I. — LA FRANCE FÉODALE À L'AVÈNEMENT DES CAPÉTIENS[1]. A la fin du Xe siècle, trois groupes politiques existaient dans l'étendue de pays équivalente à l'ancienne Gaule. Le plus vaste était le royaume des Français proprement dit. Débordant au Nord sur la Belgique, au Sud-Est sur l'Espagne, ce royaume allait des bouches de l'Escaut à celles du Llobregat, en Catalogne, mais s'arrêtait à peu près à la Meuse, puis à la Saône et ne dépassait guère la crête des Cévennes. Suzerain de la Flandre et de la Marche espagnole, le roi qui siégeait à Paris était reconnu à Bruges et à Barcelone, mais ne l'était pas à Metz, à Besançon, à Lyon, à Grenoble, à Marseille. Au IXe siècle, quand l'empire franc fut partagé entre les fils de Louis le Pieux, l'aîné, l'empereur Lothaire, eut, dans sa part, les deux capitales, Rome et Aix-la-Chapelle. On lui donna, pour aller de l'une à l'autre, une large route qui comprenait la Provence, le Dauphiné , la Bourgogne et la Lorraine. Elle se nomma Lotharingie. Dans leurs arrangements de famille, les Carolingiens ne tenaient pas compte de la géographie : d'une région sans limites naturelles, ils faisaient un État factice, auquel s'appliquait un nom d'homme. Les conséquences de cette violence faite à la nature durent encore aujourd'hui. La politique monarchique et nationale de la France ne devait être qu'un long effort vers les Alpes et vers le Rhin. La Lotharingie se partagea d'abord en deux royaumes : Lorraine et Bourgogne. La Lorraine, État sans frontières, oscilla longtemps entre la France et l'Allemagne, perdit son titre de royaume et se subdivisa en deux duchés, Haute et Basse-Lorraine, morcelés, l'un et l'autre, par la dissolution féodale. Au moment de l'avènement de Hugue Capet, les deux ducs lorrains étaient les vassaux des empereurs allemands, les vallées de la Meuse et de la Moselle, des terres d'Empire. Mais ces vassaux étaient peu dociles, uniquement préoccupés de leur indépendance, toujours prêts à s'allier aux Français pour échapper aux Impériaux. Au delà des Faucilles, les vallées de la Saône et du Rhône dépendent du royaume de Bourgogne, aussi artificiel et encore plus mal conformé, puisque, coupé en deux par le Jura, il comprend à la fois la Suisse occidentale, la Franche-Comté, la Savoie, le Lyonnais, le Dauphiné, le Vivarais et la Provence. Sur cet État, formé de morceaux disparates, règne la dynastie des Rodolphiens, singuliers princes, aussi pauvres de pouvoir que d'argent. C'est à peine s'ils ont une capitale : le siège de leur royauté se déplace constamment de Bâle à Vienne, d'Aix-les-Bains à Saint-Maurice en Valais. Ils ne portent même pas un nom bien arrêté ; leurs sujets les appellent tantôt rois de Bourgogne, tantôt rois du Jura, des Germains, de Provence, ou des Gaules. Leur autorité politique est annulée par le développement d'une féodalité puissante : les Guilhem en Provence, les Otton-Guillaume en Franche-Comté, les Guigue en Dauphiné, les Humbert en Savoie, sans parler des archevêques de Lyon, de Vienne, de Besançon, des évêques de Bâle, de Grenoble, de Viviers, seigneurs temporels de leurs diocèses. Le dernier titulaire de cette royauté nominale, Rodolphe III (993-1032), à qui la Féodalité a presque tout enlevé, gaspillera bientôt le peu qui lui reste. Il donnera ses alleux aux monastères, ses droits régaliens aux seigneurs ecclésiastiques, et, comme les héritiers directs lui manquent, il en arrivera à donner aussi sa couronne. En 1032, son testament achèvera de transformer le royaume bourguignon en dépendance régulière de l'empire germanique. L'Allemagne désormais touchera la France sur toute la longueur de sa frontière de l'Ouest. A l'intérieur du royaume français, une révolution dynastique venait de s'accomplir (987). Elle n'a point inauguré, à proprement parler, une ère nouvelle. L'autorité royale était depuis longtemps ruinée ; l'Église et la Féodalité, toutes-puissantes. Hugue Capet, choisi et couronné par un archevêque de Reims, n'était qu'un baron, investi du titre de roi et de la prérogative royale, mais incapable d'en jouir effectivement ailleurs que sur son domaine propre. C'était le régime des seigneuries souveraines, prélatures et baronnies, qui se consolidait pour longtemps. Le travail qui, depuis plusieurs siècles, s'accomplissait dans les profondeurs, achevait de changer l'état social et économique du pays. Les hommes ont fini par se répartir en catégories devenues à peu près fixes. Au sommet, les nobles, possesseurs héréditaires des grands domaines, aptes à la chevalerie, pourvus d'importants privilèges, jouissant d'un droit privé qui leur est propre. A côté d'eux, les clercs et les moines, usufruitiers des terres qui appartiennent aux églises et aux saints, aristocratie très attachée à ses biens et à son pouvoir, mais ouverte et mobile, puisqu'elle peut se recruter dans toutes les couches sociales. En bas, la population, presque entièrement serve, des campagnes et des villes, assujettie durement à la Noblesse et au Clergé, chargée de subvenir, par son travail, aux besoins matériels des classes d'en haut. Les terres sont inégales entre elles, comme les hommes Il est des terres d'essence supérieure qui participent au caractère noble, l'alleu, le bénéfice, le fief. Les autres apparaissent subordonnées et grevées de charges plus ou moins lourdes, selon qu'elles sont serviles ou libres, mais de cette liberté relative et précaire qui garantit mal de l'oppression. Le triomphe de l'élément aristocratique, préparé depuis l'époque mérovingienne, est éclatant. Le système féodal, issu du patronage public et privé, a tout englobé, tout pénétré et menace de tout conquérir. L'Église elle-même, envahie par les nobles, n'a pu échapper à l'influence de ce régime ; une partie de ses membres en a revêtu les formes et pris les habitudes. L'étude du monde seigneurial s'impose donc tout d'abord à notre attention. Sur le territoire français s'étend une étrange mosaïque de fiefs, affectant toutes les dimensions et toutes les formes, depuis le duché, qui comprend parfois une douzaine de nos départements, jusqu'à la châtellenie, égale à peine à l'un de nos cantons, jusqu'au simple domaine qui suffit tout juste à entretenir un chevalier. Faire le compte de ces souverainetés parcellaires et les fixer sur une carte politique serait un labeur ingrat, même impossible : car cette agglomération de fiefs inégaux subissait des transformations continuelles et des vicissitudes sans nombre. On ne voit partout que vassaux changeant de suzerains, seigneurs concédant de nouvelles terres à leurs compagnons d'armes, alleux plus ou moins libres et bénéfices viagers devenant fiefs héréditaires, seigneuries divisées par les successions ou démembrées par les ventes. Le terrain féodal est un sol mouvant dont la physionomie varie sans cesse. Et pourtant les fiefs les plus vastes, ceux qui forment les dominations politiques, apparaissent comme autant d'éléments d'ordre en plein chaos. On distingue, en effet, dans cette confusion, plusieurs assises de seigneuries, étagées suivant leur grandeur réelle ou leur dignité sociale. Au degré supérieur apparaissent les ducs et les comtes de qui relève toute une province, chefs des grands États féodaux, rivaux du Roi, puisqu'ils partagent avec lui les pouvoirs régaliens et jusqu'au droit de choisir les évêques. Les uns, tels que le comte de Bretagne et le duc de Gascogne, sont des chefs de « nations » encore plus que des feudataires. Les autres, ducs de Bourgogne, d'Aquitaine, de Normandie, comtes de Flandre, de Blois, d'Anjou, de Toulouse et de Barcelone, sont d'anciens fonctionnaires carolingiens à qui la Royauté a beaucoup donné et qui ont pris le reste, ou des aventuriers heureux que l'adresse et la force ont rendu maîtres d'un groupe de comtés. Conquérants ou bénéficiaires légaux, peu importe : tous ont fait souche de dynasties, royautés de fait, dont nous essaierons, plus bas, de résumer la destinée et de marquer le rôle historique. Au second degré, une vingtaine de fiefs, de moyenne grandeur, obéissent à des dynasties moins en vue. La plupart ont été fondées par des « comtes, » délégués du roi Carolingien, qui se sont approprié leur délégation et le territoire sur lequel elle s'exerçait ; les autres, par des soldats de fortune, que l'épée rendit propriétaires et souverains. Dans la plaine du Nord, les comtes de Ponthieu, de Vermandois, de Champagne et le seigneur de Couci se sont partagé les débris de l'État de Vermandois, si puissant au temps de Charles le Simple. Dans la vallée de la Loire, les hauts plateaux du Centre et les Pyrénées occidentales, les comtes de Nevers, d'Auvergne, de Périgord et d'Angoulême, le seigneur de Bourbon, les vicomtes de Limoges, de Turenne et de Béarn doivent leur indépendance réelle à la situation géographique de leur fief, à leur éloignement du Roi et surtout à l'immensité de ce duché d'Aquitaine, où il est difficile que le suzerain soit le maitre effectif de ses vassaux. Dans le Midi, des raisons analogues expliquent la haute fortune des comtes de Rodez, de Foix, de Comminges, d'Armagnac, de Bigorre, des vicomtes d'Albi, de Carcassonne et de Nîmes, protégés par leurs forteresses, leurs montagnes, et, mieux encore, par l'impuissance du comte de Toulouse, roi virtuel du Languedoc, comme le Capétien l'est de la France entière. A la base se pressent les seigneuries les moins étendues et les plus nombreuses, celles où commandent les châtelains, les vicomtes, les avoués, les voyers, anciens subordonnés des comtes carolingiens, que l'usurpation des droits de justice et d'hérédité ont rendus presque indépendants. Retranchés dans ces tours innombrables que la crainte des invasions normandes avait fait partout surgir de terre, ils vivent de pillage et de vol, aux dépens du paysan qu'ils pressurent, du moine qu'ils dépouillent, du comte et de l'évêque qu'ils narguent impunément. Pendant deux siècles, les hauts barons et les rois s'épuiseront à réprimer leurs brigandages, plaie inguérissable du monde féodal. Aux seigneurs laïques s'entremêlent enfin les barons d'Église, possesseurs de terres et de revenus accumulés par la piété des fidèles : la foule des évêques, et les puissants archevêques de Reims, de Sens, de Rouen, de Lyon, de Tours, de Bourges, de Bordeaux, d'Auch et de Narbonne. Quelques-uns de ces prélats sont investis en même temps du pouvoir civil, souverains à double visage, armés de l'épée et de la crosse. Tels, les archevêques ou évêques-comtes de Reims, de Laon, de Beauvais, de Châlons, de Langres, du Pui, de Mende, etc. Ces domaines ecclésiastiques devaient leur existence aux bienfaits des rois et aux usurpations graduelles des évêques. Favorisés par le prestige de l'Église, par la complicité des populations, ceux-ci ont étendu, aux dépens de la Royauté, leurs privilèges d'immunité et enlevé peu à peu aux comtes tous leurs pouvoirs, de manière à demeurer seuls maîtres dans les cités. La féodalité d'Église domine donc surtout les grandes villes. Elle y bat monnaie, juge en souveraine, et, par ses réquisitions ou ses taxes, bénéficie de l'activité du marchand comme du travail de l'ouvrier. II. