I. — HUGUE CAPET[2]. ENTRE la Féodalité et l'Église, qui se sont partagé la terre et le gouvernement des hommes, quelle place reste-t-il pour le Roi ? On a incidemment parlé de lui dans les pages qui précèdent, mais pour constater surtout son impuissance. Il suffit de jeter les yeux sur une carte de la France au XIe siècle : le mince territoire qui constitue le domaine de la Monarchie donne la mesure de sa déchéance. Le plus étonnant est qu'elle persiste à vivre, et qu'une dynastie nouvelle ait pu reprendre et faire durer pendant des siècles le pouvoir qui échappait aux Carolingiens. L'homme qui fonda cette dynastie, Hugue Capet, était le fils aîné du Duc des Francs, Hugue le Grand. Ce dernier avait tantôt combattu, tantôt protégé Louis d'Outremer, travaillant à le supplanter dans la France du Nord, comme dans l'Aquitaine et la Bourgogne, sans pouvoir ou sans oser le déposséder tout à fait. En 956, Hugue Capet succédait à son père dans les comtés de Paris, de Senlis, d'Orléans, de Dreux, dans sa dignité d'abbé laïque de Saint-Martin de Tours et de Saint-Germain des Prés, et dans cette espèce de vice-royauté qui était attachée au duché de France. Il hérita aussi de sa politique astucieuse et de ses habitudes équivoques, tour à tour adversaire et ami de la dynastie carolingienne, mais gagnant toujours à jouer l'un ou l'autre rôle. Peu à peu, il réduit le roi Lothaire à s'enfermer dans Laon, et va jusqu'à Rome (981) pour s'allier contre lui à l'empereur d'Allemagne, Otton II. Puis il fait tout à coup volte-face, et, réconcilié avec la famille royale, embrasse publiquement Lothaire comme le plus dévoué des vassaux. L'énigmatique personnage aspirait-il secrètement à la couronne ? On ne peut l'affirmer, puisqu'en 979 il ne fit rien pour empêcher l'association au trône du jeune Louis, le prince royal, et qu'à la mort de Lothaire, en 986, il ne s'opposa pas davantage au couronnement du dernier Carolingien. Il apparut même dans l'armée de Louis V, pour remplir son devoir de feudataire, lorsque celui-ci marcha sur Reims, décidé à punir l'archevêque Adalbéron de ses complaisances envers l'Allemagne. Depuis quelques années cependant, Hugue avait noué des intelligences avec le prélat de Reims et avec son secrétaire, Gerbert. Ces deux intrigants lui promettaient l'appui du premier évêché de France et, au besoin, le concours de la puissance impériale. Ils voyaient clairement que la force et la faveur populaire s'éloignaient du Carolingien pour se tourner vers le duc à qui appartenait la réalité du pouvoir. L'Église les suivit volontiers. Le dévot Capétien aimait à enrichir le Clergé, surtout les moines. Il avait pris une part active à la réforme des cloîtres, favorisé les efforts des abbés de Cluni, imposé une règle plus sévère aux religieux de Saint-Magloire, de Saint-Germain des Prés et de Saint-Denis. Ce chrétien modèle ne craignait pas les fatigues d'un pèlerinage au tombeau de saint Maieul (à Souvigni). On le vit un jour, pieds nus, porter sur ses épaules la châsse d'argent de saint Valéri. Avec de tels soutiens, Hugue Capet aurait pu tenter la fortune, et, par un coup d'État, se substituer au Carolingien. Louis V, abandonné de ses vassaux, en lutte avec l'archevêque Adalbéron, suspect aux Ottons par ses prétentions sur la Lorraine, n'eût pas longtemps résisté. Mais le duc des Francs avait peut-être des scrupules, et d'ailleurs, ce politique finassier, temporisateur, ennemi des décisions nettes, n'était pas habitué aux actes d'énergie. Il ne connaissait que les petits moyens et les ruses mesquines, jusqu'à se déguiser en palefrenier, à son retour d'Italie, pour voyager sans crainte et dépister les amis de Lothaire. Alliances conclues et rompues au jour le jour, mobilité de sentiments extraordinaire, contradictions, reculades, voilà ce qui rend la conduite de Hugue, dans ses rapports avec les Carolingiens, difficile à définir et à suivre. Princes et prélats, mêlés comme lui aux luttes inextricables de cette période, n'ont pas eu plus de fermeté ni de consistance politique. Il fallut, pour décider le duc des Francs, un événement qu'on ne pouvait prévoir : la mort subite du roi Louis V, qui ne laissait pas d'héritier direct (987). Une occasion inespérée s'offrait à l'aristocratie féodale de pousser jusqu'au bout sa victoire et la logique des idées qu'elle représentait. Elle n'avait qu'à laisser tomber la Royauté, qui s'affaissait d'elle-même. Elle s'empressa au contraire de la relever. A ce moment décisif, personne, parmi les barons et les évêques, n'eut la volonté, ni même la pensée, de laisser le trône vacant ou simplement de différer la nomination d'un nouveau roi. L'existence d'un souverain parut à tous une nécessité sociale. Hugue Capet avait un compétiteur, l'oncle de Louis V, Charles, duc de Basse-Lorraine. Pour l'écarter, l'archevêque Adalbéron se hâta de réunir les grands à Senlis. Ils étaient si loin de vouloir supprimer la Monarchie qu'ils se refusèrent même à l'affaiblir. Ils auraient pu choisir le moins puissant des deux candidats, Charles, qui n'avait pour lui que l'avantage d'être Carolingien. L'archevêque de Reims les engagea à opter pour Hugue Capet : Nous n'ignorons pas, dit-il, que Charles a des partisans : ils prétendent que le trône lui appartient par droit de naissance. Si l'on pose ainsi la question, nous répondrons que le trône ne s'acquiert pas par droit héréditaire. On ne doit y élever que celui qui se distingue non seulement par la noblesse corporelle, mais par la sagesse de l'esprit, qui trouve son appui naturel dans sa loyauté, sa force, sa magnanimité. Les annales de l'histoire nous montrent des empereurs d'illustre origine exclus pour cause d'indignité et remplacés par des titulaires d'une naissance même inférieure. Or, quelle dignité conférer à Charles de Lorraine ? C'est un homme sans honneur, sans foi, sans caractère : il n'a pas rougi de se faire le serviteur d'un roi étranger et de prendre pour épouse une fille sortie de la classe des vassaux. Comment le noble duc (des Francs) pourrait-il supporter qu'une femme du dernier rang des vassaux soit sa reine et le domine ? Si vous y réfléchissez attentivement, vous verrez que Charles a préparé lui-même sa déchéance. Nul ne l'a précipité de son rang : il en est tombé par sa propre faute. Faites donc un choix qui assure le bonheur de l'État au lieu de causer sa ruine. Voulez-vous que la patrie soit malheureuse, nommez Charles ; la voulez-vous prospère, couronnez le glorieux duc des Francs, Hugue. Le 1er juin 987, Hugue fut proclamé roi à Noyon ; le 3 juillet, Adalbéron, l'auteur principal de son élévation, le sacrait à Reims. Moi, Hugue, qui dans un instant vais devenir roi des Francs par la faveur divine, au jour de mon sacre, en présence de Dieu et de ses saints, je promets à chacun de vous de lui conserver le privilège canonique, la loi, la justice qui lui sont dus et de vous défendre autant que je le pourrai, avec l'aide du Seigneur, comme il est juste qu'un roi agisse, en son royaume, envers chaque évêque et l'église qui lui est commise. Je promets aussi de faire justice, selon ses droits, au peuple qui nous est confié. Tel est le serment royal qu'une tradition prête à Hugue Capet et que tous ses successeurs furent tenus de répéter après lui : il n'y est guère question que de leurs devoirs envers le Clergé. La dynastie capétienne, en effet, devait beaucoup à l'Église, et c'est une monarchie à demi ecclésiastique que l'archevêque de Reims installait sur le trône des Carolingiens. L'avènement des Capétiens s'explique très simplement Depuis que la Royauté s'était affaiblie, elle était devenue, en fait, élective. A mesure que l'ordre public disparaissait, le régime du lien personnel, de la fidélité, qui rattachait des hommes à un homme, avait pris toute sa force. Hugue Capet était le chef d'un groupe considérable de fidèles. La mort de Louis V donnant lieu à une élection, il était naturel que le duc des Francs fit tourner à son profit l'extinction de la famille carolingienne. Il ne personnifiait pas plus que les Carolingiens eux-mêmes l'idée française et nationale, mais il représentait, au moins implicitement, l'idée féodale, puisque lui-même était un haut baron, héritier d'une maison qui s'était fondée et accrue par des concessions ou des usurpations de bénéfices royaux. Il est possible qu'il ne se fût jamais décidé à user de violence pour chasser du trône et remplacer le dernier Carolingien, si celui-ci eût vécu ; mais il avait certainement envisagé l'hypothèse (déjà réalisée deux fois dans la période précédente) d'une substitution de sa famille à la famille de Charlemagne. Pendant toute la seconde moitié du Xe siècle, les descendants de Robert le Fort avaient cherché, par tous les moyens, en dépossédant systématiquement les Carolingiens de leur pouvoir réel sur la France du Nord, la Bourgogne et même le Midi aquitain, à se rapprocher du but suprême de toute ambition humaine. Rien de plus prévu que l'avènement au trône du puissant seigneur qui, depuis si longtemps, traitait d'égal à égal avec le souverain. Cette haute fortune ne surprit personne et moins que tout autre celui qui en bénéficiait. Il s'était assuré, du reste, l'appui de la Normandie, et celui de l'empereur allemand Otton II. Au moment où Hugue Capet devint roi, le patrimoine de sa famille était déjà fort diminué. Le temps n'était plus où l'on voyait Hugue le Grand conduire le roi Lothaire à travers son pays de Neustrie et lui faire visiter triomphalement ses villes de Paris et d'Orléans, Chartres, Tours et Blois. En 987, la situation avait changé. Il s'était opéré, dans les domaines des ducs des Francs, une transformation analogue à celle qui avait rendu les hauts feudataires indépendants de la Monarchie. Ce que le Roi avait perdu d'autorité sur son vassal de Paris, celui-ci le perdait à son tour sur ses propres vassaux. Les grandes familles de la région de la Seine et de la Loire, surtout les comtes d'Anjou et de Blois, ne voulaient plus relever que de la couronne. Et puis, comment les ducs auraient-ils lutté avec succès contre les Carolingiens, sans multiplier les concessions de terres à leurs fidèles ? Distribuer des bénéfices était, en ce temps, l'unique moyen de se procurer des soldats et des appuis. Hugue Capet continua à s'affaiblir, même après son élection, par le besoin qu'il avait de consolider sa victoire et de réduire les derniers représentants de la dynastie tombée. En réalité, de la vaste domination territoriale qui avait fait jadis la fortune de sa maison, il ne possédait plus que des débris. Par bonheur, son avènement ne rencontra, chez les grands, qu'une opposition insignifiante. Albert, comte de Vermandois, avait fait mine de protester : une simple menace de guerre l'obligea à se tenir en repos. Séguin, l'archevêque de Sens, n'avait paru ni à l'élection ni au sacre. On le somma de venir prêter serment et de remplir auprès du nouveau roi son devoir de conseiller. Certains vassaux du Languedoc se déclarèrent pour Charles de Lorraine ; mais partout ailleurs la déchéance des Carolingiens fut acceptée sans murmures. Une charte de l'abbaye de Serrateix, en Roussillon, était déjà datée du règne de Hugue, un mois après son couronnement. A peine était-il installé qu'il promettait au comte de Barcelone, Borrell, de l'aider contre les Sarrasins de l'Espagne. La promesse ne fut pas tenue ; Borrell n'en fit pas moins reconnaître le Capétien dans tous les comtés de son ressort féodal. Les principaux seigneurs de l'Aquitaine et le duc Guillaume Fierebrace[3] lui-même, s'empressèrent de demander à Hugue la sanction des privilèges qu'ils accordaient à leurs abbayes. Il intervint ainsi, comme souverain, dans les affaires des églises les plus célèbres du Poitou, de la Saintonge, du Limousin et de l'Angoumois. Sa domination théorique s'étendait à l'Est, dans la Bourgogne, au moins sur les terres d'Église et même