HISTOIRE DE FRANCE

TOME QUATRIÈME — CHARLES VII. LOUIS XI ET LES PREMIÈRES ANNÉES DE CHARLES VIII (1422-1492).

LIVRE II. — LA SOCIETÉ ET LA MONARCHIE À LA FIN DE LA GUERRE DE CENT ANS.

CHAPITRE VII. — CHARLES VII ET L'ÉGLISE[1].

 

 

LES gens du roi, au XIIIe et au XIVe siècle, s'étaient efforcés d'établir autant que possible, en matière d'impôts et de collation des bénéfices, l'indépendance du royaume de France à l'égard du Saint-Siège, et la sujétion du Clergé national à l'égard de la Monarchie. C'était leur façon d'entendre les libertés de l'Église gallicane. Durant la période du Grand Schisme, le principe de la supériorité des Conciles sur la Papauté s'introduisit dans la doctrine. Ainsi complétée, la théorie gallicane eut pour défenseurs attitrés les conseillers au Parlement, qui la regardaient comme un des dogmes de la religion monarchique. En quoi ils n'étaient pas complètement désintéressés, car le roi avait coutume de récompenser par des bénéfices le zèle de ses serviteurs ; il leur importait donc qu'il en eût la libre distribution.

Le Clergé national, dans sa majeure partie, avait aussi un intérêt évident à soutenir le roi contre l'avide Curie romaine. Au XVe siècle, le Saint-Siège levait sur l'Église de France des impôts énormes[2] et se réservait en principe tous les bénéfices importants de la Chrétienté. Pour assurer à tous ses membres le pain quotidien et la dignité de la vie, le Clergé réclamait l'abolition ou la réduction des charges qui pesaient sur lui, la suppression des commendes[3] et du cumul des bénéfices, le rétablissement des élections canoniques, la répartition des fonctions ecclésiastiques entre les plus savants et les plus pieux.

Les hommes éclairés qui espéraient par ces moyens relever le Clergé de sa décadence matérielle, morale et intellectuelle, crurent pouvoir compter sur le roi de France. Ils lui rappelaient que, lui aussi, il était membre de l'Église. Jouvenel des Ursins écrivait à Charles VII : Vous n'estes pas simplement personne laye (laïque), mais preslat ecclesiastique, le premier en vostre royaume qui soit après le pape, le bras dextre de l'Esglise. La vieille théorie du roi prélat reprit toute sa force au temps de Charles VII. Les paroles de Jean Jouvenel restent même au-dessous de la vérité. Charles VII fut le premier de son royaume, non pas après le pape, mais sans restriction. Il régla sans consulter le Saint-Siège l'administration de l'Église gallicane. Au dehors, il fut l'arbitre qui mit fin au Schisme. Il eut donc un rôle éminent dans les affaires ecclésiastiques de son royaume, et souvent même dans celles de la Chrétienté. Mais on va voir qu'il exerça cette influence beaucoup moins pour le bien de l'Église que pour l'extension de son autorité.

 

I. — LA FRANCE ET LE CONCILE DE BÂLE.

LE Concile de Constance, 1414-1418, s'était préoccupé avant tout de terminer le Grand Schisme. Le Conclave tenu du 8 au 11 novembre 1417 avait élu Martin V. Le pape Benoît XIII, réfugié dans l'Aragon, sa patrie, refusa de céder, et, en France meule, un parti schismatique subsista jusqu'au temps de Louis XI dans les campagnes du midi de la France[4]. Mais, en somme, le Schisme était fini.

La majorité des Pères de Constance avait abandonné la cause de la réforme. Les longues et douloureuses péripéties du Schisme avaient provoqué une telle lassitude, que ni les désordres du Clergé, ni même les abus fiscaux de la Cour pontificale ne décidèrent le Concile à suivre les avis du roi des Romains, qui conseillait de procéder à la correction de la discipline et des mœurs ecclésiastiques avant d'élire un pape. Martin V, une fois le Concile dispersé, travailla à enrichir sa famille, ne guérit pas la Curie romaine de son avidité proverbiale et ne prit aucune mesure efficace pour ramener le Clergé à l'observation de ses devoirs.

La Papauté ne pensait plus qu'à reconstituer son pouvoir temporel en Italie et à reconquérir ses anciennes prérogatives dans la Chrétienté. Martin V, sagace administrateur ; Eugène IV, moine austère et entêté ; Nicolas V, le premier des papes humanistes ; Calixte III, rigide et opiniâtre Espagnol ; Pie II, jadis poète d'humeur légère, célèbre par ses palinodies, tous ces hommes, si différents qu'ils soient les uns des autres, par l'origine et le caractère, ont une même ambition : assurer l'omnipotence pontificale, et aussi trouver de l'argent, que ce soit pour faire la fortune de leurs neveux ou bien pour construire des monuments magnifiques, et collectionner des bijoux et des manuscrits. Les partisans de la réforme s'habitueront à voir en eux le grand obstacle à la régénération de l'Église, pendant que les rois les considéreront comme des concurrents dans l'exploitation du Clergé.

