Texte mis en page par Marc Szwajcer
BERTRAND DE GOT faisait une tournée pastorale en Poitou quand il apprit qu’il était pape. Au lieu de s’acheminer vers l’Italie, il donna rendez-vous aux cardinaux dans la ville de Lyon. Son couronnement eut lieu le 14 novembre 1305, dans l’église de Saint-Just ; ce jour-là, le roi de France tint la bride du palefroi pontifical ; mais, pendant la procession, un accident se produisit qui parut de mauvais augure : un mur s’écroula ; le pape fut jeté à terre ; une escarboucle se détacha de sa tiare ; Charles de Valois, frère du roi, fut blessé ; le comte de Bretagne, le cardinal Matteo Orsini et un frère de Clément V furent mortellement atteints. C’est en novembre 1305, à Lyon, que les gens du roi commencèrent à faire connaître leurs exigences au nouveau pape. Clément nomma d’un seul coup dix cardinaux, dont neuf français (ou plutôt gascons, membres ou amis de la maison de Got), ce qui réduisit l’élément italien, dans le Sacré Collège, à l’état de minorité. En matière politique et financière, sa complaisance pour la Cour de France fut, d’abord, presque sans limites. Enfin des pourparlers s’engagèrent au sujet d’une grosse et mystérieuse affaire qui hantait dès lors la pensée de Nogaret et de ses pareils. I. L’ORDRE DU TEMPLE AU COMMENCEMENT DU XIVe SIÈCLEL’ordre du Temple fut fondé après la première croisade. Le premier maître, Hugues de Payns, voulut faire de ses « pauvres chevaliers du Christ » la gendarmerie de la Palestine. Il les établit dans le voisinage du Temple de Jérusalem, d’où le nom de Templiers. Au concile de Troyes, en 1128, ils reçurent une règle brève et dure, dictée, dit-on, par saint Bernard ; tous les détails de la vie des moines soldats y sont prévus : qu’ils aient des armes solides, mais simples ; ni or ni argent aux étriers et aux éperons ; qu’ils aient, par-dessus le haubert de mailles, un manteau d’uniforme, blanc pour les chevaliers, noir ou roussâtre pour les sergents et les écuyers : Eugène III ajouta plus tard la croix rouge au manteau blanc. Qu’ils mangent bien : ils ont besoin d’être vigoureux ; les « abstinences immodérées » sont interdites. L’ordre pourvoira ses membres de toutes choses nécessaires, mais qu’ils n’aient rien à eux. En résumé, la vie des premiers templiers était confortable, active, disciplinée, très peu mystique ; c’était la vie d’hommes brutaux, pieux et simples d’esprit. Le développement de l’institut des templiers fut rapide.
Il acquit de vastes domaines en Asie et en Europe ; des « Temples »
innombrables s’élevèrent. Une hiérarchie s’organisa : les chevaliers eurent à
leur service toute une clientèle de personnes affiliées à l’ordre, sergents
et chapelains, soldats et prêtres ; l’ordre eut ses troupes et son clergé à
lui, ses assemblées délibérantes ou chapitres. Enfin le Saint-Siège épuisa sur
les templiers, comme plus tard sur les mendiants, toutes ses faveurs
spirituelles : la bulle Omne datum optimum du 15 juin 1163 créa aux
templiers une place privilégiée dans l’Église. OPÉRATIONS FINANCIÈRES DES TEMPLIERS,A partir du milieu du XIIe siècle, l’ordre eut, par conséquent, des destinées en partie double. Il demeura en Orient, à l’avant-garde des armées chrétiennes, où parfois il combattit l’islam avec plus de prudence que d’énergie. En Occident, et surtout en France, en Angleterre, en Aragon, en Portugal et sur les bords du Rhin, les templiers furent de grands propriétaires terriens. Mais cela n’eût pas suffi à Ses mettre hors de pair. Moins largement dotés que les cisterciens, et peut-être même que les hospitaliers, ils se firent les trésoriers, les banquiers de la Chrétienté. L’ordre avait toujours eu des tendances pratiques, positives ; les templiers étaient d’excellents administrateurs ; leurs couvents étaient des édifices inviolables, construits comme des forteresses. Tout cela explique la confiance que les « Temples » inspirèrent aux possesseurs de capitaux. Les rois, les princes, et même les particuliers, prirent l’habitude de considérer les trésors des templiers comme des caisses où ils pouvaient avec sécurité consigner en compte courant des fonds considérables. Les chevaliers, de leur côté, furent amenés à faire valoir l’argent des déposants au lieu de l’immobiliser dans leurs coffres. Ils ouvrirent des crédits aux personnes solvables, se chargèrent de transporter de grosses sommes d’une place commerciale à une autre, soit matériellement, par des convois escortés, soit au moyen de correspondances et de jeux d’écritures entre leurs « maisons » des divers pays. Ils firent ainsi concurrence aux juifs et aux Lombards. Le bon renom de leur comptabilité leur permit bientôt d’étendre
le champ de leur activité financière et de faire, pour le compte des rois,
des princes et des seigneurs, leurs clients, les opérations de trésorerie les
plus compliquées. Au XIIIe siècle, les « Temples » de Paris et de Londres —
domaines enclos et fortifiés, qui ont laissé leur nom à des quartiers de ces
capitales — étaient des établissements publics de crédit. C’était aux
templiers que les papes confiaient ordinairement le soin de recevoir et d’administrer
les sommes levées au profit de Saint-Pierre ou de la croisade. Les templiers
de Paris furent les banquiers de Blanche de Castille, d’Alphonse de Poitiers,
de Robert d’Artois et d’une foule d’autres personnages. Jean sans Terre et
Henri III faisaient verser au Temple de Londres le produit des contributions
publiques. L’ordre fournit des ministres, des financiers à Jaime Ier, roi d’Aragon,
et à Charles Ier, roi de Naples. Pendant plus d’un siècle, de Philippe
Auguste à Philippe le Bel, le trésor du Temple de Paris fut le centre de l’administration
des finances de la royauté française. SITUATION DE L’ORDRE A LA FIN DU XIIIe SIÈCLE.Un ordre de soldats grossiers n’avait pu se transformer en une république magnifique, riche en terres, riche en privilèges, enrichie encore par le commerce des métaux précieux et par le crédit, créancière des papes et des rois, sans se corrompre et sans exciter la malveillance. A la fin du siècle de Saint Louis, l’ordre — comme, d’ailleurs, la plupart des autres ordres — avait des ennemis et des vices. Le principal grief que l’on avait contre les chevaliers du Temple, c’était leur avidité. « Chacun de vous, leur disait le cardinal Jacques de Vitri, fait profession de ne rien posséder en particulier, mais, en commun, vous voulez tout avoir. » Des légendes s’étaient formées pour expliquer leur opulence. On disait qu’ils spéculaient sur les grains, qu’ils affamaient le peuple. Le bruit courait qu’ils promettaient, le jour de leur réception, d’augmenter les biens de la communauté par tous les moyens, même illicites. Ces contes et d’autres, plus absurdes, trouvaient aisément créance dans les bas-fonds de la population. Quant aux princes et aux rois, des modernes ont cru qu’ils voyaient, et qu’ils avaient raison de voir, un péril pour leur autorité dans l’élargissement indéfini des richesses et de la clientèle de l’ordre, dans sa « puissance exorbitante, en dehors des nations, qui arrêtait le premier besoin du temps, la formation de l’État », comme si les templiers avaient été alors en mesure de fonder, aux dépens des royaumes d’Occident, des républiques cléricales, analogues à celles des chevaliers teutoniques en Allemagne ou des jésuites au Paraguay. Mais c’est là une hypothèse gratuite. Le corps entier de l’ordre, répandu de l’Irlande à la Syrie, ne comprenait pas plus de quinze mille chevaliers ou sergents, dont un tiers en France ; il n’eut jamais, nulle part, la moindre velléité d’action politique. Il n’était dangereux pour personne ; mais son orgueil et sa fortune avaient suffi à le rendre odieux à tout le monde : à ceux qui l’enviaient d’en bas ; aux princes qu’il obligeait ; au clergé des églises locales, naturellement hostile aux confréries privilégiées par Rome ; aux papes eux-mêmes. Clément IV rappelait aux templiers, en 1265, que, sans la maternelle protection de l’Eglise de Rome, ils ne pourraient résister longtemps à « l’animosité publique qui se déchaînerait contre eux ». Tant d’orgueil seyait mal, il est vrai, à un institut dont la prise des dernières forteresses chrétiennes de Syrie avait supprimé la raison d’être. Saint-Jean-d’Acre, le dernier port de la Chrétienté latine en Asie, tomba en 1291 ; et, bien que le maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, eût été tué sur les murailles avec cinq cents de ses chevaliers, ce désastre causa, sans doute, en Europe, une recrudescence de mépris pour les ordres militaires. Depuis cent ans, l’Occident, affligé des continuels revers de la bonne cause dans les pays d’outre-mer, avait appris à les attribuer à la décadence des templiers et des hospitaliers, à leurs querelles, et même à leur traîtrise. On racontait que le maître Guillaume de Beaujeu, le héros de Saint-Jean-d’Acre, avait été l’ami des Sarrasins, et que « l’ordre avait joui longtemps de la protection du Soudan ». Les chevaliers avaient donc accumulé contre eux des préjugés opiniâtres. Or, ils n’étaient pas assez vertueux pour décourager la calomnie. L’ordre comptait dans ses rangs beaucoup de frères dont la moralité était douteuse. Plusieurs avaient des vices de moines ; on dit encore aujourd’hui en France : « Boire comme un templier », et le vieux mot allemand Tempelhaus s’entend d’une maison mal famée. Il paraît certain que, dans leurs couvents, des templiers s’amusaient parfois à des plaisanteries de corps de garde. Et il n’est pas impossible qu’il y ait eu dans le Temple quelques esprits forts, satisfaits d’étonner les bonnes gens par une affectation de cynisme. Que devait-on penser, en entendant ces défenseurs du Christ dire — s’il est vrai que ces propos aient été tenus —, comme tel chevalier bourguignon : « Cela ne tire pas à conséquence de renier Jésus ; on le renie cent fois pour une puce dans mon pays » ; ou, comme ce chevalier d’Angleterre : « Les croyances des païens valent bien les nôtres. » Tout cela était pris au pied de la lettre, envenimé, généralisé, et l’idée s’ancrait à fond que des doctrines diaboliques s’étaient introduites dans l’ordre durant son long séjour dans la patrie des hérésies et de l’islam. Une circonstance malheureuse aiguisait d’ailleurs les