bien au-delà du Rhône, puisqu'il pria un jour le Pape de venir conférer avec lui à Grenoble. Il se croyait, comme les Carolingiens, le roi de la France entière. A leur exemple, mais sans plus de succès, il s'efforça de ressaisir les parties du pays qui s'isolaient dans l'indépendance. Dès le début de la dynastie apparaît, entre les ressources limitées du prince et ses prétentions à gouverner tout le royaume, cette disproportion singulière que le XIIe siècle seul verra cesser. Pas plus que les descendants de Charlemagne, il ne put empêcher l'affermissement des États seigneuriaux héréditaires dont la France entière s'était couverte. La révolution de 987 ne changeait rien que la dynastie. Si facilement maitre du trône, et si vite reconnu par les barons et, les prélats, Hugue Capet sentit pourtant que sa royauté avait besoin d'être affermie. L'œuvre devait rester fragile, tant que Charles de Lorraine n'aurait pas abdiqué ses prétentions. Pour s'assurer l'avenir, le roi associa son fils Robert à la couronne, trois mois à peine après sa propre élection (23 décembre 981), acte de sage politique que ses successeurs imiteront. Le mécontentement que témoignèrent à ce propos les grands et même l'archevêque de Reims, lui prouva qu'il avait bien fait. Quant au prétendant, Charles, il s'était, hâté de mettre la main sur Laon, la ville carolingienne, inexpugnable sur sa montagne isolée (988). L'année suivante, Adalbéron mourait, coup funeste pour la dynastie nouvelle. Hugue vint aussitôt à Reims, pressé de se rendre maitre de la première église de France. Malheureusement, il s'imagina être habile en écartant Gerbert, pour donner la crosse à un Carolingien intrigant et fourbe, Arnoul. Celui-ci, au lieu de livrer au Roi, comme on l'espérait, les derniers partisans de la famille déchue, employa son pouvoir à tenter une restauration. Charles de Lorraine entra dans Reims. Par le fait, tout fut à recommencer. La lutte qui s'engagea entre les deux rivaux ne fit pas honneur au Capétien. En 988, il essaie deux fois, sans succès, de s'emparer de Laon ; l'ennemi fait une sortie, le surprend à l'heure du repas et incendie son camp. En 990, Hugue revient avec une armée plus nombreuse, pille et brûle les campagnes du Laonnais, du Vermandois et du Rémois. Très supérieur en forces, au moment de livrer bataille, il hésite, parlemente avec ses conseillers et, piteusement, bat en retraite. En vain achète-t-il fort cher (par la cession de Dreux) le concours d'un de ses vassaux, Eude Ier, comte de Blois. Charles de Lorraine se maintient à Laon. Pour arriver à se débarrasser de l'autre Carolingien, l'archevêque Arnoul, Hugue négocie avec l'impératrice Théophano et le pape Jean XV ; la diplomatie ne lui réussit pas mieux que les armes. La situation devenait périlleuse pour le Capétien. Charles, dans ses relations avec Gerbert et avec Rome, se montrait plus vraiment habile : il faisait preuve surtout de plus d'énergie. Pour l'abattre, il fallut avoir recours à la trahison. Le traître fut un ami du Carolingien, l'évêque de Laon, Adalbéron ou Ascelin. Une nuit, pendant que tout le monde dormait au palais habité par le duc de Lorraine, Ascelin enleva du chevet de Charles et d'Arnoul leurs épées et les cacha, puis, appelant l'huissier, qui ignorait son stratagème, il lui ordonna de courir vite chercher quelqu'un des siens, promettant de garder la porte pendant ce temps. L'huissier sortit : Ascelin se plaça lui-même sur le milieu de la porte, tenant son épée sous son vêtement. Bientôt aidé des complices de ses crimes, il fit entrer tout son monde. Charles et Arnoul reposaient, alourdis par le sommeil du matin. Lorsqu'en se réveillant, ils aperçoivent leurs ennemis réunis en troupe autour d'eux, ils sautent du lit et cherchent à se saisir de leurs armes qu'ils ne trouvent pas. Ascelin leur dit : Vous m'avez forcé de m'exiler de cette ville ; nous vous chassons à notre tour, mais d'une autre manière, car je suis resté mon maître et vous, vous passerez au pouvoir d'autrui. Charles se jette avec fureur sur le traître. Mais des hommes armés l'entourent, le poussent sur son lit et l'y retiennent : ils se saisissent aussi d'Arnoul qui avait assisté à cette scène dans une stupeur silencieuse. On traîne ensuite les deux prisonniers dans une tour qu'on ferme à clef et dont on fait garder les portes. Cependant les cris des femmes, les clameurs des enfants et des serviteurs, réveillent et troublent les bourgeois de Laon. Les partisans de Charles se hâtent de prendre la fuite. A peine en eurent-ils le temps, car Ascelin avait donné ordre de fermer toutes les portes. Un fils de Charles, âgé de deux ans et portant le même nom que son père, fut soustrait aux recherches et échappa à la captivité[4]. Informé de l'heureuse issue du complot, Hugue n'eut que la peine d'accourir et de se saisir de son ennemi. Il l'enferma avec sa femme, son fils Louis et ses deux filles dans la tour d'Orléans (990). Le prétendant survécut peu à sa chute : il mourut en 992. Trois ans après, son fils Louis servait encore de prétexte à une intrigue ourdie entre l'évêque de Laon et le comte de Blois pour livrer la France à Otton III. L'insuccès de cette nouvelle perfidie d'Ascelin prouva que toute résistance était inutile. Hugue était enfin maître de Laon et de la Royauté. Il ne lui restait plus qu'à enlever l'archevêché de Reims à Arnoul, pour le donner à Gerbert. Le 17 juin 991, les évêques de France se réunissaient près de Reims avec le Roi, dans l'église de Saint-Basle, pour juger et condamner l'archevêque. La scène fut imposante. Arnoul avoua qu'il avait trahi son souverain et, se prosternant devant les princes, les bras étendus en forme de croix, il les supplia, en pleurant, de lui faire grâce de la vie. On le releva ; il attendait sa déposition d'un air hébété : on lui demanda s'il voulait être déposé avec la solennité prescrite par les canons. Il déclara s'en remettre à la décision des évêques. Alors il rendit au Roi ce qu'il en avait reçu, c'est-à-dire le bâton pastoral, et souscrivit un acte d'abdication où il se reconnaissait indigne des fonctions épiscopales et y renonçait pour toujours. Les évêques présents le signèrent et ajoutèrent à haute voix : Suivant ton aveu et ta signature, n'exerce plus ton ministère ! On délia le peuple et le clergé de Reims du serment de fidélité afin qu'ils eussent le droit de se donner un autre archevêque, et Gerbert fut élu. La révolution était terminée et le triomphe de la race de Robert le Fort ne faisait plus doute. Mais le procès d'Arnoul avait soulevé une question d'un intérêt plus général, celle des rapports de la monarchie nouvelle avec le chef de l'Église. Le Pape avait accueilli sans défaveur l'arrivée de Hugue au pouvoir. Il garda le silence, quand le Roi lui demanda de rendre son jugement sur la légitimité des opérations du concile de Saint-Basle. Plus tard, il refusa de souscrire à la déposition de l'archevêque Arnoul et de reconnaître l'élection de Gerbert. La lutte sourde entre le Roi et le Pape devait durer jusqu'à la fin du règne. Elle fut un des épisodes les plus marquants de l'opposition faite par le clergé de France aux prétentions de la puissance romaine. Ce serait sans doute aller trop loin que de prêter à Hugue Capet des idées parfaitement arrêtées sur un problème aussi grave. L'attitude d'Arnoul, évêque d'Orléans, prouva cependant que les prélats les plus dévoués à la dynastie nouvelle furent ceux-là mêmes qui, à Saint-Basle, soutinrent avec véhémence ce qu'on appela, aux temps modernes, la tradition gallicane. Dans la période la plus aiguë de la crise, le Capétien défendit à ses évêques d'aller à Rome, à Aix-la-Chapelle et à Monzon, où se tenaient des conciles favorables au Pape. Il garda Arnoul prisonnier et refusa jusqu'à son dernier jour d'abandonner, devant la volonté de la curie, ce qu'il regardait comme son droit. Derrière la Papauté, Hugue rencontrait l'empire allemand. L'Empereur, successeur de Charlemagne, prétendait à la monarchie de tout l'Occident. Le Pape représentait, comme lui, l'ancien ordre de choses en Europe, l'héritage de l'empire romain, l'aspiration au pouvoir universel. A ces deux puissances s'opposait la France féodale indépendante, personnifiée dans le chef de la nouvelle dynastie. Ce n'étaient pas seulement les seigneurs, fidèles de Hugue Capet, qui le poussaient à résister à l'Empire et à la Papauté ; une grande partie des évêques de France semblaient avoir déjà quelque idée de ce qu'exigeait, à cet égard, l'intérêt de toute la nation. Au Xe siècle, les archevêques de Reims, et Adalbéron plus que tout autre, tendaient, par leur politique ambiguë, à faire de leur province une principauté indépendante sous la protection de la Germanie. Il importait de couper court à ces tentatives et de mettre fin à l'espèce d'hégémonie que la dynastie des empereurs saxons s'était arrogée. sans aucun droit, sur le royaume de Charles le Chauve. L'impératrice Théophano, régente pendant la minorité d'Otton III, avait favorisé secrètement les intrigues d'Arnoul et les prétentions de Charles de Lorraine. La pression qu'elle exerça sur la cour de Rome, lorsque les envoyés du roi de France sommèrent le Pape de déclarer son sentiment au sujet de la déposition d'Arnoul, explique, mieux que toute autre raison, pourquoi Jean XV s'obstina à ne pas se prononcer. La mort de l'Impératrice (991) et les troubles au milieu desquels se constitua, dans l'Empire, une nouvelle régence, prévinrent peut-être des complications plus graves. Hugue Capet se montrait plus indépendant de l'Allemagne comme roi, qu'il ne l'avait été comme duc. Sous prétexte de demander une princesse grecque pour son fils Robert, il essaya (sans succès, il est vrai) de nouer avec Constantinople une alliance qui aurait pu isoler les Ottonides et les mettre entre deux périls. Notre union, écrit-il à l'empereur Basile II, s'il vous plaît de la faire, vous sera bien profitable et elle portera de grands fruits. En effet, si nous nous y opposons, le Germain n'insultera plus les frontières de la Gaule, ni celles de l'empire romain. Il ne parait pas avoir rien tenté contre la Lorraine, pays que ses prédécesseurs avaient voulu conquérir et auquel ne renonceront pas ses successeurs. Il fit du moins quelques efforts pour agir sur le comté de Flandre, une des principautés de la France du Nord que se disputaient l'une et l'autre nationalité. Un mariage politique fut conclu entre son fils Robert et Suzanne, ou Rosala, fille du roi Berenger d'Italie et veuve du comte de Flandre, Arnoul. Sauf en ce qui touche les rapports du royaume avec l'empire allemand, les chroniqueurs ont ignoré ou résumé de la façon la plus sommaire la fin du règne de Hugue Capet (991-996). Ils indiquent vaguement que le Roi et son fils intervinrent, avec l'aide des Normands, dans la lutte engagée sur les bords de la Loire, entre le comte d'Anjou et le comte de Blois. Partisans de Foulque Nerra, ils réduisirent son ennemi, Eude Fe, à demander la paix. Lacune regrettable, car, à partir du moment où, délivré de toute compétition, le Capétien est devenu vraiment roi, il semble avoir changé de tempérament et montré un sens politique et une fermeté qu'on ne lui connaissait pas. Le temps et, aussi, comme toujours, le passage de l'opposition au pouvoir, avaient assagi le duc des Francs. Tout considéré, ce grand seigneur, dont nous ne connaissons ni la personne physique ni la vie intime, ne fut pas si médiocre. Il a su prendre la place des Carolingiens, garder ce qu'il avait pris, se maintenir libre et digne en face de la Papauté et de l'Empire, et transmettre sa couronne à son fils (24 octobre 996) sans que des résistances graves se soient produites. La fortune aveugle, ici, n'a pas tout fait. II. — ROBERT LE PIEUX[5]. ROBERT II, le second Capétien, avait une belle stature, les cheveux bien plantés, l'œil doux, un grand nez, la bouche agréable, la