HISTOIRE DE FRANCE

TOME PREMIER. — LA GAULE INDÉPENDANTE ET LA GAULE ROMAINE.

PREMIÈRE PARTIE. — LES ORIGINES - LA GAULE INDÉPENDANTE - LA CONQUÊTE ROMAINE.

LIVRE PREMIER. — LES ORIGINES.

 

CHAPITRE PREMIER. — LES SOCIÉTÉS PRIMITIVES[1]

 

I. - L’ÂGE DE LA PIERRE TAILLÉE[2]

[L’ÉPOQUE QUATERNAIRE] LES découvertes récentes ont reculé dans un lointain profond le problème de nos origines nationales. C’est à l’époque quaternaire, la dernière des grandes époques géologiques, que l’homme apparaît sur la terre. Notre pays avait pris dés lors sa forme et son relief, mais les conditions de la vie n’y étaient pas tout à fait ce qu’elles sont à présent.

L’époque quaternaire se divise en deux périodes.

[PÉRIODE DILUVIENNE] La première, dite diluvienne, est caractérisée par un régime de pluies abondantes qui a pour conséquence la formation de larges rivières et d’immenses glaciers. La température néanmoins était assez douce, et la même à de grandes distances. Des plantes, des animaux, répartis actuellement entre des zones diverses, coexistaient sous nos latitudes. Le laurier et le figuier poussaient à Fontainebleau. Beaucoup d’espèces subsistant encore dans nos contrées s’y montraient déjà, le cheval, la chèvre, plusieurs variétés de beaufs et de cerfs. Beaucoup s’y rencontraient qui ont émigré, les unes au Midi, la hyène, la panthère, le lion ; d’autres au Nord, l’aurochs, le beauf musqué, le renne ; d’autres sur des points plus élevés, le chamois, le bouquetin ; un grand nombre pullulaient qui se sont éteintes, des carnassiers formidables, l’ours et le félin des cavernes, des pachydermes herbivores à taille gigantesque, le grand hippopotame, le rhinocéros aux narines cloisonnées, l’elephas meridionalis, l’elephas antiquus, l’elephas primigenius ou mammouth.

[PÉRIODE GLACIAIRE OU ÂGE DU RENNE] A la période diluvienne succède la période qu’on a à tort appelée glaciaire. Elle est signalée, en effet, non par l’extension, mais par la limitation des glaciers. Ce phénomène est dû à la diminution des pluies et à l’avènement d’un climat plus froid et plus sec. La faune se transforme avec le climat. Les variétés de l’éléphant quaternaire disparaissent. Le mammouth, qui a résisté le plus longtemps, succombe à son tour. Sa toison lui permettait de braver les températures les plus basses, mais il réclamait, pour son alimentation, une végétation opulente favorisée par une atmosphère saturée d’humidité. Le renne, au contraire, qui se nourrit à peu de frais, s’est multiplié. De là le nom d’âge du renne, qui mieux que tout autre convient pour désigner cette période.

[L’OUTILLAGE ROMAIN] La durée des époques géologiques ne peut être fixée. On ne saura donc jamais à combien de centaines ou de milliers de siècles remontent les œuvres de l’industrie humaine enfouies pêle-mêle avec les ossements préhistoriques. L’homme, en quête d’une matière assez dure pour ses outils et ses armes, employa celle qu’il avait sous la main. Il commença par tailler la pierre, puis les os et les bois des animaux. Les archéologues ont classé ces objets en plusieurs catégories, dénommées chacune d’après une des stations qui lui ont fourni ses principaux spécimens. Ils ont ainsi composé des séries où les types s’échelonnent suivant leur perfection relative, dans un ordre qu’on peut, d’une manière générale, considérer comme chronologique. On n’oubliera pas toutefois les inégalités possibles dans le développement des différents groupes sociaux. Pour mesurer l’ancienneté de nos plus vieilles populations, l’état de leur outillage ne nous offre donc qu’un critérium insuffisant. Le niveau géologique où il a été exhumé, la faune et la flore qui l’accompagnent nous renseignent plus sûrement.

