HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

395-1270

 

CHAPITRE VII. — LA FÉODALITÉ.

 

 

PROGRAMME. — Démembrement de la France en grands fiefs. Avènement des Capétiens.

Le régime féodal : l'hommage, le fief, le château, le serf ; la trêve de Dieu. — La Chevalerie.

 

BIBLIOGRAPHIE.

Les principaux livres relatifs aux origines du régime féodal ont été indiqués déjà, à propos des institutions et de l'histoire sociale des temps mérovingiens et carolingiens (ch. II, VI). — Nous n'indiquons ici que les ouvrages qui traitent des institutions féodales et de l'évolution historique du régime féodal depuis le Xe jusqu'au XIVe siècle.
L'article Féodalité, publié par M. Ch. Mortel dans le t. XVII de la Grande Encyclopédie (et à part), est une esquisse d'ensemble, de même que le remarquable chapitre de M. Ch. Seignobos, Le régime féodal, dans l'Histoire générale du IVe siècle à nos jours, précitée, II (1893), p. 1-64. Il n'y en a pas beaucoup d'autres. Comme les états féodaux ne se sont pas formés de la même façon dans toute l'Europe, comme l'organisation féodale eut, au moyen âge, suivant les lieux, des formes très diverses, il est naturel que l'on ait écrit plutôt sur lei formes régionales du régime que sur le régime en général.
Sur les institutions féodales en France, on trouvera dans plusieurs Manuels récents une bonne doctrine et des renseignements bibliographiques en abondance : — E. Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, t. IV, Paris, 1891, in-8° ; — A. Luchaire, Manuel des institutions françaises. Période des Capétiens directs, Paris, 1892, in-8° ; — P. Viollet, Précis de l'histoire du droit français, Paris, 1895. in-8°, 2e éd. ; et Histoire des institutions politiques et administratives de la France, I, Paris, 1890, in-8°. — M. J. Flach est l'auteur d'un grand ouvrage (Les origines de l'ancienne France, I. Le régime seigneurial, Paris, 1886, in-8° ; II. Les origines communales, la féodalité et la chevalerie, Paris, 1895, in-8°), dont la lecture est instructive, mais difficile. — Cf. A. Longnon, Atlas historique de la France, texte, 3e livr., Paris, 1889, in-8°.
Les institutions féodales variaient, non seulement d'un royaume à l'autre, mais de fief à fief. Parmi les monographies locales, quelques-unes ont de la valeur. — Consulter, pour la Normandie : L. Delisle, dans la Bibliothèque de l'École des chartes, t. X, XI et XIII, et E. A. Freeman, The history of the norman conquest of England, t. Ier, Oxford, 1870, in-8°. — Pour la Bourgogne : Ch. Seignobos, Le régime féodal en Bourgogne jusqu'en 1360, Paris, 1883, in-8° ; et E. Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, t. I à V, Paris, 1885-1894, in-8°. — Pour le Languedoc : A. Molinier, dans l'Histoire générale de Languedoc, t. VII, Toulouse, 1879, in-8°. — Pour la Flandre : L.-A. Warnkönig, Histoire de la Flandre et de ses institutions civiles et politiques jusqu'à l'année 1305, Bruxelles, 1835-1864, 5 vol. in-8°. — Pour la Champagne : H. d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de Champagne, Troyes, 1859-1865, 7 vol. in-8°. — Pour la Bretagne : A. de Courson, La Bretagne du Ve au XIIe siècle, Paris, 1865, in-4° ; et A. de la Borderie, Essai sur la géographie féodale de la Bretagne, Rennes, 1889, in-8°. — Pour la Lorraine, E. Bonvalot, Histoire du droit et des institutions de la Lorraine et des trois Évêchés, Paris, 1895, in-8°. — Etc.
Sur le régime féodal en Allemagne, en général : G. Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. V (2e éd., 1895) à VIII ; — K. Lamprecht, Deutsche Geschichte, t. III, Berlin, 1892, in-8°. Cet ouvrage de vulgarisation, que l'on parait tenir en Allemagne pour un des chefs-d'œuvre de l'historiographie contemporaine, a été exactement apprécié par G. y. Below dans l'Historische Zeitschrift, LXXI, 465.
Pour l'histoire du régime féodal en Angleterre voir la Bibliographie du ch. XII.
La chevalerie, telle qu'elle était en France, a été étudiée, d'après les chansons de geste, par L. Gautier (La Chevalerie, Paris, 1890, in-4°, 2e éd.). — M. P. Guilhiermoz prépare un travail nouveau sur l'histoire des institutions chevaleresques. — Comparez, pour l'Allemagne : Alwin Schultz, Das höfische Leben zur Zeit der Minnesinger, Leipzig, 1889, 2 vol. in-8°, 2e éd. ; — K. H. Roth v. Schreckenstein, Die Ritterwürde und der Ritterstand, Freiburg i. B., 1886, in-8° ; et le livre élémentaire d'O. Henne am Rhyn, Geschichte des Rittertums, Leipzig, 1895, in-8°.
Les institutions pour la paix (trêve de Dieu, etc.) ont été étudiées par E. Semichon (La paix et la trêve de Dieu, Paris, 1869, in-8°, 2e éd.), et mieux par L. Huberti (Gottesfrieden und Landfrieden. Rechtsgeschichtliche Studien, I. Die Friedensordnungen in Frankreich, Ansbach, in-8e). Voir aussi L. Welland, dans la Zeitschrift für Savigny-Stiftung, t. XIV.
Voir, plus bas, la Bibliographie de l'histoire des populations rurales (ch. X), celle de l'histoire des mœurs en général et celle de l'architecture militaire au moyen âge (ch. XIV).

 

*****

 

I. — L'AVÈNEMENT DE LA TROISIÈME DYNASTIE.

C'est dans l'histoire du développement territorial et politique de la maison de Robert le Fort au Xe siècle qu'il faut chercher l'explication principale du changement de dynastie accompli en 987. Mais on risquerait de se méprendre singulièrement sur le caractère véritable de cette révolution et de la monarchie qui en est sortie si l'on n'essayait, au préalable, de déterminer la nature exacte du pouvoir que les princes robertiniens du Xe siècle, rois ou ducs, Eude, Robert, Raoul, ont réussi à élever contre l'autorité des derniers Carolingiens.

La plupart des historiens se sont attachés à faire ressortir l'opposition tranchée des deux dynasties qui se disputaient l'influence souveraine et le titre de roi. Ils se plaisent à les représenter comme personnifiant des principes et des systèmes politiques absolument différents. Pour eux, les Robertiniens, possesseurs de la terre, symbolisent l'idée féodale, l'hérédité des fiefs, le morcellement de la souveraineté, l'indépendance à l'égard du pouvoir central. Ce sont, de plus, des Neustriens, les représentants véritables de la nationalité française et de la race celto-latine, les chefs naturels du mouvement qui tend à briser définitivement l'unité carolingienne en séparant pour toujours les Francs occidentaux de ceux qui habitent au delà du -Rhin. S'ils ont pu triompher de leurs adversaires, c'est qu'ils étaient à la fois princes féodaux et nationaux. Les Carolingiens, au contraire, plus allemands que français, auraient personnifié les idées romaines et impériales, le principe de la concentration des pouvoirs publics, l'amour de l'unité, la haine du particularisme et des institutions féodales. De cette antithèse perpétuelle entre les deux maisons et les deux principes résulte le puissant intérêt qui s'attache à la lutte engagée, pendant plus d'un siècle, entre les Robertiniens et les derniers descendants de Charlemagne.

