CHAPITRE III. — L’ENTRÉE DES GAULOIS DANS LA CITÉ ROMAINEI. — LES ASSOCIATIONS DE CITOYENS ROMAINS. LES CONCESSIONS DU DROIT LATIN ET DU DROIT DE CITÉ. LE DISCOURS DE CLAUDE[1] [LES ASSOCIATIONS DE CITOYENS ROMAINS] L’ADMISSION de tous les Gaulois au droit de cité romaine fut le dernier acte de la transformation accomplie dans la Gaule. Les citoyens romains ne furent longtemps, en dehors de l’Italie, qu’une très faible minorité, composée d’abord exclusivement de négociants qu’attirait dans les pays soumis le désir d’exploiter les vaincus, et renforcée petit à petit par l’appoint des provinciaux choisis entre leurs compatriotes pour participer aux privilèges de la nation conquérante. Isolés au milieu des populations sujettes, exposés à leur jalousie, à leur malveillance, à leur hostilité latente ou déclarée, ils sentirent le besoin de se rapprocher, de se grouper. De là ces associations appelées conventus que nous voyons se multiplier dans toutes les parties du monde romain. Il va de soi qu’elles perdaient leur raison d’être à mesure que se propageait autour d’elles le droit de cité ou même cette forme atténuée du droit de cité qui était le droit latin. C’est pourquoi il n’en est plus question dans la Narbonnaise, dés le début de l’ère impériale. Elles disparurent de même, plus lentement, dans les trois Provinces. Elles avaient par leur influence répandu le goût de la civilisation latine et préparé le terrain pour les institutions municipales dont elles offraient, dans leur administration intérieure, une image réduite. [LEUR ORGANISATION] Les conventus étaient régis chacun par un curateur, assisté quelquefois d’un questeur. Nous trouvons de ces curateurs à Auch, à Périgueux, à Saintes, à Avenches, à Mayence[2]. Nous trouvons un questeur dans cette dernière ville et dans la cité des Nerviens. Les curateurs locaux relevaient d’un curateur provincial (summus curator civium romanorum provinciae Aquitaniae ou Lugdunensis). Cette organisation centralisée ne se rencontre d’ailleurs que dans la Gaule. Les curateurs locaux et provinciaux étaient presque toujours des personnages considérables, ayant passé par les fonctions municipales, Gaulois d’origine par conséquent, et par là plus aptes à défendre, dans leur milieu, les intérêts dont ils avaient la charge. Pourtant ils n’habitaient pas nécessairement au milieu de leurs commettants. Sur trois curateurs du conventus helvétique, on en compte deux qui ont exercé des magistratures ailleurs que chez les Helvètes, l’un à Vienne, l’autre à Nyon. Le seul curateur connu pour la province d’Aquitaine est un Lyonnais. [PRIVILÈGES DES CITOYENS ROMAINS] Il faut se représenter ce qu’étaient, au début de notre ère, pour la masse des provinciaux, ceux qui s’intitulaient citoyens romains. Ils incarnaient en leur personne l’orgueil et la majesté du peuple roi. Ils avaient le connubium et le commercium, ce qui veut dire qu’ils pouvaient se marier, acquérir, trafiquer, tester, hériter, suivant les modes et sous la garantie de la loi romaine. Sans doute la valeur légale de ces actes était assurée pour les pérégrins ou non citoyens soit parles règles du droit des gens imaginé à leur intention, soit par leur droit national dont Rome savait au besoin imposer le respect. Mais ce droit national n’était qu’un ensemble de coutumes locales, variant d’une cité à une autre, très gênantes pour les relations avec le dehors et constituant un grand désavantage, dans la lutte commerciale, à l’égard du concurrent pourvu de la qualité de citoyen. Quant au droit des gens, il était, lui aussi, sur certains points, une cause d’infériorité. La forme de mariage qu’il consacrait entre citoyens et pérégrins ne produisait pas les mêmes effets que les justes noces conformes à la loi romaine. Les enfants nés de ces unions étaient pérégrins. En ce qui concerne la juridiction criminelle, les citoyens, par une application des vieilles lois sur l’appel au peuple, furent d’abord jugés à Rome où ils bénéficiaient d’une pénalité plus douce. Plus tard, quand, en raison de leur nombre croissant, on dut les juger sur place, ils demeurèrent soustraits aux supplices les plus infamants. Ils avaient encore d’autres prérogatives. C’est parmi eux que le gouverneur choisissait la majeure partie des juges. Seuls, jusqu’au IIe siècle de notre ère, ils furent admis à figurer dans la légion. Seuls enfin ils pouvaient aspirer à devenir fonctionnaires de l’État. Les plus favorisés voyaient s’ouvrir devant eux la carrière sénatoriale. Les autres étaient aptes du moins aux fonctions équestres. Il n’était pas jusqu’au port de la toge qui ne leur fût exclusivement réservé et qui n’ajoutât à leur prestige. Élevés à cette hauteur, on comprend qu’ils aient été un objet d’envie. Devenir citoyen romain fut l’ambition de tout pérégrin, de tout Gaulois. [LE DROIT LATIN] Il y avait un degré intermédiaire entre la condition de pérégrin et celle de citoyen. C’était le droit latin dont nous avons vu précédemment l’origine et la nature. Le droit latin comportait le commercium. Il pouvait être accompagné de la concession du connubium. De plus il ouvrait une voie pour l’acquisition du droit de cité. Ce droit était concédé en effet ipso facto à tous ceux qui avaient exercé une magistrature dans une cité de droit latin. [PROPAGATION DU DROIT LATIN] Le droit latin était octroyé par mesures collectives. Il fut concédé, dès les premières années de l’Empire, à tous les peuples de la Narbonnaise qui n’avaient pas été dotés du droit de cité. En dehors de la Narbonnaise, Auguste l’attribua à divers peuples des Alpes Maritimes et Cottiennes ainsi qu’à quelques autres de l’Aquitaine, parmi lesquels nous