Saint Louis, Philippe le Bel, les derniers Capétiens directs (1226-1328)

 

Livre II — Les événements politiques de 1286 à 1328

I - Les derniers Capétiens directs

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

I. PHILIPPE LE BEL ET SES FILS

DANS les écrits contemporains de Philippe le Bel et de ses fils, il n’y a rien, ou presque rien, sur la personne des rois. Il faut donc s’y résigner : on ne saura jamais qui était Philippe le Bel ; il sera toujours impossible de départager ceux qui disent : « Ce fut un grand homme » ; et ceux qui disent : « Il a tout laissé faire. » Ce petit problème est insoluble.

Les sources qui permettent de se faire une idée d’un personnage sont ses écrits, les récits des gens qui l’ont connu ou des gens qui, sans l’avoir connu, ont recueilli, sur son compte, l’écho de la rumeur publique.

QUI ÉTAIT PHILIPPE LE BEL ?

Or, les lettres de Philippe le Bel et de ses fils se comptent par milliers. La tentation est forte d’y recueillir des phrases — il y en a de sonores — et d’attribuer à Philippe ou à ses fils les sentiments que ces phrases expriment. Mais il faut y résister, car les lettres et les instructions expédiées, à cette époque, au nom des rois, dans les chancelleries royales, n’étaient pas dictées par eux. Elles étaient rédigées par des notaires ; et la plupart des considérations générales qui s’y lisent sont des formules consacrées.[1] Quelques-unes, il est vrai, ont de l’accent ; mais rien n’autorise à penser que le prince soit l’auteur, ou même l’inspirateur, des rares pièces dont le style est vraiment original ; en tous cas, nous n’avons pas le moyen d’y distinguer ce qui est du roi, ce qui est des ministres. Bref, au point de vue dont il s’agit, il n’y a rien à faire des documents diplomatiques.

Ni Philippe le Bel ni ses fils n’ont eu de Joinville ; aucun des hommes qui ont été en relations régulières avec eux n’a consigné par écrit leurs dits, leurs faits ni leurs gestes. Seul, parmi ses familiers, Guillaume de Nogaret a laissé, de Philippe le Bel, une esquisse, mais c’est un morceau d’apparat, apologétique, oratoire et vague : « Monseigneur le roi, dit Nogaret dans un des Mémoires qu’il écrivit à propos de l’affaire de Boniface, est de la race des rois de France qui tous, depuis le temps du roi Pépin, ont été religieux, fervents champions de la foi, vigoureux défenseurs de Sainte Mère Eglise... Il a été, avant, pendant et après son mariage, chaste, humble, modeste de visage et de langue ; jamais il ne se met en colère ; il ne hait personne ; il n’envie personne ; il aime tout le monde. Plein de grâce et de charité, pieux, miséricordieux, suivant toujours la vérité et la justice, jamais la détraction ne trouve place dans sa bouche. Fervent dans la foi, religieux dans sa vie, bâtissant des basiliques, pratiquant les œuvres de piété, beau de visage et charmant d’aspect, agréable à tous, même à ses ennemis quand ils sont en sa présence, Dieu fait aux malades des miracles évidents par ses mains. »

Quelques historiettes ont été racontées par des personnes qui ont vu, de leurs propres yeux, les derniers Capétiens directs ; mais elles n’ont guère d’intérêt. Un des témoins entendus dans le procès de Bernard Saisset, évêque de Pamiers, rapporta que l’évêque, parlant de Philippe le Bel, lui avait dit : « Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement, sans parler. » L’évêque aurait ajouté : « Ce n’est ni un homme ni une bête, c’est une statue. » Le Toscan Francesco da Barberino, qui vint en France pour ses affaires, de 1309 à 1313, fut frappé de l’affabilité du roi de France qui rendit un jour, devant lui, leur salut, à trois ribauds (vilissimi ribaldi), les laissa approcher et, patiemment, écouta leurs doléances. Yves, moine de Saint-Denis, qui assista aux derniers moments de Philippe, a décrit sa fin dévote, pareille à toutes les fins dévotes. Comme Saint Louis, Philippe le Bel aurait refusé de prendre un « lait de poule », quoique mourant, parce que c’était jour de jeûne. Il aurait prononcé des paroles édifiantes ; il aurait exhorté son fils aîné à aimer Dieu, à révérer l’Eglise, à la défendre, à être assidu aux offices, à s’entourer de bonnes gens, à s’habiller modestement. Il aurait fait aussi de « tristes réflexions », empreintes d’une grande banalité, « sur le néant des grandeurs humaines ». Le même moine s’est aventuré à tracer un portrait en pied du roi qu’il avait vu mourir, mais que, d’ailleurs, il connaissait fort peu ; ses ternes et doucereuses épithètes ne nous apprennent pas grand’ chose : Ce roi, dit-il, était très beau, suffisamment lettré, affable d’aspect, de mœurs très honnêtes, humble, doux, trop humble, trop doux, exact aux offices divins. Il fuyait les mauvaises conversations. Il pratiquait le jeûne, il portait un cilice ; il se faisait administrer la discipline par son confesseur, avec une chaînette, cum quadam catenula. Simple et bienveillant, il croyait que tout le monde était animé d’excellentes intentions ; cela le rendait trop confiant ; ses conseillers en abusaient. »

