AU sujet de l'attaque de Paris par l'armée royale, toutes les autorités amies ou hostiles sont d'accord, que seuls le splendide courage et la ténacité de la Pucelle rachetèrent cet échec. C'est un des rares points sur lesquels elles se soient entendues. Nous mettons en première ligne le témoignage de Jeanne elle-même, et celui d'un calme observateur qui se trouvait derrière les murailles de Paris. Dans les deux partis en lutte, on fit montre de la façon étourdie dont on comprenait la guerre. A cette occasion, il est manifeste que Jeanne ne fut pas obéie, car elle comprenait la guerre mieux que les chefs, ainsi que nous le démontrerons. Le 14 juillet, les citoyens et le clergé de Paris avaient juré fidélité à Bedford et de nouveau en son nom au chancelier de France, Louis de Luxembourg, le 26 août. Néanmoins nous avons vu que les membres de la milice urbaine ne commencèrent à fortifier les portes et les ouvrages extérieurs qu'au commencement de septembre. Le 7 de ce mois, le gouvernement anglo-bourguignon leva des subsides sur la bourgeoisie et le clergé pour le payement de la garnison qui paraît avoir été composée surtout de Bourguignons. Elle devait être considérable ; toutefois le Bourgeois de Paris, qui appartenait à ce parti, n'est pas de cet avis. D'Alençon somma par leurs noms les principaux citoyens d'avoir à se rendre, mais sa lettre provoqua leurs railleries. A en croire un chroniqueur bourguignon qui se trouvait alors dans la ville, les forces royales commandées par d'Alençon, Laval, Gaucourt, d'Albret, de Rais, Boussac et d'autres, consistaient en 12.000 hommes qui certainement ne prirent pas tous part à l'action. Ils avaient de grandes quantités de charrettes chargées de fagots et d'autres appareils pour combler le fossé, mais il est certain que par une étrange ignorance de la guerre, l'attaque fut faite seulement sur un point entre les portes Saint-Honoré et Saint-Denys. Il n'y eut ailleurs ni contre-attaque ni feinte, bien que d'Alençon ait établi un pont sur la Seine au-dessus de Paris et que le sens commun eût dicté un assaut ou tout au moins une feinte au sud aussi bien qu'au nord. La vérité est que les chefs n'avaient pas l'intention de donner un véritable assaut. Dans ce cas, et si la chose avait été sérieuse, ils auraient disposé canons et matériel à la faveur de la nuit comme la Pucelle le lit à Troyes, et l'attaque aurait commencé à l'aube à la façon dont Jeanne l'avait conduite pour les ouvrages extérieurs de la tête du pont d'Orléans. D'autre part, l'armée ne quitta pas ses quartiers avant le déjeuner de huit heures, et rien ne fut réellement tenté jusqu'à deux heures de l'après-midi. Si les chefs étaient zélés, ils ne comprenaient certes
point la guerre comme Jeanne. Mais étaient-ils zélés ? Leurs lourds canons
furent-ils mis en action ? leur déploiement de matériel de siège indiquait-il
plus qu'une simple démonstration en force, afin de provoquer dans la ville
l'émeute de leurs partisans ? La Pucelle elle-même a dit à ses juges qu'elle
n'avait ce jour-là aucun ordre de ses Voix, mais qu'elle
y alla à la requête des nobles qui désiraient faire une escarmouche ou vaillance,
toutefois elle était bien décidée à aller plus avant et à passer le fossé.