Un même sentiment ralliait presque tous les chrétiens préoccupés des intérêts généraux de la religion : la réforme devait être faite par un Concile œcuménique. Jamais la doctrine conciliaire ne rencontra plus d'adhésions qu'au XVe siècle, dans l'Europe tout entière. Dès le mois de mai 1422, l'Université de Paris, qui, malgré les malheurs de la Franco, restait encore la lumière de la chrétienté, envoya eu. ambassade à Rome un de ses plus fameux docteurs, Jean de Raguse, pour supplier le pape de hâter la convocation d'un Concile. Martin V feignit de céder et réunit à Pavie une assemblée qui devait être œcuménique. Mais les prélats italiens ne s'y rendirent pas : Martin V abhorrait le nom renie de Concile. Lorsque, au mois de juin 1423, les Pères de Pavie prononcèrent leur transfert à Sienne, à cause de la peste, il n'y avait parmi eux que douze ou quinze prélats, dont six français. Les Pères se divisèrent par nations. La nation française demanda que le Concile édictât des règles pour la collation des bénéfices, abolit les commendes, interdit la levée des décimes sur le Clergé, restreignit les grâces expectatives et les appels en Cour de Rome. Mais de graves discordes, au sein même de la nation française, troublèrent l'assemblée de Sienne. Elle se sépara le 7 mars 1424, après avoir décidé seulement qu'un Concile se réunirait à Bâle en 1431.

Le 1er février 1431, Martin V, sous la pression de l'opinion, nomma le prélat qui devait présider le nouveau Concile, le cardinal Julien Cesarini. Mais, par la même bulle, il lui donnait le pouvoir de dissoudre l'assemblée. Trois semaines après, Martin V mourut. Son successeur, Eugène IV, résolut de ne pas laisser siéger le Concile. Connaissant ses intentions, les prélats de la Curie et les cardinaux italiens, à l'exception de Cesarini, ne firent pas le voyage de Bâle. Mais Eugène IV allait rencontrer une fougueuse résistance.

L'opposition fut dirigée, dans le Concile de Bide, par le Clergé et les Universités de France. Les évêques et les universitaires français eurent d'ailleurs la principale part dans toutes les grandes affaires qui y furent traitées. Philibert, évêque de Coutances, conduisit, avec le doyen de Tours Martin Berruyer, et le docteur en théologie Gilles Charlier, les négociations engagées par les Pères de Bâle pour faire rentrer les hérétiques de Bohême, — les Hussites, — dans le giron de l'Église. Ce fut un docteur de l'Université de Paris, Jean de Raguse, qui fut chargé par le Concile de mener à bien l'entreprise de la réunion des Grecs à l'Église romaine. Mais les Français se signalèrent surtout par leur acharnement à diminuer le pouvoir pontifical : les mesures les plus révolutionnaires prises contre la Papauté eurent pour promoteurs l'archevêque de Lyon, l'archevêque de Tours, l'archevêque d'Arles, qui présida le Concile après le départ du légat pontifical, et le docteur parisien Thomas de Courcelles, qui, au dire d'Æneas Sylvius, dicta un grand nombre des décrets du Concile. Ces chefs commandaient une armée d'obscurs docteurs et de clercs subalternes, auxquels le Concile, par une innovation fort grave, reconnut le droit de vote. Une majorité compacte et violente se trouva ainsi constituée pour soutenir contre le pape les doctrines chères à l'Université de Paris ; doctrines radicales, car cette Université, au temps de Charles VII, contraignait à se rétracter les moines qui osaient soutenir que les évêques et les curés tenaient leur pouvoir de juridiction du pape, et non de Dieu directement, et que les décrets des Conciles étaient valables seulement après l'approbation du Saint-Siège.

Au mois de mars 1431, date à laquelle devait s'ouvrir la première session, le seul prélat arrivé à Bâle était l'abbé de Vézelay, qui avait jadis présidé la nation française à Sienne. Au mois d'avril, se présentèrent quelques docteurs de la Faculté de Théologie de Paris, l'évêque de Chalon-sur-Saône et l'abbé de Cîteaux. Malgré leurs démarches, malgré les lettres pressantes envoyées par l'Université de Paris, les prélats et les docteurs n'arrivèrent que très lentement. Le pape résolut de les disperser, avant qu'ils fussent en nombre. Par une bulle du 18 décembre 1431, il invita le légat Cesarini, pour certaines causes raisonnables, à dissoudre l'assemblée de Bâle et à se retirer : les affaires de la Chrétienté seraient traitées dans un Concile qui se tiendrait à Bologne. Les Grecs désiraient en effet voir discuter dans une ville italienne la question qui se posait alors de leur réunion à l'Église latine. La bulle pontificale fut accueillie avec indignation. L'Université de Paris, dans des lettres du 9 février 1432, engagea les Pères à ne point s'engourdir et à résister en face. Les Pères déclarèrent que le synode de Bâle, légitimement réuni dans le Saint-Esprit pour l'extirpation de l'hérésie, la réforme de l'Église dans son chef et dans ses membres, et le rétablissement de la paix entre les peuples chrétiens, ne pouvait pas être, par qui que ce soit, non pas même par le pape, dissous, transféré ou ajourné, sans le consentement de ses membres (15 février 1432).

Sur la prière du cardinal Cesarini, Charles VII assembla les prélats français à Bourges, le 26 février 1432, pour les consulter. Ils émirent à l'unanimité l'avis que le Concile pouvait seul restaurer l'unité religieuse et la discipline ecclésiastique. Charles VII adhéra à cette doctrine en ordonnant aux prélats de France de se rendre à Bâle. Toutefois, informé de l'excitation qui régnait parmi les Pères, il les supplia de se modérer, de peur qu'un Schisme pestilentiel et horrible ne fût engendré.

