I. — LE MILIEU. LES MÉCÈNES. LES ÉCOLES ET LES UNIVERSITÉS[1]. ON a dit que la fin de la guerre de Cent Ans a été une période d'interrègne dans l'histoire intellectuelle de la France, exception faite des domaines bourguignons, mieux abrités contre les malheurs du temps. Rarement, à coup sûr, depuis plusieurs siècles, les circonstances avaient été plus défavorables à l'instruction et à l'étude, à la production littéraire et artistique. Les longs voyages qu'on faisait jadis pour aller écouter un maure célèbre n'étaient plus possibles ; l'archevêque de Bordeaux écrivait, dans une supplique de 1439 : Ceux qui sont disposés à rechercher la perle de la science ne peuvent plus se rendre en sécurité aux Universités, beaucoup en s'y rendant ont été pris, incarcérés, dépouillés de leurs livres et de leurs biens, mis à rançon, et parfois, ô douleur ! mis à mort. Dans toutes les villes qui avaient éprouvé directement les effets de la guerre, le peuple des gens d'études et des artistes avait à peu près disparu. Quand on voulut, en 1436, réparer le pont d'Orléans, en partie détruit pendant le siège de 1428-1429, on ne put trouver dans la ville aucun maitre de maçonnerie capable de diriger les travaux. À la même époque se fermèrent les ateliers artistiques de l'Île-de-France, jusque-là si florissants ; ceux de la Champagne ne produisaient presque plus rien[2]. Pourtant ni les études, ni les lettres, ni ce qu'on appelait alors les sciences, ni les arts, n'ont subi d'éclipse complète, et c'est merveille de voir la vie intellectuelle de la France se continuer et même, par certains côtés, se renouveler, au milieu de si effroyables misères. Le règne de Charles VII, dans sa première moitié, n'a pas été une époque d'inertie intellectuelle, et la rapide floraison littéraire et artistique dont il s'embellit en sa fin, avec le grand Villon, avec Antoine de La Sale, avec le peintre Fouquet, nous décide à dire que, s'il y a eu interrègne, cet interrègne n'a été ni stérile ni sans gloire. Cette persistance d'activité fut l'effet, sans nul doute, des bonnes habitudes qui avaient été prises au cours du siècle précédent. Depuis le XIVe siècle, on l'a vu. une curiosité universelle s'était éveillée, et les hommes qui détenaient le pouvoir politique et la richesse, même lorsqu'ils n'étaient pas eux-mêmes des lettrés, s'étaient accoutumés à honorer et à protéger les penseurs et les artistes. Tous les grands seigneurs de l'époque ont été, avec plus ou moins de faste et de goût, des Mécènes. Malgré la misère du temps, ils ont continué à se montrer magnifiques, au risque de ruiner leur maison. Leur protection s'est étendue sur tous les travailleurs de l'esprit, jeunes écoliers entretenus à leurs frais dans les Universités, théologiens, savants, historiens, poètes. romanciers, artistes. Charles VII avait l'esprit cultivé, et, assure Chastellain, estoit historien grant, bon latiniste ; il aimait les livres, et Martial d'Auvergne nous dit qu'il peuplait son Conseil d'hommes lettrés en clergie et science. Mais les grands Mécènes de ce temps ont été le due de Bourgogne et le roi René. Philippe le Bon, par ses domaines des Pays-Bas, était le prince le plus riche de la Chrétienté, et l'on a vu qu'il en était le plus fastueux. La vie, pour lui, n'était qu'un perpétuel gala, ennobli par toutes les splendeurs de l'art. Il savait discerner les belles choses, et il était lui-même, à ses heures, un rimeur assez adroit. Ses comptes révèlent les sommes énormes qu'il prodiguait en pensions accordées aux lettrés, en représentations théâtrales, en achat d'objets d'art destinés à ses châteaux et aux églises de ses États. Maintenant que la librairie du Louvre était dispersée, aucune bibliothèque ne pouvait rivaliser avec la sienne, pour le nombre et la magnificence des manuscrits, la richesse des reliures rehaussées d'or et de pierres précieuses. II avait à ses gages une armée de calligraphes et d'enlumineurs, et il entretenait à l'étranger des translateurs et escripvains, pour copier et au besoin traduire les ouvrages qu'il ne possédait pas encore. À la fin de sa vie, il se fit le protecteur de l'art naissant de l'imprimerie[3]. René, duc d'Anjou et de Lorraine, comte de Provence, roi in partibus des Deux-Siciles, n'avait point les richesses de Philippe le Bon. L'Anjou et la Provence étaient ruinés par la guerre et, comme nous le verrons, la vie politique du roi René fut fertile en mésaventures, qui resserrèrent encore son maigre budget. Mais René avait l'esprit plus vif et plus fin que le duc de Bourgogne, une curiosité insatiable, une passion ardente pour les lettres, les arts, tout ce qui peut préoccuper l'intelligence. De 1443 à 1471, il résida principalement en Anjou. Il agrandit le vieux château construit par saint Louis à Angers et l'entoura de beaux jardins, remplis de fleurs, de plantes rares et d'animaux exotiques. Sa cour n'était pas luxueuse, mais il n'en était pas de plus élégante, de plus raffinée, de plus originale ; nulle part les lettrés, les musiciens, les acteurs, les astrologues et les alchimistes n'étaient mieux accueillis. Le roi René fut, comme son grand-oncle le duc de Berry, un épicurien délicat, et, de plus, il mania lui-même la plume et le pinceau. Nous avons de lui le Livre des Tournois, ouvrage didactique en prose ; le Cœur d'amour épris, ouvrage allégorique en prose mêlée de vers : le Mortifiement de vaine plaisance, traité de morale chrétienne également écrit en vers et en prose ; enfin la pastorale de Regnauld et Jeanneton, des rondeaux, des cantiques. Les œuvres du roi René ne sont pas de purs exercices littéraires ; elles lui ont été inspirées, soit par un goût très sincère de la vie rurale ou des passe-temps chevaleresques, soit par les circonstances tristes ou joyeuses de son existence. Le bon roi a exprimé dans des vers pleins de naïveté et de grâce son amour de la nature, et le plaisir qu'il avait à contempler les paysans au labour, les bœufs Brunet, Blanchet, Blondeau et Compaignon et la terre grasse qui le bon froment rent. Il ne s'est d'ailleurs point soustrait aux modes et aux manies littéraires de son temps, et ses œuvres n'ont pas d'originalité. Il en était sans doute de même des peintures décoratives qu'il exécutait dans ses résidences et des petits tableaux qu'il s'amusait à faire, par exemple cette ymage de la Crucifixion, qu'il avait prins labour de composer pour les Franciscains de Laval. Nous n'avons probablement plus aucune des peintures du roi René : il était le premier à n'y attacher aucune importance, et quand il voulait faire illustrer un beau manuscrit, il s'adressait sans nul doute à des professionnels[4]. Il n'a été ni un homme universel ni un chef d'école, comme on l'a prétendu, mais il a été un amateur intelligent, initié à la technique artistique comme à la technique littéraire, et curieux notamment d'apprendre les secrets des arts industriels, même exotiques. Ses Comptes el Mémoriaux prouvent qu'il a dirigé lui-même, et dans le détail, les artistes qui ont construit ou embelli ses résidences. Il comprenait et goûtait l'art italien, mais il préférait à la suave élégance des peintres d'outremonts le solide réalisme et les savants procédés des Van Eyck et de leur école. Parmi les peintres qu'il a employés, comme Barthélemy de Cler, Pierre du Villant, Coppin Delf, Georges Trubert, Nicolas Froment, les uns étaient flamands, les autres s'inspiraient des traditions flamandes. Le roi René contribua peut-être autant que Philippe le Bon à faire triompher dans l'art français de ce temps le naturalisme septentrional. Charles d'Orléans, libéré de sa dure captivité en 1440, coulait à Blois une existence paisible et modeste, car il était ruiné, et il lui fallait porter des robes rapiécées. Son seul luxe était une collection de livres bien choisis. Vieux avant rage, geignant de ses infirmités, il se comparait lui-même à un chat endormi. La cour de Blois était le royaume de nonchaloir. Le duc, il est vrai, aimait les lettrés et les poètes. les attirait chez lui, instituait des concours poétiques ; il reçut Villon, mais ses familiers habituels, les Caillau, Fredet et autres, étaient de bien méchants rimeurs. Charles d'Orléans, en somme, malgré sa personnelle valeur littéraire, n'a joué qu'un médiocre rôle dans notre histoire intellectuelle. L'exemple donné par les princes du sang a été suivi, parfois dépassé par des seigneurs de tout rang : Gilles de Rais, grand amateur d'art et fin lettré, poursuivi jusque dans ses orgies sanglantes par des soucis esthétiques ; Antoine, grand bâtard de Bourgogne ; Jean, comte de Dunois ; Jean II, duc de Bourbon ; Pierre II, duc de Bretagne ; parmi les officiers de Philippe le Bon, les Croy, l'évêque Guillaume Fillastre et Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse, qui commence alors sa longue carrière de bibliophile ; parmi les officiers du roi René, Bertrand de Beauvau, sénéchal d'Anjou, qui, pour satisfaire ses goûts artistiques, aliène des domaines ; parmi les officiers de Charles VII, les Coëtivy, et surtout l'amiral Prigent de Coëtivy, fervent amateur de manuscrits. Si l'on ajoute les noms des grandes dames Lettrées, comme Éléonore de Bourbon, comtesse de la Marche, comme Ambroise de Loré, femme de Robert d'Estouteville, et ceux des fastueux bourgeois qui ont construit l'hôpital de Beaune et le palais de Bourges, et commandé les Heures de Jean Fouquet, —Nicolas Rolin, Jacques Cœur, Étienne Chevalier, — on n'aura encore qu'une liste bien incomplète des Mécènes au temps de Charles VII. La foule n'était pas insensible aux plaisirs de l'esprit. On a vu avec quel empressement elle suivait et secondait les représentations des mystères. Dans beaucoup de villes, les jeunes clercs ou les bourgeois formaient des associations demi-joyeuses, demi-littéraires. Dans le Nord, les confréries nominées Chambres de Rhétorique étaient de petites académies bourgeoises, où l'on rimait à la mode du jour, c'est-à-dire d'une façon très prétentieuse, et où les confrères se prêtaient une aide mutuelle pour représenter les mystères et les eshatements qu'ils avaient composés. On s'est beaucoup moqué de ces Chambres de Rhétorique ; elles ont contribué cependant à entretenir le goût des choses de l'esprit. La génération contemporaine de Charles VII, malgré tant de malheurs, a donc été une génération intelligente, lettrée et artiste. Nous verrons qu'elle a même été capable d'innover et que ses grands écrivains, notamment, ont produit des œuvres très personnelles. Le progrès, toutefois, n'a pas été général ; toutes les chaînes du passé n'ont pas été brisées, et les théologiens, les érudits et les savants de ce temps sont restés des hommes du moyen âge ; leurs productions, souvent, marquent même une décadence : toutes les promesses du xiv° siècle n'ont pas été tenues ; le mouvement humaniste s'est arrêté, et l'affaiblissement de la pensée philosophique, si visible déjà au XIVe siècle, ne fait que s'accentuer au XVe. C'est que, si les littérateurs et les artistes trouvent au temps de Charles VII ce qui leur est le plus nécessaire, — un public, des protecteurs généreux, des commandes, — les sciences et la philosophie exigent autre chose, une formation méthodique des esprits, et c'était ce qui manquait. L'ardeur d'apprendre, pourtant, n'était pas éteinte. Dans les instructions destinées à son fils par un officier de Philippe le Bon, Jean de Lannoy, on trouve un naïf et curieux témoignage de cet état d'esprit : Jamais, dit-il, n'avois esté mis a escolle, par quoy je ne savoic ne pouoie riens sçavoir. Dont n'est jour que je n'en aye ung merveilleux regret, et par especial touffes les fois que je me trouve avœcq les aultres au Conseil du Roy et bien souvent en sa presence, et pareillement de mon tres redoubté seigneur M. le duc de Bourgogne ; et que je ne sçay