy pouvoit nuyre. Et ne se ennuyoit point à estre refusé une foys d'ung homme qu'il praticquoit à gaigner, mais y continuoit, en luy promettant largement et donnant par effect argent et estatz qu'il congnoissoit qui luy plaisoient. Pour lui, tout homme était à vendre, fût-il le duc de Bretagne ou le duc de Bourgogne. La diplomatie fut son arme favorite. Il n'aimait pas la guerre. Ce n'est point que l'effusion du sang lui fit horreur, ni qu'il fût un lâche[5]. Mais il avait une perpétuelle terreur de voir se perdre, en un jour de malchance, le fruit de ses longs efforts. Pendant ses campagnes contre Charles le Téméraire, il adopta une stratégie analogue à celle qu'avait pratiquée Charles V. Fortifier les places des frontières et celles qui commandaient les fleuves, harceler les envahisseurs, les affamer au besoin en ravageant le pays, tels furent ses procédés, et il s'en trouva bien. Parfois il fut obligé d'envoyer au loin une armée ; alors il ne se lassait point de recommander à ses capitaines d'aller saigement. Aussitôt qu'il le pouvait, il interrompait les hostilités. Outre qu'il redoutait les hasards des combats, la guerre lui paraissait un moyen grossier, indigne d'un prince habile, et un fléau pour la chose publicque. En 1470, il reçut du pape Paul II une bulle fondant une confrairie de la paix universelle, où devaient entrer les dignitaires ecclésiastiques, les souverains, les grands et les principaux bourgeois des villes ; il écrivit à son Conseil que la matière était de grant bien et consequence, et qu'il désirait de tout son cœur icelle sortir et avoir son plain effect. Nul roi ne dédaigna davantage la gloire chevaleresque. Louis XI, pourtant, tenait profondément au moyen âge par les idées que lui avait imprimées son éducation, et notamment par ses idées religieuses. Il était convaincu que Dieu, la Vierge et les saints intervenaient constamment dans ses affaires, et voyait des miracles partout. Naturellement, à un esprit aussi prosaïque et pratique, la piété parut être un moyen, et le plus efficace de tous, pour réussir dans les entreprises d'ici-bas, en même temps que pour se garantir contre l'enfer. Louis XI voulut donc avoir le ciel pour lui, et il prétendit le gagner de la même façon qu'il se procurait sur terre des alliés et des serviteurs. Il combla d'attentions et de cadeaux la Divinité et les personnages influents du Paradis. Les exercices de dévotion et les pèlerinages prirent une grande part de son temps ; souvent on le voyait se ruer à genoux sur le sol, pour prier. Églises nouvelles, châsses d'orfèvrerie, grilles en argent massif, ex-voto en or et en argent, dons en numéraire, messes perpétuelles dans les sanctuaires célèbres, il employa tous les moyens pour capter les faveurs divines. Sa prodigalité envers saint Martin, saint Michel, sainte Marthe, et surtout Notre Dame, quy, disait-il, en toutes nos affaires, nous a toujours imparty son aide et sa direction, mit plus d'une fois sur les dents ses officiers de finances : ils devaient trouver en quelques jours une somme énorme pour récompenser un saint qui venait de manifester sa bonne volonté, ou bien pour acheter une intervention décisive. Saint Martin de Tours, après la prise de Perpignan, reçut douze cents écus, et la Vierge du Puy, après la naissance du dauphin, vingt mille écus d'or ; afin d'empêcher Charles le Téméraire de prendre Noyon, en 1472, Jean Bourré dut envoyer tout de suite douze cents écus à un orfèvre, à charge de faire une ville d'argent pour Notre Dame. Enfin Louis XI essaya d'enlever à ses rivaux leurs patrons célestes. Il fit aux sanctuaires vénérés par ses grands vassaux de fréquents pèlerinages, qui lui permettaient d'ailleurs de recueillir, chemin faisant, maintes informations précieuses. Ses visites à Notre Dame de Béhuard, à Notre Dame de Nantilly, à Notre Dame du Puy, lui procurèrent à la fois un prétexte pour savoir ce. qui se passait en Anjou et une occasion d'intéresser la Vierge à ses projets sur l'héritage du roi René. Il offrit une châsse magnifique à sainte Marthe de Tarascon, qui protégeait en Provence la maison d'Anjou. Il se substitua à la maison d'Orléans pour rebâtir l'église Notre-Dame de Cléry, et. il eut une dévotion particulière pour un bienheureux de Franche-Comté, saint Claude, un saint des ducs de Bourgogne[6]. Louis XI fut bien de son temps aussi par la violence de ses passions. Il ne faut point se le figurer comme un politique toujours maître de lui, parlant peu et d'un sang-froid constant. Il était nerveux, impatient, et il lui fallait de grands efforts de volonté pour dissimuler les désirs et les haines qui le rongeaient. L'habitude de boire beaucoup de vin, la douloureuse et irritante maladie de peau qu'il contracta au cours de son fige mûr, exaspérèrent cette humeur irascible et agitée. Il ne pouvait supporter le repos. Dès qu'il cuydoit estre aseur (en sûreté) ou seulement en une trêve, se mettoit à mescontenter les gens par petitz moyens qui peu lui servoient, et à grand peyne pouvoit endurer paix. Quand il n'agissait pas, il parlait. Basin le représente comme un incorrigible bavard, discourant très vite, en grasseyant. Les ambassadeurs milanais décrivent dans leurs dépêches des audiences de deux heures où ils ne purent placer un seul mot, le roi ayant gardé continuellement la parole, pour dire beaucoup de mal du pape et de divers princes italiens. Commynes lui entendit faire souvent cet aveu : Je scay bien que ma langue m'a porté grand dommaige. Louis XI a été diversement jugé par ses contemporains, selon qu'ils ont éprouvé les effets de son amitié, qui était fort généreuse, ou de sa haine, qui était redoutable. Un tel homme ne pouvait être qu'admiré ou détesté. À tous il inspirait la crainte. Quinze ans après sa mort, un témoin du procès de divorce entre sa fille Jeanne et Louis XII disait que, selon l'opinion générale, c'estoit le plus terrible roy qui fust jamais en France. Ce terrible roi ne fut pas tendre pour sa famille. Sa seconde femme, Charlotte de Savoie, qui avait un esprit délicat et orné et une âme charmante, mena une vie triste et solitaire. Elle n'était pas jolie : la royne n'estoit point de celles où on debvoit prendre grant plaisir, mais au demourant fort bonne dame, dit Commynes, et il loue le roi d'avoir observé le vœu qu'il fit à la mort de son fils François, en 1473, de jamais ne toucher à femme que à la royne. Avant cette date, Louis XI n'avait pas été un mari fidèle ; mais jamais il n'eut de favorite en titre, et ses maîtresses n'eurent pas plus d'influence sur lui que Charlotte de Savoie. Louis eut six enfants légitimes, dont trois seulement survécurent, et il avait eu, avant son avènement, plusieurs enfants naturels. Il les considéra tous comme des instruments de sa politique. Il veilla avec d'infinies précautions sur la chétive santé de son fils unique, et sollicita pour lui la main d'un grand nombre de princesses, suivant les exigences du moment : l'héritière de Bourgogne, les filles du roi de Naples, de l'empereur, de la reine de Castille, du