[PENDANT LA PÉRIODE DILUVIENNE] La première humanité, contemporaine de la période diluvienne, est représentée sur notre sol par les objets recueillis dans les alluvions de la Seine, de la Marne, de l’Yonne, de l’Oise, de la Somme, et notamment dans les dépôts de Saint-Acheul près d’Amiens, de Menchecourt près d’Abbeville, du Pecq et de Chelles près de Paris. Les outils chelléens sont pour la plupart taillés dans le silex. Ce qui domine au milieu des couteaux, des poinçons, des racloirs, c’est la hache dite de Saint-Acheul, instrument de forme amygdaloïde, de dimensions variables, avec une moyenne de onze à treize centimètres de long sur sept de large, au pourtour anguleux et tranchant, aux faces renflées vers le milieu et travaillées à grands éclats. Il est probable qu’elle servait avant tout à fendre le bois, l’arme ordinaire du sauvage étant plutôt la massue.

[PENDANT L’ÂGE DU RENNE] Le type moustérien, qui tient son nom de la grotte de Moustier, dans la Dordogne, appartient déjà à l’âge du renne. Il diffère du chelléen par plus d’habileté dans les procédés et plus de fécondité dans l’invention. La hache de Saint-Acheul s’est amincie. Un autre objet, particulier à cette série, est une sorte de tranchet ou racloir finement retouché sur un de ses bords.

Le type solutréen (village de Solutré, aux environs de Mâcon) accuse un progrès marqué sur les deux précédents. Les pièces les plus intéressantes sont la pointe en feuille de laurier, qui devait servir de poignard ou d’armature de javelot, et la pointe à crans qui était une flèche.

La série magdalénienne (grotte de la Madelaine, voisine de celle de Moustier) se distingue essentiellement par la mise en œuvre des os des animaux, des bois des cervidés, de l’ivoire. La pierre n’est pas délaissée, mais elle est réservée pour la fabrication des instruments les plus grossiers. De ces matières plus délicates on tire tout un arsenal de menus outils, d’armes à la fois solides et légères, des aiguilles, des crochets, des spatules, des harpons barbelés, des sagaies en biseau.

[L’ART DE LA MADELAINE] Les mêmes matières sont utilisées pour un autre usage, pour la gravure au trait, la sculpture en relief et en ronde bosse. L’apparition de cet art n’est pas une des moindres nouveautés de ce temps. Le but est l’imitation de la nature vivante, imitation assez gauche quand elle vise à reproduire la forme humaine, mais merveilleusement réussie quand elle s’en tient aux animaux. Les rennes de Thayngen (Suisse) et de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), les chevaux et les aurochs de Mas-d’Azil (Ariège) sont de petits chefs-d’œuvre pour le mouvement et la vérité.

[LES CAVERNES] L’âge du renne est aussi celui des cavernes. Sans doute il n’est point d’âge qui puisse être qualifié ainsi exclusivement. L’habitation souterraine est aussi vieille que l’humanité, et l’on sait que l’usage s’en est perpétué jusqu’à nos jours dans certaines parties de la France. Il est probable seulement qu’elle fut plus recherchée à mesure que le climat devint plus rigoureux. Les demeures rupestres, naturelles ou entaillées, se rencontrent surtout dans les régions montagneuses, dans les Vosges, le Jura, les Ardennes, dans les départements inclinés sur la base des Alpes et des Pyrénées et sur le rebord du Plateau Central. La vallée inférieure de la Vézère, dans le département de la Dordogne, est particulièrement curieuse à ce point de vue. Quand on remonte la rivière depuis la commune de Tayac, on voit se profiler, sur un parcours d’environ douze kilomètres, une ligne de rochers dont les flancs, creusés de toutes parts, ont abrité toutes les variétés, ou peu s’en faut, de nos populations primitives. Là se rencontrent les grottes de Moustier et de la Madelaine. Dans leur voisinage la grotte de Laugerie-Haute aurait pu donner son nom au type solutréen.

La vie de ces Troglodytes était misérable. Les restes des repas, les os brisés, les viandes putréfiées, les immondices de toute sorte s’entassaient sur le sol, dans une malpropreté repoussante. Les mêmes hommes pourtant avaient le goût de la parure. Ils portaient des coquillages, des dents perforées en guise de pendeloques. Et l’on a vu qu’un art était né dans cette barbarie.