ne je n'ose dire mon opinion, après les clercs, éloquens legistes et hystoriens qui devant moy ont parlé, car je n'ay pas la maniere de parler eloqucmment, et ne sçay aultre chose dire fors que : Maistre Jan ou maistre Pierre a bien dit[5]. Le maintien, la réouverture, la création de quantité d'écoles et d'Universités, en des temps si troublés, répondent à ce goût et à ce respect des hommes du XVe siècle pour la culture intellectuelle. L'Université de Caen riait en 1432 et se complète en 1437-1438 ; l'Université de Bordeaux est fondée en 1441. Charles VII crée, pour son royaume de Bourges, l'Université de Poitiers en 1432 ; la même année, le pape Eugène IV accorde à l'Université d'Angers les Facultés des Arts, de Théologie et de Médecine qui lui manquaient. Dans les villes bien abritées par leurs remparts, les écoles restent généralement prospères. Les établissements d'instruction institués par les chapitres cathédraux perdent, il est vrai, leurs élèves, mais c'est au profit des petites écoles paroissiales et municipales, et des Universités voisines ; c'est le cas, notamment, à Chartres et à Rouen. À Troyes, aussitôt après la conclusion de la paix d'Arras, les écoles sont rétablies et dotées d'un règlement nouveau (1436). Une fois la guerre finie, les Universités regorgent d'étudiants ; le dauphin fonde l'Université de Valence (1452) et le duc de Bretagne, François II, celle de Nantes (1460). À Paris, la prospérité du collège de Navarre renaît si rapidement que deux de ses maures créent dans les maisons contiguës un grand pensionnat, une pédagogie, qui devient bientôt un collège indépendant, Sainte-Barbe (1460). Mais qu'enseigne-t-on dans ces écoles et ces Universités ? Rien de nouveau, et ce qu'on y apprend, un l'apprend mal. On n'y étudie point le grec, et la merveilleuse antiquité hellénique reste inconnue ou mal connue[6]. On continue à parler ce latin de cuisine que les humanistes du XVIe siècle traiteront de langue de latrine, glosa cacabilis. Cet idiome baroque et barbare est encore regardé comme la clef indispensable de toute science : Mieux vaut, dit en 1436 le nouveau règlement des écoles de Troyes, un latin congru qu'incongru, mieux vaut encore un latin incongru que le français. Il s'agit en effet de savoir le latin de la scolastique, parce que le but, la fin de toute éducation est la philosophie, mais quelle philosophie ! Un jeu d'école, une logique aride. Les enseignements spéciaux sont également pitoyables. Les Facultés de Droit ne comptent pas au temps de Charles VII un seul professeur dont le nom mérite d'être cité. L'enseignement des Facultés de Médecine est tout théorique. Nous avons dit quelle est au XVe siècle la décadence de l'Église de France. Là est l'explication de cette faiblesse générale de l'enseignement, et dans les écoles, et dans les Universités ; car la plupart des écoles dépendent des chapitres et des abbayes, et les Universités, malgré leur caractère demi-laïque, souffrent des mêmes maux que le Clergé L'exemple de l'Université de Paris suffit à nous en convaincre. Sous la domination anglaise et pendant les années qui suivent le recouvrement de l'Île-de-France, elle est ruinée, misérable, désertée des étudiants, et ne songe guère qu'à vivre, à sauver ses privilèges ; elle courtise Bedford, et, par les juges qu'elle fournit à Cauchon, par une consultation où s'étale l'orgueilleuse ânerie de ses docteurs, elle contribue à perdre Jeanne d'Arc. Puis, sentant que la fortune tourne, et irritée d'ailleurs par la création de la Faculté de Droit de Caen, elle abandonne tout doucement le parti anglais et, lorsque Richemont reprend Paris, elle implore de la bienveillance royale, avec des phrases émues, la confirmation de ses privilèges. Elle a conservé, malgré tout, son prestige ; dès que l'ordre commence à se rétablir, ses collèges se repeuplent : ses délégués jouent un rôle de premier ordre au Concile de Bâle ; mais c'est précisément dans les grands débats du Schisme et du Gallicanisme que l'Université de Paris, comme on le verra, manifeste le plus évidemment sa médiocrité. Dans cette Université qui passe encore pour le modèle de toutes les autres, la petitesse des esprits va de pair avec l'abaissement des caractères. Son plus fameux docteur, au temps de Charles VII, est Thomas de Courcelles, pédant infatué de ses diplômes, hypocrite et méchant. Cet homme, qui dirigea le Concile de Bâle, avait été l'un des juges de Jeanne d'Arc : il avait travaillé au procès-verbal et au réquisitoire, demandé la torture pour cette fille qui osait se réclamer directement de Dieu et savait répondre aux docteurs. Appelé plus tard comme témoin au procès de réhabilitation, il perdit subitement la mémoire et prétendit qu'il n'avait joué aucun rôle d'importance dans le drame de Rouen. Or c'est lui qui fut chargé de la prédicacion à la grand'messe de l'enterrement de Charles VII : l'Université ne trouva aucun de ses membres qui fût plus digne de cet honneur. La querelle de l'Université de Paris et d'un Espagnol qui voyagea en France en 1445, Maitre Fernand de Cordoue, en dit long sur les illusions, la vanité et la sottise des savants de ce temps. Fernand de Cordoue était un jeune homme de vingt-quatre ans, doué d'une grande mémoire et d'une fatuité peu commune. Il déclarait qu'il savait tout et qu'il était en état de confondre tous les docteurs de l'Université de Paris. Sommé par l'Université de prouver ce qu'il avançait, il n'accepta point de se laisser interroger et quitta la capitale. On se demande lequel fut le plus ridicule, du vantard qui se déroba, ou de l'Université qui se jugea offensée dans sa dignité et demanda qu'on lui renvoyât, de gré ou de force, Maitre Fernand de Cordoue[7]. La réforme de l'Université de Paris, promulguée en 1452 par le cardinal d'Estouteville, n'apporta aucune amélioration sérieuse aux études. Elle fut d'ailleurs préparée par une commission où figuraient des conseillers de Charles VII et vingt-huit délégués de l'Université elle-même : dans ces conditions, elle ne pouvait être et elle ne fut qu'un règlement de discipline générale et d'examens, non une réforme pédagogique ; car les gens du roi se souciaient peu du grec, et les maîtres de l'Université se croyaient tous en possession des meilleures méthodes. Depuis que Gerson et Nicolas de Clamanges s'étaient tus, personne en France n'osait plus attaquer la scolastique ni les vieux modes d'enseignement, ni peser à sa juste valeur ce que l'Allemand Nicolas de Cues appelait la docte ignorance. S'il y a eu malgré tout, au temps de Charles VII, des Français qui ont su réfléchir, observer la nature et l'humanité, ce sont des esprits indépendants, qui doivent très peu à leur éducation. II. — LA THÉOLOGIE, LES SCIENCES, L'HISTOIRE, LA POLITIQUE[8]. AU temps de Charles VII, le dogme officiel n'est menacé que par quelques insignifiantes imprudences On a vite fait d'arrêter l'extension de l'hérésie des Hussites de Bohême, qui, un peu avant 1430, a pénétré dans la châtellenie de Lille[9]. Les hérétiques qu'on brûle sont le plus souvent de simples sorciers, ou des gens présumés tels. Le seul mouvement hétérodoxe de quelque importance dont les documents de cette époque nous aient conservé le souvenir, eut des causes sociales et non religieuses. Pendant les dix premières années du règne de Charles VII, des agitateurs, dont la personnalité est restée obscure, parcouraient le Forez et le Velay, excitant la haine des paysans contre les nobles et les clercs, qui ne prenaient point leur part des écrasants subsides payés au roi. Comme un demi-siècle auparavant John Bail et les Pauvres Prêtres de Wycliffe en Angleterre, ils prêchaient contre l'inégalité des conditions : Dieu avait dit à Adam que ses descendants devraient tous gagner leur pain à la sueur de leur front ; et il n'avait point dit qu'il dût. y avoir des seigneurs et des clercs fainéants ; il fallait que chacun travaillât, et il suffisait d'un seul prêtre pour chaque paroisse. En 1431, ces démagogues réussissaient à provoquer une révolte communiste : les paysans attaquaient les gens d'Église et assiégeaient les châteaux ; mais la Noblesse du Forez et du Bourbonnais, unie aux routiers de Villandrando, n'eut point de peine à exterminer cette canaille, qui prétendait l'obliger à travailler et à payer les impôts. Les gens d'Église, de leur côté, s'émurent d'une doctrine aussi subversive et la condamnèrent comme hérétique. Il y a eu en effet bien des révolutions religieuses qui ont commencé par des agitations sociales du même genre. Ainsi, les seules hérésies de ce temps sont. des importations étrangères ou des doctrines anarchistes inspirées par les malheurs qui accablent le peuple. Dans le Clergé même, le mouvement intellectuel est à peu près nul. De toute la production théologique et philosophique de l'époque, le seul ouvrage digne d'être cité est celui de Raymond de Sebonde, qui enseignait la philosophie à l'Université de Toulouse. Pour démontrer la vérité de la doctrine chrétienne par la raison, la nature et les besoins de l'âme, il a écrit vers 1434 un Livre des Créatures, qui prouve une certaine vigueur d'esprit, mais n'a point d'originalité Sa métaphysique, sa morale, sa politique, sont du moyen âge. Les autres philosophes se contentent de rabâcher des syllogismes, de commenter Aristote sans le lire dans le texte et de cultiver l'art de parler pour ne rien dire. L'humanisme aurait pu ranimer les études philosophiques, rendre le sens du réel et de la vie aux esprits desséchés par la scolastique, et leur faire connaître et goûter le véritable Aristote et la véritable antiquité. Mais les érudits du mye siècle n'avaient. pas eu de successeurs. Il n'y avait presque plus de traducteurs, il n'y avait pas de philologues. En dehors de l'Église, en dehors des Universités, il y a, au XVe siècle, une vie scientifique comme il y a une vie littéraire. Les astrologues, qui sont aussi des astronomes, et les alchimistes, qui sont aussi des chimistes[10], les géographes, les voyageurs, les cartographes, sont des chercheurs indépendants. Les princes paient leurs travaux et. leurs voyages, achètent des mappemondes, des cartes, des astrolabes, ont des laboratoires, des ménageries et des jardins botaniques. Mais les méthodes manquent, et l'on piétine sur place. Les sciences les plus immédiatement utiles restent stationnaires. Les médecins, par exemple, sont d'une ignorance grossière[11]. Les connaissances qui ne demandent qu'une observation directe et relativement facile de la réalité sont seules en progrès. Les lois de la physique terrestre restent inaccessibles à des gens qui prétendent encore, par des raisonnements abstraits, mettre d'accord la Bible et les théories des cosmographes grecs ; mais des hommes intelligents s'appliquent à décrire les aspects naturels, les ressources économiques et les mœurs. Le héraut qui a composé, à la fin du règne de Charles VII, le Débat des hérauts d'armes de France et d'Angleterre y a introduit un petit cours de géographie économique ; il compare avec perspicacité les ressources des deux pays ennemis, et, après avoir étudié les voies de communication, les richesses du sol et du sous-sol, l'industrie, il conclut à la supériorité de la France, à ce point de vue comme aux autres. On a attribué à un autre héraut, Berry, roi d'armes de Charles VII, un petit livre, bien oublié aujourd'hui, et pourtant fort curieux, sur la manière, la forme et les proprietez des choses qui sont en tous les royaumes chrestiens. Cet opuscule est plein de remarques précises sur la géographie physique et économique, les mœurs, le régime alimentaire, le costume et le caractère des habitants de chaque pays. L'auteur dédie son œuvre à ceux qui, comme lui se delectent a voir le monde[12]. Le goût des voyages était en effet très répandu, et les voyageurs ne