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU RÉGIME FÉODAL[2]. DÈS la fin du XIe siècle, l'organisation de cette société seigneuriale, si complexe, se trouvait à peu près fixée. Au régime carolingien de la fidélité, établi sur la relation personnelle du senior et du vassus, du protecteur et du recommandé, s'était substitué, par une dérivation naturelle, le régime de la relation foncière, de la féodalité territoriale. Le monde féodal repose essentiellement sur la possession de la terre, sur les rapports et les obligations réciproques des possesseurs. Non pas que le vasselage d'autrefois, les engagements personnels du grand propriétaire et des hommes libres, du chef de guerre et de ses compagnons d'armes aient complètement disparu. Les liens d'homme à homme tiennent toujours une certaine place dans les rapports entre nobles : l'affection réciproque du haut baron et de ses soldats, du seigneur et des chevaliers qui se pressent à sa cour n'a pas cessé d'être l'origine d'une vassalité spéciale, toute volontaire, qui coexiste avec la vassalité obligatoire, celle du fief. Mais, de ces deux féodalités, celle-ci est devenue la règle, l'autre l'exception. Sans doute, les rapports féodaux ne sont pas encore très régulièrement déterminés. Ni le système des obligations vassaliques, ni l'édifice de la hiérarchie ne se sont établis du premier coup sous l'aspect normal que décriront les légistes du temps de saint Louis. Pour consolider le régime des fiefs, il faudra le travail de plusieurs générations d'hommes et la consécration du temps. Il n'en est pas moins vrai qu'au début de l'ère capétienne, ce régime est formé, pourvu de ses organes essentiels, orienté dans ses directions principales. Il pourra prendre des contours plus nets, gagner en étendue comme en profondeur : l'ensemble de sa physionomie ne changera pas. Le premier caractère de la société nouvelle est l'extrême affaiblissement de l'organe central. La souveraineté est morcelée ; les pouvoirs publics dispersés. Chaque seigneur exerce dans son fief l'autorité suprême, rend la justice, perçoit l'impôt, lève les soldats. L'État s'est rapetissé, renfermé dans les limites du fief. Les hommes de la seigneurie sont : les uns vassaux, les autres sujets, les uns nobles, les autres roturiers ; mais tous n'obéissent plus qu'au pouvoir local. Légalement, ils ne peuvent porter leurs regards plus haut que la seigneurie ni plus loin. A peine connaissent-ils de nom le roi qui règne à Paris, et si leur seigneur a des rapports (parfois seulement très indirects) avec ce souverain éloigné, eux, à coup sûr, n'en ont aucun. Le principe de la transmission héréditaire du fief a définitivement triomphé. Le seigneur possède le droit de léguer sa terre à ses descendants. Cependant on ne peut dire qu'il en ait acquis la pleine et entière propriété. Sa capacité de propriétaire est limitée par les devoirs et par les services du vasselage, autant que par certaines prérogatives laissées au suzerain. Le détenteur du fief n'en jouit que conditionnellement. Ce caractère précaire de la tenure noble, encore très visible au XIe siècle, est un des traits originaux du système. II s'atténuera avec le temps, à mesure que se fixera et s'enracinera le régime nouveau : mais le Moyen âge ne le verra jamais disparaître d'une manière absolue. Chaque seigneur est assujetti à un seigneur supérieur ou suzerain, de qui il a reçu sa terre et les pouvoirs attachés à la propriété territoriale. Le vassal est tenu de reconnaître sa dépendance par la cérémonie essentielle de la prestation d'hommage et du serment de fidélité. Il vient trouver son seigneur, se met à genoux devant lui, place ses mains jointes dans les siennes et se déclare son homme. Puis il jure, la main posée sur l'Évangile ou sur des reliques, qu'il remplira les devoirs de sa condition. En même temps, il lui remet un objet qui n'est que l'expression symbolique de la vassalité et le prix de l'investiture : une paire de gants, une lance, un éperon, une coupe, un cheval. Le suzerain reconnaît à son tour le lien qui l'attache au vassal en lui donnant le baiser de paix sur la bouche et en l'investissant de son fief. Entre eux les relations féodales sont désormais instituées ; ils se trouvent unis par des obligations réciproques et n'y peuvent manquer sans se rendre coupables du crime qui consiste à violer la foi. Ces obligations, naturellement plus lourdes pour le vassal, sont, les unes morales, les autres matérielles : elles entraînent à la fois des droits et des services. La fidélité n'exige pas seulement que le vassal ne dise et ne fasse rien qui puisse nuire au seigneur, dans sa personne, dans celle de ses proches, dans son honneur et dans ses biens ; elle l'oblige encore à se dévouer pour lui, à lui sacrifier jusqu'à sa liberté. A titre de garant et d'otage, il est pécuniairement et personnellement responsable des engagements contractés par son suzerain. Il ne s'appartient donc qu'à moitié, et moins encore, si le seigneur use avec rigueur des pouvoirs qui lui sont conférés par son droit. En temps de guerre le service de ost et de la chevauchée le tient, pendant un nombre de jours déterminé, sous la bannière seigneuriale. Son château même n'est pas pleinement à lui ; le suzerain peut lui en demander les clefs et y mettre garnison. De plus, il faut qu'il garde le château du seigneur et y fasse estage une fois par an. En temps de paix il doit venir à la réquisition du suzerain, juger ou conseiller dans sa cour, c'est-à-dire assister avec ses pairs aux débats judiciaires, sous la présidence du seigneur ou de son officier, ou même simplement l'entourer, lors des grandes cérémonies de l'Église, dans tous les événements graves de sa vie et de celle de sa famille. Au concours militaire s'ajoute l'aide pécuniaire, légalement exigible dans les cas prévus et fixés par la coulasse. N'allons pas croire que le service financier soit particuliers la tenure du vilain et ne pèse pas sur celle du noble. Le vassal paye au suzerain le droit de recueillir le fief par succession, surtout s'il s'agit d'une succession collatérale ; il paye le droit de l'aliéner, le droit d'affranchir ses serfs et le droit d'amortir, c'est-à-dire de donner une terre à l'Église. Il est encore passible d'une contribution, l'aide féodale, toutes les fois que le seigneur fait une dépense extraordinaire. Enfin il supporte la lourde charge du gite et de la procuration : il reçoit et défraye le seigneur et sa suite, comme le font aussi les moines et les paysans, c'est-à-dire les sujets de la seigneurie. Quand le vassal a rempli son devoir et s'est acquitté de ses services, peut-il disposer, en pleine indépendance, de sa personne et de son fief ? Pas encore : l'autorité du suzerain, toujours présente, se fait sentir jusque dans le domaine de la vie privée. Selon la rigueur du droit, le feudataire ne doit pas s'absenter du fief, voyager, entreprendre un lointain pèlerinage, se marier, marier son fils et surtout sa fille, sans la permission de son seigneur. S'il meurt, et qu'il laisse sa terre à un mineur, le suzerain intervient légalement pour y exercer le droit de garde ou de bail. Le suzerain devient le maitre temporaire, mais absolu, du fief, jusqu'à l'époque de la majorité de l'héritier ou du mariage de l'héritière. II est même d'autres circonstances, telles que la déshérence et la confiscation, qui permettent au seigneur d'entrer définitivement en possession de la terre vassale. Le vasselage n'est pas seulement l'exploitation limitée du feudataire par le suzerain ; il semble que le premier ne soit, en réalité, que le détenteur du fief, et que le second en ait la haute et véritable propriété. A son tour, le suzerain remplit des devoirs envers le vassal. Il lui est défendu de léser son feudataire, d'immédiatiser ses hommes, c'est-à-dire de se faire leur seigneur direct, de construire des forteresses sur le fief du vassal, d'augmenter, sans son avis, les redevances fixées par la coutume ou le contrat. Il doit rendre justice exacte au vassal et le protéger contre ses ennemis. Si l'infidélité du vassal entraîne après elle la confiscation du fief, la déloyauté du suzerain est punie par le refus d'hommage et la rupture du lien féodal. Mais combien les situations sont inégales, et quelle supériorité la loi des fiefs ne donne-t-elle pas au seigneur dominant sur le seigneur assujetti ! Les devoirs du suzerain sont surtout négatifs et, à coup sûr, moins onéreux. Ce qui rétablit un peu l'équilibre, c'est que le suzerain est vesse , lui aussi, d'un baron plus élevé en dignité. Il est vrai que les obligations deviennent moins lourdes et moins complexes à mesure que le feudataire occupe une place plus haute dans la hiérarchie. La hiérarchie met de l'ordre dans l'ensemble de cet édifice féodal où le vasselage sert de lien entre les parties. Au lieu d'être également subordonnés à une autorité suprême et unique, les pouvoirs locaux dépendent les uns des autres : ils sont disposés par étages. Les diverses seigneuries ont leur place marquée et fixe sur l'échelle ; elles ne peuvent empiéter les unes sur les autres. Le haut baron n'a point à intervenir dans le domaine du seigneur inférieur : il lui est surtout interdit d'attirer à lui les hommes de ce dernier pour en faire ses sujets immédiats. Il ne faut pas que les situations territoriales soient modifiées ; que le nombre des degrés hiérarchiques subisse augmentation ou diminution. Chaque seigneur se tient à son rang, n'ayant de pouvoir légal que sur ses propres subordonnés. Suivant la logique du régime, toute seigneurie ne peut entrer en rapports qu'avec la domination immédiatement supérieure ou inférieure. Le contact entre haut baron et arrière-vassal n'est autorisé que par exception, ou si le seigneur intermédiaire cesse de remplir les devoirs que la coutume et sa situation lui imposent. A ne considérer que l'extérieur de ce monde féodal, ou tout semble si rigoureusement prévu et ordonné par le droit, on est tenté d'y trouver un ensemble d'institutions capables de remplacer l'État anéanti. Un tel régime, fondé sur la sainteté du serment et le respect de la foi, ne manque pas de bases morales. D'autre part il favorise évidemment, plus que tout autre, le jeu des forces et de la liberté individuelles. On commet, il est vrai, une grave erreur en supposant que les relations féodales reposent uniquement sur le contrat de fief : c'est oublier qu'elles ont eu fréquemment pour origine l'exercice prolongé d'un pouvoir de fait, l'usurpation violente et la conquête brutale ; mais on ne peut nier qu'elles ne dérivent, en certains cas, d'un accord librement établi entre le protecteur et le protégé. L'hommage, étant exigible à chaque changement de suzerain et de vassal, suppose toujours, en principe, le consentement des parties. La fixité des obligations, la nécessité où se trouve le suzerain d'obtenir l'assentiment du vassal pour les modifier si peu que ce soit, enfin et surtout le principe de la justice rendue par les pairs, c'est-à-dire par les égaux du vassal, sont autant de garanties précieuses pour l'indépendance et la sécurité de l'individu. Mais qui veut apprécier le régime féodal à sa juste mesure, doit aller au fond des choses et opposer la réalité des faits à la théorie et au droit. Vu de près, l'édifice élevé par la Féodalité apparaît mal cimenté, et dans un équilibre imparfait. La loi établit des rapports entre suzerains et vassaux, du haut en bas de la hiérarchie ; elle a oublié d'en créer latéralement entre les pairs. Ces nobles, placés sur le même échelon, vivent étrangers les uns aux autres : ils n'ont entre eux d'autre lien que le rapprochement accidentel amené par la nécessité de remplir un devoir commun auprès du suzerain. Ici l'isolement est le fait habituel, presque la règle. Mais le lien vassalique lui-même est-il solide ? Non seulement le feudataire peut l'affaiblir jusqu'à l'annuler, par la seule force d'inertie, en restant chez lui, en s'abstenant de paraître à la cour du seigneur, mais encore la loi lui offre mille facilités ou mille prétextes pour le rompre. La relation féodale ne s'établit au début que parce qu'il consent à l'hommage : quand elle lui pèse, il peut s'y soustraire, en alléguant la déloyauté de son suzerain, ou même, sans motif légitime, s'il déclare renoncer au fief. Dans certains cas prévus, le suzerain, à son tour, est en droit de dénoncer le contrat et de dissoudre l'association. L'organisation judiciaire de la Féodalité, si propre qu'elle soit à sauvegarder les droits de l'individu, aboutit pratiquement aux conséquences les plus fâcheuses. Cette justice rendue par les pairs n'a pas de sanction ; elle résout les difficultés, le plus souvent, par le combat judiciaire, et, procédé pire encore, par la guerre privée. Aussi a-t-on pu dire, sans excéder la vérité, que le régime féodal laissait l'individu isolé plus encore qu'il ne le faisait libre. La loi de hiérarchie n'est pas plus que la loi de vasselage une garantie réelle de paix et d'union. L'instabilité des mouvances, l'usage de prendre plusieurs suzerains, l'intercalation de seigneuries nouvelles, les tentatives d'immédiatisation sous toutes formes, altèrent, dès le XIe siècle, les situations établies et tendent à dénaturer le système entier. La combinaison qui devait introduire l'harmonie et l'ordre dans le chaos des seigneuries produit au contraire, trop fréquemment, l'enchevêtrement des dominations et la confusion des pouvoirs. La guerre naît de la hiérarchie comme de la vassalité. La réalité vivante, telle qu'elle ressort des chroniques et des documents d'archives, nous montre la force matérielle dominant tout. Les obligations féodales ne sont remplies, les contrats de fiefs respectés, les coutumes observées, que lorsque le suzerain est assez puissant pour imposer l'obéissance. Le lien de vassalité est d'autant plus faible qu'on s'élève dans la hiérarchie. Mais, en bas comme en haut, on le voit sans cesse rompu, et la foi constamment violée, soit par le vassal, soit par le seigneur. Les habitudes invétérées d'une race militaire, la haine instinctive du voisin, le choc des droits mal définis et des intérêts mal équilibrés, aboutissent à des luttes perpétuelles. Il n'est pas de feudataire qui ne soit aux prises avec ses différents suzerains, avec les évêques et les abbés de la région, avec ses pairs, avec ses vassaux. La guerre ne sévit pas seulement entre possesseurs de fiefs : elle est au sein de toutes les