LA PUCELLE DE FRANCE

HISTOIRE DE LA VIE ET DE LA MORT DE JEANNE D'ARC

 

CHAPITRE XXIII. — LE PROCÈS.

 

 

II

LA QUESTION DE SOUMISSION À L'ÉGLISE.

 

JEANNE était en état de péché mortel, ces docteurs érudits le savaient ! C'est le côté faible des gens de science de penser qu'ils connaissent tout ; tandis qu'avec un véritable esprit scientifique, Jeanne proclamait sa propre ignorance, s'en remettant à sa foi et à son espérance en Dieu. Son intelligence, à elle, était droite et claire.

Le 15 mars, on commença à lui demander si elle voulait soumettre au jugement de l'Église ses soi-disant fautes en matière de foi, c'est-à-dire, soumettre la question de la nature de ses Voix — bons ou mauvais esprits — au verdict de ses ennemis politiques personnels, constitués par cette assemblée de clercs anglo-bourguignons. Si elle dit oui, ils décideront que les Voix viennent du Diable et ils la brûleront, en cas de non-abjuration. Si sa réponse est non, on la déclarera contumace et on l'enverra au bûcher. Cependant, la question tout entière, dit le chanoine Dunand, était une des causes majeures qui, d'après le droit canon, sont réservées au jugement du pape. Mais ces clercs français avaient déjà brûlé Pierronne, six mois auparavant, pour sa foi en ses visions, sans déranger Sa Sainteté.

Jeanne demande que les clercs examinent la question ; elle soumettra leur verdict à son Conseil. Elle ne veut soutenir quoi que ce soit contre la foi chrétienne, ainsi que l'a instituée Notre-Seigneur.

La distinction entre l'Église militante sur la terre — qui ne peut pas se tromper — et l'Église triomphante dans le ciel — à laquelle elle en appelait en la personne de ses saints, lui fut expliquée, et elle la comprit en un instant, bien que tout d'abord elle ne s'en soit pas rendu compte et ait dit qu'on devait lui permettre d'aller à l'église. Simple comme elle était, elle apprécia pleinement la situation aussitôt qu'on lui eut donné des éclaircissements. Il était évident toutefois qu'étant inspirée directement par l'Église triomphante, elle ne se soumettrait jamais à l'Église des malveillants de Rouen. Elle déclara qu'elle avait le droit absolu de s'échapper si elle trouvait une occasion. Elle était disposée à porter les vêtements de femme si on lui permettait d'entendre la messe. Faites-moi faire une robe longue sans queue et laissez-moi aller à la messe. An retour je reprendrai l'habit d'homme. Puis elle supplia qu'on lui laissât entendre la messe dans le costume qu'elle portait. Ils revinrent alors aux vieilles questions sur ses saints ; ils lui demandèrent comment elle savait que c'étaient de bons esprits, et il leur fut répondu comme auparavant.

Le 17 mars, ils recommencèrent. Pour ses actes elle s'en rapporte à Notre-Seigneur qui l'a envoyée. Puis, se mettant à prophétiser, elle annonce que les Français gagneront bientôt une grande besogneunum magnum negotiumque Dieu leur enverra, et qui ébranlera tout le royaume. Je le dis afin que quand cela sera arrivé on se souvienne que j'en ai parlé. C'est la prédiction de la réconciliation de la France et de la Bourgogne en 1435 par le traité d'Arras, coup mortel pour la domination anglaise et le duc de Bedford.

Après cette prophétie désagréable pour les juges, ceux-ci s'occupèrent de sa soumission à l'Eglise. Je m'en rapporte à Dieu qui m'a envoyée, à la Vierge et à tous les saints et saintes de paradis. Je crois que Notre-Seigneur et l'Église c'est tout un, et qu'il ne doit point y avoir de difficulté là-dessus ; pourquoi en faites-vous ?

Ils expliquèrent à nouveau que l'Église sur la terre, le pape et tout le clergé, ne pouvaient se tromper, étant gouvernés par le Saint-Esprit. Elle répéta ce qu'elle avait dit et différa sa réponse sur l'Église militante. Si je dois être mise à mort, je réclame une chemise de femme et un capuchon sur la tête, car j'aime mieux mourir que d'abandonner l'œuvre que le Seigneur m'a confiée ; mais je crois fermement que Dieu ne me laissera pas tomber si bas que je puisse manquer de son appui et de son intercession miraculeuse.

Si vous portez un habit d'homme par coin-mandement de Dieu, pourquoi demandez-vous une chemise de femme à l'heure de la mort ?

Il me suffit qu'elle soit longue, répondit-elle par raisons de modestie.