se faisaient pas faute de prendre des notes et de les publier. Le chevalier lillois Guillebert de Lannoy nous a raconté ses longues courses en Europe, en Égypte, en Syrie et en Palestine. Bertrandon de La Broquière, premier écuyer tranchant de Philippe le Bon, était un excellent observateur, et il nous a laissé un des livres les plus intéressants du XVe siècle. Pendant son séjour en Palestine et en Syrie et son voyage de retour par la péninsule des Balkans, il a noté avec exactitude les climats, les habitudes, les croyances. Il a jugé avec une impartialité remarquable le peuple turc : Ilz sont moult charitables gens les ungs aux aultres et gens de bonne foy, dit-il. J'ay veu souvent, quand nous mengions, que, s'il passoit un povre homme auprès d'eulx, ilz le faisoient venir mengier avec nous. Ce que nous ne ferions point. Il les distingue soigneusement des Arabes, gens déloyaux et avides. Sa pittoresque description du retour de la caravane de la Mecque, son entrevue avec l'empereur byzantin Jean Paléologue, son récit de l'audience accordée par le sultan Mourad à l'ambassadeur milanais, tout serait à citer. La fin de la guerre de Cent ans est une des époques du moyen âge les mieux connues dans le détail, grâce au grand nombre et à l'exactitude des chroniqueurs qui l'ont racontée. Plusieurs de ces chroniqueurs, il est vrai, n'ont pris la plume qu'après la mort de Charles VII : c'est surtout pendant le règne de Louis XI que le plus renommé de tous, Georges Chastellain, a rédigé son œuvre. La génération de Charles VII, néanmoins, a produit des écrits historiques de valeur. Si l'historiographe officiel de la Monarchie, Jean Chartier, est négligent et mais, le roi d'armes de France, Berry, composé une chronique (1402-1455) et un récit du Recouvrement de Normandie, qui se recommandent par une narration abondante, précise et fort judicieuse des faits de guerre ; le chapelain de la reine Marie d'Anjou, Robert Blondel, a raconté lui aussi la Réduction de la Normandie. Les grands seigneurs protègent et pensionnent un ou plusieurs chroniqueurs : Guillaume Cousinot, oncle du célèbre conseiller de Charles VII, compose à l'honneur de la maison d'Orléans la Geste des Nobles ; l'exact et intéressant Perceval de Cagny est un familier des ducs d'Alençon ; Michel de Bernis et Esquerrier sont des serviteurs du comte de Foix Gaston IV ; le consciencieux Enguerrand de Monstrelet, prévôt de Cambrai, et son excellent continuateur Mathieu d'Escouchy, prévôt de Péronne, qui commencent la pléiade des grands chroniqueurs bourguignons, sont probablement des protégés de Jean de Luxembourg. Parmi les œuvres indépendantes, qui reflètent une opinion personnelle, et sans doute l'opinion d'une classe ou d'un parti, la plus remarquable est le Journal d'un Bourgeois de Paris. On a supposé que ce prétendu Bourgeois était Jean Beaurigout, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, ou bien Jean Chuffart, chanoine de Notre-Dame et recteur de l'Université ; ni l'une ni l'autre de ces hypothèses n'est acceptable, et il faut se contenter de dire que ce Journal a été écrit, comme le déclare lui-même l'auteur, par un des plus parfaiz clercs de l'Université de Paris. Il montre en détail tout ce que les Parisiens ont eu à souffrir de 1405 à 1449, et nous renseigne aussi bien sur le prix du beurre et sur les faits divers que sur les événements politiques. On a vu quelle lumière il jette sur l'état d'âme du parti bourguignon. C'est un document d'une sincérité, d'une intensité de vie extraordinaires. La littérature didactique et politique est presque aussi riche que dans le siècle précédent. L'iniquité du traité de Troyes, les malheurs de la France, la corruption des mœurs, l'inertie du roi Charles VII, ont suscité des œuvres de protestation très intéressantes, les unes anonymes, les autres signées de Robert, Blondel, d'Alain Chartier, de Jean Jouvenel des Ursins. Alain Chartier (1385-1430 ?) vit de près les misères du royaume de Bourges. Chassé de Paris par les massacres de 1418, il passa presque tout le reste de sa vie auprès de Charles VII, qui l'employa comme secrétaire et comme diplomate. Le Quadrilogue invectif, écrit, comme nous l'avons dit, en 1422, le Curial, le Livre des trois vertus, composé au moment du siège d'Orléans, sont l'œuvre d'un honnête homme, navré de la ruine de la nation, et d'une corruption morale qui pourrit toute la société et l'Église elle-même. Alain Chartier est inspiré d'un véritable sentiment patriotique, évidemment nourri de souvenirs antiques, et qui par là même n'est pas très éloigné du patriotisme moderne. Ses œuvres en prose, encore enfermées pour la plupart dans les vieux cadres de l'allégorie, échappent cependant au moyen âge par la pensée, et aussi par le style. Alain Chartier avait appris le latin dans les bons auteurs, comme le prouvent les opuscules qu'il a écrits en cette langue. Sa prose française a la forte précision, le nombre et l'abondance du style romain, et mérite une place très haute dans l'histoire de notre littérature. Jean Jouvenel des Ursins[13] second fils du fameux prévôt des marchands, avait eu en 1418 le même sort que son père et qu'Alain Chartier : il avait dû quitter précipitamment Paris, et était allé rejoindre le dauphin Charles. Il devint un des principaux personnages du royaume de Bourges. Il avait trente-quatre ans à l'avènement de Charles VII. D'abord maître des requêtes de l'Hôtel, il fut successivement avocat général au parlement de Poitiers (1425), chapelain du roi, évêque de Beauvais (1432). Transféré en 1444 du siège de Beauvais à celui de Laon, il devint ainsi duc et pair de France ; enfin, en 1449, il remplaça un de ses frères, Jacques Jouvenel, sur le siège archiépiscopal de Reims. Charles VII lui confia quelques importantes missions diplomatiques et judiciaires, mais Jouvenel des Ursins n'était pas un prélat de cour ; il était très soucieux de bien administrer son diocèse et, s'il servit le roi avec zèle, il garda envers son maître une remarquable indépendance de langage. Il fut l'Alceste du règne, et ne ménagea la vérité à personne. À mesure qu'il avança en âge, il fut plus agressif. Un de ses premiers ouvrages est une Histoire de Charles VI, qu'il composa durant son séjour à Poitiers. Il y montre de la pitié pour le malheureux Charles VI et les Armagnacs, et réserve sa sévérité pour la politique bourguignonne, qui lui parait monstrueuse. Plus tard, c'est de préférence à châtier ses amis qu'il emploie sa verve. Dans sa première Epistre au roy, composée vers 1433, il fait un tableau effroyable des misères de la France armagnaque, et il en rejette la responsabilité sur les Armagnacs eux-mêmes, sur les gens du roi, qui ne rendent pas la justice, sur les nobles, qui organisent le pillage des campagnes, sur les gens d'Église, qui se déshonorent par leurs vices, sur les marchands, qui donnent l'exemple du vol. Toutefois, il ne dit que du bien de Charles VII, qui est visiblement le protégé de Dieu ; le roi est d'ailleurs l'âme, le principe de la vie de la chose publique, et tous doivent travailler sans arrière-pensée au recouvrement de sa seigneurie. Le ton reste le même dans le Discours louchant les différends entre les rois de France et d'Angleterre ; ce traité, composé en 1435, est, sous une forme allégorique, une démonstration juridique du bon droit de Charles VII[14]. Cinq ans plus tard, au moment le plus terrible de l'Écorcherie, Jouvenel, dans une nouvelle Epistre au roy, prend à parti Charles VII lui-même : le roi n'entend pas les plaintes des pauvres créatures humaines que Dieu lui a confiées, il dort, au lieu de faire justice des Écorcheurs et de mener vigoureusement la guerre pour en finir avec les Anglais ; à l'assemblée des Trois États tenue récemment à Orléans, à peine a-t-il montré sa face, or, l'Écriture condamne les chefs négligents : qu'il songe au salut de son âme. Qu'au moins il craigne de s'attirer la haine de ses sujets, car le peuple est comme désespéré et enragé, et ne faict que murmurer et maudire vous-mesure et ceux qui se dient a vous. On parle d'obtenir la paix en cédant la Normandie aux Anglais ; ce n'est pas possible : La laisser aller seroit chose merveilleuse et, dure, et qui pourroit tourner au damnement de vostre ame et deshonneur perpetuel, car elle n'est mie vostre, elle est a la couronne, de laquelle vous n'estes que administrateur, tuteur, curateur et procureur. Il conclut en invitant le roi à assembler les États Généraux à Paris, pour avoir advis de trouver les moyens de remettre vostre royaume sus, et y faire régner justice et trouver expédients en tous les doubtes qui peuvent survenir. Lorsque l'évêque écrivit son traité Sur le faict de la justice pour l'édification de son frère Guillaume, nommé chancelier en 1445, puis les Remontrances au roy pour la réformation du royaume (1453), le pouvoir royal était reconstitué, et, en échange de l'ordre rétabli, il fallait subir la domination très dure des gens du roi. Jean Jouvenel s'indigne contre leurs abus de pouvoir. Il ose critiquer l'établissement de l'armée permanente, et la levée arbitraire de la taille, que le roi perçoit sans le consentement des Trois États. Il se demande, en 1453, si l'ordonnance des gens d'armes doit se continuer ou non : il sembleroit que non, car vous n'avés plus aucune guerre. Il n'exprime pas, du moins ouvertement, la crainte que le roi ne fasse de son armée un instrument de tyrannie ; mais il a peur que les soldats des compagnies d'ordonnance, étant désœuvrés, ne se remettent à opprimer le peuple. Enfin il engage Charles VII à se conformer aux loys du royaume et à convoquer les États Généraux, car cette taille des gens de guerre, qui sert surtout à pensionner les courtisans et à payer les robes des belles dames de la cour, devrait être consentie chaque année : Le royaume s'appelle France, parce que les sujets doivent être vraiment francs. Mais de present, ils sont plus que serfs taillables a volonté. Jean Jouvenel des Ursins a été assurément un des esprits les plus clairvoyants et les plus libres du XVe siècle. Fait caractéristique, ses pamphlets sont écrits en français , cet homme d'Église abandonne le latin, la langue de la tradition, de la scolastique et des idées toutes faites. C'est une preuve de son exceptionnelle indépendance d'esprit. Les gens d'Église de cette génération, en effet, écrivent pour la plupart en latin. lis ne réussissent plus, d'ailleurs, à imposer partout l'idiome pseudo-savant dont ils se servent, et cette impuissance est un signe des temps. Le français est devenu la langue de la littérature, de l'administration et de la politique. Cette victoire du parler vulgaire sur la basse latinité démontre que la laïcisation intellectuelle s'accentue et que, si la foi est encore très vive, le Clergé, affaibli et désemparé, a perdu le gouvernement des intelligences. III. — LA POÉSIE LYRIQUE ET POPULAIRE, LE ROMAN ET LA NOUVELLE, LE THÉÂTRE[15]. DANS les œuvres poétiques du temps de Charles VII se trouvent réunis les traits qui caractérisent toute la littérature de ce règne : on continue à moraliser sans fin, à aimer l'allégorie, et pour les exigences maniaques de la forme, les écrivains du XIVe siècle sont encore dépassés par ceux du XVe ; mais voici du nouveau : de grands talents isolés surgissent, qui font vibrer des cordes depuis bien longtemps muettes ; ils ont le sentiment aigu et douloureux des tristesses de la vie, de la petitesse et de l'infortune humaine et, ce qu'ils sentent, ils savent l'exprimer avec une sincérité émouvante ou une ironie poignante. Un de ces grands hommes, Villon, a créé la poésie lyrique moderne. Les poètes qui conservent les traditions du siècle précédent sont très nombreux. Au temps de Charles VII, qui ne rime pas avec quelque agrément ? Les grands seigneurs, comme Charles