roi d'Angleterre et de Maximilien d'Autriche, furent successivement, quelques-unes même simultanément, les fiancées du dauphin Charles. Les mariages furent pour Louis XI un moyen de gouvernement. Ses filles naturelles épousèrent des gentilshommes qu'il désirait s'attacher, tels que le brave bâtard de Bourbon, dont il fit un amiral. Une de ses deux filles légitimes, Anne, fut fiancée à Nicolas d'Anjou ; mais il la proposa aussi à Charles le Téméraire, au duc de Bretagne, et même à son propre frère Charles de France : il espérait ainsi détacher ces princes de la faction des féodaux rebelles ; elle épousa finalement un frère du duc de Bourbon, Pierre de Beaujeu, qui fut un des bons serviteurs de Louis XI. Son autre fille, Jeanne, était rachitique et bossue : il résolut de la marier, avant que l'infirmité fût connue, à Louis d'Orléans, fils unique du duc Charles, procédé péremptoire pour assurer la prompte extinction d'une grande maison féodale. Le contrat fut signé le 19 mai 1464, un mois après la naissance de Jeanne. Plus tard, Marie de Clèves, veuve de Charles d'Orléans, tenta de s'opposer au mariage : il eut lieu, malgré elle, malgré le fiancé, en 1476, le roi ayant parlé de renvoyer Marie de Clèves sur les bords du Rhin, d'enfermer son fils dans un monastère et de faire trancher la tête à leurs conseillers. Louis XI écrivait joyeusement à Antoine de Chabannes au moment des noces : Il me semble que les enffans qu'ils auront ensemble ne leur conteront guères a nourrir. Et ce fut ensuite une comédie grotesque et répugnante, Louis d'Orléans ne voulant point accepter la dot de cent mille écus d'or, ni traiter comme sa femme cette malheureuse petite bossue. Le procès de divorce entre Louis et Jeanne donne les détails les plus précis sur les manœuvres employées par Louis XI pour supprimer justement tout prétexte de divorce, en contraignant son gendre à consommer le mariage : mises en demeure comminatoires, arrivée d'un médecin pour donner des conseils au duc, menace d'envoyer deux notaires pour verbaliser devant le lit conjugal. Les deux sœurs de Louis XI, Yolande et Madeleine, avaient épousé. l'une, le fils du duc de Savoie. l'autre, le fils du comte de Foix. Il avait aussi un frère cadet, Charles de France. Nous verrons qu'il eut constamment maille à partir avec Charles, et qu'il ne réduisit point, sans quelque peine Yolande et Madeleine à servir ses combinaisons[7]. Ce fut en dehors de sa famille qu'il trouva ses plus sûrs appuis. Il parvint à se créer un personnel de conseillers et de diplomates très habiles[8]. Au début de son règne, il s'y prit mal, parce que comme il se trouva grand et roy couronné, d'entrée ne pensa que aux vengeances. Après les obsèques de Charles VII, le vieux Dunois s'était écrié que lui et tous les autres serviteurs avoient perdu leur maistre, et que ung chacun pensast a soy. Au banquet du sacre, le duc de Bourgogne pria Louis XI de pardonner à ceux qu'il croyait avoir été ses ennemis. Le roi feignit d'y consentir, en exceptant toutefois sept personnes, dont il ne dit pas les noms. Dès qu'il se fut séparé de Philippe le Bon, il promit quinze cents écus à qui lui ramènerait Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, et Pierre de Brézé, déjà en fuite. Pierre de Brézé, après avoir vécu quelques mois caché dans les forêts de Normandie, se constitua prisonnier et fut enfermé au château de Loches. Antoine de Chabannes se livra aussi, bien qu'on lui eût dit que se le roy le povoit tenir, qu'il feroit menger le cueur de son ventre à ses chiens. Le 20 août 1463, le Parlement le déclara coupable de lèse-majesté ; Louis XI le garda à la Bastille et partagea ses biens entre ses accusateurs, parmi lesquels figuraient les fils de Jacques Cœur. Louis X1 frappa bien plus de sept personnes : Jean de Bueil, le comte de Tancarville, le sire de Gaucourt, le sire de Lohéac, Guillaume Jouvenel des Ursins, Jean Dauvet, Yves de Scepeaux, Guillaume Gouffier, perdirent leur charge d'amiral, de grand-maître des eaux et forêts, de grand-maître de France, de maréchal, de chancelier. de procureur général, de premier président, de premier chambellan : deux des plus illustres conseillers de Charles VII, Guillaume Cousinot et Étienne Chevalier, furent quelque temps emprisonnés. Louis XI rêva même un renouvellement complet du personnel qui tenait les soixante et quatre mille offices à gages du royaume. Avant d'y procéder, il consulta des seigneurs et des notables, qu'a réunit dès le 2 septembre 1461, à l'hôtel des Tournelles ; et, comme ils n'approuvaient pas ses projets, il les congédia et n'en fit qu'à sa tête. Il prononça autant de destitutions qu'il en fallut pour apaiser ses ressentiments, et aussi pour se mettre à même de gorger d'offices et de sinécures les compagnons qui l'avaient suivi à Genappe, et leurs protégés, et tous les gens que Charles VII avait traités en suspects[9]. C'est ainsi que Jean de Lescun, connu sous le nom de bâtard d'Armagnac, devient comte de Comminges, maréchal de France, premier chambellan, lieutenant général en Guyenne, gouverneur du Dauphiné ; car il a suivi le dauphin en exil, selon les termes des lettres royales, sans varier, rien craindre, no aucune chose y espargner, aine, pour ce faire, a habandonné ses parons et anniz, et tous et chascun ses biens[10]. Les anciens écuyers d'écurie du dauphin deviennent baillis ou sénéchaux. Louis XI prend pour chancelier Pierre de Morvilliers, qui, pour des faits de corruption, avait été chassé du Parlement par Charles VII. La réaction, toutefois, ne fut pas assez complète ni assez durable pour briser toutes ces traditions du gouvernement royal, que le personnel des officiers entretenait et développait méthodiquement en dépit des changements de souverains. Le Parlement de Paris fut à peu près épargné. Les deux frères Bureau furent plus que jamais en faveur. Tristan Lermite, que, sur la foi d'une légende formée au xvi' siècle, on a représenté comme une créature de Louis XI, était déjà prévôt des maréchaux sous le règne précédent : comme tel, il était depuis longtemps chargé de l'intendance des armées et de la juridiction militaire, et Charles VII l'avait employé, comme le fit plus tard Louis XI, à diriger des procès politiques. Bref, il conserva simplement ses fonctions. Enfin le roi reconnut vite la faute que lui avaient fait commettre ses rancunes. Il ne tarda pas à délivrer Pierre de Brézé, Guillaume Cousinot, Étienne Chevalier ; à la suite de la guerre du Bien public, il rendit les sceaux à Guillaume Jouvenel, et Antoine de Chabannes fut désormais son chef de guerre. Le rusé Jean Daillon, qui avait jadis abandonné le dauphin pour s'attacher à Charles VII, n devint un des favoris de Louis, qui l'appelait Maistre Jehan des Habiletés. En somme, la plupart des serviteurs survivants de Charles VII comptèrent tôt ou tard parmi les hommes de confiance de Louis XI. Quant aux gens nouveaulx,
ils furent souvent des hommes de mérite. Aucun roi, dit Commynes, ne sut plus honnourer et estimer les gens de bien et de valeur....