barbe assez bien fournie, les épaules un peu hautes. Ainsi le représente son chapelain, le moine de Fleuri, Helgaud. Il ajoute une particularité bizarre : Quand Robert était à cheval, on voyait les doigts de ses pieds se réunir presque au talon. Ce fils de roi était plus instruit que la plupart des laïques de son temps. Élève de Gerbert, étudiant de l'école de Reims, il savait le latin, que son père ignorait, aimait les livres et les emportait avec lui en voyage. Il avait du goût pour les études théologiques, la musique et le chant. Peut-être même a-t-il composé, non pas les paroles, comme on l'a souvent répété, mais la mélodie de certaines prières d'église, encore en usage aujourd'hui. Les qualités de l'homme privé, vantées par Helgaud avec un si naïf enthousiasme, l'affabilité, l'amour des pauvres et des petits, la charité, l'humilité chrétienne, la piété fervente jusqu'au fanatisme, et la pureté des mœurs, eussent fait de Robert un clerc excellent. Son biographe lui attribue des miracles. Des historiens postérieurs ont même accueilli l'idée fausse qu'il avait réellement fait partie du clergé, pendant sa jeunesse, et qu'il fut mis au nombre des saints. Ce serait pourtant exagérer que de prendre le successeur de Hugue Capet pour un simple moine. Richer affirme qu'il excellait dans l'art militaire. Helgaud lui-même laisse aux historiens de l'avenir le soin de dire quelle fut sa vertu à la guerre, les ennemis qu'il a vaincus, les honneurs qu'il a acquis par son courage. Et, de fait, ce roi ne s'est pas contenté de chanter au lutrin ; il a fait la guerre, assiégé des villes, conquis même des provinces entières : on peut seulement lui reprocher de ne s'être pas battu aussi souvent que les circonstances l'exigeaient. Il aima trop à mettre en mouvement ses prélats et ses fidèles, au lieu de se montrer lui-même. Pour sa bonne réputation, il eut le tort d'avoir l'humeur pacifique, à une époque et dans un milieu où l'épée tenait lieu de raison, et la force brutale, de vertu. Le malheur voulut pourtant que la maison de ce souverain dévot ait été tout le contraire d'un asile de paix. Son union avec la Flamande Rosala, beaucoup plus âgée que lui, dura peu. Au bout d'un an de ce mariage de raison, Robert renvoyait la femme, mais gardait la dot, Montreuil-sur-Mer, le seul point qui permit aux Capétiens d'avoir accès sur la Manche. A peine libre, il tomba passionnément amoureux de la veuve du comte de Blois, Berta (995). Mais ils étaient parents au troisième degré, et Robert avait tenu sur les fonts baptismaux un des enfants de la comtesse, mariage impossible. Il se fit pourtant, aussitôt après la mort de Hugue Capet, grâce à la complaisance des évêques français, et malgré l'opposition du pape Grégoire V. En épousant Berta, Robert abandonnait l'alliance d'Anjou, sur laquelle s'était appuyé le premier Capétien, pour embrasser les intérêts de la maison de Blois. Il fut amené surtout, fait plus grave, à une reculade humiliante dans la question de l'archevêché de Reims. Pour conserver la femme qu'il aimait, il céda aux réclamations de la Papauté, laissa Arnoul, l'ex-archevêque, sortir de prison et reprendre sa crosse, tandis que Gerbert, exilé, courait chercher un refuge à la cour d'Otton III (997). C'était annuler les décisions de saint Basle, condamner la politique de Hugue, et livrer l'Église de France au Pape. Robert n'eut même pas le bénéfice de sa défaite. Sa complaisance pour Rome ne l'empêcha pas d'être excommunié par ce même Grégoire V dont il avait acheté si chèrement l'appui. Le concile romain de 998 le condamna à une pénitence de sept ans pour avoir épousé sa parente, contre les lois. Furieux d'avoir été joué, le pieux roi résista longtemps. En dépit de tous les anathèmes, il garda avec lui, près de cinq ans, celle dont on voulait le séparer ; puis, scrupule de dévotion ou impossibilité de prolonger la lutte, il parut renoncer à Berta, qui, d'ailleurs, n'avait pas donné d'héritier à la couronne. Il fit choix d'une Provençale, Constance, fille de Guillaume Ier, comte d'Arles, et d'Adelaïde d'Anjou, cette femme ambitieuse, avide, d'humeur acariâtre, prit sur son mari l'ascendant que toute nature violente exerce sur une nature faible. Elle peupla le palais capétien d'Aquitains et de Provençaux qui scandalisèrent les hommes du Nord par l'étrangeté de leur costume et la facilité de leurs mœurs. Les réformateurs de Cluni s'en émurent. Ils signalèrent au monde chrétien les modes exotiques et probablement aussi (ce qui les inquiétait davantage) les opinions hardies importées par les compatriotes de la nouvelle reine. Tout en subissant le joug de Constance, à qui il était obligé de cacher même ses actes de charité, Robert restait attaché de cœur à Berta. On le savait, et la souveraine déchue conservait à la cour un parti dévoué, composé surtout des amis ou des serviteurs de la maison de Blois. Un jour, le chef de ce parti, Hugue de Beauvais, comte du palais et favori du Roi, fut assassiné, dans une partie de chasse, sous les yeux de Robert, par des bandits qui trouvèrent asile auprès de Foulque Nerra (1008). Le comte d'Anjou, accusé de les avoir soudoyés, refusa, en termes insolents, de donner satisfaction à la justice royale. Constance, qui détestait Hugue, fut-elle soupçonnée par son mari d'avoir trempé dans le complot ? On peut le croire, car deux ans après, Robert partait pour Rome, accompagné de Berta, l'ancienne reine. Il espérait sans doute obtenir du Pape la rupture de son mariage avec sa troisième femme, qui décidément lui était odieuse. La négociation n'aboutit pas. Constance resta au palais et se fit pardonner peu à peu en donnant au Roi trois fils qui assuraient l'avenir de la dynastie. A l'exemple de son père, Robert associa au trône l'aîné,
Hugue (1017), puis, après la mort prématurée
du prince royal, son second fils, Henri (1026).
Les grands ne laissèrent pas se perpétuer, sans murmurer, un usage qui, par
la force des choses, supprimait à peu près leur droit d'élection. Mais leur
opposition n'alla pas jusqu'à la résistance ouverte. Les difficultés vinrent,
pour le Capétien, non pas de la féodalité mécontente, mais de sa propre
famille. Constance avait désiré que son fils Hugue fût couronné, mais elle
refusa de lui laisser la moindre part de l'autorité et du domaine. Elle
devint hostile au jeune roi du jour où il il réclama autre chose que le
vêtement et la nourriture. L'évêque Fulbert de Chartres fut obligé de
prévenir Robert que son fils se dédommageait en pillant les biens paternels :
J'implore votre pitié sérénissime, dit-il, pour le roi votre fils qui m'a quitté fort triste, car il
ne lui est pas permis de rester en sûreté dans votre maison, et au dehors il
ne possède rien pour vivre avec les honneurs qui conviennent à un roi. Il
faut donc que vous preniez et que vous lui donniez un bon conseil : si vous
le laissez errer encore comme un étranger et un fugitif, vous perdrez la
réputation d'être un bon père. Quand il fut question de couronner Henri, la Reine voulut lui substituer son troisième fils, Robert, qu'elle préférait. Elle fit tout pour empêcher le sacre, à la grande joie des princes féodaux, qui, feignant de prendre parti pour l'un ou pour l'autre, espéraient, au fond, que la cérémonie n'aurait pas lieu. Le Roi tint bon et fit sacrer son second fils, malgré les fureurs de Constance, qui, ce jour-là, quitta la cour. Le Capétien fut mal récompensé de son courage. En 1030, ses deux fils, poussés sans doute par leur mère, se révoltaient, s'emparaient de plusieurs villes royales dans la Bourgogne et dans la France proprement dite, et réduisaient un instant Robert à s'enfermer dans Beaugenci. Cet intérieur agité et ces drames domestiques rendirent singulièrement difficile, pour le successeur de Hugue Capet, l'accomplissement de son devoir de roi. Il essaya, pourtant, de le remplir. Sur son domaine, il attaqua bravement, à plusieurs reprises, la petite féodalité qui détroussait les passants et persécutait les moines. Il démolit les châteaux de Yèvre en Orléanais, de Déols en Berri, de Gallardon, dans la Beauce chartraine. Mais, pour dompter les châtelains, prompts à recommencer leurs brigandages, il aurait fallu une énergie de tous les jours dont Robert n'était pas capable. Les évêques, harcelés par la noblesse locale, implorent, trop souvent en vain, son assistance. Fulbert de Chartres lui signale les déprédations commises sur la terre de son église par le vicomte de Châteaudun, et déclare avec désespoir que s'il ne vient pas à son aide il se rendra auprès d'un roi ou d'un empereur étrangers, et lui avouera que le roi de France n'a pas pu ou n'a pas voulu protéger la sainte église du Christ commise à ses soins. Le malheureux Capétien ne pouvait se montrer partout à la fois. Il faisait excommunier les ennemis qu'il n'osait combattre et réunissait des assemblées de paix dont les décisions n'avaient qu'une valeur morale. Celle d'Héri, en Auxerrois, qu'il présida (1024), eut une importance particulière. Toutes les reliques des régions avoisinantes y furent apportées, au milieu d'un immense concours d'évêques, d'abbés, et de fidèles. Le concile décréta que si les fauteurs de désordre ne voulaient pas faire la paix par respect et par crainte du Roi, ils devaient au moins signer le pacte de concorde au nom de Dieu et de ses saints dont les corps vénérés étaient sous leurs yeux. Une expédition militaire, vigoureusement menée, aurait plus d'effet. Robert montra cependant que les grandes entreprises ne l'effrayaient pas. En 1002, à la mort de son oncle Henri, duc de Bourgogne, la question se posa de savoir si le duché resterait à la famille capétienne ou passerait aux mains d'un vassal, le comte de Bourgogne, Otto Guillaume, plus attaché à l'Empire qu'à la France. Celui-ci avait commencé par s'emparer de la succession, mais Robert, très décidé cette fois, arriva pour lui faire lâcher prise. Il avait à vaincre, outre son concurrent, la résistance opiniâtre de Brunon, évêque de Langres, et de la plupart des châtelains du pays. Malgré l'aide de Cluni et de l'évêque d'Autun, il mit dix ans à conquérir la Bourgogne, emportant l'une après l'autre toutes les places du duché, Avallon, Auxerre, Sens, Dijon. En 1015, la mort de Brunon détermina la retraite, sinon le désistement d'Otto Guillaume. Robert donna le duché à son second fils, Henri, mais ne lui confia qu'un pouvoir très limité, purement nominal. Il continua à administrer, à signer les actes, à disposer des fiefs et des alleux de Bourgogne comme s'il eût porté le titre de duc. C'était rester fidèle à la tradition des rois du XIe siècle et tenter un dernier effort pour relier directement à la Monarchie la seule grande seigneurie de la vallée du Rhône que les successeurs français de Charlemagne eussent réussi à conserver. Le succès était décisif, mais Robert ne l'avait obtenu que par l'appui des Normands, ses alliés habituels. Les ducs Richard II et Richard III ne cessèrent jamais de mettre à sa disposition les ressources de leur fief. Singulier spectacle que celui de cette jeune royauté trouvant son plus solide soutien dans une puissance féodale ! Tous les hauts seigneurs ne lui furent pas aussi favorables. Les comtes d'Anjou et de Blois l'auraient mise en danger si, au lieu de se battre entre eux, ils s'étaient unis contre elle. Foulque Nerra bravait les colères du souverain, mais il n'avait pas un intérêt direct à lui nuire. La haine persistante du comte Eude II fut plus à craindre. Robert le rencontra sans cesse sur sa route et n'osa même pas, en 1023, lui disputer la succession du comté de Champagne. Il le laissa s'installer à Troyes et à Meaux ; faute grave, puisque le même ennemi et un ennemi irréconciliable, déjà maître de Chartres, se plaçait désormais sur les deux flancs du patrimoine capétien. Au sud de la Loire, les rapports du Roi avec les chefs d'États sont rares et trop peu directs. Le