d'Orléans et sa femme Marie de Clèves, le roi René, Philippe le Bon, la dauphine Marguerite d'Écosse, Jean II de Bourbon, le duc d'Alençon, le comte d'Étampes, le comte de Nevers, Antoine de Vaudemont et son fils Jean de Lorraine, et les écuyers jeunes et vieux, et les demoiselles, et les domestiques des princes, et les jeunes clercs, tous font des vers, sur l'amour, sur la mort, sur n'importe quoi. Antoine de Lussay voit un cheval qui rue : il fait des vers pour célébrer cet événement. De ces poètes sans prétention, qui ne rimaient pas pour la postérité, et se tenaient aux petits sujets, Charles d'Orléans est incomparablement le meilleur. Il est devenu un classique, et il le mérite, par la preste et jolie allure de ses poèmes de jeunesse et d'amour, par le philosophique désenchantement de ses œuvres de vieillesse, par la naturelle élégance du style ; presque aucun des mots qu'il a employés n'a disparu de l'usage, et nous le lisons sans peine. Par le fonds cependant, et les cadres poétiques dont il s'est servi, il est bien du moyen âge. Ce duc d'Orléans, qui fut pris à Azincourt, qui subit une dure captivité de vingt-cinq ans, qui eut ses domaines sauvés par la Pucelle, n'a guère chanté que des lieux communs. Presque rien de la tragédie de sa vie et de son temps n'apparaît dans ses œuvres : le fils du raffiné Louis d'Orléans et de la délicate Italienne Valentine Visconti ne regardait la poésie que comme un agréable passe-temps. Alain Chartier est resté, comme Charles d'Orléans, fidèle à la conception que presque tous ses contemporains se faisaient de la poésie. Ses œuvres en vers se composent d'un honnête et banal traité didactique, le Bréviaire des nobles, et de poésies amoureuses, correctement écrites, d'ailleurs froides et ennuyeuses. Pour ces fades jeux d'esprit, il a été considéré pendant tout un siècle comme le plus grand des poètes français. Martin Lefranc (1410 ?-1461) n'a jamais été célèbre et il est aujourd'hui oublié. Il est pourtant un de ceux qui, par la vigueur naturelle de leur esprit, sont sortis de l'ornière où s'enlisait alors la poésie. Son Champion des Dames est le développement d'un thème très banal alors, l'attaque et la défense du sexe féminin ; mais il est écrit en vers excellents, brefs, clairs et sonores, et c'est l'œuvre d'un esprit remarquablement vif et libre, qui s'intéresse à toutes les choses de son temps. Martin Lefranc a pleuré les malheurs de la France, admiré Jeanne d'Arc, raillé rudement les passe-temps puérils et les babouyneryes des nobles, les vices du Clergé. On a vu combien il était affranchi des préjugés ecclésiastiques de son temps, sur le sabbat et la sorcellerie. Cet indépendant avait été l'élève du sec théologien Thomas de Courcelles, et peu après l'achèvement de son poème, il reçut de l'antipape Félix V une bonne prébende à Lausanne. Il était de ces dangereux fils de l'Église, qu'elle élevait et nourrissait, et qui préparaient l'émancipation de l'esprit. C'était aussi un Universitaire que l'auteur du Petit Testament et du Grand Testament ; mais personne ne secoua plus audacieusement le poids des vieilles idées et du style convenu, que martre François Villon ; rien de moins livresque que les petits poèmes jaillis de cette âme de rôdeur. Ce sont peut-être les misères de la guerre de Cent Ans qui ont fait de lui un grand poète. Muni, en un temps heureux, d'un bon bénéfice, il aurait rimé des vers grandiloquents et vides, comme il l'a fait parfois, quand il s'est cru obligé de sacrifier à la mode. Mais il a été un bohème, un voleur, un meurtrier, un souteneur, et il a décrit les joies triviales et immondes, les remords, les doutes, les affreuses mélancolies de sa vie, en une langue un peu difficile, mais d'une sobriété, d'une vigueur, d'une couleur admirables. La poésie lyrique, la poésie personnelle, d'autres en France s'y étaient essayés ; d'autres avant lui avaient tâché d'exprimer les élans de l'âme et son désenchantement, le regret de la jeunesse qui s'enfuit, l'horreur de la vieillesse et de la mort ; mais nul n'avait poussé ces cris de détresse qui étreignent le cœur ; nul encore n'avait mélangé à de froides et cyniques plaisanteries ces lamentations désespérées. Ce Grand Testament, tantôt goguenard, tantôt brutal, tantôt lyrique, reste une énigme. Parmi les critiques modernes, les uns ont fait de Villon un impulsif, sans méchanceté consciente ; les autres, un sceptique incapable d'émotion sincère, doué seulement d'un grand talent littéraire. Mais qui pourra jamais savoir ce qu'était cet homme étrange ? Et lui, le savait-il ? Il a dit : Je congnois tout, fors que moy mesmes. Ces poèmes de Villon, si robustes, si riches, étaient écrits dans le savoureux langage, un peu archaïque, des bons becs de Paris. La littérature populaire de l'époque, — énergiques ballades qui accueillent par des cris de haine assouvie les défaites et les massacres d'Anglais ; complainctes amères qui menacent d'incendie les hôtels des nobles écorcheurs ; chansons moqueuses sur les maris jaloux, sur les embarras du ménage, sur les élégants coureurs de dot ; chansons d'amour, où s'étale une sensualité ingénue ; chansons à danser, d'un tour si franc, d'une sonorité si musicale, — toutes ces fraîches créations de la masse anonyme ont contribué peut-être à former le génie de maitre François, qui fréquentait le pavé des villes et les grands chemins plus que les cours princières. La poésie populaire devient subitement très abondante, justement pendant le règne de Charles VII. Elle est un témoignage, bien précieux pour l'historien, du sentiment de la foule, de sa verve naturelle et de ses mœurs naïvement dévergondées. Quant à l'épopée, les poètes l'ont définitivement abandonnée. Les rares récits épiques qu'on invente au temps de Charles VII sont écrits en prose. Les anciennes chansons de geste, pour être lues plus aisément, sont même dérimées. D'ailleurs, le grand nombre de ces insipides versions, les splendides miniatures qui parfois les accompagnent, prouvent qu'elles étaient fort goûtées. C'est la basse littérature du XVe siècle, analogue aux romans de cape et d'épée de nos jours. Au moment où l'épopée achève de mourir se développe un genre qui la remplace dans le goût des lettrés : le roman et la nouvelle en prose. Le petit traité de psychologie conjugale, si moderne par l'amertume de l'accent et la dure précision de l'analyse, qui s'intitule ironiquement les Quinze joyes de mariage, a dû être écrit, à notre avis, vers 1440. Le Petit Jehan de Saintré est daté de 1439. Les Cent Nouvelles nouvelles ont été composées presque toutes pendant les dernières années du règne de Charles VII ; certaines ont été écrites sans doute à la cour du dauphin Louis, à Genappe ; le livre a été terminé à Dijon en 1462. Le bizarre roman de Jehan de Saintré, où l'esprit chevaleresque est tour à tour exalté et tourné en dérision, est dû à l'auteur de la Salade et de divers autres ouvrages moraux, historiques et didactiques, Antoine de La Sale, capitaine provençal, qui eut une jeunesse aventureuse en Italie et se fit sur le tard précepteur de jeunes princes et commensal du duc de Bourgogne. S'il faut décidément attribuer à la même plume les Quinze joyes de mariage et les Cent Nouvelles nouvelles, qui marquent l'apparition précoce du roman psychologique et de la nouvelle à la mode italienne, Antoine de La Sale est un de nos très grands prosateurs[16]. Le même souci de réalisme, le même talent à décrire la vie, se retrouvent dans le théâtre de ce temps et en expliquent le développement et le succès. Le théâtre français est issu des drames liturgiques qu'on représentait dans les églises, — des parodies qu'on jouait aussi dans les églises, notamment le jour de la Fête des Fous, — enfin des tableaux vivants et des pantomimes qui se donnaient sous le nom de jeux, de mystères et d'entremets, dans les fêtes populaires et seigneuriales. Déjà, au me siècle, certaines confréries jouaient en dehors des églises de véritables drames religieux, les miracles de Notre-Dame. À partir de 1440 environ se multiplient les grandes tragédies chrétiennes auxquelles est resté attaché, un peu trop exclusivement, le nom de mystère[17]. La vogue des mystères durera, sans s'affaiblir, pendant plus de cent ans, jusqu'au jour où le Parlement de Paris en interdira brusquement la représentation. Ils sont intéressants à la fois pour l'histoire littéraire et pour l'histoire des croyances et des mœurs. Ils offrent un mélange de poésie dramatique et lyrique, où toutes les formes prosodiques alors à la mode se rencontrent. À des bergeries où il est question de Nymphes et de Mercure, à des intermèdes du comique le plus extravagant et souvent le plus bas, succèdent des scènes d'une grandeur tragique véritable. Le Manceau Arnoul Greban, qui a composé, en 1450-1451, un Mystère de la Passion, puis, en collaboration avec son frère Simon, un Mystère des Actes des Apôtres, a semé dans ses œuvres, trop longues et mal ordonnées, beaucoup de talent, d'émotion sincère, de beaux vers. Lorsqu'il a exprimé des sentiments vraiment humains, comme la douleur maternelle de la Vierge et les remords de Judas, il a presque atteint au sublime. Ses œuvres ont eu un succès immense, qui ne peut s'expliquer que par leur valeur dramatique. Il faut donc admettre, quoi qu'on en ait dit, que le public allait aux mystères pour entendre, en même temps que pour voir. Les moralités ressemblaient généralement aux mystères par l'intention édifiante, et en approchaient quelquefois par l'importance de la mise en scène. Ainsi, en 1448, on joua à Laval, devant une grande foule, la Moralité du bien et du mal advisé, où figuraient cinquante-sept personnages. Les farces, les sotties, et les monologues que débitaient les confréries joyeuses ou les écoliers, ne différaient guère des parades et des scènes comiques intercalées dans les mystères. Les auteurs de ces petites pièces sans prétention daubaient sur la niaiserie des maris, la rapacité des avocats, les vices de toutes les classes, y compris le Clergé, avec un étonnant cynisme. Les monologues appelés sermons joyeux étaient d'une rare indécence. On n'attachait pas d'ailleurs à ces bouffonneries plus de prix que nous n'en attachons à nos journaux comiques, et nous n'en avons conservé qu'un nombre infime, bien que chaque année on en composât peut-être des centaines. Elles paraissent avoir foisonné dès la fin du règne de Charles VII. Quelques-unes, tout en restant anonymes, sont devenues vite très célèbres ; la Farce de Maistre Pierre Pathelin[18] est restée classique : elle a gardé encore aujourd'hui sa fine saveur. Pathelin, comme toutes les grandes créations comiques, est d'une vérité générale et aussi d'une vérité particulière : c'est l'homme d'affaires minable et véreux, qui est éternel, et c'est l'avocat sans cause qu'avait produit, à la fin du moyen âge, la multiplication des diplômes universitaires. Cette immortelle pochade, œuvre de quelque clerc de la Basoche, figure en bon rang parmi les documents que la littérature de ce temps-là fournit à l'historien : documents de premier ordre, parce que, pour la plupart, les auteurs du XVe siècle, qu'ils fissent du théâtre, du roman ou des vers, n'étaient point uniquement des écrivains ; ils étaient hommes d'épée, de robe ou d'Église ; ils n'avaient pas le temps de beaucoup lire, et ils restaient perpétuellement en contact avec la réalité et la vie. Cette littérature du temps de Charles VII a de l'originalité et de l'inspiration, ou tout au moins de la sincérité. La convention n'enchaîne pas les vrais poètes, comme Charles d'Orléans, Martin Lefranc et Villon, même lorsqu'elle leur impose certaines formes et certains sujets ; la manie de l'allégorie n'empêche point Alain Chartier d'être un vigoureux moraliste et un prosateur excellent ; ce ne sont là que