soupçons. C’est que toutes les affaires du Temple étaient conduites dans le
plus strict secret. La règle, si belle, si pure, n’existait qu’à un petit
nombre d’exemplaires ; la lecture en était réservée aux seuls dignitaires ;
beaucoup de templiers n’en avaient jamais eu connaissance. Raoul de Presles,
avocat du roi, entendit un jour le recteur du Temple de Laon dire qu’il avait
un livre secret des statuts de l’ordre qu’il ne montrait à personne. « Nous avons
des articles, aurait dit un autre templier, que Dieu, le diable et nous autres,
frères de l’ordre, nous sommes seuls à connaître. » La règle elle-même
recommandait le secret des assemblées capitulaires. Or, le bon sens vulgaire
croira toujours que qui se cache a quelque chose à cacher. Les templiers
tenaient leurs chapitres, et notamment les chapitres où la réception de
nouveaux membres avait lieu, pendant la nuit, en salle close, gardée par des
sentinelles. « On les soupçonne au sujet de leurs réceptions, dit un témoin,
parce qu’ils ont l’air de ne pas vouloir qu’on sache ce qui s’y passe. »
Quand les enquêteurs demandèrent au précepteur d’Auvergne pourquoi l’on
agissait en secret, si l’on ne faisait rien de mal, il répondit : « Par
bêtise. » C’était une faute, en effet, qu’aggravaient encore ceux qui
laissaient entendre aux profanes, par bravade, que « les frères tueraient
quiconque, fût-ce le roi, assisterait à leurs chapitres ». Ceux qui avaient
ou disaient avoir risqué un coup d’œil aux fentes des salles capitulaires du
Temple revenaient avec des récits effroyables : ils avaient vu des orgies
sans nom, des scènes d’idolâtrie et de débauche, « le sol piétiné comme après
un sabbat ». En résumé, l’opinion publique était préparée à tout croire au
sujet de l’ordre du Temple. PROJETS DE RÉFORME DES ORDRES MILITAIRES.Cependant les rumeurs hostiles au Temple ne s’étaient guère propagées, au XIIIe siècle, que dans les rangs inférieurs de la société ; et, là, des contes également défavorables circulaient sur les hospitaliers, dont la règle n’était cependant point secrète, et qui n’étaient pas des financiers. Mais les hommes les plus éclairés reconnaissaient, de leur côté, la nécessité d’une réforme des ordres militaires. Saint Louis, Grégoire X, le concile œcuménique de Lyon en 1274, avaient recommandé, comme remède, la fusion du Temple et de l’Hôpital en un seul corps. Nicolas IV et Boniface VIII étudièrent cette mesure sans l’accomplir ; pendant vingt-cinq ans, elle fut à l’ordre du jour des questions qui préoccupaient l’Europe chrétienne. En 1306-1307, peu de temps avant le procès qui devait aboutir à la destruction du Temple, deux mémoires importants furent encore composés sur ce sujet. L’un est de Jacques de Molay, maître de l’ordre ; Q combat à la fois le principe et l’opportunité de la fusion, sans donner toutefois de raisons, si ce n’est que les inconvénients d’un nouvel état de choses seraient supérieurs aux avantages espérés. Le second est de Pierre Dubois, le légiste de Coutances. Dubois ne fait aucune allusion à ce qui se disait d’énorme au sujet des templiers. Il se borne à constater qu’ils sont riches et que leurs biens profitent peu à la défense des Lieux Saints. « Rien de plus simple à corriger, dit-il ; il faut les forcer à vivre en Orient des biens qu’ils y possèdent : plus de templiers ni d’hospitaliers en Europe. Pour leurs terres situées en deçà de la Méditerranée, elles seront livrées à ferme noble. On aura ainsi plus de huit cent mille livres tournois par an, qui serviront à acheter des navires, des vivres et des équipements, de façon que les plus pauvres pourront aller outremer. Les prieurés et commanderies d’Europe seront utilisés : on y installera des écoles pour les garçons et les filles adoptés par l’œuvre des croisades, où les arts mécaniques, la médecine, l’astronomie et les langues orientales seront simultanément enseignés... » Ce plan se réduit, comme on voit, à deux propositions essentielles : se débarrasser, en Europe, des personnes des templiers et confisquer leurs biens. Ces projets du pamphlétaire sont intéressants, à titre de symptômes. Au moment où l’on était disposé à tout croire, les gens du roi, à court d’argent, et qui venaient de se faire la main contre Boniface et les juifs, étaient prêts à tout oser. II. PRÉLIMINAIRES DU PROCÈS DES TEMPLIERSDans l’histoire des relations de Philippe le Bel avec les templiers, pendant la première partie de son règne, il n’y a pas de signes avant-coureurs des sentiments qui se révélèrent brusquement par le guet-apens d’octobre 1307. Au contraire, Philippe récompensa le Temple de l’appui moral qu’il lui prêta pendant le différend avec Boniface par des lettres de protection et de privilèges, en 1303 et en 1304. Le Trésor royal, retiré du Temple en 1295, y avait été replacé en 1303. On raconte, il est vrai, qu’une sédition s’étant élevée à Paris, en 1306, les mutins assiégèrent la forteresse du Temple « où le roi de France était alors avec quelques-uns de ses barons ». La légende s’est emparée de ce fait divers. Des historiens ont dit que « les templiers furent notés pour avoir contribué à cette sédition », et que le roi, « mis à même, pendant son séjour derrière les murs du Temple, de juger des richesses et de la puissance des chevaliers », médita dès lors leur perte. Mais le roi et ses gens n’avaient pas besoin d’un tel incident pour savoir à quoi s’en tenir sur les ressources du Temple. Le fait est que l’on ne sait ni pourquoi, ni comment, ni à
quelle date naquit, à la Cour de la France, le projet de détruire l’ordre du
Temple. Le chroniqueur florentin Villani raconte qu’un templier, « prieur de
Montfaucon », et Noffo Dei, marchand de Florence, hommes de mauvaise vie, en
prison de Toulouse, pensèrent recouvrer leur liberté en dénonçant à des
officiers du roi les pratiques des templiers. D’autre part, un chapelain d’Urbain
V, qui écrivait vers 1365, rapporte qu’un templier, à la veille d’être exécuté pour ses
méfaits, confessa dans la prison royale de Toulouse, à un de ses codétenus,
nommé Esquiu de Béziers, ce qui se passait dans son ordre : Esquiu se serait
empressé de dénoncer la chose au roi.[3] Un seul point est
certain, c’est que, dès 1305, des hommes de l’entourage du roi pensaient à
frapper les templiers. Ils en parlèrent à Clément V, à l’entrevue de Lyon.
Pendant l’année 1306, il y eut, à ce sujet, entre la Cour de France et la
Curie, des correspondances secrètes, qui n’ont pas laissé de traces. JACQUES DE MOLAY EN FRANCE.Au printemps de 1307, Philippe pressait le pape de lui accorder une entrevue : l’affaire des templiers était au nombre de celles qui devaient être traitées. Le grand-maître du Temple, Jacques de Molay, venait justement d’arriver d’Orient en France, avec une « retenue » de soixante chevaliers, appelé par le pape pour l’informer de ce qui se passait en Terre Sainte. Sa venue avait soulevé des commentaires sans fin : on disait que le grand-maître allait établir son quartier général en Occident, qu’il avait apporté d’immenses trésors dans ses bagages, etc. Clément V, qui savait, sans doute, ce que le roi voulait de lui, hésita misérablement. Ses lettres font pitié : il est malade, il s’excuse sur les migraines et les saignées. Enfin l’entrevue eut lieu, à Poitiers. « Vous n’avez pas oublié, écrit Clément V, le 24 août 1307, qu’à Poitiers vous nous avez plusieurs fois entretenu des templiers. Nous ne pouvions nous décider à croire ce qui nous était dit à ce propos, tant cela paraissait impossible. Cependant nous sommes forcé de douter et d’enquérir, suivant le conseil de nos frères (les cardinaux), avec un grand trouble au cœur. Attendu que le maître et plusieurs précepteurs du Temple, ayant appris la mauvaise opinion que vous avez manifestée sur eux à nous et à quelques princes, nous ont demandé de faire une enquête sur les crimes qui leur étaient, disaient-ils, faussement attribués, nous avons résolu d’instituer, en effet, une information. » Tel était l’état des choses à la fin d’août 1307 : le pape, plusieurs princes, les chefs des templiers eux-mêmes savaient qu’il se tramait quelque chose ; le formidable assemblage de calomnies que Nogaret produisit plus tard était déjà formé ; le pape se disait prêt à instituer une enquête sur les faits articulés. LE GUET-APENS D’OCTOBRE 1307.Clément V avait fatigué Philippe de ses tergiversations.