familles. Les querelles d'héritage entre parents s'ajoutent aux autres, non moins écharnées. Ce n'est donc pas calomnier la Féodalité que d'y constater l'anarchie en permanence, le désaccord profond du droit et du fait. Elle avait eu sa raison d'être et son heure d'utilité, au e siècle, lorsque l'effondrement du pouvoir gouvernemental et l'invasion des Normands contraignirent les populations à accepter, comme un bienfait, le patronage des pouvoirs locaux. Mais jamais régime ne passa plus vite de la légitimité à l'excès. S'il a été bienfaisant, à un moment donné, au début, ce moment a dû être très fugitif, et les documents historiques tout au moins en ont apporté peu de témoignages. Des admirateurs du Moyen âge ont prétendu que la France connut réellement une époque où le château du seigneur servait principalement de refuge aux bourgeois et aux paysans menacés par l'ennemi du dehors, où le seigneur, à l'ombre de sa forteresse, ne songeait qu'à procurer à ses protégés la sécurité de la vie matérielle et la facilité des transactions et du travail, ouvrant des marchés, fournissant le pressoir, le four, le moulin, fixant la date des récoltes et les conditions de la vente dans l'intérêt exclusif des habitants de la seigneurie, pour leur éviter la famine ; ne levant des impôts que pour assurer la défense publique et l'entretien des ponts et des routes, créant même des églises ou des abbayes pour donner au groupe d'hommes placé sous sa tutelle les moyens de satisfaire leurs besoins moraux et religieux. Cet âge d'or de la Féodalité, s'il a existé pleinement quelque part, n'était déjà plus qu'un idéal quand le régime apparaît consolidé à la chute du dernier Carolingien. Les châtelains, les vicomtes, les avoués, c'est-à-dire la petite féodalité, la plus nombreuse, celle qui était en contact direct avec le peuple, sont moins occupés à organiser qu'à détruire, moins soucieux de gouverner que de rançonner, d'exploiter et de piller. Au lieu de protéger, ils oppriment. Le patronage seigneurial semble avoir eu, pour conséquences immédiates, avec l'asservissement des protégés, la mise en pratique d'une fiscalité intolérable, où tous les services d'intérêt commun, même la justice, devenus le patrimoine privé d'une famille noble, ne sont plus que des instruments d'extorsion. Ces féodaux qu'on nous présente créant toutes les institutions économiques du Moyen âge, les ont trouvées établies et peut-être même en fonction depuis un temps immémorial. Ils les ont simplement confisquées et monopolisées à leur profit. Ce n'est pas seulement l'ordre et la justice qui manquent au régime féodal, c'est aussi la liberté, car la liberté n'y existe pas pour le plus grand nombre : elle est le privilège des nobles, qui en usent surtout pour se battre entre eux. Nous savons trop à quel point les hommes du Moyen âge ont souffert de la féodalité, pour croire qu'une fatalité historique soit toujours profitable à un peuple, par la seule raison qu'elle existe et qu'il la subit. III. — LE CHÂTEAU ET SES HABITANTS[3]. ÉPOQUE d'isolement et de guerre, l'âge féodal se symbolise exactement dans le château. Après avoir servi pendant quelque temps de refuge au paysan menacé, la forteresse du seigneur, presque toujours placée dans un site d'accès difficile, offrit un repaire au brigandage. D'abord utile aux populations voisines, elle en est vite devenue le fléau. Peu à peu, cet instrument de défense et d'attaque a pris sa place régulière dans la société. On en a fait le centre d'un ressort politique qui s'étend sur le canton d'alentour, l'unité de circonscription seigneuriale. Ce sont les milliers de châtelains, retranchés sur tous les points du sol de France, qui constituent le gros de l'armée féodale. Ce sont leurs abus de pouvoir, leurs exactions, leurs pillages, qui ont rendu le régime odieux. Le rôle du château, au Moyen âge, est d'une telle importance que la coutume universellement acceptée, en réglant les rapports du vassal et du suzerain, a pris soin de ne pas laisser au premier l'entière disposition de ses forteresses. Le suzerain a le droit de se faire livrer tous les châteaux compris dans son ressort, et de les occuper militairement pendant une période fixée par l'usage local. Le vassal ne peut, sans son consentement, en bâtir de nouveaux ni augmenter les fortifications de ceux qui sont déjà construits. Il n'est pas permis aux seigneurs d'élever un château sur la partie de leur territoire attenant à la seigneurie limitrophe, c'est-à-dire en pays de marche (zone frontière), parce qu'il serait une menace et un danger permanent pour le voisin. Ceux des hauts barons qui sont tout-puissants dans leur État, défendent même parfois à leurs vassaux (comme le fit Guillaume le Bâtard, duc de Normandie) de flanquer de tours leurs remparts et d'édifier leurs donjons dans une lie ou sur un rocher. Au début du XIe siècle, le château n'avait point l'aspect imposant qu'offrirent plus tard les gigantesques constructions en pierre derrière lesquelles les nobles du temps de Philippe Auguste et de saint Louis se croyaient inexpugnables. A l'entrée des vallées, au confluent des rivières, au croisement des routes, sur une hauteur naturelle ou sur un monticule de terres rapportées qu'ont entassées les corvéables, s'élève un édifice de forme carrée ou rectangulaire, à plusieurs étages, tout en planches et en charpentes. Au-dessous, dans l'épaisseur de la motte, des caves et un puits : plus bas, à la racine du monticule, un fossé plein d'eau. Voilà le donjon du premier âge, type embryonnaire de tous les manoirs féodaux. L'approche en est défendue par une enceinte extérieure, composée d'un second fossé plus large et plus profond que le premier. Derrière ce fossé court une palissade circulaire, faite de fortes planches solidement liées entre elles et soutenues, de distance en distance, par quelques tours en bois. L'unique porte du donjon communique avec le dehors par un pont incliné, reposant sur des chevalets ou piliers accouplés, assez mobile pour être facilement enlevé en cas de danger, assez solide pour supporter le poids des hommes et des chevaux. Ce système de défense, rudimentaire jusqu'à la naïveté, offrait ce grave inconvénient d'être une proie toute prête pour le feu. Les châtelains pensaient conjurer ce péril en couvrant la plate-forme de leur donjon d'une couche de peaux de bêtes fraîchement écorchées. Tels étaient les châteaux primitifs de la Normandie et de l'Île-de-France, ceux que représente l'artiste anonyme qui a déroulé les exploits des Normands sur la célèbre broderie de Bayeux. Le souvenir en vit encore dans les noms si communs de la Motte, la Ferté, la Haye, le Plessis. Un chef de seigneurie un peu énergique pouvait alors brûler et raser facilement les donjons des vassaux rebelles. Guillaume le Conquérant et Louis le Gros, bons policiers, excellèrent dans cette besogne. Mais les châteaux de bois étant aussi aisément rebâtis que détruits, il fallait sans cesse recommencer. On en voyait ailleurs de plus solides. Dans certains pays de montagnes, le château apparaît perché sur des hauteurs abruptes, défendu par les bords escarpés d'un ravin ou d'un torrent. Une épaisse muraille de pierres, en forme de carré, de rectangle ou de trapèze, bâtie en appareil d'arêtes de poisson, occupe tout un sommet, et enferme parfois dans son enceinte plusieurs hectares. C'est moins un château qu'un petit camp retranché, à ciel ouvert, où la garnison n'a, pour se protéger des intempéries, que des cabanes de planches ou de branchages dressées dans l'intérieur du quadrilatère. Tel est ce vieux château de Montmaur, dont on voit encore les murs sur une montagne des Hautes-Alpes, avec son large fossé creusé sur trois côtés, et sa porte unique, en plein cintre, ouverte sur la pente la moins accessible, à une altitude de 1.300 mètres. Dans les régions de plaines, par exemple, celles de l'Anjou et du Poitou, les forteresses, plus restreintes, ont une position moins formidable. Ce sont des tours massives, carrées ou rectangulaires, appuyées d'épais contreforts, percées de fenêtres rares et étroites, communiquant avec le dehors par une seule porte, qui est souvent placée au premier étage. Pour y accéder, il faut une échelle mobile ou un pont volant. Au sommet, point de créneaux, ni de mâchicoulis. A l'intérieur, trois ou quatre étages, mais sans voûtes, séparés par de simples planchers. On monte d'une salle à l'autre par un petit escalier pratiqué dans un angle de la muraille, ou même, système plus primitif, la communication se fait par une trappe. Le plus ancien donjon de cette espèce est peut-être celui de Langeais (Indre-et-Loire), énorme rectangle flanqué de contreforts massifs, bâti, dit-on, par Foulque Nerra, et dont les ruines dominent encore le parc du compère de Louis XI, Jean Bourré. Tels se présentent à nos yeux le formidable donjon de Loches, avec ses deux masses rectangulaires accouplées, dont la plus importante mesure 40 mètres de hauteur et 25 mètres de large sur 15 ; la Tour de César, de forme barlongue, à Beaugenci ; les forteresses carrées de Chauvigni (Vienne), de Moncontour (Vienne) et de Montbazon (Indre-et-Loire) ; les donjons rectangulaires de Montrichard (Loir-et-Cher), de Domfront (Orne) et de Falaise (Calvados). Ce dernier, avec ses murs épais de quatre mètres et les contreforts puissants qui les protègent, élevé au sommet d'un promontoire de roches amoncelées, donne l'idée la plus effrayante de ces repaires féodaux du ne siècle et du commencement du XIIe. Ils se défendaient d'eux-mêmes, par leur propre masse, par l'épaisseur de leurs murailles, par la difficulté que l'ennemi éprouvait à les atteindre. La race d'hommes qui les habite, vigoureuse et fortement trempée, ne s'y enferme pas longtemps pendant le jour. Elle passe sa vie au grand air, à chevaucher sur les routes ou dans les forêts voisines. L'éducation du jeune noble, dirigée presque tout entière vers le développement physique, tend à faire de lui un soldat agile et résistant. On a sans doute exagéré l'ignorance de nos barons du Moyen âge : tous n'étaient pas des soudards illettrés ; certains d'entre eux, à toutes les époques, surent lire et écrire, et reçurent même de leurs pédagogues les premiers éléments du latin, de l'histoire, des sciences rudimentaires qu'on enseignait dans les écoles. Mais la majorité des enfants nobles reste étrangère aux exercices de l'esprit. Ce qu'ils apprennent surtout et, dès leurs plus tendres années, avec passion, c'est l'équitation, l'escrime, l'art de se servir des meutes et des volières. A peine ont-ils l'âge de raison qu'ils savent monter à cheval et courre le cerf et le sanglier avec leurs parents. A douze ans, beaucoup partent du manoir paternel pour être nourris à la cour du suzerain ou d'un baron illustre, qu'ils servent à titre de damoiseau, de valet ou d'écuyer. Il leur faut porter l'écu du seigneur, l'armer pour la bataille ou le tournoi, le déshabiller après le combat, entretenir ses armes, soigner ses chevaux, le servir à table et galoper pour ses commissions. Rude métier, mais tout le monde y passe, car c'est l'apprentissage de la chevalerie. Nous parlerons ailleurs de ce baptême de l'homme de guerre. Aussitôt qu'il a ceint le baudrier et manié l'épée de chevalier, le jeune homme est un noble parfait. Il se marie, devient châtelain à son tour, et mène cette existence féodale que nous dépeignent, en traits si vifs, les chroniques et les chansons de gestes. La guerre, sa principale occupation, chôme rarement. Le printemps venu, il part en campagne, suivi de ses hommes d'armes, l'épée, avec son pommeau-reliquaire, au côté, et en main, sa longue lance en bois de frêne, au haut de laquelle flotte le gonfanon multicolore à trois langues. De la gauche il tient son écu, bouclier oblong, tout en bois et en cuir, traversé de bandes de métal doré et peint de fleurs et d'animaux. Comme armure, une tunique en mailles d'acier, le haubert, des chausses de mailles et le heaume, »un casque d'acier en forme d'œuf, qui, lacé au capuchon de mailles, ne laisse à découvert que les yeux. La guerre est aussi peu longue qu'elle est-fréquente et la stratégie des plus simples. Pas de grandes batailles, beaucoup d'escarmouches et de duels corps à corps au milieu de la mêlée confuse. Dans les rares moments d'accalmie, quand la guerre sérieuse, par hasard, n'existe pas, le noble tâche de s'en donner l'illusion en combattant dans les tournois. Au Moyen âge, les tournois ne ressemblent guère à ces carrousels du XVe siècle où les seigneurs, rivalisant de luxe et d'élégance en même temps que de vigueur et de savoir-faire dans le maniement des armes, luttent deux par deux, selon les règles compliquées de la courtoisie chevaleresque. Le tournoi de l'âge féodal est vraiment un diminutif de la guerre ; toute la