Eugène IV, menacé à ce moment-là de perdre ses possessions temporelles, traqué par ses ennemis jusque dans Rome, se réconcilia en 1434 avec le Concile de Bâle. Les Pères étaient encouragés et soutenus par la plupart des princes de l'Occident, notamment par l'empereur Sigismond, qui, durant les premières années du Concile, fut leur protecteur attitré. Alors commencèrent les réformes. L'élection des évêques par les chapitres, des abbés par les couvents, fut rétablie.

Les grâces expectatives furent supprimées, les réserves furent restreintes et les droits des gradués d'Universités sur les bénéfices furent déterminés. Les annates, un des plus importants revenus du Saint-Siège, furent abolies. Les Pères allèrent plus loin encore. Leurs décrets fixèrent avec détail les règles que le pape devait suivre pour le choix des cardinaux, pour l'administration de son temporel et la direction spirituelle de la Chrétienté. Ils prétendirent même gouverner l'Église et se substituèrent à Eugène IV dans une foule d'affaires ; c'est ainsi qu'ils jugèrent des appels portés en Cour de Rome.

La nation française se signalait par la violence de ses attaques contre le Saint-Siège. Le nonce Traversari, qui assista à quelques séances du concile en 1435, nous dit que les archevêques d'Arles et de Lyon s'efforçaient de susciter chaque jour des tempêtes. Comme Eugène IV ne voulait pas sanctionner les décrets concernant les cardinaux et le Saint-Siège, la nation française publia en 1436 une déclaration, où elle dénonçait la politique d'obstruction de la Papauté ; Eugène IV, ruiné par l'abolition des annates, demandait une compensation : il ne fallait rien lui accorder s'il s'obstinait à contrarier l'œuvre du Concile.

Beaucoup de prélats, parmi lesquels les évêques d'Orléans et d'Évreux, commençaient à s'effrayer des excès où l'assemblée se laissait entraîner. En 1437, la question de l'union de l'Église grecque fut pour le parti modéré l'occasion de se constituer. Eugène IV refusait de convoquer autre part qu'en Italie le Concile jugé indispensable pour terminer cette affaire. Ses légats obtinrent l'adhésion de la plupart des évêques présents à Bâle ; mais les archevêques d'Arles et de Lyon, et avec eux la majorité des Pères, tenaient pour la réunion de ce Concile à Avignon. Charles VII, tout en invitant les Pères à s'entendre avec le Saint-Siège, déclara de son côté qu'il ne se ferait pas représenter au Concile d'Union, s'il se réunissait dans une autre ville. Les débats devinrent à Bâle de plus en plus orageux ; des buveurs, dit Æneas Sylvius, auraient fait beaucoup moins de bruit dans un cabaret. Le 12 avril 1437, l'archevêque de Lyon faillit en venir aux mains avec l'évêque de Metz. La journée du 7 mai fut choisie pour la proclamation des résultats du vote. L'orateur de la majorité et celui de la minorité lurent en même temps, au milieu d'un tumulte effroyable, le décret voté par leur parti. Le pape confirma, par une bulle du 30 mai, le décret de la minorité, qui désignait une ville italienne pour siège du Concile d'Union. Alors, le 14 janvier 1438, la majorité prononça la suspension d'Eugène IV. Sur l'invitation du Concile, Charles VII défendit aux prélats français de se rendre à l'assemblée que le pape avait convoquée à Ferrare.

Six mois après fut publiée la Pragmatique de Charles VII, la première des ordonnances royales authentiques où nous trouvions un exposé officiel de la doctrine gallicane.

 

II. — LA PRAGMATIQUE DE BOURGES. CHARLES VII ET LE CLERGÉ DE FRANCE.

CHARLES VII, tout en gardant une attitude déférente envers le Saint-Siège, n'avait pas cessé de soutenir le Concile. Voulait-il donc donner satisfaction entière au Clergé français ? La politique des gens du roi n'était pas si simple. Ils ne s'intéressaient aux doctrines gallicanes qu'autant qu'elles servaient les intérêts de leur maître. De plus, la guerre anglaise les obligeait à ménager le Saint-Siège. Leur politique religieuse suivait les oscillations de la fortune de Charles VII. En 1425, au moment de sa plus grande misère, le roi de Bourges avait révoqué l'ordonnance gallicane de 1418, et déclaré que les bulles du pape, relatives à la collation des bénéfices et à la juridiction apostolique, auraient désormais libre entrée en France : Martin V avait montré le désir sincère de travailler au rétablissement de la paix avec l'Angleterre, et l'on voulait gagner ses bonnes grâces. Plus tard, après les victoires de Jeanne d'Arc et la réunion du Concile de Bâle, une réaction gallicane parut se produire : à partir de 1432, l'ordonnance de 1418 fut rappelée dans les lettres royales, comme si elle n'avait jamais été abolie. Mais elle ne fut pas constamment respectée, parce qu'on avait encore besoin du Saint-Siège pour conclure la paix avec le duc de Bourgogne. En 1433, Eugène IV donna l'archevêché de Narbonne, un des plus riches de France, à son neveu François Condulmiero ; celui-ci résidait à Rome en qualité de camérier, et, il touchait les revenus de son archevêché par l'intermédiaire d'une banque de Montpellier ; le roi et ses gens imposèrent silence au Chapitre de Narbonne, et l'on a retrouvé les lettres de remerciements que leur adressa Eugène IV.

