MADAME MÈRE (NAPOLEONIS MATER)

 

1783.

 

 

Choix définitif de la carrière de Napoléon. — Influence décisive d'une visite de sa mère à Brienne, le détournant de la marine. — Lettre de Charles Bonaparte au comte de Mondion. — Inscription due à une idée de l'élève Napoléon, pour la fête de Saint-Louis. — Charles Bonaparte tombe malade. — Lettre touchante de son fils.

 

Les études commencées par Napoléon à Brienne n'avaient pas encore fixé le choix de sa carrière et semblaient le destiner à la marine. L'intention de sa famille, la direction de ses efforts et déjà les progrès de ses études l'avaient placé dans une classe spéciale, sans qu'il eût déclaré sa vocation.

Madame Letizia était venue le revoir tout exprès, pour se rendre compte de sa position nouvelle à l'École. Elle s'étonna que tous les élèves de sa classe eussent pour lits des hamacs et elle dissuada aussitôt son fils d'entrer dans la marine, où il aurai t contre lui le feu et l'eau, sous les climats les plus contraires et sous des horizons bornés. Elle comprenait que, dans l'armée de terre, en affrontant les dangers des combats, il aurait plus de place pour se mouvoir et plus de chances de se distinguer, en parcourant aussi une brillante carrière.

Napoléon n'avait pas plus de quatorze ans ; il parut frappé de la justesse des observations et des conseils de sa mère, qui persuada son mari et son oncle l'archidiacre, de faire les démarches utiles, auprès de la direction de l'École, pour modifier l'ensemble des études spéciales de son fils, en vue de son avenir militaire. Madame Bonaparte obtint donc pour lui une décision mémorable, annulant un rapport des professeurs de l'École. Ce rapport déclarait M. de Buonaparte-Napoléon apte à devenir un excellent officier de marine.

Son père adressait alors d'Ajaccio, le 1er juin 1783, à M. le comte de Mondion une lettre écrite par lui, au nom de sa femme, relativement à un envoi de la mousse de Corse, très recherchée vers cette époque. La lettre se termine ainsi :

Vous devez être persuadés, monsieur le comte et madame la comtesse, du plaisir que nous aurons de vous revoir, etc.

DE BUONAPARTE.

Cette lettre, inutile à reproduire, figurait autrefois à la Malmaison, dans un cadre en contenant d'autres de la famille Bonaparte. Il y en avait, entre autres, deux de Madame Letizia Ramolino[1].

Madame Bonaparte, reconnaissante des bontés du roi pour son mari, approuva fort une motion faite spontanément par leur jeune fils Napoléon à l'École de Brienne. C'était le 25 août 1783, jour de la Saint-Louis. Les préparatifs de la fête se terminaient ; une inscription restait à trouver ; d'après l'auteur d'un ouvrage remarquable sur Napoléon[2], les élèves s'ingéniaient à chercher dans leurs souvenirs classiques : C'est bien simple, dit le jeune Bonaparte, inscrivons ces seuls mots : A LOUIS XVI, A NOTRE PÈRE. Son idée fut accueillie par ses camarades et par tous les professeurs, l'inscription était faite.

C'est le première fois, ajoute l'auteur, que nous rencontrons chez Bonaparte la marque de cette délicate vertu, la reconnaissance, qui tient une si grande place dans l'histoire de ses sentiments et de son cœur. Nous pouvons dire aussi qu'une telle vertu native ou innée en lui s'était développée, avec d'autres, sous l'influence de l'éducation maternelle.

La santé de Charles Bonaparte fut atteinte, en 1783, à Ajaccio, des premiers symptômes du mal qui, deux ans après, devait lui être funeste. Madame Bonaparte en éprouva beaucoup d'inquiétude et parvint, à force de soins, à diminuer sensiblement la gravité du mal.

Napoléon, averti de l'état de son père, s'inquiète et lui adresse] de Brienne, le 12 octobre 1783, une lettre touchante, témoignant bien son affection filiale, et il termine sa lettre par ses respects à maman, etc. Puis il ajoute :

Je finis en vous souhaitant une santé aussi bonne que celle dont je jouis.

NAPOLÉON cadet.

Après son souvenir respectueux pour sa mère, il montre, envers ceux qui sont auprès d'elle, les plus affectueux sentiments[3].

Cette lettre manque, comme beaucoup d'autres de cette époque, à la Correspondance de Napoléon Ier.

 

 

 



[1] La première de 1800 à 1801, la seconde du 10 novembre 1829.

[2] Napoléon, l'homme, le politique, l'orateur, par Antoine Guillois, 1889, 2 vol., t. Ier.

[3] Lettre publiée par le journal le Pays, du 24 juillet 1883.