I. — MÉROVÉE ET CHILDÉRIC. JUSQUE vers la fin du Ve siècle, l'histoire des Francs est plus mal d connue que celle des Wisigoths ou des Burgondes. Avant Clovis les documents écrits ne nous livrent que quelques faits isolés, de date et de signification souvent incertaines, et quelques légendes. Pour suppléer au silence des chroniqueurs, c'est sur le sol même, par l'étude des noms de lieux, par le témoignage des tombes, qu'on peut suivre les étapes de ces marches obscures, qui, des rives du Rhin, conduisirent les Francs dans les plaines du nord de la Gaule. Ils s'y établirent nombreux, refoulant les anciennes populations, détruisant la civilisation gallo-romaine et chrétienne. C'étaient de vrais Barbares, rudes et païens, et dont les chefs étaient incapables des conceptions politiques d'un Athaulf, d'un Euric ou d'un Gondebaud. Lorsqu'Aétius avait défendu la Gaule contre Attila, les Francs avaient combattu sous ses ordres. Puis ils avaient continué à s'étendre, mais sans qu'il soit possible de distinguer exactement, comme on a voulu quelquefois le faire, entre les progrès de leurs diverses peuplades. A cette époque, à la tête du peuple que commandait jadis Chlodio, la légende place un roi du nom de Mérovée (Merouechus). Un jour, racontait-on, tandis que la femme de Chlodio se baignait dans la mer, un monstre s'unit à elle ; un fils en naquit, Mérovée[2] ; de son nom, dans la suite, les rois des Francs s'appelèrent Mérovingiens. Dans ce qu'on rapporte du fils de Mérovée, Childéric, se mêlent la légende et l'histoire. Dépouillé du pouvoir par les Francs, à cause de sa luxure, il se réfugia en Thuringe ; il est probable qu'il faut entendre ici la Thuringe au delà du Rhin plutôt qu'un pays situé entre Cologne et la mer. Il y fut accueilli par le roi Basin et sa femme Basine. Avant son départ il avait partagé, avec un ami fidèle, une pièce d'or. Lorsque je t'enverrai la moitié que je garde, lui avait dit l'ami, tu pourras sans crainte revenir. Les Francs s'étaient donné pour roi le Romain Egidius, maître des milices. Au bout de huit ans, leurs sentiments changèrent et Childéric, averti selon la convention, redevint roi. Basine abandonna son pays pour le rejoindre. Je sais ton mérite et ton grand courage, lui dit-elle, aussi suis-je venue pour vivre avec toi ; car sache bien que, si j'avais connu au delà des mers un homme qui valût mieux, je serais allée vers lui. Et le chroniqueur ajoute : Childéric joyeux l'épousa. D'eux naquit un fils qu'on appela Clovis. Il fut grand homme et vaillant guerrier. Dans ce récit se retrouve l'écho de quelque vieux chant populaire, mais la part de réalité qui s'y cache est incertaine. Des renseignements d'une valeur historique plus sûre montrent que, vers 463, Childéric était l'allié d'Egidius et que, dans la région de la Loire, il combattait avec lui contre les Wisigoths. Egidius mourut en 464, laissant un fils, Syagrius. Un fonctionnaire romain, le comte Paul, voulut continuer son œuvre avec l'aide des Francs. Il fut tué en luttant contre les Saxons. Le lendemain de sa mort, Childéric arriva, enleva Angers aux Saxons, les poursuivit dans les fies de la Loire et en fit un grand massacre. Childéric apparaît donc comme l'allié des Romains. Avait-il reçu, comme d'autres chefs barbares, quelque dignité militaire qui lui donnait place dans la hiérarchie impériale, fut-il maître des milices romain ? On ne peut l'affirmer. L'auteur de la vie de sainte Geneviève, dont la valeur historique est fort discutée, le montre en relations avec la sainte. Childéric entre à Paris, amenant des prisonniers qu'il veut mettre à mort ; il ordonne qu'on ferme les portes. Mais Geneviève, qui est en dehors de la ville, a décidé de sauver ces malheureux : les portes s'ouvrent miraculeusement, elle obtient la grâce des prisonniers. Childéric mourut à Tournai en 481, et il y fut enterré avec son cheval de guerre et ses armes. En 1653 on retrouva son tombeau : un anneau portait son nom avec l'image en buste d'un guerrier aux longs cheveux. De nombreux objets en furent retirés, étoffes, armes, bijoux, monnaies d'or avec les effigies des empereurs qui régnaient à Constantinople, notamment Léon Ier et Zénon[3]. II. — CLOVIS ET SYAGRIUS. LA GUERRE DES ALAMANS ET LE BAPTÊME DE CLOVIS[4]. AVEC Childéric, les guerriers francs ont reconnu les riches vallées de la Seine et de la Loire ; avec son fils Clovis, ils vont en devenir les maîtres. Cependant Clovis n'a que quinze ans, il ne commande qu'à un des peuples francs ; d'autres obéissent à des rois dont quelques-uns peut-être lui sont hostiles. Pendant cinq ans on ne connaît de lui aucun acte précis ; sans doute il prépare ses forces pour les aventures où le poussent sa jeunesse, son humeur belliqueuse et son ambition. Il n'y a plus d'empereur en Italie, mais l'Occident est toujours sous la souveraineté nominale de l'empereur qui réside à Constantinople. De toutes parts occupée par des peuples barbares, la Gaule se considère encore comme une province romaine. Le fils d'Egidius, Syagrius, à Soissons, groupe autour de lui les troupes qui continuent à obéir à l'empire. Quelle est sa situation officielle ? On l'ignore. Les contemporains l'appellent tantôt roi des Romains, tantôt patrice, tantôt duc. Par sa naissance, par le crédit qu'avait eu son père, peut-être aussi par sa valeur personnelle, il est à la tête de l'aristocratie gallo-romaine dans les pays de la Seine et de la Loire. Près de lui, Remi, depuis de longues années évêque de Reims, exerce une influence comparable à celle d'Avitus dans le royaume burgunde ; de noble famille, il est renommé par sa science et son éloquence. Des historiens ont fait un roi de Syagrius, de Clovis on a voulu faire un maître des milices. La preuve s'en trouverait dans une lettre, de date incertaine, que Remi lui aurait adressée pour le féliciter d'avoir reçu la charge de l'administration dans la seconde Belgique. De cette lettre, si souvent discutée, on ne peut rien tirer de précis. Dès ses premières années, Clovis apparaît comme plus indépendant de Rome que son père. Il voit les rois goths et burgondes étendre en Gaule leurs possessions : le moment n'est-il point venu pour les Francs de se tailler un plus vaste domaine dans ces beaux pays que l'empire abandonne ? Ses ressources sont faibles ; il cherche à grouper les forces des peuples francs, il s'adresse à leurs rois : l'un d'eux, Ragnachar de Cambrai, répond à son appel ; un autre, Chararich, attend les événements pour se décider. En 486 enfin, Clovis marche contre Syagrius et lui demande lieu pour la bataille. Les armées se rencontrent près de Soissons. Syagrius vaincu s'enfuit et va demander asile au roi Alaric à Toulouse. Clovis obtient qu'il lui soit livré et le fait mettre à mort. Les Francs pillèrent jusqu'aux églises. Cependant Clovis a déjà l'esprit avisé, ce n'est pas un aventurier brutal. Il entend conquérir le pays et, comme les évêques en sont les vrais maîtres, dès l'abord il compte avec eux. L'un d'eux (rien n'établit avec certitude que ce fût Remi) réclame un vase sacré enlevé à son église. Au moment du partage du butin, le roi demande à ses compagnons de le lui attribuer ; un guerrier refuse et, de sa hache, brise le vase. Le roi se tait, mais, l'année suivante, passant son armée en revue, il reproche à celui qui lui fit cet affront le mauvais état de ses armes et l'étend mort à ses pieds. Telle est, aux débuts, la royauté de Clovis : il doit compter encore avec