HISTOIRE DE FRANCE

TOME QUATRIÈME — CHARLES VII. LOUIS XI ET LES PREMIÈRES ANNÉES DE CHARLES VIII (1422-1492).

LIVRE II. — LA SOCIETÉ ET LA MONARCHIE À LA FIN DE LA GUERRE DE CENT ANS.

CHAPITRE PREMIER. — LA MISÈRE ET LE TRAVAIL À LA FIN DE LA GUERRE DE CENT ANS.

 

 

I. — LES BAS-FONDS DE LA SOCIÉTÉ[1].

IL y a toujours eu, en France comme ailleurs, et au moyen âge autant ou plus qu'en une autre époque, des vagabonds, des mendiants, des escrocs et des brigands ; mais il parait certain que la guerre de Cent Ans en a démesurément accru le nombre dans notre pays. Des milliers de paysans, voyant leurs récoltes périodiquement ravagées, d'artisans condamnés au chômage par la misère générale, de marchands maintes fois dévalisés sur les routes, ont quitté leurs champs, leurs outils et leur négoce pour se faire mendiants ou bandits à leur tour. La guerre a jeté aussi sur les grandes routes nombre d'étudiants et de gradués. Les Universités se sont multipliées au XVe siècle, ont prodigué les diplômes, mais les collèges, fondés autrefois pour abriter les écoliers pauvres, sont ruinés, et les prébendes ecclésiastiques, dont la valeur a singulièrement diminué, ne nourrissent plus qu'un petit nombre de privilégiés. Maints clercs deviennent des vagabonds, ou pis encore. Mais, sans nul doute, à la fin du règne de Charles VII, l'armée des fainéants et des criminels se forme surtout d'anciens Écorcheurs, issus eux-mêmes de tous les pays de l'Occident et des classes les plus diverses. Démoralisés par une carrière d'oisiveté et de pillages, quoi d'étonnant que beaucoup de routiers aient refusé une existence régulière et laborieuse ? Sans avoir à changer de vie, ils sont devenus brigands : ce sont les beroards dont parle Villon dans ses ballades en jargon. Nous connaissons les noms d'une bande de voleurs, pris à Dijon en 1455 ; à côté de Bourguignons, il y a des Picards, des Normands, des Bretons, des Gascons et aussi des étrangers, Écossais, Espagnols, Savoyards, Provençaux : c'est évidemment un débris de cette armée d'Écorcheurs que, dix ans auparavant, Charles VII et le Dauphin avaient fait vivre, pendant quelques mois, aux dépens de la Suisse, de l'Alsace et de la Lorraine.

Cette bande arrêtée à Dijon faisait partie de l'association des Coquillarts, qui comptait au moins cinq cents membres. La Coquille avait sa hiérarchie, et le principe de la division du travail y était appliqué. Les néophytes étaient employés comme gascâtres, c'est-à-dire apprentis ; ils passaient ensuite maîtres ; celui qui était bien subtil pouvait devenir un long, voire même le Roi de la Coquille. Les vendengeurs coupaient les bourses ; les beffleurs escroquaient par le moyen des jeux de hasard ; les blancs coulons dévalisaient les marchands dans les hôtelleries ; les envoyeurs envoyaient leurs clients dans l'autre monde. Des correspondants parisiens servaient de recéleurs. Les Coquillarts menaient joyeuse vie dans les tripots et les maisons mal famées de Dijon ; de temps en temps ils s'éclipsaient, et au bout de quelques semaines ils revenaient bien garnis d'or. Vingt ans auparavant, peut-être, les mêmes hommes combattaient les Anglais et pratiquaient le grand pillage, sous les ordres d'un La Hire ou d'un Chabannes.

En 1449, on arrêta dans les environs de Paris une bande de caymens, larrons, meurtriers, qui avaient un roi et une reine, et commettaient des barbaries inouïes, comme naguère les Écorcheurs. Ils fréquentaient les marchés et les pardons, et enlevaient des enfants, pour se donner le plaisir de les martyriser. Ils leur crevaient les yeux, leur coupaient les pieds, les jambes. Une des femmes, qui était d'origine étrangère, avoua qu'elle avait aveuglé à coups d'épingle un enfant de deux ans.

D'autres nomades, moins dangereux, exerçaient un métier ambulant ou feignaient d'en avoir un. C'étaient les Tsiganes, les Égyptiens, qui commençaient alors en Occident leur course sans fin[2]. C'étaient les colporteurs, les baladins, les bateleurs traînant marmottes et, les joueurs de souplesses ; les soi-disant pèlerins et les porteurs de fausses bulles d'indulgences, spéculant sur la ferveur des âmes dévotes ; les magiciens, les alchimistes, les évocateurs du diable, venus pour la plupart d'Italie, et spéculant sur la crédulité des âmes cupides. Ces charlatans comptèrent parmi leurs dupes les plus grands seigneurs de France, Gilles de Rais, le comte de Clermont, le duc d'Alençon, le roi René. À la fin du règne de Charles VII, un des principaux vassaux du duc de Bourgogne, Jean de Beauffremont, avait chez lui un alchimiste, nommé Pierre d'Estaing, qui prétendait être fils de dame et de chevalier et parent prouchain du pape, et se vantait de procurer à ses clients quarante ou cinquante mille écus par an. Après s'être fait héberger au château de Mirebeau pendant longue espace de temps et avoir extorqué à sa dupe d'importantes sommes d'argent, l'alchimiste s'enfuit une nuit par la fenêtre[3].

Les mendiants, qui pullulaient au XVe siècle dans les grandes villes, les foires et les pèlerinages, constituaient le royaume des Gueux. C'était un royaume assez fermé, qui avait son roi, ses chefs de province, ses assemblées délibérantes. Les Gueux vivaient de la charité publique et refusaient d'admettre parmi eux les bandits de grande route. Assurément leur délicatesse de conscience avait des limites ; mais ils évitaient les bruyants scandales, pour âtre tolérés dans les Cours des miracles où ils logeaient de père en fils. Au temps de Charles VII, Paris comptait plusieurs Cours des Miracles ; la plus ancienne était la rue de la Truanderie ; une autre s'était formée au mye siècle dans la rue des Poulies, qu'on appela rue des Francs-Bourgeois, parce que ses étranges locataires ne payaient point les taxes municipales.

Ce monde picaresque avait inventé, depuis longtemps sans doute, une langue à son usage, une langue secrète. Sept ballades en jargon de François Villon, quatre autres qu'on a eu tort de lui attribuer, mais qui sont du même temps, quelques passages de mystères joués sous le règne de Charles VII, enfin le procès des Coquillarts de Dijon, permettent de dresser un petit vocabulaire de l'argot à la fin de la guerre de Cent Ans : mots étrangers, en petit nombre d'ailleurs, apportés par les Anglais et par les bandes cosmopolites de routiers ; mots de la plus vieille langue française, ou tirés directement du latin, car le jargon universitaire apportait son contingent ; mots détournés de leur sens primitif et, dans une signification toute nouvelle, faisant image. Les quilles sont les jambes ; la serre ou la louche, c'est la main ; les ras, ce sont les tonsurés, les prêtres ; polir ou nettoyer, c'est voler. L'argot du XVe siècle était fertile en vocables pittoresques et justes, en expressions fortes, originales et vivantes, mais sa grossièreté le condamnait à rester un langage de bouge et de prison[4].

Ce jargon, à la fois très brutal et très savant, était adopté et enrichi par de véritables lettrés, car beaucoup de clercs fréquentaient les pires coquins : ceux qui chantaient au chœur de la Sainte-Chapelle du duc Philippe, à Dijon, étaient affiliés à la bande des Coquillarts, et se mêlaient à eux la nuit pour injurier et battre les bourgeois. Les étudiants fournissaient d'abondantes recrues aux associations de voleurs, et ceux qui continuaient à suivre les cours des Universités donnaient amplement raison au vieux proverbe : Pire ne trouverez que escouliers. Le réveil de violence et de bestialité qu'avait provoqué en France la guerre de Cent Ans avait ranimé leurs instincts de rapine, de tyrannie facétieuse ou brutale.

A Montpellier il y eut, de leur fait, des troubles graves sous le règne de Charles VII. Durant deux années, les étudiants y commirent impunément des meurtres et des viols, défonçant les portes des bourgeois pour les rosser et leur prendre leur femme ou leur fille[5]. À Paris, les écoliers furent les maîtres du pavé de 1444 à 1453. Les marchands des Halles étaient persécutés et volés ; les clercs de la Basoche et les écoliers faisaient disparaître les denrées et les enseignes. En 1451, ils prirent, près de Saint-Jean-en-Grève, une grosse borne de pierre, qu'on appelait le Pet-au-Diable. Ils la transportèrent dans le quartier latin, au Mont-Saint-Hilaire, et l'y maintinrent en dépit du Prévôt. Ce fut une perpétuelle occasion d'inventer des cérémonies extravagantes et de narguer la police. Enfin, en 1453, force resta au Prévôt. Quarante étudiants furent emprisonnés au Châtelet, en dépit des privilèges universitaires. Une bagarre eut lieu quand ils furent remis en liberté ; un bachelier fut tué par les sergents du Châtelet. Pendant neuf mois, l'Université suspendit ses cours, et les prédications cessèrent dans les églises de la capitale. Villon nous parle, dans son Grand Testament, d'un certain Rommant du Pet au Deable, qui avait évidemment pour sujet ces incidents tragi-comiques. Villon avait alors une vingtaine d'années, et l'on peut croire sans lui faire injure qu'il était le complice ou l'inspirateur des pires méfaits de ses condisciples. C'est un des traits les plus caractéristiques de l'état social et intellectuel créé par la guerre de Cent Ans, que la carrière de maitre François Villon, et son admirable œuvre poétique, éclose dans l'abjection de la taverne ou du cachot, et dominée par l'ombre du gibet.

François Villon était fils de pauvres gens, dont on ne sait même pas au juste le nom patronymique. Il porta lui-même plusieurs noms ; celui qu'il inscrivit dans ses poèmes et qu'il illustra, il l'avait emprunté à son protecteur, le chapelain Guillaume, originaire de Villon en Tonnerrois. Ce fut maitre Guillaume qui lui fit suivre les cours de la Faculté des Arts. Ce jeune homme sec et noir comme escouvillon, intelligent et nerveux, était un incorrigible flâneur. Il fuyait l'école comme fait le mauvais enfant, et les ressources de son esprit s'employaient surtout à inventer d'ingénieuses escroqueries. Il conquit la licence ès arts, qui n'était pas difficile à obtenir, et il resta pauvre comme devant. Un accident le précipita dans le monde du crime : à vingt-quatre ans, en 1455, il se prit de querelle avec un prêtre et le tua ; il fut condamné au bannissement, et se mit à vagabonder à travers la France. Des lettres de rémission lui permirent de revenir à Paris, au début de l'année 1456. Il y mena la vie la plus basse. Ce n'était point sans raison qu'il parlait plus tard de toutes les hontes qu'il avait bues. Lorsqu'il écrivit, en vers d'une forme admirable, la Ballade de la Grosse Margot, ignoble chant de triomphe du souteneur, il évoquait certainement des souvenirs personnels. À la fin de l'année, il prit part à un vol avec effraction, commis au collège de Navarre. Après cet exploit, étant fort prudent de caractère, il quitta la capitale ; il promit à ses compagnons d'aller préparer un bon coup à Angers : il s'agissait de débourser un vieux moine, qui passait pour riche de cinq ou six cents écus. Villon recommença donc sa vie errante, personnage équivoque et double, voleur connu de ses pareils, grand poète déjà célèbre par son Petit Testament. Il se présenta chez les princes amis des lettres, passa à la cour de Charles d'Orléans et du duc de Bourbon Jean II ; en même temps, sans aucun doute, il continuait ses opérations de coupeur de bourses. Lorsque Charles VII mourut, Villon, encore une fois emprisonné, gisait les fers aux pieds dans les cachots de l'évêque d'Orléans, à Meung-sur-Loire. Louis XI, le 2 octobre 1461, passa par là, et délivra les prisonniers, pour son joyeux avènement. Ce fut alors que Villon, rendu à la liberté, écrivit son Grand Testament, son chef-d'œuvre, et les sept ballades où il parle le jargon des voleurs. Ces ballades argotiques développent toutes le même thème : voleurs, volez, mais prenez garde aux sergents et au bourreau, prenez garde à la potence et à la roue, qui fait faire la moue. C'est toute la morale du Jargon ou Jobelin de maistre François Villon.