défauts superficiels. Enfin, malgré des traces d'influence antique dans les œuvres d'Alain Chartier, d'influence italienne dans les Cent Nouvelles nouvelles, cette littérature est, somme toute, très française. On va voir que l'art, sans rompre avec les traditions nationales, subit une forte impulsion extérieure. IV. — LES ARTS[19]. AU XVe siècle, si l'on excepte l'Italie, c'est encore l'art gothique qui triomphe en Occident : il continue logiquement son évolution. Est-ce à dire qu'en France, où cet art était né, son développement se poursuive, durant le règne de Charles VII, par une force tout intérieure et spontanée, selon des traditions purement nationales ? Assurément non. Les rayons de l'art italien ont brillé de bonne heure jusqu'en France, et l'art flamand surtout a fortement impressionné le nôtre. Quelle a donc été la part des traditions nationales, quelle a été celle des influences étrangères ? C'est une question qu'il est plus facile de poser que de résoudre ; mais il y a déjà intérêt à en indiquer les termes. Tout d'abord, quelles œuvres de l'art italien ont pu être admirées par la génération de Charles VII ? Rappelons quelques noms et quelques dates[20]. À l'avènement de Charles VII (1422), l'architecte florentin Brunelleschi (1377-1446) a déjà quarante-cinq ans ; il commence à construire la sacristie de Saint-Laurent, purement antique par ses entablements, ses pilastres cannelés, ses chapiteaux corinthiens, toute son architecture et toute sa décoration. Brunelleschi est un classique, conscient et exclusif. Les plus grands des sculpteurs italiens de ce temps sont des réalistes, mais ni Jacopo della Quercia (1371-1438), ni Donatello (1382-1466), qui a déjà donné quelques-uns de ses chefs-d'œuvre avant 1492, ni Ghiberti (1378-1455), qui livre au public sa première porte du Baptistère de Florence en 1424, et la seconde en 1452, n'ont échappé à la fascination des monuments antiques. Masaccio (1401-1428 ?) et les autres peintres qui ont achevé ou vont achever leur carrière, sont aussi des réalistes ; mais souvent ils empruntent à l'art romain les édifices et les motifs d'ornementation qu'ils introduisent dans leurs tableaux. Les peintres contemporains de Charles VII, comme Pisanello (1380-1451) et Fra Filippo Lippi (1406-1469), subissent la même obsession. Fra Angelico (1387-1455), qui continue au XVe siècle les idéalistes du moyen âge, regarde également les modèles romains, pour son architecture, ses draperies, ses figures. Plusieurs des arts mineurs, la miniature, la médaille, la gravure sur pierre fine, notamment, s'inspirent encore plus étroitement de l'antique. Ce n'est pas que l'imitation de l'antique suffise seule à caractériser l'art très riche et très varié des quattrocentistes italiens ; mais c'est elle qui le distingue le plus nettement, de l'art septentrional, et c'est aussi par elle qu'il a le plus vivement impressionné les Français. Cet art italien, en effet, parvenu à un tel degré de science et de charme, n'a pas laissé les Français insensibles. Ils l'ont connu et goûté avant le règne de Charles VIII ; car ils passaient souvent les Alpes, nous le verrons, au milieu du XVe siècle. Les expéditions de René d'Anjou et de Charles d'Orléans outremonts, l'occupation de Gênes, les missions des diplomates, les voyages et même l'établissement de certains artistes italiens en France ne restèrent pas sans effet. La force d'expansion de l'art italien n'est cependant point comparable, au temps de Charles VII, à celle de l'art qui fleurit dans les États du fastueux duc de Bourgogne, et surtout dans les Flandres, où se concentre tout le commerce du Nord, et où s'est formée une ploutocratie qui rivalise par ses richesses avec la bourgeoisie italienne. Cet art flamingo-bourguignon ne doit presque rien aux Grecs et aux Romains : il dérive du réalisme franco-flamand. L'école naturaliste septentrionale avait produit, au temps de Charles VI, de très belles œuvres de sculpture ; ses doctrines continuent, au XVe siècle, à dominer la sculpture dans un grand nombre de provinces françaises. L'école de peinture fondée par les Van Eyck sous le règne du duc Philippe le Bon, et qui procède de l'art réaliste des Melchior Brœderlam, des Malouel et des Bellechose, assure à l'art flamand une antre hégémonie non moins glorieuse[21]. Hubert Van Eyck (mort en 1426) et son frère Jean (mort en 1440) n'ont pas, comme on l'a dit longtemps, inventé la peinture à l'huile : ce procédé était employé au XIVe siècle pour colorier les statues et même les parties accessoires des tableaux. Mais, le plus souvent, les peintres délayaient les couleurs dans l'eau, la colle ou le blanc d'œuf : Masaccio, Fra Angelico, Fra Filippo Lippi peignirent encore à la détrempe. Les Van Eyck perfectionnèrent si ingénieusement la fabrication des couleurs et des siccatifs que, dès la fin du règne de Charles VI, les artistes du Nord se mirent à employer la peinture à l'huile. Par ces découvertes techniques, les deux frères affranchirent d'un coup l'art encore incertain et maladroit des peintres septentrionaux : ils lui donnèrent un éclat, une assurance incomparables. Enfin, ils léguèrent en exemples des chefs-d'œuvre, qui, dès leur apparition, excitèrent un prodigieux enthousiasme. Leur retable de l'Agneau mystique, commencé par Hubert et terminé par Jean, pour une famille de paroissiens de Saint-Bayon de Gand, fut comme le manifeste de l'art nouveau. Les jours où l'on ouvrait devant le public les volets du célèbre polyptique, affluait une foule d'admirateurs, comme en été abeilles et mouches par essaims autour des corbeilles de figues ou de raisins. Pour apercevoir quelle étape ces hommes de génie firent franchir à l'école franco-flamande, il suffit d'ailleurs d'aller au Louvre, et de comparer l'œuvre de Jean Van Eyck, l'adorable Vierge du chancelier Rolin (Salon carré), et l'œuvre peu antérieure d'Henri Bellechose : un Saint Georges, gauchement composé, d'un aspect naïvement barbare (Salle X). Les Van Eyck ne rompirent pas avec les traditions de l'école franco-flamande : ils en gardèrent les qualités d'analyse patiente, de respect profond pour la vérité ; mais ils y ajoutèrent l'art de la composition, la science du dessin et de l'anatomie, la richesse et l'exactitude de la couleur. Le Tournaisien Roger de la Pasture (en flamand : Van der Weyden) et l'auteur des admirables volets du retable de Saint-Bertin[22] achevèrent d'illustrer et de caractériser l'école flamande du temps de Charles VII et de Philippe le Bon. Ces Flamands ne sont point des hommes de culture raffinée ; ils ignorent à peu près l'antiquité, copient seulement ce qu'ils voient dans leur pays : tout chez eux est simplicité, patience, réalisme naïf. Mais leur art n'est pas une plate reproduction du réel, parce qu'on y sent vibrer une foi religieuse très profonde, et aussi une vraie tendresse pour les cieux, les coteaux, les rivières et les hommes de Flandre ; leur mysticisme passionné est adouci par une cordialité familière qui enchante les yeux et l'âme. Il faut maintenant revenir au problème que nous nous sommes posé : entre l'art flamand et l'art italien, y a-t-il eu au XVe siècle un art français ? Cette question, à vrai dire, est embarrassante, car on ne peut pas définir exactement ce qu'était alors la France, par opposition à la Flandre : les Italiens traitaient Jean Van Eyck de Français, Gallicus. Et en effet, non seulement les Flamands avaient pour prince un Français, le duc de Bourgogne, mais la Flandre était un fief de la couronne de France. Gand et Bruges étaient français comme Lille, Douai et Arras. Tournai était même une ville du domaine royal. Amiens, d'autre part, était une ville de l'État bourguignon, et un centre d'art tout flamand. Mais, depuis ce temps, les destinées politiques de la plus grande partie de la Flandre sont devenues différentes des nôtres ; la bifurcation s'est produite également, très manifeste, dans l'évolution artistique des deux pays. C'est une raison suffisante pour s'inquiéter de savoir si, au XVe siècle, la France a été aussi tyranniquement soumise qu'on l'a prétendu à l'art flamingo-bourguignon ; si l'infiltration italienne n'est pas déjà visible, et enfin si le génie proprement français ne se manifeste point en quelque échappée originale. Pour ce qui est de l'architecture, la réponse est simple. La réaction classique, déjà triomphante en Italie, n'a aucune prise sur la France, et il n'y a point lieu de parler de la tyrannie de l'art flamand : notre style flamboyant est un produit de la tradition nationale ; ce n'est qu'une nouvelle forme de l'art gothique. Où est né le gothique flamboyant ? L'histoire de ses débuts est obscure : ce type d'architecture, comme les autres, n'est pas né tout à coup, il n'est pas sorti tout entier du cerveau d'un artiste, mais il s'est formé peu à peu. On a récemment montré[23] qu'une des caractéristiques de ce style, l'arc en accolade, est déjà employé, d'ailleurs tout à fait exceptionnellement, dans deux monuments du XIIIe siècle, Saint-Urbain de Troyes, et le couvent italien de San Galgano. Une chapelle de la cathédrale d'Amiens, datant de 1373, est bâtie dans le pur mode flamboyant. Mais le style plus sévère, propre au XIVe siècle, s'est défendu longtemps, et le gothique flamboyant n'a triomphé que vers le temps de Charles VII. La guerre de Cent Ans, le vandalisme des soldats anglais et français, l'impossibilité de trouver de l'argent pour les réparations urgentes, avaient été funestes aux plus magnifiques édifices comme aux plus humbles. Les monastères tombent en ruines, les églises s'écroulent, les cloîtres périssent sous l'incendie, s'écrie l'évêque Jean Germain, dans son Livre des vertus de Philippe le Bon. Martial d'Auvergne nous apprend que maints curés sont obligés de dire la messe dans des granges. On voit dans les suppliques adressées au pape, pendant le règne de Charles VII, qu'à Saint-Michel de Rouen le clocher a été jeté à terre par les ennemis ; le chœur, le toit, les murs et les piliers se sont écroulés en grande partie ; à Avranches, le clocher, les murs, les fenêtres, ne tiennent plus debout ; à Évreux, pour soutenir les piliers qui portent la lanterne, et empêcher l'écroulement de la cathédrale, il a fallu établir des étais qui bouchent l'entrée du chœur ; le monastère de Saint-Vincent du Mans, qui brillait jadis par son admirable architecture, est en partie détruit, son église est rasée ; à Nevers, la cathédrale menace ruine ; un nombre incroyable d'églises et de monastères, dans les villes petites et grandes et dans les campagnes, sont signalés comme détruits, ou menaçant ruine, ou incendiés. Le recueil de ces documents a pu être intitulé justement La Désolation des églises pendant la guerre de Cent Ans. Cette désolation même suscite un intense mouvement de reconstruction, pour le plus grand profit de l'art. Le Clergé et les fidèles, en effet, ne s'abandonnent pas : les suppliques qu'ils envoient au pape se terminent presque invariablement par des demandes d'indulgences. C'est le grand moyen pour avoir de l'argent et réparer les désastres causés par cent ans de guerres. Ainsi le pape Nicolas V, par une bulle de 1451, accorde indulgence plénière à tous ceux qui, entre le premier et le second dimanche après Pâques, visiteront la cathédrale de Troyes, et contribueront par leur aumône à l'achèvement des travaux, des copies de cette bulle sont expédiées jusqu'en Picardie et en Bourgogne ; le quart des aumônes est envoyé au Saint-Siège et avec le reste on commence immédiatement la construction des deux dernières chapelles de la nef[24]. En 1459, on se met à réparer la cathédrale de Noyon, qui menace ruine ; pour se procurer de l'argent, le chapitre envoie jusqu'en Basse-Normandie des quêteurs, qui promènent dans des châsses les reliques de saint Eloi, de saint