les vieux usages germaniques qui font du roi un chef de compagnons, mais il entend déjà être le maître, en même temps qu'il se montre habile politique dans ses rapports avec l'Église. La bataille de Soissons ne fut qu'un épisode des luttes qu'engagea Clovis pour s'emparer des pays de la Seine et de la Loire. L'histoire de ces conquêtes est mal connue. Paris aurait résisté longtemps et, le pays d'alentour ayant été dévasté, sainte Geneviève, pour procurer des vivres aux habitants, aurait poussé jusqu'à Arcis-sur-Aube et Troyes. Plus tard, les troupes au service de Rome, qui se maintenaient encore çà et là dans la Gaule du Nord, se soumirent à Clovis, mais, paraît-il, conservèrent encore quelque temps leur organisation et leurs enseignes militaires[5]. Clovis s'étendit aussi vers l'Ouest, du côté de l'Armorique : Melanius, évêque de Rennes, semble avoir joué alors un rôle important. Les habitants de ces pays avaient intérêt à se rapprocher des Francs, afin de se défendre contre les pirates saxons, établis à l'embouchure de la Loire. On rapporte que les Saxons assiégèrent Nantes pendant soixante jours. Enfin, une nuit, des hommes vêtus de blanc seraient sortis en procession des églises de la ville. Après cette apparition mystérieuse les bandes d'ennemis disparurent : au point du jour on n'en vit plus un. Bientôt Clovis épouse la nièce du roi burgonde Gondebaud, Clotilde[6]. Déjà son ambition se tournait vers les pays de la Saône et du Rhône. Il envoyait souvent des messagers en Burgondie. Ceux-ci s'assurèrent que Clotilde était belle et sage ; Clovis la demanda à Gondebaud et l'obtint (vers 493 sans doute). Lorsque le roi la vit, il se réjouit beaucoup. L'imagination populaire entoura cet événement de récits merveilleux où l'on a reconnu la trace de ces chants épiques nuptiaux, qui étaient en usage chez les Germains. Ainsi, disait-on, Clotilde aurait voulu venger son père Chilpéric, égorgé par Gondebaud : en approchant de la frontière franque, impatiente, elle abandonne son char, monte à cheval, et, avant de quitter le territoire burgonde, le fait dévaster sur une longueur de douze lieues. Énergique, altière, Clotilde est catholique : elle veut que Clovis le soit. Il résiste d'abord ; il craint, en abandonnant ses dieux, d'attirer leur courroux, peut-être de détacher de lui ses guerriers. Clotilde obtient cependant de faire baptiser solennellement son premier fils ; elle espère que l'éclat de la cérémonie frappera l'imagination du roi. L'enfant meurt, et le père attribue ce malheur au Dieu de Clotilde. Cependant un second fils est baptisé encore. Il tombe malade, et déjà Clovis accuse le Christ, mais, grâces aux prières de Clotilde, l'enfant guérit. Du côté de l'Est, les Francs eurent alors à se défendre
contre les Alamans. Dès le milieu du Ve siècle, les Alamans occupaient. sur
la rive gauche du Rhin, le pays qui s'étend entre le fleuve et les Vosges et
qui porta ensuite le nom d'Alsace ; au Sud, l'émigration des Burgondes leur
avait laissé la place libre jusqu'au lac de Constance et jusqu'aux Alpes. Les
écrivains de ce temps parlent de leur vaillance, de leur cruauté, et de cet
esprit d'aventure qui poussait dans toutes les directions leurs bandes de
pillards. Les Francs de la région rhénane subirent leurs attaques ; dans un
combat près de Tolbiac (Zulpich), leur
roi, Sigebert, reçut une blessure dont il resta boiteux. Clovis marcha contre
les Mamans ; une bataille s'engagea dans la vallée du Rhin, en un endroit
qu'on ne peut déterminer exactement. Pendant la mêlée les Francs faiblirent.
Alors, levant les mains au ciel, Clovis se serait écrié : Jésus-Christ, toi que Clotilde déclare fils du Dieu
vivant, toi qui, dit-on, accordes ton secours à ceux qui sont en danger, la
victoire à ceux qui espèrent en toi, si tu me donnes de triompher de ces
ennemis et que je fasse l'expérience de ton pouvoir, je croirai en toi, je me
ferai baptiser en ton nom. Car j'ai invoqué mes dieux, mais, je le vois, ils
se sont éloignés de moi ; s'ils n'aident point leurs fidèles, c'est qu'ils
sont sans force. Aussitôt aurait commencé la déroute des Alamans. Leur
roi succomba ; alors ils supplièrent Clovis : Ne
poursuis plus le massacre de notre peuple ; désormais nous sommes tiens[7]. Une partie des
vaincus demanda un asile au puissant roi des Ostrogoths d'Italie, Théodoric,
qui les recueillit. Peut-être y eut-il plus tard une autre expédition, car,
en 506, Théodoric intervint en leur faveur auprès de Clovis. Les Alamans
cessèrent d'être un danger pour la Gaule. Refoulés sur la rive droite du
Rhin, ils durent même abandonner la vallée du Main et une partie de celle du
Neckar. Une partie d'entre eux se réfugia en Rhétie, dans le royaume de
Théodoric. Désormais, et pour plusieurs siècles, les invasions de l'Est à
l'Ouest ont pris fin ; bientôt les Francs à leur tour repasseront le Rhin et
commenceront à étendre leur domination sur la Germanie. Clovis vainqueur devient le disciple de Remi. Toutefois une crainte l'arrête encore : son peuple ne le désapprouvera-t-il pas ? S'il faut en croire la version édifiante de Grégoire de Tours, quand il consulte les Francs, ceux-ci s'écrient : Nous abandonnons les dieux mortels, pieux roi : nous sommes prêts à suivre le Dieu immortel que prêche Remi. L'évêque prépare le baptême : les places de Reims, l'église sont ornées de riches tentures ; dans le baptistère, décoré avec soin, l'encens brûle, les cierges brillent. Clovis s'agenouille : Sicambre, dit Remi, baisse humblement la tête, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. Avec lui, trois mille guerriers reçoivent le baptême (Noël 496). Tel fut l'événement qui, plus que tout autre, fixa les destinées de la Gaule. Lorsque Grégoire de Tours, à ce propos, compare Clovis à Constantin, il ne se trompe point. Pour l'un comme pour l'autre on s'est demandé si la conversion était sincère, si la politique n'y avait pas plus de part que la foi ; mais les actions humaines procèdent rarement d'un seul mobile : le caractère merveilleux des récits évangéliques, l'éclat des cérémonies religieuses frappèrent l'imagination de Clovis ; la puissance de l'Église, le rôle de ses évêques le décidèrent à faire cause commune avec le catholicisme. Toutefois une faible partie des Francs suivit d'abord son exemple : ceux qui étaient établis déjà dans les régions du Nord et de l'Est restèrent fidèles à leurs dieux. La conversion de Clovis ne modifia point son caractère ; la morale douce et pacifique de l'Évangile ne toucha point son cœur. Le jour du baptême, comme Remi lisait l'Évangile de la Passion, le rude chef franc se serait écrié : Si j'avais été là avec mes Francs, j'aurais vengé le Christ. Dès lors, dans ces peuples hérétiques qui occupaient la majeure partie de la Gaule, il poursuivit tout à la fois ses ennemis et ceux du Christ. Les catholiques comprirent aussitôt l'importance de leur victoire. En face des rois ariens, de Théodoric, de Gondebaud, d'Alaric, Clovis devenait leur roi. Désormais, dans toute la Gaule, les évêques furent ses alliés. Le chef de l'épiscopat en Burgondie, l'illustre Avitus, s'empressa de le féliciter. Votre adhésion à la foi, disait-il, est notre victoire, n et il l'engageait à propager le catholicisme chez les peuples barbares plus éloignés, que n'ont pas encore corrompus les doctrines hérétiques. Ainsi parlait celui dont Gondebaud avait fait un de ses conseillers les plus écoutés et il ajoutait, par une claire allusion au roi