Il avait trente ans, et il était déjà très vieux, à bon droit dégoûté de lui-même, triste, failly, plus noir que meure (mûre), malade il rentra à Paris. Au mois de novembre 1462, il se compromit encore dans une rixe nocturne, et cette fois il fut condamné à être pendu et étranglé. Mais le Parlement de Paris annula en appel la sentence de mort et bannit seulement maitre François de la capitale. Il finit sans doute sa vie peu de temps après, comme il l'avait commencée, triste et cynique spécimen des misères et des tares de son époque.

Contre cette tourbe de faux pauvres, de voleurs et de criminels, si bien organisés pour vivre aux dépens des autres, quels étaient les moyens de défense d'une société à peine sortie de l'invasion et de l'anarchie ? Contre les crimes patents, les pénalités du moyen fige étaient terribles : à Dijon, six Coquillarts furent pendus ; trois autres, convaincus de faux-monnayage, furent bouillis vivants dans une chaudière. Mais les magistrats des villes avaient grand'peine à surveiller les malandrins, et les baillis, qui étaient chargés de maintenir la sécurité des routes, ne disposaient que d'une police bien rudimentaire : il n'y avait pas encore de maréchaussée. En 1443, le négociant Jacques Cœur reçut l'autorisation de faire des rafles en Languedoc et d'embarquer de force, sur la galère qu'il envoyait périodiquement en Orient, les personnes oyseuses, vagabondes et autres caïmans. C'était la première idée du bagne. Par lettres royales de 1447, Robert d'Estouteville, prévôt de Paris, eut le pouvoir de faire saisir par ses sergents, non plus seulement dans les limites de la prévôté de Paris, mais dans tout le royaume, les larrons et les mendiants. Ces lettres de 1447 ne faisaient d'ailleurs que confirmer des ordonnances antérieures. Le principal était, que la mesure fût appliquée, et elle le fut. La société et la monarchie se réorganisèrent à la fin du règne de Charles VII, moins par des lois nouvelles que par des actes.

Les documents du temps de Louis XI et de Charles VIII nous prouvent cependant que le prévôt de Paris ne put accomplir que partiellement sa mission. On ne triomphe pas en un jour des habitudes de paresse et de barbarie contractées par un peuple au cours d'une longue invasion. Les brigands et les nomades de la guerre de Cent Ans laissèrent un résidu dont on ne put se débarrasser. Il y a certainement un lien de filiation entre ces réfractaires et les vagabonds qui pullulent au XVe siècle, et qui, pendant les guerres de religion, reprendront les armes, pour semer de nouveau en France l'épouvante et la ruine.

 

II. — LES CLASSES LABORIEUSES LES PAYSANS ET LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE[6].

LA condition des paysans, comme celle de tous les travailleurs, a beaucoup changé en France du XIIIe au XVe siècle. Ces transformations proviennent en partie de phénomènes économiques et sociaux dont les origines sont très anciennes, en partie de la guerre de Cent Ans. Nous décrirons sommairement l'évolution des classes laborieuses, rurales ou urbaines, depuis le commencement du XIIIe siècle, avant de marquer pour chacune d'elles les conséquences de l'invasion anglaise. Le lecteur aura ainsi une vue d'ensemble sur l'agriculture, l'industrie et le commerce en France, durant les derniers siècles du moyen âge.

On a vu que, dès le temps des premières croisades, beaucoup de serfs étaient affranchis, au moins partiellement ; d'autre part, les charges pesant sur les vilains francs étaient allégées : les redevances en nature et même les services personnels commençaient à se transformer en taxes pécuniaires. Les immenses défrichements qu'on opérait alors avaient développé une classe nombreuse de paysans libres : les hôtes. Le progrès des classes rurales subit une nouvelle et très forte impulsion pendant les cent années de prospérité relative qui précédèrent l'invasion anglaise. L'augmentation de la population et de la richesse fit hausser le prix de la terre et poussa les seigneurs à mettre en exploitation ce qui restait de sol en friche. Ce fut aussi à cette époque qu'une partie de l'Albigeois, naguère désolée par la croisade contre les hérétiques, fut rendue à la culture La main-d'œuvre acquit ainsi plus de valeur. Les paysans posèrent leurs conditions ; les mécontents émigrèrent, à la recherche de maîtres plus accommodants ; bon gré mal gré, les seigneurs durent faire de nouvelles concessions. Les chartes d'affranchissement se multiplièrent. Les paysans libres obtinrent ou achetèrent de leurs seigneurs, en maints endroits, la suppression d'obligations gênantes, telles que les corvées et la banalité du four. Enfin les cultivateurs qui offrirent leurs bras pour défricher une terre passèrent des contrats fort avantageux pour eux ; ils reçurent la terre à perpétuité, en devinrent, pour ainsi dire, les propriétaires, car ils purent non seulement la léguer, mais la vendre ; en échange, ils payèrent une rente fixe et furent soumis à certaines obligations déterminées. C'était le régime de la censive.

Les familles qui depuis plusieurs générations n'avaient point bougé de leur champ, qui n'avaient obtenu ni acheté aucune faveur, ni affranchissement, ni suppression de droits seigneuriaux, avaient vu, elles aussi, leur condition s'améliorer, car les redevances avaient décru d'elles-mêmes. Comme, depuis le XIIe siècle, un grand nombre de droits s'acquittaient en argent, selon un taux immuable, et que la valeur de la monnaie s'affaiblit de plus en plus au XIIIe et au XIVe siècle, les rentes du propriétaire dominant diminuèrent au profit du cultivateur. Peu à peu se décomposaient le pouvoir et la fortune de la noblesse, et se dissolvait le régime domanial qui s'était constitué aux premiers temps du moyen âge, avec ses propriétaires nobles et ecclésiastiques armés d'une part de souveraineté, munis d'attributions de justice, et exploitant durement leurs paysans. L'autorité du seigneur était ébranlée, contestée en haut et en bas. Les officiers du roi ou du puissant prince apanagé pénétraient partout. La noblesse elle-même avait contribué à sa ruine : éternellement besogneuse, plus pauvre chaque jour parce que le progrès économique ne profitait qu'aux travailleurs, elle dissipait petit à petit ses droits et ses biens. Très fréquemment, elle vendait des redevances ou des portions de redevances, des droits de justice, des rentes sur ses fonds, aux roturiers enrichis et aux églises bien administrées.

Quelques seigneurs intelligents cherchèrent un mode d'exploitation avantageux pour eux, et le régime du fermage apparut vers la fin du mue siècle. Le fermier passait un bail de durée variable, de quinze ans par exemple, et, à chaque renouvellement de contrat, le bailleur pouvait modifier ses conditions. Un petit nombre de seigneurs exploitèrent même directement tout ou partie de leurs terres, à l'aide de servantes et de valets, payés au mois ou à l'année, et de journaliers qu'on louait dans les moments de presse.

Ainsi. dans les deux siècles qui précédèrent l'invasion anglaise, la force des choses avait continué de modifier l'organisation des classes rurales. Il s'était créé finalement une classe de fermiers, discutant périodiquement avec leurs propriétaires les termes de leur bail, plus libres, mais aussi plus incertains du lendemain que les tenanciers ordinaires. Il s'était créé aussi un prolétariat de valets et de journaliers agricoles, recrutés, comme les fermiers, dans le trop-plein de la population libre ou bien parmi les serfs fugitifs et les vilains mécontents de leur seigneur. Cependant les tenanciers attachés héréditairement au sol, par une tradition immémoriale ou par un contrat de censive, constituaient encore l'immense majorité de la population rurale et c'étaient eux, sans aucun doute, qui tiraient le plus grand bénéfice des transformations de la propriété foncière et, de la ruine des seigneurs. Une sorte de petite propriété incomplète se fondait à leur profit[7]. Les études de détail qu'on a faites sur certaines terres de Normandie, de Gâtinais, de Berry, de Bourgogne, et sur deux pays que Louis XI allait bientôt annexer, le Roussillon et la Provence, aboutissent toutes à la même conclusion : à la fin du moyen âge, la propriété foncière était autant ou plus morcelée que de nos jours ; le petit domaine était le fait normal. Non seulement. les paysans à peu près maitres de leurs terres étaient très nombreux, mais chacun d'eux possédait des parcelles disséminées, très exiguës. Ainsi, une terre de soixante-seize acres, située à Quettehou, et qu'on nommait le fief au Rosel, était divisée en cent-dix parcelles, qui appartenaient à trente-neuf individus. Cet extrême morcellement provenait à la fois de l'incurie des anciennes familles et du démembrement fatal des patrimoines : le droit d'aînesse, en effet, était bien loin d'être partout en vigueur et n'était pas intégral ; il ne s'appliquait d'ailleurs qu'aux biens nobles[8].

Les mêmes phénomènes qui, au temps des premières croisades, puis au XIIIe siècle, avaient précipité le progrès des classes rurales, se renouvelèrent à la fin de la guerre de Cent Ans : la terre en friche eut besoin de bras.

Les effets immédiats de la guerre furent une atroce misère, une insécurité perpétuelle, la famine, le dépeuplement, l'émigration. La population rurale, d'ailleurs très réduite en nombre, s'était concentrée sur un petit nombre de points, autour des châteaux, ou bien dans les villages fortifiés. Lorsqu'aucune bande de gens de guerre n'était signalée à l'horizon, on allait labourer hâtivement les terres voisines. Le reste du sol était abandonné. La forêt, la brousse, le désert, avaient reconquis la France. Dans ces landes et ces bois erraient des troupeaux malingres, revenus souvent à l'état sauvage ; les loups, qui pullulaient, en détruisaient d'ailleurs une bonne partie. L'élevage, si prospère au commencement du mye siècle, n'était plus possible. Quantité de seigneurs, d'établissements ecclésiastiques, ne touchaient plus un sou de leurs anciennes rentes foncières. Certains pays, avant la guerre de Cent Ans fertiles et peuplés, mirent plusieurs siècles à recouvrer leur prospérité. En Saintonge, le peuple répéta longtemps ce dicton : Les bois sont venus en France par les Anglais. La Dombes, au nord de Lyon, est un exemple frappant des effets durables de ce grand cataclysme : au XIVe et au XVe siècle, par suite des misères de la guerre, ce pays se dépeupla ; les habitants qui restaient cherchèrent à utiliser les immenses espaces laissés incultes et, pour avoir du poisson, créèrent des étangs. Chaque repli de ce terrain imperméable fut fermé par une digue, garda les eaux d'hiver et, devint un vivier, mais aussi un marécage quand les chaleurs l'asséchaient ; et la Dombes resta jusqu'à nos jours une région insalubre et presque déserte.

La trêve de 1444 et les réformes militaires de 1445 ramenèrent la paix dans les campagnes. La condition légale de la propriété foncière, fortement altérée par la conquête anglaise et par les nécessités mêmes de la vie pendant l'invasion, fut restaurée par une ordonnance du 28 octobre 1450 : les fidèles sujets du roi furent remis en possession des biens dont ils avaient été privés pendant la guerre. On rétablit les anciens bornages des propriétés. Si les titres étaient détruits, on procédait à une enquête, et les témoignages faisaient foi. En 1451, Charles VII exempta de toute taille pendant huit années les Français qui avaient émigré dans les pays où l'on ne payait pas l'impôt royal, et qui reviendraient prendre possession de leurs anciens biens-fonds. De grandes chasses furent ordonnées pour détruire les loups.