Toute la direction ou plutôt la mauvaise direction de l'entreprise, le départ
tardif, la nonchalance générale, l'attaque insignifiante sur un seul point,
le manque de soutiens dans l'assaut — si essentiels, comme dit le roman
militaire de l'époque Le Jouvencel —... tout, enfin, corrobore les
paroles de la Pucelle. C'est en vain qu'elle essaya de changer une simple
démonstration en une attaque à fond. On peut sans doute avancer qu'en parlant ainsi au procès, Jeanne nia faussement avoir reçu un ordre de ses Voix et affirma contre la vérité que les nobles français n'étaient pas décidés à une attaque sérieuse. Son but aurait été ainsi de conserver la réputation de ses saints, qui ne l'avaient pas trompée, et d'amoindrir l'échec des armées du roi. Mais nous avons le témoignage d'un froid observateur qui était dans la ville, à savoir les notes contemporaines de Clément de Fauquemberque, clerc du parlement de Paris sous le gouvernement anglais. Fauquemberque était adonné à l'étude et sans ambition. Il écrit que pendant quinze ans il avait été clerc du parlement sans désirer de plus hauts emplois, suivant l'esprit de Virgile : Maluit et mutas agitare inglorius artes. Tout Anglo-Bourguignon qu'il était, il termine ses courtes notes sur la carrière de la Pucelle par ces mots : Que Dieu ait pitié et miséricorde pour son âme ! Son récit de la tentative sur Paris s'accorde parfaitement avec la propre version de Jeanne et mérite d'être rapporté en entier : Le jeudi 8 septembre, fête de la
nativité de la mère de Dieu, les gens d'armes de Messire Charles de Valois,
assemblés en grand nombre près les murs de Paris à la porte Saint-Honoré, espérant
par commotion de peuple gréver et dommagier la ville et les habitants de
Paris, plus que par puissance ou force d'armes, environ deux heures
après-midi, commencèrent de faire semblant de vouloir assaillir la dicte
ville. Et hâtivement plusieurs d'entre eux étant sur la Place aux Pourceaux
et environ près de la dite porte, portant longues bourrées et fagots,
descendirent et se boutèrent ès premiers fossés, èsquels point n'avait d'eau
et jetèrent les dites bourrées et fagots dans l'autre fossé proche des murs,
èsquel avait grande eau — ou bien il y avait crue, ou bien on avait
ouvert les vannes pour obtenir un fort courant de la Seine. Et à cette heure, y eut dedans Paris gens affectés ou
corrompus qui élevèrent une voix en toutes les parties de la ville de ça et
de là les ponts, criant que tout était perdu, et que les ennemis étaient
entrés dedans Paris et que chacun se retrahit et fit diligence de soy sauver...
La-dessus se départirent des églises de Paris toutes
les gens estant lors ès sermons, et furent moult espouventez et se
retrahirent en leurs maisons, et fermèrent leurs huys (portes). Mais il
n'y eut aucune autre agitation. Et demourèrent à la garde des
portes et des murs d'icelle ville, ceux qui y estaient députés, et en leur
ayde survinrent plusieurs autres habitants qui firent trés bonne et forte
résistance aux hommes de Charles de Valois, qui se tinrent dedans le dict premier
fossé étant dehors sur la dicte Place aux Pourceaux et à l'environ, jusqu'à
dix ou onze heurs de nuit qu'ils-se départirent à leur dommage. Et d'eux il y
en eut plusieurs morts ou blessés de traits et de canons. Et entre autres,
fut blessée d'un trait en la jambe une femme que l'on appelait la Pucelle,
qui conduisait l'armée avec les autres capitaines du dict messire Charles de
Valois. Le plan des chefs était de plus gréver Paris par la dicte
commotion que par assaut ou force d'armes, car si pour chaque homme
qu'ils avaient lors, ils en eussent en quatre ou plus, aussi bien armés
qu'ils estaient, ils n'eussent mie pris la dicte ville de Paris par assaut ni
par siège tant qu'il y eut eu des vivres dedans, la cité en était bien
pourvue pour longtemps, et les habitants étaient bien unis avec les gens
d'armes pour résister à l'assaut ci-dessus... et
on disait publiquement à Paris que le dit messire Charles de Valois avait
abandonné à ses gens la dicte ville et les habitants d'icelle, grands et
petits, de tous états, hommes et femmes, et que son intention était de passer
la charrue sur Paris, cité du peuple très chrétien, chose qui n'est pas