noblesse de deux pays voisins s'y donne rendez-vous ; des troupes entières s'entrechoquent avec fureur et les morts couvrent le terrain. En temps de paix, le baron se livre à la chasse, sa passion favorite, exercice utile au corps, et véritable école de guerre. Il y trouve d'ailleurs une ressource indispensable à sa cuisine. Ces soldats, gros mangeurs, estiment peu la viande de boucherie. Ils se nourrissent surtout de venaison, servie en quartiers ou en pâtés de forte envergure. S'il faut en croire nos vieux poèmes, les repas succulents sont ceux où les morceaux de sanglier et d'ours alternent avec les rôtis de cygne et de paon, le tout arrosé de larges rasades d'un vin aromatisé au miel et aux épices. Le temps qu'il ne passe pas à la chasse ou à table, le noble l'emploie à entendre la messe quotidienne, à jouer aux dés ou aux échecs, à percer de grands coups de lance une quintaine, mannequin cloué à un poteau. Tantôt il s'amuse à faire battre les animaux sauvages enfermés dans ses fosses ; tantôt il écoute la musique et les farces grossières des jongleurs de passage, la plus intellectuelle de ses distractions. Le dimanche et les jours de grandes fêtes, il remplit son devoir féodal. Entouré de ses fidèles et de ses vassaux, il préside sa cour de justice ou résout, avec les chevaliers et les prud'hommes, les questions qui intéressent le fief tout entier. Mœurs primitives, état d'esprit peu compliqué. Par la violence et la mobilité des passions, l'absence d'idées générales, l'irréflexion, l'explosion des convoitises, les brusques revirements du sentiment et de la pensée, le noble de ce temps tient de l'enfant et du sauvage. Avant tout, il admire la force physique, aime à vanter la sienne et se représente volontiers ses héros comme des géants d'une brutalité puissante. Au moral, il a les vices et les vertus du barbare : l'amour du jeu, du vin, des femmes, la colère à fleur de peau, la cruauté unie à la ruse, mais aussi la bravoure que rien n'effraie, l'enthousiasme naïf, et la largesse qui prodigue aux amis l'or, les riches vêtements, les repas somptueux. Il est charitable, autant par ostentation que par humanité, et surtout parce que l'aumône est œuvre pie, utile au salut des âmes. Le baron qui a le souci de sa réputation et du ciel nourrit les pauvres par centaines, mais les traite un peu comme les chiens de chasse auxquels il jette les restes de sa table. Profondément dédaigneux, d'ailleurs, de tout ce qui n'est pas noblesse et métier militaire, il pousse à un degré inimaginable le préjugé de caste et le mépris du vilain. Ces âmes simples ne sont animées que d'un ressort puissant, le sentiment religieux. Il est fait de foi vive, de terreurs enfantines et de superstition grossière. La croyance ardente, entière, incapable de raisonnement et de compromis, nourrit, chez elles, la haine de l'hérétique, du juif, du païen : elle inspirera plus tard l'enthousiasme de la croisade. Des esprits aussi bornés s'intéressent peu au dogme et aux subtilités théologiques. Pour eux, la partie élevée et philosophique de la religion est lettre close, tout se réduit au culte, et le culte, à cette époque, apparait presque entièrement limité aux pratiques extérieures et matérielles : l'assiduité aux offices, l'aumône, l'abstinence, les visites aux tombeaux des saints, la vénération des reliques, la donation aux églises. Ils ont la conviction que les plus graves infractions à la loi morale sont rachetables par les bonnes œuvres ; de là, ces alternatives étonnantes de dérèglements et de pratiques pieuses, la succession des crimes et des pénitences, l'alliance ordinaire du vice et de la dévotion. Le régime féodal semble avoir rapetissé l'horizon des âmes autant que celui de la politique. Les puissances supérieures et purement spirituelles du christianisme : Dieu, le Fils, l'Esprit saint, reléguées au dernier plan, reculent dans un éloignement nuageux, où leurs contours deviennent indécis et se perdent. La dévotion du Moyen âge s'adresse surtout aux puissances intermédiaires entre la Divinité et l'homme, considérées comme plus accessibles, les anges, la Vierge, les saints, dont elle implore et achète le secours. Elle n'admet pas moins fermement l'action continue, en ce monde, du principe contraire, du diable, toujours prêt à tenter les hommes et à leur faire partager l'éternelle réprobation. La religion, abaissée, matérialisée, se féodalise en devenant locale. Beaucoup de châtelains se contentent, pour leurs prières et leurs aumônes, du monastère voisin de leur donjon et des reliques qu'on y conserve. Là ils font leurs actes de piété, rachètent les forfaits commis, vouent au Seigneur leurs fils et leurs filles, revêtent l'habit monastique en cas de maladie grave ; là ils veulent être ensevelis et dormir le dernier sommeil. Tout le divin, pour eux, est concentré dans cette abbaye, dont le saint patron est exclusivement occupé à intercéder en leur faveur. Souverains sur leur coin de terre, il faut qu'ils aient tout sous la main, même la religion ; un moûtier trop éloigné ou qui ne leur appartient pas en propre leur déplaît ; leur idéal est d'en fonder un qui soit leur chose et d'avoir des moines bien à eux, dans l'enceinte même de leur château. Les hauts barons, moins enfermés chez eux et plus riches, visitent les sanctuaires les plus renommés de la France et de l'étranger. Au fond, ils entendent la religion de la même façon que les plus pauvres chevaliers. Petits et grands, coulés dans le même moule, ont foi entière dans les miracles, croient aux revenants, aux apparitions, aux prophéties, redoutent les sortilèges, le diable, et ont une peur effroyable de la damnation. Dans ce milieu de soudards superstitieux et brutaux, la femme commence à tenir une place qui, jusqu'ici, lui avait été refusée. Le régime féodal lui reconnaît le droit de succéder au fief et de posséder les seigneuries. Héritant de la terre et du pouvoir, elle sort de l'état de demi-domesticité où la confinait encore la société carolingienne. Pour l'émanciper, le christianisme luttait péniblement contre les mœurs : la Féodalité fit faire à la femme un pas décisif. Abbesse ou dignitaire d'abbaye, elle est jugée apte à gouverner les âmes. Plus tard, le développement des idées chevaleresques et du culte rendu à la Vierge l'élèveront à une condition supérieure. Mais ce progrès de la destinée féminine, si étroitement lié à celui de la culture générale, est à peine sensible dans l'âge primitif de la Féodalité. L'existence menée par les nobles n'a pas eu les conséquences importantes que beaucoup d'historiens se plaisent à signaler. Il est permis de ne pas croire sans réserves que le château ait créé l'esprit de famille, encouragé les vertus domestiques, fait éclore les sentiments de galanterie noble et délicate, raffiné les cœurs et les esprits. La châtelaine que dépeignent, au XIe siècle, l'histoire et la poésie, est presque toujours une virago au tempérament violent, aux passions vives, rompue, dès l'enfance, à tous les exercices du corps, partageant les plaisirs et les dangers des chevaliers de son entourage. La vie féodale, fertile en surprises et en périls, exigeait, chez elle, la trempe vigoureuse de l'âme et du corps, l'allure masculine, les habitudes presque militaires. Pudeurs et délicatesses sont encore inconnues. La jeune fille noble reçoit les hôtes qui se présentent au manoir paternel, veille personnellement à leur repas, à leur coucher, à leur bain. Mariée, elle accompagne le châtelain à la chasse, le faucon au poing, car elle sait dresser l'oiseau, le lancer, le rappeler ou l'encourager par ses cris, et le succès des veneurs est souvent son ouvrage. En temps de guerre, ou lorsque le mari est en voyage, elle dirige la défense de la seigneurie. Elle ne recule pas devant les pèlerinages les plus longs et les plus dangereux. Vivant au milieu des gens de guerre, comment n'arriverait-elle pas à en contracter les habitudes et les mœurs ? L'âpreté au gain, la perfidie, la cruauté (plus raffinée encore chez la femme) sont des vices habituels aux dames nobles, capables parfois d'en remontrer aux plus rudes barons. A Ivri, la châtelaine Aubrée fait construire une tour d'une hauteur extraordinaire, qui surpasse celle de tous les donjons du pays. Elle est tellement satisfaite de son architecte qu'elle lui fait couper la tête pour l'empêcher de mettre son art au service d'autrui. Elle finit par chasser son mari de la fameuse tour, voulant y vivre seule à son gré, jusqu'au moment où celui-ci, rentrant par la brèche dans le domicile conjugal, poignarde celle qui l'en avait expulsé. Mabille, femme de Roger, comte de Montgommeri, prend son plaisir à dépouiller les nobles de sa seigneurie pour les réduire à mendier sur les grandes routes. Furieux, ils se réunissent à quatre, un jour que la comtesse se mettait au lit après avoir pris un bain, pénètrent dans sa chambre et la décapitent. Julienne, fille bâtarde du roi anglais Henri Ier, a été chargée par son mari xle défendre contre son père le château de Breteuil. Assiégée dans le donjon, elle demande à Henri une entrevue, puis, au moment où il apparaît, lui décoche sournoisement une flèche et le manque. La famine l'oblige bientôt à capituler, mais le père ne lui permet pas de sortir par le pont-levis : il exige qu'elle descende toute nue du haut de la tour la plus élevée jusqu'au fond du fossé. On était en plein hiver. La malheureuse se retira toute triste auprès de son mari. A Soissons, la comtesse Adélaïde, pour avoir la libre jouissance du comté, fait empoisonner son frère par un juif, et ordonne d'arracher la langue et les yeux à un diacre qui avait encouru sa rancune. Ces femmes terribles ne sont pas des personnages de roman ; Orderic Vital et Guibert de Nogent les ont connues ; et combien d'autres, qui leur ressemblent, pourrait-on citer ! Autant que leurs maris, elles s'entendent à pressurer le moine et le paysan. Un jour, dit l'auteur des Miracles de Saint Benoît, la femme d'Archambaud le Blanc (un petit châtelain de l'Orléanais, voisin de l'abbaye de Fleuri) parcourait la campagne en quête de profits honteux. Elle arriva sur la terre du prieuré de Pressi, avec une escorte magnifique, comme ont l'habitude de chevaucher les dames de son rang. On était en automne. La vendange était faite ; le vin, tiré du pressoir, avait été mis dans les tonneaux ; et il y en avait, cette année-là, une grande quantité. La dame ordonne au moine de lui servir un repas, et au plus vite. Le moine répondit qu'il n'avait pas mission de gaspiller les biens du domaine en festins offerts à des femmes. Il était chargé simplement de recueillir les produits de la terre pour les rendre à qui de droit, et ne voulait pas laisser créer, sur la terre du prieuré, une coutume qu'il n'avait pas trouvée établie. La dame se retira, furieuse, et ordonna aussitôt à Anségise, maire de la localité, de saisir tout le vin des moines, de le mettre sur des charrettes, et de le porter dans son cellier. L'ordre fut exécuté. Mais Anségise n'eût pas longtemps à se réjouir. Il avait un petit enfant qu'il aimait par-dessus tout. Au moment où les charrettes, chargées du vin volé, atteignaient la porte du manoir seigneurial, cet enfant fut pris d'une fièvre tellement forte qu'il faillit rendre l'âme. Alors l'homme comprenant de suite que ce malheur lui arrivait parce qu'il avait obéi aux ordres de la châtelaine, restitua le vin aux moines, reconnut avoir mal agi et supplia saint Benoît de sauver son fils. Le saint, acceptant la pénitence de ce père désespéré, l'exauça, et l'enfant recouvra la santé. Il avait fallu un miracle pour empêcher cette exploiteuse de s'approprier le bien d'autrui. L'héritière noble est une proie que les prétendants se disputent, qu'ils arrachent au père, au tuteur, même au mari. L'histoire de Sibylle de Château-Porcien en dit long sur les mœurs de cette rude époque. Pendant que son mari, Godefroi, comte de Namur, est à la guerre, un voisin, Enguerran de Couci, se présente dans la tour de Porcien où s'était retirée la comtesse, s'aperçoit qu'elle est chagrine de la longue absence de son époux et offre de le remplacer. Sibylle accepte et Enguerran s'empare du château. A son retour, le comte de Namur réclame sa femme et son domaine, qui lui sont également refusés. Il s'ensuit une guerre effroyable dans laquelle les prisonniers ont les yeux crevés et. les pieds coupés. Le seigneur de Couci, vainqueur, reste en possession de l'héritière. Il trouve même un évêque pour l'absoudre et mettre sa conscience en repos. Le seigneur se marie pour accroître son fief autant que pour se donner des fils capables de le défendre. A ses yeux, la femme représente surtout une terre et un château. On gagne à se marier souvent ; aussi un baron ne reste-il jamais veuf. Les répudiations ont lieu pour