Une semblable manière de présenter les faits ne donne point le sens exact de la réalité. On aurait dû remarquer qu'en fait Eude, Robert Ier et Raoul, seigneurs féodaux élevés à la dignité royale au mépris des droits carolingiens, Ont compris et exercé la royauté absolument de la même manière que Charles le Simple, Louis d'Outremer et Lothaire. Ils ont manifesté les mêmes prétentions et les mêmes tendances, pratiqué les mêmes procédés. En changeant de condition et en devenant rois, le marquis de Neustrie et le duc de Bourgogne subissaient fatalement les nécessités attachées à leur situation nouvelle. Ils héritaient des traditions et de la politique de leurs prédécesseurs, de même qu'ils revêtaient les mêmes insignes et copiaient dans leurs diplômes les formules de la chancellerie carolingienne.

Les rois de la maison de Robert le Fort ont essayé, comme les Carolingiens, d'étendre le plus loin possible les limites de leur autorité. On les voit tous préoccupés de ramener sous la dépendance du pouvoir central les différentes parties du pays qui tendaient à s'en écarter et à conquérir l'autonomie. Il suffit de rappeler les efforts continus d'Eude et de Raoul pour maintenir le Midi dans l'obéissance, et leurs relations suivies avec les évêchés et les monastères des plus lointaines régions du Languedoc et de la Marche d'Espagne. Raoul, dans ses diplômes, prend toujours soin de s'intituler roi des Français, des Aquitains et des Bourguignons. A ce point de vue, il serait difficile de trouver une différence appréciable entre la conduite des Robertiniens et celle des princes légitimes. Les uns et les autres paraissent avoir été pénétrés de la nécessité de conserver entre la France centrale et le reste du royaume, sinon des liens administratifs dont le mouvement féodal rendait le maintien de plus en plus difficile, au moins une apparence de cohésion et d'unité politique.

D'autre part, tous les rois du Xe siècle, à quelque famille qu'ils appartinssent, ont cherché, dans une mesure qui varia avec leur pouvoir réel et la nature de leur tempérament, à maintenir, contre le développement croissant de la féodalité, les prérogatives de la puissance suprême. Ils n'ont point réussi à empêcher la transmission héréditaire des fiefs ; tous se sont vus obligés de distribuer à leurs fidèles des bénéfices sur lesquels ils n'avaient pas grand espoir de pouvoir remettre la main ; mais on ne voit pas qu'à cet égard les rois d'origine féodale aient agi autrement que les Carolingiens. Au contraire, s'il est un règne sous lequel le gouvernement royal ait paru vouloir réagir contre l'usurpation complète des bénéfices et des offices publics, ce fut sans contredit celui d'Eude. C'est précisément parce qu'il ne se montra pas toujours disposé à accepter sans conditions le principe de l'hérédité des fiefs, c'est parce qu'il essaya de résister aux exigences de l'aristocratie, qu'il s'aliéna, vers la fin de son règne, les mêmes chefs féodaux qui l'avaient élu. Charles le Simple dut principalement la couronne à ce mécontentement des grands.

La théorie qui consiste à voir partout des oppositions de race ne saurait être admise davantage quand on veut expliquer la bitte des Robertiniens et des Carolingiens, le succès des premiers et la chute des seconds. S'il est vrai que la possession de Paris, de Tours et des plus riches parties de la France centrale a pu contribuer à mettre en vue les descendants de Robert le Fort, il est cependant inexact de faire de ceux-ci les représentants exclusifs de la nationalité française, et des Carolingiens la personnification de l'élément germanique. Depuis la constitution du royaume des Francs occidentaux au profit de Charles le Chauve, les descendants de Charlemagne qui ont exercé le pouvoir à l'est de la Meuse ont été considérés par leurs contemporains comme des rois tout aussi français et nationaux que les chefs neustriens, leurs adversaires. Si les Robertiniens avaient exclusivement représenté les aspirations de la race celto-latine et la haine de l'étranger, leurs relations avec la Germanie auraient été fort différentes. Sur ce terrain encore, leur politique est exactement la même que celle des Carolingiens. Ils ont recherché encore plus que leurs rivaux la protection des rois allemands. Il n'y a point de prince neustrien, roi ou duc, qui n'ait conclu alliance avec les souverains de la Germanie. Hugue Capet se trouvait même, par sa mère, le proche parent des rois saxons.

Ainsi ce n'est ni comme rois féodaux ni comme rois nationaux que les Robertiniens ont été élevés à la dignité suprême par le clergé et les seigneurs français du Xe siècle. D'autre part, la monarchie fut, sous la direction d'Eude, de Robert et de Raoul, exactement ce qu'elle était quand elle appartenait aux descendants de Charlemagne.

A quoi donc attribuer la chute de la dynastie légitime et pourquoi le pouvoir monarchique fut-il définitivement transmis, en 987, à l'héritier de Robert le Fort ?

Les derniers Carolingiens n'ont point succombé par défaut d'activité et d'énergie. On abandonne aujourd'hui la vieille légende qui, partant d'une analogie peu fondée entre la décadence mérovingienne et la période finale de la seconde dynastie, appliquait à tort aux successeurs de Charles le Simple le titre de rois fainéants. Louis d'Outremer, Lothaire et même Louis V ont déployé des ressources d'esprit qui leur auraient assuré le succès, si le succès eût été possible. Mais ils portaient le poids des fautes commises par leurs ancêtres et de la situation désespérée qui leur avait été laissée en héritage.... Les Carolingiens, ruinés, n'ayant plus ni propriétés ni vassaux, avaient en quelque sorte perdu pied dans le torrent féodal qui emportait tout. Ils furent donc entraînés par le courant. Au contraire, les héritiers de Robert le Fort, qui tenaient au sol par de fortes attaches, restèrent debout. C'est précisément parce que le duc des Francs possédait ce qui faisait défaut aux héritiers de Charlemagne, [la richesse territoriale], que la révolution dynastique de 987 a pu s'accomplir au profit des Robertiniens.

Mais si la qualité de grand propriétaire fut la condition nécessaire de l'élévation au trône du dernier Robertinien, il faut chercher ailleurs la cause essentielle des événements de 987.

Ce changement dynastique était-il, comme on l'a dit, une conséquence directe de l'état de choses créé par le triomphe de la féodalité ? [Certainement non]. A ne suivre que leur propre inclination, les grands propriétaires de fiefs qui conférèrent la couronne à Hugue se seraient très bien passés de l'autorité supérieure qu'ils plaçaient ainsi au-dessus de leur tète. — L'élection du Capétien prouve combien était encore puissante la tradition romaine d'unité et de centralisation réalisée par les institutions impériales, reprise et continuée presque sous la même forme par la royauté à demi ecclésiastique des Mérovingiens et des Austrasiens. Cette tradition restait vivace à la fin du Xe siècle, au moment même du plein épanouissement d'un régime dont les tendances étaient tout opposées. Sans doute il est légitime de dire que la puissance de la maison robertinienne et son succès définitif ont été un des résultats du développement même de la féodalité. L'avènement de Hugue Capet, chef d'une grande famille seigneuriale, était l'indice certain de la prépondérance du nouvel ordre social et politique. Mais si la féodalité a fait la fortune des descendants de Robert le Fort et les a désignés au choix de la nation, ce n'est point elle qui rendait nécessaire le renouvellement de la royauté en faveur d'une troisième dynastie. — C'est à l'Église, dépositaire de la tradition romaine et monarchique, qu'est due l'élection de Hugue Capet. C'est l'Église, représentée par trois hautes personnalités gagnées aux intérêts neustriens, l'archevêque de Reims Adalbéron, son secrétaire et conseiller Gerbert, et l'évêque d'Orléans Arnoul, qui a tout préparé et tout conduit.