facile à croire. Cela n'est pas fantaisiste, mais c'est un récit authentique des événements : l'attaque ne fut ni sérieuse ni appuyée ; ce fut un simple effort pour provoquer une révolte et une reddition, une vaillance ou une escarmouche. La Pucelle, suivant ce qu'elle-même a affirmé, était seule décidée à pousser de force au combat. C'est seulement sur le tard, à huit heures, que le matin du jour de la nativité de Notre-Dame, les Français s'étant mis en route, s'arrêtèrent sur une colline appelée maintenant ou récemment la Butte des Moulins, et de là ils s'en vinrent disposer leurs canons au marché aux porcs probablement hors de portée derrière une crête, à deux heures de l'après-midi[1] ! Sur les murs ils pouvaient voir les Anglais, dit Chartier, rangés sous la bannière de saint Georges, quoique, suivant d'autres récits, les défenseurs aient été des hommes d'armes bourguignons et des bourgeois ou seulement des bourgeois armés avec quelque quarante ou cinquante Anglais. Le feu de l'artillerie commença vers deux heures. Dans l'après-midi, le boulevard extérieur de la porte Saint-Honoré fut attaqué et occupé, pendant que l'armée sous les ordres de d'Alençon et du prudent Charles de Bourbon restait à l'abri de l'artillerie derrière la butte, pour empêcher toute sortie du côté de la porte Saint-Denys. — Pendant que le principal corps d'armée français jouait ainsi le rôle de spectateur, on peut se demander si les Anglais avaient une centaine d'hommes dans la place. La Pucelle n'avait point l'habitude de se tenir à l'arrière-garde pendant une bataille. Elle porta donc son étendard à travers le premier fossé sec et profond et, traversant le remblai qui le séparait d'avec le second plein d'eau, elle sonda celui-ci avec la hampe pour en juger la profondeur, sous le feu des assiégés. L'ignorance des Français sur ce point a été attribuée à de mauvaises informations, mais qui d'un jour à l'autre peut annoncer le plus ou moins d'eau d'un fossé ? Cela dépendait des ingénieurs de la place. Le roi Robert le Bruce, qui cependant était un commandant avisé, s'était rendu compte de la profondeur de l'eau dans le fossé de Perth, avant de tenter l'attaque de nuit en janvier 1313. Cependant, quand il procéda à l'assaut, il dut sonder à nouveau cette profondeur avec sa lance, comme Jeanne d'Arc l'avait fait en plein jour, et ses hommes chargés de lourdes armures ne purent passer qu'en un endroit où ils avaient de l'eau jusqu'à la gorge. L'assaut de Paris le 8 septembre échoua comme celui de Xaintrailles et Dunois en mai à Jargeau, par suite de la profondeur de l'eau du fossé et du manque de ponts mobiles ou de bateaux légers d'aucune sorte. De tels bateaux étaient-ils employés à une époque aussi éloignée que 1429 ? Nous ne les voyons pas reproduits dans les tableaux de sièges ou dans les manuscrits du temps. Si Poton et Dunois étaient si imprévoyants à Jargeau, alors, Boussac, d'Alençon et les autres, en supposant qu'ils aient eu l'intention d'agir de façon sérieuse à Paris, furent également négligents. Ce sont choses qui arrivent. Napoléon n'avait pas songé à ferrer ses chevaux à glace au moment de la campagne de Russie ; et quand à Waterloo la cavalerie française se fut emparée des canons anglais, elle ne les encloua pas, et on ne songea pas à employer les baguettes des pistolets pour mettre l'artillerie hors d'usage. Ce sont là des méprises fatales, mais à Paris les chefs français n'avaient pas l'intention de donner l'assaut ; ils cherchaient simplement à voir si oui ou non la tentative de la Pucelle allait être appuyée par le parti armagnac de la ville. Le jour s'écoula comme aux Tourelles, la Pucelle, son étendard en main, dans le fossé, exposée en plein feu, sommait les habitants de se rendre. Rendez-vous à Jésus ! disait-elle d'après ses juges, tandis que, suivant l'hostile Bourgeois de Paris, elle les menaçait de les faire massacrer. Sur ces entrefaites, un archer, avec les insultes les plus grossières, la visa et envoya une flèche qui lui traversa la jambe, tandis qu'avec une autre il tuait son porte-étendard. Sérieusement blessée, elle fut mise à l'abri derrière le fossé, d'où, bien après la tombée de la nuit, elle continuait à exciter ses hommes à l'assaut. Mais elle-même ne pouvait plus bouger, les renforts étaient éloignés, hors de portée, elle était incapable de les conduire. Sa voix perçante retentissait seule dans la nuit ! Et elle continuait à crier quand même, que la place était à eux, qu'elle était prise ! A la fin, Gaucourt