Il le priait encore, à la fin de sa lettre du 24 août, de ne pas se presser
de répondre au
sujet du projet d’enquête « parce que, sur le conseil de nos médecins, nous
nous disposons à prendre quelques potions préparatoires, puis de nous purger
en septembre, ce qui nous sera fort utile ». Or, tandis que le pape espérait,
comme un enfant, gagner du temps en gardant la chambre, le roi, installé dans
l’abbaye de Maubuisson, près Pontoise, préparait avec ses conseillers des
actes foudroyants. Un dominicain, régent de théologie en l’Université de
Paris, mande, en octobre, au roi d’Aragon, qu’il a « assisté depuis six mois
à des réunions où la question des templiers a été débattue dans le plus
rigoureux mystère ». Le Conseil royal paraît avoir été, d’abord, divisé ;
mais le parti de la violence prévalut. « L’an 1307, le 22 septembre, écrit le
rédacteur d’un des registres du Trésor des Chartes, le roi étant au monastère
de Maubuisson, les sceaux furent confiés au seigneur Guillaume de Nogaret,
chevalier ; on traita, ce jour-là, de l’arrestation des templiers. » On voit
encore, à Maubuisson, les ruines du bâtiment où se tint cette séance du 22
septembre, qui plaça le sort du Temple entre les mains inexorables de
Nogaret. Les chevaliers étaient alors sans défiance. Jacques de Molay avait
quitté le pape entièrement rassuré, persuadé qu’il avait justifié son ordre.
Le 12 octobre, à Paris, il figura aux obsèques de la comtesse de Valois, à
côté du roi. Mais, le lendemain, Molay et tous les templiers de France furent
arrêtés, à la même heure, et les biens de l’ordre furent saisis, au nom de l’Inquisition,
sous l’inculpation d’hérésie. Nogaret avait préparé ce coup de filet en
expédiant à tous les officiers royaux des ordres sous pli fermé, à ouvrir au
jour fixé par d’autres lettres patentes. L’inquisiteur de France, Guillaume
de Paris, confesseur du roi, avait envoyé de son côté des instructions à tous
les prieurs dominicains pour leur enjoindre de recevoir et d’interroger, au
plus tôt, les templiers qui leur seraient amenés. Nulle part les chevaliers
ne résistèrent ; c’est à peine si quelques-uns réussirent à s’enfuir, « en
habits de couleur ». Nogaret voulut procéder en personne à l’arrestation de
ceux qui résidaient au Temple central de Paris. L’Inquisition, créée pour supprimer l’hérésie, devenait donc en France, comme en Italie, un instrument pour détruire ceux qui avaient encouru la disgrâce ou la colère de l’autorité temporelle. Le 8 décembre 1301, Philippe le Bel, averti des abus commis par les inquisiteurs en Languedoc, avait écrit à l’évêque de Toulouse : « Sous le couvert d’une répression licite, ils ont osé des choses complètement illicites ; sous l’apparence de la piété, des choses impies ; sous prétexte de défendre la foi catholique, ils ont commis des forfaits. » Maintenant, à l’instigation de Nogaret, il faisait appel, lui-même, à la procédure infaillible du Saint-Office. Il n’a pas tenu au garde des sceaux de 1307 que l’Inquisition politique, à la mode des pays du Midi, des princes guelfes d’Italie et des « Rois Catholiques » d’Espagne, ne s’acclimatât chez nous. III. LE PROCÈS DES TEMPLIERS. PREMIÈRE PHASE, JUSQU’A L’ÉTÉ DE 1308LE MANIFESTE ROYAL CONTRE LES TEMPLIERS.Quel monument que la proclamation dont lecture fut donnée
au peuple pour justifier l’arrestation en masse du 13 octobre ! Il est de
Nogaret, ce fils d’Albigeois, toujours prêt à diffamer ses adversaires de l’accusation
d’hérésie. Cela débute par un préambule ronflant, surchargé, prétentieux : «
Une chose amère, une chose déplorable, une chose terrible à penser, terrible
à entendre, détestable, exécrable, abominable, inhumaine, avait déjà retenti
à nos oreilles, non sans nous faire frémir d’une violente horreur. Une
douleur immense se développe en nous, en présence de crimes si nombreux et si
atroces, qui aboutissent à l’offense de la majesté divine, au détriment de la
foi, au scandale de tous. La raison souffre de voir des hommes s’exiler
au-delà des limites de la nature ; elle est troublée de voir une race
oublieuse de sa condition, ignorante de sa dignité, ne pas comprendre où est
l’honneur. » L’auteur du manifeste continue longtemps sur ce ton, avec des
élégances qui font frémir : « Elle a abandonné la fontaine de vie ; elle a
changé sa gloire en l’adoration du Veau ; elle a sacrifié aux idoles, cette
race immonde et perfide dont les actes détestables et même les paroles
souillent la terre de leur ordure, suppriment les bienfaits de la rosée,
infectent la pureté des airs. » Il précise enfin, et, après tant de
précautions oratoires, résume les accusations fangeuses ramassées par le
gouvernement royal contre les frères du Temple qui, « cachant le loup sous l’apparence
de l’agneau, supplicient Jésus-Christ une seconde fois ». Il les accuse,
entre autres choses, de s’obliger, par le vœu de leur profession, à renier le
Christ et à se livrer entre eux à d’ignobles désordres. Sans doute, il était
audacieux de représenter ces crimes comme des points du règlement intérieur d’un
ordre religieux ; mais Nogaret avait une confiance illimitée dans la
puissance du mensonge. Il s’empresse, du reste, de protester que le roi a
commencé par attribuer les dénonciations « à l’envie, à la haine, à la
cupidité », plutôt qu’à « la ferveur de la foi », au « zèle de la justice »,
ou à « un sentiment de charité », mais il a bien fallu se rendre « aux motifs
de croire légitimes », aux conjectures probables, surtout aux « constatations
». Le pape a été consulté,
le roi a délibéré avec ses prélats et avec ses barons ; et c’est pourquoi il
cède maintenant « aux supplications de son bien-aimé en Notre-Seigneur, frère
Guillaume de Paris, inquisiteur de l’hérésie », qui a spontanément invoqué le
secours du bras séculier. L’assentiment (supposé) du pape et l’initiative (suggérée) de l’inquisiteur étaient destinés à légitimer, au point de vue du droit, l’arrestation, la confiscation et toutes les mesures à venir. De la sorte, l’opération arbitraire se transformait en œuvre pie. « La colère de Dieu, conclut Nogaret au nom du roi, s’abattra sur ces fils d’incrédulité ; car nous avons été établis par Dieu sur le poste élevé de l’éminence royale pour la défense de la foi et de la liberté de l’Église. » L’emphatique discours fut lu publiquement en province. A Paris, le dimanche 15 octobre, il y eut un « meeting » populaire dans les jardins du palais royal ; ce fut une nouvelle édition de la réunion publique de 1303 contre Boniface. Des dominicains, des gens du roi, y brodèrent sur le thème de la circulaire officielle. La circulaire était pour le public, mais elle était accompagnée d’une instruction confidentielle du roi à ses agents, en style bref et tranchant. Les commissaires du souverain sur le fait des templiers administreront les biens de l’ordre, dont ils dresseront inventaire ; ils « mettront les personnes sous bonne et sûre garde », ils les interrogeront, et ce n’est qu’après ce premier interrogatoire qu’ils appelleront les commissaires de l’inquisiteur pour examiner la vérité, « par torture, s’il en est besoin ». Ils feront écrire les confessions de ceux qui auront avoué. Pour exhorter les inculpés à confesser, on leur proposera l’alternative du pardon ou de la mort. On les interrogera par paroles générales jusqu’à ce que l’on tire d’eux la vérité — « la vérité, c’est-à-dire les aveux » — et « qu’ils y persévèrent ». Ces instructions furent suivies à la lettre. En un mois, frère Guillaume de Paris et ses auxiliaires expédièrent, au Temple, cent trente-huit prisonniers. Les procès-verbaux de leurs assises et ceux des enquêtes faites par les inquisiteurs en Champagne, en Normandie, en Quercy, en Bigorre et en Languedoc, ont été conservés. LES TEMPLIERS DEVANT LES INQUISITEURS.Les templiers de Paris comparurent les uns après les
autres dans une salle basse de leur propre forteresse, devant les moines,
assistés de conseillers du roi (Hugues de la Celle, Simon de Montigny), de
greffiers, de bourreaux, et entourés d’une foule de spectateurs, multi astantes.