On revint à des bagatelles comme les cinq croix de son épée, et dans l'après-midi on l'interrogea une dernière fois avant de clore l'enquête préliminaire. On la tourmenta encore par des enfantillages ; on lui demanda si elle croyait que ses Voix l'abandonneraient si elle venait à se marier. Elle répondit : Je ne sais et m'en rapporte à Notre-Seigneur.

Votre roi fit-il bien de tuer le duc de Bourgogne ?

Ce fut un grand dommage pour le royaume de France, mais quoi qu'il y ait eu entre eux, Dieu m'a envoyée pour secourir la France.

Répondriez-vous entièrement au pape ?

Je vous requiers de m'emmener vers lui et je lui répondrai tout ce que je devrai. Les experts en droit canon regardent ceci comme un appel irrégulier mais valide an souverain pontife, et elle avait le droit légal à un tel appel.

Aurait-elle abandonné ses Voix sur l'ordre du pape ? Saint Paul aurait-il renié sa vision du chemin de Damas sur le dire de l'Église de Jérusalem ? Jeanne avait vu et entendu, et ses mains avaient touché les corps de ses saints. Comment pouvait-elle honnêtement et en tout honneur les renier, ainsi que leurs justes et saints messages ? Il était moralement impossible qu'elle agît ainsi sur les ordres d'Estivet, de Cauchon et des autres traîtres à leur roi. Le clergé du parti français fut de cet avis en 1450-1456.

L'enquête préparatoire était terminée. Pendant une semaine Estivet travailla à la résumer, et le 27 mars le procès ordinaire commença ; on lut à l'accusée les soixante-dix articles qu'Estivet avait préparés ; deux prêtres anglais, Brolbster et Hampton, se trouvaient dans la foule des assesseurs.

Cauchon proposa alors à Jeanne un avocat ; très courtoisement elle déclina l'offre, en ajoutant : Mais je n'ai point intention de me départir du conseil de Notre-Seigneur. Le tribunal ne voulut pas obliger Estivet en condamnant la Pucelle pour son refus de répondre à toutes les questions.

Il fallut donc lire les soixante-dix articles : on pouvait lui accorder des délais pour les réponses qu'elle aurait à faire. Le 28 mars, Courcelles lut ces articles à haute voix. On y demandait au tribunal de déclarer que Jeanne était sorcière, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice de mauvais esprits, magicienne, hérétique, apostate, blasphématrice séditieuse, altérée de sang, indécente, et ainsi de suite. Les articles avaient été rédigés à tort et à travers. Un passage ayant pour but de démontrer que Jeanne désobéit à ses parents dans l'affaire de Toul, au sujet de la rupture d'une promesse de mariage, a été la base d'histoires romanesques polir ses biographes. Comme nous l'avons déjà montré, elle ne parla pas de ses parents dans l'affaire de Toul et le récit qui a cours repose sur une bévue de son accusateur. Estivet représente Jeanne comme s'étant vantée à Baudricourt qu'après avoir rempli sa mission, elle aurait trois fils, un pape, un empereur et un roi.

Je serais volontiers le père de l'un d'eux, aurait dit le capitaine ; cela servirait à ma réputation.

Nenni, gentil Robert, nenni. Il n'est pas temps. Le Saint-Esprit y pourvoira.

Ainsi avait coutume de dire Robert en présence des évêques et des grands de la terre.

Jeanne répliqua qu'elle s'en rapportait à ses réponses précédentes — qui sur ce point n'existent pas —, et qu'en ce qui concerne trois fils, elle ne s'était jamais vantée ainsi. Il est possible qu'elle ait dit quelque chose ayant un sens symbolique, mais cette supposition est inutile. Une grave accusation c'est qu'elle admettait des opinions fausses sur le libre arbitre. Un autre crime qu'elle nia, fut d'avoir versé de la cire fondue sur la tête des enfants pour leur annoncer leur avenir ! Ces sottises ne sont pas consignées sur le registre des questions posées auparavant. Peut-être le rapport est-il tronqué ? La pratique de la cire correspond à celle de laisser tomber du plomb en fusion dans de l'eau, pour deviner l'avenir d'après les formes qu'il affectera. Rien ne pouvait être plus en dehors des habitudes de la Pucelle. Sa plus grande erreur fut de ne pas se soumettre à l'Église ! Des hommes et des femmes surgiront de toutes parts prétendant avoir des révélations de Dieu et des anges, et semant les mensonges et les erreurs à l'exemple de cette femme. Cette objection était très forte. Mais Jeanne avait été acceptée par le clergé de son parti, et tenue quitte sur ce point par les docteurs, ainsi que nous l'avons vu, et il apparaît que sur ce point Cauchon fut déloyal envers elle. Dans sa réplique au premier article, la traduction latine du compte rendu français lui fait dire : Je crois bien que notre Saint Père le pape de Rome et les évêques et autres ecclésiastiques sont établis pour garder la foi chrétienne, et pour punir les hérétiques ; mais pour ce qui est de moi et de mes actions — de jadis —, je ne me soumettrai qu'à l'Église du Ciel, à Dieu, à Notre-Daine, aux saints de paradis. Je crois fermement n'avoir pas failli en notre foi et je n'y voudrais pas faillir. Le rapport en latin s'arrête là, mais le français continue : je n'y voudrais pas faillir, et je requiers...