duc d'Aquitaine, Guillaume V, qui prétendait lui enlever les droits régaliens sur les églises de Bourges et de Limoges, le tenait en médiocre estime. Une lettre où il parlait de la nullité du roi (vilitas regis) tomba entre les mains de Robert qui, heureusement, n'avait pas de rancune. L'Aquitain aurait pu devenir dangereux, s'il avait réussi à mettre la couronne lombarde dans sa famille. Nous avons raconté ailleurs son échec, qui épargna au roi de France le désagrément d'avoir un roi d'Italie pour vassal et pour voisin. Quant au comté de Toulouse, Robert n'y parut qu'une fois, à la fin de sa vie, en pèlerin, pour laisser ses prières et son argent dans les sanctuaires les plus connus (1031). En général, il fut mieux apprécié de ses évêques que de ses barons. Il est vrai qu'il les choisissait à sa guise, usait sans ménagement de son pouvoir ecclésiastique, et n'hésitait pas à nommer ou à recommander des hommes d'humble naissance pourvu qu'ils fussent ses créatures. A Orléans, en 1010, un moine de Saint-Pierre-le-Vif, Thierri, l'emporta sur son concurrent, Oudri, que le peuple et le clergé préféraient. Peu de jours avant l'élection, Robert avait exilé les plus influents des adversaires de son candidat, et le jour même du vote, on s'était battu dans la rue. Défenseur des règles canoniques, Fulbert de Chartres protesta avec vivacité : Cette élection arrachée par la crainte n'en est pas une. Qui dit élection, dit choix d'un candidat entre plusieurs, selon le libre arbitre de chacun. Or, peut-on parler d'élection, lorsqu'un seul est tellement poussé par le prince, qu'il n'est plus laissé au clergé et au peuple la faculté d'en choisir un autre ? L'évêque avait raison, mais il était bien naïf de s'étonner. Les choses presque partout suivaient le même cours. En 1028, à la mort de Fulbert, les chanoines de l'église de Chartres désignent, pour lui succéder, leur propre doyen et font approuver leur choix, selon la règle, par leur métropolitain, l'archevêque de Sens. Mais le Roi, consulté, rejette l'élu et lui substitue un autre candidat. Le métropolitain change d'opinion et consacre l'élu du Roi. Indignation des chanoines. Ils s'adressent à l'archevêque de Tours, aux évêques de Beauvais et d'Orléans : Nous venons nous plaindre auprès de vous de notre archevêque et de notre roi, qui, malgré nous, veulent nous donner comme évêque un idiot, indigne de cet honneur. Nous vous demandons secours et vous prions de veiller devant l'Église en bons pasteurs, pour ne pas laisser pénétrer dans le bercail un homme qui n'a pas demandé à y entrer par la porte, mais qui s'y glisse, par escalade, comme un larron. Cette protestation ne servit à rien. L'homme du Roi resta maître de l'évêché, et son premier soin fut de chasser de l'abbaye de Saint-Père de Chartres les moines qui lui avaient fait opposition. Un scandale plus retentissant encore éclata en 1013, lorsque Robert éleva à l'archevêché de Bourges un fils naturel de Hugue Capet, Gauzlin, déjà imposé comme abbé aux moines de Saint-Benoît sur-Loire. On trouva un archevêque et un évêque pour sacrer ce bâtard. Mais, à Bourges, les habitants et le vicomte furent unanimes à le repousser. Ils refusent de recevoir dans la ville le fils d'une femme de mauvaises mœurs, et invoquent la loi d'église qui exclut les enfants illégitimes des fonctions religieuses. Le Roi, voulant avoir le dernier mot, vient assiéger Bourges, et ne réussit pas à y pénétrer. Il fallut que son protégé s'en allât à Rome, implorer l'assistance du pape Benoit VIII et lui arracher une menace d'excommunication pour le peuple récalcitrant. En 1017 seulement, Gauzlin put s'asseoir enfin sur le siège que sa persévérance avait bien gagné. De tels faits prouvent que Robert fut maître de son clergé lorsqu'il voulut l'être, et que, dans le gouvernement intérieur de ses domaines, l'énergie et l'esprit de suite ne lui firent pas toujours défaut. A l'extérieur, la difficulté principale était d'empêcher que la zone intermédiaire entre la France et l'Allemagne, Lorraine et Bourgogne, ne tombât tout entière au pouvoir des empereurs voisins. Robert a fait quelques efforts pour maintenir, sur la frontière de l'Est, la domination directe du pays qu'il représentait. En Flandre, son intervention fut assez heureuse. L'empereur Henri II était en démêlé continu avec les Flamands et leur comte Baudouin IV. Robert, qui avait aussi à s'en plaindre, ne laissa pas l'Allemand s'immiscer seul et sans contrôle dans les affaires du comté. Il s'entendit avec l'ambassadeur impérial, l'évêque de Liège, Notker, envoyé à Paris, puis avec Henri lui-même, venu sur les bords de la Meuse. Une expédition commune fut décidée. Français et Allemands assiégèrent Valenciennes, qu'ils ne purent prendre (1006). Ils se retrouvèrent unis, en 1019, contre le Flamand et l'attaquèrent, les uns par Gand, les autres par Saint-Orner. L'entente ayant cessé, Robert jugea plus profitable de marier sa fille Adèle avec Baudouin, qui devint dès lors, pour la France, un allié et un ami. Au même moment, la rivalité du royaume et de l'empire se produisait aussi à Cambrai, où l'évêque Gérard Ier était en lutte permanente avec le châtelain, Gautier. Robert leur fit conclure une transaction qui fut garantie par les principaux seigneurs de sa suite, et maintint, par là, le Cambrésis dans sa dépendance. En Bourgogne, s'il mit la main sur le duché et sur Dijon, il ne put empêcher le roi Bourguignon, Rodolphe III, de placer son État sous la suzeraineté de l'Empire, par la convention signée à Strasbourg ; premier pas vers l'incorporation de la Bourgogne à la Germanie. En 1027, le traité de Bâle permit à Conrad II d'achever l'œuvre de son prédécesseur. Le roi de France, embarrassé depuis 1025 dans les querelles de famille, laissa sans bouger le roi de Bourgogne transmettre solennellement sa couronne au chef de la nation allemande, pour ne garder qu'une royauté viagère dont la mort n'allait même pas tarder à le dépouiller. Robert ne put pas davantage arrêter le courant qui emportait vers l'Allemagne cette autre partie de l'ancienne Lotharingie, l'Italie. En 1002, pourtant, il avait négocié avec les Lombards, lorsqu'ils essayèrent de se donner un roi national, le marquis d'Ivrée, Arduin. En 4024, il accueillit leurs envoyés venus en France pour chercher un successeur à Arduin, un concurrent à l'empereur Conrad II. Il aurait pu se faire nommer lui-même roi d'Italie, mais conscient de son impuissance, il refusa pour lui, comme pour son fils aîné, Hugue. Ne voulant pas se lancer dans une aventure où les déboires n'étaient que trop certains, il laissa les seigneurs lombards offrir leur couronne à l'un de ses feudataires, le duc d'Aquitaine. Entre ce duc, le comte d'Anjou, le comte de Blois, Fulbert de Chartres et le Capétien, d'actives négociations s'engagèrent. On aurait voulu prêter aux Italiens un concours effectif et les défendre contre l'Allemagne, mais des intérêts trop divergents séparaient ces personnages. La renonciation de Guillaume V, la reprise des hostilités entre les comtes de Blois et d'Anjou, la mort du fils ainé de Robert et les discordes intestines qui la suivirent, paralysèrent le roi de France. Conrad II, à qui on laissait le champ libre, pénétra sans peine en Lombardie et se fit couronner à Milan. Latente ou déclarée, l'hostilité de Robert contre l'Allemagne ne parut se démentir qu'une fois, dans l'entrevue d'Ivois (1023), où il rencontra l'empereur Henri II. C'est qu'il espérait alors, avec l'aide de son voisin, réaliser un projet caressé depuis longtemps par sa piété fervente : le rétablissement de la paix dans l'Église et la réforme du Clergé. Les deux souverains, entourés d'une suite nombreuse de seigneurs et d'évêques, se donnèrent le baiser de paix, entendirent ensemble la messe et dinèrent à la même table. Robert avait apporté pour Henri des objets d'art en métal précieux, rehaussés de pierres fines, et cent chevaux richement harnachés. L'Empereur n'accepta qu'un évangéliaire et une chasse contenant une dent de saint Vincent. Le roi de France refusa à son tour les cent livres d'or pur que l'Allemand lui offrait, pour se contenter de deux bottes en or. Cet échange d'amabilités n'aboutit à aucune entente durable. A peine Henri II était-il mort (1024) que Robert manifesta l'intention d'envahir la Lorraine. Quelques années après, le peuple et le clergé de Cologne, écrivant à l'empereur Conrad II, se plaignirent vivement que leur ville fut en butte aux nombreuses et diverses machinations des rois français. A peine avaient-ils le droit de prendre peur. Robert ne pouvait aller au delà d'une simple menace. S'il entrevit la possibilité de jouer, hors de son État, un rôle beaucoup plus important que ne le laisse supposer la puérile biographie d'Helgaud, il n'était pas homme à passer de la velléité à l'exécution. Les moyens d'action lui manquaient, mais plus encore le caractère et la volonté d'agir. L'histoire de son règne est tout entière dans ces quelques mots. III. — HENRI Ier[6]. LES deux fils de Robert le Pieux, Henri et Robert, s'étaient entendus, l'année même qui précéda la mort de leur père, pour se révolter et devancer l'héritage. Quand il eut disparu (20 juillet 1031), leur accord tourna en haine, et le règne de Henri Ier s'ouvrit par une guerre civile. La crise fut d'autant plus grave que les hauts barons s'en mêlèrent. Le duc de Normandie, le comte d'Anjou et le comte de Flandre soutenaient l'héritier légitime ; le comte de Blois et le seigneur du Puiset voulaient le renverser et exercer à leur guise le droit d'élection. Au fond, l'hérédité monarchique était en jeu. La reine Constance avait pris parti pour Robert, son préféré. Pendant qu'elle s'emparait de la plupart des villes du domaine autour de Paris, le comte de Blois enlevait Sens, et Henri, presque complètement dépouillé, ne trouvait de refuge qu'à Fécamp, auprès du Normand Robert le Diable. Surpris d'abord, le jeune roi, qui ne manquait ni de décision ni de courage, se ressaisit et attaqua, à son tour, ses adversaires. Victorieux partout, surtout après la mort de Constance (juillet 1034), Henri n'éprouva d'autre échec que dans une première tentative pour reprendre Sens. La lutte se termina à son profit, quand il eût reçu la soumission de son frère Robert. Par malheur, il se crut obligé, pour assurer la paix, de l'investir du duché de Bourgogne, erreur politique dont ses successeurs se ressentiront pendant trois siècles. Dans cette dure épreuve, Henri Ier avait pu voir combien était redoutable l'hostilité de la maison de Blois. Eude II, acharné, ne désarmait pas. Contre un tel adversaire, le roi de France ne faisait pas que se battre : il avait négocié avec les nombreux ennemis de son vassal et conclu même avec l'empereur Conrad II l'alliance offensive de Deville-sur-Meuse (mai 1033). Eude riposta en formant avec certains seigneurs de l'Île-de-France une nouvelle coalition à laquelle prit part le second frère du Roi, mécontent de n'avoir reçu aucun apanage. Alors s'ouvrit une seconde période de guerres (1034-1039), cause de ruine et de désolation pour le pays français tout entier, dit un chroniqueur. La mort du comte Eude II ne la termina pas : ses fils Étienne et Thibaut luttèrent avec la même âpreté. Menacé encore une fois d'être dépossédé de la couronne, Henri Ier reprit Sens, défit son frère Eude et l'emprisonna à Orléans. Les abbayes de Saint-Médard de Soissons et de Saint-Père de Châlons, que les comtes de Blois voulaient assujettir, rentrèrent sous la domination royale. Après la mort du comte de Sens, Rainard, allié fidèle d'Eude II, le Sénonais fut annexé définitivement au patrimoine capétien (1055). Un coup encore plus sensible fut porté à l'éternel ennemi, le Blésois, quand Geoffroi-Martel et ses Angevins eurent mis la main sur la Touraine. Henri Ier avait contribué à cette conquête et se donna la joie d'investir solennellement le comte