Les comptes rendus notariés n’enregistrent que les dépositions ; ils sont
muets sur les tortures ; mais ces tortures préalables furent atroces, les
victimes l’ont déclaré plus tard. Jacques de Saci vit mourir vingt-cinq
frères des suites de la question. Ceux qui ne furent pas mis à la gêne furent reclus au pain
et à l’eau pendant un mois avant leur comparution. La meilleure preuve de l’intensité
des supplices, c’est, du reste, l’unanimité des aveux, que presque tous les
accusés rétractèrent dès qu’ils se crurent devant des juges impartiaux. Sur
cent trente-huit frères qui passèrent à Paris par le fer et le feu de l’Inquisition,
il n’y eut que quelques cœurs inébranlables. Tel fut Jean, dit de Paris, âgé
de vingt-quatre ans ; il n’avoua rien, nihil dixit. Tel fut le frère Lambert
de Toisi, âgé de quarante ans : il dit qu’on lui avait fait promettre, le
jour de sa réception, d’observer beaucoup de coutumes de l’ordre, « saintes
et dévotes », et qu’« il ne savait rien du reste ». Parmi ceux qui avouèrent, il y avait des hommes très
braves, par exemple le maître Jacques de Molay, Hugues de Pairaud, visiteur
de France, et Geoffroi de Charnai, précepteur de Normandie. Le précepteur de
Normandie reconnut qu’il avait renié le Christ et qu’un précepteur d’Auvergne
lui avait recommandé la sodomie ; interrogé s’il avait craché sur la croix :
« Je ne sais plus, nous nous dépêchions. » Hugues de Pairaud s’abandonna tout
à fait, avoua que le reniement, le crachement sur la croix, faisaient partie
des statuts, et qu’il avait lui-même conseillé les mœurs infâmes ; il déclara
toutefois que tous les frères n’avaient pas été reçus suivant ces rites
détestables, mais, après une suspension d’audience, il revint sur cette
déclaration : « J’ai mal compris, j’ai mal entendu ; je crois bien que tous
les frères sont reçus comme je l’ai été. » Quant à Jacques de Molay, il avoua
le reniement et les crachats. Voilà de quelle façon se comportèrent les trois
premiers dignitaires de l’ordre. Comment ne pas excuser les subalternes qui,
pour plaire à leurs tourmenteurs, s’ingénièrent à inventer des perfidies : ce
Guillaume de Gi, qui raconta ses rapports immondes avec le grand-maître ; ce
Renier de Larchant, qui suggéra aux inquisiteurs la pensée de rechercher une
allusion obscène dans les premiers mots du Psaume des Degrés de David, Ecce quam
bonum et quant jucundum habitare fratres in unum, que les
templiers chantaient le jour de leur profession ? Comme les inquisiteurs de Paris, ceux de province firent
leur devoir en conscience. Ils récoltèrent aussi des aveux. « A force de
géhennes », ils ouvrirent les mâchoires les plus rebelles. « Nos frères,
écrivaient en 1310 les derniers défenseurs de l’ordre, ont dit ce que
voulaient les bourreaux, dixerunt voluntatem torquencium. » Si Nogaret et ses collaborateurs, les dominicains de
Guillaume de Paris, n’avaient pas eu à compter avec Clément V, jamais les
cachots n’auraient entrebâillé leurs portes ; des templiers, comme de tant d’autres
gens traduits devant les tribunaux d’Inquisition, la postérité ne connaîtrait
que le sort final. Mais Clément V fut fort offensé en apprenant le coup de main du 13 octobre,
accompli sous son nom (ou peu s’en faut) et, en réalité, sans sa permission.
Si bas que ce pape valétudinaire fût tombé, il prit la liberté d’écrire au
roi (27 octobre) pour se plaindre d’un procédé précipité, outrageant. Il
fallut négocier un compromis qui satisfît à la fois les susceptibilités du
Saint-Siège et les desseins du gouvernement royal. Dès le 22 novembre, tout
parut arrangé : dans sa lettre Pastoralis praeeminentiae, de ce
jour, Clément vante le zèle de Philippe, rapporte les aveux des chefs de l’ordre,
se déclare ébranlé, sinon convaincu, et enjoint à tous les princes chrétiens
de saisir les templiers de leurs États. Cependant, au commencement de 1308,
tout est changé : le pape se dit incrédule, blâme la conduite des
inquisiteurs et des évêques de France, suspend leur procédure, évoque à lui
toute l’affaire. L’ordre était sauvé si le chef de l’Église avait persisté
dans cette attitude énergique : déjà, les templiers reprenaient courage ; le
visiteur Hugues de Pairaud, que les deux cardinaux désignés par la Curie pour
étudier l’affaire avaient « invité à dîner », rétractait ses aveux. Nogaret
vit le danger. Il comprit que, pour venir à bout du Temple, il était
indispensable de réduire Clément, d’abord. Il greffa aussitôt une campagne
contre Clément sur sa campagne contre le Temple. CAMPAGNE CONTRE CLÉMENT.La campagne qui fut alors dirigée contre Clément est une
des plus furibondes qu’on ait vues. « Que le pape prenne garde, écrivait
Dubois : il est simoniaque ; il donne, par affection du sang, les bénéfices
de la sainte Église de Dieu à ses proches parents ; il est pire que Boniface,
qui n’a pas commis autant de passe-droits. Il faut que cela lui suffise ; qu’il
ne vende pas la justice. On pourrait croire que c’est à prix d’or qu’il
protège les templiers, coupables et confès, contre le zèle catholique du roi
de France. Moïse, l’ami de Dieu, nous a enseigné la conduite qu’il faut tenir
vis-à-vis des templiers, quand il a dit : « Que chacun prenne son glaive et
tue son plus proche voisin. » Moïse a fait mettre à mort, pour l’exemple d’Israël,
vingt-deux mille personnes sans avoir demandé la permission d’Aaron, que Dieu
avait établi grand prêtre... » Le peuple était échauffé par des déclamations
de ce genre, quand il fut appelé à désigner des députés à l’assemblée
convoquée à Tours, pour le mois de mai 1308. La lettre de convocation est
encore une œuvre de Nogaret. Il y est dit que le roi est l’ennemi né des
hérésies, le défenseur de « cet incomparable trésor, la très précieuse perle
de la foi catholique ». Les abominables erreurs du Temple y sont énumérées de
nouveau : « Le ciel et la terre sont agités par le souffle d’un si grand
crime. » C’est au peuple de France qu’il appartient d’en purger le monde. «
Contre une peste si scélérate doivent se lever les lois et les armes, les
animaux même et
les quatre éléments... Nous voulons vous faire participer à cette œuvre, très
fidèles chrétiens, et nous vous ordonnons d’envoyer sans délai à Tours deux
hommes d’une foi robuste, qui, au nom de vos communautés, nous assistent dans
les mesures qu’il sera opportun de prendre. » SECONDE ENTREVUE DE POITIERS (1308).Clément, menacé des armes empoisonnées qui avaient eu raison de Boniface, eut peur ; il en revint aux tentatives de conciliation, non sans multiplier encore les échappatoires et les délais, seules ressources de sa faiblesse. On convint enfin, dans une seconde entrevue, qui eut lieu à Poitiers dans l’été de 1308, que les templiers, jusque-là placés sous la main du roi, seraient remis au pape, lequel en restituerait aussitôt la garde, au nom de l’Église romaine, aux officiers royaux ; les biens seraient administrés par des commissaires appointés conjointement par le pape, les évêques diocésains et le roi. Quant aux crimes d’hérésie, Clément en distingua deux sortes : crime de l’ordre en tant qu’ordre ; crimes particuliers à chacun des membres de l’ordre. Le sort de l’ordre ne pouvait être réglé que par un concile général : un concile fut convoqué, dans la ville de Vienne en Dauphiné, pour le mois d’octobre 1310, et plusieurs commissaires furent désignés — entre autres l’archevêque de Narbonne, les évêques de Bayeux et de Mende — pour recueillir des documents propres à éclairer cette assemblée. Le procès contre les personnes des templiers, distinct du procès contre l’ordre du Temple, devait être repris dans l’intervalle ; le pape en rendit la connaissance aux évêques diocésains et aux inquisiteurs. Seuls, le grand-maître et les hauts dignitaires furent personnellement réservés au jugement direct du Saint-Siège. La conclusion de ce pacte, qui a scellé le sort du Temple et des templiers, fut suivie d’une odieuse comédie. On amena devant le pape et le Sacré Collège soixante-douze chevaliers extraits des prisons de Paris, assouplis par la torture, triés parmi les lâches, prêts à persister dans leurs confessions. Il semble que les gens du roi, après avoir forcé Clément à se faire leur complice, aient eu, par-dessus le marché, la prétention de le convaincre. IV. LE PROCÈS DES TEMPLIERS. SECONDE PHASE, JUSQU’AU CONCILE DE VIENNELes deux procès se poursuivirent parallèlement à partir de
l’automne de 1308, dans toute la Chrétienté. Jusqu’au fond de l’Achaïe, des
Baléares et de la Sardaigne, des cours épiscopales s’organisèrent pour examiner les personnes
des templiers. L’épiscopat européen fut occupé à cette besogne jusqu’au
printemps de 1310. En même temps, le procès contre l’ordre s’ouvrit ; le 9
août 1309, la commission pontificale, assemblée dans l’abbaye de
Sainte-Geneviève de Paris, fit savoir qu’elle était constituée et prête à
recevoir les témoignages de tous. Mais cette compagnie d’hommes modérés,
relativement indépendants, couverte par le prestige du Saint-Siège, hostile à
l’emploi de la question, était vue avec méfiance par les conseillers du roi.