Barthélemy, de saint Philippe et de saint Aubin. Partout se poursuit un immense travail de réfection et d'achèvement ; dans les cathédrales de Reims, d'Évreux, de Tours, de Nevers, de Bourges, à la Sainte-Chapelle de Paris, dans une foule d'églises de tout ordre et de tout style, on se met à la besogne. Sans nul doute, l'activité redouble à la fin du règne de Charles VII ; mais il est à noter que même sous la domination anglaise, même dans le royaume de Bourges, les fidèles ont fait de grands efforts pour restaurer leurs églises ou pour les remplacer. Ainsi, Jean de Dampmartin, maistre de l'eupvre de la massonnerie de l'église de Tours, dirige vers 1432 la construction des dernières travées de la nef ; à la même époque, on travaille à la grosse tour de Saint-Julien du Mans ; de 1435 à 1439, Jean Gaussel édifie le portail de Saint-Germain-l'Auxerrois, à Paris ; à Rouen, Alexandre de Berneval rebâtit, à partir de 1419, la nef de Saint-Ouen, Jean Salvart répare le chœur de la cathédrale, et un architecte venu de Paris, Jean Robin, commence vers 1433 la charmante église Saint-Maclou, sur remplacement du vieux Saint-Maclou, qui s'était en partie écroulé en 1432[25]. La nef de Saint-Ouen est reconstruite selon le goût du me siècle ; mais Saint-Maclou et le portail de Saint-Germain-l'Auxerrois nous offrent un modèle du style flamboyant. Dès lors, sauf de très rares exceptions, qu'il s'agisse d'élever une église nouvelle, d'en achever ou d'en modifier une ancienne, c'est ce style qu'on adopte dans toute la France. Il n'y a plus d'écoles provinciales ; d'un bout à l'autre du royaume, les architectes emploient les mêmes procédés. Une église du style flamboyant se reconnaît du premier coup d'œil par le type des fenêtres. Dès le mye siècle, on avait souvent supprimé les chapiteaux des colonnes, rendus inutiles par les nouveaux modes de construction, et l'on avait raccordé les nervures de la voûte avec celles des fûts. Au XVe siècle, de même, le haut des fenêtres n'est plus rempli par des rosaces, indépendantes des meneaux qui divisent le reste de la baie : ces meneaux se prolongent, se ramifient et forment dans la partie supérieure de la fenêtre un ensemble sinueux de lignes infléchies, rappelant l'aspect d'une flamme agitée par le vent. Le but est tout simplement de faciliter l'écoulement des eaux, que les anciennes rosaces avaient le tort de retenir. C'est, une fois de plus, par suite d'un progrès technique, que l'art gothique prend un aspect nouveau. De même par une conséquence fatale des principes et des aspirations de leurs devanciers, les artistes du XVe siècle cherchent à supprimer les appuis inutiles, à concerter pour le plus grand plaisir des yeux le jour et l'ombre, à obtenir l'architecture la plus lumineuse, la plus aérienne. Sans doute, les maîtres du XIIIe siècle construisaient plus solidement ; leurs œuvres étaient plus imposantes, plus gravement religieuses. Les églises du XVe siècle, en général assez petites, manquent de mystère et de majesté. Il est injuste pourtant de prétendre que le style flamboyant est un art de décadence : il est la suite logique de l'évolution du gothique, et il a laissé des monuments d'une légèreté adorable, inférieurs sans doute aux chefs-d'œuvre du XIIIe siècle, mais qu'il est permis de préférer à la froide architecture du XIVe. La théorie de la prétendue décrépitude du gothique au temps de Charles VII apparaît dans toute son absurdité quand on regarde les monuments civils de l'époque. On peut admettre que l'architecture religieuse était arrivée au terme de son développement ; il n'était guère possible de faire avec de la pierre des églises plus nerveuses, plus délicates. Mais la loi de la transformation des genres, qui éclaire si bien l'histoire de l'art, trouve ici son application : le style gothique, en une époque où l'Église avait tant perdu de son pouvoir, était justement en train de se laïciser, et, sous sa nouvelle forme, il retrouvait toute sa jeunesse. Il produisait, dans l'architecture civile, des œuvres d'une fraîcheur et d'une nouveauté ravissantes. L'hôtel et l'hôpital construits en même temps (1443-1451) par Jacques Cœur à Bourges et par le chancelier Rolin à Beaune, et tant de pittoresques maisons encore debout dans nos provinces, ce n'est pas le crépuscule d'un art, c'est son matin. Et de fait, le gothique civil, après le règne de Charles VII, va encore produire une longue série de chefs-d'œuvre. Aussi bien, on l'a vu, son aurore ne date guère que du XIVe siècle, époque où les vieux châteaux forts commencent à paraître tristes, et où l'enrichissement de la bourgeoisie, comme le développement de la vie de cour, demandent une architecture plus gaie, plus ornée, plus confortable. L'architecte, inconnu de nous, qui a bâti la maison de Jacques Cœur, unissait au goût le plus exquis l'art d'aménagement le plus ingénieux. Il a tiré un merveilleux parti du terrain irrégulier que l'argentier de Charles VII avait acheté le long des remparts de Bourges. Il a construit deux bâtiments à peu près parallèles, séparés par une cour. Sur la rue, se dresse une élégante façade, égayée par une large porte, un guichet, un balcon où se dressait jadis une statue de Charles VII, de nombreuses fenêtres carrées et une grande baie de style flamboyant : c'est la salle des gardes et c'est la chapelle. En arrière, adossé au rempart, et à l'abri des agitations de la ville, est le corps d'habitation, d'où l'on a vue sur la campagne, ou bien sur la charmante cour d'honneur. Plusieurs escaliers, enfermés dans des tourelles, assurent à l'intérieur l'indépendance des divers appartements. Nulle symétrie, ni dans le plan, ni dans l'ornementation ; l'ensemble est d'un imprévu, d'une variété qui ravissent les yeux[26]. A la campagne, le grand mouvement de fortifications que la guerre a suscité s'arrête, une fois la paix revenue. Aux donjons incommodes perchés sur les collines, on va bientôt préférer les manoirs aux bords des rivières. Le roi René donne un des premiers l'exemple : il bâtit autour d'Angers de modestes habitations de plaisance, où se combinent la vieille architecture féodale et l'architecture pleine de liberté et de fantaisie qui règne dans les villes. Ainsi, dès le temps de Charles VII, se dessinent les origines lointaines des admirables châteaux de la Loire ; ainsi les constructions les plus simples, aussi bien que les palais et les églises, manifestent la vitalité de l'architecture gothique, art purement français. De nombreux sculpteurs s'emploient à orner ces églises et ces habitations, à élever les mausolées que les princes et les riches commandent pour glorifier leur propre mémoire ou celle de leurs proches. La plupart de ces œuvres ont disparu ; celles qu'on avait coulées en cuivre et en bronze ont été presque toutes détruites pour la fonte. Perdus, le mausolée de l'évêque de Paris, Denis du Moulin, avec sa statue de cuivre et ses quarante-neuf statuettes ; et le tombeau de bronze que Charles VII avait fait exécuter par Jean Morant, pour la sépulture de Barbazan, à Saint-Denis ; et le mausolée du roi René à la cathédrale d'Angers ; et le monument à figures de bronze que les bourgeois d'Orléans avaient élevé, en 1457, à la mémoire de Jeanne d'Arc. Les débris qui nous restent suffisent à prouver que le style puissamment réaliste de l'école dite bourguignonne règne sans partage sur l'art plastique de presque toute la France pendant le XVe siècle. Seul, le centre de rayonnement a changé : ce n'est plus à Dijon, dans un pays sans cesse menacé par les Écorcheurs, c'est en Flandre que le duc de Bourgogne réside de préférence, et c'est en Flandre que sont les principaux ateliers[27]. Une seule grande œuvre fut exécutée à Dijon sous le règne du duc Philippe le Bon : le tombeau de Jean sans Peur et de sa femme Marguerite de Bavière (musée de Dijon). Ce mausolée eut bien des vicissitudes. Le sculpteur espagnol Jean de la Huerta, qui le commença en 1443, se fit avancer de l'argent pendant plus de douze années sans achever son œuvre, et finalement il s'enfuit. Messieurs de la Chambre des Comptes de Dijon le remplacèrent par Antoine Le Moiturier, qui avait dirigé et exécuté lui-même d'importants travaux d'ornementation à l'abbaye de Saint-Antoine-de-Viennois. Il sculpta les deux gisants et termina le tombeau en 1470. Jean de la Huerta était Aragonais, Le Moiturier était d'Avignon ; mais l'art bourguignon avait pénétré jusqu'au fond de l'Espagne comme dans les ateliers d'Avignon, et ce remarquable mausolée en porte l'indéniable empreinte. Par la volonté même de Philippe le Bon, il fut d'ailleurs fait sur le modèle du fameux tombeau de Philippe le Hardi. La disposition générale est la même et quelques-uns des pleurants exécutés par Jean de la Huerta sont presque des copies[28]. Cette sépulture de Philippe le Hardi était considérée au XVe siècle comme un type de beauté dont il n'y avait pas lieu de s'écarter. Gilles Le Backere, de Bruges, s'en inspira vers 1436 pour son tombeau de Michelle de France (église Saint-Bavon à Gand). Charles VII la donna comme modèle à Jean de Cambrai, puis à Étienne Bobillet et à Paul Mosselmann, lorsqu'il les chargea d'exécuter le mausolée du duc de Berry (cathédrale et musée de Bourges). Le duc et la duchesse de Bourbon imposèrent le même type au sculpteur lyonnais Jacques Morel, quand ils lui commandèrent leur tombeau (église de Souvigny). Cette monotonie des commandes n'étouffe pas la verve des sculpteurs. La statue du duc de Berry, par Jean de Cambrai, et les pleurants de Paul Mosselmann, sont des chefs-d'œuvre. Jacques More qui sculpta les admirables statues de Souvigny et mourut au service du roi René, en 1459, criblé de dettes et riche de cinq sols, compterait sans doute parmi nos artistes les plus célèbres, si nous avions encore son tombeau du cardinal Amédée de Saluces et les figures qu'il fit pour le mausolée du roi René[29]. Le Saint-Sépulcre terminé vers 1452 par Jean Michel et Georges de la Sonnette pour l'hôpital de Tonnerre, la statue funéraire de la duchesse de Bedford (Louvre) par Guillaume Veluton, celle de Philippe de Morvilliers (Louvre), les sculptures de la maison de Jacques Cœur, achèvent de démontrer que la puissance productive de l'école bourguignonne n'était nullement épuisée ; aussi bien était-elle sans cesse rajeunie par l'étude sincère de la nature. Il y a pourtant excès à prétendre que l'école bourguignonne règne sans partage en France. Sur les bords de la Loire, dans le pays où Michel Colombe commence déjà sa carrière, les sculpteurs s'inspirent des vieilles traditions gothiques, plutôt que du style vigoureux et trapu de Sluter. Les tombeaux de la dame de Bueil (Tours) et d'Agnès Sorel (Loches) prouvent que les imagiers de cette époque ne sont pas tous des disciples fidèles des doctrines flamingo-bourguignonnes. Pour la peinture, il est encore plus difficile de faire la part des influences diverses. Le charmant tableau du Couronnement de la Vierge, que le prêtre Jean de Montagnac fit exécuter à ses frais en 1453-1454, afin d'en orner le grand-autel des Chartreux de Villeneuve-lès-Avignon[30], a été longtemps attribué à l'école flamande ; c'est cependant l'œuvre d'un Français, Enguerrand Charonton, et il est permis d'y reconnaître la trace d'influences italiennes, bien explicables en un milieu tel que le Comtat-Venaissin. Ce mélange de qualités flamandes et de souvenirs d'Italie s'observe également dans l'œuvre de Jean Fouquet, sans suffire d'ailleurs à la caractériser : Fouquet est, malgré tout, un artiste original et français. Jean Fouquet[31] naquit vers 1415 en Touraine. Il mourut à Tours à la fin du règne de Louis XI, entre 1476 et 1481, mais ses œuvres le rattachent à la génération de Charles VII : la plupart de celles que nous possédons ont été exécutées, ce semble, entre 1445 et 1461. Il