Tous les autres renseignements qui se trouvent dans les chroniques, contemporaines ou postérieures, sont des on-dit populaires. Ils n’ont de valeur que comme expression de ce que le public croyait.

Les contemporains de Philippe le Bel ont cru, si l’on en juge par les affirmations concordantes de Villani, de Geoffroi de Paris et de plusieurs anonymes, que le roi avait un caractère faible ; l’interpolateur du roman de Fauvel, qui n’a pas en cela, quoiqu’on en ait dit, « le mérite de l’originalité », l’a qualifié de « débonnaire ». Ils sont tous d’accord pour dire qu’il était beau, blanc et blond, grand et fort, « plein de grâce, de douceur et de droiture », et qu’il se laissait aveuglément mener par ceux qui avaient gagné sa confiance. Un anonyme l’accuse, dans une diatribe en latin, qui date des premières années du règne, d’être intempérant, passionné à l’excès pour la chasse, et de s’entourer de « vilains », traîtres, voleurs, insolents ; à ceux-là le roi obéit (quasi servus obedit), et il néglige ses devoirs. Geoffroi de Paris, le nouvelliste parisien, dont l’ouvrage commence en 1300, ne tarit pas sur ce thème.

Notre roi, dit-il, est un indifférent, un « lanier » ; tandis que les Flamands agissent, il passe son temps à chasser :

Et li roys si sonnoit ses cors

Par les forez, chaçant les pors

Et les oisiax qui sont volages,

Et les Flamans prenoient ostages...

C’est un enfant ; il ne s’aperçoit pas qu’il est trompé et grugé par son entourage :

Les receveeurs ont l’avoir

Et le roi a le nom de prendre...

Le Conseil le roy prent et part,

Et le roy a la mendre part...

Mes le roi ne deüst plus estre

Enfant ; assez pouïst connaître

Qui li donne ou pain ou pierre...

Après le désastre de Courtrai, nouvelles admonestations : l’indolence, l’extrême faiblesse de Philippe pour les mauvais conseillers, de basse extraction, qui l’entourent, sont de nouveaux dénoncées :

Trahiz estes, chacun le pense

Par vos chevaliers de cuisine

Qui sont delez vous au couchier...

De vessie vous font lanterne

Celz qui a droite et a senestre

Sont entor vous ; et l’erbe pestre,

Sire, vous font, et de crois pile.

Plus tard, l’auteur de la pièce intitulée Un songe résumait ainsi le règne de Philippe IV : ce fut un temps où l’on chassa...

Lors chaçoit on de mainte guise,

Et mainte grant beste y fu prise :

Juys, Templiers et crestiens

Furent pris et mis en liens...

Partout prenoit on a meesmes...

Et le roy qui adonc estoit

De chacier moût s’entremetoit ;

Mes de la prise mains avoit

Pour ce que du jeu mains savoit...

De cent sols n’avait qu’un denier...

CE QUE L’ON SAIT DES FILS DE PHILIPPE LE BEL.

Plusieurs textes confirment ceux qui précèdent ; il n’y en a pas un qui les contredise. Si Philippe le Bel passa, auprès de ses contemporains, pour un homme énergique et appliqué, cette opinion n’a pas laissé de traces.