Il semble qu’ils ne l’aient laissée agir que quand ils se furent assurés d’avoir
un contrôle sur elle. Les audiences ne furent réellement inaugurées que le 26
novembre. C’est par les procès-verbaux de ces audiences que l’on voit le
mieux, dans sa naïveté pitoyable, l’état d’âme des « pauvres chevaliers du
Temple », à peu près libres pour la première fois, depuis leur arrestation,
de parler devant un auditoire en apparence bienveillant, sans crainte
immédiate des ceps et du chevalet, de l’entonnoir et du réchaud. COMPARUTION DE JACQUES DE MOLAY.La première séance, du 26 novembre, fut marquée par une
scène caractéristique. Ce jour-là, le grand-maître, Jacques de Molay, fut
amené, à sa requête, devant les commissaires installés dans une chambre de l’évêché
de Paris, derrière Vaula episcopalis. On lui demanda s’il
voulait « défendre l’ordre », plaider coupable ou non coupable. « Je ne suis
pas, répondit-il, aussi sage qu’il faudrait ; cependant je suis prêt à
défendre l’ordre de toutes mes forces, et je serais bien vil si je ne le
faisais pas, après en avoir reçu tant de biens et d’honneurs. Mais il m’est
difficile de défendre convenablement, dans la position où je suis, prisonnier
du pape et du roi, n’ayant pas même quatre deniers à dépenser à mon gré ! Je
demande donc aide et conseil, car je veux qu’on sache la vérité, non
seulement par les templiers eux-mêmes, mais par les rois, princes, prélats et
barons, bien que ceux de l’ordre aient été plus d’une fois trop raides, je le
reconnais, envers quelques prélats, pour la défense de leurs droits.[4] Je m’en tiens au
témoignage de ces prud’hommes. » Les commissaires, un peu surpris,
manifestèrent aussitôt l’esprit qui les animait, une partialité cauteleuse :
« Prenez garde, réfléchissez, songez aux aveux que vous avez déjà passés !
Nous sommes prêts à vous entendre si vous persistez à défendre, et à vous
accorder un délai si vous voulez délibérer davantage. Nous vous rappelons
seulement qu’en matière d’hérésie et de foi, on procède simplement, de piano,
et sans noise d’avocats. » Ils ne voulaient évidemment pas que Molay prit
position pour la défense. Le voyant ébranlé par leurs exhortations à la
prudence, ils lui firent lire et traduire en langue vulgaire cinq ou six pièces officielles,
entre autres la liste des aveux que les procureurs de la Cour romaine avaient
reçus ou affirmaient avoir reçus de sa bouche à l’époque de la seconde
entrevue de Poitiers. Durant cette lecture, Molay donna les marques d’une
vive stupéfaction et se signa deux fois en disant « que, si les seigneurs
commissaires étaient gens à entendre certaines paroles, il les leur dirait à
l’oreille ». « Nous ne sommes pas ici pour recevoir le gage de bataille. » «
Ce n’est pas ce que je veux dire, mais plût à Dieu qu’on observât ici l’usage
des Sarrasins, qui coupent la tête des pervers en la fendant par le milieu. »
« Souvenez-vous, repartit un commissaire sans répondre à cette apostrophe,
que l’Église romaine livre les obstinés au bras séculier. » Molay, à bout d’arguments,
regardait au fond de la salle. Il avisa un chevalier du roi de France,
Guillaume de Plaisians, le second de Nogaret, qui était là, sans l’aveu des
commissaires, pour surveiller leur procédure et la proie de son maître. Molay
demanda à lui parler en particulier : « Vous savez comme je vous aime ! dit
Guillaume. Nous sommes tous les deux chevaliers. Je ne veux pas que vous vous
perdiez sans raison. » Voilà le templier irrésolu, enveloppé par ces
protestations mensongères : « Je vois bien que, si je ne délibère pas, je
pourrais courir des dangers. » Là-dessus, il requit la commission de lui accorder
un délai de douze jours. Les commissaires, enchantés, auraient fixé
volontiers un terme encore plus éloigné, persuadés que plus les gens du roi
auraient de temps pour travailler le prisonnier, plus sûrement ils le
sauraient réduire. Quelques jours après, le grand-maître reparut, à peu près
maté. Il débuta en remerciant la commission du délai qu’elle lui avait
imparti. On lui réitéra alors la question : « Voulez-vous défendre l’ordre ?
» — « Je suis, dit-il, un pauvre chevalier illettré. Dans une des lettres
apostoliques qui m’ont été lues l’autre jour, j’ai entendu que le seigneur
pape m’a réservé, moi et quelques dignitaires de l’ordre, à sa justice. Dans
l’état où je suis, je préfère m’abstenir. J’irai en présence du pape quand il
plaira au pape. Mais je vous prie de lui signifier que, étant mortel et sûr
seulement du moment présent, je souhaiterais qu’il lui plût le plus tôt possible
de m’entendre. Alors seulement je dirai ce que je pourrai pour l’honneur du
Christ et de l’Église. » Tout semblait terminé par cette réponse ; mais, au
moment de se retirer, le cœur du grand-maître se souleva ; il s’arrêta, et se
tournant vers le tribunal : « Pour libérer ma conscience, je veux vous dire
pourtant trois choses au sujet de l’ordre : la première, c’est que je ne
connais pas de religion [d’ordre] dont les chapelles et les églises aient de
plus beaux ornements que celles du Temple ; il n’y a que dans les cathédrales
que le service divin soit
célébré plus richement. Secondement, je ne connais pas de religion où
l’on fasse plus largement l’aumône, car, dans toutes les maisons de l’ordre,
on donne trois fois par semaine à quiconque demande. En troisième lieu, il n’y
a nulle sorte de gens qui aient tant versé de sang pour la foi chrétienne que
les templiers et qui soient plus redoutés des infidèles. A Mansourah, le
comte d’Artois mit les templiers à l’avant-garde, et s’il les avait crus... »
Ici une voix interrompit : « Tout cela ne sert en rien au salut, sans la foi.
» « C’est vrai, dit Molay, mais je crois en Dieu, au Dieu en trois personnes,
à toute la foi catholique, unus Deus, una fides, una ecclesia.
Je crois que, quand l’âme sera séparée du corps, on distinguera le bon du
méchant et que nous saurons tous la vérité sur ce qui se passe ici. » Sur ces
entrefaites, Guillaume de Nogaret, chancelier du roi, qui était dans la
salle, prit sans façon la parole : « Dans les chroniques qui sont à Saint-Denis,
dit-il, il est écrit qu’au temps de Saladin, sultan de Babylone, un maître du
Temple fit hommage audit Saladin, et que le même sultan, apprenant un grand
échec de ceux du Temple, dit publiquement que cela leur était advenu en
châtiment du vice infâme et de leur prévarication contre la loi. » Étrange
document, qui fait voir l’état d’esprit de celui qui s’en est servi ! Molay
resta stupéfait : « Je n’ai jamais entendu dire cela, répondit-il. Je sais
seulement que pendant que j’étais outremer, à l’époque de la maîtrise de
frère Guillaume de Beaujeu, moi et plusieurs templiers qui étions jeunes et
avides de voir des faits d’armes, nous murmurions contre le maître, parce qu’il
avait conclu une trêve avec le sultan. Mais, nous vîmes bien ensuite qu’il n’aurait
pas pu faire autrement. » Comme la séance se prolongeait en pure perte, Molay
y mit fin en priant humblement les commissaires de lui permettre d’entendre
la messe et d’avoir ses chapelains. Cela lui fut octroyé. On loua sa
dévotion. Plusieurs dépositions sont aussi intéressantes que celle-là. Le « procès » fait défiler sous nos yeux des hommes de toute sorte : des simples, des prudents, des beaux parleurs, des lâches, des sincères, des exaltés. On voit les malheureux trembler, mentir, combiner de pauvres petites habiletés, ou bien s’indigner, fondre en larmes. PONSARD DE GISI.Les plus naïfs, sans apercevoir, derrière les
commissaires, le Nogaret ou le Plaisians qui les guettaient, crurent venu le
jour de la sincérité. Tel, frère Ponsard de Gisi. Dans un élan de confiance,
il déclara que ce que lui-même et les autres frères avaient avoué devant les
inquisiteurs était faux et leur avait été arraché. « Avez-vous été torturé ?
