LE SECRET D'UN EMPIRE : LA COUR DE NAPOLÉON III

 

V. — LES ARTISTES ET LA COUR.

 

 

Ceux qui pensent qu'un gouvernement, quel qu'il soit, exerce une influence bonne ou mauvaise sur le développement des arts, sur le génie même des peintres, des sculpteurs, des musiciens ou des lettrés, éprouveraient une singulière surprise, dans l'observation des rapports qui existèrent, sous le Second Empire, entre la cour et les artistes.

Ainsi que je l'ai dit, précédemment, il n'y eut, à la cour de Napoléon III, que peu d'enthousiasme artistique parmi les femmes — exception faite de Mmes la princesse Mathilde et la comtesse de Beaumont — et cet enthousiasme fut absolument nul parmi les hommes.

Il se leva, cependant, sous le Second Empire, des artistes, des littérateurs, des musiciens — et non des plus petits. Mais peu d'encouragements leur furent donnés, en dehors des invitations aux Tuileries, à Compiègne, à Fontainebleau, et ce manque de sollicitude en faveur d'une classe de gens intelligents, porteurs d'une chimère peut-être, mais aussi d'un idéal, m'amène à conclure que si des artistes nous sont nés sous le Second Empire, ces artistes eussent tout autant affirmé leur talent dans l'absence d'une cour — de cette cour des Tuileries, surtout, qui eut sans doute, à certaines heures, la curiosité de voir comment ils mangeaient, buvaient ou parlaient, mais qui n'eut, en aucun temps, le souci de leur grandeur, de leurs peines, de leurs joies.

Un homme, plus particulièrement, à la cour des Tuileries, s'intéressa aux artistes, à leur vie et à leur avenir. Cet homme fut M. le comte Walewski. Mais, à une époque où l'on s'occupait beaucoup plus, dans les sphères officielles et mondaines, du bien-être et de l'intimité des danseuses que d'assurer la gloire d'un peintre ou d'un écrivain, le rôle de M. le comte Walewski ne pouvait être qu'effacé et il le fut. M. le comte Walewski, M. le comte de Nieuwerkerke et quelques autres hommes, respectueux du passé artistique de la France, désireux de provoquer une éclosion d'œuvres nouvelles, tentèrent, avec persévérance, de rendre à l'art la place à laquelle il avait droit ; mais leurs efforts furent contrariés et si le public battit des mains, parfois, devant quelque toile ou quelque livre, il fut libre dans son applaudissement et la cour demeura étrangère à l'expression de son respect ou à celle de son admiration.

L'Empereur, instinctivement, n'aimait point les arts. Tout, en lui, l'éloignait de ce que l'on considérait, alors, comme une futilité, comme un accroissement ou comme une révélation inutile, dangereuse même, d'intelligence. Cependant, il serait injuste de dire que Napoléon III, obéissant à ses sentiments personnels, fut hostile aux artistes. Chaque fois qu'il trouva l'occasion de leur venir en aide, de leur exprimer une satisfaction, un encouragement, il ne se déroba point à son devoir de souverain. Il serait injuste, également, de reprocher trop à l'Empereur son indifférence en matière d'art. Cet homme vécut et régna dans une époque de transition, de transformation, pleine des problèmes sociaux, des tourments de la politique, et son esprit, peu préparé aux choses contemplatives d'un idéal de paix, dédaigna inconsciemment ces choses et se laissa emporter vers des spéculations plus abstraites.

L'impératrice Eugénie eut, plus que son mari, l'amour sincère de l'art. Si elle manqua, souvent, de l'acquis nécessaire dans l'expression de ses choix artistiques, dans l'examen des hommes que ces choix indiquaient, elle créa, à la cour, la mode d'aimer les beaux livres et les beaux tableaux, et quoique cette fantaisie fût trop superficielle pour aider à la naissance ou à la recherche de talents nouveaux, il serait vain de dire qu'elle fût tout à fait stérile. Jules Sandeau, Octave Feuillet, Mérimée, Edmond About, Emile Augier même. n'écrivirent-ils et ne pensèrent-ils point un peu pour elle ? Cabanel, Hébert, Flandrin, Carpeaux, ne furent-ils pas amoureux de sa beauté ?