le plus léger motif : un degré de parenté plus ou moins éloignée ou imaginaire, le moindre défaut physique, une simple maladie même, sont des causes fréquentes de divorce. Les dames trois ou quatre fois répudiées abondent dans la France du XIe siècle. Il en est qui prennent elles-mêmes l'habitude de changer de mari et devancent la répudiation. Dans ces unions féodales, aussi vite contractées que défaites, quelle peut être la part du sentiment ? Le mariage n'est habituellement destiné qu'à cimenter un traité d'alliance entre deux seigneuries. Qu'il soit choisi par le père ou par le suzerain, la jeune fille reçoit passivement l'époux qu'on lui destine. On ne prend pas la peine de la consulter. Comment s'étonner que l'amour, exclu du mariage, cherche ailleurs une compensation ? Les théories immorales, qui prendront corps au XIIe et au XIIIe siècle dans les poésies des jongleurs et dans les cours d'amour, ne sont pas de simples jeux d'esprit. La théorie a suivi la pratique : mais elle s'explique bien par les faits. Il suffit de dire qu'un des admirateurs les plus fervents du Moyen Age[4] a reconnu lui-même que la féodalité eut sur le mariage une influence malheureuse. Qu'est-ce, après tout, qu'un château ? Un corps de garde : terrain peu favorable à l'éclosion des délicatesses morales et des sentiments de courtoisie fondés sur le respect dû à la femme. IV. — LES DÉPENDANCES INFÉRIEURES DU FIEF. SERFS ET PAYSANS LIBRES[5]. AUTOUR du château, des hommes de condition serve ou libre vivent du travail de leurs mains, dans les champs, les ateliers ou les boutiques. Ces misérables font partie des dépendances inférieures du fief. Ils ne comptent pas aux yeux des dominateurs de la société, si ce n'est comme matière pressurable : ils n'ont qu'une valeur économique ; ce sont des objets de rapport. La classe agricole du XIe siècle n'a pas la fixité et les habitudes sédentaires de nos campagnards d'aujourd'hui. Tous les paysans, serfs ou tenanciers libres et demi-libres, ne sont pas attachés au sol. Il en est qui se déplacent, et en grand nombre, pour aller, çà et là, faire œuvre de déboisement et de mise en culture. Cette catégorie de travailleurs qui se transportent d'une région à l'autre, proposant leurs bras au plus offrant, sont appelés les hôtes (hospites, habitatores) ou les étrangers (convenae, advenae, pulverei, albani). On donne aussi à la partie flottante de la population des campagnes le nom ancien de colorai, détourné de son sens carolingien. Les colonisateurs s'établissent, soit isolés, soit en groupes de plusieurs feux, dans les forêts ou les terres désertes. Plus défricheurs qu'agriculteurs, ces hommes aiment surtout à couper, à brûler, à pratiquer des éclaircies : une fois l'œuvre achevée, ils vont ailleurs procéder à d'autres essarts. Le travail régulier de la charrue n'est pas leur fait. Cependant, à mesure que s'avance le siècle, ces pionniers semblent devenir moins mobiles. Nombre d'entre eux se lassent eux-mêmes de la vie errante et cherchent à se fixer. Les seigneurs qui les emploient s'efforcent de les amener à s'établir et à faire souche de cultivateurs sur la terre qu'ils ont rendue féconde. Tel maitre exige que l'héritier direct de l'hôte n'abandonne pas l'œuvre commencée et entretienne le foyer de son père ; tels autres vont jusqu'à se liguer entre eux pour ne pas recevoir, sur leurs domaines, les hôtes incapables de se fixer et décrètent qu'après un an et un jour l'hôte, qui ne sera pas parti, n'aura plus le droit de s'en aller. Peu à peu, dans beaucoup de régions, le mot hospes perdant son sens primitif, désigne aussi les agriculteurs sédentaires, les manants. Partout se trouvent des hôtes qui s'assujettissent à la condition des tenanciers libres et demi-libres, ou même se laissent réduire en servage. Déjà sensible au XIe siècle, cette transformation s'accentuera au siècle suivant. La culture est encore dans l'enfance. Presque partout, le système favori du cultivateur consiste dans une alternance régulière de la céréale d'hiver, de la céréale d'été et de la mise en jachère. Nombre de pauvres paysans travaillent la terre à la bêche et à la pioche. Les vignobles sont nombreux : on en voit même dans des pays du Nord où ils n'existent plus aujourd'hui : mais on sait mal cultiver la vigne et encore plus mal préparer le vin. D'ailleurs, les vastes exploitations ne valent pas beaucoup mieux que les petites. L'infériorité des moyens agricoles fait que la grande culture ne correspond pas à la grande propriété. Le seigneur se réserve un domaine qu'il fait cultiver directement par ses corvéables, ce qui suffit à ses besoins personnels. Pour le reste, il se contente d'avoir des tenanciers censitaires qu'il rançonne tant qu'il peut, et qui le payent plus ou moins mal, en nature ou en argent. Partout, mais principalement dans les régions montagneuses et dans la plaine qui s'étend au nord de la Loire, la France du XIe siècle était couverte de forêts. La forêt joue un grand rôle dans la vie des hommes de ce temps : on y bâtit des églises, des villages, on y fait paître d'immenses troupeaux. Beaucoup de communautés rurales y jouissent de temps immémorial, ou par concession récente du seigneur, du droit d'usage pour le bois mort et même, dans certaines limites, pour le bois vif. Bien que le défrichement soit encouragé par l'Église et regardé comme œuvre sainte, on n'ose éclaircir par trop la forêt : car la féodalité tient à ses fauves, et le paysan lui-même use largement des bois qui l'entourent pour bâtir ses huttes, se chauffer et s'éclairer avec les produits résineux. Les forêts de chênes surtout sont nombreuses et respectées, parce que le gland est chose précieuse. L'élevage s'appliquant alors beaucoup moins au gros bétail qu'au petit, les troupeaux de porcs et de moutons constituent la principale richesse animale. On élève aussi beaucoup d'abeilles : la cire est un objet de première nécessité pour l'Église, et le miel tient une grande place dans l'alimentation. Le trait le plus caractéristique de cette société rurale, c'est que l'immense majorité de ceux qui la composent est soumise à la condition servile. Il est vrai que le servage comporte des nuances dont il faut tenir compte. Le serf, appelé collibert, très répandu surtout dans nos provinces de l'Ouest et sur les bords de la Loire moyenne et inférieure, échappait à quelques-unes des obligations communes aux hommes de sa classe. Les serfs du Roi et ceux des églises jouissaient de certains privilèges. En général, le serf agriculteur n'était pas aussi malheureux que le serf domestique, attaché au service personnel d'un maître, mais il n'en subissait pas moins la plus dure, la plus intolérable de toutes les sujétions. Il ne peut ni se déplacer à sa guise, ni se marier hors de la seigneurie. Il n'a pas le droit de disposer de son avoir en faveur d'une autre personne que son héritier direct, encore cette transmission est-elle taxée. Il peut être vendu, engagé, donné par son seigneur. Il est considéré comme incapable de comparaître et de témoigner en justice, au moins contre des personnes libres. Pour lui, les protections juridiques n'existent pas. Sa personne même, en cas de délit non amendé, peut être livrée à la brutalité du maître ou de ses agents. Ses enfants peuvent être partagés et dispersés entre les mains de propriétaires différents. Lisons cette charte navrante, prise entre cent autres : Nous, moines de Marmoutier, et Gautier Renaud, possédions en commun des serfs et des serves, qui étaient à partager entre nous. Donc, l'an de l'incarnation 1087, le sixième jour de juin, à l'époque de l'abbé Bernard, nous avons procédé au partage d'enfants mâles et femelles appartenant à plusieurs parents. Nous avons reçu pour notre part, parmi les enfants de Renaud de Villana, un garçon, Barthélemi, et trois filles, Hersende, Milesende, Letgarde ; et parmi les enfants de Guascelin, une fille, Aremburge, et un garçon, Gautier. Fut exceptée du partage une toute petite fille qui resta dans son berceau. Si elle vit, elle sera notre propriété commune jusqu'à conclusion d'un accord qui l'attribuera à l'une ou à l'autre seigneurie. Échapper à cette destinée, dissimuler la tache originelle, bien des serfs l'essayent, mais le seigneur use de procédés sommaires pour obliger les récalcitrants à rentrer sous le joug. Un homme de Vendôme, nommé Gandelbert, serf de notre maison, avait épousé Gerberge, devenue, elle aussi, notre serve, par l'effet même de son mariage. Ce Gandelbert ayant refusé un jour de se reconnaître notre serf, le prieur Eude s'empara de sa personne, l'amena à Marmoutier, et le tint en prison jusqu'à ce qu'il eût avoué être de condition servile. Et pour indiquer qu'il ne voulait plus s'y soustraire, il se présenta dans notre chapitre avec sa femme, et là, en signe de servitude, ils posèrent l'un et l'autre sur leur tête quatre deniers que le seigneur abbé accepta ensuite devant témoins. C'est un moine de Marmoutier qui consigne ce fait par écrit, au nom de sa communauté. Toutes les formules ecclésiastiques qui proclament l'égalité primordiale des hommes et la dignité humaine ne peuvent donner le change sur la réalité des faits. Le sentiment de répulsion profonde que le noble éprouve pour le vilain est mille fois exprimé dans les documents historiques et les œuvres littéraires, surtout dans notre plus ancienne épopée. A l'époque même où un évêque éminent, Ive de Chartres, écrivant à un archiprêtre de Paris et à l'évêque d'Orléans, proclamait que, devant le Christ, il n'y a ni serf ni homme libre, et que les hommes admis aux mêmes sacrements sont égaux, un archevêque de Reims, dans un sermon prêché à Laon, fulminait contre les serfs qui essayent de se soustraire à la domination de leur seigneur. Serfs, a dit l'apôtre, soyez soumis en tous temps à vos maîtres. Et ne venez pas prendre comme prétexte leur dureté ou leur avarice. Restez soumis, a dit l'apôtre, non seulement à ceux qui sont bons et modérés, mais même à ceux qui ne le sont pas. Les canons de l'Église déclarent anathèmes ceux qui poussent les serfs à ne pas obéir, à user de subterfuges, à plus forte raison ceux qui leur enseignent la résistance ouverte. C'est la distance qui sépare la pratique de la théorie. La théorie, dans ce siècle de fer, n'est même pas toujours favorable à l'idée de la liberté primordiale. Un moine de l'abbaye de Saint-Laud d'Angers a écrit ces lignes dans le préambule d'un acte d'affranchissement : Toute puissance vient de Dieu, et celui qui résiste aux puissances résiste à la volonté divine qui, par une admirable et souveraine dispensation, a placé sur la terre les rois, les ducs et les autres hommes chargés de commander aux autres. Ils ont été institués par Dieu afin que les petits, comme il est logique, soient dans la dépendance des grands. Dieu lui-même a voulu que, parmi les hommes, les uns fussent seigneurs et les autres serfs, de telle façon que les seigneurs soient tenus de vénérer et d'aimer Dieu, et que les serfs soient tenus de vénérer et d'aimer leurs seigneurs, suivant cette parole de l'apôtre : Serfs, obéissez à vos seigneurs temporels, avec crainte et tremblement. Contre la doctrine qui faisait du servage une institution divine et une nécessité absolue de l'état social, quelques esprits d'élite, au sein de l'Église et dans l'entourage des rois de France, ont protesté, et ce sera leur éternel honneur ; mais les faits leur donnaient tort. Dans la pratique, les seigneurs du Moyen âge (et ceux qui appartenaient à la société ecclésiastique, comme les autres) se sont conformés presque toujours aux idées du scribe de Saint-Laud. Si malheureuse que soit sa condition, le serf du XIe siècle parait cependant moins à plaindre que ne l'étaient ses pareils au temps de l'esclavage antique. Attaché à la terre qu'il cultive, il est devenu, d'objet mobilier, un immeuble. Il a gagné en stabilité, si l'on n'ose pas dire en dignité. Il est moins emprisonné dans sa caste. On voit déjà quelques serfs exercer, dans les seigneuries, des fonctions de réelle importance. La rigueur des charges serviles tend quelque peu à s'adoucir. S'il faut. en croire les économistes, un cheval valait en moyenne, au ne siècle, cent sous, un mulet cent douze, et un serf trente-huit. Faut-il en conclure que l'opinion ravalait l'espèce humaine au-dessous de la brute ? Le prix inférieur du serf prouve au contraire que la condition servile se relevait. Si le serf valait pour son propriétaire deux tiers de moins qu'une bête de somme, c'est que les services qu'il était obligé de lui rendre commençaient à être limités. La situation du paysan libre est un peu supérieure à celle du serf. Encore ne faut-il pas que ce mot de liberté fasse illusion. Le plus libre des tenanciers est encore assujetti à des obligations lourdes ou odieuses, dont il est difficile d'exagérer le caractère tyrannique. Partout le manant plie sous le faix des redevances, des prestations, des corvées. Il souffre des entraves apportées à son droit de récolter, de vendre, d'acheter, de circuler. Il est victime de ces monstrueux monopoles qu'on appelle des banalités seigneuriales. Si éloigné qu'il soit du servage, son travail et son avoir ne lui appartiennent pas en entier. Le seigneur direct, le curé de la paroisse, le haut suzerain de la province en réclament, à leur usage, une certaine part. Cette exploitation double et triple ne s'exerce pas seulement dans les conditions imposées par la coutume immémoriale ou le libre contrat. Le paysan, le marchand, l'artisan sont exposés aux revendications imprévues, aux extorsions arbitraires, aux exactions de toute espèce. La mauvaise coutume, comme disaient les gens du Moyen âge, est le fléau de rage féodal, la maladie caractéristique d'une société où l'abus, né de la violence, était consacré par le temps, par le désordre général et devenait peu à peu la loi. Moi, Landri le Gros, séduit et