En 1438, au moment où le pape et le Concile se brouillèrent, les Anglais avaient perdu l'alliance de Philippe le Bon, Paris et l'Île-de-France ; les bons offices du pape n'étaient plus nécessaires. Les Pères de Bâle ayant offert au roi de France le recueil de leurs décrets de réforme, avec prière de les faire exécuter dans les terres de son obédience, les conseillers de Charles VII résolurent de donner une suite immédiate à cette demande. L'arrivée des ambassades envoyées en France par le pape et par le Concile fut l'occasion d'une assemblée solennelle qui s'ouvrit le 5 juin, dans la Sainte-Chapelle, à Bourges. Le roi y parut entouré du dauphin, de plusieurs princes, d'un grand nombre de conseillers, de vingt-neuf archevêques et évêques, d'abbés, de docteurs et de chanoines représentant les Universités et les Chapitres. L'œuvre du Concile de Bâle fut attaquée par les ambassadeurs du pape, défendue par ceux des Pères, puis discutée par les assistants. Il fut décidé que le roi s'efforcerait d'apaiser le conflit survenu et de trouver moyens de paix, mais que les décrets du Concile seraient appliqués en France, sauf certaines modifications imposées par les usages du royaume. Peu de temps après, le 7 juillet 1438, fut publiée la Pragmatique Sanction.

La Pragmatique avait été longuement élaborée, d'abord par le Grand Conseil, puis par une commission de prélats et de docteurs. Le préambule est un réquisitoire contre les abus commis ou tolérés par le Saint-Siège, et marque toute la haine des gens du roi pour la puissance romaine. Le roi déclare que les églises de France sont victimes de cupidités insatiables ; sans nommer le Saint-Siège, il dénonce ses usurpations très graves et ses intolérables entreprises, et particulièrement l'abus des réserves et des grâces expectatives. Il se plaint que ses trésors soient attirés en des régions étrangères, et que les études théologiques soient abandonnées, parce que la faveur seule, et non plus le mérite, décide de l'avancement des clercs. Les meilleurs bénéfices sont aux mains d'étrangers qui vivent loin de leurs ouailles. Ainsi le culte du Christ disparaît. La conclusion est qu'il convient, dans une certaine mesure, d'accueillir les remèdes choisis par le saint Concile de Bâle pour guérir les maux de l'Église.

Les deux premiers articles de l'ordonnance consacrent la doctrine des Pères sur la supériorité des Conciles en matière de foi et de discipline, et la convocation obligatoire d'un Concile œcuménique tous les dix ans. Par d'autres sont confirmés les décrets du Concile qui interdisent la Fête des Fous et les spectacles dans les églises, limitent la pratique de l'excommunication, répriment l'incontinence des clercs, et règlent diverses questions de discipline ecclésiastique.

Pour le parti gallican, les articles capitaux de la Pragmatique furent ceux qui réduisirent au minimum les droits du Saint-Siège en matière de bénéfices ecclésiastiques et de procès. Sur ce point, la hardiesse du Concile de Bâle fut souvent dépassée. Les évêques et les abbés seront élus, conformément aux canons, par les chapitres et les couvents. Le pape ne peut désormais se réserver la collation des bénéfices, ni imposer ses candidats par le moyen des grâces expectatives. Il ne peut créer de canonicats nouveaux dans les églises où le nombre des chanoines est fixe. La Pragmatique lui enlève le droit de consacrer le nouvel élu, à moins que ce dernier ne se trouve à Rome au moment de l'élection ; auquel cas, il devra prêter ensuite serment d'obéissance à son supérieur immédiat. Les annates sont supprimées en principe. Enfin le pape ne peut juger les procès en appel qu'une fois toutes les juridictions intermédiaires épuisées par les plaideurs.

Le texte de l'ordonnance comportait toutefois des concessions considérables en faveur d'Eugène IV, que les conseillers de Charles VII n'entendaient point pousser à bout. Malgré la suppression des annales, un cinquième des taxes perçues antérieurement serait versé au Saint-Siège, tant qu'Eugène IV vivrait, et ce pape conserverait également, à titre personnel, les réserves habituelles. D'autre part, contrairement à un important décret des Pères de Bâle, qui adjurait les princes de ne pas intervenir dans la nomination aux bénéfices, il était admis que le roi et les princes du royaume, s'abstenant de toute menace ou violence, usassent parfois de sollicitations bénignes et bienveillantes, en faveur de personnes de mérite, zélées pour le bien de l'État et du royaume. Le roi entendait ne rien perdre à l'établissement des libertés gallicanes.

Comment la Pragmatique Sanction a-t-elle été appliquée au temps de Charles VII ? On ne le sait pas bien. On aperçoit cependant qu'elle n'a pas eu force de loi partout en France[5], et que le roi et ses gens ne se firent pas faute de la violer. Plus tard les ennemis de Louis XI, notamment Thomas Basin et Martial d'Auvergne, se plurent à représenter Charles VII comme un sincère et consciencieux défenseur des libertés gallicanes : dans la réalité, il les sacrifia à son bon plaisir, et même parfois aux désirs du pape, lorsqu'il lui importa de ménager le Saint-Siège. Jouvenel des Ursins assure, dans un discours rédigé vers 1445, que le roi laissait Eugène IV abuser des réserves et des grâces expectatives. De son côté, le pape accédait volontiers aux prières que lui adressait Charles VII pour ses protégés : c'est ainsi qu'il donna au jeune Louis d'Albret la commende de l'abbaye de la Grasse et de l'évêché d'Aire, et qu'il s'interposa pour assurer le succès de Jean d'Étampes, conseiller de Charles VII, dont l'élection à l'évêché de Carcassonne était contestée.