en est peu d'ailleurs que l'on puisse dater avec une absolue précision. La vie de Fouquet est fort mal connue. C'est le cas de tous les grands artistes septentrionaux de ce temps leur carrière était humble et obscure. Fouquet n'a pas échappé à l'influence des maîtres flamands : il regarde la nature avec leur attention patiente et la traduit avec la même vénération scrupuleuse ; il leur emprunte maintes particularités de style, notamment pour les plis de vêtements ; mais il a son originalité. D'abord, il est Tourangeau et, pour les arts de la couleur comme pour la sculpture, il y a en Touraine de vieilles traditions, une école de miniaturistes qui remonte jusqu'au IXe siècle, une école de peintres qui a exécuté au temps de Fouquet les grandes scènes de l'église d'Azay-le-Rideau ; et puis, dans cette riante vallée de la Loire. un peintre qui a son tempérament personnel ne peut pas voir ni penser de la même façon qu'un Flamand : il exprimera autrement la vie et le rêve. De fait, Fouquet a un coloris, une vision de la nature, un sentiment du surnaturel, qui lui appartiennent en propre. Enfin il a vu l'Italie. Nous pensons qu'il a fait ce grand voyage vers 1445, à l'époque où l'on commençait à pouvoir traverser la France en sécurité. Il a donc pu admirer les œuvres de Brunelleschi, de Ghiberti, de Donatello. Les architectes et les sculpteurs de la péninsule, sinon les peintres, firent grande impression sur lui. Il prit copie des motifs architectoniques que lui offraient les monuments romains et les œuvres italiennes. À son retour, il introduisit volontiers dans ses miniatures des monuments du goût antique, pilastres et colonnes torses, portiques et dômes classiques, arcs de triomphe et temples anciens. C'est, a-t-on dit, la première morsure sérieuse de l'art italien sur l'art franco-flamand. Encore ne faut-il rien exagérer : jusqu'à la fin de sa vie, Fouquet ne cessa point de copier scrupuleusement les types et les costumes qu'il avait sous les yeux en Touraine ; sa façon de traduire la nature resta la même, et il ne prit en somme à l'art italien que quelques décors. Fouquet fut très admiré de ses contemporains, même des Italiens. Son œuvre, qui heureusement a survécu en grande partie, est en effet admirable. D'abord, il est le plus grand des miniaturistes. Les peintures dont il a enrichi par exemple les Heures d'Étienne Chevalier[32], et les Antiquités judaïques de Josèphe (Bibliothèque Nationale), sont des merveilles de composition, de réalisme discret, d'expression, de coloris fin et harmonieux. Il a eu aussi la réputation d'un excellent portraitiste. Un artiste italien, Filarete, nous dit de lui : C'est un bon maître, surtout pour portraire d'après le naturel. Il a fait à Rome le pape Eugène et deux autres personnages de sa maison, qui en réalité avaient proprement l'air d'être vivants. Ce tableau n'existe plus, mais ce que Filarete en disait, on peut le dire du portrait d'Étienne Chevalier, si superbement modelé, qui est au musée de Berlin. On attribue aussi à Fouquet une Vierge du musée d'Anvers, qui serait le portrait d'Agnès Sorel[33], et qui est d'une facture bien sèche, les portraits de Charles VII et du chancelier Guillaume Jouvenel (Louvre) et un bon portrait d'inconnu, de la collection Lichtenstein (Vienne). L'effigie de Guillaume Jouvenel a maintenant sa place au Salon carré du Louvre ; et l'on n'a jamais rien fait de plus sincère, de plus suggestif, que le portrait de Charles VII : que ce tableau soit de Fouquet ou non, il fait grand honneur à l'école française du XVe siècle. Fouquet, cependant, se sentait plus à l'aise dans la miniature. Beaucoup de contemporains étaient dans le même cas : la petitesse des figures voile avec opportunité les imperfections du dessin. Le XVe siècle marque l'âge d'or et à peu près la fin de cet art charmant, que l'imprimerie et la gravure feront peu à peu disparaître. L'école de Paris, si florissante au commencement du siècle, produit vers 1430 son chef-d'œuvre, les quarante-cinq grandes miniatures du Bréviaire de Salisbury (Bibliothèque Nationale), commandé par le duc de Bedford. Elle s'éteint une dizaine d'années après, au milieu de la misère qui accable la capitale. Fouquet mis à part, la prépondérance appartient dès lors aux ateliers de Bruges, de Gand, de Lille. Avec les œuvres de Fouquet et les miniatures de l'école parisienne, c'est la peinture murale et le vitrail qui nous offrent, dans les limites de la France actuelle, les spécimens les plus intéressants des arts de la couleur. Les anges qui s'envolent sur la voûte azurée de la chapelle, dans la maison de Jacques Cœur, la Procession de Saint-Grégoire de la cathédrale d'Autun, l'expressive Danse des morts de l'abbaye de la Chaise-Dieu, les restes de peintures murales qu'on a découverts récemment, par exemple au presbytère de Parcé, montrent qu'il y avait, au temps de Charles VII, des peintres qui, sans échapper à l'influence flamande, ne manquaient point d'originalité[34]. Ils auraient été capables de décorer de grandes surfaces ; mais la plupart des monuments religieux avaient des voûtes trop hautes, et leurs parois étaient percées de baies immenses ; au XVe siècle, ce n'est pas le peintre, c'est le verrier qui décore les églises françaises. Les vitraux deviennent de vastes tableaux. Tels ceux qui ornent la chapelle Cœur à la cathédrale de Bourges. Depuis longtemps on a renoncé aux conceptions purement décoratives des maîtres du XIIe et du XIIIe siècle : on veut composer de grandes scènes ; on choisit des sujets anecdotiques, empruntés même à l'histoire profane. Très souvent les mêmes personnes cumulent l'art du peintre et celui du verrier. Les tentures de l'Histoire de Clovis (cathédrale de Reims), les stalles de la cathédrale de Rouen (1457-1469), maints objets dispersés dans les musées et les collections privées, attestent que les arts somptuaires n'avaient nullement décliné. Ce ne sont là pourtant que de bien rares débris épargnés par le temps. Certains documents compensent partiellement la disparition des pièces : les comptes, les inventaires des collections princières et des trésors d'églises prouvent le développement inouï des industries de luxe au milieu du XVe siècle ; ils ont aussi l'avantage de nous renseigner souvent sur les lieux de production. On y voit que Paris, accablé par les malheurs de la guerre, avait perdu ses ouvriers d'art, que déjà l'importation des ivoires, de la marqueterie et de l'orfèvrerie d'Italie était abondante, mais qu'Arras brillait au premier rang en Europe pour ses magnifiques tapisseries, et que les villes flamandes étaient incomparablement dotées d'ateliers artistiques de tout genre. La musique était au XVe siècle un art universellement goûté, du peuple comme des grands, à l'église et dans la rue comme au château. Charles VII, le duc de Bourgogne, le roi René, le duc de Bourbon, Gilles de Rais, avaient des chapelles entretenues à grands frais, et il n'y avait pas de réjouissances publiques ni de représentations théâtrales sans la présence d'un petit orchestre. Les musiciens laïques formaient en plusieurs villes des corporations ; ils continuaient sans doute à reproduire les simples mélodies dues à l'inspiration populaire ; leurs instruments, harpe et luth, vielle, guitare, orgue à main, flûte, trompette, cor, musette, tambour, étaient encore assez peu variés. Mais la musique religieuse était devenue un art compliqué, d'une technique ingénieuse et difficile, qui utilisait savamment les ressources de la voix humaine. Le contrepoint et la fugue avaient été inventés. Les compositeurs savaient mêler les mélodies, combiner dans un ensemble harmonieux plusieurs chants, empruntés par exemple, les uns à la liturgie et les autres à la tradition populaire. Plus tard, cette polyphonie perpétuelle lassera l'oreille, et c'est en se simplifiant que cet art compliqué du arme et du XVe siècle engendrera la musique moderne ; mais cette période de pénible labeur avait été nécessaire. D'ailleurs ces grammairiens de la musique n'ont pas été tous dépourvus d'inspiration. Le XVe siècle a eu un musicien de génie, Jean Van Ockeghen. Il était né vers 1430, et en 1441 il figurait parmi les enfants de chœur de la cathédrale d'Anvers. De là, il passa dans la chapelle du duc de Bourbon, puis, vers 1459, dans celle du roi de France. Il composa de bonne heure, et devint tout de suite très célèbre. Charles VII lui donna la lucrative prébende de la trésorerie de Saint-Martin de Tours, tout en le conservant auprès de lui ; Louis XI et Charles VIII le comblèrent d'honneurs, et Ockeghen resta pendant plus de quarante ans maistre de la chappelle de chant du roy. Vingt messes, huit motets, dix-neuf chansons françaises et quelques morceaux divers sont inscrits au catalogue probablement incomplet de son œuvre. Ockeghen a été un contrepointiste de première force : il a écrit un motet pour trente-six voix différentes. Il a été un musicien inspiré ; les œuvres de ce Primitif, parfois exécutées de nos jours en Allemagne et en Belgique, y excitent une vive admiration. Ockeghen, Gilles Binchois, Dufay, et les autres compositeurs renommés du temps de Charles VI et de Charles VII, venaient des États des ducs de Bourgogne ou vivaient à leur cour. C'était en Flandre qu'étaient alors les meilleures maîtrises, c'était là que les Français allaient apprendre le chant et la composition. On ne peut guère parler au XVe siècle d'une école de musique française : il y a une école de musique franco-flamande[35] Ainsi, par la force du mouvement acquis, et grâce aux habitudes de luxe que tant de malheurs n'avaient pu détruire, les arts n'avaient pas été tués en France par la guerre de Cent Ans, non plus que la littérature ni le goût de la science. Mais les Anglais et les Écorcheurs, n'épargnant guère que les Flandres, avaient assuré, en presque tous les arts, l'hégémonie de l'école flamingo-bourguignonne. D'ailleurs, même à la fin du règne de Charles VII, par l'heureuse aisance dont jouissaient les Flandres, par la générosité sans pareille de la protection ducale, les États de Philippe le Bon, et surtout ses domaines du Nord, à demi français, à demi impériaux, restaient la patrie d'élection des littérateurs et des artistes. C'est au duc de Bourgogne que Martin Lefranc dédie son Champion des dames : Antoine de La Sale est son premier maure d'hôtel ; c'est pour lui que travaillent les plus glorieux artistes du Nord, hormis Fouquet. et encore Fouquet subit-il en quelque façon les doctrines esthétiques de l'école flamande. L'éclat des lettres et des arts, au milieu du XVe siècle, est un signe de la vitalité de la France, mais témoigne surtout de la force et de la grandeur de l'Étal bourguignon. Le jour est proche cependant où la Royauté va détruire cette puissance rivale, et préparer à son profit exclusif l'unité morale et intellectuelle. comme l'unité politique de la France. |
[1] SOURCES. Denifle et Chatelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. IV, 1827 ; Auctarium Chartularii, t. II, 1897. Recueils édités par le marquis de Laborde et de Quatrebarbes, cités plus haut. Extraits des comptes et mémoriaux du roi René, édit. Lecoy de la Marche, 1873. Inventaires des princes d'Orléans-Valois, publ. par J. Roman. 1896.
OUVRAGES
À CONSULTER. Rashdall, The
Universities of
[2] Mém. de la Société archéologique de l'Orléanais, t. XXVI. p. 490 et suivantes — R. Kœchlin et J.-J Marquet de Vasselot, La sculpture à Troyes et dans la Champagne méridionale au XVIe siècle, 1900.
[3] L'histoire des origines de l'imprimerie en France sera traitée dans le dernier chapitre de ce volume.
[4] Un article de M. Gaston Save sur Le duc René Ier artiste peintre, Bulletin des Sociétés artistiques de l'Est, 1899, donne la liste des œuvres que les fantaisies de la tradition ont attribuées au roi René.