d'Anjou d'une seigneurie que la lignée des Eude et des Thibaut, ne recouvra jamais. Grâce à la désunion des puissances féodales qui l'entouraient, la Royauté sortait vivante d'une double tempête. Elle dut en partie son salut à l'appui des fidèles Normands, mais elle le paya. Henri céda le Vexin français au duc Robert le Diable. Quand celui-ci partit pour la Terre-Sainte, il pria le Roi de reconnaître son bâtard, Guillaume, comme héritier du duché de Normandie, et de défendre cet enfant contre les inimitiés trop certaines auxquelles il devait être en butte. Henri tint parole et servit de tuteur au jeune duc, harcelé par les continuelles révoltes de ses barons. En 1047, il l'aida à triompher d'une coalition formidable. Sur le champ de bataille du Val des Dunes, le roi de France, entouré de tous les contingents du royaume, paya vaillamment de sa personne . C'est à lui surtout et aux Français que les chroniqueurs normands eux-mêmes attribuent cette victoire, qui fut d'une importance capitale dans la vie du futur conquérant de l'Angleterre. Il semblait que l'union traditionnelle de la dynastie royale et du puissant duché fiât se resserrer plus que jamais. Deux ans ne s'étaient pas écoulés que l'alliance était rompue et le Français aux prises avec le Normand. Ce revirement brusque pouvait s'expliquer. La richesse et la prospérité de la Normandie, sa population serrée et belliqueuse, n'avaient jamais cessé d'exciter à la fois la crainte et la convoitise des rois de Paris. Ce fief aussi important qu'un royaume, plus indépendant que toute autre région vassale, enlevait aux Capétiens l'entrée de la Seine et les emprisonnait dans des provinces sans issue. L'ambition de Guillaume le Bâtard inquiétait tous ses voisins. On oublia, des deux parts, les services rendus et, au milieu du XIe siècle, l'inévitable conflit éclata. La guerre eut surtout pour théâtre la vallée de l'Avre, où passait la limite des deux États, depuis que le comté de Dreux avait été cédé pour toujours à la couronne. La prise ou du moins le démantèlement de la forteresse de Tillières, clef de cette vallée, devint le principal objet des efforts du roi de France. Mais il essaya aussi de soutenir tous les barons qui faisaient défection au duc de Normandie. Il aida Thurstan Goz, ennemi de Guillaume, à s'emparer de Falaise. De concert avec l'Anjou, il encouragea, de 1048 à 1053, une autre révolte, celle de Guillaume Busac. Lorsque ce vassal, vaincu par le duc et dépouillé du château d'Eu, vint chercher un asile en France, Henri lui donna l'hospitalité et lui fit épouser, plus tard, l'héritière du comté de Soissons. En 1053, il prit une part directe à la rébellion du comte d'Arques, Guillaume. Il ne put, il est vrai, faire lever le siège d'Arques, et faillit même être victime d'une embuscade que les Normands avaient dressée à Saint-Aubin. Mais il prit sa revanche en nouant contre le duc Guillaume une coalition générale. La France proprement dite, l'Anjou, la Bourgogne, l'Auvergne, la Champagne, l'Aquitaine (et même la Gascogne, s'il faut en croire le chroniqueur Guillaume de Poitiers) réunirent leurs forces pour humilier une puissance dont tous les princes féodaux commençaient à être jaloux. Pendant que Henri Ier et Geoffroi-Martel ravagent la campagne d'Évreux, le frère du Roi, son ancien rival, Eude, pille et brûle les plateaux qui dominent au nord la basse Seine ; mais il se fait battre à Mortemer (1054), échec qui découragea le roi de France. La paix qu'il fut obligé de conclure avec Guillaume (1055) ne le condamnait pas seulement à renoncer à ses projets, mais encore à approuver d'avance les conquêtes que le duc prétendait faire sur le territoire de l'Anjou. De semblables concessions ne pouvaient être sincères : l'entente du Roi et de son vassal dura peu. Trois ans après, Henri, toujours allié à Geoffroi-Martel, envahissait le territoire normand, inquiétait Bayeux et menaçait Caen. Une nouvelle défaite lui fut infligée, au passage de la Dive, à Varaville (1058). Le traité qui en fut la conséquence stipulait la restitution du château de Tillières à la Normandie. Henri Ier était vaincu, mais il avait lutté avec une persévérance dont l'exemple ne sera pas perdu pour ses successeurs. La Féodalité triomphait en Normandie, et partout ailleurs elle achevait son évolution ; l'indépendance absolue des grandes seigneuries devenait la loi. La rareté des documents empêche de mesurer avec précision l'étendue du pouvoir que le petit-fils de Hugue Capet avait conservé, à titre de souverain, dans les pays éloignés de la Seine et de la Loire. Mais il semble bien que l'autorité générale du roi de France n'ait jamais été si restreinte. Les derniers liens qui subsistaient entre la Monarchie et les provinces, brisés un à un, disparaissent. Même en Bourgogne, le propre frère du Roi, Robert, exerce la suzeraineté dans sa plénitude et, dès la génération suivante, la séparation sera complète. Henri Ier n'a plus de relations avec le sud-est du royaume : tout au plus s'est-il gardé le droit d'intervenir dans l'élection de l'évêque du Pui. On ne confiait qu'une circonstance où il ait agi en roi, dans le diocèse de Clermont. Les ducs d'Aquitaine n'apparaissent plus que par exception dans son entourage, en cas de grandes expéditions militaires ou de cérémonies religieuses auxquelles un prince chrétien ne saurait manquer. Pour les comtes de Bretagne et de Toulouse, aussi étrangers au Capétien que s'ils habitaient hors de France, le devoir féodal n'existe plus. Dans ses rapports avec les puissances voisines, Henri Ier parait s'être inspiré des mêmes idées qui avaient guidé Robert et surtout Hugue Capet. En face de la Papauté, il a essayé de maintenir l'indépendance du Clergé national et les droits du pouvoir civil. L'ancien évêque de Toul, Léon IX, tendait par tous les moyens à fonder en France la domination du Saint-Siège et à faire de ce pays le point d'appui de ceux qui voulaient réformer l'Église. Nous traiterons à part cette grave question de la réforme, si passionnante déjà pour les contemporains de Henri Ise, et qui touchait de près la Royauté elle-même. On notera seulement ici l'attitude du roi de France, lorsqu'en 1049, Léon IX convoqua un concile à Reims et vint le présider en personne. La foi du Moyen Age et le caractère à demi religieux de la Royauté ne permettaient pas à Henri d'interdire au Pape l'entrée du territoire français ni de s'opposer directement à la réunion du concile. Mais il s'efforça d'entraver les projets de la cour de Rome. Il prétexta l'urgence d'une expédition militaire pour empêcher les évêques et les abbés de son domaine de se présenter à Reims : à peine l'abbé de Saint-Remi de Reims put-il obtenir de lui l'autorisation de retourner auprès du Pape. La conduite de Henri ne s'explique pas simplement par l'influence qu'auraient prise sur son esprit les évêques simoniaques et les barons incestueux, menacés de la réprobation du concile. S'il désapprouva la démarche du Pape et défendit à son clergé de s'y associer, c'est qu'il y voyait une atteinte au pouvoir royal et, pour l'épiscopat français, une diminution de liberté. Lors des discussions ardentes que souleva, en France et à Rome, l'hérésie du chanoine de Tours, Bérenger, Henri joua un rôle plus difficile à définir. On a prétendu, sans preuves, qu'il était favorable aux opinions du chanoine et qu'il le fit emprisonner pour le dérober aux conséquences d'une condamnation inévitable. A la vérité, Bérenger fut incarcéré par un vassal du roi ; mais lui-même écrivit que Henri avait voulu en profiter pour le mettre à rançon. Quoi qu'il en soit, les rapports du Capétien et de la Papauté, presque toujours tendus jusqu'en 1053, ne devinrent jamais très cordiaux. On l'accusait de pratiquer la simonie, et le parti réformiste ne l'épargnait pas ; mais la vraie raison de sa défiance et de ses froideurs est que les papes de son temps, presque tous d'origine allemande, devenaient des instruments dociles entre les mains des empereurs Conrad II et Henri III. La puissance des souverains d'Outre-Meuse s'accroissait d'une façon inquiétante. Pendant que la dynastie française se débattait dans la guerre civile, Conrad avait recueilli définitivement le royaume de Bourgogne (1031-1039) et transmis d'avance cette nouvelle couronne à son fils. Tout espoir étant perdu de ce côté, Henri Ier tenta au moins de conserver, sur l'archevêché de Lyon, un pouvoir nominal. Il s'entendit avec les moines de Cluni pour faire élire, en 1046, comme archevêque, l'abbé de Saint-Bénigne, Halinard ; faible compensation, mais succès utile en vue de l'avenir. Quand le successeur de Conrad, Henri III, épousa Agnès, princesse de l'ancienne maison de Bourgogne, alliée aux suzerains de l'Aquitaine et de l'Anjou, le roi de France eut avec son redoutable voisin une première entrevue à Ivois (1043). Ce mariage, qui consolidait la situation de l'Empereur dans la vallée du Rhône, n'était pas fait pour rassurer le Capétien. On put croire un instant qu'entre les deux Henri une lutte ouverte allait s'engager. Le point faible de l'Empire était la Lorraine : c'est là aussi que portèrent les efforts du Français. Pour s'arroger la haute suzeraineté de ce pays, il lui suffisait d'y favoriser les rébellions des vassaux. Déjà, en 1044, le duc Godefroi, ennemi de Henri III, s'était tourné du côté du roi de France, et sans doute de concert avec ce dernier, avait entraîné à sa suite une partie des mécontents de la Franche-Comté et de la Bourgogne. L'énergie avec laquelle Henri III poursuivit le duc rebelle jusqu'à ce qu'il eût obtenu sa déposition, écarta les dangers que cette coalition aurait pu faire courir à l'Allemagne. Mais, en 1046, lorsque l'Empereur passa en Italie pour se faire couronner à Milan, le roi de France parut vouloir aborder résolument l'entreprise qu'avait rêvée Robert le Pieux. Au témoignage d'un chroniqueur liégeois, de grands préparatifs militaires se firent alors dans toute la France ; la levée générale des vassaux fut ordonnée par édit royal et l'armée commença même à se rassembler. Henri Ier déclara hautement qu'il réclamait, en vertu de son droit héréditaire, le palais d'Aix-la-Chapelle, possession de ses ancêtres, et tout le royaume de Lorraine, détenu par la perfidie de l'Empereur. Sur les représentations réitérées de l'évêque de Liège, Wazon, ou, ce qui est plus vraisemblable, par suite des difficultés que lui suscitaient alors les barons de France, il renonça à son dessein. Mais il n'abandonna point ce qu'il tenait pour un droit imprescriptible de sa couronne. Quand il revit l'Empereur à Ivois, il lui reprocha, dit-on, avec vivacité, ses fausses promesses et l'obstination qu'il mettait à retenir entre ses mains cette portion du territoire français injustement acquise par les rois de Germanie, ses prédécesseurs. La discussion devint bientôt si acerbe que l'Empereur défia le roi de France en combat singulier. Henri Ier refusa, rompit les négociations, et, s'il faut en croire la chronique allemande, s'enfuit pendant la nuit avec les siens. Ce roi de Paris et d'Orléans qui, du fond de son minuscule domaine, osait revendiquer un pays d'empire, comptait donc pour quelque chose aux yeux de l'étranger. Il représentait tout un passé de grandeur et de puissance et continuait de loin à faire illusion. Le plus ancien exemple d'une alliance franco-russe date de Henri Ier et de son mariage avec Anne, fille du grand-duc de Kief, Jaroslaf. La Russie du XIe siècle était en rapports, sinon réguliers, au moins fréquents, avec les pays occidentaux. Roger II, évêque de Châlons, chargé, en 1048, d'une première ambassade en terre slave, ramena, trois ans après, la princesse russe qui fut épousée et sacrée à Reims. La naissance de celui qui devait être Philippe Ier, le roi au nom byzantin, garantissait enfin aux Français et à leur chef la perpétuité de la dynastie (1052). Fidèle à la tradition, Henri Ier