A qui s'adressait-elle ? et pourquoi l'original français écrit au tribunal se termine-t-il ainsi brusquement, tandis que la version latine officielle omet les mots : et elle requiert... ? Cette formule était celle dont elle avait usé pour demander d'être conduite devant le pape : Elle requiert qu'elle soit menée devant luy.

Le dominicain La Pierre, qui lui était favorable, se trouvait présent parmi les assesseurs. Or, le 15 février 1450, à Rouen, il déposa que Jeanne en une occasion avait dit qu'elle répondrait au pape si on la menait à lui. La Pierre lui conseilla alors de se soumettre au concile général de Bâle. Jeanne lui demanda : Qu'est-ce qu'un concile général ? Il répondit : C'est la réunion de l'Église universelle et de toute la chrétienté, et il y a là des prélats de tous les partis, aussi bien du vôtre que des Anglais. — Oh ! s'écria la prisonnière, puisqu'il y a là quelques-uns des nôtres, je me soumets volontiers au concile de Bâle !Taisez-vous de par le diable ! cria Cauchon, et il ordonna au notaire de ne pas faire mention de cet appel. Jeanne dit qu'on écrivait ce qui était contre elle, mais non ce qui était en sa faveur.

Nous avons ainsi l'explication des mots du compte rendu français écrit au tribunal : et je requiers... et on comprend la lacune qui suit. Elle fit appel, cet appel n'est point mentionné et tout l'échafaudage du procès s'écroule dans une odieuse injustice. — Sur ce point voir M. Marius Sepet, Jeanne d'Arc, pages 209, 225. Remarquez aussi Procès, t. I, p. 184, où une question relative au vêtement, à la taille, à l'âge de l'Ange qui apporta la couronne au roi est donnée dans le compte rendu français, mais non dans la traduction latine officielle.

La voie assurée de la délivrance était fermée pour Jeanne, si bien qu'elle n'avait plus aucun moyen de se soumettre à un honorable tribunal ecclésiastique ; celui qui la jugeait avait démontré sa propre incompétence. Elle répondit aux articles quand cela lui plut, et renvoya aussi à son gré aux réponses précédentes. Ayant une ferme croyance en matière de foi dans l'Église terrestre, elle entendait sur la question de fait n'être jugée que par l'Église du Ciel. Plus tard elle maintint son attitude du début. Elle dit à Cauchon que ses Voix lui parlaient souvent de lui. Que disent-elles ? répliqua-t-il.

Je vous le dirai en particulier.

Elle demanda un délai sur la question de se soumettre à l'Église militante et fut interrogée le 31 mars. Elle répondit alors courageusement qu'elle ne renierait point ses Voix. Cela était impossible. Elle obéirait à l'Église, Dieu étant premièrement servi.

Les savants docteurs du parti français, dans le procès de réhabilitation, votèrent que, par son refus de se soumettre à l'Église, la Pucelle n'était point hérétique. Bouillé décida que lorsque Jeanne dit : Menez-moi au pape, les juges auraient dû cesser leur besogne. Il appartient au pape de décider si ces sortes de Visions viennent des bons ou des malins esprits. — Les personnes à qui ces communications sont faites peuvent avoir la certitude à ce sujet autrement qu'en se soumettant au jugement de l'Église militante. Et plus loin : En supposant que les apparitions venaient de mauvais esprits, Jeanne ne devait pas être censée hérétique autant qu'elle les croyait inspirées par les esprits de lumière. Plus loin encore : Dans les questions de fait — non de dogme —, dans le cas de quelqu'un qui a eu la perception d'une chose qu'il sait certaine, aucun être humain n'a le droit de lui faire désavouer ce qu'il connaît sans aucun doute possible... Nier un fait que nous savons certain sans aucun doute, bien qu'il soit inconnu aux autres, est un mensonge, et cela est défendu par la loi divine ; c'est aller contre notre conscience. — Si Jeanne a reçu des révélations de Dieu, il n'était point raisonnable de lui ordonner de les abjurer, d'autant que l'Église n'est pas juge des choses cachées. Jeanne avait le droit absolu de refuser d'abjurer... elle suivait la loi spéciale de l'inspiration qui l'exemptait de la loi commune... Quand bien même on eût ignoré si son inspiration venait de Dieu ou des malins esprits, comme cela était chose cachée connue de Dieu seul, l'Église n'avait pas à en juger. Elle pouvait avoir tort, mais elle s'en remettait entièrement au jugement de Dieu et de sa propre conscience. La Pucelle n'était point susceptible de se tromper si elle s'en rapportait entièrement au jugement de Dieu seul. Bien plus, elle en appela au pape de façon explicite — et cela le jour de son abjuration — : Qu'un rapport de tout ce que j'ai fait soit envoyé au souverain pontife le pape de Rome, auquel je m'en remets après Dieu. On lui répondit : Le pape est trop loin.