Veritablement il congnoissoit toutes gens
d'auctorité et de valeur qui estoient en Angleterre et en Espaigne, en
Portugal, en Ytalie, et seigneuries du duc de Bourgogne et en Bretaigne,
comme il faisoit ses subjectz. Il employa des Italiens, comme Louis de
Valpergue et Bonifie de Juge, des Provençaux, comme Palamède de Forbin, des
Suisses, comme les Diesbach et Jost de Silinen, des Anglais, comme Nicolas
Calf, des Écossais, comme Guillaume Mennypenny, des Grecs, comme Georges
Paléologue de Bissipat. Il débaucha les meilleurs serviteurs de ses grands
vassaux. Le plus distingué de ces transfuges fut Philippe de Commynes, fils
du bailli de Flandre. Commynes était le filleul de Philippe le Bon, le
chambellan et un des affidés de Charles le Téméraire ; il entra au service de
Louis XI en 1472 et devint très vite son plus intime conseiller : il put dire
dans ses Mémoires qu'il avait eu clère
congnoissance des plus grandes et secrètes matières qui se soient traictées
en ce royaulme de France et seigneuries voisines. Louis XI n'eut point de parti pris dans le choix des hommes. Il utilisa toutes les bonnes volontés : il donna des postes de confiance à de grands seigneurs, comme Georges de La Trémoille, sire de Craon, fils du favori de Charles VII, le sire d'Albret et le duc de Bourbon. Mais il préféra en général les services des petits gentilshommes et des roturiers, qu'il avait tirés du néant et qu'il pouvait y replonger. La corporation des notaires et des secrétaires royaux lui fournit nombre de ses agents les plus adroits. Beaucoup de ces gens de valeur n'étaient pas gens de bien, tant s'en fallait. Avant son avènement, Louis avait autour de lui des hommes perdus de réputation, comme Jean de Montauban, qui avait trempé dans le meurtre de Gilles de Bretagne, et Ambroise de Cambrai, qui avait fabriqué une fausse bulle pontificale autorisant le comte d'Armagnac à épouser sa sœur[11]. Une fois couronné, Louis XI fit d'Ambroise de Cambrai un maître des requêtes de l'Hôtel, et la Faculté de Décret de Paris dut, bon gré mal gré, l'accepter comme docteur régent. Jean de Montauban, créé amiral et grand-maître des eaux et forêts, se signala par de honteuses rapines. Plusieurs des baillis et des sénéchaux de Louis XI furent des gens peu recommandables : Jean de Doyat, qu'on a représenté comme un plébéien affamé de justice, était en réalité un concussionnaire[12]. Le barbier Olivier le Mauvais, qui en 1474 fut anobli sous le nom d'Olivier le Daim, et devint comte de Meulan, a laissé une sinistre mémoire ; cet exécuteur des basses besognes du gouvernement, agent provocateur, espion, et au besoin bourreau[13], s'enrichit en trafiquant de son crédit, en rançonnant les villes, les abbayes et les particuliers, et en volant d'opulentes successions. Le plus grand nombre de ces méfaits ne furent probablement pas connus du roi. D'ailleurs il était indulgent pour qui exécutait ses volontés à la lettre et habilement. Il n'était impitoyable que pour les traîtres et les maladroits. Envoyer à l'échafaud ou dans une dure prison ceux qui le servaient mal, gorger d'honneurs et d'argent ceux qui le servaient bien, fussent-ils des scélérats, telle a été la politique de Louis XI : elle a été définie, en un exemple précis, par le procureur général chargé de requérir en 1504 contre Pierre de Rohan, maréchal de Gié : Ledit feu roy Loys le flat mareschal de France et capitaine de cent lances, et lui fist de très grans biens et comme innumerables, et disoit qu'il lui falloit beaucop donner et le remplir, car il estoit grant avaricieux et amoit l'argent ; toutesfoiz l'on a dit que ledit roy Loys avoit apparceu quelque mauvais tour et tromperie que lui avoit fait ou voulu faire ledit Pierres de Rohan, par quoy il estoit deliberé de le faire prendre et faire son procès jusques à exterminacion de vie, savoir lui faire trancher la teste, s'il ne fust si tost allé à Dieu. Aux serviteurs qui charrioient droict, Louis XI prodigua les lettres flatteuses, les offices, les titres de noblesse ; il tint leurs enfants sur les fonts baptismaux, compromit ses finances en leur allouant des sommes énormes et des pensions, et en aliénant pour eux les terres du domaine. Souvent aussi il trouva manière de les récompenser sans bourse délier : il enleva indûment aux La Trémoille la succession de Louis d'Amboise, pour donner à Commynes la principauté de Talmont. Il fit épouser au même Commynes Hélène de Chambes, qui lui apporta la belle seigneurie d'Argenton. D'un bout du royaume à l'autre, il fallut que les riches héritières acceptassent les favoris du roi, et ce fut un des plus amers griefs allégués contre le despotisme de Louis XI. Les témoins cités plus tard par une de ses victimes, son gendre Louis XII, au moment de son procès de divorce, nous édifient pleinement sur les innombrables scandales matrimoniaux que Louis XI perpétra ou toléra en faveur de ses protégés. Ainsi nanti, sur la terre comme au ciel, d'appuis solides et payés comptant, Louis XI fut toujours persuadé qu'il finirait par réussir dans ses projets. Ce fut là le secret de son imperturbable optimisme, de sa persévérance et de sa sérénité dans les revers. Sans jamais se laisser déconcerter, pendant vingt ans, l'universelle araignée[14] tissa la toile de ses intrigues. Aussitôt qu'elle se mit au travail, une inquiétude saisit tous ceux qui avaient des privilèges on une indépendance à défendre. Le duc de Bourgogne, dès le temps du sacre, prédit des bouleversements à brève échéance : Cet homme, dit-il, ne regnera point longuement en paix sans avoir ung merveilleusement grant trouble. III. — PREMIERS ACTES DE LOUIS XI (1461-1464)[15]. LES povres subjects fondaient de grandes espérances sur le nouveau roi. Ils cuidoient avoir trouvé Dieu par les pieds. On rapportait en effet qu'à son avènement il avait promis aux habitants de Reims de supprimer les tailles et les gabelles. Il avait déclaré que la misère du royaume exigeait de grandes réformes, et avait chargé l'évêque de Lisieux d'écrire un mémoire