burgonde, qu'il avait vainement essayé de convertir : Beaucoup, quand les évêques ou leurs amis les exhortent à croire à la vraie foi, allèguent les traditions, les rites de leur peuple ; par fausse honte ils compromettent leur salut. Qu'on cesse, après l'exemple que vous avez donné, d'invoquer de pareils prétextes[8]. Gondebaud était cependant d'humeur douce et tolérante, mais sa neutralité bienveillante ne suffisait pas à l'Église. Déjà auparavant, Aprunculus, évêque de Langres, suspect aux Burgondes, s'est réfugié en Auvergne ; deux autres évêques, sujets de Gondebaud, Théodore et Procule, ont suivi Clotilde qui les dédommagea en les faisant nommer évêques de Tours. III. — LES GUERRES CONTRE LES BURGONDES ET LES GOTHS. DÉSORMAIS Clovis peut attaquer les Burgondes et les Goths ; par l'épiscopat il est sûr des populations gallo-romaines. En Burgondie, il exploite l'ambition du frère de Gondebaud, Godegisil, qui, pour gagner Clovis, promet de lui payer tribut. Clovis marche sur la Burgondie. Gondebaud se dirige à sa rencontre, accompagné de Godegisil qui a su tenir secrètes ses intrigues. Quand la bataille est engagée près de Dijon, sur les bords de l'Ouche, Godegisil, avec ses troupes, passe aux Francs et leur assure la victoire. Gondebaud se réfugie à Avignon. Clovis l'y assiège. Le roi burgonde semble perdu, quand, d'après un récit légendaire, un sage conseiller, le Romain Aridius, feint de le trahir pour Clovis. Devenu le fidèle du roi franc, il le décide à accorder la paix à Gondebaud moyennant un tribut annuel. Mais, à peine les Francs se sont-ils retirés, que Gondebaud assiège Vienne, où Godegisil s'est installé, et y pénètre par un aqueduc. Godegisil est égorgé, la garnison franque laissée par Clovis est envoyée en exil chez les Wisigoths. Gondebaud redevint maître de son royaume : pour s'attacher les Gallo-Romains, il améliora leur sort par des lois encore plus douces ; pour gagner les évêques, il feignit d'être prêt à se laisser convertir (500-501). Du côté des Goths, la guerre fut plus décisive : malgré l'éclat du règne d'Euric, entre eux et les Francs la lutte était inégale. Perdus au milieu des populations gallo-romaines, isolés de la Germanie, les Goths s'alanguissaient sur le sol du Midi. Les Francs, au contraire, tout en s'avançant en Gaule, restaient en communication avec les régions de la Meuse, de la Moselle, du Rhin, où séjournaient encore la plupart de leurs peuples, et ils en tiraient des recrues toujours fraîches. Le fils d'Euric, Alaric II, parvenu au pouvoir jeune encore, en 485, était incapable de continuer l'œuvre de son père. Il voulait éviter la guerre. A une date qu'on ignore, une entrevue eut lieu entre lui et Clovis dans une île de la Loire, près d'Amboise : ils mangèrent et burent ensemble et se promirent amitié. Mais la question religieuse empêchait toute paix durable. Beaucoup en Gaule, dit Grégoire de Tours, désiraient avoir les Francs pour maîtres. Alaric se défiait des évêques : Volusianus, évêque de Tours, soupçonné de vouloir la domination franque, fut retenu à Toulouse et y mourut ; son successeur, Verus, fut comme lui exilé ; à Rodez, l'évêque Quintien, accusé par les Goths de songer à les trahir, s'enfuit à Clermont. Alaric, il est vrai, associait les évêques à la composition du recueil de lois, du Bréviaire, qu'il faisait rédiger, en 506, pour les Gallo-Romains ; la même année, il leur accordait de se réunir en concile à Agde. Au début de leurs séances, ils priaient à genoux pour que Dieu accordât un règne long et prospère à Alaric ; mais , chez la plupart, ces souhaits officiels ne pouvaient être sincères. A la tête des peuples gothiques se plaçait alors Théodoric, le roi des Ostrogoths. Tandis qu'avec une rare intelligence il cherchait à rétablir l'ordre en Italie, à restaurer la culture romaine, à gagner les sympathies des anciennes populations, d'autre part, soit par des alliances politiques, soit par des mariages, il travaillait à exercer une sorte de patronage politique sur les peuples germaniques. Il avait épousé la sœur de Clovis, Audoflède ; il avait marié une de ses filles, Ostrogoths, au fils de Gondebaud, Sigismond ; une autre, Theudigotha, à Alaric ; sa sœur, Amalafreda, à Thrasamond, roi des Vandales ; sa nièce, Amaloberga, à Hermanefried, roi des Thuringiens. Mais Clovis, devenu catholique, était un rival dont il se défiait. Quand il sentit qu'Alaric était de nouveau menacé, il intervint pour l'engager, ainsi que Clovis, à soumettre leurs différends aux princes de leur famille ; il écrivit à Gondebaud, aux rois des Hérules, des Thuringiens, des Varnes. Que Clovis renonce à attaquer les Wisigoths, qu'il se conforme au droit des gens ou, s'il méprise notre arbitrage, qu'il ait à lutter contre nous. On lui offre une entière justice, que veut-il de plus ? En vérité, celui qui veut agir en dehors de la loi se prépare à ébranler les royaumes de tous. Mais à ce moment Théodoric avait lui-même à se défendre contre l'hostilité de l'empereur : ses conseils ne furent pas écoutés. Ce fut une guerre de religion que Clovis déclara aux Goths. Il me déplaît fort, dit-il, que ces ariens détiennent une partie de la Gaule : allons, avec l'aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, étendons notre domination sur leur territoire. Il s'assure l'alliance et le concours de Gondebaud ; le roi des Francs de Cologne, Sigebert, lui envoie des troupes commandées par son fils Chlodéric. Dès qu'il se met en marche, d'après les légendes qui bientôt se répandirent, Dieu guide son armée et combat avec lui. En Touraine, Clovis ordonne de respecter les biens des églises, il tue un soldat qui a volé du foin à un pauvre paysan. Comment espérer vaincre, dit-il, si nous offensons saint Martin ? En retour le saint lui prédit la victoire. Quand les envoyés francs pénètrent avec des présents dans la basilique de Saint-Martin, le primicier des chantres entonne ce verset prophétique des Psaumes : Seigneur, tu m'as ceint de courage pour la guerre, tu m'as soumis ceux qui s'élevaient contre moi. Plus loin, quand Clovis arrive aux bords de la Vienne grossie par les pluies, une biche envoyée par Dieu lui indique un gué ; au-dessus de la basilique de Saint-Hilaire, à Poitiers, brille un globe de feu qui éclaire sa marche. La bataille s'engage à Vouillé, près de Poitiers. Les Goths prirent-ils la fuite, comme les en accuse Grégoire de Tours ? Ce qui est certain, c'est qu'Alaric mourut de la main de Clovis, qui lui-même n'échappa qu'à grand'peine à l'attaque de deux cavaliers ennemis. Les Arvernes, commandés par Apollinaire, fils de Sidoine Apollinaire, succombèrent en grand nombre, et, parmi eux, beaucoup de membres des familles sénatoriales (507). Clovis poursuivit sa victoire : son fils Thierry, passant par Albi et Rodez, alla soumettre l'Auvergne ; lui-même s'empara de Toulouse et du trésor royal gothique, puis soumit l'Aquitaine et hiverna à Bordeaux. En bien des villes sans doute les populations catholiques lui ouvrirent les portes. Grégoire de Tours a tiré la morale de ces événements telle que la concevaient les contemporains. Clovis, qui adhéra au dogme de la Sainte-Trinité, par elle ruina les hérétiques et étendit sa domination sur toute la Gaule. Alaric, qui la nia, fut dépouillé de son royaume, de son peuple, et, ce qui est plus grave, de la vie éternelle. Le Seigneur protège ceux qui croient en lui, et, si même leurs ennemis leur font subir quelque perte, il le leur restitue