L'avènement de Hugue Capet a été, avant tout, un fait ecclésiastique. En prenant définitivement possession de la royauté, les Robertiniens, princes féodaux, se plaçaient au-dessus et en dehors du régime qui avait fait leur force. Lorsque l'archevêque Adalbéron dit aux grands réunis à Senlis : Il faut chercher quelqu'un qui remplace le défunt roi Louis dans l'exercice de la royauté, de peur que l'État, privé de son chef, ne soit ébranlé et ne périclite, il ne s'agissait point alors de compléter la hiérarchie féodale. L'État dont il est question ici n'est autre que l'ancienne monarchie romaine et ecclésiastique, telle que l'a toujours entendue l'épiscopat. C'est là l'institution politique dont Adalbéron et tout lé clergé désiraient si ardemment le maintien : celle que, par la volonté de l'Église et l'assentiment de quelques hauts barons, Hugue Capet et ses successeurs recevaient mission de perpétuer et de transmettre aux siècles futurs.

***

De ces considérations découle l'idée qu'on doit se faire, à notre sens, de la royauté de Hugue Capet. Par sa nature et ses traits essentiels, cette royauté ne fait que continuer celle de l'ère carolingienne. Le duc des Francs la recevant en principe telle que l'avaient possédée ses prédécesseurs, avec les mêmes prérogatives et les mêmes tendances, n'a en somme rien fondé de nouveau. — Du moins est-ce ainsi que les premiers Capétiens eux-mêmes envisagèrent leur situation, aussitôt qu'ils eurent pris possession de la dignité royale. Ils sentaient que leur avènement ne constituait pas un état de choses nouveau et qu'ils représentaient simplement, après les Carolingiens, un système politique dont l'origine remontait aux premiers temps de la monarchie franque. Sacrés par l'Église, ils ne cessèrent de se considérer comme les héritiers légitimes des deux dynasties qui avaient précédé la leur. L'opinion générale, en somme, n'était point contraire à cette manière de voir, malgré la lenteur que mirent quelques provinces du Midi à les reconnaitre et les rancunes de certains princes féodaux. L'affirmation de quelques chroniqueurs très postérieurs à l'avènement de Hugues Capet, suivant laquelle ce roi, doutant lui-même de son droit, se serait abstenu de porter la couronne, est absolument inacceptable. Ce fait est inconciliable avec ce que nous apprennent les monuments contemporains authentiques et notamment les diplômes royaux. On y voit Hugue Capet et ses successeurs rappeler, à chaque instant, le souvenir de leurs prédécesseurs carolingiens et mérovingiens, se proclamer les continuateurs de leur politique et les exécuteurs de leurs capitulaires et de leurs décrets. Le premier Capétien est naturellement le plus attentif à constater les liens qui unissent son gouvernement à ceux qui l'ont précédé ; mais ses descendants n'y manquent pas non plus. La diplomatique royale du XIe siècle présente, pour l'expression de ce fait, les formules les plus précises et les plus variées : Suivant la coutume de nos prédécesseurs, dit Hugue Capet dans un diplôme de 987 pour l'abbaye de Saint-Vincent de Laon et dans un diplôme de Henri Ier pour l'abbaye de Saint-Thierri de Reims, on lit : Regum et imperatorum quibus cum officio tum dignitate successimus...

 

A. LUCHAIRE, Histoire des institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, t. Ier, Paris. A. Picard, 1891, 2e éd. passim.

 

II. — LA CHEVALERIE.

La Chevalerie s'est développée au moyen âge dans toute l'Europe parallèlement à la féodalité avec laquelle elle a des liens nombreux. — Les origines de cette institution sont complexes et certainement très lointaines. C'est avec raison, selon nous, qu'on a rappelé, à propos de l'entrée dans la Chevalerie, l'ancienne coutume germanique, signalée par Tacite (Germanie, c. 13), de la remise solennelle des armes au jeune Germain, à l'âge où il peut devenir un guerrier.... Les chroniqueurs racontent la cérémonie dans laquelle Charlemagne ceignit solennellement l'épée à son fils Louis, âgé de treize ans (791) et celle où celui-ci, devenu empereur à son tour, remit en 838 les armes viriles à son fils Charles parvenu à l'âge de seize ans. Mais ce qui a dû contribuer plus que toute autre chose à la formation, au développement et à l'organisation de la chevalerie, c'est la transformation profonde que parait avoir subie l'organisation militaire vers le milieu du VIIIe siècle. Jusqu'alors l'infanterie avait été la force principale des armées germaniques, les cavaliers ne s'y rencontraient qu'à l'état d'exception ; depuis lors la cavalerie prend un rôle prépondérant qu'elle gardera jusqu'à la fin du moyen âge ; elle devient la force principale sinon unique de l'armée. Dans la langue de l'époque, le mot latin miles continue à désigner le guerrier à cheval, mais en français on l'a toujours appelé chevalier : au moment où naît la langue française, le noble ne sert plus qu'à cheval ; la chevalerie a déjà un commencement d'organisation. Pendant la première période de la féodalité, le chevalier est donc le cavalier en âge de porter les armes et assez riche pour s'équiper à ses frais, ce qui implique qu'il appartenait à la noblesse héréditaire ou qu'il avait reçu un de ces bénéfices militaires devenus des fiefs. Les éperons sont l'attribut essentiel du chevalier. D'après l'ancien droit scandinave, qu'il est à propos de rapprocher ici des usages féodaux, quiconque pouvait entrer dans la caste des privilégiés pourvu qu'il eût un cheval valant au moins quarante marcs. une armure complète et qu'il justifiât d'une fortune suffisante pour satisfaire à cette charge. En France même la chevalerie n'a jamais constitué une caste absolument fermée. Sans doute, l'aptitude personnelle à être chevalier était caractéristique de la noblesse ; cependant en principe, tout chevalier pouvait créer un chevalier ; dans certains pays, dans le midi de la France particulièrement, on passait assez facilement de la roture à la chevalerie, et les exemples de vilains armés chevaliers sont assez nombreux dans l'histoire. Plus tard, au mile siècle. les rois de France prétendirent défendre à leurs vassaux, et même aux grands feudataires, de conférer la chevalerie à des non nobles, mais ils n'y réussirent jamais complètement. Par contre il était d'usage que tous les nobles devinssent chevaliers ; des ordonnances royales du XIIIe siècle convertirent même cet usage en loi positive et y donnèrent une sanction en punissant d'amende les écuyers nobles qui n'avaient pas reçu la chevalerie à vingt-quatre ans accomplis.