sur la question. Mais il laissa son chancelier Pierre de Morvilliers trafiquer de la justice, les procureurs continuèrent à tondre leurs clients, et, lorsque les gens de métier de Reims et d'Angers, trop confiants dans la parole du roi, prétendirent, le bâton haut, empêcher ses officiers d'affermer les aides et les gabelles, ils payèrent cette naïveté de leur tête (Tricoterie d'Angers, 29-31 août 1461 ; Miquemaque de Reims, 2 octobre). Louis XI fit cependant des tentatives radicales pour réformer le système financier (1462-1463). En Languedoc, en Normandie, et peut-être en d'autres provinces, il abolit tous les impôts, pour les remplacer par un abonnement annuel. Dans la généralité d'Outre-Seine-et-Yonne, il supprima les aides dans les campagnes et la taille dans les villes. Ces bouleversements avaient été décidés à la légère, d'après des évaluations fausses : dès 1464, le roi dut revenir aux anciens modes d'imposition, sans pouvoir diminuer les charges. Il trouva moyen de se créer partout des ennemis. On a vu qu'il priva de leurs fonctions beaucoup de bons serviteurs de son père. Il abolit nombre d'offices, supprima même pendant quelque temps la Cour des aides (1462-1464). Ce fut à cette époque, probablement, que quelque Basochien composa la Farce des Gens Nouveaulx, qui veulent gouverner Monde et, lui promettent monts et merveilles : Monde ne tarde pas à regretter le temps des vieulx, car les Gens Nouveaulx le dépouillent de tout son avoir et l'envoient coucher à la belle étoile. Dès le début de son règne, Louis XI, assure l'évêque de Lisieux Thomas Basin, réduisit le Clergé en esclavage. Il se souciait uniquement en effet de tenir l'Église de France à sa discrétion, tout en arrachant au Saint-Siège les concessions dont il avait besoin pour sa politique au delà des Alpes[16]. Afin de prévenir les entreprises chascun jour faictes par les preslats, communautés et autres gens de main-morte de nostre royaume, sur noz droits seigneuriaux et possessions, et sur ceux de noz vassaulx et subgects lais, il enjoignit aux ecclésiastiques de faire avant un an déclaration de tous leurs biens, sous peine de confiscation (20 juillet 1463). Il obligea ceux qui avaient des terres roturières en Languedoc à payer la taille, comme ils le devaient (16 octobre 1464). Lorsqu'il chercha de l'argent pour le rachat des villes de la Somme, il abolit l'exemption de taxe dont jouissaient les gens d'Église pour la vente des vins de leurs crus. L'Université de Paris manifesta aigrement son irritation contre ces mesures, et aussi contre la fondation d'une nouvelle Université à Bourges. Louis XI la traita fort cavalièrement. Lorsque, après l'abolition de la Pragmatique, les délégués de l'Alma Mater demandèrent au roi qu'il intervint auprès du pape pour assurer des prébendes aux Universitaires, il leur répondit : Par la Pasque Dieu sainte ! je n'en feray riens. Vous estes meschans gens et de mauvaise vie, et avez vos grosses grasses ribaudes que vous nourrissez emprès vous. Allez-vous-en, car vous ne valez point que je me mesle de vous. Les nobles furent harcelés de taquineries. Beaucoup furent privés de leurs pensions, et, sous peine d'être suspects, ceux qui se présentaient au roi devaient renoncer aux costumes luxueux et aux plaisirs de la vie chevaleresque. La chasse même fut interdite aux nobles, s'ils n'avaient une permission du roi : Louis XI fit couper une oreille à un gentilhomme normand qui avait enfreint cet édit[17] Les rancunes soulevées par cette politique tracassière furent exprimées au vif par Martial d'Auvergne, dans son poème des Vigilles de Charles VII. Toute joie est morte, s'écriait le poète : Adieu, dames, bourgoises, damoiselles, Pestes, danses, joustes et tournoiemens, Adieu, filles gracieuses et belles, Plaisirs mondains, joyes et esbatemens ! Comme pour accomplir une gageure, le roi met en liberté ou rappelle en France les seigneurs félons qui avaient été emprisonnés par son père ou qui s'étaient enfuis du royaume. Dès 1461, Jean V d'Armagnac revient de Catalogne, le duc d'Alençon sort du donjon de Loches, et tous deux reprennent possession de leurs biens. B en est de même pour les nobles gascons réfugiés en Angleterre. En revanche, alors que Charles VII avait ramené à l'obéissance, par de prudentes concessions, la plupart des princes du sang, et favorisé leur politique d'expansion au delà des Alpes ou des Pyrénées, Louis XI écarte le valeureux et sagace Dunois, qui aurait pu être son meilleur conseiller ; il ôte le gouvernement de la Guyenne à son beau-frère Jean II, duc de Bourbon ; il enlève à Gaston IV, comte de Foix, la place forte de Mauléon et le pays de Soule ; il s'allie, en Italie, aux ennemis des maisons d'Anjou et d'Orléans. Il cherche noise surtout au duc de Bretagne : l'indépendance de ce prince l'exaspère ; de plus, son favori Jean de Montauban, qui a dû jadis échapper par la fuite à la justice bretonne, cherche à se venger, et met division, malveillance et inimitié entre Louis XI et François II[18] ; le duc, de son côté, a recueilli d'anciens serviteurs de Charles VII, comme le sire de Lohéac, le Gascon Odet d'Aydie, sire de Lescun. Estoient partiz de l'ordonnance du roy, dit Commynes, bien cinq cens hommes d'armes, qui tous s'estoient retirez vers le duc de Bretaigne. Le subtil Odet d'Aydie, que Louis XI avait maladroitement privé de sa charge de bailli du Cotentin, allait faire de l'indolent François II un des chefs de la coalition féodale[19]. Les entreprises des officiers royaux contre l'indépendance judiciaire, financière et ecclésiastique de la Bretagne, les intrigues de Louis XI pour brouiller François II avec les Anglais, devaient, à la première occasion, provoquer un conflit. Le roi prétendit installer dans l'évêché de Nantes et l'abbaye de Redon deux de ses protégés, Amaury d'Acigné, et le meurtrier de Gilles de Bretagne, Arthur de Montauban. François II obtint qu'Arthur de Montauban fût mandé à Rome, chassa de Nantes Amaury d'Acigné, et déclara au pape qu'il bouteroit les