Les autres clercs de son parti raisonnèrent comme Bouillé : Cybole écrivit que quand Jeanne refusait de se soumettre à aucun être humain, sa réponse avait un caractère catholique en rapport avec l'enseignement de saint Pierre et des apôtres : Nous devons obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Bréhal, grand inquisiteur de France, fait la citation suivante : Si vous êtes conduit par l'Esprit, vous n'êtes plus sous la loi... Elle avait une connaissance certaine ; sur ce point elle n'avait à obéir à aucun homme. Abjurer ses révélations eût été un mensonge et un parjure vis-à-vis d'elle-même. Ainsi Jeanne, nous-mêmes et le grand inquisiteur, tout le monde est d'accord. Bréhal décida que les juges et non la Pucelle étaient hérétiques.

Ces docteurs bienveillants de 1450-1456, s'empressaient de prouver que Jeanne était trop simple et trop ignorante pour comprendre ces questions des Églises militante et triomphante. Elle les comprit parfaitement, au contraire ; son génie était toujours à la hauteur de ce qu'on lui demandait. Elle comprit si bien, qu'elle suivit la même ligne qu'adoptèrent plus tard les clercs érudits qui la défendirent. Il lui était impossible honnêtement et en tout honneur d'abjurer ce qu'elle savait être la vérité. Avec Montrose elle eût pu dire : Je suis résolue à emporter avec moi dans la tombe l'honneur et la fidélité. — Elle garda l'oiseau dans son sein, suivant une expression anglaise. Elle fut délivrée par une grande victoire, la victoire de l'honneur et de la foi sur la foule vulgaire des clercs savants, sur la prison et les chaînes de fer, sur la faiblesse et la faim, sur la menace de la torture, sur la vue du bourreau et de ses instruments infernaux.

Une liste de douze articles fut établie, apparemment par Midi, pour servir de base au jugement, et envoyée à divers docteurs. En 1450-1456, les défenseurs trouvèrent que ces articles étaient des extraits faux composés avec injustice, ne concordant pas avec les aveux de Jeanne et ne comprenant ni ses explications ni ses citations. Voici la crème des douze articles :

I. Les saints auraient été adorés à la fontaine — où Jeanne ne les vit qu'une fois —, et la fontaine se trouvait compromise, d'après les rédacteurs de l'article, par la mauvaise réputation de l'arbre aux Fées.

De fait, les juges admirent la fable de Catherine de la Rochelle sur le conseil de la fontaine.

Parmi les soldats, Jeanne n'eut jamais, ou tout au moins très rarement, une femme avec elle comme chaperon.

Elle avait expliqué qu'elle se gardait elle-même de diverses manières, et de cela on ne fit pas mention, bien que leurs experts eussent constaté la virginité de la Pucelle. La duchesse de Bedford, fille de Jean sans Peur assassiné, s'était portée garant de ce fait, que les accusateurs supprimèrent.

II. Elle a varié dans sa façon de rapporter les circonstances du signe donné au roi.

Ce sujet est traité plus loin ; il n'était pas possible pour ces lourds accusateurs de comprendre son système où se mêlaient la vérité du fait et celle du symbole.

III. Elle ne voulait pas renoncer à sa croyance que ses saints venaient de Dieu.

IV. Elle pensait connaître les événements futurs : elle croyait, par exemple, que les Français feraient en sa compagnie exploit plus beau que tout ce qui avait été jusqu'alors — pulchrius factum — témoin sa lettre à Bedford du 22 mars 1429 —. Elle avait aussi trouvé l'épée de Fierbois. Ses importantes et heureuses prophéties étaient omises.