Mais la rénovation de la vie rurale fut avant tout l'œuvre de la foule anonyme, qui se mit courageusement à la besogne. Voici un village du Gâtinais, Sepeaux, qui, dès les premières années du règne de Charles VII, avait été complètement déserté. Les maisons épargnées par les gens de guerre étaient tombées en ruine et les ronces avaient envahi les champs. Vers 1450, un ancien habitant et deux laboureurs étrangers s'installèrent dans cette brousse et commencèrent à la défricher. Quatre ans après, Gilbert Dardaine, nommé curé de Sepeaux, vint prendre possession de sa misérable paroisse ; comme le presbytère n'existait plus, il logea sous le clocher. Ses trois parois siens lui assurèrent le pain quotidien. À la fin du règne de Charles VII, il n'y avait encore de cultures que le long du ruisseau et autour de l'église. Pendant le règne de Louis XI, de nouveaux immigrants repeupleront le village. En Provence, domaine de René d'Anjou, le littoral était devenu un désert[9] : les propriétaires appelèrent des colons italiens.

Ces tristes circonstances permettaient aux paysans de dicter leurs conditions. À la fin du règne de Charles VII, les salaires des journaliers agricoles s'élevèrent à un taux qu'ils n'avaient jamais atteint. Les propriétaires qui n'exploitaient pas eux-mêmes durent accepter les exigences de leurs tenanciers et de leurs fermiers, sous peine de les voir déguerpir. En Provence, il est rare, à cette époque, qu'on obtienne de son fermier le quart de la récolte en céréales ; la part du propriétaire descend parfois au huitième ou au neuvième. Les baux de cheptel sont également désavantageux : le preneur d'un troupeau de moutons réclame plus de la moitié des produits en laine, en fromages, et, au terme du bail, il aura en pleine propriété la moitié du troupeau.

Les conditions sont encore plus dures quand on veut repeupler et remettre en culture des terres désertes et en friche. Les actes d'habitation passés par les seigneurs provençaux avec les colons qu'ils attirent ne peuvent s'expliquer que par l'extrême rareté de la main-d'œuvre, tant ils sont avantageux pour les colons. Dans le midi et le nord de la France, on trouve des exemples analogues. La plupart du temps, les terres incultes sont concédées à perpétuité. Les paysans qui se chargent de les défricher en sont les véritables propriétaires. tant les droits seigneuriaux sont réduits. Parfois, après les avoir mises en culture, ils les revendront, en réalisant des bénéfices considérables.

On pressent que les paysans restés serfs profitèrent de ces circonstances pour demander la liberté et que beaucoup d'entre eux l'obtinrent. Le servage persistait encore dans l'Est et le Centre, en Bourgogne, en Champagne, en Berry, et même dans quelques pays du Midi. Les coutumes de Bourgogne, rédigées en tes, conservaient le principe de l'imprescriptibilité de la servitude. En fait, les charges de la servitude étaient-elles encore bien lourdes ? Elles variaient évidemment beaucoup selon les lieux. Ainsi le droit de mainmorte, qui jadis livrait au seigneur l'héritage du serf mort sans postérité, était éludé en certains pays, comme le Nivernais, par la formation des communautés de familles, personnes morales qui possédaient la tenure et ne mouraient pas. En d'autres endroits, la condition servile paraissait insupportable : à Vignoux-sous-les-Aix. jusqu'en 1440, les religieux de Saint-Ambroix de Bourges exercèrent sur leurs serfs des droits réputés très onéreux, notamment la mainmorte, la taille arbitraire une fois l'an, la corvée du charroi ; les habitants estimaient que le servage était une cause de misère pour eux. Ailleurs, les serfs déclarent que la servitude de mainmorte est honteuse et empêche leurs filles et leurs fils de trouver des maris et des femmes : S'il faut en croire les requérants, écrivent les religieux de la Ferté-sur-Grosne dans une charte d'affranchissement de 1446, en raison de la mainmorte que nous avons sur les habitants et manants de Saint-Ambreuil, la majeure partie des dits habitants, surtout les jeunes, quittent ce domaine, parce que leurs voisins les méprisent et ne veulent pas leur donner leurs enfants en mariage.

La fin du règne de Charles VII fut marquée par des affranchissements en masse. L'abbé de Saint-Germain-des-Prés, en 1451, affranchit d'un coup les habitants de trois villages. Il le fait en considération des guerres, pestes et autres fléaux. D'autres seigneurs avouent qu'il s'agit pour eux d'empêcher leurs paysans de déguerpir : s'ils ne leur accordaient pas la liberté, leurs terres seraient désertées. Les conditions exigées de l'affranchi sont par conséquent assez légères : les habitants de Saint-Ambreuil, libérés de la mainmorte, promettent en retour de travailler à la création d'un étang et d'une chaussée pour les moines de la Ferté. Ainsi l'intérêt bien entendu force les propriétaires de serfs à abandonner leurs vieux droits pour toujours, moyennant une faible compensation

Tout était prêt, à la fin du règne de Charles VII, pour une renaissance agricole. Cette renaissance, toutefois, fut longue à se produire. Si les paysans purent imposer leurs conditions aux seigneurs, il ne faut pas en conclure qu'ils eurent tout de suite une vie aisée. Pendant bien des années encore, les campagnes restèrent misérables. Certaines provinces, comme la Normandie et la région de Paris, étaient épuisées pour longtemps. On voit dans le terrier de Sainte-Catherine de la Couture, composé en 1461 par le prieur Jean Maupoint, qu'à ce moment-là les terres du prieuré, dans la Brie et la châtellenie de Montlhéry, n'ont pas cessé d'être en friche et inhabitées, pour les longues fortunes et malices des guerres. Au mois de décembre 1459, les députés aux États de Languedoc déclarent, dans leur cahier de doléances, que, depuis trois ans, les habitants souffrent de la famine ; ils estiment que, pendant les dix dernières années, malgré le rétablissement de la paix, le tiers de la population de la province a péri. Cette prolongation de la misère était due à la fois à la difficulté de réparer très vite les maux effroyables de la guerre de Cent Ans, et aussi à la routine des agriculteurs : il y avait fort peu d'hommes capables de diriger habilement une exploitation. Au temps de Charles VII et de Louis XI, il est impossible de signaler aucune innovation agronomique ; ce sont les vieux errements qu'on suit. L'outillage reste rudimentaire, et les instruments les plus simples manquent parfois dans la métairie : il est souvent question, au XVe siècle, de pauvres laboureurs de bras, c'est-à-dire de cultivateurs qui n'ont point de charrue. La méthode des jachères persiste. On continue à demander au sol ce qu'il ne peut que maigrement donner ; par crainte de ne pouvoir pas recevoir du dehors les produits dont on a besoin, chacun tâche d'obtenir chez lui tout ce qui lui est nécessaire, et en Normandie, par exemple, on s'obstine à cultiver la vigne. Aussi le rendement de la terre reste-t-il très faible.

Gardons-nous donc de croire sur parole les apologistes de Charles VII, quand ils vantent la prospérité de la France à la fin de son règne. Lorsque Louis XI, rappelé en France par la mort de son père, quitta les grasses et heureuses plaines de Flandre, il fut frappé de l'aspect misérable des campagnes qu'il traversa en cheminant vers Saint-Denis : selon Thomas Basin, il déclara qu'il n'avait trouvé sur la route que des ruines, des champs stériles et incultes, une espèce de désert ; des hommes et des femmes à la figure émaciée, couverts de guenilles, si lamentables qu'ils paraissaient tous récemment sortis d'un cachot.

Trois ou quatre ans après, sir John Fortescue traversait le nord de la France pour se rendre à Paris. Les impressions de voyage de cet excellent observateur sont d'accord avec les paroles prêtées à Louis XI. Les paysans de France, dit-il, boivent de l'eau, mangent des pommes, avec du pain fort brun, fait de seigle : ils ne mangent pas de viande, sauf quelquefois un peu de lard, ou bien des entrailles et de la tète des bêtes qu'ils tuent pour l'alimentation des nobles et des marchands du pays. Ils ne portent pas de laine, sauf une pauvre cote, sous leur vêtement de dessus, lequel est fait de toile grossière et appelé blouse. Leurs houseaux sont en toile pareille et ne dépassent pas les genoux, où ils sont attachés par une jarretière ; les cuisses restent nues. Leurs femmes et leurs enfants vont nu-pieds. Ils ne peuvent pas vivre d'une autre façon, car les fermiers, qui devaient payer chaque année un écu, pour leur tenure, au seigneur, paient maintenant en outre cinq écus au roi. Ils sont ainsi contraints par nécessité de tellement veiller, labourer, défricher la terre pour leur subsistance, que leurs forces en sont consumées, leur espèce réduite à rien. Ils vivent dans la plus extrême misère, et cependant ils habitent le plus fertile royaume du monde[10].

On voit que Fortescue, l'esprit hanté par des préoccupations politiques, attribue la misère des paysans français à l'avidité du fisc. Il est parfaitement exact que le fardeau de l'impôt royal, rançon de la sécurité retrouvée, paraissait lourd au peuple. Mais Fortescue aurait dû ajouter que la France sortait d'une crise affreuse, et qu'étant restée si longtemps en friche, elle avait cessé d'être le plus fertile royaume du monde.

 

III. — MÉTIERS LIBRES ET CORPORATIONS[11].

ON ne peut tracer qu'avec des réserves un tableau d'ensemble de la vie économique en France à la fin du moyen âge. L'organisation des métiers, que volontiers on se représente régulière et uniforme, était au moins aussi variée que celle du travail agricole. Le régime industriel, en effet, ne dépendait pas seulement de conditions géographiques et économiques très diverses, mais aussi de volontés particulières : les métiers étaient soumis soit à un seigneur (qui pouvait être le roi), soit à une municipalité ; l'action du pouvoir central ne se faisait sentir que par intermittence, et sans résultats bien appréciables.

Les seigneurs, appauvris par la décomposition de leur puissance foncière, s'efforçaient de conserver au moins l'exploitation fiscale des métiers. Autant qu'ils le pouvaient, ils gardaient pour eux le privilège de certaines industries : le four, le pressoir, le moulin à grains, le moulin à drap ou à tan, étaient souvent encore, au XVe siècle, des monopoles seigneuriaux. Les professions qui avaient échappé à la possession directe des seigneurs restaient sous leur autorité, tant qu'elles étaient exercées dans les limites de leur juridiction. Ils octroyaient et révisaient les statuts des métiers, autorisaient l'ouverture des nouvelles boutiques, et leurs officiers inspectaient les ateliers. Ils avaient les pouvoirs de police les plus étendus, non seulement sur l'industrie, mais sur le commerce. Ils pouvaient modifier les conditions de la vente, interdire l'exportation des blés. Leur intervention tracassière se traduisait surtout en exigences fiscales. Ils percevaient de lourdes redevances sur la vente en boutique, aux halles, au marché, à la foire ; sur l'entrée, la sortie et le transit des denrées. Ils vendaient aux marchands les poids et les mesures et les vérifiaient, et ils maintenaient soigneusement, comme un signe visible de leur autorité, les étalons traditionnels, qui, dans une même province, offraient la plus extravagante variété : pendant tout l'ancien régime, les nobles firent échec aux tentatives de la monarchie pour établir l'unité des poids et mesures, estimant, non peut-être sans raison, que cette unité ne s'établirait qu'au profit du trésor royal.

Dans les communes ou dans les villes qui avaient presque complètement échappé au pouvoir seigneurial, c'étaient les magistrats municipaux qui gouvernaient les métiers et exerçaient les droits que nous venons d'énumérer. Patrons et marchands eux-mêmes, ou issus de la classe marchande, ils montraient sans doute pour le commerce et l'industrie une sollicitude plus vigilante et plus éclairée que les nobles ; mais cette sollicitude avait pour effet d'enchaîner encore plus étroitement les travailleurs. Les règlements industriels et commerciaux édictés par les municipalités, à la fin du moyen âge, sont longs et minutieux, et les magistrats en surveillent rigoureusement l'exécution. Par leur volonté, la vie ouvrière a son aspect spécial en chaque ville.