Anglois en son pays, plutôt que de souffrir ceux qui estoient amis et serviteurs du roy. Il consentit toutefois à l'établis-ment d'une commission d'arbitrage, présidée par le comte du Maine, Charles d'Anjou. Mais Louis XI saisit cette occasion pour produire tous les vieux griefs de la Royauté contre la dynastie de Bretagne, qui portait une couronne fermée, interdisait aux officiers royaux l'entrée du duché, levait des impôts à volonté. Il prescrivit à Charles d'Anjou d'examiner ces questions, et, selon son habitude, bavarda, s'emporta, menaça de mettre en servage le duc de Bretagne, dût-il, pour y arriver, recourir à l'alliance anglaise. Le 15 octobre 1464, la commission, en l'absence des sujets de François II qui devaient en faire partie, adjugea au roi le droit de régale sur les évêchés bretons. Le 20 décembre, à Tours, devant une assemblée de princes du sang et de grands seigneurs, Louis XI exposa sa querelle lui-même et à sa façon. Les princes promirent de le seconder pour ramener au devoir François II ; mais la plupart d'entre eux étaient de connivence avec le duc de Bretagne. Ainsi Louis XI accumulait contre lui les haines de ceux que Charles VII, en prévision de la lutte inévitable contre le duc de Bourgogne, s'était le plus soigneusement attachés[20]. Il n'était cependant point dans l'intention du nouveau roi de ménager Philippe le Bon. Reprendre les villes de la Somme était une de ses idées fixes. Il écrivait le 23 octobre 1463 aux gens d'Amiens : Depuis nostre nouvel avenement à la couronne, nous avons tousjours eu desir et vouloir de ravoir et raquestier nos terres et seigneuries de Picardie[21]. Il parvint à ses fins par le moyen des seigneurs de Croy, dont le crédit avait été déjà fort utile à Charles VII pour la conclusion du traité d'Arras. Antoine de Croy, son frère Jean, et ses neveux, les sires de Quiévrain et de Lannoy, étaient arrivés, par l'aveugle faveur de Philippe le Bon, à mettre la main sur le Luxembourg, les comtés de Namur et de Boulogne, et ils tenaient les places fortes les plus importantes de la Flandre et du Hainaut. Ennemis de Charles le Téméraire, qu'ils avaient réussi à brouiller avec son père, ils espéraient conquérir leur indépendance à la mort de Philippe. Louis XI les gorgea d'offices et de pensions, et, pour les tranquilliser, renonça solennellement à tous ses droits sur le duché de Luxembourg[22]. Philippe le Bon était affaibli par une maladie qui, au printemps de 1462, avait failli l'emporter. Le moment était bien choisi pour ravoir les villes de la Somme, avant que l'héritage bourguignon passât à ce Charles le Téméraire, qui estoit jeune et vert et dur malement à ployer. Les Croy obtinrent donc, en 1463, que le duc consentit au rachat. Sur les 400.000 écus d'or stipulés dans le traité d'Arras, Louis XI en avait 200.000 dans son trésor. Pour trouver le reste, le secrétaire Jean Bourré et Étienne Chevalier parcoururent la France, levèrent des impositions sur les villes et les abbayes, firent aux riches des emprunts forcés ; le roi inventa quelques taxes nouvelles, augmenta la taille et mit la main sur les sommes consignées par les plaideurs au Parlement et au Châtelet. Enfin Philippe le Bon dut signer, le 12 septembre et le 8 octobre 1463, les quittances qui arrachaient des ongles de Bourgongne cette importante ligne stratégique. En même temps, Louis XI reprenait la politique d'intervention que Charles VII avait suivie dans les affaires liégeoises. La principauté de Liège[23], enclose de presque tous les côtés par les domaines bourguignons, était indépendante, sous le gouvernement du prince-évêque et la suzeraineté nominale de l'empereur. Liège, Dinant et les autres villes du pays étaient des centres industriels actifs, et le développement des métiers y avait créé un régime démocratique très violent. Le pouvoir municipal avait passé de l'oligarchie bourgeoise à des assemblées populaires tumultueuses, et à des démagogues qui prétendaient diriger les affaires de leur ville et la politique de toute la principauté. L'autorité épiscopale, ruinée pendant la période du Grand Schisme, ne s'était rétablie, durant le cours du XVe siècle, que par intervalles, et grâce à l'intervention armée des ducs de Bourgogne, Jean sans Peur et Philippe le Bon. Contre ce protectorat bourguignon, dont il ne voulait à aucun prix, le parti vrai-liégeois, démocratique et national, avait obtenu, on l'a vu, l'appui de Charles VII, lorsque le tyrannique et voluptueux Louis de Bourbon, neveu de Philippe le Bon, était devenu prince-évêque. Louis XI, dès 1461, promit aux Liégeois sa protection, se renseigna sur les progrès de leur révolte contre Louis de Bourbon, et ne cessa d'attiser le feu. Une des causes de l'inertie de Philippe le Bon était le projet que, malgré ses infirmités, il n'avait pas abandonné, de diriger une croisade contre les Turcs. Louis désirait et craignait en même temps ce départ. S'il obtenait, pendant l'absence de Philippe, la régence des domaines bourguignons, il pourrait être le dompteur et le porte-fouet de tous les grands de son royaume. Mais le duc déclara qu'il ne s'éloignerait pas sans s'être réconcilié avec son fils. Alors Louis XI, d'accord avec les Croy, trouva un prétexte pour lui défendre de partir, car il redoutait avant tout de voir le comte de Charolais arriver au gouvernement[24]. Charles le Téméraire, à l'avènement de Louis XI, avait
vingt-sept ans. C'était un homme de petite taille, robuste et adroit. D'après
les tableaux et les miniatures du XVe siècle[25], et la
description de Chastellain, il avait des yeux bleu clair, qui contrastaient
avec un vif teint, clair brun, une barbe
brune, et une noire chevelure espaisse, qui
ondulait sur un large front. Habitué aux plus rudes exercices physiques,
instruit, pieux et sérieux, travailleur infatigable, qui voulait tout voir et
tout régler, c'était un prince de grant venue et de
haute attente. Il était chaste, époux fidèle ; il s'interdisait
l'usage du vin pur, et Louis XI se moquait de sa sobriété rigoureuse.