La Pragmatique autorisait l'intervention du roi et des princes du royaume dans les élections et dans la distribution des prébendes. Cette très ancienne pratique, ainsi consacrée officiellement, en prit une force nouvelle. On trouve dans les lettres de Charles VII et du dauphin Louis maints spécimens de ces sollicitations bénignes et bienveillantes, qui parfois devenaient de véritables sommations. En 1444, le siège de Reims, le premier de l'Église de France, était vacant ; le roi, voulant faire élire son protégé Jacques Jouvenel des Ursins, qui n'avait que trente-quatre ans, n'écrivit pas moins de quatre fois au chapitre. Nous vous prions et requêtons, disait-il, pour le bien de vous, de l'Église et de nous, que vous veuillez avoir mémoire de la personne de notre conseiller. Jacques Jouvenel fut élu : au reste, il était homme de talent et de vertu ; mais le roi ne choisissait pas toujours si bien. Il usa des bénéfices pour payer les services de ses gens. Le fils acné de Jacques Cœur fut promu à vingt- cinq ans à l'archevêché de Bourges. Charles VII prétendit imposer Pierre Bureau comme évêque d'Orléans, bien que le chapitre eût régulièrement élu le pieux Thibaud d'Aussigny. Le dauphin Louis réclamait des prébendes pour ses protégés, en déclarant que sa bienveillance était à ce prix. Le roi alla jusqu'à confisquer le temporel des évêques qui refusaient de conférer des bénéfices à ses créatures. Les princes, imitant l'exemple du roi et du dauphin, peuplèrent de cadets de leurs maisons les évêchés soumis à leur influence. Ennemis et amis de la Pragmatique s'entendaient pour dénoncer les excès du pouvoir laïque : Pie II, dans ses Commentaires, déclare que Charles VII et ses grands vassaux disposaient des bénéfices à leur gré, que le Parlement de Paris s'immisçait dans les causes les plus exclusivement ecclésiastiques, et que la Pragmatique faisait des prélats français les esclaves des laïques[6] ; Jean Jouvenel des Ursins se plaignait avec amertume de l'ingérence royale dans les élections, et dans l'administration temporelle et judiciaire des évêques.

Pourtant, Jouvenel des Ursins considérait la Pragmatique comme une loi juste, sainte et raisonnable. Il estimait qu'elle faisait simplement revivre des règles très anciennes. Presque tous les évêques français soutinrent la même opinion, et, tant que le parti gallican e existé en France, la Pragmatique de 1438 est restée pour lui un objet de regrets. Cette ordonnance protégeait, il est vrai, le clergé français contre les exactions romaines, si intolérables à l'époque encore récente du Grand Schisme ; mais Jean Jouvenel et ses pareils commirent l'erreur de croire que l'on pouvait obtenir des gens du roi le respect sincère de l'indépendance du Clergé.

L'Université de Paris, qui, par ses délégués, avait pris une part active à la préparation des décrets de Bâle et de la Pragmatique, ne tarda pas à reconnaître combien elle avait été imprudente en favorisant la rupture entre l'Église de France et la Papauté. Cette imprudence était tout à fait contraire aux règles de conduite qu'elle suivait depuis une trentaine d'années. L'Université, dans son orgueil d'aristocratie intellectuelle, était attachée à la doctrine de la supériorité des Conciles sur la Papauté : il n'en pouvait être autrement, vu que les Conciles étaient le plus souvent gouvernés par ses docteurs. Mais déjà, pendant le règne de Charles VI et la régence du duc de Bedford, elle ne s'était pas montrée gallicane jusqu'au bout : ses intérêts le lui interdisaient. Le Saint-Siège, en effet, lui avait toujours fait une part très importante dans la distribution des riches prébendes. Il était évident que le rétablissement des élections canoniques, aggravé par le droit d'intervention du roi et des princes, livrerait les meilleurs bénéfices aux candidats les plus connus et les plus estimés par les chapitres et les couvents, ou les plus solidement appuyés par des lettres de recommandation décisives, et que les diplômes universitaires auraient peu de poids dans la balance. En 1418, l'Université avait protesté contre l'ordonnance gallicane publiée par le dauphin Charles, et, en 1425, elle avait soutenu énergiquement le duc de Bedford, lorsqu'il avait rendu au pape la collation de la plupart des bénéfices. Les députés qu'elle envoya à Bâle et à Bourges se firent l'illusion que le tiers des prébendes vacantes dans chaque église cathédrale serait assuré définitivement aux gradués des Universités. Cette clause figura bien dans la Pragmatique, mais elle ne fut pas appliquée. Aussi les témoignages du mécontentement de l'Université de Paris abondent-ils, pendant les vingt dernières années du règne de Charles VII. Elle déclarait que la Pragmatique était infructueuse et inutile[7].