[LES SÉPULTURES] Les cas d’inhumation sont très peu nombreux dans les stations quaternaires. Les plus remarquables sont ceux de Solutré et des grottes de Baoussé-Roussé, près de Menton. Un caractère commun à ces sépultures, c’est qu’elles sont juxtaposées à des foyers. Le culte du foyer et le culte des ancêtres, deux grandes idées qui domineront l’humanité et que nous voyons poindre ici à son berceau.

 

II. - L’ÂGE DE LA PIERRE POLIE[3]

[PROGRÈS SUR LA CIVILISATION QUATERNAIRE] L’INVENTION du polissage et la substitution de ce procédé à la taille, tel est le fait qui divise en deux périodes l’âge de la pierre. Ce progrès coïncide avec la clôture de l’époque quaternaire et le début des temps géologiques actuels. Il n’est pas d’ailleurs le plus important parmi tous ceux qui signalent l’ère nouvelle oh nous entrons. L’homme dorénavant ne tire plus uniquement sa subsistance de la pêche, de la chasse ou de l’élève des troupeaux. Le travail de la terre a multiplié ses ressources. Il récolte le blé, l’orge, le lin. Il tisse ses vêtements, moud son grain, convertit la farine en pain. Il ébauche les premiers produits de la céramique, et se bâtit une habitation[4].

[LES STATIONS LACUSTRES] Des demeures propres à ces générations nous ne connaissons que les stations lacustres, construites sur pilotis, et dont les restes se sont conservés au fond des eaux. C’est en 1834 que la première a été retrouvée dans le lac de Zurich. Ces habitations aquatiques sont si bien appropriées aux nécessités de la défense dans les temps primitifs, elles protègent si bien contre les surprises des hommes et des fauves qu’on n’est pas étonné de les rencontrer dans toutes les directions, à travers notre continent. Mais nulle part elles ne remontent à un âge aussi reculé qu’en Suisse. Si donc il fallait assigner un centre de diffusion à ce mode de construction, c’est en Suisse que, dans l’état présent de nos connaissances, on devrait le placer.

[LES GROTTES CHAMPENOISES] La demeure des morts est mieux connue que celle des vivants. Elle offre deux types, la grotte artificielle et la crypte dolménique, le premier localisé, ou à peu près, dans les terrains crétacés de la Champagne, le second infiniment plus répandu, et dont l’étude se rattache à celle des monuments mégalithiques.

[LES MÉGALITHES] Les mégalithes sont des monuments de pierre brute, comprenant  diverses catégories qu’on a pris l’habitude de distinguer par des termes empruntés aux langues néo-celtiques. Le plus simple est le menhir, qui est un monolithe de forme allongée. La masse des localités qui ont tiré de ces gros cailloux, de ces pierres fiches, ou fittes, ou pierres levées, leur dénomination actuelle montre assez combien les menhirs étaient nombreux. Ils sont encore plus de quinze cents disséminés dans quatre-vingts de nos départements, mais plus particulièrement dans le Morbihan, le Finistère, les Côtes-du-Nord, l’Ille-et-Vilaine ; c’est là aussi qu’ils atteignent leurs plus fortes dimensions. Celui de Lokmariaker s’élevait à 20 mètres. La destination de ces monuments n’a pu être fixée. Ils ne marquaient pas l’emplacement des sépultures. Les fouilles pratiquées à leur base ne laissent à cet égard aucun doute. Étaient-ce des idoles ? des pierres commémoratives ? On ne sait. Quelquefois, au lieu d’être isolés, ils sont rangés à la file. Ces alignements ne se rencontrent qu’en Bretagne. Le plus important est celui de Carnac, au fond de la baie de Quiberon. Il s’étend sur un espace de 3 kilomètres et ne compte pas, après bien des dévastations, moins de quatre mille piliers. Les alignements peuvent affecter la forme circulaire ; on les appelle alors des cromlechs. C’est encore en Bretagne que cette variété est le plus représentée.