au centuple ; les hérétiques non seulement ne font point de gains, mais ils perdent ce qu'ils ont. Ni Clovis ni ses guerriers ne pouvaient avoir une idée nette de la Trinité ; Grégoire de Tours lui-même n'est qu'un pauvre théologien, mais ici se montre cette haine aveugle et implacable de l'hérésie qui ensanglantera le Moyen Age. Ce fut en triomphateur qu'il revint à Tours, la ville sainte de la Gaule à cette époque. Un événement mémorable s'y accomplit. Clovis reçut de l'empereur Anastase le diplôme de consul. Dans la basilique de Saint-Martin, il revêtit la tunique de pourpre, la chlamyde, et plaça sur sa tête un diadème ; puis il parcourut à cheval la distance comprise entre la porte de l'atrium de la basilique et l'église de la ville, en jetant des pièces d'or et d'argent au peuple. A partir de ce jour il fut appelé comme Consul et Auguste[9]. (Grégoire de Tours). Désormais Clovis apparaissait aux Gallo-Romains comme le délégué de l'empereur, et, par suite, comme le représentant de cet ordre de choses ancien qui, au milieu des troubles de ce temps, restait l'expression du droit. Ses conquêtes étaient en quelque sorte légitimées. Cependant Théodoric, qui n'avait pu secourir à temps son gendre, voulut du moins arrêter les progrès des Francs et des Burgondes dans le sud-est de la Gaule. En 509, il décida d'y envoyer une armée, commandée par le duc Ibbas. La délivrance d'Arles est l'épisode le plus connu de cette lutte qui se prolongea pendant plusieurs années. Francs et Burgondes l'assiégeaient. L'illustre Césaire, évêque de la ville, fut accusé par les Wisigoths, qui la défendaient, et par les Juifs de s'entendre avec l'ennemi ; on voulut le mettre à mort. Son innocence fut pourtant reconnue. Mais, malgré la charité dont il fit preuve, il restait suspect aux ariens ; plus tard il fut arrêté, conduit à Ravenne : il s'y justifia devant Théodoric, et reçut des présents qu'il employa à racheter des captifs. Le siège d'Arles fut levé à la suite d'une grande victoire d'Ibbas. Les Goths reprirent aussi Narbonne, dont Gondebaud s'était emparé. Théodoric, resté maître de la Provence, chercha à s'y faire accepter des populations : il accorda des remises d'impôts aux habitants des Alpes Cottiennes, qui avaient eu à souffrir du passage de son armée, à la ville d'Arles ; par de nombreuses mesures, il s'efforça de réparer les maux de la guerre. En outre il administrait la Septimanie au nom du fils d'Alaric, Amalaric, qui n'avait que cinq ans lors de la mort de son père et qui s'était réfugié en Espagne. IV. - LA FIN DU RÈGNE DE CLOVIS. DANS la guerre contre Alaric, comme dans la guerre contre les Alamans, les Francs de la région rhénane avaient fait cause commune avec les guerriers de Clovis. Cependant il en voulait faire ses sujets. Leur roi, Sigebert, résidait à Cologne. Clovis envoie secrètement des messagers au fils de Sigebert, Chlodéric. Voici que ton père a vieilli, il boite ; s'il mourait, son royaume te reviendrait avec notre amitié. Chlodéric fait égorger son père alors que, chassant dans la forêt Buconia, il dormait sous la tente, puis il avertit Clovis : Mon père est mort, j'ai son royaume et ses trésors : envoie des messagers qui choisiront pour toi des présents. Quand ils arrivent, il leur montre le coffre où Sigebert mettait son or. Et, tandis que, sur leur demande, il y plonge la main jusqu'au fond, l'un d'eux le tue d'un coup de hache. Alors survient Clovis, il assemble le peuple, il raconte à sa guise ce qui s'est passé : De tout ceci je suis innocent ; je ne puis répandre le sang de mes parents, car cela est défendu. Mais, puisqu'il en est ainsi, je vous conseille de vous tourner vers moi, afin que vous soyez sous ma protection. Ils approuvent par leurs cris, par le bruit de leurs armes qu'ils entrechoquent ; ils proclament Clovis leur roi en l'élevant sur le bouclier. A Cambrai régnait Ragnachar. Il avait irrité par ses débauches le peuple franc qu'il commandait. Clovis corrompt ses fidèles en leur donnant des bracelets et des baudriers en bronze doré ; puis il marche contre lui. Fait prisonnier avec son frère Richar, Ragnachar est conduit devant Clovis : Tu as humilié notre famille en te laissant enchaîner : mieux valait mourir, et il l'abat d'un coup de hache. Puis il se tourne vers Richar : Si tu avais secouru ton frère, il ne serait pas enchaîné, et il le tue. Cependant les traîtres ont reconnu qu'ils n'ont reçu que du bronze ; ils se plaignent. C'est l'or qui convient, dit Clovis, à ceux qui livrent leurs maîtres ; qu'ils s'estiment heureux de vivre, de peur qu'on ne leur fasse payer leur fourberie par les tortures. Un autre frère de Ragnachar, Rignomer, fut mis à mort au Mans, sur l'ordre de Clovis. Lors de la guerre contre Syagrius, le roi franc Chararich avait eu une attitude douteuse. Par ruse Clovis s'empare de lui et de son fils ; il les fait tonsurer, ordonner clercs. Chararich pleurait son malheur, la perte de ses longs cheveux, insigne de la royauté. Ce feuillage, lui dit son fils, a été coupé sur un arbre encore vert : rapidement il repoussera ; qu'aussi rapidement périsse celui qui nous a fait ces maux. Clovis apprend ces propos : il les fait tuer, s'empare de leurs trésors et de leur peuple[10]. Clovis avait donc étendu son autorité sur les peuples francs par la mort de ses parents. Un jour cependant il se lamentait devant ses fidèles : Malheur à moi qui reste comme un voyageur au milieu d'étrangers ; si l'adversité survient, je n'ai aucun parent qui me puisse venir en aide. — Mais il parlait ainsi par ruse, ajoute l'historien, voulant savoir s'il n'en restait pas quelqu'un qu'il pût tuer. L'épiscopat reconnaissant, au lieu de blâmer ces meurtres, y voyait la main de la Providence qui travaillait au triomphe du catholicisme et qui récompensait en Clovis un soldat fidèle. Dieu, dit Grégoire de Tours, à propos de la mort de Sigebert et de Chlodéric, abattait chaque jour ses ennemis sous ses coups et accroissait son royaume, parce qu'il marchait devant lui d'un cœur droit et qu'il exécutait ses volontés. Clovis est en effet le roi des évêques. Il leur demande conseil, il construit des églises, il protège saint Vaast, qui, devenu évêque d'Arras, travaille à restaurer le christianisme dans le nord de la Gaule. Les derniers événements de son règne attestent cette étroite alliance. Après la guerre gothique, il adresse aux évêques une lettre par laquelle il prend sous sa protection les biens des églises et les personnes qui en dépendent et se préoccupe de tous ceux qui, au cours de ces luttes, sont tombés en captivité. Il réunit à Orléans, en 511, les évêques de son royaume. A ce concile figurent les métropolitains de Bordeaux, d'Eauze, de Tours, de Bourges, de Rouen. Ils délibèrent sur les questions que Clovis a proposées à leur examen ; ils décident que nul, à l'exception des fils, petits-fils et arrières-petits-fils de prêtres, ne peut être ordonné clerc sans l'ordre du roi ou l'assentiment du magistrat. Le roi est déjà le distributeur des bénéfices ecclésiastiques, les clercs s'adressent à lui ; le concile décide qu'ils ne pourront aller le trouver sans lettres de recommandation de leurs évêques. Quand les canons sont rédigés, les évêques les soumettent à leur seigneur, fils de l'Église catholique, le très glorieux roi Clovis. Ils le louent du zèle qu'il montre pour la religion, ils le prient, s'il approuve leurs décisions, de les confirmer de son autorité supérieure et d'en assurer