fit couronner son fils, à peine âgé de sept ans, par l'archevêque de Reims, Gervais de Château-du-Loir : le premier sacre d'un roi de France sur lequel l'histoire ait donné quelques détails (23 mai 1059). Au commencement de la messe, avant la lecture de l'épître, l'archevêque, se tournant vers l'enfant royal, lui exposa la foi catholique : il lui demanda s'il croyait et s'il voulait être le défenseur de l'Église. Philippe ayant répondu affirmativement, on lui apporta sa déclaration, il la prit, en fit lecture, et la signa. Cela fait, il remit cette profession de foi entre les mains de l'archevêque. Étaient présents : Hugue de Besançon, légat du Pape ; Hermanfroi, évêque de Sion ; Mainard, archevêque de Sens ; Barthélemi, archevêque de Tours, etc. L'archevêque de Reims, prenant en main la crosse de saint Remi, expliqua avec douceur et mansuétude comment il avait, par-dessus tous les évêques, le droit d'élire et de consacrer le Roi, depuis que saint Remi avait baptisé et sacré Clovis. Il apprit aux assistants comment le pape Hormisdas avait donné à saint Remi et comment le pape Victor lui avait donné à lui, Gervais, et à son église, le droit de consacrer par le sceptre, ainsi que la primatie de toute la Gaule. Alors, du consentement du roi Henri, il élut Philippe roi. Il avait été convenu que cela pouvait se faire sans que l'on eût besoin de l'assentiment du Pape ; néanmoins les légats apostoliques, pour honorer Philippe et lui donner un témoignage de leur amitié, prirent part à la cérémonie. Après eux, le Roi fut élu par les archevêques et les évêques, les abbés et les clercs ; ensuite par Gui, duc d'Aquitaine, par Hugue, fils et représentant du duc de Bourgogne, par les envoyés du marquis Baudouin (comte de Flandre), et ceux de Geoffroi, comte d'Anjou ; par Raoul, comte de Valois ; Herbert, comte de Vermandois ; Gui, comte de Ponthieu ; Guillaume, comte de Soissons ; les comtes Renaut, Roger, Manassès, Hilduin ; Guillaume, comte d'Auvergne ; Aldebert, comte de la Marche ; Foulque, comte d'Angoulême, et par le vicomte de Limoges. Vinrent ensuite les chevaliers et le peuple de toutes classes, qui, d'une voix unanime, donnèrent leur consentement et leur approbation, et crièrent par trois fois : Nous approuvons, nous voulons, que cela soit ![7] Henri Ier ne survécut guère plus d'un an à cette solennité qui consacrait, au fond, le droit héréditaire des Capétiens, et pour la forme, le droit électif des évêques et des hauts barons du royaume. Il mourut à Vitri-aux-Loges, près d'Orléans, laissant la tutelle du jeune roi à sa mère Anne et à son oncle, le comte de Flandre, Baudouin V, (4 août 1060). Le souverain qui disparaissait avait été un soldat brave et actif, expression typique, reproduite par toutes les chroniques de l'époque. Et il est certain que la vie de Henri Ier, série ininterrompue d'expéditions, de sièges et de combats, première ébauche du règne de Louis le Gros, ne fut pas celle d'un impuissant. Il porta seulement la peine de l'affaiblissement profond où était tombée la monarchie. On regrette d'autant plus que sa figure reste, pour nous, aussi vague ; car, sur sa personnalité physique et morale, les contemporains ne nous ont rien appris. IV. — PHILIPPE[8]. LE quatrième Capétien, Philippe Ier, fut roi pendant quarante-huit ans (1060-1108) : un des plus longs règnes de l'histoire de France, mais aussi un des plus vides, et de ceux qui ont fait le moins d'honneur à la dynastie. Jamais l'action personnelle du souverain sur les événements et sur les hommes n'a été plus limitée. A une époque où l'amour de la guerre et la ferveur religieuse entraînaient barons et évêques à de si grandes entreprises, Philippe, insensible aux enthousiasmes qui éclataient partout autour de lui, se passionna seulement pour ses intérêts et ses jouissances. Ce gros homme, sensuel et cupide, ne se contentait pas de vendre ses évêchés (on a vu avec quel cynisme) : il se fit le premier mercenaire de son royaume, allant jusqu'à louer ses services militaires, pour 700 livres, à un petit seigneur de Normandie. De condottiere à brigand, la distance est courte. Une lettre de Grégoire VII l'accuse d'avoir détroussé des marchands italiens qui se rendaient à une foire, et de s'être refusé à les dédommager. Les faits eux-mêmes accusent ce triste souverain, mais les chroniqueurs de son temps l'ont peut-être plus malmené encore qu'il ne le méritait. Il eut le malheur d'être presque toujours en conflit avec l'Église, et les clercs, seuls, écrivaient l'histoire. Il s'est opposé à l'introduction de la réforme grégorienne dans son État ; il n'a pas tenu compte des anathèmes que lui attira son mariage adultérin avec Bertrade de Montfort. On s'explique alors les colères de la Papauté et ces légendes édifiantes qui représentèrent le roi de France excommunié, atteint de la gale et d'autres maladies épouvantables, vivant comme un pestiféré au milieu d'une cour déserte, n'osant plus mettre la couronne royale, ni faire de nominations d'évêques, perdant même la vertu du sacre, le privilège de guérir les scrofuleux. En réalité, ce maudit, mis hors l'Église et hors la loi, a vécu comme ses prédécesseurs. Au moins extérieurement, il fut aussi religieux que les autres rois. Quand le besoin d'argent se faisait sentir, on l'a vu dépouiller des églises (par exemple, celle de Saint-Germain des Prés) : mais, par compensation, il en a comblé d'autres de ses libéralités. Lui aussi a fondé, enrichi, réformé des abbayes. Les monastères qu'il favorisait ont essayé de lui faire une réputation excellente. Un moine de Morigni vante sa prudence admirable et la profondeur de son esprit. A Sens, on voit en lui la providence, l'espoir, la consolation des moines, des clercs, et des pauvres. Il faut, d'ailleurs, pour être équitable, ne pas confondre la première partie de son règne avec la dernière. Le début fit présager autre chose que la déchéance honteuse de la fin. De 1067, année de sa majorité, jusqu'en 1090, il s'est agité plus qu'on ne croirait, cherchant les aventures, s'essayant même aux expéditions lointaines. Celle qu'il tenta, en 1071, pour défendre la comtesse de Flandre, Richilde, contre son concurrent, Robert le Frison, l'amena jusque dans la région de l'Escaut. Il y parut, entouré des contingents féodaux de la France entière, mais gagna fort mal l'argent dont la comtesse avait payé son zèle. Complètement battu à Bavinkhove, il crut se venger de sa défaite en mettant Saint-Orner à feu et à sang. Ses conseillers lui firent comprendre qu'il avait tout avantage à accepter le fait accompli, à reconnaître Robert, et même à devenir son allié. Il se tourna, en effet, du côté du plus fort, et donna des gages au comte de Flandre, en épousant une de ses pupilles, la Hollandaise Berta. L'alliance de Robert le Frison devait lui être utile dans sa lutte contre la Normandie et Guillaume le Conquérant. Il y renonça pourtant, en 1074, incapable de résister à l'appât d'un bénéfice immédiat. Corbie, importante par son commerce et son riche monastère, avait été donnée à la Flandre, lorsque la fille de Robert le Pieux épousa le comte Baudouin V. Philippe, jugeant l'occasion bonne pour la reprendre au Frison, s'y transporta tout à coup et força les habitants à lui jurer fidélité. En vain Robert, furieux, accourut et pilla les maisons des bourgeois : Corbie rentra dans le domaine capétien pour n'en être plus détachée. Philippe eut surtout l'intelligence de faire une opposition persévérante à la puissance toute nouvelle des Anglo-normands. Quand la conquête de l'Angleterre commença, Baudouin V, beau-père du duc Guillaume, gouvernait encore le royaume à titre de régent. Il ne fit rien pour entraver l'expédition : ce ne fut pas la faute de son pupille, à peine âgé de quatorze ans. Celui-ci semble avoir compris de bonne heure que l'événement était un désastre pour lui-même et pour toute sa dynastie. Une tradition du Roman de Rou montre le duc Guillaume allant trouver le jeune roi de France à Saint-Germer, et lui demandant d'être son allié. Il lui promit de se reconnaître son vassal pour le royaume dont il entreprenait la conquête. Philippe, après avoir consulté son entourage, refusa, et Guillaume dut se retirer le dépit dans le cœur et la menace à la bouche. Cette résistance isolée n'empêcha rien. Philippe, du moins, ne négligea pas de susciter des embarras à ce vassal couronné. Il intervint en Bretagne, où Guillaume ne put prendre Dol, et contribua à rendre impossible l'annexion de la péninsule à la Normandie. Dans la région française, il fallait surtout défendre le Vexin contre un ennemi qui s'en disait le légitime propriétaire. En 1067, débarrassé de tout souci du côté de l'Angleterre et du Maine, Guillaume réclama hautement ce pays, avec les villes de Pontoise, de Chaumont, et de Mantes. Philippe répondit par une plaisanterie (assez mal placée dans sa bouche) sur la corpulence de son adversaire : Le roi d'Angleterre est en couches, il y aura force cierges à ses relevailles. — Par la splendeur de Dieu, répliqua Guillaume, je vais en allumer cent mille aux frais de Philippe. Pour tenir parole, il incendia le Vexin, et entra dans Mantes, qu'il livra aux flammes. Philippe pouvait difficilement lui tenir tête par les armes : mais il donna à ses successeurs l'exemple de cette tactique très naturelle qui consistait à séparer la Normandie de l'Angleterre en favorisant les rébellions des barons du continent et les querelles intestines dans la famille de Guillaume. Le fils aillé du roi d'Angleterre, Robert Courte-Heuse, réclamait, par anticipation, une partie de l'héritage paternel, au moins le duché de Normandie et le comté du Maine. Le refus de Guillaume fut suivi d'une guerre civile, et Philippe ne manqua pas d'intervenir en faveur du prince révolté. Le protecteur et le protégé se trouvaient en forces, près de Gerberoi en Beauvaisis, lorsque le Conquérant les rencontra (1079). Il fut battu et faillit être tué. Pour prix de ses services, Philippe exigea de Robert la cession de Gisors. Rien de plus légitime ; mais un jour qu'il assiégeait un château au profit du prétendant, Guillaume, qui le connaissait bien, lui fit passer en secret une forte somme pour qu'il renonçât à l'entreprise. Philippe l'accepta et battit en retraite, heureux de toucher des deux mains. Sa politique générale déviait ainsi de temps à autre, mais ne changeait pas. Après la mort du Conquérant, blessé mortellement au sac de Mantes, le nouveau roi d'Angleterre, Guillaume le Roux (1087), continua à revendiquer le Vexin, et s'allia même avec le duc d'Aquitaine pour s'emparer du territoire capétien et détrôner son seigneur. Philippe, qui alors n'était plus capable de se défendre lui-même, eût été fort en péril si son fils Louis n'avait porté la guerre sur la frontière normande et retardé la marche des coalisés. Le comte de Meulan, les châtelains de Septeuil et de Houdan avaient livré leurs donjons aux Aquitains et aux Anglais ; les châteaux de Montfort et d'Épernon résistaient à grand'peine. Paris, découvert, était à la merci d'un coup de main. Heureusement que Guillaume le Roux échoua devant Pontoise, et que la forte place de Chaumont, dont il fit le siège en règle, subit sans faiblir tous les assauts (1098). L'héroïsme de ses défenseurs fut le salut de la dynastie et du Roi. Lorsque le prince royal, assez mal conseillé, laissa Henri Beauclerc, le successeur de Guillaume le Roux, s'emparer de son frère Courte-Heuse et réunir la Normandie à son royaume, Philippe Ier, homme sage, dit une chronique, s'y opposa autant qu'il put, et, comme inspiré de l'esprit prophétique, prédit à son fils tous les malheurs qui en adviendraient (1106). Il resta, jusqu'à son dernier jour, l'ennemi de la famille normande et l'avenir lui donna raison. Cet homme positif rechercha, de propos délibéré et par système, les moyens propres à accroitre les ressources matérielles de la Royauté. On