[LES DOLMENS] Le nom des dolmens, qui veut dire table de pierre, donne une idée assez juste de ces monuments. Ils se composent de deux blocs verticaux supportant une dalle horizontale. Les dolmens sont des tombes. Tous ceux qu’on a trouvés intacts contenaient des ossements. Les chercheurs de trésors ou de matériaux les ont mis pour la plupart dans l’état oh nous les voyons, mais ils n’étaient pas primitivement ouverts à tous les vents. Les interstices entre les blocs étaient bouchés avec des cailloux ou de l’argile. L’entrée était close, et par-dessus s’élevait un tumulus de terre et de pierraille. Tantôt le dolmen est réduit aux proportions d’un caisson. Tantôt, au contraire, le thème architectural s’est développé. Il a donné naissance à l’allée couverte, qui n’est autre chose que le dolmen se répétant lui-même, en ligne droite, en cercle, en branches latérales. On notera la physionomie particulière de l’allée couverte dans le bassin de Paris. Au lieu d’être construite à ciel ouvert pour se dissimuler ensuite sous un tertre artificiel, elle est creusée en tranchée sur la pente des coteaux et s’enfonce dans le sol. Elle offre ainsi quelque ressemblance avec les grottes de la Champagne. Mais l’appareil dolménique se retrouve dans les blocs qui soutiennent les parois et ceux qui sont posés en travers, au-dessus.

[DOLMENS DU MORBIHAN] Les dolmens du Morbihan mériteraient une description. Le Mané-Lud, sur la lande de Lokmariaker, non loin du menhir de ce nom, peut servir de type. Sur un plateau rocheux s’élève un tertre haut de 5 mètres, large de 30, long de 80. Au centre se cache la chambre sépulcrale. Les morts qu’elle a reçus sont peu nombreux. A l’extrémité occidentale du tertre sont placées deux rangées de menhirs, dont quelques-uns supportaient le squelette d’une tête de cheval. Entre cette avenue et le caveau, des tas de charbons et d’os d’animaux rappelaient un sacrifice ou un repas funèbre. Le tout était enfoui sous un tumulus qui, par conséquent, ne recouvrait pas seulement une sépulture, mais le théâtre entier de funérailles illustres.

[LES CONSTRUCTEURS DES DOLMENS] Pour élever ces tombes fastueuses il a fallu un grand nombre de bras au service de quelques chefs. Les dolmens nous donnent donc l’idée d’une société fortement aristocratique ? Quelle société ? On a pensé d’abord aux Celtes. Mais l’aire occupée par ces constructions est loin de coïncider avec celle qu’on doit assigner à la famille celtique. La même objection vaut contre l’attribution aux Ligures et aux Ibères, et derrière ces peuples on ne voit plus que la masse innommée des générations antérieures à l’histoire.

[LA CARTE DES DOLMENS] Les dolmens sont rares dans l’est et le nord de la France. Très nombreux dans le centre et dans l’ouest, ils y forment deux groupes principaux, l’un dans les départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, l’autre dans ceux de l’Hérault, du Gard, de la Lozère, de l’Ardèche, du Lot, de l’Aveyron, ce deuxième groupe moins intéressant que le premier, c’est-à-dire moins riche en monuments importants. Mais les dolmens ne se limitent pas à notre pays. Leur dispersion à travers le monde est peut-être ce qu’ils offrent de plus curieux. Ils ne se trouvent point partout, comme on l’a dit quelquefois. Leur domaine parait au contraire assez bien déterminé, quoique très vaste et bizarrement coupé par d’immenses intervalles. Dans la Méditerranée il se borne à la Corse. Il se prolonge, au delà des Pyrénées, sur la Péninsule Hispanique, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie. Ni la Tripolitaine ni l’Égypte n’en font partie, mais il comprend, en Asie, le Caucase, le nord de la Perse, la Palestine et l’Inde. Les dolmens abondent dans les Iles Britanniques, la Hollande, le Danemark, la Suède méridionale et l’Allemagne du Nord. Ils manquent dans la vallée du Danube, dans l’Italie, dans la Grèce, dans l’Asie Mineure.