 

L'Impératrice, on l'a vu dans un précédent chapitre, s'essayait à peindre et à dessiner. Mais, aux Tuileries, nulle installation favorable n'existait pour ce genre d'occupation. Cette incommodité l'obligeait, lorsqu'un peintre faisait son portrait, à se rendre chez l'artiste, et comme, un jour, elle se plaignait d'aller chez Wintheralter, comprenant d'ailleurs que ce maître ne pouvait venir au château avec son chevalet et ses pinceaux, elle déclara qu'elle voulait qu'on lui construisît un atelier.

A peine eut-elle formulé ce désir qu'elle se disposa à le faire en réalité. Mais il n'était point aisé, aux Tuileries, de bâtir un atelier sans risquer de déparer l'ensemble de l'architecture du palais. Cependant, conseillée par l'un des officiers de la maison, elle se mit à la recherche d'un emplacement favorable.

Ayant décidé, bientôt, qu'on supprimerait, pour la construction de l'atelier, les logements de deux femmes de chambre, situés tout en haut, dans les combles, elle exigea de visiter le lieu désigné. Elle monta donc, et lorsqu'elle fut arrivée aux appartements en question, non contente de son examen, elle enjamba l'une des fenêtres et se mit, imprudemment, à parcourir la toiture, en suivant la gouttière, assez large, il est vrai, qui longeait le côté gauche du pavillon de l'Horloge, et ce, au grand effroi de ceux qui l'accompagnaient et qui, soumis à son audace capricieuse, ne purent que la suivre et l'imiter.

Des ordres furent donnés à M. Lefuel, et quelques jours après cette scène, au sujet de laquelle l'Empereur réprimanda sa compagne, l'atelier de l'Impératrice, aménagé avec un luxe inouï, ouvrait ses portes aux visiteurs.

On dévalisa le mobilier de la couronne pour cet aménagement ; mais non satisfaite des tapisseries et des meubles officiels qui lui avaient été offerts, l'Impératrice orna son atelier d'étoffes et d'objets précieux qui lui étaient personnels.

— C'était un fouillis étrange, me disait un familier des Tuileries, et à. ma première apparition dans l'atelier de l'Impératrice, je le trouvai tellement meublé et encombré qu'il me sembla impossible d'y placer un chevalet ou un modèle.

Cet atelier ne fut pas seulement, toutefois, un agrément pour l'Impératrice. Il fut réellement utile aux artistes qui s'y rendaient, soit pour montrer leurs œuvres, soit pour peindre le souverain et la souveraine. Il fut inauguré par Wintheralter, qui y fit le portrait du Prince Impérial.

Flandrin, également, y : portraitura l'Empereur. Son œuvre, cependant, si admirée et si digne d'admiration, si vraie surtout, n'eut pas un sort heureux. Le caprice de Mme de Metternich, toute-puissante aux Tuileries, je l'ai dit, lui fut néfaste. Cette femme, dans un esprit banal et conventionnel de critique, pour mieux faire sa cour au souverain aussi, ne s'avisa-t-elle pas de dire, avec une moue dédaigneuse, lorsqu'on lui montra l'image de Napoléon III :

— Cela n'est pas mal ; mais cela pourrait être mieux.

Ces simples mots — cruellement injustes — suffirent pour jeter la désillusion dans le clan des familiers. Ainsi qu'ils auraient loué, ils blâmèrent, et le tableau de Flandrin fut expédié au Tribunal de commerce.

Cabanel fut chargé de reproduire, alors, les traits de l'Empereur et l'incident fut oublié au château, — au château, mais non dans le cœur et dans l'esprit de Flandrin.

Très modeste, très consciencieux, il avait des timidités charmantes, et le jour où il eut sa première séance avec Napoléon III, il était demeuré près d'une heure enfermé dans un cabinet, isolé, tremblant d'émotion, avant de paraître devant son modèle. Le dédain injuste qui le frappa, fit en lui une plaie qui ne se ferma jamais.

Hélas ! combien de fois, à la cour, le tact fit défaut, ainsi, envers ceux qui venaient travailler pour le compte des maîtres !

On sait qu'à la suite de la campagne de Chine, on installa, à Fontainebleau, une sorte d'exposition des objets provenant du pillage du Palais d'Eté, qu'on nomma le Musée Chinois.

Or, comme l'Empereur inaugurait ce musée et que, les travaux terminés, on avait réuni à Fontainebleau les architectes et les ouvriers pour recevoir les compliments du souverain, un chambellan, très ému, s'en vint, tout à coup, trouver Napoléon III et lui dit :

— Sire, je crois devoir informer Votre Majesté que les ouvriers assemblés par ses ordres ne se montrent pas satisfaits.