[5] Cabinet historique, t. II, Ire partie, 1856, p. 84.
[6] Le séjour de l'humaniste italien Gregorio Tifernas à la cour de Charles VII, de 1457 à 1459, parait avoir été sans conséquences. Tout au plus donna-t-il quelques leçons de grec à un petit nombre de personnes (L. Delaruelle, Une vie d'humaniste au XVe siècle, Mélanges de l'École de Rome, 1899).
[7] Le récit de cet incident, donné par Julien Havet (Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris, t. IX), a été rectifié par le P. Denifle, Auctarium Chartularii Universilatii Parisiensis, t. II, p. 631-632.
[8] SOURCES. L'abbé Féret, La Faculté de Théologie de Paris, t. IV, 1897, indique les œuvres molles de cette Faculté. Géographie de Berry, dans Labbe, Alliance chronologique, t. I, 1651. Débat des hérauts d'armes de France et d'Angleterre, édit. Pannier et Meyer, 1877. Œuvres de Ghillebert de Lannoy, édit. Potvin, 1878. Le Voyage de Bertranden de La Broquière, édit. Schufer, 1892. Pour les chroniques, consulter les bibliographies du livre I.
OUVRAGES À CONSULTER. D. Reulet, Recherches sur Raymond de Sebonde, 1875. Lelewel, Géographie du Moyen Âge, t. II, 1852. Kretschmer, Die physische Erdkande im christlichen Mitlelatter, 1889. Péchenard, Jean Juvénal des Ursins, 1876.
[9] Paul Frédéricq, Corpus documentorum Inquisitionis Neerlandicae, t. I, n° 276.
[10] Marcellin Berthelot, article ALCHIMIE dans la Grande Encyclopédie. L'ouvrage de M. Berthelot sur La chimie au moyen âge (3 vol., 1893) ne donne pas de renseignements sur les traités d'alchimie postérieurs au commencement du XIVe siècle. Sur l'état général des sciences au moyen âge, voir le résumé de Tannery, dans l'Histoire générale, t. III, chap. V.
[11] Les médecins avaient pourtant une grande tâche à remplir. Même après le rétablissement de la paix, le règne de Charles VII fut marqué par des épidémies terribles. L'hygiène privée, au moyen âge, n'était pas aussi mauvaise qu'on l'a dit : l'usage des bains était assez répandu, dans toutes les classes de la société : mais l'hygiène publique n'existait pas. Lorsque Louis XI, à son avènement, annonça son intention de visiter Angers, trois charretiers furent employés pendant quatre mois à nettoyer les rues, et ils enlevèrent trois cent quarante-deux tombereaux de beurriers (Marchegay, Notices et pièces historiques, 1872, p. 268). Les villes étaient donc des foyers permanents d'infection. Pourtant, lorsque le danger était immédiat, quelques mesures dictées par le bon sens atténuaient le mal, et l'on est parvenu au moyen âge à circonscrire les ravages de la peste bubonique et de la lèpre. En certaines villes, on avait coutume de brûler les vêtements et le mobilier des pestiférés, même parfois leurs maisons. L'isolement rigoureux imposé aux ladres depuis le XIIIe siècle vint à bout du terrible fléau de la lèpre : au XVe siècle, les innombrables léproseries que la charité et la peur de la contagion avaient fondées en France étaient souvent à peu près vides.
[12] Cet opuscule est certainement du XVe siècle, mais est-il du héraut Berry ? L'attribution du père Labbe nous parait bien sujette à discussion.
[13] Il se nommait lui-même Juvenal des Ursins ; c'était le nom que portait un de ses ancêtres, Giovenale degli Orsini, dont le fils était venu se fixer en France et avait fondé la famille des Jouvenel. Il n'y a aucune raison, comme l'a prouvé M. Durrieu (Annuaire-Bulletin de la Soc. de l'Histoire de France, 1892) de refuser à l'évêque le droit de s'appeler des Ursins, car il était bien de la même race que les Orsini de Rome, mais il vaut mieux l'appeler Jouvenel que Juvenal puisque Jouvenel était le nom qu'avait illustré son père.
[14] Ce discours est différent du Traictié compendieux de la querelle de France contre les Anglois, dont nous avons parlé plus haut. Ce dernier a été composé pendant la trêve de 1444-1449.
[15] SOURCES et OUVRAGES À CONSULTER. Les bibliographies de l'Histoire de la littérature française, dirigée par Petit de Julleville, t. II, 1896, Indiquent les meilleures éditions et les travaux. Bon choix de poésies et bonnes notices dans : Eugène Crépet, Les poètes français, t. I, 1861. Consulter surtout : Gaston Paris, La poésie du moyen âge, 2e série, 1895 ; Chansons du XVe siècle, 1875 ; Villon, 1902 ; La Nouvelle française aux XVe et XVIe siècles, Journal des Savants, 1895. Piaget, Martin Le Franc, 1888. G. Reynaud, Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, 1889. Petit de Julleville, Les Mystères, 1880 ; Répertoire du théâtre comique, 1885 ; La Comédie en France au moyen âge, 1886. Ém. Picot, Le monologue dramatique dans l'ancien théâtre français, Romanis, t. XV à XVII, 1886 à 1888.
[16] Ludwig Stern, Versuch über Antoine de la Sale, Archiv für des Studium der noueren Sprachen und Litteraturen, t. XLVI, 1870. — E. Gossart, Antoine de La Salle, sa vie et ses œuvres inédites, Bibliophile Belge, 1871.
[17] Il y a eu des mystères profanes. Nous avons un Mystère du siège d'Orléans et un Mystère de la destruction de Troie (1452). Dans les comptes du duc de Bourgogne, à l'année 1453-1454, nous trouvons la mention de jeux de mistere qui estoient du roy Alexandre, Ector et Arcilles (Hector et Achille).
[18] Une allusion de Villon : Les Mendians ont eu mon oye, permet de dater Pathelin des dernières années du règne de Charles VII. Cf. M. Schwob, Romanis, 1901, p. 391.
[19] SOURCES. Après les œuvres elles-mêmes, il y a les moulages (Musée du Trocadéro), les photographies, les dessins d'archéologues (notamment les Archives de la Commission des monuments historiques, en cours de publication depuis 1899). On trouvera de belles reproductions dans Jehan Foucquet, édit. Curmer, 1866 ; dans Les quarante Fouquet, notice de Gruyer, 1897 ; dans Gonse, L'art gothique, s. d., La sculpture française, 1895. — Documents d'archives : outre les recueils indiqués au § 1, De Grandmaison, Documents sur les arts en Touraine, Mém. de la Soc. archéol. de Touraine, t. XX, 1870.
OUVRAGES À CONSULTER. Courajod, Leçons de l'École du Louvre, t. II, 1901 (très importante démonstration de la prédominance de l'art flamingo-bourguignon). P. Vitry, Michel Colombe et la sculpture française de son temps, 1901. Ouvrages de Viollet-le-Duc, Choisy, Courajod et Marcou, Guiffrey, cités au t. IV, 1re part., liv. V, chap. II. Les histoires de cathédrales, notamment : Eug. Lefèvre-Pontalis, Hist. de la cathédrale de Noyon, Bibl. de l'École des Chartes, 1900. Paul Mantz, La peinture française du IXe à la fin du XVIe siècle, 1897. Aug. Monnier, Les manuscrits, 1892. Travaux de M. Durrieu sur les manuscrits à miniatures, notamment dans la Bibl. de l'École des Chartes, 1892. O. Mersou, Les vitraux, 1895. Émile Molinier, Histoire des arts appliqués à l'industrie, en cours de publication depuis 1895.
[20] Müntz, Histoire de l'art pendant la Renaissance, t. I, 1889. Marcel Reymond, Les débuts de l'architecture de la Renaissance, Gazette des Beaux-Arts, 3e période, t. XXIII (1900) ; La sculpture florentine, première moitié du XVe siècle, 1898.
[21] A. J. Wauters, La peinture flamande (1883). — Dehaisnes, L'art flamand en France, Réunions des Soc. des Beaux-Arts des départements, 1892. — Karl Voll, Die Werke des Jan van Eyck, 1901.
[22] Sur Simon Marmion, de Valenciennes, auteur présumé de ces volets (aujourd'hui conservés au palais du prince royal à La Haye), voir Dehaisnes, Les volets du retable de Saint-Bertin, et Recherches sur Simon Marmion, Réunions des Soc. des Beaux-Arts des départements, 1889 et 1890.
[23] Enlart, Manuel d'archéologie, 1902. Nous avons vu les bonnes feuilles de ce remarquable ouvrage.
[24] L. Pigeotte, Étude sur les travaux d'achèvement de la cathédrale de Troyes, 1870.
[25] De Beaurepaire, Les architectes de Saint-Maclou, Commission des antiquités de la Seine-Intérieure, t. VII, 1886.
[26] Sur l'hôpital de Beaune, également très remarquable, voir l'Histoire de l'Hôtel-Dieu de Beaune, par l'abbé Bavard, Public. de la Soc. d'archéologie de Beaune, 1881.
[27] Style bourguignon est assurément un terme bien conventionnel : les statues classées sous cette rubrique sont pour la plupart, au XVe siècle comme au XIVe, l'œuvre d'artistes septentrionaux. Pourtant cette désignation a un grand mérite, celui de rappeler la situation politique des pays où l'école de Sluter avait été fondée, et où elle fleurit encore pendant tout le XVe siècle. On ne saurait d'ailleurs la remplacer par un vocable meilleur ; enfin elle est déjà entrée dans l'usage. Bien qu'elle prête à la critique, il vaut donc mieux la conserver.
[28] Chabeuf, Le tombeau de Jean sans Peur, Mém. de l'Acad. de Dijon, 4e série, t. II. — Sur Antoine Le Moiturier, voir aussi des mémoires de l'abbé Requin, Réunion des Soc. des Beaux-Arts des départements, 1890, et de J.-J. Marquet de Vasselot, Mémoires et documents, Fondation Eugène Piot, t. III, 1896.
[29] Sur Jacques Morel, voir Courajod, Gazette archéologique, 1885 ; N. Rondot et l'abbé Requin, Réunions des Soc. des Beaux-Arts des départements, 1889 et 1890.
[30] André Requin, Réun. des Soc. des Beaux-Arts des départements, 1889, p. 118.
[31] Mémoires de Vallet de Viriville, marquis de Laborde, etc., dans Jehan Foucquet, édit. Curmer, 2e partie ; d'Anatole de Montaiglon, dans les Archives de l'Art français. 2e série, t. I ; de Henri Bouchot, Gruyer, Émile Michel, dans la Gazette des Beaux-Arts, 3e période, t. IV, XV, XVII, et surtout l'étude de P. Leprieur, dans la Rev. de l'Art ancien et moderne, t. I et II, 1897.
[32] Les miniatures des Heures sont dispensées ; il y en a quarante à Chantilly, deux au Louvre. une à la Bibliothèque Nationale, une au British Museum.
[33] Cette Vierge faisait partie d'un diptyque peint par Fouquet pour l'église de Melun. L'autre volet est le portrait d'Etienne Chevalier. On a mis en doute l'authenticité de la Vierge d'Anvers ; l'hésitation reste en effet permise.
[34] Sur les peintures murales du XVe siècle, voir L. Giron, Réunions des Soc. des Beaux Arts des départements, 1885 ; H. Chabeuf, Rev de l'Art chrétien, 1894 ; A. Maignan, Rev. du Maine, 1895.
[35] A. W. Ambres, Geschichte der Musik, t. II, 1864. Michel Brenet, Jean de Ockeghem, Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris. t. XX, 1893. Ant. Thomas, Le Maître de chapelle de Charles VII, Revue d'Hist. et de Critique musicale, 1901. Sur l'état actuel de la philologie musicale, voir Combarieu, La Musique au moyen âge, Revue de Synthèse historique, 1900, et Pierre Aubry, La Musicologie médiévale, 1900.