Le développement de la féodalité au cours du XIe siècle et particulièrement l'ensemble des relations féodales contribuèrent à fixer, à régulariser et à organiser l'institution de la chevalerie. Elle constitua pendant toute cette période la cavalerie féodale et les devoirs des chevaliers furent précisément ceux qui résultaient de leur situation de vassaux ou de suzerains, auxquels s'ajouta ce sentiment particulier de l'honneur que l'on appela par la suite précisément l'honneur chevaleresque. La bravoure, la fidélité, la loyauté, furent alors les qualités essentielles du chevalier. Les croisades, où se rencontrèrent et se mêlèrent les armées féodales de toute l'Europe, y ajoutèrent bientôt des caractères nouveaux. Par elles, la chevalerie devint en même temps plus chrétienne et plus universelle ; ce fut comme une vaste affiliation de tous les gentilshommes de la chrétienté, ayant ses règles et ses rites. Aux anciennes obligations d'être fidèle à son seigneur et de le défendre contre ses ennemis s'en sont ajoutées de nouvelles qui ont pris bientôt le premier rang : défendre la chrétienté, protéger l'Église, combattre les infidèles. C'est cette chevalerie que nous font connaître la plupart de nos chansons de geste. Sous le nom de Charlemagne, de Roland, de Renaud et de tous les héros de l'époque carolingienne, c'est la société chevaleresque du XIIe siècle qu'elles nous montrent avec une exactitude et une fidélité que confirment toutes les sources historiques.

A cette époque, tout fils de gentilhomme se prépare dès l'enfance à devenir chevalier : à sept ans, au sortir des mains des femmes, il est envoyé à la cour d'un baron, souvent du suzerain de son père et parfois du roi, où il est damoiseau (domicellus) ou valet (vassaletus). Il remplit en cette qualité des fonctions domestiques, ennoblies par le rang des personnages qu'il sert, et en même temps reçoit l'instruction et l'éducation que comporte sa naissance. Plus tard, il devient écuyer (armiger) et à ce titre est attaché au service personnel d'un chevalier, qu'il accompagne à la chasse, dans les tournois, à la guerre. Il complète ainsi son éducation militaire jusqu'à ce qu'il soit en âge d'être fait chevalier. L'âge de la chevalerie a beaucoup varié. Il y a des exemples d'enfants armés chevaliers à dix ou onze ans ; on se rappelle qu'à douze ans, sous les Carolingiens, on prêtait au souverain le serment de fidélité. Très fréquemment c'est à quinze ans qu'on entrait dans la chevalerie ; c'était l'âge de la majorité chez les Germains, et pendant tout le moyen âge, c'est lorsque son fils aillé atteignait l'âge de quinze ans que le seigneur pouvait requérir l'aide de chevalerie. Toutefois, il y eut tendance à reculer jusqu'à vingt et un ans, c'est-à-dire jusqu'à l'époque de la majorité, l'âge de l'entrée dans la chevalerie.

Le plus souvent la date de la cérémonie, de l'adoubement — c'est le terme technique —, était choisie et fixée d'avance ; elle coïncidait d'ordinaire avec une grande fête de l'Église ; mais souvent aussi on créait des chevaliers à l'improviste, sur le champ de bataille, après des actions d'éclat, ou même avant la bataille, au moment d'engager l'action.

Au commencement et jusqu'au milieu du XIIe siècle, la cérémonie est encore très simple : elle consiste essentiellement dans la remise des armes au jeune écuyer, par un chevalier. On s'adressait pour cela à un puissant baron, à son suzerain, au roi ; souvent le père tenait à adouber lui-même son fils ; les Espagnols s'armaient eux-mêmes. La scène se passait le plus souvent sur le perron du château, en présence de la foule assemblée. Le parrain ou les parrains, car souvent on en requérait plusieurs, revêtaient le candidat du haubert et du heaume, lui ceignaient l'épée, lui chaussaient les éperons dorés, après quoi l'un d'eux lui donnait la colée ; il faut entendre par là un formidable coup de la paume de la main assené sur la nuque. Quand les mœurs s'adoucirent, on la remplaça par l'accolade, un simple attouchement, quelques coups du plat de l'épée ou même un baiser. En quoi faisant on adressait au nouveau chevalier quelques paroles très brèves, souvent ces deux mots seuls : Sois preux. Le cheval était tenu en main au bas du perron ; aussitôt armé, le chevalier devait l'enfourcher sans s'aider de l'étrier et courir un eslai, c'est-à-dire faire un temps de galop. Après quoi il lui restait encore à courir une quintaine. On appelait ainsi une sorte de jeu ou plutôt d'épreuve qui consistait à s'escrimer à cheval contre une espèce de mannequin armé d'un haubert ou d'un heaume.

Ainsi qu'on le voit, le rituel de l'adoubement était, au début, tout militaire et très simple. Il se compliqua plus tard. Il s'y ajouta d'abord des cérémonies religieuses, telles que la veillée des armes dans l'église, la bénédiction de l'épée, une messe solennelle ; peu à peu, la cérémonie devint de plus en plus ecclésiastique : l'ancien adoubement se transforma en une espèce de sacrement administré par l'évêque ; ce fut l'évêque qui lit les chevaliers, leur ceignit l'épée, leur donna l'accolade et leur adressa un sermon sur leurs devoirs. Sous le titre de Benedictio novi militis d'anciens pontificaux nous ont conservé tout le rituel, toute la liturgie de ces cérémonies Plus tard encore, il s'y ajouta tout un développement symbolique et mystique très compliqué et très raffiné, des jeûnes, des veillées, des confessions et des communions préparatoires, le bain symbolique au sortir duquel le néophyte était revêtu de vêtements de couleurs allégoriques. C'est le rituel du XVe siècle, celui qu'ont seul connu pendant longtemps les historiens de la chevalerie.

Dès la fin du XIIe siècle, en effet, sous l'influence du développement de la civilisation, sous l'influence aussi des romans de la Table ronde, l'idéal chevaleresque s'était peu à peu sensiblement modifié. A l'ancienne cavalerie féodale, encore barbare et violente, mais singulièrement virile et propre à développer toutes les qualités du gentilhomme, se substituait peu à peu une chevalerie galante et amollie où les belles manières remplaçaient les brutalités héroïques, où la témérité, l'imprudence et parfois l'extravagance tenaient lieu du courage véritable. C'est la chevalerie d'aventures, mise en honneur par ces romans si répandus depuis le XIIIe siècle, dont l'Orlando de l'Arioste et plus tard le Don Quichotte sont de merveilleuses et cruelles parodies. Au lieu des récits épiques des vieilles chansons de geste, ces romans nous montrent fou-jours quelque beau chevalier partant, à travers des pays merveilleux, à la recherche des aventures, faisant des vœux extravagants, mettant son point d'honneur à tenir des serments futiles, allant de tournois en tournois, portant aux plus hardis des défis insolents, vainqueur des plus braves grâce à des talismans, arrêté par des enchantements, délivré par quelque belle princesse pour l'amour de laquelle il fait de nouveaux vœux, retourne à de nouvelles aventures et. à de nouveaux combats.