Il n’en est pas de ces monuments comme des types plus simples de l’architecture mégalithique, les menhirs, les cromlechs, qui ne sont pas moins universellement répandus mais dont l’idée a pu venir spontanément aux divers peuples. Le caractère plus complexe des dolmens suppose une origine commune dont le mystère n’est pas près d’être éclairci. Tout ce qu’on peut dire, pour le moment - et le fait a son importance - c’est que l’Europe est la seule partie du monde où se rencontre le dolmen à matériel néolithique exclusif. Les monuments similaires de l’Afrique et de l’Asie appartiennent à une civilisation plus avancée.

 

III. – L’ÂGE DES MÉTAUX[5]

[CONTINUITÉ ENTRE L’ÂGE DE LA PIERRE ET L’ÂGE DES MÉTAUX] L’AGE nouveau est caractérisé par l’apparition de la métallurgie et par l’usage de l’incinération des corps. Mais il n’y a point, entre ces civilisations successives, de séparation tranchée. L’architecture des dolmens et des stations lacustres atteint alors tout son développement. L’inhumation subsiste à côté de l’incinération. L’incinération même n’est pas sans exemple dans l’âge précédent. Enfin les métaux n’ont pas éliminé brusquement la pierre polie, pas plus que, antérieurement, la pierre polie ne s’est substituée tout à coup à la pierre taillée.

[LES MÉTAUX] On divise ordinairement l’âge des métaux en âge du bronze et âge du fer. Le fer, il est vrai, était connu très anciennement. Seulement, tel qu’on pouvait le produire, il était de mauvaise qualité, ne servant à la fabrication ni des armes ni des objets de luxe, les seuls qui aient été conservés comme formant le fonds du mobilier funéraire. Le bronze, qui avait plus de résistance et d’éclat, était plus recherché. Mais le bronze lui-même, étant un alliage de cuivre et d’étain, implique l’emploi préalable, à l’état distinct, des deux éléments dont il est formé, non pas peut-être de l’étain, qui est mou et en outre fort rare, mais du cuivre, qui est dur et très répandu. L’âge du cuivre est donc l’étape nécessaire avant celui du bronze. Il est représenté dans nos régions par des haches dont la forme reproduit exactement celle des mêmes instruments en pierre polie, par des poignards, dérivés également des pointes de lance ou des flèches néolithiques. Aux poignards en cuivre succèdent les poignards en bronze procédant eux-mêmes des précédents.

[PROVENANCE DE L’ÉTAIN] On s’est demandé d’où nos populations tiraient leur étain. Les gisements stannifères de l’Indochine étant demeurés fermés au monde occidental pendant l’antiquité, il ne reste pour alimenter la fabrication du bronze en Europe que l’étain des Cassitérides, c’est-à-dire de la pointe de Cornouailles. Il se transmettait par voie de terre depuis les extrémités de notre continent jusqu’aux peuples de la mer Égée, et de là en Égypte. Et puisque les premiers échantillons du bronze égyptien ne remontent pas à moins de trois mille ans avant notre ère, on voit à quelle date minima il faut reporter l’apparition de ce métal dans nos contrées, car il n’est guère vraisemblable qu’il ait été connu si loin avant de l’être aux lieux qui fournissaient la matière indispensable à cette combinaison.

[STYLE GÉOMÉTRIQUE] L’âge du bronze a vu se développer un art qui lui est propre. L’art de la Madelaine s’est évanoui après les temps quaternaires. L’imitation de la nature vivante a pris fin. Sans doute les représentations anthropomorphiques ne sont pas tout à fait abandonnées à l’avènement de la pierre polie. Témoin les figures de femmes sculptées sur les grottes champenoises et dont les pendants se retrouvent dans les départements ; de l’Oise, de l’Aveyron, du Gard. Mais ces essais informes ne rappellent en rien la main de l’artiste magdalénien. L’image de la forme humaine et animale tend à disparaître et n’intervient plus qu’exceptionnellement, comme motif ornemental, et le plus souvent dénaturée. Elle fait place au style appelé géométrique parce qu’il consiste en lignes droites, courbes ou brisées, en méandres, en cercles, en carrés, en losanges, formant une sorte de tissu et de composition systématique. Ce style dominera dans le nord et le centre de l’Europe et se communiquera même à l’Italie et à la Grèce.