 

III. — NOUVEAU SCHISME. CHARLES VII ET LE SAINT-SIÈGE.

LES papes n'acceptèrent jamais officiellement l'œuvre de l'assemblée de Bourges. Ils n'eurent pas une politique intransigeante, ils ne rejetèrent point les concessions que leur avait faites Charles VII et s'entendirent souvent avec lui aux dépens des libertés gallicanes ; mais ils ne cessèrent pas de réclamer l'abolition de la Pragmatique. Cette loi, publiée sans leur consentement et rédigée en des termes fort durs pour eux, était un exemple dont les autres princes chrétiens pouvaient être tentés de s'inspirer. Que tous prissent ainsi chez eux la direction des affaires ecclésiastiques, et c'en était fait de la Papauté. Dix mois après l'assemblée de Bourges, le nouvel empereur, Albert II, et la diète de Mayence publièrent à leur tour une Pragmatique, fondée sur les décrets de Bâle. Thomas de Courcelles, qui avait représenté le Concile à l'assemblée de Bourges, assistait également à celle de Mayence. Les Pragmaticiens avaient bien choisi leur moment : Eugène IV était réduit à l'impuissance par la lutte de plus en plus furieuse que soutenaient contre lui les Pères de Bâle.

Dans la trente-troisième session, tenue le 16 mai 1439, l'archevêque d'Arles, qui présida dès lors le Concile jusqu'à sa dispersion, réussit à faire voter les trois motions suivantes : un Concile général est supérieur au pape ; il n'est pas permis au pape de transférer ni de dissoudre un Concile ; c'est être hérétique que de nier ces vérités. Enfin on mit en discussion la déposition d'Eugène IV. Thomas de Courcelles, Nicolas l'Ami, autre docteur parisien, et l'archevêque de Tours, menèrent, avec le président de l'assemblée, la campagne contre le pape. Sauf sept, les évêques préférèrent se retirer plutôt que de voter sur cette question. L'archevêque d'Arles fit placer des reliques sur les sièges vides. Le conciliabule de Bâle ne comprenait qu'une vingtaine de prélats et trois cents prêtres et docteurs, lorsque la déposition d'Eugène IV fut votée, le 25 juin 1439. Croyant qu'un prince riche, apparenté aux souverains d'Occident, serait reconnu

facilement pour chef de l'Église, la commission choisie par les Pères élut le vieil Amédée de Savoie, qui avait abandonné à son fils le gouvernement de son duché et vivait retiré dans son château de Ripaille, sur les bords du lac de Genève. Amédée accepta la tiare et prit le nom de Félix V ; mais il ne fut reconnu que par les Universités et un petit nombre de princes de second ordre : le Grand Schisme avait laissé de si mauvais souvenirs qu'on ne voulait point le ressusciter, fût-ce même pour faire triompher le principe de la supériorité des Conciles[8].

Pourtant la nouvelle crise dura dix longues années : les princes avaient intérêt à tenir Eugène IV dans l'embarras, pour lui marchander leur appui. Les électeurs de l'Empire gardèrent une neutralité malveillante ; le roi d'Aragon réserva sa décision ; Charles VII fit de même. Une assemblée du Clergé de France, réunie à Bourges au mois d'août 1440, écouta tour à tour le légat du pape et les défenseurs du Concile et de l'antipape : Thomas de Courcelles, délégué des Pères de Bâle, prononça en faveur de Félix V un discours de deux heures, qui plut beaucoup au roi n. Finalement, Charles VII décida que le royaume resterait dans l'obédience d'Eugène, en attendant que la question fût résolue par un nouveau Concile général. Il refusa d'abolir la Pragmatique et, pour les modifications qu'il y avait peut-être lieu d'y introduire, s'en référa également au futur Concile.

Les menaces d'Eugène IV, les intrigues savantes qu'il ourdit pour circonvenir le Grand Conseil, un projet de Concordat fort avantageux qu'il proposa, tout échoua, et la Pragmatique ne fut point abrogée. En revanche, Charles VII abandonna la cause du Concile. Se substituant à l'inerte empereur Frédéric III, le roi de France rétablit la paix dans l'Église. Après de pénibles négociations, ses représentants obtinrent l'abdication de Félix V (avril 1449).

Charles VII trouva dans ce succès de sa politique l'autorité nécessaire pour maintenir la Pragmatique. En 1450, sur les instances du pape Nicolas V, il réunit pour la forme une assemblée ecclésiastique à Chartres. Quelques prélats émirent des doutes sur la légitimité de l'ordonnance qui avait réglé les libertés de l'Église gallicane sans aucune intervention du Saint-Siège. Les gens du roi exhibèrent alors une prétendue Pragmatique de saint Logis, instituant la liberté des élections et interdisant la levée d'impôts extraordinaires par les collecteurs pontificaux dans le royaume de France. Cette pièce fut produite encore deux ans plus tard, devant une nouvelle assemblée ecclésiastique tenue à Bourges, lorsque le cardinal d'Estouteville vint en France réclamer derechef l'abolition de la Pragmatique de 1438. Les partisans du Saint-Siège se trouvèrent fort embarrassés. Les gallicans accueillirent avec enthousiasme cette ordonnance placée sous la garantie d'un saint : pendant trois siècles, le parti devait en faire le fondement de ses argumentations. Cette Pragmatique de saint Louis était un faux, fabriqué sans doute dans la chancellerie de Charles VII.