Quant aux trois fils de Philippe le Bel, qui lui ont succédé, Louis, Philippe et Charles, leur physionomie est encore plus effacée. Quel fond faut-il faire sur le surnom de hutin (turbulent), donné à Louis ? Philippe et Charles étaient grands, beaux, pieux, doux, sages, généreux, au dire des chroniqueurs. Les renseignements directs et les détails font absolument défaut.

A défaut de renseignements directs, est-il possible d’induire le caractère de ces rois des actes de leur gouvernement ? Cela paraît naturel, au premier abord. Comment admettre que l’adversaire de Boniface VIII ait été pieux, et même superstitieux, ou que le persécuteur des Templiers ait été un homme doux, négligent ? Tant d’événements tragiques se sont passés de son temps que l’on est invinciblement porté à considérer Philippe IV comme un homme sombre et dur. Mais il faut résister à la tentation de raisonner ainsi. En effet, la supposition — tout à fait arbitraire — que Philippe le Bel avait l’« âme fortement trempée », et qu’il était « très ferme », prend aisément la consistance d’une vérité démontrée. Et, cristallisée en certitude, elle conduit à voir systématiquement de la suite et de la profondeur là où les contemporains des événements n’ont vu — avec raison, semble-t-il — que maladresses et désarroi.[2] Elle a même prévalu, dans l’esprit d’écrivains modernes, contre des documents positifs : « La statue placée sur le tombeau de Philippe le Bel à Saint-Denis lui donne, a-t-on dit, des traits sévères, empreints d’une grande énergie. » Or, cette face large et bonasse, glabre, encadrée de longues mèches, n’est ni sévère ni énergique. De plus, il n’est pas certain que cette effigie soit un portrait : les statues funéraires de Philippe IV, de Louis X, de Philippe V, de Charles IV ont été exécutées de 1327 à 1329 dans le même atelier ; elles sont entièrement semblables : même pose, mêmes traits ; « les trois fils ont eu avec leur père, dit Guilhermy, si la sculpture dit vrai, une ressemblance très rassurante » pour la vertu de leur mère. L’imagier, qui commença ces statues treize ans après que Philippe le Bel était mort, ne l’avait peut-être jamais vu.

 

II. L’ENTOURAGE DES DERNIERS CAPÉTIENS DIRECTS

On est mal renseigné aussi sur les personnages qui ont joué les principaux rôles à la Cour de Philippe le Bel et de ses fils : princes du sang et conseillers.

Il se passa plus d’un scandale à la Cour de Philippe le Bel et de ses fils, mais les détails n’en sont pas connus. C’est à peine si l’on entrevoit que la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel, avait des protégés, des ennemis ; et qu’il y eut des foyers d’intrigues autour du roi de Navarre (le futur Louis X) avant 1314, et autour de Charles de la Marche (le futur Charles IV) avant 1322. Le seul prince du sang dont la physionomie ne soit pas absolument indistincte est ce Charles de Valois, frère de Philippe IV, dont la dynastie des Valois est sortie, et qui, pendant quatre règnes, fut, de par sa naissance, le premier du royaume, après le roi.[3]

CHARLES DE VALOIS.