» « Oui, trois mois avant ma confession, on m’a lié les mains derrière le
dos, si serré que le sang jaillissait des ongles, et on m’a mis dans une
fosse, attaché avec une longe. Si on me fait subir encore de pareilles
tortures, je
nierai tout ce que je dis maintenant, je dirai tout ce qu’on voudra. Je suis
prêt à subir des supplices pourvu qu’ils soient courts ; qu’on me coupe la
tête, qu’on me fasse bouillir pour l’honneur de l’ordre, mais je ne peux pas
supporter des supplices à petit feu comme ceux qui m’ont été infligés depuis
plus de deux ans en prison. » Ici, comme dans les séances où Jacques de Molay
avait comparu, l’homme du roi interrompit : il produisit une dénonciation
contre le Temple, librement écrite jadis par ce même Ponsard de Gisi : « Je l’avoue,
dit le coupable, j’ai écrit cette cédule ; mais c’était dans un jour de trouble
contre l’ordre, un jour que le trésorier du Temple m’avait injurié. » Il s’écria
en s’en allant : « Je crains bien que l’on ne m’aggrave ma prison, parce que
je veux défendre. » LES « DÉFENSEURS » DE L’ORDRE.Des centaines de templiers prirent la même attitude que
celui-là, maïs d’une manière encore plus virile et, la plupart du temps, sans
phrases : « Je veux défendre l’ordre ; je n’y sais rien de mal. » Le 28 mars
1310, cinq cent quarante-six templiers internés à Paris étaient défenseurs de
l’ordre. La commission, pour obtenir d’eux une constitution de procureurs,
envoya ses notaires, à partir du 31 mars, dans chacune des maisons où ils
étaient enfermés : chez Guillaume de La Huche, rue du Marché-Palu, au Temple,
au palais du comte de Savoie, à l’abbaye de Sainte-Geneviève, à l’abbaye de
Saint Magloire, etc. Tous les prisonniers, au rapport des notaires,
affirmèrent de nouveau l’innocence de leur ordre. Plusieurs remirent de
longues suppliques, personnelles, collectives. Frère Élie Aimeri confia aux
scribes de la commission, en les priant de corriger ses barbarismes, une
homélie qui commence ainsi : « O Marie, étoile de la mer, conduis-nous au
port du salut... », morceaux de bréviaire et de litanies qui, aux heures d’angoisse,
étaient remontés à la surface de la mémoire du pauvre homme. La cédule
présentée par Jean de Monréal aux commissaires, le 3 avril, au nom d’un grand
nombre de ses frères, est un plaidoyer où les accusés manifestent leur
désarroi par la plus bizarre accumulation d’arguments excellents et puérils :
« Dans les églises du Temple, le plus grand autel était celui de
Notre-Dame... Les templiers faisaient de très belles processions aux grandes
fêtes... Notre sire le roi de France et d’autres rois ont eu des templiers
comme trésoriers et comme aumôniers ; les auraient-ils choisis si le Temple
avait été coupable ?... Les épines de la couronne du Sauveur, qui fleurissent
le Vendredi Saint entre les mains des chapelains du Temple, ne fleuriraient
pas si les frères étaient coupables... Il est mort plus de vingt mille frères
pour la foi de Dieu outremer... Nous sommes prêts à combattre tous les
adversaires du Temple, excepté les gens de N. S. le roi et de N. S. le
pape... » Les procureurs élus, d’un commun accord, par les cinq cent quarante-six, résumèrent,
le 7 avril, devant la commission, toutes ces cédules partielles dans leur
grande adresse inaugurale, qui est un beau morceau d’éloquence, simple, vigoureux
et logique. LE GUET-APENS DE MAI 1310.Les affaires des templiers semblaient donc en bonne voie, vers le printemps de 1310. L’ordre avait trouvé à Paris une légion de défenseurs, représentés par des procureurs réguliers. Pour ceux qui voulaient étouffer la vérité, il n’était que temps d’agir. Ils agirent, en effet : et ils n’avaient encore imaginé rien d’aussi scandaleux que l’expédient dont ils usèrent. Ils profitèrent de ce que les procès contre l’ordre et contre les personnes se poursuivaient parallèlement, et de ce que les juges du procès contre les personnes étaient, à Paris, à leur dévotion, pour effrayer mortellement les témoins du procès contre l’ordre. Le jugement des personnes, dans l’évêché de Paris, appartenait, en vertu des lettres du pape, au concile provincial, présidé par l’archevêque de Sens, métropolitain de Paris. Or, l’archevêque de Sens était le frère de l’un des principaux ministres du roi, Enguerrand de Marigny. Il assembla à Paris le concile de sa province. Ce tribunal d’inquisition avait le droit de condamner sans entendre les accusés et de faire exécuter ses arrêts du jour au lendemain. Les procureurs des prisonniers comprirent la terrible menace impliquée dans la brusque convocation de cette assemblée. Ils la signalèrent, dès le 10 mai, à la commission pontificale. Mais le président de ladite commission, l’archevêque de Narbonne, se retira dès qu’ils eurent dénoncé l’attentat projeté, disant « qu’il avait à entendre ou à célébrer la messe ». Les autres commissaires ne surent que répondre : « Nous vous plaignons de tout notre cœur ; mais l’archevêque de Sens agit régulièrement contre les personnes ; nous ne pouvons rien. » Le 12, ils essayèrent timidement d’arrêter le bras suspendu du concile provincial par un message très raisonnable, très modéré ; mais, comme ils l’avaient prévu, leur intervention fut inutile. Ce jour-là même, cinquante-quatre templiers qui, après avoir fait des aveux, s’étaient offerts à défendre l’ordre, furent condamnés comme relaps par l’archevêque de Sens et ses suffragants, empilés dans des charrettes, et brûlés publiquement entre le bois de Vincennes et le Moulin-à-Vent de Paris, hors de la porte Saint-Antoine. « Ils souffrirent, dit un chroniqueur contemporain, avec une constance qui mit leurs âmes en grand péril de damnation, car elle induisit le peuple ignorant à les considérer comme innocents. » C’en était fait ; il n’était plus possible d’entretenir la
moindre illusion sur la liberté de la défense. Deux des procureurs élus, sur
quatre, avaient disparu. La commission n’en reprit pas moins, le 13, l’ironique comédie de ses séances
dans la chapelle Saint Éloi. Mais quelque chose était changé depuis la
veille. L’apparition du premier témoin qu’on introduisit fut émouvante. C’était
un chevalier du diocèse de Langres, Aimeri de Villiers le Duc, âgé d’une
cinquantaine d’années, templier depuis vingt-huit ans. Comme on lui lisait
les actes d’accusation, il interrompit, « pâle et comme terrifié »,
protestant que, s’il mentait, il voulait aller droit en enfer par mort
subite, se frappant la poitrine de ses poings, levant les bras vers l’autel,
les genoux en terre. « J’ai avoué, dit-il, quelques articles à cause de
tortures que m’ont infligées Guillaume de Marcilli et Hugues de La Celle,
chevaliers du roi, mais tout est faux. Hier, j’ai vu cinquante-quatre de mes
frères, dans les fourgons, en route pour le bûcher, parce qu’ils n’ont pas
voulu avouer nos prétendues erreurs ; j’ai pensé que je ne pourrais jamais
résister à la terreur du feu. J’avouerais tout, je le sens ; j’avouerais que
j’ai tué Dieu, si on voulait. » Et il supplia les commissaires et les notaires
de ne pas répéter ce qu’il venait de dire à ses gardiens, de peur qu’il ne
fût brûlé, lui aussi. Cette déposition tragique fit assez d’impression sur
les gens du pape pour qu’ils se décidassent à surseoir provisoirement. Ils ne
reprirent leurs opérations, désormais fictives, qu’après six mois d’interruption,
et seulement pour la forme. Les témoins entendus à partir de décembre 1310’
furent tous des templiers réconciliés par les synodes provinciaux, c’est-à-dire
soumis, qui comparurent « sans manteau et barbe rase ». Quand l’enquête fut
enfin close, on l’expédia en deux exemplaires pour servir à l’édification des
pères du prochain concile de Vienne. Elle remplit deux cent dix-neuf
feuillets d’une écriture compacte. PRÉLIMINAIRES DU CONCILE DE VIENNE.Le concile de Vienne, prorogé à plusieurs reprises, avait été fixé en dernier lieu au mois d’octobre 1311. Clément V employa les mois qui précédèrent ce terme à réunir, contre ceux qu’il avait condamnés d’avance, un immense arsenal de preuves. Il savait qu’on disait couramment en Occident : « Les templiers ont nié partout, excepté ceux qui ont été sous la poigne du roi de France ». Il fallait couper court à ces rumeurs ; c’est pour cela qu’il rédigea alors des bulles pour exhorter les rois d’Angleterre et d’Aragon à employer la torture, malgré les coutumes locales de leurs royaumes, qui interdisaient cette procédure. Des ordres de torture furent expédiés aussi, au dernier moment, en Chypre et en Portugal. Il y eut encore, à cette occasion, des effusions de sang martyr. Nous avons la relation des supplices infligés en août et septembre 1311, par l’évêque de Nîmes et l’archevêque de Pise ; ces prélats n’envoyèrent, du reste, au pape, que les dépositions agréables ; ils passèrent sous silence les témoignages des obstinés. V. L’ORDRE AU CONCILE DE VIENNEGuillaume le Maire, évêque d’Angers, convoqué au concile œcuménique de Vienne, comme tous les prélats de la Chrétienté, rédigea son « avis » par écrit, en ces termes : « Il y a, dit l’évêque, deux opinions au sujet des templiers ; les uns veulent détruire l’ordre sans tarder, à cause du scandale qu’il a suscité dans la Chrétienté et à cause des deux mille témoins qui ont attesté ses erreurs ; les autres disent qu’il faut permettre à l’ordre de présenter sa défense, parce qu’il est mauvais de couper un membre si noble de l’Eglise sans discussion préalable. Eh bien, je crois, pour ma part, que notre seigneur le pape, usant de sa pleine puissance, doit supprimer ex officio un ordre qui, autant qu’il a pu, a mis le nom chrétien en mauvaise odeur auprès des incrédules et qui a fait chanceler des fidèles dans la stabilité de leur foi. » Guillaume Le Maire avait son siège fait. Mais supposé qu’un évêque, moins zélé royaliste, eût voulu s’éclairer sincèrement au moment de l’ouverture du procès, voici comment la question de la culpabilité du Temple se serait posée à sa conscience. L’ordre du Temple était accusé d’être tout entier corrompu
par des superstitions impies. D’après les formulaires d’enquête pontificaux,
qui contiennent jusqu’à cent vingt-sept rubriques, il était notamment inculpé
d’imposer à ses néophytes, lors de leur réception, des insultes variées au
crucifix, des baisers obscènes, et d’autoriser la sodomie. Les prêtres, en
célébrant la messe, auraient omis volontairement de consacrer les hosties ;
ils n’auraient pas cru à l’efficacité des sacrements. Enfin les templiers
auraient été adonnés à l’adoration d’une idole (en forme de tête humaine) ou
d’un chat ; ils auraient porté nuit et jour, sur leurs chemises, des cordelettes
enchantées par le contact de cette idole. Telles étaient les accusations
majeures. Il y en avait d’autres : le grand-maître et les autres officiers de
l’ordre, quoiqu’ils ne fussent pas prêtres, se seraient cru le droit d’absoudre
les frères de leurs péchés ;[5] les biens étaient
mal acquis, les aumônes mal faites. Le réquisitoire représentait tous ces
crimes comme commandés par une Règle secrète. TOUTE LA PREUVE REPOSE SUR DES TÉMOIGNAGES ORAUX.Il va de soi que les officiers de Philippe le Bel pratiquèrent dans tous les « Temples » de France de sévères perquisitions, en vue d’y découvrir des objets compromettants, à savoir : 1° des exemplaires de la Règle secrète ; 2° des idoles ; 3° des livres hérétiques. Ils ne trouvèrent (nous avons des inventaires) que quelques ouvrages de piété et des livres de comptes ; çà et là, des exemplaires de la règle irréprochable de saint Bernard. A Paris, Guillaume Pidoye, administrateur des biens séquestrés, présenta aux commissaires de l’Inquisition « une tête de femme en argent doré, qui renfermait des fragments de crâne enveloppés dans un linge ». C’était un de ces reliquaires comme il y en a dans la plupart des trésors ecclésiastiques du XIIIe siècle ; il était exposé, sans doute, les jours de fête, à la vénération des templiers, et il n’est pas impossible que des chevaliers aient déposé dessus, pour les sanctifier, les cordelettes ou scapulaires dont la règle primitive leur imposait de se ceindre, en signe de chasteté ; mais il n’y a pas là d’idole ni d’idolâtrie, puisque les fidèles qui font toucher, encore aujourd’hui, des chapelets aux reliques ne passent point pour des idolâtres. L’enquête ne produisit donc contre l’ordre aucun document
matériel, aucun « témoin muet[6] ». Toute la
preuve repose sur des témoignages oraux. Mais les dépositions à charge, si nombreuses qu’elles soient, perdent toute valeur si l’on considère qu’elles ont été arrachées par la procédure inquisitoriale. Le mot d’Aimeri de Villiers le Duc est décisif : « J’avouerais que j’ai tué Dieu. » Il ne reste donc qu’à examiner les faits allégués, au point de vue du bon sens. Si les templiers avaient réellement pratiqué les rites et
les superstitions qui leur sont attribués, Ils auraient été des sectaires ;
et alors il se serait trouvé parmi eux, comme dans toutes les communautés
hétérodoxes, des enthousiastes pour affirmer leur foi en demandant à
participer aux joies mystiques de la persécution. Or, pas un templier, au
cours du procès, ne s’est obstiné dans les erreurs de sa prétendue secte.