L'intervention des rois de France se trouva d'abord limitée, comme celle des seigneurs, par les bornes de leur domaine. Le Livre des Métiers, rédigé par Etienne Boileau vers 188, n'était pas un code industriel royal, applicable dans tout le royaume ; c'était une simple compilation qui résumait, dans un certain ordre, les règlements en usage à Paris. Ce fut vers le temps de Philippe le Bel que les manifestations de l'autorité royale dans l'ordre économique commencèrent à prendre quelque ampleur. Au 'Ir siècle, des ordonnances d'un caractère général, valables pour tous les métiers d'une ville ou même pour tout le royaume, visèrent à modifier l'organisation industrielle, les salaires ou les prix ; d'autres eurent pour but de protéger, comme nous disons aujourd'hui, le travail national. Mais les rois se faisaient peu d'illusions sur la portée de leurs édits, qui étaient rarement appliqués : le seul objet qu'ils poursuivissent avec constance était d'assurer au fisc quelques profits supplémentaires. Louis XI le premier aura une politique industrielle active et raisonnée. Jusque-là, nulle action méthodique ne vient contrarier sérieusement la puissance des intérêts particuliers et des traditions locales.

L'uniformité n'existait à aucun degré dans l'organisation du travail. On s'imagine volontiers que, dans les derniers siècles du moyen Age, tous les métiers, dans toutes les villes, étaient constitués en métiers jurés, en corporations, c'est-à-dire en compagnies privilégiées, qui avaient un monopole absolu de fabrication et de vente. C'est une erreur. L'organisation des métiers jurés dans une ville n'arrivait pas toujours à supprimer les artisans indépendants. Le monopole des corporations subissait bien des atteintes : sans parler de la vente des produits étrangers, permise sous certaines conditions, elles avaient fréquemment à subir la concurrence plus ou moins clandestine des ouvriers en chambre, des chambrelans. Dans le Midi, et même dans quelques villes du Nord, où les monopoles corporatifs étaient moins oppressifs, ces irréguliers vivaient à peu près tranquilles. Enfin, en certaines provinces, l'exception était le métier juré, la règle générale était le métier libre, où l'on ne connaissait ni monopole, ni gardes jurés élus pour veiller à l'exécution des règlements. En Bretagne et dans tout le centre de la France, le système corporatif ne s'implanta que péniblement et tardivement. À Lyon, il ne fut adopté que pour deux métiers, et par des raisons de sécurité publique : De toute ancienneté en vostre dicte ville, disait-on en 1476 à l'archevêque-comte de Lyon, n'a eu que deux mestiers jurez, des barbiers et sarreuriers, pour obvier aux dangiers et inconvéniens qui s'en pourroient ensuyvir. Même dans les pays où le système des corporations avait poussé les plus profondes racines, il était inconnu des villages, et laissait subsister maints métiers libres dans les grandes villes, comme Paris.

Les métiers libres, d'ailleurs, n'échappaient pas à toute réglementation. Au contraire, ils étaient rigoureusement surveillés par les officiers municipaux, seigneuriaux ou royaux. Les artisans ne pouvaient pas s'improviser patrons quand bon leur semblait : avant d'ouvrir boutique, ils devaient obtenir la permission des autorités, subir une enquête sur leur passé, leurs mœurs et leur capacité professionnelle. La fabrication et la vente étaient l'objet de règlements administratifs qui devinrent avec le temps de plus en plus étroits.

En certaines villes, à Lyon, à Bordeaux, à Narbonne, par exemple, les patrons répugnaient évidemment au système des corporations ; certains métiers menaient plus sûrement à la fortune s'ils restaient libres. En général, pourtant, les maîtres artisans aimaient mieux l'organisation corporative, qui leur donnait des privilèges avantageux et le droit de s'administrer eux-mêmes. Le maintien des métiers libres n'était pas toujours dû aux préférences des intéressés, et ce furent presque partout les professions les plus riches, les plus directement utiles à la société, les plus puissantes par conséquent, qui se constituèrent en corporations : telles les industries de l'alimentation, de l'éclairage et du chauffage, du vêtement, du bâtiment, et, parmi les professions libérales, celles de barbier-chirurgien et d'apothicaire. Assez rares, au contraire, furent au moyen âge les corporations de parcheminiers, de perruquiers, d'horlogers, de tous les artisans qui ne formaient pas une association forte par le nombre ou par les capitaux[12].

Lorsque les maîtres d'un métier libre demandaient aux magistrats qui gouvernaient la commune, ou au seigneur de la localité (par exemple au roi), l'autorisation de former un métier juré, ils devaient se soumettre à une longue procédure, attendre les résultats d'une enquête minutieuse sur les avantages et les inconvénients que ce changement comporterait pour les consommateurs. Si l'autorisation était accordée, on procédait à la rédaction des statuts. Ils étaient édictés par le seigneur ou par la municipalité, qui consultait préalablement les intéressés et requérait d'eux le serment d'observer tous les articles. Puis les maîtres, c'est-à-dire tous les patrons de la nouvelle corporation, usant de leur prérogative la plus importante, élisaient pour l'année qui allait s'ouvrir les gardes jurés, parmi les plus suffisants d'entre eux. Le droit de surveillance, qui avait jusqu'alors appartenu exclusivement au seigneur, était désormais partagé par lui avec ces gardes jurés.

En laissant se former une nouvelle corporation, on espérait généralement que les consommateurs y trouveraient leur profit et que la fraude serait plus efficacement combattue : les jurés devaient assurer la probité de la fabrication et de la vente, visiter fréquemment les ateliers, saisir et, en certains cas, brûler au pilori les objets entachés du vice de malefaçon. Mais, pour les maures de la corporation, ce n'était pas là le plus important : ce qu'ils demandaient surtout, c'était que l'égalité fût maintenue entre eux, et que les plus ambitieux ou les plus habiles ne pussent pas s'élever au-dessus des autres. C'est ainsi qu'on interdisait sévèrement aux patrons de s'enlever mutuellement leurs clients ou leurs ouvriers, et qu'on s'efforçait de limiter strictement dans chaque atelier le nombre des apprentis et des ouvriers. La surveillance technique de la fabrication, aux yeux des jurés, avait pour principal objet d'empêcher les innovations secrètes et l'avilissement des prix. La sécurité du public était le but apparent, officiel ; mais les plus ordinaires mobiles de la vie collective, dans la corporation, étaient la méfiance et la jalousie, et le but véritable qu'on poursuivait était la suppression de la concurrence.

Les métiers capitalistes, comme ceux des bouchers de la Grande Boucherie de Paris, qui louaient leurs étaux et vivaient de leurs rentes, étaient des exceptions. Au moyen âge, le mot ouvrier s'applique au maitre aussi bien qu'à l'employé ; et en effet, en règle générale, le patron était un artisan qui travaillait dans son atelier avec quelques apprentis et un ou deux valets.

Le stage d'apprenti était obligatoire, sauf en de rares corporations, où les fils de maîtres jouissaient de privilèges tout à fait exceptionnels. L'apprenti passait avec son patron un contrat qui les liait tous deux étroitement. L'enfant s'engageait à suivre docilement les leçons de son maitre et à travailler pour lui ; ses parents ou ses protecteurs payaient généralement un droit d'apprentissage, qui atteignait rarement cinq ou six livres. En retour, le patron promettait d'apprendre à l'enfant toute la technique du métier, de l'entretenir de vivres, aliments, feu, lict et autres nécessités, et de le traiter paternellement, ce qui, aux yeux des hommes du moyen âge, n'excluait pas les salutaires corrections ; un arrêt du prévôt de Paris nous en avertit en termes naïfs : saisi d'une contestation entre un huchier de la capitale et Lorin Alueil, son apprenti, le prévôt ordonne au huchier que il traite ledict Lorin, son aprentiz, comme filz de preudomme doit estre, senz le faire batre par sa femme, mais le baie lui-mesmes, s'il mesprent[13]. Lorsque l'apprenti, ainsi formé aux bonnes méthodes, avait acquis quelque expérience, on lui donnait un petit salaire ; mais, quelles que fussent son intelligence et son adresse, il restait apprenti tout le temps fixé par les statuts de la corporation : en moyenne trois ou quatre ans, parfois jusqu'à dix et onze. Maintenir leurs auxiliaires en tutelle et payer leurs services à bas prix, le plus longtemps possible, était évidemment le but des maîtres. La limitation du nombre des apprentis dans chaque atelier, réglée de plus en plus étroitement par les statuts corporatifs du XIVe siècle, avait également des motifs tout égoïstes : on déclarait qu'il était impossible d'instruire convenablement plus de deux ou trois enfants ; mais ce qu'on craignait surtout, c'était l'accroissement du nombre des ouvriers, capables de s'établir un jour et de devenir des concurrents ; c'était aussi le succès d'un maître plus actif et plus entreprenant, augmentant sa production en prenant chez lui plus d'apprentis : on ne voulait laisser à personne un moyen quelconque de développer son atelier.

L'ouvrier, son apprentissage une fois terminé, et à moins que, par heureuse chance, il ne fût promu tout de suite à la maîtrise, devenait ce qu'on appelait un valet. En général, les statuts corporatifs ne limitaient pas le nombre des valets qu'on pouvait employer, mais l'embauchage était soumis au contrôle des gardes jurés, afin qu'une certaine égalité numérique fût maintenue dans le personnel des divers ateliers. Les ouvriers, comme les patrons, subissaient le despotisme des gardes jurés et des officiers seigneuriaux ou municipaux : ceux qui refusaient de s'enrôler étaient passibles de prison ; les autorités édictaient parfois un tarif maximum des salaires et punissaient les coalitions tentées par les valets pour hausser le prix de la main-d'œuvre. La grève et même le chômage individuel volontaire étaient des faits délictueux.

Tandis que l'apprenti ne changeait de maître que pour des motifs tout à fait exceptionnels, le valet était engagé pour un temps assez court, un an, un mois, voire une semaine, une journée. Des conventions privées réglaient les salaires et les conditions de travail qui n'étaient pas prévues dans les statuts. La durée de la journée ouvrière était beaucoup plus variable que de notre temps, parce qu'elle suivait les saisons, le travail de nuit étant généralement interdit. La journée de travail en été pouvait atteindre seize heures ; en hiver, l'ouvrier travaillait beaucoup moins longtemps, et était moins payé. Le travail était rémunéré soit à la tache. soit à la journée.

Les misères de la vie du valet étaient compensées, du moins au XIIIe siècle et au commencement du XIVe, par la facilité qu'il avait de devenir maître à son tour. À cette époque, il suffisait, la plupart du temps. pour devenir patron dans un métier juré, d'avoir amassé quelques économies et d'avoir bonne réputation. L'outillage industriel était si peu compliqué que les frais d'établissement étaient minimes. Les gardes jurés, parfois, exigeaient que la capacité de l'aspirant-patron fût prouvée par un petit examen. ou par la confection d'un chef-d'œuvre ; mais on n'avait pas encore l'idée de chercher dans ces épreuves un moyen de limiter le nombre des maîtrises et à en réserver l'accès aux fils de patrons. Certains statuts antérieurs à la guerre de Cent Ans débutent par une formule qui résume bien les conditions exigées alors pour l'ouverture d'un atelier : quiconque veut être maitre entre le puet, s'il set faire le mestier et a de quoi.

Telle était, vers le milieu du me siècle, l'organisation des métiers. Ils eurent beaucoup à souffrir de la guerre de Cent Ans. Les villes, il est vrai, furent moins malheureuses que les campagnes ; mais le commerce étant interrompu, les industries urbaines n'alimentaient plus que la consommation locale, elle-même fort affaiblie. Chacun restreignait ses dépenses et enfouissait son argent. Beaucoup de corporations disparurent dans ce cataclysme, soit que tous les ateliers se fussent fermés, soit que la liberté du travail fût reconnue nécessaire par l'autorité. Ainsi à Chartres, en 1416, le bailli, en considération de la misère et du dépeuplement de la ville, proclama la liberté du commerce et de l'industrie.