Taciturne, mélancolique, hanté par l'idée qu'il mourrait jeune, il tenait
habituellement les yeux baissés vers la terre, morne
et pensif, encombrer en l'esprit. Il avait le caractère concentré de
sa mère, la Portugaise Isabelle, laquelle n'estoit
point à vaincre. Comme son arrière-petit-fils Philippe II, il fut un
homme à idées fixes, laborieux et paperassier, d'une arrogance raide et
sombre. Toute sa volonté était tendue vers l'assouvissement d'une ambition
sans limites. Il allait passer sa vie à désirer l'impossible et à se lancer
dans les entreprises les plus folles, tout seul, sans jamais prendre conseil,
aigre en son vouloir, dur en son opinion. Ce
n'est pas qu'il eût le cerveau dérangé par les romans de chevalerie : Charles
le Téméraire ne fut pas un héros d'épopée, généreux et loyal. Comme les
princes de son temps, il était fourbe, cruel, ne reculait point devant le
parjure ni le guet-apens. Mais, dit Commynes, il
n'avoit point assés de sens ny de malice. Colérique, incapable de se
faire aimer par ses serviteurs, qu'il poussait à la défection par sa
brutalité, il manquait de sang-froid dans la diplomatie, comme sur le champ
de bataille. H était médiocre homme d'État et médiocre général, et les
revers, au lieu de l'assagir, ne firent qu'exaspérer son immense orgueil. Avec Louis XI et Charles le Téméraire, la lutte de la France et de la Bourgogne va prendre un caractère de violence et d'acharnement qu'elle n'avait pas eu au temps de Charles VII et de Philippe le Bon, qui personnellement s'estimaient et se ménageaient. Charles, fils d'une Portugaise, renie même sa qualité de Français. Dès les premiers mois du règne, il repousse les avances de Louis XI. Le roi l'enveloppe d'un réseau d'obscures intrigues. Charles se croit victime de tentatives d'empoisonnement et d'envoûtement, et accuse tout haut Louis XI d'avoir soudoyé un aventurier, le bâtard de Rubempré, pour l'enlever[26]. Le roi et les gens nouveaulx ont accumulé contre eux tant de aines qu'une guerre civile va terminer, dans une convulsion terrible, cette première période du règne, période d'agrandissements audacieux et d'expériences politiques confuses[27]. Pourtant la bourgeoisie et le peuple savent gré à Louis XI de ses bonnes intentions : on l'a vu parcourir son royaume, s'informer, peiner, et notamment en Guyenne, prendre de très heureuses mesures pour rendre aux villes et aux campagnes la prospérité économique dont elles jouissaient avant la guerre anglaise. Enfin, il maintient une exacte discipline dans son armée et l'ordre règne. Les mécontents, les privilégiés menacés dans leurs privilèges, ne réussiront point à entraîner la nation contre le roi. |
[1] OUVRAGES À CONSULTER. Hormis le récit de Michelet (dans l'Histoire de France, liv. XIII et XVII : exposé remarquable, mais vieilli, et souvent inexact), il n'y a pas de bonne histoire de Louis XI. Les ouvrages de Pierre Matthieu (1610), Duclos (1745), U. Legeay (1874) méritent peu de confiance. La collection relative à Louis XI, formée par le Bénédictin Legrand (Bibliothèque Nationale, Fonds Français, n° 6960 à 6990) contient, dans ses trois premiers volumes, une médiocre histoire du règne, qu'on a souvent exploitée sans critique.
[2] SOURCES. Lettres de Louis XI, édit. Charavay et Vaesen, t. I et II, 1888-1885. Chastellain, Chronique, et Entrée du roy Loys en nouveau règne, aux tomes III. IV et VII de ses Œuvres, édit. Kervyn de Lettenhove, 1864-1865. Martial d'Auvergne, Les Vigilles de Charles VII, édit. Coustelier, 172.4, t. II. Jean Maupoint, Journal, édit. Fagniez, Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris, t. IV, année 1877. Jean de Roye, Journal (Chronique Scandaleuse), édit. B. de Mandrot, t. I. 1894. Jacques Du Clercq, Mémoires, édit. de Reiffenberg, t. III, 1836. Fragm. d'une Chronique du règne de Louis XI, édit. Coulon, Mélanges de l'École de Rome, 1895. Thomas Basin, Histoire de Charles VII, Histoire de Louis XI, Apologie, aux tomes I, II, III de ses Œuvres, édit. Quicherat, 1855-1857. Olivier de La Marche, Mémoires, édit. Beaune et d'Arbaumont, t. II, 1884. Relations de l'entrée de Louis XI à Paris, publiées dans : Messager des sciences histor. de Belgique, 1861 : Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris, t. XXIII, 1896 avec un article de C. Couderc) ; Archivio storico Italiano, 5e série, t. XXI, 1898.
OUVRAGES À CONSULTER. Du Fresne de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. VI, 1891. Courteault, Gaston IV, 1893. D. Cabanes, Les morts mystérieuses de l'Histoire, 1901. Sur les obsèques de Charles VII : R. de Belleval, Nos pères, 1879.
[3] SOURCES. Lettres de Louis XI, édit. J. Vaesen, t. II à VIII, 1885-1903 (la publication s'arrête actuellement à l'année 1480). Comptes de Louis XI, publ. par L. Douët d'Arcq, Comptes de l'Hôtel des rois de France, 1863, et par L. Palustre et l'abbé Bossebœuf, dans le Bull. de la Soc. archéol. de Touraine, t. II, 1973, et t. XII, 1899. Procès de divorce de Louis XII et Procès du maréchal de Gié, publ. par B. De Meuble, Procédures politiques du règne de Louis XII, 1885. Dépêches d'ambassadeurs, pull. par Kervyn de Lettenhove, Lettres et négociations de Philippe de Commines, t. I, 1867. Relation de voyage de Leo de Rozmital, Bibliothek des literarischen Vereins, t. VII, 1844. Commynes, Mémoires, édit. B. de Mandrot, t. I, 1902 : volume seul publié actuellement, relatif aux années 1464-1477 ; pour les années 1477-1483, édit. de Mlle Dupont, t. II, 1843). Chroniques déjà citées de Chastellain, Jean de Roye (avec les interpolations de Jean Le Clerc, publiées au t. II de l'édition B. de Mandrol), Jacques Du Clercq, Maupoint, Thomas Basin (cf. les fragments inédits de Th. Basin, publ. par L. Delisle, Notices et extr. des Manuscrits, t. XXXIV, 2e partie, 1895).