Tous ceux qui ont avoué le reniement et l’idolâtrie se sont fait absoudre. Chose surprenante, la
doctrine hérétique du Temple n’aurait pas eu un martyr ! Car les centaines de
chevaliers et de frères sergents qui sont morts dans les affres de la prison,
entre les mains des tortionnaires, ou sur le bûcher, ne se sont pas sacrifiés
pour des croyances ; ils ont mieux aimé mourir que d’avouer, ou, après avoir
avoué par force, que de persister dans leurs confessions. On a supposé que
les templiers étaient des cathares ; mais les cathares, comme les anciens
montanistes d’Asie, avaient la passion du supplice ; au temps même de Clément
V, les « dolcinistes » d’Italie se sentaient fortifiés miraculeusement par la
proclamation répétée et frénétique de leurs doctrines. Chez les templiers,
pas de joie sacrée, pas de triomphe en présence du bourreau. C’est pour une
négation qu’ils ont tout enduré. Si les templiers s’étaient réellement livrés
aux excès, non seulement monstrueux, mais stupides, qui leur furent
reprochés, tous, interrogés l’un après l’autre, et forcés de confesser,
auraient décrit ces excès de la même manière. D’accord entre eux quand ils
parlent des cérémonies légitimes de l’ordre, ils varient grandement, au
contraire, sur la définition des prétendus rituels blasphématoires. Michelet,
qui croyait aux désordres du Temple, a très bien observé « que les
dénégations sont identiques, tandis que les aveux sont tous variés de
circonstances spéciales » ; il en tire la conclusion « que les dénégations
étaient convenues d’avance et que les différences des aveux leur donnent un
caractère particulier de véracité ». Mais quoi ? Si les templiers étaient innocents,
leurs réponses aux mêmes chefs imaginaires d’accusation ne pouvaient pas ne
pas être identiques ; s’ils étaient coupables, leurs aveux auraient dû être
pareillement identiques. L’invraisemblance des charges, la férocité des procédés d’enquête, le caractère contradictoire des aveux étaient sûrement de nature à inquiéter des juges, même des juges de ce temps-là. Et quels cœurs auraient résisté à la comparution des suppliciés de l’enquête, à l’exhibition de leurs plaies, à leurs protestations d’amour pour l’Église persécutrice, à ces accents douloureux dont l’écho, recueilli par les notaires de la grande commission, émeut et persuade encore ! Ceux qui avaient leurs raisons pour que la lumière ne se fît pas devaient chercher, par tous les moyens, à supprimer, jusqu’au bout, les débats publics. Le bâillon qui fut mis, en effet, sur la bouche des derniers défenseurs de l’ordre au concile de Vienne, réuni pour les entendre, est encore un argument en faveur des templiers. L’histoire du concile de Vienne est mal connue. Mais on
devine des intrigues du roi de France pour forcer la main du pape, du pape
pour escamoter la sentence du concile. Clément V était disposé à en finir ;
il disait, au
rapport d’Alberico da Rosate : « Si l’ordre ne peut pas être détruit per viam
justitiae, qu’il le soit per viam expedientiae, pour que notre
cher fils le roi de France ne soit pas scandalisé. » Mais il ne se sentait
pas maître des trois cents pères assemblés : il n’était sûr que des évêques
français ; ceux d’Allemagne, d’Aragon, de Castille et d’Italie, qui avaient
presque tous acquitté les templiers de leurs circonscriptions diocésaines,
inclinaient à instituer une discussion en règle. Pour comble d’embarras, neuf
chevaliers du Temple parurent inopinément dans Vienne, comme représentants
des templiers fugitifs qui erraient dans les montagnes du Lyonnais ; ils
venaient « défendre » l’ordre. Il fallut que Clément fît enfermer, sans les
écouter, ces malencontreux défenseurs : ce qui revenait à supprimer une
seconde fois la défense, en violation du droit. Des prélats étrangers s’indignèrent.
On comprit alors autour de Philippe le Bel qu’il y avait lieu de sortir l’ultima ratio
de la force. De Lyon, d’où il surveillait le concile, et où il avait convoqué
une nouvelle assemblée des prélats, nobles et communautés du royaume « pour
la défense de la foi catholique », le roi se rendit à Vienne (mars 1312) avec
une armée. Il s’assit à côté du pape. Celui-ci, raffermi, s’empressa de faire
lire, devant les pères, une bulle qu’il avait élaborée d’accord avec les
conseillers royaux. C’est la bulle Vox in excelso, du 3 avril 1312 : le
pape avoue qu’il n’existe point contre l’ordre de quoi justifier une
condamnation canonique ; mais il considère que l’ordre n’en est pas moins
déshonoré, qu’il est odieux au roi dé France, que personne n’a « voulu »
prendre sa défense, que ses biens sont et seraient de plus en plus dilapidés
au grand dommage de la Terre Sainte pendant la durée d’un procès dont on ne
saurait prévoir la fin ; de là, la nécessité d’une solution provisoire. Il
supprime donc l’ordre du Temple, non par voie de « sentence définitive »,
mais par voie de provision ou de règlement apostolique, « avec l’approbation
du Saint Concile ». Ainsi périt l’ordre du Temple, supprimé, non condamné,
égorgé sans résistance. Les templiers de France n’ont pas eu la moindre velléité de se servir de leurs armes. N’est-ce pas une preuve de plus de la soumission de ces hommes que des modernes, afin d’excuser à toute force un criant déni de justice, ont gratuitement accusés d’avoir formé un État dans l’État et d’avoir mis en péril l’unité de la monarchie française ? VI. ÉPILOGUE DE L’AFFAIRELa bulle Vox in excelso laissa en suspens deux
questions difficiles : le sort des templiers prisonniers, le sort des biens
du Temple supprimé. LA CURÉE DES BIENS DU TEMPLE.La curée des biens du Temple avait commencé pendant le procès, en dépit de la vigilance des administrateurs. L’appétit des princes avait été aiguisé par cette affaire au point que quelques-uns songèrent à faire partager le sort des templiers aux hospitaliers et aux chevaliers Porte-Glaive. L’ordre teutonique fut accusé d’hérésie en 1307 par l’archevêque de Riga. C’est déjà l’avidité spoliatrice des princes protecteurs de la Réforme. Après le concile de Vienne, on procéda au dépècement méthodique de la proie. En théorie, toutes les propriétés de l’ordre furent transférées au Saint-Siège, qui les remit aux hospitaliers, mais ce transfert fictif n’empêcha pas la Couronne de retenir la meilleure part. D’abord les dettes du roi envers l’ordre furent éteintes, car les canons défendaient de payer leur dû aux hérétiques. En outre, il avait saisi tout le numéraire accumulé dans les banques du Temple. Il alla plus loin lorsque les dépouilles des templiers eurent été officiellement attribuées à l’Hôpital : il prétendit que ses anciens comptes avec le Temple n’ayant pas été réglés, il restait créancier de l’ordre pour des sommes considérables, dont il était d’ailleurs hors d’état, de spécifier le montant. Les hospitaliers, substitués aux droits et aux charges du Temple, furent obligés de consentir, pour ce motif, à une transaction : ils payèrent deux cent mille livres tournois, le 21 mars 1313 ; et ce sacrifice ne les délivra même pas des réclamations de la Couronne, car ils plaidaient encore, à ce sujet, au temps de Philippe le Long. Quant aux biens immobiliers, Philippe le Bel en perçut paisiblement les revenus jusqu’à sa mort, et plus tard les hospitaliers, pour en obtenir la délivrance, durent indemniser la Couronne de ce qu’elle avait déboursé pour l’entretien des templiers emprisonnés de 1307 à 1312 : frais de geôle et de torture. Il paraît avéré, en résumé, que les hospitaliers furent plutôt appauvris qu’enrichis par le cadeau fait à leur ordre. SUPPLICE DU GRAND-MAÎTRE.Restaient les prisonniers. On relâcha ceux qui voulurent
passer par l’humiliation des aveux. Parmi ces libérés, les uns vagabondèrent,
d’autres essayèrent de gagner leur vie par des travaux manuels ; quelques-uns
entrèrent dans des couvents, et quelques-uns, dégoûtés du métier, se
marièrent. Les impénitents et les relaps furent frappés des châtiments de la
loi inquisitoriale. Les plus célèbres de ces relaps de la dernière heure furent
deux des hauts dignitaires que le pape avait réservés à son jugement
personnel : le grand-maître Jacques de Molay et le précepteur de Normandie,
Geoffroi de Charnai. C’est seulement en décembre 1313 que Clément V appointa
trois cardinaux pour examiner ces grands chefs, qui naguère, pour se sauver
eux-mêmes, avaient abandonné leurs frères. Le 18 mars 1314, ils furent amenés
au portail de Notre-Dame pour écouter leur sentence ; à savoir le « mur », la
détention à perpétuité. Molay et Charnai avaient été soutenus jusque-là par l’assurance
d’une délivrance prochaine, plusieurs fois promise : ils étaient en prison
depuis sept ans ; ils refusèrent d’y rentrer désespérés : « Nous ne sommes
pas coupables, dirent-ils, des choses dont on nous accuse, mais nous sommes
coupables d’avoir bassement trahi l’ordre pour sauver nos vies. L’ordre est
pur, il est saint ; les accusations sont absurdes, les confessions menteuses.