La corporation survécut cependant ; il est même probable qu'elle fut bienfaisante pendant la crise, et qu'elle empêcha maints artisans de mourir de faim, grâce à la solidarité qu'elle créait entre ses membres. Dès quo la paix fut rétablie, les anciens métiers jurés se réorganisèrent en foule et demandèrent de nouveaux statuts. Certains d'entre eux se dédoublèrent. Enfin beaucoup de métiers libres entrèrent dans les cadres du système corporatif. Ainsi, dans la seule ville de Poitiers, de 1455 à 1497, douze corporations furent créées ou rétablies. Charles VII, voulant rendre à la draperie de Bourges son ancienne prospérité, ne vit, comme les intéressés, qu'un remède : en faire un métier juré. Les statuts rédigés à cette époque n'introduisirent pas dans la vie industrielle plus de liberté, plus d'air ; au contraire ils la resserrèrent, l'enlacèrent d'étroits règlements. Au sortir d'un siècle d'anarchie, le principe d'autorité triompha partout, aussi bien dans le travail qu'en politique. Non seulement la technique de la fabrication fut fixée officiellement avec beaucoup plus de minutie, non seulement la propriété industrielle fut strictement garantie par l'emploi général de l'enseigne et de la marque de fabrique, mais les patrons, avides de rétablir rapidement la prospérité de leurs ateliers, cherchèrent tous les moyens d'empêcher la concurrence. Les principes égoïstes que recélait déjà l'organisation des métiers au XIIIe siècle se développèrent irrésistiblement, et le système corporatif devint beaucoup plus dur.

Le chemin qui conduisait à la maîtrise se couvrit d'obstacles et de chausse-trapes. Quelques jurandes, brutalement, fermèrent les portes : à Poitiers, les bouchers et les serruriers décidèrent que les fils et les gendres des patrons pourraient seuls devenir patrons. Mais le plus souvent on eut recours à des artifices. On rendit les frais d'établissement plus considérables, pour écarter les candidats : un nouveau maitre devait faire un cadeau à la corporation, un cadeau à la confrérie[14], offrir un banquet aux patrons qui exerçaient le même métier dans la ville et les faubourgs ; les officiers locaux, de leur côté, exigeaient des présents pour eux, pour la ville, pour les hôpitaux. Les fils et les gendres des mettras étaient exemptés de la plupart de ces charges. Un moyen encore plus radical de se débarrasser des aspirants indiscrets fut l'obligation, désormais générale, du chef-d'œuvre : pour être déclaré apte à la maîtrise, un serrurier devait fabriquer une clef et une serrure d'un certain modèle ; un menuisier devait façonner une pièce de bois de chêne, faire un coffre et un banc ; un sculpteur devait tailler une statuette de dimensions fixées. Or, parfois, la fabrication entraînait de grands frais, durait plusieurs semaines ou même davantage, et pendant ce temps l'ouvrier ne gagnait rien et devait payer les maîtres-gardes chargés de le surveiller. Enfin son chef-d'œuvre était soumis à l'acceptation des jurés, qui commettaient souvent de criantes injustices. On pouvait, il est vrai, en appeler aux autorités locales, mais celles-ci ne réussissaient guère à contrarier les habitudes de népotisme des patrons. Les statuts mêmes accordaient aux fils de maîtres toutes sortes de facilités ; l'épreuve du chef-d'œuvre n'était souvent pour eux qu'une formalité.

Ainsi, au XVe siècle, une oligarchie héréditaire de patrons tendit à se constituer dans chaque métier juré. Un prolétariat de salariés naquit ; une question sociale se posa[15]. Les maîtres et les ouvriers, il est vrai, vivaient côte à côte, étaient rapprochés étroitement par le travail de l'atelier, les repas en commun, les cérémonies de la confrérie, mais cette familiarité n'empêchait pas le choc des intérêts contraires. Les préambules des statuts eux-mêmes font fréquemment allusion aux perpétuelles contestations entre maîtres et valets. Les patrons reprochaient durement aux ouvriers leurs malfaçons, qui risquaient d'attirer l'attention des jurés ; ils dénonçaient les coalitions que les salariés formaient, en dépit de tous les règlements, pour obtenir une hausse du prix de la main-d'œuvre ou une réduction des heures de travail. Les ouvriers, de leur côté, se plaignaient d'être exploités : les prix des marchandises, par exemple, haussaient et les salaires étaient maintenus à leur ancien taux ; dans les confréries, les patrons prétendaient encore dominer sans contrôle, disposer à leur gré de la caisse de secours mutuels. Ces débats étaient bien anciens, mais ils s'étaient singulièrement envenimés depuis que l'accès de la maîtrise était devenu difficile, et que, de plus en plus, les maîtres formaient une classe supérieure et à demi fermée. Les textes judiciaires du XVe siècle nous montrent de furieuses colères déchaînées.

Cette mésintelligence croissante entre maîtres et valets eut deux conséquences importantes : les salariés se déplacèrent plus souvent, et, en second lieu, ils cherchèrent à former entre eux des associations d'où les maîtres étaient exclus. Fréquemment l'ouvrier ne renouvelait pas son contrat de louage, abandonnait la corporation, la ville. Il n'est pas douteux que la guerre de Cent Ans, par les misères et les ruines qu'elle provoqua, n'ait grandement contribué à répandre ces habitudes. Les demandes de main-d'œuvre étaient rares ; les artisans, qui pouvaient émigrer bien plus facilement que les paysans, allaient de ville en ville chercher du travail. Les catastrophes subites, le pillage des villes prises d'assaut ou même la dévastation des campagnes, qui privait de matières premières certaines industries, telles que la teinture, provoquaient de véritables exodes de travailleurs. Les malheurs publics amenaient ainsi entre les villes et les provinces des échanges de population industrielle, qui, du reste, n'ont pas laissé de produire d'heureux effets : bien des secrets locaux de fabrication ont dû ainsi se divulguer par toute la France. Une fois la paix revenue, ces coutumes de vie nomade persistèrent. Un document de 1469 résume la biographie d'un certain Jean Pyot, Parisien. Jusqu'à dix-huit ans, il est resté en apprentissage chez un pourpointier :

Après qu'il a esté congnoissant l'estat et industrie du mestier, s'en est alé par le pais pour acquérir quelque bonne fortune, et mesmement en la ville de Bruges ou il a demouré aucun temps, besongnant dudit mestier Et après il est venu demourer en la ville d'Arras, ouquel lieu il a semblablement besongné de sondit mestier, et tellement s'i est gouverné qu'il a esté marié à une bonne fille dudit lieu, laquelle il a amenée demourer en ceste dite ville de Paris, trois ans a ou environ.

C'est donc à l'époque de l'invasion anglaise qu'il faut chercher les origines du célèbre Tour de France. En se détachant ainsi du lieu natal et de la corporation où ils avaient fait leur apprentissage, les ouvriers se créèrent une vie plus libre, plus variée, mais incertaine et souvent misérable. Leur existence devint presque aussi hasardeuse que celle des maneuvres, pauvres hères qui n'avaient jamais appris méthodiquement aucun métier, et erraient à la recherche de quelque besogne facile. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'ils aient cherché à s'associer pour se prêter une aide mutuelle. Le compagnonnage naquit ou se développa pendant la guerre de Cent Ans, non seulement parce que les ouvriers ne trouvaient plus dans la corporation et la confrérie, dominées par une oligarchie de patrons, une protection suffisante de leurs intérêts propres[16], mais aussi parce qu'ils étaient fréquemment en voyage, exposés alors à tous les risques de la misère et à tous les périls des grands chemins. Les ouvriers constituèrent donc, probablement dès le XIVe siècle, de vastes associations de compagnons, qui n'avaient point le caractère local des corporations. Les artisans de chaque métier formaient autant que possible un seul devoir. Ces associations, mal vues des patrons et des autorités, étaient essentiellement secrètes. Les compagnons du même devoir, par exemple les Francs-Maçons, se reconnaissaient à des signes mystérieux et s'entraidaient ; on procurait du travail au nouvel arrivé, on prêtait de l'argent au confrère misérable. L'histoire de ces débuts du compagnonnage français est d'ailleurs très obscure : aucun texte antérieur au XVIe siècle ne nous en parle, et les traditions qui s'établirent sur les origines de ces associations sont toutes légendaires[17].

 Dans la reprise du travail industriel à la fin du règne de Charles VII, dans la vigoureuse résurrection du système corporatif, quel est le rôle du roi ? Son intervention n'est pas très active. Ce qui apparaît le plus clairement, c'est qu'il veut surveiller les corporations et en tirer un peu d'argent. Le prestige de la couronne est devenu tel que, de toutes parts, les métiers jurés lui demandent la confirmation de leurs statuts anciens ou nouveaux. Le roi ne les confirme qu'à condition d'y voir figurer certaines clauses qui fortifient son autorité et enrichissent le Trésor : une part des amendes doit lui revenir, les maîtres doivent prêter serment au roi, devant la cour de bailliage ou à la prévôté ; les assemblées de corporations et de confréries ne peuvent se tenir qu'en présence d'un sergent royal. Mais ce ne sont là que des mesures de police et de fiscalité, qui ne sont même pas toutes des innovations. L'autonomie des corporations n'est pas encore menacée.

A aucune époque, d'ailleurs, les rois ne s'occupèrent de réformer et d'améliorer sérieusement l'organisation corporative. Ils songèrent à protéger le public contre les monopoles abusifs, les industries nationales contre la concurrence étrangère, mais non à corriger les vices internes du système. Ces vices ne firent que s'accentuer jusqu'à la fin de l'ancien régime : les maîtrises devinrent moins abordables, les statuts plus méticuleux, à mesure justement que les maîtrises et les statuts furent moins nécessaires.

Au moyen âge, la corporation avait sa raison d'être. Il n'y a pas lieu d'admirer une institution qui entrava le progrès industriel, condamna les hommes d'initiative et les esprits inventifs à la médiocrité, autorisa une brutale exploitation des adolescents et finalement aboutit à la création d'un prolétariat ; mais on comprend qu'elle se soit développée et qu'elle ait rendu des services : à ses origines, elle a défendu les artisans contre l'oppression seigneuriale ; dans la suite, par le monopole qu'elle conférait, elle assurait le pain quotidien à ses membres, lorsque les temps redevenaient durs ; par ses règlements de fabrication, elle a entretenu la routine[18], mais aussi le dédain de l'œuvre bâclée. L'industrie française, notamment au XVe siècle, avait bonne renommée en Occident. L'auteur du Débat des hérauts d'armes de France et d'Angleterre[19] établit que la France surpasse l'Angleterre pour les mestiers mécaniques. Nous avons, dit le héraut de France à son adversaire, meilleurs draps, plus fins et mieulx tains, soit à Rouen, Montivillier, à Paris, à Bourges, ou en autres villes où l'on fait drapperie ; et se vendent communement les fins draps un escu ou deux l'aulne plus que les vostres. L'orfèvrerie française était également célèbre.

Le sort de l'ouvrier était-il plus dur que de nos jours ? Nous possédons des documents sur les salaires au moyen âge ; ils permettent de constater que les gages des ouvriers, malgré les interventions officielles, subissaient les mêmes fluctuations qu'aujourd'hui, selon que la main-d'œuvre était plus abondante ou plus rare : la guerre de Cent Ans a dû évidemment exercer sur la rémunération du travail beaucoup plus d'influence que les tarifs des municipalités et les ordonnances royales. Mais ces documents sur les salaires sont trop fragmentaires et d'une interprétation trop malaisée pour autoriser des. statistiques et des conclusions précises. On ne peut pas déterminer avec sûreté quel était le rapport moyen entre les salaires et le prix des vivres et des objets usuels. Il parait certain cependant que l'ouvrier avait alors moins de confortable, moins de besoins aussi qu'en notre temps ; son alimentation, par exemple, était moins riche : de ces indices généraux on peut conclure qu'en somme, il gagnait moins.

Une des causes les plus évidentes de cette infériorité du gain annuel était la quantité excessive des jours de chômage, abus d'ailleurs aussi préjudiciable aux maîtres qu'aux valets. Au XVe siècle, outre les dimanches, il y avait une cinquantaine de jours de fêtes obligatoires par année, et l'ouvrier qui violait le repos imposé par l'Église était traduit devant le tribunal de l'officialité ; les ouvriers chargés de famille et prévoyants se plaignaient de ces repos forcés et ne respectaient pas toujours la loi de l'Église[20], mais la grande majorité ne travaillait, somme toute, que cinq journées par semaine en moyenne.