Ni l'opiniâtreté de Calixte III, successeur de Nicolas V, ni la violence de Pie Il, ne triomphèrent de la persévérante politique royale : jusqu'à la fin du règne, les gens du roi mirent obstacle aux appels en Cour de Rome, lorsqu'ils paraissaient léser les intérêts de leur maitre ; ils interdirent l'application des bulles jugées dangereuses pour l'autorité monarchique ; aucun légat ne fut reçu sans avoir promis de ne pas attaquer la Pragmatique. Le refus opposé par Charles VII aux instances faites par Calixte III pour entraîner la France dans une croisade contre les Turcs, accentua son dissentiment avec le Saint-Siège. Quand le pape parla de lever une dîme sur l'Église de France pour préparer la guerre sainte, l'Université de Paris prit l'initiative d'un appel au Concile ; en 1457, ses députés allèrent présenter à Calixte III et aux cardinaux une protestation en dix-huit articles, où elle réclamait la convocation d'un Concile général et dénonçait les abus de pouvoir du Saint-Siège. Calixte condamna l'appel, comme téméraire et impie. L'exemple de la France menaçait de devenir contagieux : déjà les Allemands songeaient à demander l'appui de Charles VII, et à organiser une ligue pour obtenir la réunion d'un Concile. Pie II, durant le congrès réuni à Mantoue en 1459 pour organiser la croisade, réprouva impétueusement la Pragmatique et, le 18 janvier 1460, dans sa bulle Execrabilis, il déclara passible d'anathème tout prince qui désormais en appellerait du pape au Concile général. L'Université et à Parlement poussèrent alors Charles Vil à une action énergique. Jean Dauvet, procureur général au Parlement de Paris, publia, le 10 février suivant, une protestation qui commençait ainsi : Puisque le pape, à qui la puissance a été donnée pour l'édification de l'Église et non pour sa destruction, veut inquiéter le roi, le Clergé et les séculiers du royaume, moi. Jean Dauvet, procureur général du roi, je proteste et appelle de ses déclarations à la haute juridiction d'un Concile général, qui sera convoqué. autant que faire se pourra, sur les terres de France. Pie II n'insista point ; il attendit l'avènement de Louis XI.

Que devenait cependant la réforme de l'Église ? Elle avait été comme oubliée dans toutes reg querelles. Le, maux dont souffrait l'Église de France, le cumul des bénéfices, l'absentéisme des titulaires, la simonie, l'incontinence des prêtres, la vie mondaine ou le vagabondage des clercs, les gaspillages et les scandales dans les hôpitaux, persistèrent et s'aggravèrent. Personne en France ne prévoyait alors la grande crise du XVIe siècle ; tout cependant la préparait. Les efforts partiels des évêques et des Conciles provinciaux n'eurent guère de résultats. Il aurait fallu l'intervention d'une autorité plus puissante.

Les hommes pieux et éclairés, comme Jean Jouvenel des Ursins, avaient mis leur confiance dans le Concile général et dans le roi. Elle fut déçue. Le Concile de Bâle, après qu'il eut créé un antipape, ne s'occupa plus de la réforme de la discipline ; l'eût-il fait, que ses efforts fussent restés stériles : en renouvelant le Schisme, il avait perdu tout crédit dans la Chrétienté, il avait même compromis l'œuvre de ses premières sessions. Lorsqu'il prononça lui-même sa dissolution, en 1449, il était déjà oublié. L'ère des grands Conciles était close. L'espèce de système parlementaire que les partisans de la supériorité des Conciles avaient voulu introduire dans le gouvernement de l'Église catholique avait sombré dans l'impuissance et le mépris. Il était bien difficilement praticable ; l'inexpérience et la violence des Pères de Bâle l'avaient rendu impossible.

Quant au roi et à ses gens, leur politique religieuse fut étroitement intéressée, subordonnée de la façon la plus mesquine aux petits profits de chaque jour. Se servir du Clergé national contre le pape, et, au besoin, du pape contre le Clergé national, faire à l'un ou à l'autre les concessions qu'exigeaient les circonstances, sans autre but que l'accroissement du pouvoir royal, ce fut toute leur règle de conduite. Ils s'entendirent avec le Saint-Siège, aux dépens des libertés gallicanes, chaque fois qu'ils y virent leur avantage, et ils n'appliquèrent la Pragmatique que pour disposer à leur gré des bénéfices et réduire les privilèges judiciaires et financiers du Clergé. Ils n'isolèrent l'Église de France que pour l'asservir et l'exploiter. La réforme de la discipline fut abandonnée par eux comme elle l'avait été par le Concile. L'égoïsme de la Monarchie a été ainsi, pour une bonne part, responsable du grand déchirement religieux du VIIe siècle. Le pouvoir royal s'étendait avec la brutalité d'une force de la nature, tantôt funeste et tantôt bienfaisante, empêchant l'œuvre de réforme religieuse, comme il étouffait les germes de liberté que le moyen âge avait laissés grandir, et comme il tuait l'esprit féodal.

 

 

 



[1] SOURCES. Plasson, Caroli Septimi Pragmatica Sanctio, 1866. J. Haller, Concilium Basiliense, Studien und Quellen zur Geschichte des Concils von Barsel, en cours de publication depuis 1896. J. Guiraud, Documents commentés, Bull. de la Commission archéologique de Narbonne, 1892. Denifle et Chatelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. IV, 1897 ; Auctarium Chartularii, t. II, 1887. Curieux procès-verbal d'élection canonique en 1453, dans le Bull. historique et philologique, 1893, p. 78.