» Comme la foule remuait, les cardinaux livrèrent sans délai au prévôt de
Paris ces deux confesseurs tardifs de la vérité ; le roi fut prévenu, et, le
soir du même jour, un échafaud se dressa, dans l’île des Juifs, en face du
quai des Augustins. Ils moururent avec un courage qui frappa les assistants.
Il était réservé à un écrivain du XIXe siècle de dire que leur intrépidité
finale fut la marque de la forte prise que le démon avait sur eux. LE PROCÈS ET L’OPINION PUBLIQUE.Les plus intelligents des contemporains de Philippe le Bel n’ont pas cru à la culpabilité des templiers ; ils ont été, à cet égard, moins crédules que la postérité ne le fut longtemps, quoiqu’ils aient eu moins de moyens de se faire une opinion. Les grossières invraisemblances de la fable imaginée par Nogaret ont suffi pour les avertir. Aucun chroniqueur italien ne fut dupe : ni Villani, ni Dino Compagni, ni Boccace (dont le père était à Paris à l’époque du procès), ni l’auteur des Storie Pistolesi, ni Dante. Tous ont goûté l’ironie d’une aventure où périrent comme hérétiques les plus fidèles serviteurs de la Cour romaine, les défenseurs les plus obstinés de la foi. Les écrivains français sont, naturellement, plus prudents ; ils n’osent pas s’inscrire en faux contre le pape et le roi, mais on voit bien ce qu’ils en pensent : Bien gaaingnié l’avoient celz, Se voirs estoit qu’en disoit d’elz... Plusieurs, ou monde condampnez Sont lassus au ciel couronnez, Et les aime Diex et tient chiers. Mais ça aval, en ceste Eglise, Nous convient trestouz la devise Tenir du pape et l’ordinance... L’en puet bien decevoir l’Eglise ; Mes l’en ne puet en nule guise Diex décevoir ; je n’en dis plus. Qui voudra die le surplus. Le bûcher du 18 mars flamboya d’un éclat sinistre dans l’imagination populaire. Comme les temps étaient durs, on crut que la colère de Dieu s’appesantissait pour venger le sang innocent. Comme Clément V succomba, un mois après l’exécution de Molay, à une maladie affreuse ; comme Philippe le Bel, à son tour, disparut six mois plus tard, la légende se forma que Molay supplicié avait ajourné le pape et le roi au tribunal de Dieu. Guillaume de Nogaret mourut aussi vers ce temps-là avant Clément, avant Philippe. |
[1] La biographie
de Clément V par E. Renan dans V
Histoire littéraire (t. XXVIII, 1881) a été écrite avant la publication
des registres de Clément V (Regestun
Clementis papae V". 1880-1890, 7
vol.). Un livre sur les relations de la France et du Saint-Siège pendant le
pontificat de Clément V, symétrique à celui de M. Digard sur les relations de
la France et du Saint-Siège pendant le pontificat de Boniface Vin, reste à
faire.
[2] Des centaines de volumes, de brochures et d’articles ont
été publiés sur l’affaire des templiers qui, pendant des siècles, a été obscure
et qui est, maintenant, très claire : on trouvera des renseignements
bibliographiques dans la Revue historique (mai 1889), dans V Archivio storico italiano (1895, p.
225 et suiv.) et dans livre de J. Gmelin, Schuld
oder Unschuld des Templerordens, 1893.
Les principaux textes ont été publiés par J. Michelet, Procès des Templiers, dans la « Collection de documents inédits
sur l’histoire de France », 1841-1851.
Parmi
les écrivains qui ont étudié l’histoire de la destruction de l’ordre du Temple
les uns croient, les autres ne croient pas à la culpabilité de l’ordre. En
présence de ces contradictions. Napoléon Ier disait qu’on ne saurait
jamais rien.
Les
apologistes catholiques se sont crus longtemps obligés de condamner l’ordre,
pour réhabiliter la mémoire du pape qui le condamna : « n ne faut pas, dit l’un
deux, que le Procès des Templiers serve de thème aux déclamations des incrédules
contre le Saint-Siège. » Les apologistes de la monarchie absolue, toujours
prêts à justifier per fas et nefas les actes de l’autorité,
ont été dans les mêmes sentiments : pour les historiens comme Dupuy, les
templiers étaient coupables, car le gouvernement de Philippe le Bel n’a pas pu
commettre un crime. Des sectes mystiques, hétérodoxes, comme les francs-maçons
et les rose-croix, ont glorifié les chevaliers du Temple d’une partie des
crimes dont Philippe et Clément les ont chargés, afin de se rattacher à une
tige ancienne ; elles ont voulu voir de la profondeur dans le symbolisme inepte
que les accusateurs du Temple ont décrit. Enfin, des penseurs indépendants
comme Wilcke, Hammer-Purgstall, Michelet, H. Martin, Loiseleur et Prutz, faute
d’avoir correctement interprété les textes, ou parce qu’ils étaient bien aises
de déclamer contre « les vices des moines», ont fait chorus avec les partisans
de l’infaillibilité papale et avec ceux de l’infaillibilité monarchique. De
bonne heure, quelques hommes ont vu clair dans cette affaire extraordinaire. D’abord,
beaucoup de contemporains des événements n’ont pas été dupes. Dans les temps
modernes. Le Jeune, Voltaire (dans l’Essai
sur les mœurs), Raynouard, Soldau, Havemann, Schottmiiller, Lavocat, ont
eu l’intuition de la vérité. La lumière a été définitivement faite par H. C. Lea
(au t. III de son History of the
Inquisition of the Middle Ages, 1888), dont J.
Gmelin, dans son ouvrage cité, a repris la démonstration. Voir aussi Revue des Deux Mondes, janvier 1891, pp. 382 et suiv.
[3] Autre
version, également peu digne de foi, dans les Gestes des Chiprois (Genève,
1887), p. 329 : Jacques de Molay aurait révoqué le trésorier du Temple de
Paris, trop complaisant pour Philippe le Bel, et aurait répondu « autrement qu’il
ne devait à la prière de tel homme comme est le roi ».
[4] Molay
parlait devant des évêques
[5] Ce
grief qui ne figure pas parmi ceux dont l’inquisiteur Guillaume de Paris
communiqua la liste à ses subordonnés en 1307, mais qui est formulé dans la
bulle Faciens misericordiam du 12 août 1308, a
été examiné par H. C. Lea, The
absolution formula of the Templars (dans les publications de l’American Church History Society, 1893).
C’était une pratique traditionnelle en vigueur, au su de tout le monde, chez
les Templiers et chez les chevaliers teutoniques, dont les canonistes
discutaient depuis longtemps la valeur, et qui n’avait jamais été, jusque-là,
expressément condamnée.
[6] Des
bas-reliefs, couverts de figures obscènes et d’inscriptions arabes, ont été
découverts de nos jours, quelques-uns dans le voisinage d’anciennes
commanderies du Temple. E. Pfeiffer croit que ces monuments, après avoir
appartenu à des sectes arabes qui continuaient les traditions gnostiques, ont
été importés d’Orient en France par des croisés, peut-être des templiers. Mais
les soi-disant inscriptions arabes du coffret d’Essarois, le plus connu de ces monuments,
ont été fabriquées certainement par les gens qui savaient très mal l’arabe. D’après
S. Reinach, ce sont des faux. A quelle époque ces faux ont-ils été commis ? Au xiiie siècle, ou de nos
jours ? Pourquoi ont-ils été commis ? Est-ce pour faire croire à l’existence d’un
culte secret, à tendances orgiastiques, ou bien est-ce pour donner un aspect
oriental à des objets réellement destinés aux fidèles d’un culte de cette
espèce ? On ne le sait pas