L'Empereur regarda le messager de malheur.

— Et pourquoi, monsieur, demanda-t-il, les ouvriers ne sont-ils pas contents ?

— Mon Dieu, Sire, l'incident est ridicule, sans doute, mais si ridicule qu'il soit, Votre Majesté doit le connaître : les ouvriers ont appris qu'on boit du champagne dans son entourage, tandis qu'on ne leur a offert que de la bière.

Napoléon III tordit sa moustache, ne répliqua rien et, lentement, s'achemina vers le groupe murmurant.

Lorsqu'il parut, il y eut un profond silence.

Alors l'Empereur s'avança et dit :

— Bonjour, mes amis.

Et comme s'il ne voyait ni les verres remplis de bière, ni les bouderies, il donna l'ordre d'apporter du champagne ; puis tous étant servis, ayant fait sortir des rangs le plus ancien d'âge de la troupe, il alla à lui, choqua son verre et reprit gaiement :

— A la bonne franquette, n'est-ce pas, mes amis, et à votre santé.

L'enthousiasme de ces braves gens n'aurait pu se décrire. En cet instant, selon l'expression d'un témoin, ils se seraient fait casser la tête, sans hésitation, pour cet Empereur qui, non seulement leur donnait du champagne, comme aux autres, — les aristos — mais buvait ce champagne avec eux

C'est lit un petit fait, sans nul doute ; mais la vie des rois n'est-elle point ainsi tissée de petits faits et grande, souvent, par eux, plus que par leurs actes publics ? La philosophie de l'Histoire est là et non ailleurs.

L'Impératrice, quelquefois, mais rarement, secondait son mari dans ces essais de popularité.

C'est ainsi qu'un jour elle reçut dans son atelier deux ouvriers, dont l'un se nommait Villeneuve, qu'elle avait chargés d'exécuter un cadre en bois sculpté, pour un présent à la reine d'Angleterre. L'œuvre étant achevée, elle voulut remercier elle-même ces hommes. Mais elle réussissait peu dans ces tentatives de rapprochement avec le peuple. Elle n'avait point l'aisance familière qui est nécessaire aux grands de ce monde lorsqu'ils parlent au peuple — cette aisance que possédait si bien Napoléon III et qui le porta si loin dans l'âme de la foule, si profondément dans le cœur de la nation.

Ce fut encore sous l'inspiration de l'Impératrice que l'on dessina les cartons pour le tombeau de la duchesse d'Albe.

Un incident d'un sentiment presque dramatique et qui, certainement, fera quelque impression sur ceux qui ajoutent foi aux présages, vint troubler l'exécution de ce projet.

Le tombeau de la duchesse d'Albe, tout en marbre, devait supporter la sœur de l'Impératrice, étendue, une main sur son cœur et l'autre main, tombante, abandonnée, laissant échapper des fleurs — les fleurs de la Vie.

Aux quatre angles du monument, des anges semblaient veiller sur la morte.

Ces anges étaient représentés par les enfants du duc d'Albe et par le Prince Impérial.

Or, il arriva qu'en examinant la maquette, la tête de l'ange figurant le Prince Impérial se détacha et roula sur le tapis.

A cette vue, l'Impératrice, très superstitieuse, très sensitive, jeta un cri, se recula et, prise d'une crise nerveuse, n'eut que le temps d'être secourue par l'un de ses familiers.

Cette scène, dont on chercha à atténuer les effets sur son esprit, demeura toujours en son souvenir. L'Empereur lui-même aimait peu à ce qu'on la rappelât, et quand on en parlait devant lui et son fils, d'un geste machinal et instinctif, il étendait son bras vers l'enfant, le ramenait tendrement contre lui et caressait ses cheveux blonds. L'Empereur avait, pour son fils, cette affection simple et sans bornes du bourgeois pour le gosse qu'il habille en zouave ou en cuirassier et qui marche à ses côtés, avec des manières de petit homme. On raille cette affection. — Elle n'est peut-être point tant ridicule.

 

Je l'ai dit plus haut, l'un des hommes qui, aux Tuileries, sous le Second Empire, eurent la charge des Beaux-Arts, fut M. le comte de Nieuwerkerke.

Cependant, M. de Nieuwerkerke n'était point aimé de l'Impératrice — une liaison féminine trop audacieuse le désignait à sa suspicion — et le bon entendement de ses ordres se heurtait souvent au peu de goût que la souveraine éprouvait pour sa personne.