Les tournois qui, pendant la première période, avaient été l'image de la guerre et une rude préparation au métier des armes, devinrent la principale occupation des chevaliers ; mais loin de préparer à la guerre, ces fêtes brillantes et fastueuses, qui en différaient de plus en plus, en écartèrent plutôt la noblesse dont elles devinrent l'occupation principale et qu'elles contribuèrent à ruiner. Le luxe inouï qu'on déploya dans ces fêtes, les prodigalités auxquelles elles conduisirent eurent même cette conséquence singulière d'introduire dans la guerre des idées de profit et de lucre : les chevaliers en vinrent à combattre pour faire des prisonniers et leur demander ensuite de grosses rançons. Telle était la chevalerie, aussi imprudente et malhabile que brillante, qui fut pendant la guerre de Cent ans la cause de tous les revers de la France. Le XIIe siècle avait marqué l'apogée de l'institution, les symptômes de décadence s'étaient manifestés

cours du mue siècle, le mye et le XVe siècle marquent le terme de la décadence et de la décrépitude. Il y eut bien, au XVIe siècle, sous la personnification de Bavard, le chevalier sans peur et sans reproche, une tentative de renaissance chevaleresque, mais ce ne fut qu'une apparence : les destinées de la chevalerie étaient dès lors accomplies et les formes qui persistèrent quelque temps encore n'en furent plus que de vaines survivances.

 

A. GIRY, Chevalerie, dans la Grande Encyclopédie (H. Lamirault, éditeur), t. X.

 

III. — LA FÉODALITÉ EN LANGUEDOC.

La transformation du bénéfice viager en fief irrévocable s'opéra, dans le Midi, de l'an 900 à l'an 950 ; passé cette date, la féodalité est constituée.

En Languedoc, bien des ennemis attaquèrent de bonne heure le régime féodal : le droit germanique, origine principale de ce régime, est dès lexie siècle battu en brèche par le droit romain, droit coutumier des anciens habitants du pays depuis près de mille ans ; l'Église, qui a dû entrer dans ce cadre étroit de terres et de personnes superposées, finit par en échapper et se constitue une existence indépendante ; enfin, à partir du XIIe siècle, les bourgeois des villes, enrichis par le commerce et par l'industrie, réclament des libertés et fondent au milieu des seigneuries de véritables républiques. Ajoutons encore la royauté qui, toute-puissante dans le Midi dès la fin du mile siècle, transforma rapidement ce régime décrépit.

***

On reconnaît généralement dans le nord de la France deux espèces de propriétés féodales : le fief et la censive, l'un ne devant que des services honorables, l'autre payant un cens en argent et des redevances en nature. Il est difficile d'admettre que cette distinction ait existé dans le Midi, où le fief, dans plus d'un cas, avait à paver des redevances pécuniaires, tandis que les censitaires n'étaient point exempts, aussi généralement qu'on le suppose, du service militaire ; les bourgeois, les vilains eux-mêmes y étaient astreints ; et dans les villes neuves de la Marche d'Espagne, le suzerain se réservait spécialement l'ostis et la cavalcata sur tous les habitants des nouveaux villages.

Mais on peut distinguer au moins deux espèces de fiefs : à l'origine le fief semble être le bénéfice devenu héréditaire ; plus tard c'est une concession à titre onéreux. On donna en fief des terres, des droits utiles, pour assurer la culture des unes, la perception des autres ; ce fut tout un système d'administration. C'est ainsi qu'il y avait en Rouergue un fevum sirventale ; le vassal est le serviens, le sergent du suzerain, il perçoit ses revenus et veille sur ses intérêts. Nous voyons encore concéder à titre de fiefs des droits de péage, des salles basses dans un château, des églises, des revenus ecclésiastiques. Dès le milieu du XIe siècle, on devient feudataire en recevant du suzerain une somme d'argent : l'archevêque Guifred de Narbonne fit du vicomte de Béziers son vassal en lui donnant en fief héréditaire une certaine somme en deniers ou en denrées.

La possession d'un fief, quel qu'il fie, imposait au feudataire des devoirs, dont les principaux étaient la prestation de l'hommage et du serment de fidélité, et le service militaire.

***

I. — On appelle hommage la reconnaissance due par le vassal à son seigneur ; c'est la même chose que l'ancienne recommandation ; le vassal s'avoue l'homme de son suzerain pour raison de tel ou tel fief, de tel ou tel domaine. La forme de l'hommage est, à l'origine, celle de l'ancienne recommandation ; le vassal fléchit le genou, met ses mains dans celles du suzerain ; ils échangent le baiser de paix.

Les plus anciens actes d'hommage sont rédigés en un langage barbare, mélange de formes latines et de formes vulgaires (Xe, XIe siècle). Plus tard, dans les pays de Toulouse et de Carcassonne, la langue latine l'emporta ; dès le commencement du XIIe siècle, les hommages prêtés au vicomte Bernard Aton de Carcassonne sont en latin. Dans le Languedoc oriental, au contraire, ce fut le provençal qui triompha, et, jusqu'au commencement du mir siècle, les Hommages rendus au seigneur de Montpellier furent rédigés en langue vulgaire, sauf la date et les noms des témoins qui furent écrits en latin.

Quand un fief avait été partagé entre plusieurs enfants, à l'origine le fils ainé devait seul l'hommage. En 1269, Alphonse de Poitiers, renouvelant une ordonnance de Philippe Auguste, décida qu'à l'avenir chacun des copartageants devrait séparément l'hommage. Quand le fief était entre les mains d'une femme, le mari prêtait l'hommage au nom de celle-ci. Si le possesseur du fief était un mineur, son tuteur était astreint à sa place à toutes les obligations du vassal, mais le jeune feudataire devait renouveler personnellement l'hommage quand il avait atteint l'âge de chevalier.

Le serment de fidélité se prêtait en même temps que l'hommage, et il était généralement énoncé dans le même acte. Il se prêtait sur les saints évangiles ou sur des reliques, les clercs se tenant debout devant le livre ou devant le reliquaire et récitant la formule la main sur la poitrine — inspectis sacrosanctis evangeliis —, les laïques posant la main sur l'évangile ou sur la relique — tactis sacrosanctis evangeliis —. Mais le serment de fidélité n'était pas toujours une conséquence directe de la recommandation [, comme l'était la prestation d'hommage]. En principe tout habitant libre d'une seigneurie devait ce serment au seigneur de la terre. On trouve dans le Languedoc des exemples fort anciens de serments prêtés par tous les hommes libres d'une seigneurie. En 1107, par exemple, les bourgeois de Carcassonne jurèrent au vicomte Bernard Aton de lui être fidèles, de ne point le tromper, de ne point lui nuire, de le secourir contre quiconque essayerait de lui enlever la ville. Rappelons que l'Église imposa aussi l'obligation du serment à tous les fidèles, quand, dans ses conciles provinciaux, elle eut organisé la paix de Dieu.