OUVRAGES À CONSULTER. Gandilhon, La vie privée et la cour de Louis XI, Thèses de l'École des Chartes, 1901 (manuscrit communiqué par l'auteur). Ariel Mouette (abbé Bossebieuf), Dix ans à Tours sous Louis XI, 1890. H. Sée, Louis XI et les villes, 1891. Bricard, Jean Bourré, 1893. R. De Maulde, Jeanne de France, 1883 : Hist. de Louis XII, t. I et II, 1889-1890 : La Diplomatie au temps de Machiavel, 1892-1893. Marchegay, Louis XI, M. de Taillebourg et M. de Maigné, et La rançon d'Olivier de Coëtivy, Bibl. de l'École des Chartes, 4e série, t. I, 3855, et t. XXXVIII, 1877. Chazaud, Mariage de Pierre de Beaujeu, Bull. de la Soc. d'émulation de l'Allier, t. XI, 1870.
[4] Sur les entrées de Louis XI dans les villes de province, voir les mémoires de Marchegay, Bull. de la Soc. industr. d'Angers, t. IX, 1858 ; Dorange, Bull. de la Soc. archéol. de Touraine, t. V, 1880-1882 ; A. Benet, Bull. de la Soc. d'Hist. de Normandie, t. VII, 1893-1895.
[5] Aux documents déjà connus sur la cruauté de ce roi, le P. Denifle a ajouté une demande d'absolution que Louis, étant dauphin, adressa au pape, en 1447, au sujet des pillages et des meurtres qu'il avait tolérés ou commandés pendant ses campagnes du Midi, de Normandie et d'Allemagne (Denifle, Désolation des Églises en France pendant la guerre de Cent Ans, t. I, n° 1018). Sur les accusations de couardise portées contre lui, voir Th. Basin. (Œuvres, édit. Quicherat, t. III. p. 185 et suiv., et Notices et extr. des Manuscrits, t. XXXIV, 2e part., p. 101-103. Louis XI écrivait à Antoine de Chabannes, en 1477, après la prise d'Arras : Au regard de ma blessure, s'a esté le duc de Bretaigne qui le m'a fait faire, pour ce qui me appelloit le roy couart, et aussi vous sçavés de pieça ma coustume, car vous m'avez veu autresfoiz (Lettres de Louis XI, t. VI, p. 163).
[6] Sur la dévotion de Louis XI à Notre-Dame L. Jarry, Histoire de Cléry, 1898 ; mémoires de Quicherat, Revue de l'Anjou et de Maine-et-Loire, t. II, 1863 ; Barraud, Mém. de la Soc. Acad. de l'Oise, t. V, 1862 ; F. Le Proux, Bull. de la Soc. histor. de Compiègne, t. I. 1869-1872 ; abbé Guillaume, Bull. de la Soc. d'Études des Hautes Alpes, t. I, 2 ; P. Dupouy, Rev. Poitevine, 1897-1898. Sur Louis XI et saint Martin : Ch.-L. de Grandmaison, Mém. de la Soc. archéolog. de Touraine, t. XIII, 1861. Sur Louis XI et saint Claude : Rousset et Monnier, Bull. du Comité de la langue, de l'histoire et des arts de la France, t. II, 1856 ; Marcel Canal de Chizy, Rev. des Soc. Savantes, 2e série, t. III, 1860. Sur Louis XI et saint Michel : Siméon Luce, La France pendant la guerre de Cent Ans, 1re série, 1890. Sur Louis XI et sainte Marthe : abbé C. Chevalier, Bull. de la Soc. archéol. de Touraine, t. III, 1874-1876. Sur Louis XI et saint Aignan : H. Poullain, Orléans, 1461-1483, règne de Louis le onzième, 1888. Sur Louis XI et saint Arnoux : abbé P. Guillaume, Bull. d'Hist. ecclés. des diocèses de Valence, Gap, Grenoble et Viviers, t. I, 1880-1881. Sur Louis XI et la croix de saint Laud : Godard-Faultrier, Bull. du Comité de la langue, etc., t. I, 1854.
[7] Quant à ses sœurs naturelles, filles d'Agnès Sorel, Louis XI leur témoigna peu d'affection. Sur une d'elles Marie de Valois, voir plus haut, livre II, ch. II, § II. Une autre, Charlotte, épousa Jacques de Brézé : son mari la surprit en flagrant délit d'adultère, et la tua à coups d'épée, ainsi' que son amant Pierre de la Vergne. Le roi retint Jacques de Brézé prisonnier pendant plusieurs années et le condamna à une amende qui le ruina, après l'avoir contraint d'avouer, sous menace de le torture, qu'il avait soupçonné injustement sa femme. C'est ainsi que Louis XI vengeait l'honneur de la famille royale. (Douët d'Arcq, Procès criminel de Jacques de Brézé, Bibl. de l'Éc. des Chartes, 2e série, t. V, 1848-1849.)
[8] Sur les serviteurs de Louis XI, notes des éditions de Jean de Roye et de Commynes, par B. de Mandrot, des Lettres de Louis XI par J. Vaesen, et du Catalogue des actes de Louas XI relatifs au Dauphiné, par Pilot de Thorey. Sur Jean de Bueil, Antoine de Chabannes, les Bureauc Jean Bourré, ouvrages cités plus haut, et sur Commynes, nombreux travaux cités par U. Chevalier, Répertoire des sources historiques du moyen âge, Biobibliographie. Sur Cousinot, Notice de Vallet de Viriville en tête de son édition de la Chronique de la Pucelle, 1859. G. Picot, Le procès criminel d'Olivier le Daim, Mém. lus à l'Acad. des sciences morales, 1876-1877. B. de Mandrot, Ymbert de Batarnay, 1886. A. de Reilhac, Jean de Reilhac, 1886-1889. L. de la Trémoille, Archives d'un serviteur de Louis XI, 1888. Abbé Renet, Les Bissipat du Beauvaisis, Mém. de la Soc. archéol. de l'Oise, t. XIV, 1889, P. M. Perret, Louis Malet de Gréville, 1889, et Boffille de Juge, Ann. du Midi, t. III. 1892. Feugère des Forts, Pierre d'Oriole, Posit. des thèses de l'Éc. des Ch., 1891. Ch. Anchier, Charles Ier de Melun, Moyen âge, 1892. Forgeot, Jean Balue, 1895. A. Lanier, Tristan Lermite, Posit. des thèses pour le diplôme d'études super. d'hist., présentées à la Fac. des Lettres de Paris, 8897.
[9] Fragm. d'une chronique du règne de Louis XI, Mél. de l'Éc. de Rome, 1895, p. 138-139.
[10] Ordonnances des rois de France, t. XV, p. 360. Cf. Prudhomme, Hist. de Grenoble, 1888, p. 276.
[11] Sur ce personnage, qui fut en outre un effronté plagiaire, voir L. Thusnne, Le Curial d'Alain Chartier, Rev. des Bibliothèques, 1901.