OUVRAGES À CONSULTER. Pastor, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge, traduction Furcy-Reynaud, t. I à III, 1888-1892 (abondante bibliographie). Creighton, History of the Papacy, t. II, 1892. Rocquain, La cour de Rome et l'esprit de réforme avant Luther, t. III, 1897. Héfélé, Histoire des Conciles, trad. Delarc, t. XI, 1878. Péret, Histoire de la Faculté de Théologie de Paris, t. IV, 1897. Péchenard, Jean Juvénal des Ursins, 1876. Travaux de Mlle de Villaret, Mém. de la Soc. archéologique de l'Orléanais, 1875, et de Ch. de la Roncière, Correspondance historique et archéologique, 1895. On manque d'études approfondies sur le participation du Clergé de France au Concile de Bâle et sur l'application de la Pragmatique Sanction. Nos conclusions, en particulier pour cette dernière question, sont fondées sur des textes récemment publiés, mais sont données comme provisoires. La publication du t. V du Cartulaire de l'Université de Paris pourra les étendre ou les modifier.

[2] L'impôt le plus lourd était celui des annates, le pape exigeait, chaque fois qu'un siège épiscopal ou abbatial devenait vacant, une année du revenu du bénéfice. Or, ces dignités étant généralement conférées qu'à des hommes mûrs, les mutations étaient fréquentes. Au diocèse de Bourges, l'archevêché seul payait 4.100 florins d'annates, la riche abbaye de Dénia, qu'on appelait la Mamelle de Saint-Pierre, 4.000 florins aussi, le total des annates du diocèse s'élevait à 13.000 florins, soit et 26.000 livres tournois. Raynal, Hist. du Berry, t. III, p. 188, d'après le cartulaire de l'Archevêché de Bourges.

[3] Le titulaire d'un bénéfice en commende en touchait les revenus, sans être obligé à la résidence.

[4] N. Valois, La prolongation du Grand Schisme, Annuaire-Bulletin de la Société de l'Histoire du France, 1899.

[5] Dans des instructions diplomatiques de 1466, Louis XI assure que les princes qui se plaignaient de l'abolition de la Pragmatique ne l'avaient jamais connue dans leurs domaines (Champollion-Figeac, Docum. histor. inédits, t. II, 1843, p. 407). Elle ne fut certainement pas appliquée en Bretagne : Jean V obtint du pape, en 1441, la promesse qu'il ne nommerait aux évêchés bretons que des ecclésiastiques agréables au duc (Bellier-Dumaine, L'administration de Jean V, Annales de Bretagne, 1900-1901, p. 265 et suiv.). Le Dauphiné, qui jouissait d'une grande autonomie, repoussa également la Pragmatique. Le duc de Bourgogne ne parait pas en avoir tenu compte. Naturellement elle ne tut pu appliquée dans les pays soumis encore aux Anglais ; sur l'ordonnance de Henry VI (1447) concernant la collation des bénéfices en Guyenne et en Normandie, voir P. Viollet, Hist. des institution politiques de la France, t. II, 1898, p. 938.

[6] Pii secundi Commentarii, édition de 1614, p. 160. Le cas du prieur de l'Hôtel-Dieu de Provins, dépossédé violemment de sa charge par les gens du roi, en 1458, au profit d'un certain Mardeau, qu'ils patronnaient, a été raconté par Bourquelot (Histoire de Provins, t. II, p. 97-98). En Bourgogne, Jean Petitjean fut dépouillé en 1461 de son abbaye de Saint-Martin d'Autun par le fils du chancelier de Philippe le Bon, le cardinal Jean Rolin. Jacques Du Clereq, chroniqueur artésien, dit qu'on vendait des bénéfices comme marchands font des denrées ; et toujours l'emportoit le plus fort, fust par prières de prinche, de sieur ou autrement (Mémoires, t. IV, p. 22). On assistait en somme aux mêmes abus et aux mêmes scandales dans les pays où l'on pratiquait la Pragmatique et dans ceux où on ne la pratiquait pas.

[7] L'Université de Paris avait d'ailleurs bien d'autres motifs de se plaindre. Les privilèges des Universités provinciales qui lui faisaient concurrence furent maintenus ou accrus, et les siens furent attaqués. Les gens du roi se défiaient d'elle, parce qu'elle s'était montrée fort attachée à la cause anglaise, et ses vieilles franchises leur paraissaient exorbitantes. En 1446, à la suite de deux années de troubles, Charles VII décréta que le Parlement pourrait désormais connaître, aussi bien que le roi en sa propre personne, des causes, querelles et négoces de l'Université de Paris, et ainsi il atteignit aux entrailles les privilège. auxquels manses et élèves étaient si attachés. Dans les dernières années du règne, cependant, cette sévérité se relâcha. C'était justement, comme on le verra, l'époque où les relations entre le roi et le Saint-Siège se tendaient, au point qu'une rupture paraissait possible. Après la bagarre sanglante de 1453 entre étudiants et archers de la prévôté, l'Université interrompit ses cours. Bien qu'il eût formellement interdit la cessation dans son édit de 1446, Charles VII la toléra pendant neuf mois, et le Parlement donna finalement satisfaction à l'Université. En 457, le pape Calixte III se plaignit auprès du roi de la présomption criminelle de l'Université, qui avait infirmé, comme scandaleuse et perturbatrice, la bulle donnée par son prédécesseur en faveur des Ordres mendiants. Charles VII se garda bien de sévir. Il entrait à ce moment-là dans ses desseins de s'appuyer sur l'Université pour faire face au Saint-Siège. Il traita l'Université comme le reste de l'Église de France : il s'efforça de l'asservir, mais il modéra ses exigences selon les besoins du moment.

[8] En France, à l'époque où les Pères de Bâle se préparaient à déposer Eugène IV, les États de Languedoc avaient émis le vœu que le Concile ne renouvelât point la division dans l'Église.