[CIVILISATION DE HALLSTATT] Les traits communs que présente en Europe la civilisation du  bronze et du fer nous autorisent à employer, pour en caractériser les phases diverses dans notre propre pays, des termes empruntés à certaines stations situées en dehors des frontières de la France actuelle. Nous avons ainsi, en prenant pour type la nécropole de Hallstatt, dans les montagnes salzbourgeoises, la période hallstattienne qui correspond à l’épanouissement du style géométrique et à l’invention de l’épée de bronze. Mais déjà commence à se montrer l’épée de fer, qui, malgré ses imperfections signalées par les auteurs classiques, finira par être préférée, sans doute parce que la matière en était fournie plus abondamment et qu’il était possible d’en munir un plus grand nombre de combattants.

[CIVILISATION DE LA TÈNE] A la période hallstattienne, appelée quelquefois le premier âge du fer, parce que l’usage de ce métal n’était pas encore prépondérant, succède la période de la Tène, où il se substitue au bronze dans beaucoup d’ustensiles et d’ornements et devient d’un emploi exclusif dans la fabrication des armes, et notamment de l’épée. La Tène est une station suisse voisine de Neufchâtel.

La civilisation de Hallstatt a cessé d’être anonyme au terme de son évolution. C’est l’épée hallstattienne, la grande épée de fer, qui, au IVe siècle av. J.-C., promène dans tout le monde ancien la terreur du nom celtique. C’est la petite épée de la Tène qui arme les soldats de Vercingétorix. Ainsi, partis des profondeurs de l’époque paléolithique, nous sommes arrivés en plein dans la lumière de l’histoire.

 

 

 



[1] BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE. Sources. Les textes relatifs à l’histoire de la Gaule celtique et romaine ont été réunis pour la plupart dans le premier volume du Recueil des historiens des Gaules et de la France par dom Bouquet. Les textes grecs ont été réunis à part dans les Extraits des auteurs grecs concernant la géographie et l’histoire des Gaules, par Cougny et Lebègue, 1888-92. Pour les textes épigraphiques, voir la note en tête de la deuxième partie.

OUVRAGES À CONSULTER. Ruelle, Bibliographie générale des Gaules, Alto-1886. Ouvrage devenu insuffisant. La seule histoire d’ensemble est l’ouvrage vieilli d’Amédée Thierry, Histoire des Gaulois, 10e édit., 1877, et Histoire de la Gaule sous la domination romaine, 4e édit., 1878. Le dernier ouvrage sur la géographie de la Gaule est celui de E. Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, 1876-1893.

[2] S. Reinach, Description raisonnée du musée de Saint-Germain, I, 1889. Donne la bibliographie jusqu’à cette date et la liste des périodiques.

[3] Dictionnaire archéologique de la Gaule, 1867-1877 (incomplet). S. Reinach, Ouvr. cité, § 1. Catalogue du même musée avec l’appendice bibliographique, 8e édit., 1899. Le mirage oriental, L’Anthropologie, 1888. Bertrand, Archéologie celtique et gauloise, 1889. La religion des Gaulois, 1897. Munro, The Lake Dwellings of Europa, 1888.

[4] On a supposé entre les deux phases de l’âge de la pierre dans nos pays une sorte de coupure, d’interruption brusque, due à une série de révolutions géologiques et climatériques qui auraient eu pour conséquence de rendre l’Europe inhabitable pendant une longue série de siècles. Pour la repeupler il aurait fallu l’arrivée d’envahisseurs venus de l’Asie et apportant avec eux les perfectionnements d’une civilisation supérieure. C’est la théorie de l’hiatus se combinant avec celle de l’importation orientale. Elles rencontrent aujourd’hui peu d’adhérents. La plupart des savants s’accordent à reconnaître, dans l’avènement du matériel et des mœurs néolithiques, l’effet d’un développement régulier, spontané, indépendant de tout agent extérieur.

[5] Aux ouvrages mentionnés § 2 ajouter : S. Reinach, La sculpture en Europe avant les influences gréco-romaines, L’Anthropologie, 1883. Bertrand, Les Celtes dans la vallée du Pô et du Danube, 1894.