l'exécution. Ainsi, aux yeux de l'Église, il hérite des droits que s'étaient arrogés les empereurs chrétiens, et c'est elle qui le pousse à donner à son pouvoir un caractère absolu et sacré. Depuis la guerre gothique, Clovis s'était établi à Paris. L'admirable situation de la ville, encore peu importante, où déjà avait résidé l'empereur Julien, permettait au roi de veiller tout à la fois sur les anciens territoires francs dans le Nord et sur ses nouvelles conquêtes. Ce fut là qu'il mourut en 511. Il fut enseveli dans l'église des Saints-Apôtres, qu'il avait construite avec Clotilde, et qui devint l'église de Sainte-Geneviève. Clotilde se retira à Tours, auprès du sanctuaire de Saint-Martin. Le pouvoir qu'exerce Clovis à la fin de son règne présente un double aspect. Pour les Francs, il est le chef vaillant dont les longs cheveux indiquent la royale naissance et qu'ils suivent avec joie ; Clovis respecte leurs goûts, leurs institutions, auxquelles, comme on le verra plus loin, il donne la forme d'un droit écrit. D'ailleurs, astucieux, violent, cruel, jusqu'à la fin de son règne il reste un vrai Barbare. Mais, aux yeux des anciennes populations, il est un magistrat, reconnu par l'empereur, ami de l'épiscopat, chargé de les défendre, de les gouverner, de leur assurer l'usage de leurs lois. Cependant son administration ne manque point d'unité : les peuples qu'il gouverne n'ont point de fonctionnaires particuliers, dans une même circonscription le même comte commande aux Gallo-Romains et aux Barbares. Sur les uns comme sur les autres la royauté franque tend à s'assurer un pouvoir absolu, et les victoires que Clovis a remportées sur d'autres peuples ont contribué à le rendre plus maître du peuple franc. V. — LA LOI SALIQUE ET LA SOCIÉTÉ FRANQUE. UN document précieux, la loi salique, fait connaître la société franque à la fin du cinquième siècle[11]. A en croire un prologue qui fut placé plus tard en tête de la loi, elle aurait été rédigée une première fois quand la nation des Francs, glorieuse, ayant Dieu pour auteur, vaillante dans les armes, fidèle dans la paix, profonde dans le conseil, noble et belle de corps, était encore dans la Barbarie. Mais, après que l'éclatant et beau Clovis eut reçu le baptême, la loi aurait été révisée. Vive le Christ qui aime les Francs ! ajoute l'auteur du prologue. Qu'il protège leur royaume, qu'il remplisse leurs chefs de la lumière de sa grâce, qu'il veille sur leur armée, qu'il fortifie leur foi, qu'il leur accorde la joie et le bonheur ! Car c'est ce peuple qui, fort et vaillant, a secoué de son front le joug très dur des Romains, qui, après sa conversion, a couvert d'or et de pierres précieuses les corps des saints martyrs que les Romains avaient brûlés, décapités, livrés aux morsures des bêtes. Mais le témoignage de ce prologue poétique n'a qu'une valeur incertaine, et la plus ancienne rédaction connue de la loi n'est pas antérieure au temps où les Francs venaient de s'étendre jusqu'à la Loire. Mêlés à des peuples qui avaient des lois écrites, ils voulurent en avoir aussi. On a supposé, mais sans preuves suffisantes, que cette rédaction, d'un latin barbare, avait été précédée d'une autre en langue franque, dont des termes germaniques (gloses malbergiques), conservés dans la loi, seraient des débris. Quant au mot salique, certainement il s'applique au peuple franc que commandait Clovis. La loi salique n'est pas un code méthodique réglant le droit public et privé : elle ne cherche à définir ni les droits ni les devoirs de chacun, elle accepte les traditions sans les expliquer ni les justifier. C'est un assemblage assez confus et fort incomplet des règles en vigueur, c'est surtout un manuel de procédure qui fixe les formes des actes juridiques et le tarif des pénalités. Un principe y domine, celui de la composition, ou rachat de la vengeance. On a vu, dans un chapitre précédent, comment l'appliquait l'ancienne Germanie. Le droit salique admet encore le droit à la vengeance, mais dans certains cas seulement, l'homicide, l'adultère, le viol, le rapt, la violation de sépulture et quelques formes du vol. Pour les autres, les tribunaux n'ont plus un simple rôle d'arbitrage : dès que l'offensé invoque leur appui, ils contraignent l'offenseur à comparaître devant eux. Ainsi s'accuse l'effort pour prévenir les querelles sanglantes. La loi s'attache donc à déterminer les conditions de la conciliation, de la composition, c'est-à-dire la somme que devra payer l'offenseur. Cette somme, c'est le faidus : celui qui l'acquitte échappe à la faida, c'est-à-dire à l'inimitié de la famille de l'offensé. Pour la fixer, la loi calcule le prix de l'homme, pretium hominis, wergeld. Mais le coupable n'a pas à compter seulement avec la personne lésée ou avec sa famille ; il doit une réparation à la société qui intervient au nom de l'intérêt général et de la paix : de là une amende, le fredus (friede, paix) qui revient à l'État. Si au meurtre s'ajoutent des circonstances aggravantes, le prix de l'homme est augmenté en proportion ; s'il ne s'agit que de coups ou de blessures, on calcule dans quelle mesure la valeur de l'homme en a été diminuée ; en matière de vol, on estime quel dommage lui a été fait. Le meurtrier qui n'est pas en état de racheter son crime est exposé à composer de sa vie, c'est-à-dire que la famille lésée peut le mettre à mort. Çà et là il est question de la peine de mort. D'autres peines corporelles, la flagellation, la castration, ne frappent que les esclaves. Les compositions sont évaluées en sous d'or et en deniers d'argent de type romain. On taillait 72 sous dans une livre d'or, et le sou avait une valeur intrinsèque de 9 fr. 28 ; 40 deniers équivalaient à un sou. Quant à la valeur relative de ces monnaies, il est difficile de l'estimer : dans une loi franque un peu postérieure un bœuf vaut deux sous, une vache trois sous, un cheval douze sous, une jument trois sous. La famille est puissante encore ; ses membres sont solidaires les uns des autres. Par la coutume de la Chrenechruda[12], le meurtrier qui ne peut payer la composition invoque l'assistance de ses parents ; après que douze garants ou cojurés ont affirmé qu'il a tout donné et qu'il ne lui reste rien, ni sur la terre ni dessous, il entre dans sa maison, il ramasse de la terre aux quatre angles et, se tenant sur le seuil, il la jette de la main gauche sur son plus proche parent, à son défaut sur les autres membres de sa famille. Puis, en chemise, déchaussé, l'épieu à la main, il saute par-dessus la haie de son enclos et se déclare ainsi dépouillé de tout. Ses proches doivent payer pour lui. D'autre part, la composition payée pour un assassinat est partagée entre les fils de la victime et les autres parents. Toutefois déjà cette solidarité familiale s'affaiblit. La loi salique indique comment on peut s'y soustraire et rompre les liens de la parenté. Quiconque veut le faire se présente devant le tribunal, il brise sur sa tête trois baguettes d'aulne, il les jette de quatre côtés opposés et déclare qu'il renonce à l'héritage et aux intérêts de la famille. Dès lors, si un de ses parents est tué ou meurt, il n'a aucun droit ni à la succession, ni à la composition. A une époque antérieure, celui qui aurait ainsi rompu avec la famille se serait trouvé isolé, sans appui, sans ressources ; maintenant l'État s'est développé et. chacun peut compter déjà sur sa protection efficace. Cependant la constitution intérieure de la