entraîné par la concupiscence qui se glisse fréquemment dans le cœur des
hommes du siècle, je reconnais avoir arrêté des marchands de Langres qui
passaient par mon domaine. Je leur ai enlevé leurs marchandises et les ai gardées
jusqu'au jour où l'évêque de Langres et l'abbé de Cluni sont venus me trouver
pour me demander réparation. J'ai retenu pour moi une partie de ce que
j'avais pris et restitué ce qui restait. Ces marchands, afin d'obtenir le
restant, et de pouvoir, à l'avenir, traverser ma terre sans inquiétude, ont
consenti à me payer une certaine somme en guise de tribut. Ce premier péché
m'a suggéré l'idée d'un second, et j'ai entrepris d'imposer et de faire
imposer, par mes officiers, à tous ceux qui traverseraient mon territoire,
pour cause de négoce ou de pèlerinage, une exaction appelée péage. Les
seigneurs de Cluni sachant que jamais mes prédécesseurs n'avaient levé
d'impôt de cette nature, se plaignirent vivement et me firent demander, par
mon frère Bernard, chambrier de leur abbaye, de renoncer à cette exaction
injuste, haïssable aux yeux de Dieu. Pour la racheter et assurer la sécurité
aux voyageurs, ils m'ont donné la somme de trois cents sous. Cette édifiante confession d'un châtelain du XIe siècle montre comment s'établissaient les péages. Celui-ci fut promptement racheté par l'abbaye voisine, mais combien d'autres, tout aussi illégaux, ont subsisté et pris force d'usage, les victimes n'ayant pu se procurer, dès le début, l'argent nécessaire au rachat ? Les redevances en argent ou en nature, prélevées non plus sur les étrangers qui passent, mais sur les hommes ou les religieux qui habitent la terre, ont souvent la même origine. On les voit naître et se perpétuer. Un seigneur puissant nommé Aldigier, construisant le château de Chadenac (en Vivarais) près d'un prieuré de l'abbaye de Saint-Chaffre, demanda au prieur de l'aider dans ses dépenses en lui faisant don de cinq muids de vin. Le moine les donna à contrecœur. L'année suivante, Aldigier en demanda autant. Le moine refusa, cette fois, la contribution. Mais le seigneur la prit de force, et ainsi naquit une mauvaise coutume sur la terre de Saint-Chaffre. Le seigneur refusa formellement d'y renoncer et son fils en bénéficia après lui. Ailleurs le châtelain ne se donne même pas la peine de transformer insensiblement le don volontaire en coutume obligatoire : il la crée, par contrainte, dès le début. Le chevalier Gaucher, au temps où il tenait le fief de Chateau-Renault, introduisit par force et illégalement dans la terre de Sainte-Trinité de Prunai (propriété de l'abbaye de Vendôme) la coutume suivante. Chaque année, les vilains de cette terre, qu'ils le voulussent ou non, devaient lui payer un muid d'avoine. Plus tard le même seigneur déclare qu'il renoncerait à cette détestable coutume si les moines lui donnaient vingt sous. Les moines se résignèrent à en passer par là aimant mieux payer une fois pour toutes ce qu'ils ne devaient pas que de voir leur terre subir à perpétuité une contribution illégale. Après les taxes, les corvées. Foulque l'Ancien, comte d'Anjou, demanda un jour à l'abbé de Saint-Aubin (d'Angers), non à titre de droit, mais comme service gracieux, de lui prêter ses hommes de Mérou pour leur faire faucher les prés qu'il possédait à Montreuil. Plus tard, Foulque le Jeune donna ces prés au trésorier Renaud. Cela fit dégénérer en obligation (in coacticiam consuetudinem) ce que Foulque l'Ancien avait obtenu des moines volontairement. Il exigea que les hommes de Méron vinssent faucher ses prés. Le moine Fulcrade, prieur de Méron, s'y opposa ; Renaud ordonna alors qu'on ravageât la terre du prieuré. Quand l'exaction, la mauvaise coutume s'introduit aux dépens des terres d'église, l'Église peut se défendre et protéger ses paysans avec les armes spirituelles, ou, du moins, payer l'oppresseur pour que le coup de force initial ne se change pas en tradition. Mais sur la terre laïque, lorsque le Roi ou le duc refusent d'intervenir, le paysan, intimidé et sans ressources, subit la première violence ; le précédent, une fois établi et renouvelé, devient usage, et le fait brutal, au bout de quelques générations, se trouve métamorphosé en droit. Ces iniquités de tous les jours, ces créations multipliées de droits seigneuriaux attirent vainement sur leurs auteurs les dénonciations indignées des clercs. Ces hommes ont des griffes, crie un prédicateur anonyme, ils s'étudient à tondre leurs sujets. Ils habitent avec des bêtes féroces, c'est-à-dire s'associent des complices cruels et sauvages comme eux. Ils dévorent leurs sujets, gens simples comme des agneaux, par la taille et par les exactions. Un curé du Poitou, contemporain de la première croisade, Raoul Ardent, déplore que l'Église reste impuissante devant de tels excès. Nous nions ou nous taisons la vérité, par crainte des séculiers ; nous nions le Christ, la vérité même. Quand le ravisseur s'abat sur le pauvre, nous refusons de porter secours à ce pauvre. Quand un seigneur tourmente l'orphelin ou la veuve, nous n'allons pas à l'encontre. Il exagérait, comme le font les prédicateurs ; l'Église, souvent, essayait de s'opposer au mal ; mais elle-même, dans la personne de ses évêques et de ses abbés, seigneurs temporels, propriétaires de serfs et de vilains, contribuait à le perpétuer. L'évêque de Laon, Adalbéron, dans le poème satirique où il se représente dialoguant avec le roi de France Robert le Pieux, divise les hommes en deux catégories : d'un côté les clercs qui prient et les nobles qui combattent ; de l'autre, les travailleurs englobés sous le nom de serfs. Fournir à tous l'or, la nourriture et le vêtement, telle est l'obligation de la classe servile. Il ne distingue pas le vilain libre ou demi-libre du serf proprement dit. Entre l'exploitant et l'exploité, la distance est si grande que, d'en haut, les nuances se confondent et s'effacent. Cet évêque a pourtant quelques paroles de pitié pour la misérable condition des inférieurs. Il n'ignore pas sans doute que le roi à qui il s'adresse est le protecteur des humbles et des pauvres et qu'il a l'âme pieuse et tendre (excepté pour les hérétiques) : Cette classe infortunée, dit-il, ne possède rien qu'elle n'achète par un dur travail. Qui pourrait, en opérant au moyen des billes d'une table à calculer, compter les peines, les courses, les fatigues qu'ont à supporter les pauvres serfs ? Et plus loin, il s'écrie : Hélas, il n'y a aucun terme aux larmes et aux gémissements de ces malheureux ! Mais l'évêque trouve naturelle et bien ordonnée cette distribution des fonctions sociales. Il se plaint même que, de son temps, elle commence à être légèrement altérée par la méchanceté des hommes. Il faisait allusion, sans doute, aux insurrections de paysans et de bourgeois qui se produisaient déjà, çà et là, et menaçaient de déranger cette belle harmonie. A ce mal permanent, la coutume, s'ajoutaient les calamités extraordinaires, la guerre, les intempéries, les maladies propres aux milieux pauvres. Le mot extraordinaire ne convient qu'à moitié. Ces fléaux sévissaient tant de fois, à des intervalles si rapprochés, qu'ils arrivaient à faire partie de la vie normale. La guerre consistait, surtout pour les barons et les châtelains, à piller les paysans de la partie adverse, à les égorger s'ils résistaient, et à mettre le feu aux villages. Dévastée, dépeuplée, la terre ennemie devenait, pour quelque temps, improductive. Puis les fléaux du ciel et du sol : sécheresses, froids extrêmes, inondations, ouragans, récoltes manquées, portaient la désolation au comble. La famine apparaissait par cycles, se fixait comme mal endémique : résultat fatal de l'infériorité des procédés de culture, du petit nombre des terres cultivées, de la difficulté des communications, de l'insuffisance des marchés, des entraves apportées par la fiscalité féodale à la circulation des grains. Au XIe siècle, dans l'espace de soixante-treize ans, on a pu compter quarante-huit années de disettes partielles ou générales. Les chroniques abondent en détails navrants : les hommes réduits à se nourrir d'herbe et d'animaux ; les voyageurs égorgés et mangés ; la chair humaine cuite et mise en vente. Il ne s'agit pas de détresses individuelles. Des villages, des cantons, des provinces entières étaient décimés. La peste, sous les formes les plus diverses, achevait l'œuvre de la faim. Des historiens ont mis en doute la réalité de ces incidents lugubres, rapportés par des chroniqueurs bornés, par des moines pessimistes qui se seraient phi à enregistrer des horreurs. Sans doute, il faut tenir compte du grossissement des faits divers. II est vrai aussi qu'aux périodes de disette succédaient parfois des époques d'abondance. Mais comment récuser ces récits de famine qui, dans nos annalistes du XIe siècle, reviennent presque à chaque page ? Contestera-t-on la véracité des documents d'archives qui montrent les paysans succombant partout sous les ravages des gens de guerre et la rapacité de leurs propres seigneurs ? Si les misères et les calamités n'avaient pas été aussi générales, l'exaspération populaire, dont on ne peut douter, resterait sans explication. Tout le long du XIe siècle, le mécontentement n'a cessé de se traduire, dans la plupart des régions françaises, par le pillage, l'incendie et le meurtre. Un seigneur bourguignon se plaint, dans une charte de 1048 : que Guillaume, son fils, ait été tué par ses serfs, sans l'avoir mérité. Guibert de Nogent rapporte l'histoire d'un paysan qui se débarrassa ainsi de sa châtelaine. Les serfs et les serves du monastère de Saint-Arnoul, refusant de payer la mainmorte, voulant se marier à leur guise, se soulèvent tous contre leurs maîtres. Ils affirment, dans leur manifeste, qu'ils marieront leurs filles libres à des étrangers et que les moines devront se contenter d'exiger d'eux la fidélité, ce qui équivaut à la négation du servage héréditaire. Au début même de la période capétienne, les paysans bretons se révoltent en masse, pendant la minorité de leur duc Alain IV (1008). L'agitation des paysans normands se place vers la même époque, sous le principat du duc Richard II (996-1027). Depuis Augustin Thierry, historiens et littérateurs ont reproduit à l'envi la fameuse chanson de guerre que Wace, le poète du Roman de Rou, met dans la bouche des rustres normands : Nous sommes hommes comme ils sont. — Tels membres avons comme ils ont. — Et tout aussi grands corps avons. — Et tout autant souffrir pouvons. — Ne nous faut que cœur seulement.... — Bien avons contre un chevalier — Trente ou quarante paysans. Ils admirent cette Marseillaise rustique, murmurée à voie basse par des milliers de serfs et de manants, sorte de tonnerre lointain qui annonce la révolte des pastoureaux et la terrible explosion de la Jacquerie ![6] Mais il faudrait prouver que Wace, qui écrivait au temps de Louis VII, après la grande insurrection communale, n'en est pas simplement l'inventeur ! La narration de Guillaume de Jumièges (avant 1087), plus simple, est tout aussi
dramatique. Ses paysans ne font pas de théorie socialiste : ils se contentent
d'agir. Tandis que le jeune Richard, dit-il, abondait en vertus, il s'éleva, dans son duché, une
semence de discordes pestilentielles. Car les paysans, à l'unanimité, dans
tous les comtés de la patrie normande, se rassemblèrent en plusieurs
conventicules et décrétèrent de vivre selon leurs caprices. Ils voulaient
établir de nouvelles lois pour l'exploitation des forêts et des eaux, sans
tenir compte du droit pratiqué auparavant. Pour que ces lois fussent
confirmées, chaque groupe de cette foule en révolte choisit deux délégués
chargés de porter les décrets à une réunion générale au milieu des terres.