pouvons nommer les Ausces et les Convènes ; mais la zone alpestre et le Midi de la Gaule marquèrent la limite où il s’arrêta et qui ne fut pas franchie pendant un demi-siècle. Claude lui-même (41-54), que nous allons voir si large quand il s’agissait de conférer le droit de cité aux membres de l’aristocratie gauloise, parait avoir été beaucoup moins pressé de communiquer à toutes les classes de la société le droit inférieur de la latinité. Il se contenta de l’accorder aux populations du Valais. Plus près de l’Italie, la province des Alpes Maritimes n’y arriva dans sa totalité que sous Néron (54-68). Il se répandit plus rapidement à la faveur des événements de 69 et de 70. Tacite reproche à Vitellius de l’avoir prodigué, ce qui doit s’entendre des cités qui, dans la Gaule du Nord-Est, avaient mérité cette récompense en se prononçant pour cet empereur. Vespasien (69-79), qui l’étendit à toute l’Espagne, ne dut pas en être avare pour les Gaulois non plus que Hadrien, qui s’en montra aussi fort libéral (117-138). On ne se trompera guère sans doute en admettant qu’à cette époque, vers le milieu du deuxième siècle, tous les peuples de la Gaule en étaient pourvus, à défaut du droit de cité. Il n’y a d’exception à faire que pour la frontière rhénane, pour les pays d’occupation militaire, où l’on ne voyait en présence que des citoyens et des barbares et oit par conséquent le droit latin, s’appliquant à une catégorie intermédiaire, n’avait pas de place et ne parait pas, en fait, s’être propagé. [PROPAGATION DU DROIT DE CITÉ] Le droit de cité était conféré collectivement ou individuellement. Les individus l’obtenaient ou par une faveur gratuite ou parce qu’ils avaient rempli certaines conditions déterminées. [CONCESSIONS COLLECTIVES] Nous sommes peu renseignés sur la diffusion du droit de cité par mesures collectives. Nos textes ne nous signalent de mesures de ce genre que dans cette période troublée où nous avons vu déjà se multiplier les concessions du droit latin. Les prétendants se disputaient la Gaule. Ils comblaient de faveurs leurs partisans. Galba donna l’exemple en accordant le droit de cité aux peuples qui avaient acclamé Vindex, c’est-à-dire à ceux de l’Ouest et du Centre. Vitellius, on l’a vu, se contenta d’octroyer le droit latin aux peuples du Nord-Est. Othon fit mieux. Il essaya de gagner les Lingons qui s’étaient déclarés contre lui en les élevant en masse au droit de cité[3]. L’expression employée par Tacite est à noter. On sait en effet que les habitants des villes et ceux des campagnes ne jouissaient pas toujours de droits égaux[4]. [CONCESSIONS INDIVIDUELLES EN VERTU DE LA LOI. LATIUM MAJUS ET MINUS] Les individus qui obtenaient le droit de cité pour avoir rempli certaines conditions spécifiées par la loi étaient en premier lieu ceux qui avaient exercé une magistrature dans une cité de droit latin. Ce fut Trajan ou plus probablement Hadrien qui élargit cette issue en instituant une nouvelle forme du droit latin, le droit latin dit majeur (Latium majus), par opposition à l’ancien qualifié désormais de mineur (Latium minus). La différence c’est que le droit latin majeur étendait aux décurions le privilège réservé jusque-là aux magistrats. [LES ANCIENS SOLDATS] Les citoyens créés par ce moyen ne pouvaient être très nombreux, et ils appartenaient tous à l’aristocratie. Le service militaire ouvrait un débouché plus large à l’usage des classes inférieures. Les soldats enrôlés dans les légions recevaient le droit de cité en y entrant. Ceux qu’on envoyait dans les troupes auxiliaires pouvaient l’obtenir en quittant le service. L’armée fut ainsi pour la Gaule, comme pour le reste de l’Empire, et plus encore pour la Gaule que pour beaucoup d’autres provinces, en raison de l’importance de son contingent, l’école et, si l’on peut ainsi parler, la grande fabrique des citoyens romains[5]. [LES AFFRANCHIS] Il ne faut pas oublier l’appoint fourni par les affranchis, très nombreux en Gaule, comme partout ailleurs, mais qui à la vérité n’étaient pas tous des Gaulois. L’esclave d’un citoyen, une fois affranchi, devenait lui-même citoyen comme son patron. Telle fut la règle jusqu’aux premiers temps de l’Empire. A cette époque les affranchissements devenant de plus en plus fréquents et menaçant de submerger la cité sous un afflux d’éléments suspects, on se préoccupa d’en réduire le nombre et d’en atténuer les effets. De là la catégorie d’affranchis dits juniani, d’un nom emprunté à la loi qui les avait institués, la loi Junia Norbana, œuvre des deux consuls Junius et Norbanus, en 19 ap. J.-C. Les juniani étaient des esclaves qui, affranchis en dehors du contrôle de l’État, n’obtenaient avec la liberté qu’un droit latin réduit au minimum, c’est-à-dire le jus commercii moins le droit d’hériter et de tester. Cette situation était comme un stage à la suite duquel ils s’élevaient au rang de citoyens moyennant certaines garanties ou après certains services rendus à la société, par exemple la procréation d’un enfant mâle ou l’exercice d’une industrie utile. [FACILITÉS NOUVELLES] A mesure qu’on avance on voit se multiplier les facilités pour l’acquisition du droit de cité. Une série de dispositions antérieures à Hadrien corrigea la rigueur de la loi sur les unions contractées en dehors du connubium. Pour faire d’un couple composé d’un pérégrin et d’une Latine une paire de citoyens, on n’exigea qu’une condition : la survenance d’un enfant avec la preuve, qui sans doute n’était pas difficile à produire, que la femme s’était trompée de bonne foi sur l’état civil de son mari. [CONCESSIONS INDIVIDUELLES GRATUITES] Les concessions individuelles gratuites étaient réservées à