peut dire qu'il inaugura la politique d'annexions dont usèrent si bien Louis le Gros et Philippe Auguste. Sa constante préoccupation fut d'acquérir de la terre et de grossir le domaine royal, réduit presque à néant par l'incurie de ses prédécesseurs. On a vu comment il prit Corbie. En 1107 il accorda aux marchands qui fréquentaient cette place des privilèges fort étendus. Il en fit ainsi un comptoir des mieux achalandés où affluaient les négociants de la Flandre, de la Hollande et de l'Allemagne. Toujours à l'affût des successions vacantes ou des héritages contestés, Philippe profita de la mort de Raoul, comte de Vermandois, pour mettre la main sur une partie de son fief. Il n'en put conserver la possession directe, mais il en investit plus tard son propre frère, Hugue le Grand, et ainsi commença cette dynastie capétienne du Vermandois qui allait être un des plus solides appuis de la royauté du XIIe siècle. Lorsque Simon de Valois, comte du Vexin, se fut retiré dans un monastère, Philippe ne manqua pas d'envahir le Vexin et devint ainsi propriétaire du pays dont ses ancêtres n'avaient eu que la suzeraineté. Derrière les châteaux du Vexin, du Vermandois et du Valois, Paris se trouvait mieux protégé contre les ennemis venant de la Normandie et de la Flandre. Une autre annexion, celle de Château-Landon et du Gâtinais, prix de la neutralité promise par Philippe à Foulque le Réchin, l'usurpateur de l'Anjou et de la Touraine, permit à la Royauté de relier le Sénonais aux possessions de l'Orléanais et de la Brie. L'ambition de Philippe regardait même au delà de la Loire. Les Robertiniens avaient acquis jadis, en Sologne et en Berri, quelques alleux que leurs descendants possédaient peut-être encore à la fin du XIe siècle. Philippe, qui n'allait pas à la croisade, exploita les besoins d'argent de ceux qui s'y rendaient. En 1101, le vicomte de Bourges, Harpin, partant pour la Terre-Sainte, lui vendit un territoire étendu qui comprenait, outre Bourges, la châtellenie de Dun-le-Roi. Malgré tout, la Monarchie ne se relevait pas de l'abaissement où la Féodalité l'avait réduite. Philippe n'était même pas le seul maître des parties du territoire soumises à son pouvoir direct. Entre les prévôtés du domaine s'intercalaient de petites seigneuries dont les possesseurs ne respectaient que ceux qui savaient se défendre. La plupart des grands offices de la couronne étaient alors détenus, à titre héréditaire, par ces mêmes seigneurs qu'on trouvait en guerre avec le souverain, le lendemain du jour où ils avaient composé sa cour et contresigné ses diplômes. Celui qui se prétendait l'héritier de Charlemagne ne pouvait sortir de Paris sans se heurter à la petite féodalité qui infestait partout les routes et, pour passer, il fallait se battre. Quelques campagnes, mollement conduites, contre Étienne de Blois, Hugue de Dammartin, Hugue du Puiset, Simon de Valois, n'eurent pas de résultats décisifs. En 108i, Philippe, voulant se venger du seigneur du Puiset, fit, par exception, un grand effort ; il convoqua les contingents féodaux et demanda l'aide de son parent, Eude, duc de Bourgogne. Une vraie bataille s'engagea dans la plaine d'Yèvre-le-Châtel ; mais l'ennemi qu'on pensait détruire, un vassal de troisième ordre, infligea au roi de France l'échec le plus déshonorant dont le Moyen âge ait gardé le souvenir. Peu de temps avant sa mort, Philippe était enfin parvenu à mettre la main sur le donjon de Montlhéry, repaire de pillards qui faisaient trembler le Roi quand il chevauchait vers Orléans : Garde bien cette tour, dit-il à son fils Louis, elle m'a fait vieillir avant l'âge : la méchanceté et la perfidie de ceux qui l'habitaient ne m'ont jamais laissé un instant de repos. Et pourtant l'homme qui faisait cet aveu d'impuissance osa résister à la Papauté, maîtresse alors du monde chrétien. Philippe Ier, soutenu, il est vrai, par une partie de l'épiscopat français, essaya de repousser la réforme que prêchait et imposait Grégoire VII. Il trouvait trop d'avantages à pratiquer la simonie et comprenait, d'ailleurs, que le triomphe des idées réformistes diminuerait fatalement le pouvoir de la Royauté sur les seigneuries d'église. œuvre excellente, en effet, au point de vue de la morale et du bien supérieur de la Chrétienté, la réforme, à d'autres égards, contrariait, au profit du pouvoir religieux, le développement politique des monarchies. Les divers incidents de la querelle engagée entre le Roi et le Pape, qui seront rapportés ailleurs, prouvent qu'en réalité les deux adversaires se disputèrent la domination sur les archevêchés de Lyon, de Tours, de Sens, de Reims et de Bourges, c'est-à-dire sur une assez grande fraction du royaume. Des intérêts temporels de la plus haute portée étaient en jeu. Les contemporains avaient le droit de s'étonner qu'un prince chrétien combattit les opinions et les progrès du parti que dirigeait le chef de l'Église : mais le roi de France, tirant sa principale ressource des évêchés et des abbayes de son domaine, vivant de ses clercs beaucoup plus que de ses vassaux laïques, ne pouvait favoriser une révolution qui l'aurait appauvri. Il ne pouvait pas davantage laisser Rome assujettir l'Église française, sans renier ouvertement la tradition léguée par le fondateur même de la dynastie. Ces raisons suffisaient à légitimer la résistance ; mais Philippe n'était pas homme à soutenir longtemps un combat dangereux pour une question de principes ou un intérêt d'ordre général. Son opposition, plutôt timide, sous Grégoire VII, lorsqu'il ne s'agissait que de simonie et d'investitures, devint opiniâtre et violente, sous Urbain II, lorsque la Papauté l'eût touché au vif en l'attaquant dans sa vie privée. En 1092, dit le chroniqueur Orderic Vital, arriva en France un événement scandaleux qui jeta le trouble dans le royaume. La comtesse d'Anjou, Bertrade de Montfort, craignant de se voir traitée par son mari (Foulque le Réchin) comme l'avaient été, avant elle, deux autres femmes qu'il avait épousées, et d'être rejetée comme une vile courtisane ; persuadée d'ailleurs qu'elle avait assez de beauté pour plaire au roi Philippe et assez de noblesse pour être reine, lui envoya un message et lui découvrit la passion qu'elle avait dans le cœur. Elle aimait mieux, disait-elle, abandonner son mari pour en épouser un autre que d'être honteusement délaissée par lui. Le Roi ne fut pas insensible à cette déclaration d'une femme belle et voluptueuse : il consentit au crime et reçut Bertrade avec empressement dès qu'elle arriva en France. Quant à sa propre femme, Berta, fille de Florent, comte de Hollande, reine noble et vertueuse qui l'avait fait père de Louis et de Constance, il la répudia et épousa Bertrade, qui était restée près de quatre ans avec le comte d'Anjou. De pareils incidents n'étaient pas rares dans ce milieu féodal où les mariages se nouaient et se rompaient avec une facilité que l'Église tolérait le plus souvent, impuissante à changer les mœurs. Mais ici le mauvais exemple venait de haut, et d'un prince hostile à la réforme. Les moines, dévoués à la sainte cause et à la Papauté, s'indignèrent : Que personne, s'écrie Hugue de Flavigni, ne s'irrite contre moi, si j'ose censurer amèrement la conduite du prince, sans égard pour le nom et la majesté du trône. Quand on nous empêcherait d'écrire, la France entière élèverait la voix et tout l'Occident ne pourrait ignorer le crime de Philippe. Excommuniés publiquement, à plusieurs reprises, dans les conciles de Clermont (1095), de Tours (1096), de Poitiers (1101), le roi de France et l'épouse adultère se soucièrent peu de l'anathème. Deux évêques (ceux de Troyes et de Meaux) avaient consenti à les marier : ils en trouvèrent d'autres encore pour les couronner aux fêtes solennelles et s'opposer ouvertement aux mesures prises par le Saint-Siège. Bertrade fut traitée en reine légitime même par le mari qu'elle avait abandonné. Elle vécut ainsi avec Philippe pendant douze ans (1092-1104), sous le coup des malédictions de l'Église, qui ne se lassait pas de les frapper. Non seulement des prélats, mais des hauts barons, des chefs d'États féodaux, s'associaient à leur résistance. Quand les légats du pape Pascal II et les membres du concile de Poitiers se préparèrent à lancer une fois de plus l'anathème, le duc d'Aquitaine, Guillaume IX, entra dans l'église avec ses soldats et dit, d'un ton menaçant, au milieu d'un profond silence : Le Roi, mon seigneur, m'a mandé que, sans égard pour sa personne et pour moi, vous vous disposiez à l'excommunier dans une ville que je tiens de sa couronne : il m'a sommé, par la fidélité que je lui dois, de m'y opposer de toutes mes forces. Je vous déclare donc que je ne souffrirai pas un pareil attentat ; et, si, malgré ma défense, vous osez le commettre, je vous jure, par la foi que je lui ai vouée, que vous ne sortirez pas d'ici impunément. Les légats ne se laissèrent pas intimider et firent leur devoir. Ces excommunications répétées, et toujours vaines, ne faisaient que nuire aux deux pouvoirs en lutte. Philippe et Bertrade se soumirent, au concile de Paris (1104), puis, en dépit de leur serment, continuèrent la vie commune. La victoire de la Papauté n'était qu'apparente et le Capétien, au fond, l'emportait. Mais, vieilli et épuisé avant l'âge par ses infirmités et ses vices, il ne régnait plus que de nom. Le prince héritier, le fils de la malheureuse Berta, Louis, avait été armé chevalier en 1098 et. associé, vers la même époque, à la couronne, sans avoir cependant été sacré. Sous le titre de dux exercitus, il remplissait la plus importante des fonctions royales, celle qui consistait à repousser les attaques des Anglo-normands dans le Vexin, et à punir les brigandages des châtelains sur toute l'étendue du domaine. Il s'acquitta de cette rude besogne avec une ardeur et un succès sans exemple, mais Philippe n'y fut pour rien. Ces huit années de chevauchées victorieuses (1100-1108) appartiennent déjà, en réalité, au règne de Louis le Gros. Si le jeune prince est maitre de l'armée, le palais obéit à Bertrade. Elle dispose, en souveraine, des offices de la couronne, donne l'évêché de Paris à son frère, Guillaume de Montfort, et vend au plus offrant les bénéfices d'église. Jalouse de Louis, qu'elle craint et déteste, à qui elle voudrait substituer Philippe et Florus, ses deux fils, elle essaie en vain de le faire emprisonner par le roi d'Angleterre, Henri Ier. Elle paye des clercs qui s'engagent à le tuer, en huit jours, par des maléfices. De guerre lasse, elle eut recours au poison et Louis n'échappa qu'à grand'peine. Philippe, tiré cette fois de son engourdissement, s'indigna, mais, toujours faible, pria son fils de pardonner. Il végéta encore quelques années et mourut le 29 juillet 1108. La haute et la basse féodalité s'agitaient, menaçaient de ne pas reconnaître l'héritier légitime. Louis, entouré d'évêques et de quelques vassaux fidèles, dut se faire couronner précipitamment à Orléans. Il était temps que la royauté passât en d'autres mains. V. — LA MONARCHIE DU XIe SIÈCLE. UN mélange singulier de misère et de grandeur, le contraste de l'impuissance réelle avec l'éclat du titre et le prestige de la fonction, tel est le trait caractéristique de cette royauté du ne siècle qui prétendait continuer celle des Carolingiens. Les Capétiens calquent leurs diplômes sur ceux de l'ancienne chancellerie impériale. Ils parlent comme parlait Charlemagne et se font appeler par les clercs qui écrivent leurs lettres rois glorieux ou toujours augustes. Ils copient aussi le cérémonial byzantin de la cour de Charlemagne, entourés des mêmes hauts fonctionnaires, l'archichancelier, le sénéchal, le chambrier, le bouteiller, le connétable. Un collège de clercs, pépinière d'évêques et d'abbés, est attaché à leur chapelle. Le palais du Roi est rempli de grands et de petits officiers. Les barons et les évêques des provinces