V. Elle portait un costume d'homme et dans cet état recevait l'eucharistie.

Nous savons pourquoi elle portait ce costume.

VI. Elle se servait de la devise JÉSUS MARIA, et elle déclara que la suite de la guerre montrerait de quel côté était le droit.

L'événement le montra en effet !

Elle disait venir de la part de Dieu.

VII. Elle s'en vint trouver Baudricourt et Charles en se proclamant envoyée du Ciel.

VIII. Elle s'est jetée du haut de la tour de Beaurevoir, désobéissant à ses saints parce que — ici ses paroles ne sont pas rapportées — elle ne pouvait pas survivre à la destruction de Compiègne et préférait remettre son âme à Dieu que son corps aux Anglais. Mais elle sut par révélation après sa confession que sa faute était pardonnée.

On allait la condamner à la fois pour avoir obéi et désobéi à ses saints.

IX. Elle se prétend aussi assurée du ciel que si elle y était déjà, et déclare qu'elle ne peut avoir commis de péché mortel, car s'il en était ainsi, ses saints cesseraient de la voir.

Ses nombreuses réserves, sa façon de s'en remettre à Dieu, tout cela est passé sous silence.

X. Elle dit que ses saints ne parlent pas anglais, car ils ne sont point du parti bourguignon.

La sottise de ces hommes les empêchait de voir que pour Jeanne qui ne connaissait que le français, toute autre langue employée par les Voix eût été aussi bien hittite qu'anglais.

XI. Elle a adoré ses saints sans consulter un prêtre.

Et cependant des critiques scientifiques modernes affirment que ses Voix et ses Visions étaient connues dès le début par de fourbes directeurs ecclésiastiques. Toutefois elle avait en plus l'approbation formelle de prélats comme Gerson et l'archevêque d'Embrun, et du synode de Poitiers.

XII. Elle a refusé de soumettre sa conduite et ses révélations à l'Église.

Mais on ne lui permit pas d'en appeler à l'Église assemblée à Bâle.

Tel est le résumé sommaire des articles, où un grand nombre des charges du début ne figurent point. L'iniquité puérile de toute l'accusation apparaît clairement. Quicherat l'admet, mais il explique qu'étant donné des hommes aussi prévenus que les assesseurs, la procédure inquisitoriale les plaçait dans l'impossibilité de ne pas faillir. Le chanoine Dunand répond que la procédure de l'inquisition n'imposait point le devoir de rédiger de tels articles, que ce fut là la procédure particulière de l'Université de Paris, qui était capable de tout. Pour moi, toutes les procédures judiciaires des tribunaux, laïques ou ecclésiastiques, quand il s'est agi de personnes haïes et redoutées, me font l'effet d'avoir été également injustes, alors comme bien des siècles plus tard.

Le 12 avril, plusieurs docteurs donnèrent leur avis sur les articles. Parmi eux était Beaupère, qui pensa que les Visions et les Voix étaient des hallucinations naturelles ; il eut le mérite de conserver son opinion vingt ans plus tard. Il y eut aussi Migiet, qui en 1450-1456 se posa comme sympathique à l'accusée ; puis Maurice qui fut édifié par la dernière confession qu'elle lui fit ; le dominicain Isambart de La Pierre plutôt favorable ; le modeste Thomas de Courcelles et Loiselleur le mouton des prisonniers ; enfin, Lemaître. Quel monde ! Ils décidèrent que les Visions et les Voix étaient soit inventions humaines, soit œuvre de démons ; que la déposition de Jeanne était un tissu de mensonges ; qu'elle était blasphématrice envers Dieu, impie à l'égard de ses parents, schismatique en ce qui regardait l'Église, et ainsi de suite. De façon générale, les docteurs corroborèrent ce jugement. Tels étaient alors les gens qui représentaient la Science !

Nous laissons volontiers à l'Église le soin de déterminer les mérites et les torts de Jeanne dans ses relations avec l'Église et la foi. Mais l'imputation de faux, comme dans son histoire du signe donné au roi, constitue une toute autre affaire, et nous renvoyons la discussion de ces chefs d'accusation à la fin de cet ouvrage pour ne pas interrompre le tragique récit.

Il n'y a pas de fondement à cette idée protestante que Jeanne fut un adhérent de la première heure à la libre pensée et à l'indépendance de l'opinion privée. Elle était catholique, aussi saine d'esprit qu'il est possible de l'être à homme ou femme quelconque, en matière de foi ; l'injustice seule la força à maintenir sa liberté d'opinion à propos de faits qui relevaient de son expérience personnelle ; et des clercs aussi savants que ceux de Rouen ont soutenu que cette attitude était parfaitement orthodoxe.