Quand le duc l'apprit, il envoya aussitôt contre eux le comte Raoul, avec une
multitude de soldats, pour comprimer cette férocité agreste et dissiper
l'assemblée rustique. Celui-ci, ne tardant pas à obéir, s'empara de tous les
délégués et de quelques autres, leur fit couper les mains et les pieds et les
renvoya hors de service aux leurs, pour les détourner de leur entreprise et
les rendre plus prudents, dans la crainte d'un sort encore plus misérable.
Les paysans, instruits de la sorte, cessèrent leurs assemblées et
retournèrent à leurs charrues. L'histoire ne pourra oublier cette tentative hardie des vilains pour remplacer les droits du seigneur sur la forêt et sur l'eau par des lois librement votées. Elle enregistre avec curiosité cette application du système représentatif à l'insurrection. Mais combien d'autres faits du même genre ont échappé aux chroniqueurs ou sont rappelés sèchement, en deux lignes ? La famine redouble, écrit Sigebert de Gembloux sous l'année 1095 : Beaucoup de gens souffrent du manque de nourriture, et les pauvres, courant sus aux riches, se vengent par le pillage et l'incendie. La disette entraîne une jacquerie. Même sans la moindre chance de succès, le paysan ne se lassait pas de vouloir réagir, par la violence, contre la dureté d'un ordre social où il n'avait que le choix entre le rôle de victime et celui d'insurgé. V. — LES VILLES ET LE SERVAGE URBAIN[7]. CONTRE les maux du dedans et du dehors, les habitants des villes paraissent mieux garantis, par leur groupement même et par les ressources dont ils disposent. La cité ou le bourg jouit d'une sécurité relative, derrière son enceinte de murailles que la terreur des invasions normandes avait lait partout réparer ou construire. On y trouve d'ordinaire un évêché, un monastère ou un chapitre, avec des églises et des reliques qui attirent le pèlerin, le marchand. Il s'y manifeste un certain mouvement d'industrie et de commerce. La ville possède un marché, parfois même une foire périodique. A l'intérieur, les commerçants sont unis entre eux par des confréries de caractère religieux ou par des gildes marchandes. Ne pouvant plus compter sur la protection des pouvoirs sociaux, ils ont pris l'habitude de se défendre eux-mêmes. Ils habitent souvent le même quartier, bien muni de solides remparts, et se prêtent main-forte contre les brigands et contre un ennemi encore plus à craindre, le seigneur du lieu et ses agents. Hors de la ville, ils ne s'aventurent qu'en longues caravanes, protégés par une troupe de sergents qu'ils entretiennent à frais communs. Les artisans, eux-mêmes, groupés habituellement par métiers dans les mêmes rues, commencent à former des corporations d'abord dirigées et surveillées par les officiers de l'évêque ou du seigneur, mais qui peu à peu s'émanciperont jusqu'à se donner des chefs élus et des règlements de leur choix. Ces collectivités de marchands et d'industriels sont une force ; elles possèdent la richesse et reçoivent déjà de l'autorité laïque ou ecclésiastique des privilèges destinés à augmenter leur sécurité et à étendre le champ de leurs travaux. Les citoyens ou les bourgeois, surtout quand ils habitent des centres anciens, peuvent avoir conservé certains droits et des traditions séculaires. Bien qu'assujettis au seigneur et dépourvus de charte, ils constituent une personne morale, représentant des intérêts collectifs. Il existe chez eux un pouvoir de communauté qui s'exerce, en certains cas, pour le bien de la ville entière. Elle leur permet de résister parfois aux vexations du maitre, de se défendre contre les attaques extérieures, d'intervenir dans l'élection des évêques, de s'allier même aux localités voisines. Quelques traits de lumière percent, çà et là, l'obscurité profonde de l'histoire des villes, avant l'époque de l'émancipation générale, où le peuple urbain luttera au grand jour. A Beauvais , les bourgeois accablés d'impôts par leur
évêque (1074) s'unissent contre lui au
clergé inférieur de la ville et au roi de France. Ils le chassent, mais sont
excommuniés, et la crise devient si violente que le pape Grégoire VII est
obligé d'intervenir pour rétablir l'ordre. A Noyon, au contraire, les
habitants s'associent à l'évêque pour détruire la tour du Roi et en expulser
le châtelain (1027). Un jour que ce dernier était allé au dehors avec ses gens,
ne laissant dans la forteresse que sa femme et quelques servantes, l'évêque
crut le moment favorable, et fit prendre les armes aux bourgeois. Voulant
s'introduire dans la tour sans recourir à la violence, il usa d'un singulier
stratagème qui réussit pleinement. Sous prétexte de porter à la châtelaine
une étoffe de soie qu'il désirait employer à un vêtement d'église, il pénétra
en visiteur dans le château. La dame, sans défiance, lui en ouvrit elle-même
les portes, et le reçut avec de grandes marques de joie. Lorsqu'il crut tous
ses gens réunis et prêts à se mettre à l'œuvre, l'évêque lui découvrit la
ruse et lui annonça qu'en punition des exactions de toutes sortes commises
par son mari, la destruction de la tour était décidée. La châtelaine
consentit, non sans peine, à se laisser emmener. La tour fut entièrement
rasée à l'aide du fer et du feu, avec toutes ses défenses et dépendances[8]. Dans ce premier âge de la Féodalité, le peuple des villes n'apparie qu'à titre d'allié ou d'instrument d'une puissance supérieure. Il agit le plus souvent pour le compte d'un baron laïque ou d'un seigneur d'Église. Parfois, cependant, il ose déjà faire valoir seul, et dans son propre intérêt, contre l'autorité dominante de la ville, ses aspirations à une condition meilleure et ses griefs d'opprimé. Les habitants de Cambrai n'ont pas attendu la fin du Xe siècle pour s'engager les uns envers les autres, et conspirer en vue de fermer les portes de leur ville à l'évêque dont ils se plaignaient. Les Amiénois, en 1030, s'allièrent étroitement aux bourgeois d'une ville voisine, Corbie, pour célébrer avec eux le culte des saints dont ils possédaient les reliques. A l'abri de cette fête religieuse, les deux peuples terminaient en paix leurs différends, échangeaient leurs marchandises, et faisaient succéder aux prières communes et aux transactions à l'amiable les divertissements et les danses. On relisait le pacte d'association, et des orateurs haranguaient les bourgeois assemblés. Dans le Midi, de nombreux documents montrent les habitants d'Arles, de Marseille, de Narbonne, de Montpellier, formant des réunions publiques, contractant des achats, approuvant les actes du seigneur. Ces communautés peuvent posséder non seulement un droit d'usage sur les bois, pâturages, marais et terres vagues, mais un véritable droit de propriété sur des terrains situés quelquefois à une assez grande distance de la ville. Les bourgeois les plus considérables par leurs richesses ou par l'ancienneté de leur famille, assimilés aux nobles (surtout dans la France du Midi), forment avec eux et avec les clercs le patriciat de la cité. Ils sont admis à prendre part, sous le nom de bonshommes, de prud'hommes, d'honorés, d'échevins, de juges, à la direction générale des affaires urbaines. Ce sont eux qui, plus tard, fourniront aux communes du Nord leurs dynasties de maires et de jurés, et à celles du Midi leurs consuls. Leurs noms apparaissent parmi ceux des officiers ou des nobles qui contresignent les chartes seigneuriales. Le seigneur les autorise à s'adjoindre à ses fonctionnaires pour administrer et juger l'ensemble des habitants. Il leur délègue une part d'autorité. Sans doute, ils l'exercent en son nom, mais ils peuvent en user, s'ils sont habiles, pour améliorer le sort de leurs concitoyens ou augmenter la somme de leurs droits. A côté des cités et des bourgs dont l'existence remonte, pour le moins, à l'époque carolingienne, il se forme, dans la plupart des seigneuries, des centres nouveaux, d'un caractère particulier. Villes neuves fondées par un baron qui veut repeupler sa terre déserte ; sauvetés ou asiles ouverts par les puissances d'Église, ont été déclarées lieux de franchise, et, de toutes parts, la population nomade y afflue. Paysans, serfs et ouvriers se trouvent pourvus, du jour où ils s'y établissent, de privilèges spéciaux qui leur procurent, non l'indépendance, mais la sécurité de la vie quotidienne et certaines garanties de bien-être. Les services, impôts et corvées qu'ils doivent au seigneur sont spécifiés et limités : ils échappent aux exactions, à l'arbitraire, en un mot, au droit commun. Ils n'ont à subir d'autres taxes, d'autre juridiction que celles du créateur de la ville neuve, dotée, en outre, de libertés économiques propres à assurer son développement. Anciennes ou nouvelles, les bourgeoisies ont, sur le peuple rural, un avantage si appréciable qu'on est tenté de l'exagérer et d'attribuer à la classe urbaine, dans l'organisation générale de la société du ne siècle, une place qu'elle n'occupait pas réellement. Moins misérables que les paysans, les gens des villes subissent pourtant comme eux la rigueur d'un régime qui ne laissait à l'élément populaire d'autre alternative que la révolte inutile ou la soumission passive aux exploiteurs. Les villes de cette période, même les plus célèbres, les plus peuplées, les plus florissantes, des cités comme Reims, Tours, Bordeaux, Toulouse, Limoges, Nîmes, ne s'appartiennent pas. Toutes sont assujetties à l'autorité du seigneur principal ou des seigneurs co-partageants. Ce sont des propriétés féodales qui peuvent être données, vendues, transmises par héritage, divisées entre plusieurs possesseurs, comme un champ ou un serf. Ici, c'est un comte de Toulouse, Pons, qui donne à sa fiancée l'évêché, la cité, la monnaie et le marché d'Albi (1037). Là, c'est un vicomte de Béziers qui lègue Béziers à sa fille et Agde à sa femme (990). Ailleurs, Ermengarde, sœur du comte Roger III, vend au comte de Barcelone, la cité et les bourgs de Carcassonne. Un évêque, celui de Maguelonne, concède Montpellier, en fief, à la famille des Guilhem et partage le bourg de Montpellier entre trois autorités féodales, y compris la sienne. Des historiens ont prétendu faussement qu'avant l'explosion des revendications populaires, à la fin du xi' siècle, nombre de cités s'administraient elles-mêmes et possédaient leur magistrature et