famille se maintient forte encore. Ceux qui la composent sont groupés sous le mundium (de munt, mundis, main, protection) de son chef, et l'on entend par là l'autorité qu'il exerce sur sa femme, sur ses enfants, sur ses affranchis, sur ses esclaves. Mais la loi salique ne renseigne point avec précision sur les droits que confère le mundium, et on ne peut dire s'ils étaient plus ou moins étendus que ceux du père de famille dans l'ancienne Rome. A côté de ce chef, la famille est investie d'un certain contrôle sur ses membres, qu'il s'agisse d'approuver les mariages, d'exercer une sorte de tutelle sur les enfants ou d'autoriser une veuve à contracter une union nouvelle. On trouvera dans un autre chapitre des renseignements sur les classes sociales et sur l'organisation politique[13]. Le roi, dont les pouvoirs sont considérables, est représenté dans les circonscriptions du royaume par des grafs ou comtes qui réunissent des attributions multiples dont la principale est la justice[14]. C'est par le développement de la justice que se fortifie l'action de l'État et du roi. L'unité judiciaire parait être la centaine, circonscription territoriale et administrative, qui, à l'origine, avait compris sans doute environ cent chefs de famille. Chaque centaine a son tribunal, mall ; le lieu où il se réunit est le mallberg. C'est là qu'on juge, là que s'accomplissent des actes qui, comme les contrats, ont besoin de publicité, mais, en aucun cas, le mall n'a le caractère d'une assemblée politique. Le centenier, centenarius, thunginus (celui qui contraint), préside. Est-il fonctionnaire royal, ou bien est-il élu par les hommes libres de la centaine ? On l'ignore, et on n'est pas mieux renseigné à cette époque sur le caractère de ceux qui l'assistent, au nombre de sept au moins, les rachimbourgs, terme dont le sens étymologique est peu clair. Au-dessus de ces tribunaux locaux est le tribunal du roi, où est cité notamment, en dernier recours, celui qui a refusé de comparaître devant d'autres juridictions. La procédure suivie devant les tribunaux garde la physionomie des institutions primitives ; l'acte juridique est souvent, on l'a vu déjà, comme un petit drame qui se déroule sous les yeux des assistants. Quelques usages rappellent que l'action juridique se substitue à un combat : ainsi la loi mentionne parfois que le demandeur ou le défendeur doit saisir une baguette ou un bâton, la festuca, qui est le symbole de l'arme à laquelle on avait auparavant recours. Cependant le combat judiciaire n'apparaît pas dans la plus ancienne rédaction de la loi. Par contre certaines épreuves y figurent, ailleurs désignées sous le nom d'ordalies. Le demandeur peut réclamer que celui qu'il a cité plonge la main dans une chaudière d'eau bouillante ou se rachète de cette épreuve ; s'il n'est pas brillé, ou s'il guérit rapidement, il est innocent : la divinité est ainsi mise en demeure de se prononcer sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé. La loi salique ne connaît que les preuves orales. Elle se préoccupe de la véracité des témoignages, elle frappe d'une amende le témoin qui refuse de déposer et le faux témoin. En outre les parties peuvent avoir recours à des cojurateurs : ce ne sont point des témoins qui certifient que tel ou tel fait s'est passé, ce sont des garants qui attestent que l'homme qu'ils assistent est de bonne foi. La société franque est agricole et pastorale. Les Francs, sans cesser d'être guerriers, aiment la terre et les produits qu'ils en peuvent retirer. Les troupeaux forment encore leur principale richesse, mais ils cultivent les céréales, le lin, les fèves, les lentilles, les navets ; ils ont des champs, des jardins, des vignes que séparent des haies. La loi est soucieuse d'assurer le respect de la propriété individuelle. Arracher trois pieux ou des branches d'une haie, passer avec un char sur le champ du voisin, le traverser quand le blé pousse, y envoyer son troupeau sont des délits qui sont punis de fortes amendes. Cette propriété se transmet par hérédité ou par adoption. Celui qui veut donner ses biens à un autre comparait devant le mall ; il investit par la festuca de ce qu'il possède, en totalité ou en partie, un intermédiaire ; celui-ci simule une prise de possession, s'établit dans la maison du donateur, y héberge trois hôtes, puis, dans un délai de douze mois, transmet les biens au véritable donataire. Cet acte, qu'on désigne par le terme d'adfathamire, dont le sens est ambigu, correspond, dans une certaine mesure, tout à la fois à l'adoption et au testament. La succession héréditaire est réglée de la façon suivante : les fils héritent d'abord et se partagent les biens, sans qu'il soit mention de privilège en faveur de l'aîné ; à leur défaut viennent la mère, puis le frère, puis la sœur, la tante maternelle, et enfin les autres parents, mais avec cette clause que les femmes sont exclues de toute succession à la terre. L'héritage est désigné par le mot d'alod, alleu, qui, dans la suite, prendra un autre sens. La loi salique parle en divers endroits de villæ. Ce terme s'appliquait tantôt à un domaine rural appartenant à un riche particulier, tantôt à un groupe d'habitations et de propriétés qui formaient un village. Les constructions rurales sont simples, souvent en bois ; le mobilier ne comprend guère que des lits, des sièges, des bancs ; l'atelier, la pièce où se tiennent les femmes et où elles travaillent, screona, est souvent à demi souterraine, pour éviter le froid. Greniers, hangars, étables, tout est pauvre et grossier. Les instruments agricoles sont peu nombreux : ce sont des chariots, des charrues ; le fer parait rare. En général la loi semble s'appliquer à des propriétés d'étendue moyenne plutôt qu'à de vastes domaines. Trouve-t-on dans la loi salique les traces d'une époque où se pratiquait le roulement des terres et où la propriété individuelle n'existait pas[15] ? Pour s'en tenir aux faits certains, beaucoup de forêts, de pâturages paraissent être communs. En outre, un texte au moins montre l'existence de communautés villageoises. Quelqu'un veut-il s'établir sur le territoire d'une villa ? Il ne suffit pas qu'un ou plusieurs de ceux qui l'occupent l'accueillent : l'opposition d'un seul des habitants, si elle se produit selon les formes fixées par la loi, dans un délai d'un an, entraine son expulsion. Sans doute ces villageois ont, des propriétés individuelles, mais ils forment une association dont les membres sont solidaires et dans laquelle nul ne peut s'introduire sans l'assentiment de tous. Pasteurs et agriculteurs, les Francs conservent cependant la passion des anciens Germains pour la chasse ; ils s'y livrent dans les vastes forêts qui couvrent le sol de la Gaule. Une amende énorme frappe celui qui vole du gibier, qui dérobe ou tue le cerf apprivoisé destiné à attirer les cerfs sauvages ; on attache un grand prix aux chiens, aux oiseaux de chasse. La loi n'est pas moins sévère pour les délits de pêche. Mais le commerce est nul ; les industries sont peu développées : celles qui sont indispensables à des agriculteurs et à des guerriers sont presque seules pratiquées, et on les abandonne à des esclaves. Un seul art de luxe est mentionné, l'orfèvrerie, qui apparaît de bonne heure dans les sociétés barbares. Les mœurs sont encore celles d'un peuple violent et guerrier. Traiter son adversaire de renard, de lièvre, lui reprocher d'avoir jeté son bouclier, sans pouvoir en donner la preuve, sont