Un jour, pourtant, comme l'Impératrice s'ennuyait, M. de Nieuwerkerke lui vint en aide pour chasser son spleen et dès lors il fut le très bien accueilli auprès d'elle.

Se trouvant à Fontainebleau et n'y sachant que faire, les jeux et les promenades se répétant dans une monotonie désespérante, l'impératrice eut, soudain, l'idée de former un petit musée à son usage particulier. Or, comme pour réaliser ce projet, il était nécessaire d'avoir recours à M. de Nieuwerkerke, celui-ci en apprenant l'appui qu'on espérait de fut ravi et, ayant décroché dans les galeries mêmes du Louvre quelques tableaux, il les porta à Fontainebleau.

L'Impératrice, pour le remercier, le retint à dîner, et donna l'ordre à son entourage — le comte n'ayant point d'habit à sa disposition — de ne paraître à table qu'en tenue de ville.

A Fontainebleau, encore, une aventure assez comique et dont le héros fut un artiste, vint égayer, une après-midi, l'un des rendez-vous de chasse de l'Impératrice.

Un peintre de quelque talent, mais resté un peu bohème, M. Lazerges, avait maintes fois sollicité, de la souveraine, des commandes.

Malheureusement, une vieille femme de lettres, peintre aussi et actrice même, nominée Mélanie Valdor, qui avait à Paris une sorte de salon où elle recevait un monde assez mêlé — fonctionnaires, écrivains, artistes, plus ou moins à la recherche de la fortune -- lui persuada qu'elle était très influente à la cour et que nul ne saurait mieux qu'elle faire réussir ses désirs.

Le pauvre garçon — un jour donc que l'Impératrice venait de monter à cheval, tandis que les chars-à-bancs, remplis d'invités, s'apprêtaient à suivre la chasse — escorté de Mme Valdor, fendit tout à coup la foule contenue par les gendarmes et, dans un accoutrement du plus beau romantique — cheveux démesurément longs, chapeau à larges bords s'avança vers l'Impératrice.

Mme Valdor prit alors la parole et dit :

— Madame, je vous présente mon ami Lazerges. C'est tin peintre de grand talent. Il vous a demandé de l'ouvrage. Il faut lui en donner.

L'Impératrice regarda ce couple fantastique, cingla son cheval et s'éloigna.

Le lendemain, pourtant, après avoir ri de cette aventure, après avoir réclamé aussi contre son importunité, elle s'informa et, quand elle sut que Lazerges était misérable et ne méritait ni un excès d'honneur, ni une indignité, elle se fit bonne et bienveillante et le chargea de décorer quelques salles — des dessus de portes — au palais de Fontainebleau.

 

L'impératrice Eugénie avait, contre les artistes, le préjugé du monde et se tenait défiante devant eux, ou plutôt devant leur réputation d'enfants terribles et leur prétendue mauvaise éducation.

L'incident Lazerges n'était point fait, en vérité, pour la détrom.per, pour la rassurer et, plus tard, un autre artiste — qui reste Fun des plus grands sculpteurs de ce temps — Carpeaux, vint, par ses façons un peu brusques et dépourvues de toute convention, donner une nouvelle force à ses sentiments, à sa réserve.

Carpeaux, dont le génie s'affirmait chaque jour davantage et dont la célébrité s'imposait, même à la cour, avait été prié à l'une des séries de Compiègne et, dès les premières heures de son arrivée, il avait exprimé à la souveraine le vœu de faire son buste.

Mais l'Impératrice — on ne sait pourquoi —n'avait point semblé répondre favorablement à la demande 'de l'artiste et s'était dérobée à ses instances.

Cependant, Carpeaux, qui tenait à son idée, ne s'était pas découragé et comme, un midi, on venait de se mettre à table pour déjeuner, on le vit entrer dans la salle à manger, avec les ustensiles nécessaires à son travail, et se placer en face de l'Impératrice qu'il se mit aussitôt en devoir de modeler.

Cette scène — qui sans doute est présente encore à la mémoire de tous ceux qui assistèrent à ce déjeuner — jeta un profond étonnement, une gêne parmi les convives et l'Impératrice, très irritée de se voir ainsi sculptée malgré elle, ne chercha point à dissimuler son mécontentement. Elle ordonna au général Rollin de faire enlever l'installation du pauvre Carpeaux et le soir même — ce qui manqua peu t-être d'esprit et de bienveillance, et ce qui fut cruellement injuste — elle faisait dire à l'artiste que, sa chambre devant être occupée par un nouvel hôte, il eût à la céder — ce qui, à Compiègne, signifiait simplement qu'on eût à déguerpir.