Les compagnons du XVe siècle étaient peut-être plus misérables que les ouvriers de notre temps, mais ils paraissent avoir joui d'une insouciance qui guérissait bien des maux. Aux jours de chômage, on allait à la foire voisine, regarder les bateleurs et les comédiens ; on jouait aux boules, aux quilles, surtout à la paume. Les sociétés joyeuses étaient nombreuses, et les grandes fêtes populaires étaient plus fréquentes qu'à notre époque. De temps en temps, on jouait un mystère ; plus rarement, c'était l'entrée solennelle du roi ou d'un grand personnage, motif de longues réjouissances pour la population de la ville et de la région. Chaque métier avait sa fête annuelle, et l'anniversaire du saint de la corporation était le prétexte de banquets gigantesques. À Châtellerault, le jour de la Trinité, les bouchers et les cordonniers, à cheval, armés d'une lance, se disputaient l'honneur de renverser une quintaine au milieu de rires homériques ; le lendemain, les meuniers faisaient des joutes sur la Vienne. Les compagnies d'archers et d'arbalétriers donnaient de grandes fêtes, auxquelles participaient les délégués d'une foule de villes : les registres municipaux de Compiègne nous apprennent que le 10 juillet 1428, en pleine période de guerres et de misères, un messager de la ville de Gand vint inviter les habitants pour le Jeu de l'Arc, qui devait avoir lieu le 10 août. Enfin chaque ville célébrait annuellement une ou plusieurs fêtes : c'est ainsi que, le 8 mai, Orléans commémorait sa délivrance.

Au XVe siècle comme aujourd'hui, les ouvriers fréquentaient les cabaret, et les moralistes se lamentaient de les voir, le dimanche, gaspiller le gain de la semaine et rentrer ivres à la maison. Nicolas de Clamanges nous dit, dans son traité Sur la nécessité de ne pas instituer de nouvelles fêtes :

Ces gens-là passent le saint jour à la taverne. Ils s'y réunissent depuis le lever du soleil, et y restent souvent jusqu'au milieu de la nuit. Là ils jurent, parjurent, blasphèment Dieu et tous les saints, crient, se disputent, chantent, font du bruit, du vacarme, se conduisent comme des fous furieux. On s'occupe aussi de ses affaires, on achète, on traite, on se gage, on s'accorde, on se désaccorde, on fait la paix, on prépare des procès, on se tend des pièges, et celui qui a le mieux trompé l'autre est proclamé par toute l'assistance le plus intelligent. Pour chaque affaire, on boit abondamment du vin. Pendant ce temps, les malheureuses femmes et les pauvres enfants, pour qui ce n'est pas un jour de fête, jeûnent à la maison. Ils doivent souffrir de la faim presque toute la semaine, et paient ces débauches des jours de fêtes avec des larmes et des sanglots et souvent avec des coups.

Le niveau de la moralité populaire n'était certes pas élevé. Les articles de quelques statuts corporatifs, proscrivant les ouvriers dévergondés, ne prouvent pas que les bonnes mœurs fussent habituelles : ils prouvent seulement qu'on tâchait de réagir contre les mauvaises. Mais, à vrai dire, la grossièreté est universelle au XVe siècle. Si les ouvriers sont ivrognes et libertins, débauchent souvent la femme ou la fille de leur patron, dépensent en une fois tout leur salaire dans les tripots et les étuves, s'ils sont querelleurs et brutaux, s'ils versent aisément le sang, il faut convenir qu'ils ne trouvent pas, en regardant au-dessus d'eux, le modèle de mœurs très différentes et que l'Église elle-même leur fournit le lamentable exemple de tous les scandales.

 

IV. — LES MINES ET LA CONDITION DES MINEURS[21].

L'INDUSTRIE minière prend au XVe siècle quelque importance en France. Elle échappe aux cadres du système corporatif. Elle présente déjà certains caractères de la grande industrie : elle emploie de nombreuses équipes d'ouvriers, exige d'assez grosses mises de fonds, provoque des associations de capitalistes, des combinaisons financières variées.

L'emploi de plus en plus fréquent des métaux devait nécessairement amener ce progrès de l'exploitation minière. L'orfèvrerie était en pleine prospérité. La moindre petite ville avait plusieurs orfèvres ; ils fabriquaient toutes sortes d'objets que plus tard on fit de préférence en verre et en faïence : gobelets, écuelles, tasses, plats. La transformation de costume militaire, qui était devenu pour les cavaliers une complète carapace de métal, et l'avènement de la grosse artillerie augmentèrent singulièrement la consommation du fer, du cuivre et de l'étain, et même de l'argent et de l'or, car la noblesse déployait un grand luxe dans ses armures. Dans beaucoup de provinces, notamment en Normandie, en Champagne, en Lyonnais et en Forez, en Dauphiné, en Languedoc, on constate, au xv siècle, l'existence de forges à faire fer et de forges à faire acier, mues par des chutes d'eau : la forge à l'eau remplace la forge à pied. En 1455, Charles VII exempte d'impôts les maîtres des forges à fer. Enfin le numéraire s'est tellement raréfié, la disette des métaux précieux commence à devenir un si inquiétant problème financier que les princes font soigneusement exploiter les mines de plomb argentifère et rechercher les paillettes d'or charriées par quelques rivières. On nous dit, dans le Débat des hérauts d'armes, que les affineurs trouvent de l'or dans le Rhône, la Vienne et quelques autres rivières.

Très souvent la recherche des gisements se fait au hasard. On pratique des fouilles en des endroits où nous savons maintenant qu'il était impossible de rien trouver. Il y a cependant des spécialistes moins maladroits. Le duc Jean V nous parle d'un Claux Latreba, des pays d'Almaigne, qui est venu s'établir en Bretagne et y découvre des gisements[22]. Les Allemands étaient particulièrement experts en matière d'exploitation minière et de fonte des métaux.

Au XVe siècle, le roi, ou, dans les pays indépendants comme la Bretagne, le prince, perçoit une partie du métal extrait dans les domaines de ses vassaux[23]. Les baillis royaux n'accordent l'autorisation d'exploiter une mine que si le requérant s'engage à livrer au roi un dixième du métal. Souvent une seule personne obtient le monopole de recherche et d'exploitation dans toute une région, sauf indemnité aux propriétaires du sol. Ainsi Claude Coct, bourgeois de Grenoble, gagna une fortune en se faisant concéder les mines de la châtellenie de l'Oisans. Charles VII donna à Jacques Cœur, pour deux cents livres par an, la ferme des mines d'argent, de cuivre et de plomb du Lyonnais et du Beaujolais ; Cœur s'associa, pour les exploiter, avec deux marchands de Lyon, Jean et Pierre Baronnet. Dès l'année 1237, on voit des mines de charbon de Boussagues, en Languedoc, exploitées par une véritable compagnie, qui a deux chefs, signataires de l'acte passé avec le seigneur de la terre. Ils traitent en leur nom et au nom de porsonniers qui ont des intérêts dans l'affaire. Le seigneur se réserve un neuvième du produit de la mine. On constate, dès le commencement du me siècle, que certains habitants de Boussagues ont prêté de l'argent pour développer l'exploitation, et que la compagnie leur sert des rentes en charbon. Cette organisation est encore florissante à la fin du XVe siècle.

Les traditions léguées par l'antiquité pour l'exploitation des gisements métalliques n'ont pas été oubliées au moyen âge. Dans les mines importantes, le travail est méthodique. Un règlement fait en 1435 par le procureur général Jean Dauvet pour les mines du Lyonnais, confisquées sur Jacques Cœur, nous montre à la besogne un personnel complet : gouverneur, contrôleur des recettes et des dépenses, comptables, inspecteurs, maîtres de montagne, ouvriers de marteau, manœuvres chargés des gros travaux, charpentiers pour le boisage des galeries. Les ouvriers de marteau forment des équipes qui se succèdent régulièrement. Ils travaillent à la chandelle, avec des coins et des marteaux.

Comme de nos jours, la découverte d'une mine an moyen âge créait un centre industriel et même agricole. À la surface du sol exploité on bâtissait des ateliers, non seulement pour assurer aux ouvriers un outillage en bon état, mais pour fondre et affiner les métaux. Enfin on construisait des maisons d'habitation. Le personnel des mines que possédait Jacques Cœur avait une existence confortable. Il recevait des gages élevés[24] ; on lui fournissait une alimentation de premier choix, un logis commun bien chauffé, l'éclairage, le blanchissage, le vêtement, les soins médicaux, le service religieux. Chaque mine avait des dépendances rurales, et les mineurs, dans les intervalles de leur travail souterrain, cultivaient ces terres, dont ils pouvaient acheter des lopins. Le règlement protégeait les ouvriers contre les tentations du dehors : ils ne pouvaient recevoir d'avances sur leurs salaires, sauf en cas de nécessité reconnue ; ils étaient punis s'ils amenaient des filles dans leur logis. Ils étaient soumis à un gouverneur ; mais leurs privilèges étaient sous la garde du sénéchal de Lyon, qui recevait leurs appels. La discipline qui leur était imposée en échange d'avantages considérables était donc toute paternelle.

Certes il y aurait quelque imprudence à tirer de cet exemple des conclusions générales sur la condition des mineurs au XVe siècle. Il est cependant bien intéressant de constater à cette époque le développement d'une grande industrie, qui assure, au moins dans une certaine région de la France, le bien-être de ses ouvriers ; les mineurs du Lyonnais jouissaient évidemment d'un confortable que le système corporatif, avec ses petits patrons jaloux et besogneux, ne pouvait pas procurer aux artisans.

 

V. — LE COMMERCE. JACQUES CŒUR[25].

AU moyen lige, les fabricants étaient en lierne temps commerçants. Les mares achetaient eux-mêmes les matières premières, ou bien, s'ils faisaient partie d'une corporation, se partageaient les matières premières achetées par les jurés. Ils vendaient directement au public les produits de leur industrie. La draperie seule était assez florissante pour échapper, en certaines villes, à cette règle : il y avait des corporations de marchands drapiers qui ne fabriquaient rien, et commanditaient les corporations de tisserands, de foulons et de teinturiers. C'était une exception : en général, l'ouvroir et la boutique se confondaient. L'idéal économique était de tout produire et de tout consommer sur place. L'industrie des transports restait extrêmement rudimentaire.

Pourtant le trafic entre provinces et avec l'étranger était nécessaire. et existait. Il y avait aux halles de chaque ville une exposition de produits du dehors, et les jurés des corporations devaient se contenter de faire saisir ceux qui étaient de mauvaise qualité. Les Forains, sous certaines conditions, venaient aussi avec leurs marchandises faire concurrence aux métiers locaux. Il fallait des négociants pour apporter les lointaines matières premières, et pour exporter l'excédant des grains, des vins et des draps de France. Les innombrables péages seigneuriaux. les douanes royales, savamment organisées dès le règne de Philippe le Bel, n'arrêtèrent pas le développement inévitable du grand commerce. Il se faisait surtout par la voie maritime et fluviale.

Il n'y avait pas de sociétés marchandes comparables à celles de l'Allemagne et de l'Italie. Les compagnies de négociants français étaient de moindre envergure. C'étaient des corporations pourvues de privilèges limités et tout aussi exclusives que les corporations industrielles. Leur égoïsme devenait facilement féroce. On lit dans les statuts des armateurs de Bayonne : Quiconque refusera de faire partie de cette association ne devra pas être secouru par les autres, lorsque son navire sera en détresse ; quiconque prêtera aide à lui ou à son navire sera puni d'une amende de dix livres de Morlaas, payable à l'association. Ce texte est du commencement du XIIIe siècle. Plus tard, les marchands comprirent leur propre intérêt d'une façon moins étroite. Au XIVe siècle, un groupe de sociétés marchandes eut l'idée d'une fédération : les corporations de négociants et de voituriers des villes de la Loire formèrent la Communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire et autres fleuves descendant en icelle, association ouverte, sans privilège, qui se proposait avant tout d'organiser des assurances mutuelles, d'empêcher l'établissement de nouveaux péages et d'améliorer la navigation du fleuve. C'est aussi au XIVe siècle que remonte probablement l'institution des grandes compagnies de merciers. Les merciers étaient des marchands en gros, qui allaient de foire en foire, pour y vendre toutes sortes de denrées, depuis les épices d'Orient jusqu'aux soieries de Lyon. Les merciers de chaque ville formaient une corporation et élisaient leurs jurés ; mais ces corporations se réunissaient pour constituer des compagnies régionales, munies elles-mêmes de privilèges. Chacune de ces vastes associations avait son roi : il y avait ainsi un roi des merciers pour le Languedoc, un autre pour le Maine, l'Anjou et la Touraine. Il jugeait les procès commerciaux et avait une réelle autorité administrative sur le grand commerce de sa province.