II. — Des obligations qui incombaient au vassal le service militaire était, à tous les points de vue, la plus importante. Ce fut elle qui donna à la féodalité son caractère de police guerrière et qui lui permit de créer un nouvel état social. A l'époque carolingienne, le service militaire n'était dû qu'au souverain, à celui auquel tous les sujets avaient prêté le serment de fidélité. Le senior ne pouvait l'exiger de son vassus. Mais on comprend que les comtes et autres officiers royaux aient pu exiger pour eux-mêmes le service de guerre qu'ils demandaient aux fidèles de l'empereur pour celui-ci ; ils sont restés les seuls représentants du pouvoir central ; ils administrent le pays, et presque tous les hommes libres qui l'habitent sont devenus leurs recommandés. En outre, dans l'état où se trouve le pays, la fidélité due au seigneur comporte surtout la défense de sa vie, exposée tous les jours dans des aventures de grande route. Les guerres civiles, dès l'époque de Charles le Chauve, ravagent continuellement le Midi, et chaque homme puissant s'entoure de gens à lui qui l'aideront dans l'attaque et dans la défense. L'obligation pour le vassal de rendre à son seigneur le service militaire est donc une suite naturelle du serment de fidélité qu'il lui a prêté, serment qui l'oblige à défendre sa vie, son honneur et ses biens.

Le plus ancien texte qui nous montre le service de guerre dû à un particulier est un acte de l'an 954. Ce service y est représenté comme condition de l'inféodation de certains châteaux. Il est dû par le feudataire envers et contre tous, à l'exception du comte d'Urgel, suzerain supérieur. Cet acte, dont les termes sont les mêmes que ceux des actes du XIIe siècle, offre déjà l'énumération des différentes formes du service militaire féodal, l'hostis, la cavalcata, et l'obligation de rendre les châteaux forts à la première réquisition.

Entre ces deux termes, hostis et cavalcata, il n'y a que peu de différence ; le droit de requérir à la fois l'une et l'autre fut possédé par la plupart des seigneurs méridionaux. Ces deux termes paraissent seulement désigner des guerres plus ou moins importantes. L'hostis ou ostis est la grande expédition régulière, entraînant le siège de quelque château ennemi ; la cavalcata (chevauchée) est plutôt une promenade militaire en pays ennemi. Ce que nous savons des guerres féodales des me et XIIe siècles nous fait penser qu'elles consistèrent surtout en chevauchées.

A l'origine, tout possesseur de fief doit, personnellement et à ses frais, le service militaire. On peut même dire que cette obligation est, avec l'hérédité, la plus grande différence qui existe entre le bénéfice et le fief. Mais jamais l'exercice de ce droit de réquisition du suzerain ne fut réglementé dans le Midi, ou du moins il ne le fut que dans certaines seigneuries. Jamais ne s'établit dans le Languedoc une règle générale comme celle des quarante jours de service du Nord de la France. Nombre de textes prouvent que dans cette province les vassaux restèrent à la discrétion du seigneur, qui put les convoquer aussi souvent, pour un temps aussi long qu'il le voulut. — Ce service, en apparence si rigoureux, admit pourtant, en pratique, de notables adoucissements. La plupart des villes s'en firent exempter. Un savant de nos jours a même pu dire qu'au XIIIe siècle beaucoup de fiefs du Languedoc ne le devaient plus, parce qu'il était tombé peu à peu en désuétude ; c'est ce qui expliquerait en partie la faiblesse et l'inexpérience des armées méridionales pendant la guerre des Albigeois et la honteuse défaite de Muret.

Au service militaire proprement dit se rattache une obligation qui incombe à tout possesseur de forteresse. En principe, tout château est rendable à merci, c'est-à-dire qu'à la première réquisition du suzerain, irrité ou apaiséiratus vel pacatus —, le vassal doit lui remettre sa forteresse. Cette demande du seigneur peut avoir deux motifs : tantôt il l'exige à titre de simple reconnaissance de sa suzeraineté — recognitio dominii —, tantôt par défiance à l'égard du vassal. C'est cette alternative que les actes expriment brièvement par la clause iratus vel pacatus. — Cette obligation du château rendable à merci, qui parait dès le milieu du Xe siècle, finit par devenir si universelle que, dans un acte de 1190, un vassal puissant stipule qu'il en sera affranchi.

A l'époque féodale, les guerres privées furent continuelles et les forteresses prirent rapidement une grande importance. Simples châteaux de bois plus ou moins fortifiés au Xe siècle, elles sont de briques ou de pierre au XIIe[1]. Aussi les suzerains essayèrent-ils d'entraver ces constructions qui permettaient à leurs vassaux de leur résister avec succès. Peu à peu s'introduisit dans les actes d'hommage une clause portant défense aux vassaux d'augmenter les anciennes forteresses ou d'en construire de nouvelles. En 1128, le comte d'Ampurias ayant fait creuser de nouveaux fossés et élever de nouvelles murailles, le comte de Barcelone le force à remettre le château dans son premier état. En 1146, à Barcelone, malgré la défense du comte, un de ses vassaux a construit une forteresse ; le suzerain prend conseil de ses prud'hommes, et ceux-ci le décident à concéder le nouveau château en alleu à ses constructeurs, en ne se réservant que le droit d'en user en temps de guerre envers et contre tous. A cause du malheur des temps, la plupart des monastères durent demander à leurs suzerains, pendant le XIIe siècle, des permissions analogues : c'était le seul moyen d'assurer à leurs hommes un peu de sécurité ; ils ne les obtinrent parfois qu'à prix d'argent.

Outre le service d'ost et de chevauchée, nous trouvons encore, dans le Midi comme dans le Nord, une autre forme de service militaire imposée aux vassaux : c'est l'estage ou obligation de résider pendant un certain temps chaque année dans le château du seigneur et d'y tenir garnison. L'histoire de l'estage de Carcassonne est typique. En 1125, le vicomte Bernard Aton venait de rentrer dans sa ville de Carcassonne, dont les habitants étaient révoltés depuis trois ans. Sa victoire fut naturellement suivie de nombreuses confiscations. Pour s'attacher ses hommes, le vainqueur leur distribua les terres des traîtres et créa dans la ville de Carcassonne un certain nombre de châtellenies. Chaque tour de la cité avec la maison attenante (mansus) forma un fief qui entraîna, outre les obligations ordinaires, les charges suivantes : résidence, soit perpétuelle — per totum annum —, soit temporaire — quatre ou huit mois par an —, dans la cité ; le feudataire doit amener sa famille avec lui et prête un serment spécial, relatif à la bonne et fidèle garde de la ville et des faubourgs. Le tout forme une castellania, et le feudataire s'appelle castellanus. Un serment collectif du 4 avril 1126 nous donne les noms de tous ces châtelains ; ils étaient alors au nombre de seize, dont le plus considérable était un seigneur du Narbonnais, Bernard de Canet ; les autres appartenaient aux meilleures maisons de Carcassès et notamment à la famille Pelapol, qui joua un grand rôle à Carcassonne pendant tout le XIIe siècle.....

 

D'après A. MOLINIER, Étude sur l'administration féodale dans le Languedoc (900-1250), dans l'Histoire générale de Languedoc (éd. Privat), Toulouse, t. VII (1879), p. 152.

 

IV. LES MŒURS FÉODALES DANS RAOUL DE CAMBRAI.

Le comte Raoul Taillefer, à qui l'empereur de France avait, en récompense de ses services, concédé le fief de Cambrai et donné sa sœur en mariage, est mort, laissant sa femme, la belle Aalais, grosse d'un fils. Ce fils, c'est Raoul de Cambrai, le héros du poème. Il était encore petit enfant lorsque l'empereur voulut, sur l'avis de ses barons, donner le fief de Cambrai et la veuve de Raoul Taillefer au Manceau Gibouin, l'un de ses fidèles. Aalais repoussa avec indignation cette proposition, mais si elle réussit à garder son veuvage, elle ne put empêcher le roi de donner au Manceau le Cambrésis.