Carpeaux, peu au courant des usages de la cour, opéra, en bon enfant, son déménagement, remisa ses malles dans une pièce quelconque et, dans l'insouciance et dans l'ignorance des colères qu'il avait provoquées, reparut le lendemain au déjeuner, à la promenade, au dîner et au salon, au grand dépit de l'Impératrice.

La jeune femme eût dû rire et pardonner, eût dû être désarmée par cette naïveté d'un homme de ta-

lent. Elle eut le tort de se fâcher tout à fait et il fallut qu'un chambellan expliquât crûment à Carpeaux ce qu'on attendait de lui.

— Alors, s'écria l'artiste, on me f... à la porte, si je comprends bien. Il était beaucoup plus simple, monsieur le chambellan, de ne point m'appeler ici. Je ne demandais pas à y venir.

Il avait raison et il s'éloigna.

Mais comme il cherchait ses malles et qu'il ne les trouvait plus, il entra dans une violente colère et oublia entièrement qu'il se trouvait encore à la cour. Sans le consulter, en effet, on avait porté ses bagages chez le concierge du château.

L'Impératrice était une enfant gâtée, alors, et ses désirs étaient ceux des filleuls de fées qui demandent à la baguette magique de leurs marraines la réalisation de tout caprice.

Il est une histoire de six fauteuils qui la peint, ainsi, absolument, dans son autoritaire fantaisie, dans l'expression immédiate de sa volonté.

L'Impératrice avait promis à son amie, Mme de Metternich, de lui offrir une demi-douzaine de fauteuils que l'on affirmait introuvables à Paris.

Le mobilier de la couronne, consulté, exigeant trois semaines pour leur livraison, la souveraine eut une belle impatience et déclara qu'il lui fallait ses fauteuils dans les vingt-quatre heures.

On se mit en campagne, on bouleversa les ateliers des ébénistes et des tapissiers — M. Ternisien était de ces derniers — et les vingt-quatre heures n'étaient point écoulées que les six sièges se trouvaient en effet alignés dans le pavillon du lac, à Fontainebleau, où la cour était alors en villégiature.

Il serait déraisonnable de prêter une importance extrême à un fait de ce genre ; mais il montre la tendance d'esprit de l'Impératrice mieux qu'une parade officielle, et il contribue à supprimer tout étonnement lorsque sa volonté impérieuse se manifeste, hostile, contre un homme tel que Carpeaux, lorsque cette volonté, aussi, s'exerce dans les conseils de l'Empereur pour détourner, à son profit, la politique même du cabinet des Tuileries.

 

Les premiers travaux d'art qui furent exécutés, aux Tuileries, par ordre de Napoléon III, consistèrent dans la restauration des portraits des maréchaux que le peuple avait détériorés pendant les jours qui avaient suivi la chute et le départ du roi Louis-Philippe, en 1818.

Il est, à ce propos, un mot curieux de M. Ingres qui, avec M. Eugène Delacroix, avait été désigné pour faire un rapport relatif à ces travaux.

MM. Ingres et Delacroix étaient ennemis, on le sait — artistiquement du moins.

Or, comme on venait d'apprendre au premier le nom du peintre qui lui était adjoint, il poussa un profond soupir, déclara qu'il était criminel de confier le sort des choses d'art à des révolutionnaires, puis, finalement, s'emporta et s'écria :

— En Italie, il y a des brigands qui s'embusquent sur le passage des voyageurs, le tromblon à l'épaule. Eh bien, en France, les arts sont aussi guettés par des brigands qui tuent, la palette à la main !

La phrase était excessive ; mais M. Delacroix, lorsqu'il la connut, eut l'esprit de ne point se fâcher.

Après le mariage de l'Empereur et dans les premiers temps de l'installation de la jeune souveraine aux Tuileries, il y eut, dans l'ameublement et dans la décoration du château, un manque de goût, que raillèrent fort les étrangers qui se montraient à la cour.