la haute société gauloise. Elles furent très nombreuses dans la première moitié du premier siècle, et sans doute aussi après. Nous en avons divers témoignages, notamment dans un document capital, le plus important à tous égards de ceux qu’a légués l’épigraphie gallo-romaine, et qui nous apporte, sur la propagation du droit de cité dans notre pays et dans les provinces en général, des renseignements précieux. Ce sont les fameuses Tables Claudiennes, découvertes à Lyon en 1528, sur l’emplacement occupé autrefois par l’autel de Rome et d’Auguste et ses dépendances, et conservées actuellement dans le musée de cette ville. Sur le bronze se détachait en lettres dorées, parfaitement lisibles encore aujourd’hui, un discours prononcé par I’empereur Claude, discours dont Tacite nous a donné une version remaniée pour la forme et le fond, suivant la méthode de l’historiographie ancienne, et beaucoup moins curieuse assurément que l’original dont nous avons le texte presque complet et dont elle ne diffère pas d’ailleurs essentiellement. L’intérêt que présentait ce morceau pour les cités des trois Provinces lui valut l’honneur d’être reproduit à leurs frais et exposé sur le territoire oh se tenait annuellement leur assemblée. C’est ainsi qu’il nous est parvenu. [LA REQUÊTE DES GAULOIS] Les circonstances où ce discours fut prononcé nous sont connues par Tacite. En l’an 43, Claude étant censeur et procédant en cette qualité au recrutement du Sénat, les principaux personnages dans les États fédérés des trois Provinces, ceux qui, en personne ou par leurs ascendants, avaient obtenu depuis nombre d’années le droit de cité, sollicitèrent la faveur d’arriver aux honneurs dans Rome, c’est-à-dire de parvenir aux magistratures sénatoriales, à la questure, à l’édilité, au tribunat, à la préture, au consulat et à toutes les fonctions où elles conduisaient. [EXTENSION DU DROIT DE CITÉ EN DEHORS DES ÉTATS DE DROIT LATIN] Un premier fait ressort de ce texte, c’est l’extension du droit de cité romaine, non seulement parmi les notables des cités latines, où il était reconnu par la loi à tous les ex-magistrats, mais parmi ceux des cités fédérées qui ne pouvaient le tenir que d’un don gratuit. Et ce n’était pas d’hier, mais depuis longtemps, c’est-à-dire depuis les débuts de l’Empire, ou peu s’en faut, que l’aristocratie locale, dans ses représentants les plus élevés, était en possession de cet avantage. Les États fédérés auxquels il est fait allusion sont les Éduens, qui d’ailleurs sont nommés expressément, les Carnutes, les Rèmes, les Lingons, les Helvètes. Ce n’est pas que le droit de cité n’ait été répandu aussi, de la même manière, bien que peut-être dans de moindres proportions, chez les peuples traités moins favorablement. Nous allons voir tout à l’heure qu’il l’était partout. Riais le fait d’appartenir à un État fédéré constituait, pour les Gaulois créés citoyens, une sorte de supériorité qui leur était comme un titre pour s’élever à un droit de cité plus complet. [DISTINCTION ENTRE LES DROITS CIVILS ET LES DROITS POLITIQUES. JUS HONORUM] Il y avait en effet — et c’est le deuxième fait qui nous est révélé par ce texte et par toute la suite du débat —, il y avait deux degrés dans le droit de cité. De tout temps les Romains avaient distingué entre le droit de cité avec ou sans droit de suffrage (sine suffragio), c’est-à-dire avec ou sans droits politiques. Du droit de suffrage, il n’en pouvait être question sous l’Empire, mais il restait celui d’arriver aux magistratures sénatoriales (jus honorum), et l’on voit qu’il n’était pas nécessairement associé à l’exercice des droits privés. [DISCOURS DE CLAUDE] La requête des Gaulois souleva dans le Sénat de vives objections. Claude prit la parole pour les combattre. Il était fils de Drusus, frère de Germanicus et il était né à Lyon. La Gaule devait lui être chère à plus d’un titre. Son discours le peint tout entier, avec son tempérament mal équilibré, ses qualités et ses défauts. C’est un curieux mélange d’idées justes, de vues élevées, d’érudition pédantesque, de digressions incohérentes, de boutades sans convenance et sans dignité. Il avait étudié l’histoire dans sa jeunesse. C’est à l’histoire qu’il emprunta ses arguments. Il montra dans la politique traditionnelle de Rome, dans la souplesse de ses institutions et de son génie, le secret de sa grandeur. Il invoqua les familles étrangères entrées dans le patricial, l’égalité établie entre les deux ordres, l’assimilation progressive du Latium et de l’Italie. Il passa ensuite aux provinces, insistant sur la Narbonnaise, rappelant les recrues distinguées qu’elle avait fournies déjà, en grand nombre, au Sénat. Il avait parlé jusque là, malgré beaucoup de longueurs, le langage d’un homme d’État. A ces considérations succède tout à coup le bavardage d’un maniaque. Ce sont des confidences sur ses affections privées, des démonstrations d’amitié pour un certain Vestinus, un chevalier de Vienne, dont il a fait son agent de confiance et dont il recommande les enfants C’est aussitôt après une sortie furieuse contre un autre Viennois, dont il a récemment signé l’arrêt de mort, par une de ces cruautés qu’on obtenait si aisément de cette nature violente et pusillanime. Son nom, qu’il évite de prononcer, comme par un dernier outrage, et auquel il substitue tout ce qu’il trouve dans sa haine de qualifications injurieuses, est sur toutes les lèvres. Dans ce voleur, dans ce héros de palestre, chacun a reconnu Valérie Asiaticus, un des personnages marquants de cette époque et un des plus nobles représentants de sa race au milieu de la haute société romaine. Deux fois consul, et candidat du Sénat quand il s’agit de donner un successeur à Caligula, ce Gaulois, cet Allobroge avait aspiré à l’empire, moins d’un siècle après César, et avait manqué y arriver. Son malheur, sous Claude, fut de déplaire à Messaline et surtout d’irriter ses convoitises par l’immensité de ses richesses. Il prévint le supplice avec un tranquille courage, dans ces mêmes jardins dont la magnificence avait séduit l’Impératrice et contribué à sa perte. [SÉNATEURS ORIGINAIRES DE LA NARBONNAISE] Ce qu’il nous importe de constater, c’est, dès cette époque, la proportion assez notable des sénateurs originaires de la Narbonnaise. Déjà César avait tiré de là ces sénateurs gaulois dont l’apparition avait fait scandale à Rome. Il n’est pas admissible, en effet, qu’il ait poussé la hardiesse jusqu’à les prendre chez les peuples qu’il venait de soumettre. En 49 ap. J.