des injures graves ; plus grave encore est l'accusation de délation et de mensonge. Les attaques par bandes contre les personnes et les biens paraissent fréquentes, les routes ne sont pas sûres, on court risque d'y être dépouillé, tué. On vole les fruits, les moissons, les animaux domestiques, les esclaves, même les enfants et les hommes libres. D'autre part, ces guerriers s'emportent facilement et, des injures, sont prompts à passer aux coups : il n'est pas rare que les repas où sans doute, comme au temps de Tacite, on boit beaucoup, se terminent par des rixes, par un meurtre. Le meurtre, sous ses diverses formes, tient donc une large place dans la loi salique. La composition varie non seulement selon la condition de la personne, mais selon les circonstances : elle est triple si le meurtre est commis à l'armée, si l'assassin cherche à cacher son crime en jetant le cadavre dans un puits, dans un cours d'eau, ou en le couvrant de branches. Par contre quand, à la suite d'une querelle, un homme a été victime de ses ennemis, ceux-ci souvent s'en font gloire et l'exposent sur la route après lui avoir coupé pieds et mains ; s'il vit encore et qu'un passant l'achève, celui-ci doit payer la moitié de la composition pour homicide. La loi est sévère aussi pour les sorciers et les sortilèges : elle condamne à une composition de 200 sous celui qui aura fait mourir une personne par un breuvage d'herbes magiques. Elle veille sévèrement sur les restes des morts : quiconque dépouille un cadavre avant les funérailles paie une composition de 63 sous ; qui viole une sépulture est mis au ban de la société jusqu'au jour où les parents du mort consentent à une conciliation : il paie d'ailleurs une composition de 200 sous et, tant qu'il n'a point transigé, quiconque l'héberge ou lui donne du pain, fût-il de sa famille, doit une amende de 15 sous. S'agit-il de blessures ou de coups, le tarif est minutieusement fixé : 63 sous pour une tentative d'assassinat ; 30 sous pour une blessure qui brise le crâne, met le cerveau à découvert, ou pénètre dans les côtes ou le ventre ; 15 sous pour l'effusion de sang ; 9 sous pour des coups de poing. S'il y a mutilation, la composition est plus forte : 100 sous pour la perte d'un pied, d'une main, d'un œil, du nez ; 50 sous pour le gros doigt du pied ou de la main ; 35 sous pour le doigt qui sert à lancer la flèche. La femme, l'enfant sont l'objet d'une protection spéciale, où se reconnaît le souci de maintenir la pureté et l'intégrité de la famille. Appeler une femme prostituée, sans pouvoir faire la preuve, est une injure qui se paie quinze fois plus cher que celles qu'on adresse à un homme ; serrer la main, le bras d'une femme entraîne une amende qui varie de 15 à 35 sous ; l'enlèvement de la femme mariée équivaut au meurtre de l'homme libre. Par contre, la femme n'a pas le droit d'altérer le sang de sa race : si elle épouse un esclave, elle est mise hors la loi, ses biens sont confisqués, personne ne peut l'héberger et ses parents ont droit de la tuer ; quant à l'esclave, il subit le supplice de la roue. Les Germains, au temps de Tacite, n'admettaient point qu'on limitât le nombre des enfants. Il en est encore ainsi, et une amende de 100 sous frappe celui qui pratique un avortement. Le meurtre d'une femme enceinte est puni d'une composition quatre fois plus forte que celui d'un homme libre. La femme qui a donné des preuves de fécondité vaut trois fois plus que l'homme libre ; mais, dès qu'elle ne peut plus être mère, elle perd ce privilège. L'enfant, jusqu'à l'âge de douze ans révolus, époque de la majorité, est protégé lui aussi par une composition triple. Ainsi la loi définit les rapports entre les Francs ; elle cherche à contenir ces guerriers rudes et. brutaux. Mais entre eux et les anciennes populations au milieu desquelles ils vivent, quelles sont les relations légales[16] ? Les Gallo-Romains continuent à être jugés d'après la loi romaine ; même on a pu relever dans la loi salique des dispositions où se montre l'influence de la législation romaine. Il n'y est question ni de vainqueurs ni de vaincus. Toutefois, tandis que, pour le Franc ou le Barbare qui vit selon la loi salique, le prix de l'homme est de 200 sous, il s'abaisse à 100 pour l'homme romain. On a soutenu, il est vrai, que, dans cet homme romain, il fallait voir non le Romain de naissance libre, mais l'affranchi selon la loi romaine. Cette explication doit être écartée, mais il ne s'ensuit pas que la différence de wergeld implique le dessein d'infliger une humiliation au Romain et de marquer entre lui et le Franc une inégalité sociale. Dans les pays que les Francs viennent de conquérir, ils forment, au milieu des anciennes populations, une minorité souvent très faible ; entre eux les querelles, les rixes se terminent fréquemment par mort d'homme : on comprend donc que la loi sauvegarde leur vie avec un soin particulier. Ainsi que le disait déjà Guizot, dans la fixation du wergeld l'utilité ou la rareté de l'homme tué entrait en considération[17]. Nulle part il n'est question d'un partage de terres entre les Francs et les Romains. Contrairement à ce qui s'était passé dans les pays occupés par les Wisigoths et. les Burgondes, les anciens habitants des régions où s'établit Clovis ne furent point atteints dans leurs propriétés. C'est qu'auparavant déjà les Francs étaient installés dans le Nord, et là, comme on l'a vu plus haut, les anciennes populations avaient à peu près disparu, elles avaient été dépossédées et avaient souffert de cette occupation plus que d'un partage. Mais, par suite, quand Clovis entreprit ses conquêtes, la masse du peuple franc était pourvue, elle n'émigra guère vers le Sud, dans les régions de la Seine et de la Loire : les guerriers qui, après avoir combattu avec lui, s'y fixèrent en petit nombre purent se contenter des vastes terres que possédait le fisc, sans occuper les biens des particuliers. Sans doute çà et là des violences, des actes de spoliation accompagnèrent la conquête, mais il n'y eut point de partage légal. Si faible d'ailleurs fut en Gaule le nombre des Barbares comparé à celui des anciens habitants que la langue qui s'y élabora, et qui devint commune aux uns comme aux autres, fut toute romaine. Dans certaines régions on n'a point trouvé de cimetières germaniques. La loi salique nous offre l'image de la société franque au début du VIe siècle. D'autre part, son influence se retrouve dans les lois des peuples barbares soumis à la puissance franque, qui furent rédigées dans la suite : elle représente vraiment le droit barbare. Longtemps après, jusqu'au XIIe et au XIIIe siècle, on l'invoquera sur la rive droite comme sur la rive gauche du Rhin et, plus tard encore, les traces s'en rencontrent dans les institutions et les usages juridiques du Moyen Age. Au commencement du VIe siècle si, par bien des points, les institutions romaines ont encore dans notre pays de profondes racines, cependant la physionomie de la Gaule a changé et les contemporains eux-mêmes en ont conscience. Nous entrons dans cette période où, comme le dit Grégoire de Tours, se déchaîne la barbarie. |
[1] SOURCES. Dom Bouquet, Recueil des Historiens de Gaule et de France, t. III, IV. Dans les Monumenta Germaniæ Historica les 3 volumes des Scriptores rerum Merovingicarum (Grégoire de Tours, chronique dite de Frédégaire, Liber Historiæ, vies de saints) ; Cassiodori Variæ ; Epistolæ merovingici ævi ; Concilia ævi merovingici.