leur gouvernement propres. Curies héréditaires et aristocratiques remontant à l'époque romaine[9], gouvernements électifs confiés à des magistrats annuels[10], autant de légendes ou d'hypothèses injustifiées. Les gouvernements urbains du XIe siècle sont des gouvernements seigneuriaux. C'est la féodalité laïque, et surtout celle de l'Église qui exerce le souverain pouvoir dans les grandes agglomérations. Il y a un maître dominant, le Roi, le comte, plus souvent encore l'évêque, et, au-dessous de lui, des pouvoirs féodaux d'ordre inférieur, héréditaires et plus ou moins indépendants, le vicomte, le châtelain, le vidame, le prévôt, le viguier ou voyer. Ils se partagent, au sein de la ville, les maisons, les habitants et les impôts. Sens a deux maîtres dominants, le Roi et l'archevêque, sans compter le vicomte. Paris est partagé entre le Roi et l'évêque ; Amiens entre quatre seigneurs, le Roi, l'évêque, le comte et le châtelain, et beaucoup de villes de la France du Nord sont dans le même cas. Tours appartient à la fois au comte d'Anjou (ou au comte de Blois, selon les époques) et à l'abbaye de Saint-Martin ; Périgueux, à son évêque et à l'abbaye de Saint-Front ; Narbonne à son archevêque et à son vicomte. Dans les centres les plus importants, les seigneuries entremêlent ainsi leurs tribunaux, leurs perceptions, leurs sergenteries : étrange juxtaposition de gouvernements minuscules, marqueterie politique où tout le monde est maître de la bourgeoisie, excepté le bourgeois. Non seulement la ville du XIe siècle est partagée d'ordinaire entre plusieurs exploitations, mais elle n'a même pas cette unité matérielle qui donnerait aux habitants d'un même groupe la facilité de s'entendre contre des ennemis ou des oppresseurs communs. La plupart des grands centres, sièges d'évêchés, forment deux corps absolument séparés. Dans la cité résident l'évêque, les chanoines, les familles nobles. Dans le bourg, qui s'est développé autour d'une maison forte, d'une église, d'un monastère, sont établis surtout les marchands, les corps de métier, la plèbe, ceux que les chroniqueurs appellent les minores ou les humiliores. Parfois s'adjoint une troisième agglomération : le château (castrum), habité par un seigneur laïque, par ses hommes d'armes et par une catégorie de bourgeois qui se considèrent comme égaux à ceux de la cité et supérieurs à ceux du bourg[11]. Cité et bourg, dépendant de seigneurs différents, ont leur origine, leur destinée, leur organisation distinctes. L'union morale de ces groupes, pourtant contigus, est empêchée par la rivalité des intérêts, par les habitudes prises et par des haines vivaces dont le voisinage semble accroître l'intensité. Et, d'ailleurs, comment l'entente pourrait-elle s'établir entre hommes de conditions diverses ? Le triomphe du régime féodal a eu pour effet de réduire à l'état servile la classe inférieure des grandes villes, et souvent la population entière des simples bourgades. La haute bourgeoisie, en général, n'est pas serve, mais les gens de la plèbe n'ont aucun droit et ne disposent même pas complètement de leurs personnes. Les libertés les plus élémentaires leur font défaut. Rien de plus fréquent, dans les chartes seigneuriales du XIe siècle, que des bourgeois donnés aux églises, vendus, légués en héritage par leur maître. Marchands et artisans doivent encore au seigneur une partie de leurs produits et de leur travail. Un peu moins accablante dans les villes que dans les campagnes, l'exploitation seigneuriale donnait encore lieu à de tels abus que les seigneurs eux-mêmes s'apitoyaient. Vers 1091, les comtes d'Amiens, deux frères, Gui et Ive, sur les plaintes réitérées des bourgeois et du Clergé, se décident à mettre un terme aux prévarications des vicomtes. Le préambule de la charte contient cet aveu significatif, témoignage peu suspect de la misère populaire : Considérant combien déplorablement le peuple de Dieu, à Amiens, était affligé par les vicomtes de souffrances nouvelles et inouïes, semblables à celles du peuple d'Israël, opprimé en Égypte par les exactions de Pharaon, nous avons été émus du zèle de la charité : le cri des églises et le gémissement des fidèles nous ont touché douloureusement. Pour entrainer ces foules de serfs habitués au joug, les associer au patriciat bourgeois et donner un corps au désir d'indépendance qui fermente sourdement dans les villes, il faudra les grandes secousses de la fin du siècle, et surtout l'extension des courants de circulation commerciale entre les nations chrétiennes, comme entre l'Orient et l'Occident. Sous les premiers règnes capétiens, l'heure de la délivrance n'est pas encore proche. Les villes, bien que possédant en elles-mêmes leurs moyens de résistance et leurs éléments d'organisation, n'existent pas comme force politique. Travaillant pour le haut baron ou l'évêque à qui elles appartiennent, elles obtiennent à peine de lui les ménagements qu'un maître habile ne refuse pas aux serviteurs qui l'enrichissent. Dans cette masse d'agglomérations urbaines plus ou moins durement tenues en tutelle, le privilège ou la liberté, sauf de rares exceptions, n'a encore établi aucune nuance. Certes, la féodalité et la bourgeoisie n'ont pas attendu le déclin du XIe siècle, celle-ci pour demander des adoucissements à sa misère, celle-là pour les accorder et relâcher un peu de son droit. Mais les plus anciennes concessions faites aux habitants des villes[12], celles de Cateau-Cambrésis (1003), de Saint-Jean-d'Angeli (1050), d'Orléans (1057), dérogations au droit commun isolées, exceptionnelles, ne prouvent nullement l'existence d'un courant d'idées favorable aux aspirations des villes. Si des cités du Midi, Arles, Marseille, Montpellier, Carcassonne, Moissac, Albi, dotées de certains droits par tradition, forment des personnalités morales et juridiques, rien n'indique pourtant qu'elles possèdent déjà une magistrature municipale issue librement de l'élection. Les actes officiels constatant le gouvernement autonome par les consuls n'appartiennent qu'à une période assez éloignée du commencement du XIIe siècle. Avant la Réforme ecclésiastique et la Croisade, les bourgeoisies de la France vivent obscurément, inconnues presque de ceux qui racontent l'histoire, cachées dans l'ombre des seigneuries. |
[1] OUVRAGES À CONSULTER. Longnon, Atlas historique de la France, 3e livraison, 1889. A. Molinier, Géographie féodale du Languedoc, dans la nouvelle Hist. génér. du Languedoc, de dom Vaissète, éd. Privat, t. XII, 1889. P. Fournier, Le Royaume d'Arles, 1891. Parisot, Le Royaume de Lorraine, 1898.
[2] OUVRAGES À CONSULTER. Fustel de Coulanges, Les Origines du système féodal, 1890, et Les transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, 1892. Boutaric, Le régime féodal, dans la Revue des Questions historiques, t. XVIII, 1875. J. Flach, Les Origines de l'ancienne France, t. I et II, 1886-1893. Luchaire, Manuel des Institutions françaises, 2e partie, 1892. Esmein, Cours élémentaire de droit français, 1898. Ad. Beaudoin, Études sur les origines du régime féodal, dans les Annales de l'Enseignement supérieur de Grenoble, t. I, 1889. Ch. Mortel, article Féodalité, dans la Grande Encyclopédie, 1893.
[3] OUVRAGES À CONSULTER. Léon Gautier, Les Épopées, 2e éd., 1892, et La Chevalerie, 1890. Viollet-le-Duc, Dict. de l'Architecture française du XIe siècle au XVIe, 1875, au mot CHÂTEAU. Schultz, Das Höfische Leben zur Zeit der Minnesinger, 1889. Langlois, Les travaux sur l'histoire de la société française au Moyen Âge, d'après les sources littéraires, dans la Revue historique, t. LXIII, 1897.
[4] Léon Gautier, dans son livre sur la Chevalerie, p. 343. Cf. Fauriel, Histoire de la poésie provençale, I, 497, et E. Langlois, Les Origines et les sources du Roman de la Rose, p. 3.
[5] OUVRAGES À CONSULTER. L. Delisle, Études sur la condition de la classe agricole en Normandie pendant le Moyen Âge, 1851. Les préfaces ou prolégomènes des cartulaires édités par Guérard. Lamprecht, Étude sur l'état économique de la France au XIe siècle, trad. Marignan, :888. H. Sée, Études sur les classes rurales en Bretagne, 1896. G. Fagniez, Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France, 1898 (Introduction). Flach, Les Origines de l'ancienne France, t. II, 1893. Hückel, Les poèmes satiriques d'Adalbéron, dans la Biblioth. de la Faculté des Lettres de Paris, fasc. XIII, 1900.
[6] Ch. Lenient, La Satire en France au Moyen Âge, p. 12.
[7] OUVRAGES À CONSULTER. J. Flach, Les Origines de l'anc. France, t. II, 1893. Luchaire, Manuel des Institutions françaises, 3e partie, 1892. Dognon, Les Institutions politiques et administratives du pays de Languedoc, 1895. Pirenne, L'origine des constitutions urbaines au Moyen Âge, dans la Revue historique, 1893 et 1895. Ashley, The beginning of town life in the Middle Ages, 1896. Van der Linden, Les Gildes marchandes dans les Pays-Bas, 1896. G. Fagniez, Documents relatifs à l'histoire de l'industrie et du commerce en France, I, depuis le Ier siècle av. J.-C. jusqu'à la fin du XIIIe siècle, 1898.
[8] Lefranc, Histoire de Noyon, p. 22.
[9] Théorie de Raynouard, exposée dans son Histoire du droit municipal en France.
[10] Théorie d'Augustin Thierry, Essai sur l'Hist. du Tiers État.
[11] Tours se composait d'une cité (l'antique ville romaine) et d'un bourg fortifié, Château-neuf. Les habitants de Périgueux se répartissaient entre la cité et le bourg de Saint-Front ; ceux d'Albi entre la cité, le bourg et le château ou Castel Vieil ; ceux de Toulouse entre la cité, le bourg de Saint-Sernin et le Château-Narbonnais. Il en était de même dans la plupart des grandes villes du Midi, notamment à Nîmes, où le Château des Arènes formait une ville à part. Montpellier était composé de deux bourgs très distincts, celui de Montpellier et celui de Montpelliéret. A Arles, la Cité, le Vieux-Bourg, le Bourg-Neuf et le Marché, étaient en réalité quatre villes, enfermées chacune dans son enceinte particulière.
[12] Les chartes qu'on citait habituellement comme remontant au Xe siècle sont des actes faux ou attribués faussement à une époque reculée qui n'est pas la leur. Ce n'est pas au temps des derniers Carolingiens que les seigneurs ont pu songer à mettre par écrit leurs propres droits et les devoirs des populations sujettes.