-C., un an après la délibération relative à la pétition des chefs des cités fédérées, les sénateurs de la Narbonnaise furent autorisés, comme l’avaient été auparavant ceux de la Sicile, à visiter leurs biens patrimoniaux sans une permission spéciale de l’Empereur. Ce fut, nous dit Tacite, la récompense des sentiments que cette province professait pour le Sénat. C’est aussi la preuve qu’elle était largement représentée dans la curie et la confirmation de tout ce que Claude nous apprend sur ce sujet. [SÉNATEURS ORIGINAIRES DES TROIS PROVINCES] Le droit d’arriver aux honneurs, le jus honorum ou jus senatorum, n’était pas limité aux citoyens romains de la Narbonnaise. Faut-il rappeler, ajoute l’Empereur, les sénateurs qui nous sont venus de plus loin ? Avons-nous à regretter de compter des Lyonnais parmi les membres de notre ordre ? Ce n’étaient pas des Lyonnais seulement qui figuraient dans le Sénat. Julius Vindex, qui gouvernait la Lyonnaise en 68, appartenait à une famille noble de l’Aquitaine et avait déjà pour père un sénateur. Était sénateur également le Santon Julius Africanus, qui succomba en 32, victime de la tyrannie de Tibère. Toutefois ce devaient être là, dans les trois Provinces, abstraction faite de Lyon, qui était une ville toute romaine, des cas isolés et tout à fait exceptionnels, sans quoi Claude n’eût pas manqué de s’en prévaloir comme de précédents favorables à sa cause. Son discours même ne se comprendrait pas s’il en était autrement[6]. [SUITE DONNÉE À LA REQUÊTE DES GAULOIS] Le discours de Claude, fréquemment interrompu par les murmures irrespectueux du Sénat, n’obtint qu’un demi-succès. On accueillit la demande des Éduens, en considération de leur ancienne alliance avec Rome, mais on écarta celle des autres peuples. Il est vrai que ce ne fut pas pour bien longtemps. Quand Tacite nous dit que les Éduens furent admis les premiers à siéger dans le Sénat, il nous apprend assez clairement qu’ils n’étaient plus de son temps les seuls. Ni lui d’ailleurs ni aucun autre écrivain ne mentionnent une seconde fois cette distinction entre les droits civils et les droits politiques. Il faut croire qu’elle finit par disparaître dans les provinces comme elle avait disparu en Italie. Les jurisconsultes de l’époque des Antonins paraissent l’ignorer complètement. II. — LES GAULOIS CITOYENS ROMAINS. L’ONOMASTIQUE GALLO-ROMAINE. L’ÉDIT DE CARACALLA[7] [INSCRIPTION DANS LES TRIBUS] LES pérégrins devenus citoyens prenaient des noms romains et étaient inscrits dans une des trente-cinq tribus romaines. Les tribus avaient été autrefois les cadres de la vie politique et administrative à Rome. On votait par tribus dans les comices. On procédait par tribus au recrutement de la légion et à la perception de l’impôt. Ces vieilles divisions ne représentaient plus maintenant que le livre d’or, sans cesse grossi, oit l’usage s’était maintenu d’inscrire les nouveaux citoyens. La mention de la tribu, à sa place réglementaire, dans la série des noms propres, entre le nom de famille ou gentilicium et le cognomen ou surnom, faisait partie de l’état civil : Ex : Publius (prénom) Lucretius (gentilice), fils de Publius, de la tribu Voltinia, Parvolus (surnom). On n’eut garde de l’omettre tant qu’elle resta un signe distinctif et comme un titre de noblesse. Mais on cessa d’en faire étalage dans le courant du IIIe siècle ap. J.-C., quand le droit de cité cessa d’être un privilège. La mention de la tribu n’eut plus alors de valeur et l’institution elle-même perdit sa dernière raison d’être et succomba. Le choix de la tribu pour les nouveaux citoyens n’était pas laissé à leur initiative ni livré à l’arbitraire. On fixait d’avance celle où devaient entrer, en règle générale, les habitants de telle cité ou de telle province. La tribu assignée aux cités de la Narbonnaise était la Voltinia. Les Aquitains étaient versés dans la Quirina qui recevait aussi les habitants d’Avenches. Les habitants de Lyon figuraient dans la Galeria, ceux de Nyon en Suisse dans la Cornelia, ceux de Cologne dans la Claudia, ceux de la colonie Ulpia Trajana dans la Papiria[8]. [ONOMASTIQUE ROMAINE ET ONOMASTIQUE GAULOISE] Ce qui caractérisait le citoyen romain, outre la mention de la tribu, c’étaient les trois noms : le prénom, le gentilice, le surnom, Ex. : Caïus Julius Caesar. Les Gaulois n’avaient qu’un seul nom un nom purement individuel, auquel ils ajoutaient, pour se désigner plus clairement, le nom du père au génitif, suivi ou non du mot cnos, fils. Ex. : Cassitalos Versicnos, Cassitalos fils de Versos ; Doiros Segomari, Doiros fils de Segomaros. Souvent on substitue à la désinence os la désinence latine ius. Dagobius, dans une inscription de Bordeaux, est un nom celtique latinisé. Souvent aussi il y a substitution d’un nom latin au nom celtique. Nous rencontrons des Gaulois