C'est ainsi que les Gobelins produisirent, alors, des tapisseries sans valeur qui, à peine exposées, provoquèrent le rire et l'indignation de tous ceux qui les virent et qui possédaient quelque sens artistique. C'est ainsi, également, que dans la hâte d'aménager les appartements impériaux, il y eut un amoncellement d'objets divers, de bronzes, de tableaux du plus détestable effet. Il arriva même que des salons Louis XIV, par exemple, eurent des ameublements modernes ou furent encombrés de bibelots ou de pièces sans style.

Napoléon III, qui, sans être un artiste, était un érudit, souffrait de ces incohérences, de ce gaspillage et ordonnait que l'on dispersât, dans ses résidences de province, ces spécimens d'une trop hâtive et vénale industrie.

Longtemps il supporta, avec patience, la mauvaise organisation intérieure des Tuileries. Cependant, un jour, ayant eu l'idée d'inspecter les garnitures des cheminées, il se révolta contre le goût abominable qui présidait au choix de toutes ces choses. Ces garnitures, en effet, composées de bronzes de pacotille achetés au Marais par l'administration du mobilier de la couronne, chez des fabricants de troisième catégorie, étaient hideuses. L'Empereur se renseigna alors, et, comme on lui indiqua M. B... comme étant l'artiste et le connaisseur qui, seul, serait en mesure de le satisfaire, il le fit venir au château et lui confia des commandes.

C'est ainsi que le célèbre fondeur fit son entrée aux Tuileries. Il ne devait pas, se repentir de cette faveur. M. B..., jadis, s'était trouvé dans une gêne d'affaires assez grave. Or, comme le souvenir de cette infortune était un obstacle à ce qu'il reçut la décoration, l'Empereur, dans sa bonté, se fit remettre la situation commerciale exacte de ce négociant, désintéressa lui-même, sur sa cassette, les créanciers, et put alors offrir à M. B..., délivré de tout embarras et de toute poursuite, la croix de la Légion d'honneur.

C'est là un trait qui mérite non seulement d'être mentionné, mais de n'être pas oublié.

 

Pourtant, grâce à une connaissance plus entendue des hommes et des choses, grâce à un assemblage de collaborateurs éclairés et consciencieux, l'aménagement artistique des Tuileries s'opéra avec plus d'ordre, et les salons du château ne tardèrent pas à provoquer l'admiration des visiteurs.

Lorsque la vente Norzy eut lieu, Napoléon III chargea l'un de ses officiers de la suivre et de faire quelques achats importants — l'acquisition surtout d'une tête de Greuze, qui passionnait alors les amateurs et que l'Impératrice désirait fort.

Ce tableau lui échappa, cependant ; il fut adjugé au prix de dix-neuf mille francs, somme très supérieure à celle que l'Empereur avait mise à la disposition de son mandataire.

Mais un jour, comme cet officier entrait dans le cabinet de l'Impératrice, quelle ne fut pas sa surprise en apercevant cette même tête de Greuze !

L'Impératrice, en effet, désolée d'avoir été déçue dans son caprice, avait fait. présenter des offres au malencontreux acquéreur, et celui-ci avait cédé le tableau contre la somme de trente-cinq mille francs.

Comme elle déplorait cette élévation de prix :

— Madame, lui dit son familier, un peu dépité de n'avoir pas eu la gloire de l'achat, c'est en peinture comme en arithmétique : il faut toujours prendre garde aux intérêts composés.

A la vente du château de Nicolay, l'Impératrice se rendit propriétaire, également, de boiseries merveilleuses et de peintures de Chardin, moyennant la somme de vingt-cinq mille francs.

Mais, à peine achetées et vues, ces choses fatiguaient l'esprit versatile et sans cesse à la recherche de nouveautés, de l'Impératrice. On les emmagasinait alors dans les profondeurs du mobilier de la couronne, sans profit pour qui que ce fût, et l'administration, souvent, les revendait avec des pertes considérables.

L'ameublement provenant du château de Nicolay eut, pourtant, un meilleur sort. Il fut employé d'abord à orner la salle à manger de l'hôtel d'Albe, et, plus tard, il devint la propriété de M. de Hirsch, qui le possède peut-être encore.

 

Parmi les peintres célèbres qui furent en relations avec les Tuileries et qui furent goûtés plus spécialement par l'Impératrice, il faut citer Mme Rosa Bonheur, que la souveraine visita, d'ailleurs, M. Cabanel, M. Hébert et M. Gérome.

Les rapports qui existèrent entre l'Impératrice et Mme Rosa Bonheur n'ont rien qui mérite l'attention.