Cependant le jeune Raoul grandissait. Lorsqu'il eut atteint l'âge de quinze ans, il prit pour écuyer un jeune homme de son âge, Bernier, fils bâtard d'Ybert de Ribemont. Bientôt le jeune Raoul, accompagné d'une suite nombreuse, se présente à la cour du roi, qui le fait chevalier et ne tarde pas à le nommer son sénéchal. Après quelques années, Raoul, excité par son oncle Guerri d'Arras, réclame hautement sa terre au roi. Celui-ci répond qu'il na peut en dépouiller le Manceau Gibouin qu'il en a investi. Empereur, dit alors Raoul, la terre du père doit par droit revenir au fils. Je serais blâmé de tous si je subissais plus longtemps la honte de voir ma terre occupée par un autre. Et il termine par des menaces de mort à l'adresse du Manceau. Le roi promet alors à Raoul de lui accorder la première terre qui deviendra vacante. Quarante otages garantissent cette promesse.

Un an après, le comte Herbert de Vermandois vient à mourir. Raoul met aussitôt le roi en demeure d'accomplir sa promesse. Celui-ci refuse d'abord : le comte Herbert a laissé quatre fils, vaillants chevaliers, et il serait injuste de déshériter quatre personnes pour l'avantage d'une seule. Raoul, irrité, ordonne aux chevaliers qui lui ont été assignés comme otages de se rendre dans sa prison. Ceux-ci vont trouver le roi, qui se résigne alors à concéder à Raoul la terre de Vermandois, mais sans lui en garantir aucunement la possession. Douleur de Bernier qui, appartenant par son père au lignage de Herbert, cherche vaine-nient à détourner Raoul de son entreprise.

Malgré les prières de Bernier, malgré les sages avertissements de sa mère, Raoul s'obstine à envahir la terre des fils Herbert. Au cours de la guerre le moutier d'Origny est incendié, les religieuses qui l'habitaient périssent dans l'incendie, et parmi elles Marsens, la mère de Bernier, sans que son fils puisse lui porter secours. Par suite une querelle surgit entre Bernier et Raoul. Celui-ci, emporté par la colère, injurie gravement son compagnon et finit par le frapper d'un tronçon de lance. Bientôt revenu de son emportement, il offre à Bernier une éclatante réparation, mais celui-ci refuse avec hauteur et se réfugie auprès de son père, Ybert de Ribemont.

Dès lors commence la guerre entre les quatre fils de Herbert de Vermandois et Raoul de Cambrai. Les quatre frères rassemblent leurs hommes sous Saint-Quentin. Avant de se mettre en marche vers Origny, ils envoient porter à Raoul des propositions de paix qui ne sont pas acceptées. Un second messager, qui n'est autre que Bernier, vient présenter de nouveau les mêmes propositions. Raoul eut été disposé à les accueillir, mais son oncle, Guerri d'Arras, l'en détourne. Bernier défie alors son ancien seigneur : il veut le frapper, et se retire poursuivi par Raoul et les siens. Bientôt le combat s'engage. Dans la mêlée, Bernier rencontre son seigneur, et de nouveau il lui offre la paix. Raoul lui répond par des paroles insultantes. Les deux chevaliers se précipitent l'un sur l'autre et Raoul est tué.

Guerri demande une trêve jusqu'à ce que les morts soient enterrés. Elle lui est accordée, mais, à la vue de son neveu mort, sa colère se réveille, et il recommence la lutte. Il est battu et s'enfuit avec les débris de sa troupe.

On rapporte à Cambrai le corps de Raoul. Lamentations d'Aalais. Sa douleur redouble quand elle apprend que son fils a été tué  par le bâtard Bernier. Son petit-fils Gautier vient auprès d'elle : c'est lui qui héritera du Cambrésis. Il jure de venger son oncle. Reluis de Ponthieu, l'amie de Raoul, vient à son tour pleurer sur le corps de celui qu'elle devait épouser. On enterre Raoul.

Plusieurs années s'écoulent. Gautier est devenu un jeune homme ; il pense à venger son oncle. Guerri l'arme chevalier et la guerre recommence. Un premier engagement a lieu sous Saint-Quentin. Gautier se mesure par deux fois avec Bernier, et à chaque fois le désarçonne. A son tour Bernier, qui a vainement offert un accord à son ennemi, vient assaillir Cambrai. Gautier lui propose de vider leur querelle par un combat singulier. Au jour fixé, les deux barons se rencontrent, chacun ayant avec soi un seul compagnon : Aliaume de Namur est celui de Bernier, et Gautier est accompagné de son grand-oncle Guerri. Le duel se prolonge jusqu'au moment où les deux combattants, couverts de blessures, sont hors d'état de tenir leurs armes. Mais un nouveau duel a lieu aussitôt entre Guerri et Aliaume. Ce dernier est blessé mortellement ; Gautier, un peu moins grièvement blessé que Bernier, l'assiste à ses derniers moments. Bernier, qui est cause de ce malheur, car c'est lui qui a excité Aliaume à se battre, accuse Guerri d'avoir frappé son adversaire en trahison. Fureur de Guerri qui se précipite sur Bernier et l'aurait tué si Gautier ne l'avait protégé. Bernier et Gautier retournent, l'un à Saint-Quentin, l'autre à Cambrai.

Peu après, à la Pentecôte, l'empereur mande ses barons à sa cour. Guerri et Gautier, Bernier et son père Ybert de Ribemont se trouvent réunis à la table du roi. Guerri frappe Bernier sans provocation. Aussitôt une mêlée générale s'engage, et c'est à grand'peine qu'on sépare les barons. Il est convenu que Gautier et Bernier se battront de nouveau. Ils se font de nombreuses blessures. Enfin, par ordre du roi, on les sépare, quand tous deux sont hors d'état de combattre. Le roi les fait soigner dans son palais, mais il a le tort de les mettre trop près l'un de l'autre, dans la même salle, où ils continuent à s'invectiver.

Cependant dame Aalais arrive aussi à la cour du roi son frère. Apercevant Bernier, elle entre en fureur, et saisissant un levier, elle l'eût assommé, si on ne l'en avait empêchée. Bernier sort du lit, se jette à ses pieds. Lui, ses oncles et ses parents implorent la merci de Gautier et d'Aalais qui finissent par se laisser toucher. La paix est rétablie au grand désappointement du roi contre qui Guerri se répand en plaintes amères, l'accusant d'avoir été la cause première de la guerre. Le roi choisit ce moment pour dire à Ybert de Ribemont que, lui mort, il disposera de la terre de Vermandois. Mais, répond Ibert, je l'ai donnée l'autre jour à Bernier. — Comment diable ! répond le roi, est-ce qu'un bâtard doit tenir terre ? La querelle s'envenime, les barons se jettent sur le roi qui est blessé dans la lutte. Ils se retirent en mettant le feu à la cité de Paris, et chacun retourne en son pays, tandis que le roi mande ses hommes pour tirer vengeance des barons qui l'ont insulté....

***

Cherchons maintenant dans l'histoire quels événements ont pu être le point de départ de cette longue suite de récits.