dont le nom unique est Silvinus, Sextus, Julius[9]. Toutes les fois que nous nous trouvons en présence de ce système onomastique élémentaire, nous sommes assurés d’être en présence de Gaulois non citoyens. La proportion de ces derniers varie naturellement suivant les époques et les régions. Elle est très forte dans la Gaule Centrale, de 4 sur 5 au moins chez les Bituriges Cubes[10]. Il n’est pas sûr d’ailleurs que tous les Gaulois, dénommés à la romaine, soient pour cela des citoyens romains. Nous pourrions l’affirmer sans doute si la loi avait été observée strictement, mais nous savons qu’il n’en était rien. Beaucoup de pérégrins, pour donner le change sur leur vraie condition, ou simplement par esprit d’imitation, s’attribuaient un gentilice romain en le faisant précéder d’un prénom également romain et suivre d’un surnom étranger. Claude fit une loi pour empêcher cet abus. Il interdit à quiconque n’était pas citoyen l’usage d’un gentilice romain[11]. Mais il y a apparence qu’il ne réussit pas à prévenir, pour la suite, ce genre d’usurpation. [LE SYSTÈME ONOMASTIQUE ROMAIN ADOPTÉ PAR LES GAULOIS] Pour adopter le système onomastique romain, les Gaulois avaient divers procédés qui peuvent se réduire à quatre. Le premier et le plus radical consistait à s’affubler de noms purement latins. Dans ce cas il nous est impossible, à moins de renseignements spéciaux, de distinguer les Gaulois devenus Romains des Romains immigrés dans la Gaule. Nous ne risquons pas de nous tromper en présumant que Caïus Julius Secundus, qui fut préteur à Bordeaux, était Bordelais. Nous savons que Caïus Valerius Procillus, qui fut un agent de César, était Gaulois d’origine parce que César nous l’apprend. Nous le savons de même pour le Santon Caïus Julius Rufus, parce que nous connaissons son ascendance et que d’ailleurs il fut prêtre de l’autel de Lyon[12]. Mais il s’en faut que nous soyons toujours aussi bien informés. D’autres n’empruntaient au vocabulaire latin que leur prénom et leur surnom et conservaient leur nom gaulois, sauf à le transformer en un gentilice latin par la désinence ius. Ex. : Marcus Carantius Macrinus[13]. Carantius est dérivé du nom gaulois Carantos. D’autres, inversement, empruntaient à la langue des vainqueurs leur gentilice avec leur prénom et transformaient leur nom gaulois en surnom. C’est ainsi que s’y prit le premier prêtre de l’autel de Lyon, l’Eduen Caïus Julius Vercondaridubnus. L’agent de César, Caïus Valerius Procillus, avait pour père Caïus Valerius Caburus dont le surnom était gaulois[14]. Un exemple plus illustre est celui de l’historien Trogue Pompée, originaire du pays des Voconces, qui tenait de son grand-père, t’ait citoyen par Pompée, le nom de Cnaeus Pompeius Trogus[15]. D’autres enfin ne prenaient au latin que leur prénom et liraient du gaulois leur gentilice et leur surnom. Ex. : Lucius Carantius Cinto[16]. [PERSISTANCE DES USAGES NATIONAUX] Parmi les observations suggérées par l’onomastique gallo-romaine, il en est une qui vaut la peine qu’on s’y arrête parce qu’elle montre la persistance des usages nationaux sous le vernis de la civilisation étrangère. Souvent il arrive, dans les trois Gaules et même dans la Narbonnaise, que le fils, au lieu de prendre le gentilice paternel, s’en forme un autre, tiré du surnom du père ou du nom de la mère. Ainsi le gentilice ne remplit plus son rôle. Il cesse d’être le nom de la famille pour devenir celui de l’individu, et l’individu n’est plus désigné, comme autrefois, que par son nom personnel, complété par la filiation. [RÈGLES POUR L’ADOPTION DES NOMS ROMAINS] L’homme promu à la qualité de citoyen ne prenait pas au hasard les noms qui exprimaient sa nouvelle condition. L’affranchi prenait le prénom et le gentilice de son patron, le patron étant assimilé à un père, d’autant plus justement que l’esclave, avant son affranchissement, n’avait point de père, aux yeux de la loi. De même et pour une raison analogue, le pérégrin prenait le prénom et le gentilice de celui à qui il était redevable du droit de cité, car l’introduction dans la cité était considérée comme une naissance à une autre vie et d’ailleurs le pérégrin, pas plus que l’esclave, n’avait de père reconnu par le droit des Romains. Ceci explique quelques faits signalés plus haut. Caïus Valerius Caburus, le père de Caïus Valerius Procillus, avait très évidemment reçu le droit de cité de Caïus Valerius Flaccus, qui fut proconsul de la Transalpine en 83 av. J.-C. Le grand-père de l’historien Cnaeus Pompeius Trogus avait obtenu la même faveur de Pompée qui gouverna la Gaule de 77 à 72, en même temps qu’il faisait la guerre à Sertorius. Ces deux cas ne sont pas, il s’en faut, les seuls. Les Pompeii et les Valerii se rencontrent assez fréquemment dans l’épigraphie de la Narbonnaise. De même les Aemilii, les Caecilii, les Domitii, les Fabii et d’autres encore qui, pour la plupart, ont été faits citoyens, dans la personne d’un de leurs ancêtres, par un des gouverneurs de cette province antérieurement à l’Empire. [ADOPTION DU NOM DE L’EMPEREUR] Sous l’Empire le droit d’octroyer la cité devint la prérogative exclusive de l’Empereur. Ce fut donc le prénom et le nom de l’Empereur que durent prendre les nouveaux citoyens. Cette règle, on le comprend, ne pouvait être suivie en toute circonstance. Comment les habitants d’une même cité se seraient-ils distingués les uns des autres s’ils avaient dd tous en même temps adopter le même nom et le même prénom ? La règle ne fut donc appliquée qu’aux concessions individuelles, et dans ces limites même elle comporta de nombreuses exceptions[17]. C’était un honneur d’emprunter les noms de l’Empereur et il fut