Quant à MM. Hébert et Cabanel, ils furent amenés au château, ou plutôt ils furent mis en communication avec l'Impératrice par l'un des officiers du palais, au temps où l'on transformait ses appartements privés.

L'Impératrice ayant demandé par qui elle pourrait bien faire exécuter quelques tableaux pour orner deux panneaux de son cabinet de travail, les noms de Cabanel et d'Hébert lui furent indiqués parmi tant d'autres — qui ne manquaient pas — et elle les retint de préférence.

Elle commanda, en effet, à chacun de ces peintres, après s'être fait montrer quelques photographies de leurs œuvres — photographies qui l'enthousiasmèrent — une toile dont elle voulut elle-même dicter le sujet.

Elle se fit alors apporter les œuvres de Lamartine et de Musset, et, pendant plusieurs jours, ce fut à la cour un jeu, dans l'entourage de la souveraine, de lire ces volumes, d'en apprendre par cœur des passages et de tirer de cette étude, ou mieux de cette amusette, des descriptions destinées à être transmises aux deux artistes.

Mais ce jeu ne tarda pas à lasser celles-là mêmes qui l'avaient acclamé ; toutes les recherches, tous les efforts d'imagination furent stériles, et on résolut de laisser à Hébert et à Cabanel pleine liberté dans leur inspiration.

Bientôt deux esquisses furent présentées à l'Impératrice. Celle d'Hébert représentait une sorte de Graziella — Lamartine, décidément, devait être de la partie — celle de Cabanel était intitulée les Feuilles d'automne et figurait un jeune homme auprès d'une femme mourante.

L'Impératrice accepta immédiatement l'esquisse d'Hébert ; mais elle ne put s'empêcher d'émettre quelques observations sur le sujet choisi par Cabanel, le trouvant peu gai et hésitant à en approuver l'exécution.

Cabanel avait une grande fierté. Il fut profondément blessé — malgré toutes les précautions et toutes les atténuations que l'on apporta dans le refus de la souveraine — de l'attitude qu'on lui opposait, et, quoiqu'il promît de livrer un nouveau croquis plus conforme aux désirs exprimés, il ne répondit, dès lors, à toute instance et, à son tour, que par un refus poli, couvert de prétextes divers.

L'Impératrice ne garda point rancune, d'ailleurs, au peintre de sa méchante humeur. Elle s'amusa même de l'aventure, et le nom de Cabanel devint comme une scie, aux Tuileries, lorsqu'on parla désormais d'une chose impossible à obtenir. Elle remplaça le tableau de l'artiste réfractaire par une peinture commandée spécialement à M. Bouguereau, et l'incident fut oublié.

Cabanel, cependant, fut depuis cet incident, invité à Compiègne, et ce fut à la suite de son séjour chez l'Impératrice qu'on le chargea de faire le portrait de l'Empereur, en remplacement de celui qu'avait signé Flandrin.

L'obstination de Cabanel, dans la circonstance que je viens de rappeler, n'avait point seulement sa cause dans un amour-propre froissé. On apprit, en effet, aux Tuileries, qu'une femme très liée avec l'artiste, dont le portrait fit sensation, à cette époque, à l'Exposition des Beaux-Arts, et qui était célèbre par ses attaches avec la société hostile du faubourg Saint-Honoré, avait eu quelque influence sur la décision du peintre et lui avait même donné à choisir entre son amitié et la satisfaction de la souveraine. Les dessous du cœur humain ne manquent jamais de complications.

 

M. Gérome fut aussi l'un des artistes le plus aimés aux Tuileries, et la façon dont il fut présenté à l'Impératrice est curieuse.

La cour se trouvant à Fontainebleau, en ce temps-là, la souveraine eut, un jour, l'idée bizarre de décorer elle-même, aidée de ses dames du palais, un petit salon contigu à ses appartements. Il s'agissait de peindre des fleurs sur des panneaux, et tout l'attirail nécessaire à cette occupation fut transporté dans la pièce en question. L'Impératrice et ses amies, accompagnées d'un officier du palais chargé plus spécialement de l'organisation des choses d'art à la cour, étaient à l'œuvre, lorsqu'on vint annoncer à cet officier que le peintre Gérome demandait à le voir et à lui parler.

L'Impératrice, en entendant ce nom, battit des mains, ordonna qu'on fît entrer M. Gérome, et, lui ayant adressé quelques compliments, elle sollicita ses conseils pour ses travaux.