Le mécanisme commercial, au moment où commença la guerre de Cent Ans, était suffisant pour les entreprises importantes. Les livres de commerce étaient d'usage courant. La lettre de change fonctionnait dès le temps de Philippe Auguste. Beaumanoir nous parle de la société en commandite, de la société temporaire, de la société à vie, et, en effet, il y avait au Niue siècle nombre de sociétés commerciales. À la même époque, nous avons des exemples de lettres de voiture, indiquant les conditions d'un contrat de transport. Vers 1339, la vente à terme était connue, interdite, et usitée cependant, comme le prouvent des poursuites intentées cette année-là par le procureur du roi contre les tanneurs de Troyes.

L'institution de foires internationales, telles que celles de Champagne au mir' siècle, fut une source de progrès pour la condition des marchands et la science des transactions. Les seigneurs et les rois, dans un intérêt fiscal, assurèrent la sécurité des marchands qui s'y rendaient, supprimèrent en leur faveur le droit de représailles et le droit d'aubaine, suspendirent pendant la durée de leur séjour l'effet des actions qui les menaçaient. C'est dans les foires que naquirent les premières juridictions commerciales connues en France. La loyauté des contrats était garantie de la façon la plus rigoureuse. Enfin, pour mettre de la rapidité dans les opérations, on adopta peu à peu des usages ingénieux et savants. C'est ainsi qu'aux foires de Champagne, les marchands, pour ne pas perdre leur temps en paiements, réglaient mutuellement leurs comptes le dernier jour, par un jeu d'écritures : le principe des Chambres de compensation était trouvé.

La guerre de Cent Ans ruina les marchands français et chassa les marchands étrangers. Les routes étaient infestées de brigands, coupées de fondrières. Beaucoup d'entre elles disparurent sous l'envahissement des broussailles. On laissa les rivières s'envaser. Les péages furent arbitrairement multipliés par les seigneurs et même par les officiers royaux. Les halles des villes tombèrent en ruines. Au temps de la domination anglaise, la foire du Lendit cessa de se tenir. Il en fut de même des foires de Champagne, depuis bien longtemps d'ailleurs en décadence : le commerce entre la Flandre et l'Italie se faisait maintenant par les Alpes et le Rhin. Les foires de Genève héritèrent la clientèle que perdaient Beaucaire et les autres marchés de la France méridionale.

Au début du règne de Charles VII, les Français du royaume de Bourges n'avaient plus de relations commerciales avec le dehors que par la Rochelle et les ports du Languedoc. Or les marchands de ta Hanse allemande avaient cessé de fréquenter la Rochelle, et le trafic océanique était accaparé par les Bretons et les Castillans. Sur la Méditerranée, tous les anciens grands ports français étaient en décadence : Montpellier, victime d'affreuses épidémies, était dépeuplée ; Aigues-Mortes s'ensablait ; Narbonne n'avait plus de communication facile avec la mer, depuis la rupture du barrage de l'Aude au XIVe siècle. Les négociants du Languedoc n'entretenaient plus de rapports réguliers avec l'Orient. S'ils se risquaient à envoyer un vaisseau dans le Levant, il y avait toute chance pour qu'ils ne le revissent plus : les pirates musulmans, catalans, génois, pullulaient. Les Marseillais eux-mêmes remontaient le Rhône dans leurs barques et descendaient sur les rives pour faire des prisonniers. Enfin des concurrences inattendues naissaient pour la France condamnée à l'inertie : les sujets du duc de Savoie se mirent à commercer directement avec Barcelone et Chypre ; ce prince permit aux marchands bourguignons et flamands d'avoir des vaisseaux à Villefranche, près de Nice, pour trafiquer avec le Levant.

Il suffisait cependant d'un homme d'intelligence et de volonté pour reconquérir à la France les débouchés dont on l'évinçait. Jacques Cœur le démontra. Avant que la guerre de Cent Ans fût terminée, il édifia, à son profit et au profit de la France, une prodigieuse fortune commerciale. C'était, dit Thomas Basin, un homme sans littérature, mais très intelligent, d'un esprit ouvert et industrieux pour les affaires. Ajoutez qu'il savait admirablement choisir ses auxiliaires, qu'il était complètement dénué de scrupules et d'une ambition illimitée. Il avait pour devise : À vaillants cœurs rien impossible. Son père, pelletier à Bourges, lui laissa quelque bien. Dès les premières années du règne de Charles VII, Jacques Cœur s'associa avec le maître des monnaies de Bourges, Ravant le Danois, et chercha avec lui des profits frauduleux dans la fabrication d'espèces de mauvais aloi. Il fut poursuivi, gracié avec ses complices en 1429, et chercha une autre voie. Au mois de mai 1432, à une époque où la France était plongée dans la plus lamentable détresse, il s'en alla dans le Levant acheter des épices. Au retour, la nef qui le portait fit naufrage en vue de Calvi. Il put aborder en Corse dans une barque, avec ses compagnons, mais les insulaires les dépouillèrent jusqu'à la chemise. Cœur revint en France dénué de tout. Il ne se découragea point. Renseigné de ses propres yeux sur les conditions du trafic méditerranéen, il parvint en quelques années à prendre la première place dans le Levant.

Jacques Cœur prépara son succès avec une habileté consommée. Il gagna la faveur du roi et obtint divers offices qui le mirent hors de pair parmi les marchands français. Commis sur le fait de l'argenterie en 1438, puis argentier en titre, il tenait à la cour, en cette qualité, magasin d'étoffes, de meubles, de denrées de toutes sortes, pour satisfaire aux besoins et aux caprices quotidiens du roi et. de son entourage. II parvint même à intéresser le roi à ses opérations commerciales : il put dire un jour qu'entre le roy et luy, il y avoit un papier de compte secret. Conseiller du roi, commissaire aux États de Languedoc, visiteur général des gabelles de Languedoc, cet habile homme put imposer ses volontés à la bourgeoisie du Midi, embrigader parmi ses facteurs les marchands qui lui paraissaient capables de le servir, écraser les autres sous le poids de ses privilèges et de son crédit officiel. Il eut sous ses ordres un personnel d'élite, entièrement dévoué à ses intérêts, et dont il fit la fortune : tels Jean de Villages, son chef d'escadre, qui épousa sa nièce ; Guillaume de Varye, son premier comptable, qui entra plus tard au service de Louis XI comme général des finances. Les députés aux États de Languedoc et les magistrats municipaux faisaient ce que voulait le puissant Jacques Cœur. On lui votait des subventions, on exemptait d'impôts ses marchandises ; pour son plus grand avantage, on édictait de nouveaux tarifs, on réparait les ports et les canaux.

La principale maison de commerce de Jacques Cœur fut établie d'abord à Montpellier, puis à Marseille. La grande source de ses richesses fut le commerce maritime. Sa flotte exportait en Orient les denrées occidentales, rapportait d'Alexandrie et de Beyrouth les étoffes du Levant, les tapis de la Perse, les parfums de l'Arabie, les fourrures du Nord, les épices et les porcelaines de l'Extrême-Orient. En même temps, elle transportait les passagers chrétiens et musulmans. Elle faisait aussi la traite des esclaves. Au retour, elle remontait le Rhône ou bien, triomphant de la concurrence catalane et italienne, allait approvisionner le marché de Barcelone. Jacques Cœur fut un type achevé de brasseur d'affaires, apte à toutes les spéculations, prompt à saisir tous les moyens de faire fructifier ses capitaux. Dès que la trêve de 1444 fut signée, il se mit à trafiquer avec les marchands d'Angleterre. Il avait une manufacture de soieries à Florence et une foule d'entreprises en France. Il exploitait les mines du Lyonnais ; il avait la fourniture du sel à Tours, à Loches, à Montrichard, à Busançais, à Bourges. Il avait une teinturerie à Montpellier, une papeterie à Rochetaillée. Ce qu'il ne produisait pas lui-même, il allait à demander directement aux producteurs : pour se passer des intermédiaires, il avait d'innombrables comptoirs en France et sur les rives de la Méditerranée.

La fortune de Jacques Cœur fut proverbiale au xv siècle. La gloire de son maistre fit-il esbruire (retentir) en toutes nations et terres, et les fleurons de sa couronne lit-il resplendir par les longlaines mers, s'écriait Georges Chastellain. Jacques Cœur, en effet, avait rendu à la France, dans le Levant, un prestige que désormais, pendant de longs siècles, elle ne perdit plus. Il avait réveillé autour de lui une prodigieuse activité économique. Il ne faut pas toutefois grandir démesurément son rôle dans l'histoire du commerce, et ou a eu tort de présenter ses entreprises comme des innovations. Enfin, quelques résultats qu'ait produits son initiative personnelle, il est évident qu'avec la lin de la guerre de Cent Ans coïncida tout naturellement une renaissance commerciale. Jacques Cœur n'avait pas attendu le retour de la prospérité publique pour fonder sa fortune, et c'est en quoi il montra son génie, mais cette renaissance commerciale se serait produite sans lui[26].

La disparition des Écorcheurs et des Anglais permit à Charles VII de rétablir les anciennes foires et d'en créer de nouvelles. C'était un droit qui, depuis le XIVe siècle, était reconnu au roi de France dans toute l'étendue de son royaume, sauf dans les principautés indépendantes, comme la Bretagne. Lyon surtout attira l'attention des gens du roi. On pensait avec raison que le chemin de la Champagne était oublié et que Lyon était seule capable, par sa situation, de rivaliser avec Genève. Aux deux foires franches qu'il avait instituées à Lyon en 1420, Charles VII en ajouta une troisième en 1444. En 1445, il défendit aux marchands français de transporter aucune marchandise à Genève. Mais cette prohibition ne fut pas observée, et les foires de Lyon restèrent peu fréquentées jusqu'au règne de Louis XI. D'ailleurs, au XVe siècle, les foires commençaient à perdre la place qu'elles avaient eue dans le grand commerce du moyen âge.

Cette évolution était. le résultat du progrès des communications. Dès le temps de Charles VII, les gens du roi travaillèrent efficacement à rendre les transports plus sûrs, plus aisés et moins coûteux. Les péages de création récente, qui augmentaient démesurément les frais de la navigation fluviale, furent abolis, et des travaux d'approfondissement furent entrepris dans l'Eure, la Loire, le Loir, la Maine, la Sarthe, le Clain. La navigation de la Seine, objet de perpétuelles contestations entre la hanse parisienne et la gilde de Rouen, fut rendue libre pour les marchands parisiens et rouennais. Enfin le commerce maritime fut activement protégé. Le port d'Aigues-Mortes était en pleine décadence ; Charles VII, qui le jugeait le plus bel, prouffitable et plus scur du Languedoc, imposa en 1445 un droit de 10 p. 100 sur toutes les épices et drogues qui entreraient en France par un autre port que celui-là[27]. En 1449, une somme de mille livres fut consacrée à le réparer ; la même année, Aigues-Mortes reçut avec la Rochelle le monopole exclusif du commerce de l'épicerie et de la droguerie. La Rochelle était le meilleur port que la royauté possédât sur l'Océan ; les négociants hanséates avaient repris l'habitude d'y fréquenter.

Les négociations entamées avec l'étranger en faveur des marchands français occupent une place importante dans l'histoire diplomatique du règne de Charles VII, qu'il s'agit soit d'obtenir des indemnités pour les dommages causés par les pirates, soit de conclure des traités de commerce. Les conventions politiques contractées ou renouvelées avec les princes allemands, les Suisses, le Danemark, la Castille, furent accompagnées de clauses commerciales. Un accord fut signé en 1434 pour la reprise des relations avec l'Aragon. Peu de temps avant la disgrâce de Jacques Cœur, Jean de Villages porta au soudan d'Égypte des lettres du roi et obtint gracieux accueil. Des marchands de Montpellier furent envoyés en mission auprès des souverains de Caramanie, de Tunis, de Bougie, d'Oran et de Fez.