réservé naturellement à ceux qui en paraissaient le plus dignes par l’éclat, de leur naissance et de leurs services. Souvent aussi on prenait les noms du gouverneur ou du personnage influent par l’intervention duquel on avait obtenu la qualité de citoyen. [LES NOMS DE JULIUS ET DE CLAUDIUS] On est frappé de voir combien les noms de Julius et de Claudius, de Julius surtout, sont répandus dans la Gaule. Rien ne montre mieux tout ce que ce pays doit à la dynastie julio-claudienne. Sans doute, parmi tous ces Julii et tous ces Claudii, beaucoup sont issus d’affranchis qui tenaient ce nom de leur patron. Mais ce patron lui-même était le plus souvent un Gaulois qui tenait la cité de l’Empereur, lui ou un de ses ascendants. Tel était le cas des membres de l’aristocratie. Nous connaissons par les historiens l’Aquitain Julius Vindex, l’Éduen Julius Sacrovir, le Rème Julius Aupex, le Lingon Julius Sabinus, l’Helvète Julius Alpinus, les Trévires Julius Florus, Julius Indus, Julius Classicus, Julius Tutor, Julius Valentinus, les Bataves Julius Civilis, Julius Briganticus, Claudius Labeo[18]. Nous trouvons dans les inscriptions le Bordelais Julius Secundus, le Santon Julius Rufus, etc. Tous ces hommes ont vécu au premier siècle de notre ère et dans la première partie du premier siècle. Ils ont gouverné leur cité, servi dans l’armée et dans l’administration romaines. Et ils n’appartiennent pas tous à ces États fédérés que Tacite nous présente comme étant les plus avantagés au point de vue de l’acquisition du droit de cité[19]. [DISPARITION DES NOMS GAULOIS] On ne renonça pas tout de suite ni complètement aux noms indigènes. Ils restèrent en honneur, associés aux noms romains chez le même individu, ou même alternant avec eux au sein des mêmes familles. Une inscription de Bordeaux nous fait connaître deux frères dont l’un s’appelle Publius Divixtus, l’autre Publius Secundus. Divixtus est un nom gaulois, Secundus est romain. Ailleurs c’est le père qui porte un nom romain, Gemellus, et le fils Divixtus, ou plus exactement Divixtos, qui est revenu au vocabulaire gaulois[20]. Puis les noms romains finirent par l’emporter. L’évolution, qui parait achevée au IVe siècle — c’est du moins l’impression qu’on retire de la lecture des auteurs, puisque les inscriptions font à peu près défaut à cette époque —, fut évidemment plus rapide dans les milieux oh s’était propagé de bonne heure le droit de cité. Il nous est donné quelquefois de la saisir sur le fait. Nous avons signalé plus haut Caïus Valerius Procillus, fils de Caïus Valerius Caburus. Le Santon Caïus Julius Rufus, qui éleva à l’empereur Tibère Auguste et aux deux Césars Germanicus et Drusus l’arc de triomphe encore visible aujourd’hui à Saintes, était fils de Caïus Julius Otuaneunus, petit-fils de Caïus Julius Gedemo, arrière-petit-fils d’Eposteravidus. Rufus n’a plus que des noms romains. Les surnoms de son père et de son grand-père sont encore gaulois ; son bisaïeul, avec lequel nous remontons jusqu’aux temps de l’indépendance, n’a qu’un nom, comme le veut l’usage national. Ce fut le fils d’Eposteravidus, Gedemo, qui fut fait citoyen par Auguste, ou peut-être même par César. Non moins curieuse est une inscription de Bordeaux qui nous fait assister à la même progression dans une famille de condition moins relevée, composée tout entière de pérégrins. Le grand-père, Ateula, a un nom gaulois. Le père, Maxsumus, a reçu un nom romain. Il a épousé une femme dont le nom est gaulois, Comnitsia. De ce mariage sont nés une fille et trois fils. La fille, Celta, a un nom gaulois, comme sa mère. Les fils, Major, Secundus, Fabatus, ont chacun, comme le père, un nom romain. L’inscription doit être assez ancienne, à en juger par la forme archaïque Maxsumus[21]. [L’ÉDIT DE CARACALLA] Au début du me siècle, entre 212 et 917, parut l’édit de Caracalla, qui octroya le titre de citoyen à tous les habitants de l’Empire. C’est ainsi du moins qu’en est résumée la teneur, dans les textes très rares et très courts qui en font mention. Cet acte fameux ne parait pas avoir produit une très vive impression sur les contemporains. Il ne concernait pas les hautes classes qui étaient, dans leur ensemble, en possession du droit de cité, et il ne procurait à la foule que des avantages illusoires ou insignifiants. Il lui donnait les droits politiques, et les droits politiques, réduits au droit d’exercer les fonctions publiques, ne touchaient que Ies riches. Il lui donnait les droits civils, et depuis longtemps le droit des gens s’était assimilé la majeure partie du droit privé de Rome et en assurait à tous le bénéfice. Restaient certaines incapacités qui, à partir de ce moment, cessèrent de peser sur les pérégrins ; mais, en revanche ils étaient astreints, comme citoyens, à des mots nouveaux et leur satisfaction a dû en être fort diminuée. L’édit de Caracalla, bien qu’il ait changé peu de chose à ce qui existait, n’en est pas moins une des grandes dates de l’histoire, à le considérer, non en lui-même, mais dans la série des faits dont il fut la résultante et la consécration. Et s’il a fallu le recul des siècles pour en saisir la portée, c’est précisément parce qu’il était l’aboutissant nécessaire, prévu, d’un mouvement déjà fort avancé et arrivé presque à son terme. L’édit contenait, cela n’est pas douteux, de notables réserves. La preuve en est qu’il ne fit pas disparaître les anciennes distinctions. Il ne s’appliquait évidemment qu’aux sujets actuels de l’Empire, sans rien statuer sur ceux qui pourraient y entrer par la suite, et de plus il ne visait que les hommes de naissance libre, abstraction faite des affranchis. C’est ainsi qu’on vit se perpétuer, après comme avant, les diverses catégories des pérégrins, des Latins proprement dits et des juniani. C’est ainsi que plus tard, les Barbares établis en deçà des frontières ne devinrent pas pour cela des citoyens. Il se pourrait même que la mesure ne concernât pas ceux des cantons ruraux qui étaient rattachés aux villes avec des droits inférieurs. Sans doute elle eut pour conséquence la fusion des villes et des campagnes, mais cette conséquence ne fut pas, on l’on vu, immédiate ni prochaine[22]. |