Gérome, alors, très gracieusement, et riant de cet impromptu, s'empara de couleurs, de pinceaux, puis se mêla aux gentilles et coquettes badigeonneuses.

M. Gérome venait à Fontainebleau, ce jour-là, pour obtenir de l'Impératrice une lettre de recommandation auprès du vice-roi d'Egypte, au sujet d'un voyage qu'il souhaitait d'entreprendre dans ses Etats. Il eut sa lettre, et ; disons-le, il l'avait bien gagnée.

M. Gérome fut, depuis, chargé de reproduire la réception des ambassadeurs siamois à Fontainebleau. Ce tableau est à Versailles, et, si je ne me trompe, il représente l'Impératrice sur le trône, dans une toilette blanche, entourée de ses dames et de ses demoiselles de cour.

La réception de cette ambassade provoqua un incident comique qui n'est point sans intérêt.

La cour étant réunie dans l'attente des ambassadeurs, et ceux-ci étant entrés dans le palais, l'Impératrice donna l'ordre de les introduire.

Mais, à l'étonnement de tous, nulle ambassade ne se montrait.

Impatiente, la souveraine pria l'un des chambellans de se rendre auprès des exotiques et de s'informer de la cause de leur retard.

Ce fonctionnaire, à peine sorti du salon de réception, y rentra et s'approcha de l'Impératrice, dans une attitude pleine d'embarras.

— Eh bien, monsieur, demanda l'Impératrice, que se passe-t-il donc ?

— Il se passe, madame, un fait imprévu et peu facile à expliquer.

Toutes les oreilles se tendirent vers le messager.

— Et quel est ce fait

— L'ambassade siamoise tout entière, madame, change en ce moment de... pantalons. Et comme on se regardait effaré :

— Oui, — de pantalons, reprit le chambellan ; il paraît que la règle siamoise veut qu'on ne paraisse jamais devant les princes qu'après avoir... endossé un vêtement spécial et vierge de tout usage.

Ce fut, alors, un rire fou et général dont l'Impératrice elle-même prit sa part.

Mais bientôt redevenant sérieuse :

— Eh bien, monsieur, dit-elle, laissons ces bonnes gens à leur toilette.

Et, se tournant vers ceux qui l'entouraient, elle ajouta :

— Et tâchons de ne plus rire.

Il arrivait que, souvent ainsi, à la cour, les actes les plus graves prenaient un ton badin. Ce jour-là, lorsque les ambassadeurs siamois entrèrent dans la salle et s'avancèrent en file indienne, marchant à quatre pattes, malgré la recommandation de l'Impératrice, il y eut plus d'un éclat de gaîté dans les rangs des familiers. C'était maladroit, impolitique et imprudent — mais c'était ainsi et nulle puissance divine ou humaine n'eût arrêté, à cette époque, la belle et inconsciente Folie qui secouait ses grelots sous les plafonds impériaux.

 

J'ai commencé ce chapitre par quelques considérations générales sur l'art, aux Tuileries — considérations qui ne sont peut-être pas sans pessimisme. Je ne mets, cependant, aucune morosité dans cette reconstitution de la physionomie intime de la cour, dans la fixation de l'histoire anecdotique du Second Empire.

S'il découle, donc, de ce récit que l'art, aux Tuileries, fut regardé comme une chose superflue et vaine, ne rencontra que peu d'attention sympathique de la part des souverains, que beaucoup d'indifférente ignorance de la part de ceux qui les entouraient, c'est qu'en matière d'histoire — et en dehors du sentiment personnel à l'écrivain — les faits accumulés s'imposent et crient plus haut que des paroles systématiquement indulgentes, la vérité.

Dans l'impartialité qui me guide ici, j'eusse souhaité de pouvoir dire au lecteur que l'empereur Napoléon III et que l'impératrice Eugénie demeurent comme des protecteurs passionnés des arts. Mais non, les arts ne leur doivent rien. Ils s'en amusèrent tout au plus et ne les comprirent pas.

Le Second Empire fut, dit-on, une époque de décadence qui eut toutes les voluptés et qui en usa. Il lui manqua, essentiellement, cette volupté suprême de l'âme : l'amour et la compréhension du Beau. Il fut une époque de réalités brutales et de sensations que la figure songeuse de Napoléon III traverse et domine — énigmatiquement, comme l'ombre d'un héros de mélodrame — que le rire de l'Impératrice en joie et éclaire comme un coup de soleil dans un ciel d'orage.