voisines y viennent faire des séjours temporaires, et cet ensemble incohérent de conseillers à demeure et de courtisans de passage semble être resté, ce qu'il était jadis, le centre et l'organe principal du gouvernement. Le Roi lui-même, personne sacrée et inviolable, jouit d'un pouvoir théoriquement sans limites, car il le tient de Dieu et doit l'exercer dans sa plénitude, sur toute l'étendue du royaume. Il a pour mission de défendre le pays contre ses ennemis extérieurs, de faire régner l'ordre au dedans, de rendre la justice, de protéger les faibles et les opprimés, mais surtout l'Église et ses membres. Toujours en théorie, sa volonté se confond avec la loi. Tout ce qu'établit la puissance des rois très glorieux, dit Abbon de Fleuri parlant de Hugue Capet et de Robert, doit être stable et incontesté, sous quelque forme que se manifeste leur volonté, par la parole ou par les actes. C'est pourquoi celui qui contrevient aux préceptes royaux prouve qu'il n'aime ni ne craint le Roi. Le Roi s'aide des conseils et de l'appui des grands, réunis en assemblées, mais cette consultation n'a aucun caractère obligatoire : c'est une nécessité de fait à laquelle il se soumet quand il lui plaît et dans des conditions déterminées par lui seul. A côté du Roi, la Reine et l'héritier présomptif associé au trône, ont reçu, par la double cérémonie de l'onction et du couronnement, la capacité morale nécessaire pour prendre leur part de cette souveraineté. Aucune constitution fixe ne règle d'ailleurs la transmission du pouvoir. Mais, dès l'origine, la dynastie capétienne a voulu opposer au droit électif que revendiquaient les chefs de la Noblesse et de l'Église le droit héréditaire, auquel aspire toute monarchie. Le sacre anticipé du prince royal a été le moyen détourné, mais sûr, qui lui a permis d'atteindre son but. Dans les provinces les plus éloignées, aux extrémités mêmes du pays, en Flandre comme aux Pyrénées, seigneurs et prélats datent les actes publics des années de règne des Capétiens. Au dehors, ceux-ci sont en relations directes avec les autres souverains d'Europe. Ils se croient les égaux des empereurs allemands et, dans leurs entrevues solennelles au bord de la Meuse, déploient l'appareil luxueux et guerrier dont s'entourent les rois en voyage. Ils ont encore des prétentions sur une partie de l'ancienne Lotharingie, tout comme les petits-fils de Charles le Chauve dont ils s'imaginent posséder les droits. Quelquefois même, ils se donnent le vain plaisir de menacer de loin la terre d'empire. D'autre part, ils essayent de défendre contre les papes et leur monarchie spirituelle les anciennes libertés des évêques de France et s'étonnent que Rome cherche à leur enlever la haute direction ecclésiastique du royaume. A ne voir que la surface et l'apparence, ces rois français semblent avoir hérité des pouvoirs généraux qui appartenaient réellement à ceux du me siècle. Les formes, en effet, restent les mêmes ; mais, dans ce vieux cadre, une puissance de fait, une force réelle et vivante, la Féodalité, s'est introduite et a tout changé. L'institution monarchique, qu'elle combattait et ruinait, sans avoir pu la supprimer ni même voulu l'anéantir, à force d'être rapetissée, a pris un caractère nouveau. Le soi-disant souverain est un simple baron qui possède seulement en propre, sur les bords de la Seine et de la Loire, quelques comtés équivalant à peine à quatre ou cinq de nos départements. Le domaine royal, soutien insuffisant de cette majesté théorique, n'est ni la plus vaste, ni la plus riche des seigneuries dont la réunion forme la France. Moins puissant que certains de ses grands vassaux, le Roi vit, comme eux, du produit de ses fermes et de ses péages, des redevances de ses paysans, du travail de ses serfs, des impôts déguisés qu'il prélève, sous forme de dons volontaires, sur les abbés et les évêques de la région. Ses greniers de Gonesse, de Janville, de Mantes, d'Étampes, lui fournissent le blé ; ses celliers d'Orléans et d'Argenteuil, le vin ; ses forêts de Rouvrai[9], de Saint-Germain, de Fontainebleau, d'Iveline, de Compiègne, la venaison. Il passe son temps à la chasse, pour son plaisir ou pour alimenter sa table, et voyage constamment de villa en villa, d'abbaye en abbaye, obligé de mettre à profit ses droits de gîte, et de changer souvent de séjour, pour ne pas épuiser les ressources de ses sujets. Dans ce va-et-vient perpétuel, des palais de Paris et d'Orléans à ceux de Melun, d'Étampes, de Pontoise, de Poissi, de Compiègne et de Mantes, une petite troupe de chevaliers, suivie des clercs ou scribes de la chapelle, forme l'escorte ordinaire de la famille royale. Ce n'est que par exception, en temps de guerre, les jours de grandes fêtes religieuses ou de jugements importants, que les évêques et les barons des provinces voisines viennent grossir l'entourage du prince et remplir leur devoir féodal. Alors la Cour change de caractère. Tour à tour, selon l'occurrence, elle devient l'armée prête à chevaucher, l'assemblée où se discutent les questions de religion et, de politique, le tribunal qui prononce des arbitrages, rend des arrêts, ou assiste aux combats sanglants des champions de justice. Cette royauté ambulante est aussi peu administrative que possible. Des prévôts et des maires, tout à la fois fermiers, receveurs, juges et agents de police, exploitent ses propriétés. Ils apportent au Roi une partie des revenus, en nature et en argent, et gardent le reste pour leur salaire : système de gestion rudimentaire, mais qui ne laisse pas d'être dangereux. Ces officiers à tout faire ne songent qu'à pressurer les sujets du maitre, à le voler, à transformer leur charge en seigneurie indépendante. En certains endroits, leurs exactions font de la terre royale un désert. Les habitants redoutent le prévôt capétien tout autant que la petite féodalité qui les pille. Dans les bourgs et les cités où le Roi n'est pas le seigneur unique, à Beauvais, à Noyon, à Amiens, à Soissons, à Sens, il possède quelques maisons et une grosse tour que des vicomtes ou des châtelains gardent en son nom. Mais ces commandants militaires abusent aussi de leur pouvoir, odieux aux bourgeois qu'ils rançonnent, comme au roi lui-même qu'ils dépouillent de ses droits en s'appropriant les produits dus au fisc ou en se perpétuant héréditairement dans leur fonction. Ces agents sont devenus peu à peu des feudataires : cessant de rendre des services à la Royauté, ils ne cessent pas de partager avec elle le territoire et les impôts. Déjà amoindri par les donations faites à l'Église ou les bénéfices conférés aux soldats, le patrimoine capétien ne suffirait pas à nourrir la famille régnante, si des acquisitions nouvelles ne venaient combler, de temps à autre, les vides du domaine et réparer les brèches du trésor. Un prince avide, vénal, enfermé dans une politique mesquine, parce que l'argent et les soldats lui manquent et qu'avant de régner il faut vivre, tel nous apparaît celui à qui est échu l'honneur dérisoire de représenter la France en Europe et, de perpétuer la tradition des Carolingiens. En théorie, la Féodalité ne lui conteste aucune de ses prérogatives de roi : en fait, elle l'a mis dans l'impossibilité d'en jouir. Les grands feudataires sont, pour lui, de véritables souverains étrangers. Ils en usent librement avec les obligations féodales et font hommage quand ils veulent. Ils tiennent compte des citations venues de Paris, s'ils sont les parents ou les alliés du Roi, mais s'abstiennent de paraître à sa cour, s'ils sont hostiles ou indifférents. Réclame-t-il le service d'est, au nom des intérêts généraux du pays ? il leur est difficile de décliner l'appel ; mais, pour être quittes avec le Roi, ils peuvent se borner à envoyer quelques hommes d'armes. Chez eux, il n'a plus de droits sur leurs vassaux, et ce qui se fait dans l'intérieur de leur fief échappe complètement à son contrôle. A la fin du XIe siècle, on ne voit même plus ce qui se passait quelquefois dans les premiers temps de l'établissement de la dynastie : le Roi prenant son gite dans les États de ses hauts barons, séjournant dans leur capitale, y tenant les assises solennelles du royaume. Confiné désormais dans sa terre, il n'en sort que pour guerroyer, visiter un sanctuaire en vogue, ou se rendre en grande pompe à une conférence avec les rois voisins. Même dans l'Île-de-France, il n'est obéi de ses vassaux immédiats que lorsqu'il se présente, bien entouré, à la porte de leurs donjons. Au dehors du domaine, l'isolement presque absolu ; au dedans, la pénurie, l'impossibilité de tenter les grandes entreprises, la difficulté de réussir même dans les petites, la honte de ne pouvoir réduire un châtelain et d'être tenu en échec par une tour, voilà où en est réduit le successeur de Hugue Capet. S'il n'avait pas son titre, le privilège du sacre, et certains droits lucratifs ou honorifiques qu'il a pu garder sur des évêchés ou des abbayes éloignées de son patrimoine, il serait impossible de distinguer le roi de France d'un seigneur ordinaire. Il ne lui reste que les souvenirs du passé, l'espérance de voir, dans l'avenir, ses pouvoirs virtuels redevenir des réalités, et, dans le présent, les sympathies des moines et des clercs qui regardent un peu comme un des leurs cet homme dont l'onction a fait un être saint. |
[1] SOURCES. Historiens de France, t. X, XI et XII. OUVRAGE À CONSULTER. Luchaire, Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, 2e éd., 1890.
[2] Cappatus, celui qui possède la Chappe de saint Martin de Tours. OUVRAGES À CONSULTER. Lot, Les Derniers Carolingiens, 1890. G. Monod, Études sur l'histoire de Hugue Capet, dans la Revue historique, t. XXVIII, 1885. Wilmans, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Otto III, 1840. Moltmann, Theophano, die Gemahlin Ottos II, in ihrer Bedeutung für die Politik Ottos I und Ottos II, 1878. J. Havel, Introduction à l'édition des Lettres de Gerbert, 1889.
[3] Il faut reléguer la résistance de Guillaume Fierebrace au nombre des légendes qui dénaturent l'histoire de ce temps. En affirmant que Hugue Capet fut obligé de venir assiéger Poitiers et de livrer bataille à son vassal, Adémar de Chabannes a reproduit, par inadvertance, un épisode de la vie de Hugue le Grand et attribué au fils l'acte du père. Quant au fameux dialogue de Hugue Capet avec Aldebert de Périgord : Qui t'a fait comte ? — Qui t'a fait roi ? rapporté par l'interpolateur d'Adémar de Chabannes, il n'est que l'écho d'une tradition féodale recueillie seulement à la fin du XIIe siècle.
[4] Richer, l. IV, ch. 47.
[5] OUVRAGES À CONSULTER. Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, 1885. Hirsch et Hirsch et Breslau, Jahrbücher des deutschen Reichs unter Heinrich II, 1862-1875.
[6]
OUVRAGES À CONSULTER.
Sochnée, Henri Ier, dans les Positions des thèses des élèves de
l'École des Chartes, a. 1891. De Caix de Saint-Aymour, Anne de Russie,
reine de France et comtesse de Valois au XIe siècle, éd., 1896. Steindorfr, Jahrbücher des
deutschen Reichs unter Heinrich III, 1874-1881. Sudendorf, Berengarius
Turonensis, 1852. Schwabe, Studien zur Geschichte des zweiten
Abendmahlstreites, 1887. Brœcking, Die französische Politik Papal Leo's IX,
1891. Auerbach, Die französische Politik der papstlichen Karie vom Tode
Leo's IX, bis zum Regierungsantritt Alexanders II, 1893.
[7] Historiens de France, t. XI, p. 32-33 (procès-verbal de sacre, rédigé probablement par l'archevêque de Reims, Gervais de Château-du-Loir).
[8]
OUVRAGES À CONSULTER.
Brial, Examen critique des historiens qui ont parlé du divorce de Philippe
Ier avec la reine Berle et de son mariage avec Bertrade de Montfort, dans
le Recueil des Historiens de France, t. XVI, 1814. Prou, Les diplômes
de Philippe Ier pour l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, 1895. Freeman, The history of the
norman conquest, 1867-1879. Kate Norgate,
[9] Le bois de Boulogne.