[1] SOURCES : Les textes sont très dispersés et empruntés pour la plupart à l’épigraphie. Nous ne citerons que le discours de Claude sur les tables de Lyon (Corpus inscript. latin., XIII, 1668) et dans Tacite, Annales, XI. 23-25.
OUVRAGES À CONSULTER : Morel, Les associations de citoyens romains. Extrait du t. XXXIV des Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande, 1877. Mommsen, Schweizer Nachstudien, Hermes, 1881. Schulten, De conventibus civium romanorum, 1892. Kornemann, De civibus romanis in provincis imperit consistenlibus, Berliner Studien, 1892. A.-W. Zumpt, Studia romana, p. 325 et suiv., 1859. Hirschfeld, Zur Geschichte des latinischen Rechts, Festschrift zur fünfzigjaehrigen Gründungsfeier des archaeologischen Institutes In Rom, 1878, traduit par Thédenat, Thorm, 1880. Die Verbreitung des latinischen Recht im römischen Reich, Gallische Studien, I, p. 51 et suiv., 1883, traduit par Thédenat, Champion, 1895.
[2] Auch était en possession du droit latin depuis Auguste (voir plus loin). Mais le pays était encore peu romanisé. Voir les inscriptions dans Kornemann, ouvr. cité. Pour la cité des Nerviens, Desjardins, Gaule romaine, II, p. 341, n. 1.
[3] Tacite, Histoires, I, 78. Lingonibus universis civitatem romanam... dono dedit. Il faut dire que le texte est contesté. Nous avons le testament d’un Lingon au Ier siècle de notre ère (Bulletin épigraphique, 1881). Il pourrait être signé d’un Romain. Un seul trait rappelle les mœurs gauloises. C’est l’ordre de briller avec le corps du défunt son matériel de chasse.
[4] Chap. II, § 3 et chap. I, § 7.
[5] Chap. I, § 6.
[6] On trouvera le discours de Claude traduit dans Allmer et Dissard, Musée de Lyon, I, p. 81 et suiv. Nous donnons ici le fragment de droite, le seul qui intéresse directement l’histoire de la Gaule : Ce fut assurément une innovation du dieu Auguste, mon grand-oncle, et de Tibère César, mon oncle, d’avoir voulu que de partout la fleur des colonies et des municipes, c’est-à-dire tout ce qui s’y trouve d’hommes recommandables et riches, fût admise dans cette assemblée. — Quoi donc ? un sénateur Italien n’est-il pas bien préférable à un sénateur provincial ? [Ceci parait être une interruption d’un sénateur transcrite dans le procès-verbal de la séance. Claude reprend] : Tout à l’heure je m’expliquerai sur cette question quand je vous soumettrai cette partie de mes opérations censoriales où elle se trouve intéressée, mais je n’estime pas qu’il faille repousser même les provinciaux qui pourraient faire honneur à la curie. Voici cette splendide et puissante colonie des Viennois : n’y a-t-il pas longtemps déjà qu’elle nous envoie des sénateurs ? De cette colonie est L. Vestinus, une des gloires de l’ordre équestre, mon ami personnel, que je retiens auprès de moi pour l’administration de mes affaires privées. Que ses fils soient pourvus, je vous prie, du premier degré des sacerdoces en attendant que, plus tard, avec les années, ils poursuivent l’avancement de leur dignité. Quant à ce voleur [le Viennois Valerius Astaticus], je tairai son nom odieux. Car je le déteste, ce héros de palestre, qui apporta le consulat dans sa maison avant même que sa colonie eût obtenu le droit entier de cité romaine. J’en puis dire autant de son frère, rendu indigne par cette malheureuse parenté, et incapable désormais d’être parmi vous un sénateur utile. — Voyons, Tiberius César Germanicus, Il est temps de faire connaître aux Pères Conscrits où tend ce discours. Car déjà te voilà arrivé aux extrêmes limites de la Gaule Narbonnaise [Ceci parait être une nouvelle Interruption. Claude reprend] : Tous ces jeunes gens distinguée sur qui je promène mes regarda ne vous font pas regretter sans doute de les voir au nombre des sénateurs, pas plus qu’il n’est regrettable pour Persicus, cet homme de haute noblesse, mon ami, de rencontrer, sur les images de ses ancêtres, le nom d’Allobrogique. [Il s’agit de Paulluss Fabius Persicus, consul en 84, descendant de Q. Fabius Maximus, surnommé Allobrogique, en souvenir de se victoire sur les Allobroges, en 121 avant J.-C.]. Et si telle est votre pensée, que voulez-vous de plus ? Faut-il vous montrer la chose du doigt ? Le territoire même qui est situé au delà de la limite de la province Narbonnaise ne vous envole-t-il pas déjà des sénateurs, car nous n’avons pas à regretter sans doute de compter jusqu’à des Lyonnais parmi les membres de notre ordre. Assurément ce n’est pas sans quelque hésitation, Pères Conscrits, que je franchis les limites des provinces qui vous sont connues et familières. Mais le moment est venu où il faut plaider ouvertement la cause de la Gaule chevelue. On m’objectera que la Gaule a soutenu la guerre contre le dieu Jules pendant dix ans. Mais qu’on oppose à ce souvenir cent ans d’une fidélité invariable et d’un dévouement mis à l’épreuve en mainte circonstance critique. Mon père Drusus a pu soumettre la Germanie parce que derrière lui régnait une paix profonde assurée par la tranquillité des Gaulois. Et notez qu’au moment où il fut appelé à cette guerre il était occupé à faire le cens, opération nouvelle pour ce peuple et en dehors de ses habitudes...