Charles de Valois passait, lui aussi, pour un bel homme : il était grand et fort, avec des traits grossiers, si la statue qui était jadis sur son tombeau est une image fidèle. Il se maria trois fois, et il eut quatorze enfants, dont dix filles. Il fut candidat à la couronne d’Aragon, à l’Empire d’Occident et à l’Empire d’Orient. Comme, en outre, il était magnifique, il fut toujours besogneux, dépendant des faveurs de la Couronne et du Saint-Siège, pour établir ses enfants, tenir son rang, et payer — en partie — ses dettes. Les soucis d’argent dont il ne se débarrassa jamais ont plus d’une fois contribué à déterminer sa conduite. Du temps de Philippe le Bel, il commanda des armées et présida aux négociations les plus importantes : il fut un serviteur fidèle, largement récompensé, qui ne causa pas d’embarras. Quels ont été ses sentiments pour les ministres de son frère ? On sait seulement qu’il n’aimait pas Enguerrand de Marigny. En 1310, Charles échangea sa terre de Gaillefontaine contre celle de Champrond, appartenant à Marigny, et fut dupé dans le marché. L’insolence de Marigny le froissa en plusieurs circonstances. Après la mort de Philippe le Bel, il fut, avec Louis d’Évreux, son demi-frère, Gui de Châtillon, les comtes de Foix, d’Armagnac, etc., un des grands seigneurs qui machinèrent la chute et l’exécution du favori. Mais il ne se départit pas pour cela de l’attitude politique qu’il avait eue pendant le dernier règne. Sous Louis X, il ne fut pas du tout, comme on l’a cru, « le chef de l’opposition féodale » ; il n’appuya pas les ligues de la noblesse ; il aida, au contraire, son neveu à se défendre contre elles, et c’est un de ses clercs favoris, Etienne de Mornai, qui reçut les sceaux de France. Sous Philippe V, il ne fit semblant de bouder que pour vendre plus cher son adhésion et son concours à un prince dont les droits n’étaient pas évidents : « Nous espérons, lui écrivait, le 13 décembre 1316, le pape Jean XXII, que le roi ouvrira les mains de sa largesse à vos besoins ; nous espérons l’y amener par nos paternels conseils. » Il servit et quémanda sous Charles IV, comme il avait servi et quémandé sous les trois rois précédents. En résumé, Charles de Valois a touché et dissipé des sommes considérables ; mais son influence n’a jamais été perturbatrice ni profonde : c’était un homme médiocre et qui eut trop de filles à marier.

LES CONSEILLERS DE LA COURONNE.

Des mécontents ont dit, sous Philippe le Bel, que le gouvernement marcherait mieux si le roi écoutait davantage les grands seigneurs, les « prud’hommes » de son entourage, et ne se fiait pas aux conseils de ces gens de rien, avocats, anoblis de fraîche date, étrangers à la France proprement dite, qui le flattaient et le tenaient en chartre privée. L’indignité des conseillers du roi et la faiblesse du roi pour ses conseillers indignes, tel est le cheval de bataille de tous les polémistes du temps, et de Geoffroi de Paris en particulier :

Le roy si est et dur et tendre :

Dur aus siens et douz as estranges...

France est tornée en serveté,

Car François n’i sont escouté

Qui sont nez de lor droite mère ;

Ils sont au jour d’hui mis arrière...

Il n’est pas douteux, en effet, que Philippe le Bel ait eu des ministres d’assez basse naissance, qui ont été considérés non seulement par le public, mais par les princes et par les papes qui les accablaient de sollicitations et de faveurs, comme tout-puissants sur son esprit. Mais comment ces hommes sont-ils arrivés au pouvoir ? Comment s’y sont-ils comportés ? Quel était leur caractère ? A presque toutes ces questions, nous n’avons pas de réponse. La nomenclature des conseillers de Philippe le Bel et de ses fils est connue, et on voit bien que quelques-uns, comme Pierre Flote, Guillaume de Nogaret et Enguerrand de Marigny — qui ont fondé trois des premières familles de cette noblesse d’origine ministérielle, plus tard si nombreuse en France —, ont eu successivement un crédit exceptionnel. Mais il y a quantité de personnages dont on ne sait pas au juste jusqu’à quel point ils ont été des agents d’exécution ou des hommes d’initiative, des rouages ou des moteurs. Que sait-on de Pierre de Chambly et d’Hugues de Bouville, les seuls conseillers du roi qui trouvent grâce auprès de Geoffroi de Paris ; de Jean de Vassoigne, d’Etienne de Suisi, de Pierre et d’Etienne de Mornay, de Pierre de Belleperche, de Gilles Aicelin, de Pierre de Latilly, de Pierre d’Arrablai, de Pierre de Chappes et de Jean de Cherchemont, pour ne citer que des hommes, qui, comme Flote et Nogaret, ont exercé les fonctions de chancelier ? Parce qu’il a écrit des mémoires au roi qui ont été conservés, l’avocat Pierre Dubois passe généralement pour avoir été un homme important ; s’il n’avait pris soin de nous l’apprendre lui-même, nous ne saurions pas qu’il avait moins d’influence que maître Richard Leneveu et maître Jean de la Forêt, dont les noms sont aujourd’hui très obscurs. L’étendue et la nature du rôle des gens du roi qui ont eu le rôle le plus actif est difficile à préciser. Les érudits reconstituent à grand-peine la liste des missions dont ils ont été chargés, des récompenses qu’ils ont reçues et des biens qu’ils ont acquis. Rien de plus : le visage est, pour ainsi dire, effacé, comme celui des rois eux-mêmes. Tous les conseillers de Philippe le Bel qui n’ont pas laissé d’écrits sont, comme Philippe le Bel, pour l’historien, des énigmes.[4]

FLOTE, NOGARET, MARIGNY.