[12] Pièces relatives à Jean de Doyat, Mém. de l'Acad. des Sciences de Clermont-Ferrand, t. XXIX, 1887. Cf. A. Bardoux, Les grands baillis au XVe siècle, Jean de Doyat, Rev. hist. de droit franç. et étranger, t. IX, 1863, p. 33.
[13] C'est du moins ce qu'affirme Gaguin dans une épigramme : Eras judex, lictor et exitium. Nous avons naturellement fort peu de renseignements sur les besognes secrètes accomplies par Olivier le Daim.
[14] Les paroles prêtées à Charles le Téméraire : Ay combattu l'universel araigne, se trouvent dans une ballade que Kervyn de Lettenhove attribue à Monnet. L'épithète d'araigne est appliquée aussi à Louis XI dans la ballade du Lyon rampant de Chastellain (Œuvres, édit. Kervyn de Lettenhove, t. VII, p. 207 et 209).
[15] SOURCES. Éditions, déjà citées au § I, des Journaux de Maupoint et de Jean de Raye, des Mémoires de Commynes, des Chroniques de Chastellain (Œuvres, t. IV et V), de Du Clercq (t. III et IV) et d'O. de La Marche (t. III). Thomas Basin, Hist. de Louis XI, et Apologie (Œuvres, t. II et III). Chastellain, Hauts faits du duc Philippe et Advertissement au duc Charles (Œuvres, t. VII). Ordonnances des rois de France, t. XV et XVI. Lettres de Louis XI, t. II, 1885. Lenglet-Dufresnoy, Preuves des Mémoires de Philippe de Commines, au t. II de l'édition des Mémoires, 1747 (Ce recueil de documents, très abondant, mais bien fautif, sera désigné désormais sous le nom de Commynes-Lenglet). Documents publiés sur la Tricoterie par P. Marchegay, Rev. de l'Anjou, t. II ; sur Une enquête financière sous Louis XI, par P. Pélicier, Bull. hist. et philologique, 1886.
OUVRAGES À CONSULTER. Ant. Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne à la France, t. I, 1880. Ouvrages de C. Favre, Lecoy de la Marche, Courteault, De Maulde, cités. J. Foster Kirk, Hist. de Charles le Téméraire, trad. Flor. O'Squarr, t. I, 1866 (intéressant, mais vieilli). A. de Calonne, Hist. d'Amiens, t. I, 1899. Spont, La taille en Languedoc de 1400 à 1515, L'équivalent en Languedoc de 1450 à 1515, Ann. du Midi, 1890, 1891. Ribadien, Hist. de la conquête de la Guyenne, 1866.
[16] Sur l'abolition de la Pragmatique Sanction, voir plus loin, chap. IV, § 3.
[17] On a mis en doute la publication de cet édit sur la chasse. Nous n'en possédons pas le texte, mais le fait est certain, affirmé par des chroniqueurs indépendants les uns des autres, et par les nobles eux-mêmes, dans le Cahier présenté aux États Généraux de M. Jacques Du Clercq déclare avoir vu, à Compiègne, brûler les engins de chasse du pays sur l'ordre du roi. Il ajoute que, bien entendu, Louis XI ne toucha pas au droit de chasse des barons les plus puissants. Cf. les mesures analogues prises par Louis en Dauphiné avant son règne. Pilot de Thorey, Catalogue des actes de Louis XI relatifs au Dauphiné, t. I, n° 312, 669, 1006, 1369. Nous avons des permis de chasse accordés par Louis XI à des seigneurs et à des prélats pendant le reste de son règne ; voir notamment Jean de Reilhac, t. II, p. 101, et une note de Quicherat à son édition de Th. Basin, t. II, p. 73.
[18] Procédures politiques du règne de Louis XII, édit. De Maulde, p. 262.
[19] Louis XI disait du sire de Lescun, dans un acte de 1471 : Il fut le premier inventeur et principal auteur des troubles, guerres, maulz et divisions qui depuis sept ans ont esté en nostre royaulme. (L. de La Trémoille, Archives d'un serviteur de Louis XI, 1888, p. 45.)
[20] Louis XI, cependant, se réconcilia vite avec le comte de Foix : dès le 11 février 1482, il accorda la main de sa sœur, Madeleine de France, au fils aîné de Gaston IV.
[21] On remarquera, en se reportant au texte du traité d'Arras, cité plus haut, Livre premier, ch. IV, § II, que l'expression terres et seigneuries de Picardie, employée par Louis XI, est beaucoup plus juste que l'expression villes de la Somme, qui est passée en usage.
[22] Acte du 25 nov. 1462, édité par Wurth-Paquet, Publications de la Section historique de l'Institut royal grand-ducal de Luxembourg, t. XXXI, 1876, p. 126.
[23] Sur les affaires de Liège, voir les sources et les ouvrages à consulter dans H. Pirenne, Bibliographie de l'Hist. de Belgique, 2e édit., 1902, n° 2040 à 2057, et l'exposé d'ensemble du même auteur, Hist. de Belgique, t. II (sous presse). — Sur Charles VII et Liège, voir livre précédent, ch. IX, fin du § I.
[24] Voir Pastor, Hist. des papes, trad. Furcy-Reynaud, t. III, p. 300, 326-329 ; le mémoire de J. Finot, Projet d'expédition contre les Turcs, etc., 1890 ; Olivier de La Marche, édit. Beaune et d'Arbaumont, t. III, p. 38, note ; Ch. de La Roncière, Hist. de la marine française, t. II, p. 303 et suiv.
[25] Perrault-Dabot, Un portrait de Charles le Téméraire, Bulletin archéologique du Comité des Trav. hist., 1894.
[26] Le bâtard de Rubempré, en réalité, avait été chargé par le roi d'enlever un émissaire breton (Aug. Thierry, Monum. inéd. de l'hist. du Tiers-État, 1re série, t. II, 1853, p. 277).
[27] Pendant ces quatre années, Louis XI avait eu aussi une politique extérieure très ambitieuse. Il avait essayé de recouvrer Calais, en favorisant une nouvelle révolution en Angleterre (voir plus loin, chapitre suivant). Il avait voulu reprendre Gêne ; il avait établi son protectorat dans la Savoie et sa domination dans le Roussillon ; il avait convoité la Catalogne ; il s'était brouillé avec le roi de Castille, ce qui fut un des griefs allégués contre lui par le parti du Bien public (voir plus loin, chap. III, § 3). Dans l'Est, il avait revendiqué la garde de Toul et Verdun, et tenté de s'emparer de Metz. (H. Sée, Louis XI et les villes, 1891, p. 299 et suiv.). Après la guerre du Bien public, il modéra grandement ses prétentions.