[7] SOURCES : Même observation que pour le § 1. L’édit de Caracalla est mentionné par Dion Cassius (LXXVII, 9) et dans le Digeste, I, 5, 17. Il y a une allusion dans la Vie de Septime Sévère, 1, et dans saint Augustin, Cité de Dieu, V, 17. Aurelius Victor attribue par erreur la mesure à Marc-Aurèle (de Caesaribus, 16).
OUVRAGES MODERNES : Kubitschek, De romanarum tribuam origine ac propagatione, Abhandlungen der Universitat Wien, 1882. Imperium romanum tributim discriptum, 1889. Haubold, Ex constitutione Imp. Antonini quomodo qui in orbe romano essent cives Romani effecti sunt, Opuscula II, p. 369 et suiv., 1825. Mommsen, Schwelzer Nachstudien, Hermes, 1881. Sur l’onomastique gallo-romaine : Hettner, Zur Kultar von Germanien and Galata Belgica, Westdeutsche Zeitschrift, 1883. Jullian, Inscriptions de Bordeaux, II, p. 588 et suiv., 1890. D’Arbois de Jubainville, Recherches sur l’origine de la propriété foncière en France, 1890, p. 129 et suiv.
[8] La règle souffrait des exceptions. Un cas intéressant est celui des colonies de Narbonne, de Fréjus, de Béziers, d’Arles, qui, bien qu’appartenant à la Narbonnaise, étaient Inscrites, non dans la Voltinia, mais la première dans la Papiria, la seconde dans l’Aniensis, la troisième dans la Pupinia, la quatrième dans la Teretina. L’explication de ce fait est la suivante. La Voltinia était au nombre des sept tribus qui, pour avoir reçu les Italiens naturalisés à la suite de la loi Plautia Papiria, en 89 av. J.-C., avaient subi une certaine dépréciation. Or César témoignait aux quatre colonies qui étaient dans la Narbonnaise son œuvre personnelle une faveur trop marquée pour les reléguer dans cette catégorie inférieure. — Voir plus loin ce qui concerne les citoyens qui tenaient leur droit de cité d’un don personnel de l’Empereur.
[9] Corpus inscript. latin., XIII, 720, Lejay, Inscriptions antiques de la Côte-d’Or, 62. Jullian, Inscriptions de Bordeaux, II, p. 569-570.
[10] Allmer, Revue épigraphique, 1892, p. 185.
[11] Suétone, Claude, 25.
[12] Guerre des Gaules, I, 47. Corpus inscript. latin., XIII, 596-600 et 1086.
[13] Corpus inscript. latin., XII, 2602.
[14] César, l. c.
[15] Justin, XLIII, 6.
[16] Allmer, Inscriptions de Vienne, III, p. 414.
[17] Les citoyens qui personnellement tenaient leur droit de cité de l’Empereur étaient admis dans la tribu où l’Empereur lui-même était inscrit. Mais leurs descendants passaient dans la tribu assignée à leur ville, quand cette ville recevait collectivement la cité romaine.
[18] Voir 1re partie, liv. II, chap. II, § 4, et Tacite, Histoires, I, 88, II, 23, IV, 18.
[19] Voir § 1.
[20] Corpus, XIII, 817, 579.
[21] Corpus, XIII, 800, 1036. Voir aussi l’histoire de la famille de l’Éduen Eporédorix, Barthélemy, Les libertés gauloises sous la domination romaine, Revue des Questions historiques, 1872, p. 374-376. Cf. Morel, Genève et la colonie de Vienne, 1888, p. 67-8.
[22] Chap. II, § 3. — Un exemple des restrictions que comportait l’édit de Caracalla nous est fourni par l’histoire de la ville de Mayence. Nous verrons que les vici mayençais n’ont été érigés en municipe que très tardivement, après 276, et sans doute en raison de la résistance opposée par le conventus des citoyens romains, lesquels ne se souciaient pas d’être confondus, en vertu de cette mesure, avec les indigènes. Si telle est l’explication de ce fait, les indigènes n’étaient pas encore, en 276, citoyens romains. Voir livre III, chap. I, § 5.