De Flote et de Marigny, qui, avec Guillaume de Nogaret, ont été au premier rang, on a des lettres missives et des discours, mais trop peu pour les juger. Pierre Flote fut un de ces juristes subtils et violents des écoles de Montpellier et d’Alais, imprégnés des traditions impérialistes des glossateurs bolonais, que, le premier des rois de France, Philippe le Bel a enviés aux princes de la vallée du Rhône. Le Normand Enguerrand de Marigny commença sa carrière en qualité d’écuyer d’Hugues de Bouville ; en 1298, il était panetier dans la maison de la reine Jeanne : c’est la reine qui lui mit, on ne sait pourquoi ni comment, le pied à l’étrier ; mais la personnalité, sans doute intéressante, de ce financier hardi, qui sut « tous les secrets du royaume » et qui jouit d’une autorité sans limites pendant les dernières années du grand règne, ne se dégage pas nettement : on en est encore à se demander, comme l’ont fait les contemporains après sa chute, s’il fut « ambitieux et malhonnête », ou « plus malheureux que coupable ». Quant à Guillaume de Nogaret, ses défenses dans l’affaire de Boniface le relèvent tout entier. Il était de Saint Félix en Lauraguais, près de Toulouse, docteur et professeur es lois ; il connut peut-être Pierre Flote, son patron, et Gilles Aicelin à Montpellier ; il débuta, vers 1294, comme juge royal de la sénéchaussée de Beaucaire ; il vint, vers 1296, à Paris, trois ans plus tard, il s’intitulait « chevalier du roi de France » ; après la mort de P. Flote, tué à la bataille de Courtrai, il fut, pendant plusieurs années, l’âme damnée du roi, et sa « hache ». Mais il est inutile d’esquisser ici le portrait de cet homme qui a tant contribué à assombrir, par ses imaginations baroques, son affreuse rhétorique et ses brutalités hypocrites, la mémoire de son maître et le temps où il a vécu. Mieux vaut le montrer à l’œuvre.

Nous allons le voir à l’œuvre, lui et les autres, dans les grandes affaires épisodiques qui se détachent sur le fond obscur de l’histoire de France à partir de la fin du XIIIe siècle.

 

 

 



[1] C’est le cas, par exemple, du célèbre préambule d’une charte de Louis X pour l’affranchissement de serfs du domaine royal, qui invoque le droit naturel de toute créature humaine à la liberté. Il se trouve aussi dans une charte de Charles de Valois, du 9 avril 1311. C’était, du reste, un lieu commun de la rhétorique du Moyen Age.

[2] L’histoire du XIIIe siècle a été longtemps faussée par des partis pris de ce genre. Comme Louis IX a laissé la réputation d’un prince excellent, on l’a loué d’avoir pris des mesures qui ont paru conformes à l’esprit générai (supposé) de sa politique, mais qui ont, en réalité, un tout autre caractère (voir, par exemple, p. 80). Comme Philippe le Bel a laissé la réputation d’un prince novateur et sans scrupules, on lui a reproché d’avoir inventé une foule de pratiques (la maltôte, par exemple) qui existaient avant lui.

[3] S. Petit, Charles de Valois, 1900.

[4] Presque tous ont été pourtant, de nos jours, l’objet de monographies : l’Italien Musciatto de Franzesi que Ton appelait « monseigneur Mouche», Pierre de Belleperche, Gilles Aicelin, les Mornay, Geoffroi du Plessis et les deux principaux collaborateurs de Nogaret, méridionaux comme lui : Pons d’Aumelas, Guillaume de Plaisians. Mais les recherches les plus approfondies n’ont abouti qu’à reconstituer, tant bien que mal, des curricula vitae. La vie d’Enguerrand de Marigny a été racontée par P. Clément (Trois drames historiques, 1857), celle de Nogaret par E. Renan (dans l’Histoire littéraire, t. XXVII, p. 233 et suiv.) et par R. Holtzmann (Wilhelm von Nogaret, 1897).