La réforme monétaire ne fut pas une des moindres causes de la reconnaissance que les marchands gardèrent à la mémoire de Charles VII. On oublia le début du règne pour célébrer la sage administration financière des dernières années.

De 1422 à 1438, les monnaies de Charles VII avaient subi quarante et une mutations. Une série d'ordonnances, rédigées après la paix d'Arras, établirent la frappe et l'usage d'une bonne monnaie. Le roi voulut aussi empêcher la circulation de la monnaie anglaise et le transport de l'or et de l'argent hors du royaume, mais il n'y parvint pas. La difficulté de faire respecter ces édits s'explique par la rareté du numéraire dans la chrétienté. Au XIIIe et au XIVe siècle, le pouvoir d'achat de la monnaie, devenue plus abondante, avait, nous l'avons dit, décru progressivement. Au XVe siècle se produisit un mouvement contraire. L'épuisement des mines d'Europe, les très nombreux enfouissements de trésors pendant la guerre de Cent Ans, l'immobilisation d'une quantité croissante de métaux précieux employés à la fabrication d'objets de luxe, rendirent l'or et l'argent plus rares. Or l'activité commerciale augmentait. L'usage de la lettre de change ne remédiait qu'en partie au manque de numéraire. On revenait aux trocs en nature. Le souci d'empêcher la fuite de l'or et de l'argent pesa d'un gros poids sur la politique de Charles VII : il explique en partie la sévérité dont on usa envers Jacques Cœur, coupable d'avoir transporté des métaux précieux à l'étranger, et il est exprimé en toutes lettres dans l'exposé des motifs de la Pragmatique Sanction.

L'action de la royauté, peu énergique encore dans les questions industrielles, nulle dans les questions agricoles, se manifesta donc efficacement en faveur du commerce. Si le relèvement économique de la France fut l'œuvre de l'énergie nationale, la monarchie ne fut pas sans y contribuer : elle y voyait la condition essentielle de sa propre force ; sa richesse, sa grandeur, dépendaient de la prospérité matérielle du pays. En étudiant la transformation des hautes classes de la société, nous allons apercevoir mieux encore la toute-puissance des faits économiques. Ils ont formé de tout temps la trame de l'histoire.

 

 

 



[1] OUVRAGES À CONSULTER. Il y a une étude d'ensemble sur les classes dangereuses au XVe siècle, dans l'Introduction de : Œuvres de Villon, Le Jargon et Jobelin, par Aug. Vitu, 1889 : mais on y relève beaucoup d'erreurs. Sur les Tsiganes : études de P. Bataillard, Bibl. de l'École des Chartes, 1re série, t. V, et 3e série, t. I, le Journal of the Gipsy Lore Society, 1889, et le Bull. de la Soc. d'Anthropologie, 1890. — Sur les Gueux : Henri Sauval, Antiquités de la ville de Paris, t. I, 1724, liv. V. — Sur les étudiants, les Coquillarts et le jargon : Douët d'Arcq, Émeute de l'Université de Paris en 1453, Bibl. de l'École des Chartes, 1re série, t. V. C. Rossignol, Histoire de Beaune, 1854. S. Luce, Les clercs vagabonds à Paris et dans l'Île-de-France, 1878. Longnon, Étude biographique sur Villon, 1877, et édit. des Œuvres de Villon, 1892. Lucien Schöne, Le Jargon de Villon, 1888. Marcel Schwob, Rev. des Deux Mondes, 15 juil. 1892, et Mém. de la Soc. de linguistique de Paris, 1892. Gaston Paris, Villon, 1901.

[2] C'étaient des peuplades d'origine indienne, qui depuis longtemps erraient dans l'Europe du Sud-Est. En 1417, les Tsiganes apparurent en Allemagne ; en 1427, on en vit à Amiens et à Paris. Sur les Tsiganes en France au temps de Charles VII, voir le Journal d'un Bourgeois de Paris, § 464 à 468, et des lettres de rémission publiées par H. Stein, Annales de la Soc. hist. du Gâtinais, 1899.

[3] J. Marion, Procès de Jean de Beauffremont, Bibl. de l'École des Chartes, 2e série, t. II.

[4] Quelques mots du jargon du XVe siècle figurent cependant aujourd'hui dans le Dictionnaire de l'Académie : par exemple le mot dupe.

[5] Documents publiés par L. Guiraud, Jacques Cœur, Pièce justificative n° 11.

[6] OUVRAGES À CONSULTER. H. Sée, Les classes rurales et le régime domanial en France, 1901, pour la période antérieure eu XVe siècle. L. Delisle, La classe agricole en Normandie au moyen âge, 1851. Ch. de Beaurepaire, État des campagnes de la Haute-Normandie dans les derniers temps du moyen âge, 1865. De Ribbe, La société provençale à la fin du moyen âge, 1898. Aug. Brutails, Les populations rurales du Roussillon au moyen âge, 1891. Abbé F.-A. Denis, Lectures sur l'histoire de l'agriculture en Seine-et-Marne, 1880. M. Quentin, Le Tiers État au moyen âge dans les pays qui forment le département de l'Yonne, 1851. L'ouvrage de G. d'Avenel, Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix, 1894-1898, ne peut être utilisé qu'avec précaution.

[7] Il arrivait même dans le midi de la France que, par une usurpation assez fréquente, les emphytéotes transformassent leur tenure en une propriété complète, sans débourser un sou. Si le seigneur négligeait pendant un certain temps de réclamer le cens, il ne pouvait rentrer en possession de son droit qu'en prouvant la légitimité de sa demande, devant les consuls et les prudhommes, par la production d'un titre authentique : nul seigneur sans titre, disait-on. Or, bien souvent, le chartrier seigneurial avait brûlé, les parchemins avaient disparu. La tenure échappait alors au seigneur et devenait un alleu, au profit du paysan qui la cultivait.

[8] À partir de la fin du XVe siècle la reconstitution des grands domaines commencera en France. Ce sera en partie l'œuvre de familles économes, aimant avec passion la terre : elles entraveront par toutes sortes d'ingénieux moyens le morcellement des héritages et accumuleront peu à peu les lopins contigus, pour fonder une propriété concentrée. Ce sera l'œuvre surtout des bourgeois enrichis, qui chercheront le moyen de placer avantageusement les capitaux acquis dans le commerce, l'industrie, les profitables offices ; ils s'appliqueront à former d'importants domaines, exploités directement ou affermés à court terme. Ce sera parfois aussi l'œuvre usurpatrice et brutale de barons puissants : en Agenais, on verra de grandes maisons féodales s'attribuer, par une longue série d'empiètements, la propriété de terres qui ne leur appartenaient point et réduire à la condition de tenanciers de petits alleutiers indépendants, qui, au XVIe siècle, devront se mettre à leur payer des redevances (Tholin, Ville libre et barons, essai sur les limites de la juridiction d'Agen, 1896). Ainsi s'opérera dans les campagnes, dès l'époque de la Renaissance, une réaction féodale qui contrariera l'évolution commencée à la fin du moyen âge.

[9] La Provence était terre d'Empire et avait échappé aux ravages des Anglais : mais les routiers et les corsaires d'Alphonse à d'Aragon, rival du roi René, l'avaient dévastée.

[10] John Fortescue, Governance of England, édition Plummer, 1885, p. 114.

[11] OUVRAGES À CONSULTER. G. Poquiez, Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle, 1877. Hauser, Ouvriers du temps passé (XVe-XVIe siècles), 1899. Eberstadt, Das französische Gewerberecht in Frankrulck vom XIIIe Jahrhundert bis 1581, 1899, 2e partie. Viollet, Les corporations au moyen âge, Nouv. Rev. historique de Droit. 1900. Nos citations, sauf indication contraire, sont empruntées aux Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France, publ. par Fagniez, t. II, 1900.

[12] En vertu de cette même loi de l'utilité sociale, qui présida partout au développement du système corporatif, il y eut aussi des corporations féminines, car certains métiers très nécessaires n'étaient exercés que par des femmes. L'emploi des femmes dans l'industrie était fréquent : ou bien elles se mêlaient, comme apprenties et ouvrières, aux apprentis et aux ouvriers de certains métiers ; en ce cas, elles étaient moins payées que les hommes, et l'accès de la maîtrise leur était le plus souvent interdit ; ou bien elles embrassaient certaines professions qui leur étaient réservées : ainsi il y avait à Paris une corporation de lingères, qui avait ses maîtresses-jurées.

[13] Fagniez, L'industrie à Paris, p. 69, n 1.

[14] Les confréries de métiers, dont un grand nombre avaient disparu pendant la guerre de Cent Ans, se multiplièrent au XVe siècle.

[15] Une question sociale s'était posée dès le XIIIe siècle dans les pays d'industrie intensive, comme la Flandre.

[16] En quelques endroits, il se forma des confréries d'ouvriers, d'où les patrons étaient exclus. C'était un fait assez rare.

[17] Le règlement général de la Franc-Maçonnerie allemande date de 1459 (Martin Saint-Léon, Le Compagnonnage, 1901). M. Martin Saint-Léon suppose que le compagnonnage remonte en France jusqu'au XIIe siècle.

[18] Il ne faut pas d'ailleurs exagérer les méfaits de la réglementation industrielle au moyen âge. Bien souvent, les maîtres de la corporation s'entendaient pour laisser tomber en désuétude les règles gênantes, et les modifications officielles des statuts ne faisaient que consacrer des changements de fait déjà anciens (Cf. Fagniez, Rev. historique, t. LXXVI, 1901, p. 130 et suiv.).

[19] Traité composé vers 1456, édité par L. Pannier et P. Meyer, 1877.

[20] Vers 1426. aucuns bourgeois de la ville de Paris adressèrent une supplique à la Faculté de Théologie, pour qu'elle fit observer le repos des dimanches et des jours de fête, notoirement et publiquement trespassé et méprisé en ce royaume par plusieurs (beaucoup de) gens de mestier et marchandise.... les uns soubs couleur de leur pauvreté et indigence, les autres par la nécessité de vie humaine, comme vendeurs de chair et autres vivres, les autres soubs couleur de charité, et de relever les laboureurs et gens de mestier qu'ils ne perdent leurs journées.... (Denifle, Chartularium Universitatis Parisiensis, t. IV, n° 2702).

[21] OUVRAGES À CONSULTER. Il n'y a pas d'étude d'ensemble. Le mémoire de S. Luce sur L'exploitation des mines et la condition des ouvriers mineurs en France au XVe siècle, Revue des Quest. historiques, t. XXI, 1877, ne concerne en réalité que les mines confisquées sur Jacques Cœur. Poyet, Documents pour servir à l'histoire des mines des environs de Lyon (XVe-XIXe siècle), Mém. de l'Acad. de Lyon, Classe des Sciences, t. XI, 1861. J. Roman, L'exploitation des mines dans les Alpes au moyen âge, 1886. Ach. Bardon, L'exploitation de bassin d'Alais sous l'ancien régime, 180. J. Poux, Les mines de charbon de Boassagues, Bulletin historique et philologique, 1899. Quentin, L'exploitation du minerai de fer dans l'Yonne, Annuaire de l'Yonne, 1846.

[22] Lettres et mandements de Jean V, Archives de Bretagne, t. VI, n° 1552.

[23] On trouvera un résumé de la législation des mines au XVe siècle dans Grar, Histoire de la recherche de la houille dans le Hainaut français, dans la Flandre française et dans l'Artois, t. I, 1847.

[24] Surtout les fins ouvriers et les contremaîtres, qui d'ailleurs étaient des Allemands.

[25] OUVRAGES À CONSULTER. Outre les ouvrages cités au § 3 : Pierre Clément, Jacques Cœur, 1853. L. Guiraud, Recherches et conclusions nouvelles sur le prétendu rôle de Jacques Cœur, 1900. A. Germain, Hist. du commerce de Montpellier, t. II, 1861. De la Roncière, Hist. de la marine française, t. II, 1900. Mantellier, Hist. de la communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire, 1864-1869. Boret, Les foires de Genève au XVe siècle, 1892. Huvelin, Le droit des marchés et des foires, 1897.

[26] Sur la disgrâce de Jacques Cœur, voir plus loin, chap. V, § I.

[27] Ordonnance publiée par l'abbé Douais, Annales du Midi, 1896, p. 427.