OUVRAGES À CONSULTER. Outre les ouvrages déjà cités de Fustel de Coulanges, Waltz, Dahn, Sybel, Digot, Longnon, Lamprecht, etc., Junghans, Histoire de Childérich et de Chlodovech, trad. Monod, 1879. Kurth, Clovis, 2e édition, 1901, ouvrage dont la valeur scientifique très réelle est trop compromise par des hypothèses incertaines et des préoccupations apologétiques ; tous les travaux récents y sont indiqués. Rajna, Le origini dell' epopea francese, 1884 ; Nyrop, Storia dell' epopea francese, 1888, trad. du danois ; Kurth, Histoire poétique des Mérovingiens, 1893, ont étudié les légendes qui enveloppent l'histoire de Clovis.
[2] La légende est née par suite d'une fausse étymologie : on a interprété Mérovée, fils de la mer.
[3] Ces objets étaient déposés à la Bibliothèque Nationale ; on les vola en 1831. Une partie seulement fut retrouvée et placée au Louvre.
[4] Chlodouechus, Chlotouechus, qui deviendra Hludowicus à l'époque carolingienne, d'où Louis. Ce nom se compose de Chlodo, Chludo, qui veut dire célèbre, et vechus, qui a le double sens de guerrier et prêtre. C'est un souvenir de l'époque où le roi était prêtre. D'Arbois de Jubainville suppose que Clovis était encore à la fois le chef guerrier et le chef religieux : Études sur la langue des Francs à l'époque mérovingienne, 1900, p. 75.
[5] Procope, De bello gothico, I, 12, parle d'un peuple, qu'il appelle les Arboryches, qui aurait résisté aux Francs, puis aurait traité avec eux. Qu'étaient ces Arboryches ? Il n'est pas possible de les identifier. En tout cas, comme Procope les place sur les bords du Rhin, on ne peut y voir les habitants de l'Armorique.
[6] Chrothichildis, Chrodechildis, Chrodichildis.
[7] Ce récit de Grégoire de Tours a été fort discuté : Schubert, Die Unterwerfung der Alamannen unter die Franken, 1884 ; Vogel, Chlodwig's Sieg über die Alamannen und seine Taüfe, Historische Zeitschrift de Sybel, 1886 ; Krusch, Chlodovechs Sieg über die Alamannen, Neues Archiv, 1887. Je crois qu'il faut le conserver, dans son ensemble, avec la date qui y est indiquée.
[8] A côté de la lettre d'Avitus on citait autrefois la lettre du pape Anastase à Clovis. Julien Havet, Questions mérovingiennes, 1885, et t. I de ses Œuvres, 1896, a montré qu'elle était tout au moins fort suspecte.
[9] On a vainement cherché à diminuer la valeur de ce texte. Le savant qui connaît le mieux les institutions romaines, Mommsen, Ostgothische Studien, dans le Neues Archiv, 1890, l'accepte, sauf deux points : Clovis n'a pu porter le diadème que comme roi ; quant au titre d'Auguste, il n'a pu que se l'arroger lui-même.
[10] Dans ces récits la légende a sa part, mais rien ne prouve qu'ils ne s'appuient pas sur des faits réels. On a quelquefois soutenu qu'il fallait placer quelques-uns de ces meurtres h une date antérieure au baptême de Clovis. La chronologie en est obscure, néanmoins il n'y a pas de raison tout à fait décisive pour ne pas suivre Grégoire de Tours qui les place vers la fin du règne.
[11] Parmi les éditions nombreuses de la loi salique, voir celles de Pardessus, 1843, de Hessels et Kern, 1880, de Geffcken, 1898, etc. Outre les ouvrages cités plus haut, voir Waitz, Das alte Recht der Salischen Franken, 1846 ; Sohm, Der Process der Lex Salica, 1867, traduit dans la Bibliothèque de l'École des Hautes Études, 1873, et Die frankische Reichs- und Gerichtsverfassung, 1871 ; Schröder, Die Franken und ihr Recht, dans la Zeitschrift der Savigny Stiftung, 1881 ; Fahlbeck, La royauté et le droit francs, 1883 ; Thonissen, L'organisation judiciaire, le droit pénal et la procédure pénale de la loi salique, 2e édit., 1882 ; Lamprecht, trad. Marignan, Études sur l'état économique de la France, 1889 ; Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, 1897 ; Beauchet, Histoire de l'organisation judiciaire en France, 1886 ; Esmein, Cours élémentaire d'histoire du droit français, 1901, nouv. édit. ; Viollet, Précis d'histoire du droit français, 1886, et Histoire des institutions politiques et administratives de la France, 1890. — Sur les gloses malbergiques voir surtout un travail de van Hellen dans les Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache de Sievers, 1900, et d'Arbois de Jubainville, Nouvelle revue historique de Droit, 1902.
[12] D'après Kern, ce terme se composerait de chrene, pur, et chrud, grattage ; d'après van Helten, hrini, toucher, cruda de crudan, obligation : obligation par le toucher.
[13] On peut glaner çà et là dans la loi salique quelques détails sur l'association politique ; mais elle ne décrit point cette association. Ceux qui ont voulu y trouver une règle pour la succession du royaume se sont entièrement mépris et ont fort mal interprété le texte : De terra nulla ad mulierem hereditas peroeniat, où il s'agit simplement de l'héritage de la terre. [Dans la suite, la femme fut admise à la succession de la terre, et l'on ne comprit plus la défense absolue de la loi salique. On corrigea dès lors : De terra salica nulla ad mulierem hereditas peroeniat ; la femme restait simplement exclue de l'héritage du manus indominicatus qui entourait la maison.]
[14] Il est aussi question de la loi salique de sacibarons. Ce sont des sortes de vice-grafs, que le roi peut choisir même parmi ses esclaves. Les fonctions, d'ailleurs mal connues, du sacibaro sont d'ordre judiciaire, et le mot même signifie celui qui formule le verdict.
[15] Viollet, Précis de l'histoire du Droit français, p. 482, a donné une bibliographie de cette question si discutée. On a dépensé dans cette controverse beaucoup d'ingéniosité, d'érudition et parfois trop d'imagination.
[16] Outre les travaux déjà cités, J. Havet, Du sens du mot Romain dans les lois franques, Revue historique, 1876, et t. II de ses Œuvres, 1896 ; Rajna, Le origini dell' epopea francese, 1884, p. 336 et suiv. Des discussions très vives se sont engagées au sujet de la théorie de Fustel de Coulanges qui a proposé de voir dans le Romanus de la loi salique l'affranchi romain.
[17] Guizot, Essais sur l'histoire de France, 13e édit., p. 172, 173.