Le héros de notre poème a cela de commun avec Roland, que sa mort est racontée brièvement par un annaliste contemporain, mais en des termes suffisamment précis pour qu'il ne soit pas possible de révoquer en doute le caractère historique d'une portion importante de la première partie de Raoul de Cambrai.

En l'année 943, écrit Flodoard, mourut le comte Herbert. Ses fils l'ensevelirent à Saint-Quentin, et, apprenant que Raoul, fils de Raoul de Gouy, venait pour envahir les domaines de leur père, ils l'attaquèrent et le mirent à mort. Cette nouvelle affligea fort le roi Louis.

La seule chose qui, dans les paroles du chanoine de Reims, ne concorde qu'imparfaitement avec le poème, c'est le nom du père de Raoul. Mais cette différence est certainement plus apparente. que réelle, car, si Flodoard le nomme Raoul de Gouy et non Raoul de Cambrésis, nous savons d'ailleurs que ce Raoul, mort dix-sept ans auparavant, avait été comte et selon toute vraisemblance, comte en Cambrésis, puisque Gouy était situé dans le pagus ou comitatus Cameracensis, au milieu d'une région forestière, l'Arrouaise, dont les habitants sont présentés par le poète comme les vassaux du jeune Raoul de Cambrai.

Raoul de Gouy ne doit pas être distingué de ce comte Raoul, qui, en 921, semble agir en qualité de comte du Cambrésis, lorsque, avec l'appui de Haguenon, le favori de Charles le Simple, il obtient de ce prince que l'abbaye de Maroilles soit donnée à l'évêque de Cambrai. Quoi qu'il en soit, Raoul de Gouy prit une part active aux événements qui suivirent la déchéance de Charles le Simple : ainsi, il accompagnait, en 923, les vassaux de Herbert de Vermandois et le comte Engobrand dans une heureuse attaque du camp des Normands qui, sous le commandement de Rögnvald, roi des Normands des bouches de la Loire, étaient venus, à l'appel de Charles, ravager la portion occidentale du Vermandois. Ses terres, on ne sait pourquoi, furent exceptées deux ans après (925), ainsi que le comté de Ponthieu et le marquisat de Flandre, de l'armistice que le duc de France, Hugues le Grand, conclut alors avec les Normands. Raoul de Gouy terminait, vers la fin de l'année 926, une carrière qui, malgré sa brièveté, paraît avoir été celle d'un homme fameux en son temps....

Selon le poème, Raoul Taillefer aurait épousé Aalais, sœur du roi Louis, qu'il aurait laissée, en mourant, grosse de Raoul, le futur adversaire des fils Herbert. Ces circonstances sont loin d'être invraisemblables. Aalais est, en effet, le nom d'une des nombreuses sœurs du roi Louis d'Outremer, issues du mariage de Charles le Simple avec la reine Fréderune, et il n'est pas impossible qu'en 926, date de la mort de Raoul de Gouy, elle fût mariée à l'un des comtes qui avaient été les sujets de son père ; d'autre part, en supposant que Raoul de Gouy, mort prématurément en 926, ait laissé sa femme enceinte d'un fils, ce fils posthume, lors de la mort de Herbert de Vermandois, en 943, aurait eu dix-sept ans environ, âge qui n'est en désaccord ni avec le texte de Raoul de Cambrai, ni avec ce que nous savons de l'époque carolingienne, car en ce temps on entrait fort ,jeune dans la vie active et surtout dans la vie militaire ; ainsi, pour n'en citer qu'un exemple entre tant d'autres, un roi carolingien, Louis III, celui-là même dont un poème en langage francique et la chanson de Gormond célèbrent la lutte contre les Normands, Louis III mourut âgé au plus de dix-neuf ans, un an après avoir battu les pirates du Nord, deux ans après qu'il eût conduit une expédition en Bourgogne contre le roi Boson.

Quoi qu'il en soit de l'origine de la comtesse Aalais, femme de Raoul de Gouy, son souvenir se conserva durant plusieurs siècles dans l'église cathédrale de Cambrai et dans l'abbaye de Saint-Géry de la même ville, à raison de legs qu'elle leur avait faits pour le repos de l'âme de son malheureux fils ; c'est du moins ce qu'attestent une charte de Liebert, évêque de Cambrai, rédigée vers 1050, et la chronique rimée vers le milieu du une siècle par Philippe Mousket....

Les mœurs féodales dans la première partie du Raoul portent en plus d'une strophe les marques d'une certaine antiquité ; il serait difficile toutefois de faire ici le départ de ce qui appartient véritablement au Xe siècle. L'hérédité des fiefs n'y est point encore complètement établie, mais il faut reconnaître que les remanieurs ne pouvaient guère, sans nuire à l'économie du poème, introduire sur ce point les coutumes de leur temps. La réparation à la fois éclatante et bizarre que Raoul offre à Bernier après l'incendie d'Origny[2], et qui est l'une des formes de l'harmiscara des textes carolingiens, semble encore un trait conservé de la chanson primitive sur la mort de Raoul, mais on sait combien il est difficile de renfermer dans des limites chronologiques la plupart des usages du moyen âge : telle coutume oubliée presque totalement en France a pu se perpétuer dans le coin d'une province ; elle a pu disparaître complètement de notre pays et se conserver plusieurs siècles encore à l'étranger. C'est pourquoi nous croyons sage de nous abstenir de plus amples considérations.

 

P. MEYER et A. LONGNON, Raoul de Cambrai, chanson de geste, Paris, 1882, in-8°. Introduction, passim.

 

 

 



[1] [Le château féodal du Xe siècle, dit M. Viollet-le-Duc, consistait en une enceinte de palissades entourée de fossés ou d'une escarpe de terre. Au milieu de l'enceinte s'élevait un tertre factice ou motte, sur lequel on bâtissait une maison carrée, en bois, à trois ou quatre étages, ce qui lut plus tard le donjon. Pour protéger ce donjon primitif contre les projectiles incendiaires, on étendait sur la plateforme et sur les murs extérieurs des peaux de bêtes récemment écorchées. Les palissades de défense avancée s'appelaient haies quand elles étaient formées de haies vives, plessis (plexitium) quand elles étaient formées de fascines de branchages entrelacés, fertés (firmitates) quand c'étaient des enceintes en planches avec des tourelles de distance en distance. Il existe encore dans le centre de la France, et surtout dans l'Ouest, des traces de ces châteaux primitifs. Les châteaux de Langeais, de Beaugency et de Loches sont du XIe siècle. Tout autrement formidables sont les châteaux du XIIe siècle, tout en pierres de taille, véritables camps retranchés, avec leur double enceinte de murailles crénelées, leurs donjons et leurs bailles. — Voyez ci-dessous la description du château du Krak des Chevaliers.]

[2] Voici en quoi consistait cette réparation : Raoul offrait de se rendre d'Origny à Nesle, localités qu'une distance de 14 lieues (en réalité 43 kil.) séparait, accompagné de cent chevaliers portant chacun sa selle sur la tête ; Raoul, chargé de celle de son ancien écuyer, aurait dit à toutes les personnes qui se seraient trouvées sur son chemin : Voici la selle de Bernier. Les hommes de Raoul trouvaient fort acceptable, pour Bernier, cette amendise que l'offensé refusa hautement.