envoya des hommes pour l'emmener hors du combat où toujours, sans se lasser, elle annonçait que Paris pourrait être pris. Les chefs n'avaient ni ses intentions ni sa ténacité ! Autant que nous le savons, l'armée ne vint pas lui apporter renforts sur renforts. Le chroniqueur de d'Alençon dit que les Français eurent seulement des pertes légères, et il en fait un miracle ; mais le Bourgeois affirme qu'il y eut cinq cents tués et blessés, et que cela fut assuré sous serment par un héraut qui vint le jour suivant demander la permission d'enterrer les morts. Il dit aussi, et cela est contradictoire, que les morts furent enlevés et brûlés. Évidemment les défenseurs de la ville, qui n'osèrent ni faire de sortie ni poursuivre, trouvèrent peu de morts, ainsi qu'on l'admet généralement. Les Français maudissaient leur Pucelle qui leur avait promis que sans nulle faute ils prendraient d'assaut la ville de Paris, et que tous ceux qui résisteraient seraient passés par l'épée ou brûlés dans leurs maisons. Le même Bourgeois, témoin oculaire, attribue le succès aux habitants, car pour les hommes d'armes il dit qu'il y avait seulement quarante ou cinquante Anglais ! Il était vigneron. Sans doute il passait la journée dans ses caves ! Il nous faut trouver le juste milieu entre les fables opposées de Cagny et du Bourgeois. On n'entend point parler de pertes parmi les nobles français, ni d'aucun chef blessé à l'exception de la Pucelle. Il est probable qu'elle seule, avec l'avant-garde et de Rais qui la commandait, s'était engagée à fond ; d'Alençon s'en vint pour la chercher, dit Chartier, abandonnant la position abritée qu'il occupait. Toute l'histoire, telle qu'elle nous est parvenue, en dehors de Fauquemberque et de la Pucelle, est un écheveau embrouillé de fables contemporaines. Dans une chronique normande, écrite selon tonte apparence dans l'année qui suivit les événements, on nous raconte que l'artillerie de Charles VII employa de la poudre qui ne détonait point ! Mais à travers ce brouillard, une figure émerge en pleine lumière, que distinguent également amis et ennemis, c'est une jeune fille de dix-sept ans en armure blanche, qui descend dans le premier fossé à sec et profond, remonte sur le dos d'âne sous les murs de la cité, et avec une lance[2], sous une grêle de projectiles, sonde la profondeur du grand fossé jusqu'au moment où elle est blessée à la cuisse. Sans en être abattue, sans faiblesse elle encourage les soldats de ses cris. L'histoire ne nous offre aucun tableau semblable. Il y a un témoignage qui parait indiscutable, c'est que les Français laissèrent derrière eux des centaines de brouettes et d'échelles, avec d'autres matériaux de siège qui furent inutilisés. Mais comme ils ne furent pas poursuivis et que sans les ordres du roi, transmis par des princes du sang, la Pucelle eût repris l'attaque le jour suivant, c'est le souverain et non pas elle que l'on doit rendre responsable de la perte du matériel de siège. En retournant à son poste du 8 septembre, l'armée eut repris ce matériel, mais il y eut défense d'y aller. La faute militaire de Jeanne, d'après son propre témoignage, fut sa tentative opiniâtre de convertir une escarmouche ou vaillance, une simple parade, en une attaque décisive, comme, suivant certain écrivain, elle le fit avec succès à Saint-Loup. Sa personne et son prestige allaient faire les frais de son courage. Ici, au sujet de la conduite de la Pucelle à Paris, comme plus tard à Compiègne, et depuis la victoire de Saint-Pierre-le-Moustier jusqu'au moment où elle fut prise, nous devons faire remarquer que ses juges portèrent contre elle de nombreuses accusations sans qu'au procès de réhabilitation (1450-1456) aucun témoin n'ait été appelé pour la défendre. Pasquerel et d'Aulon furent avec elle jusqu'à la fin, mais on ne leur posa aucune question, pas plus qu'à d'Alençon, sur les opérations de septembre 1429, de mai 1430. C'est qu'il y avait une belle occasion pour l'avocat du
Diable — advocatus Diaboli — ! On peut
se risquer à conjecturer qu'il y eut là une précaution des inquisiteurs de
1450-1456. A Paris, par exemple, la Pucelle persiste à s'écrier que la place
était prise si les hommes voulaient faire un effort. Elle pensait en effet
qu'il en serait ainsi et que la place serait prise. Mais ses persécuteurs
affirmèrent qu'elle proclama la chose comme un avertissement de son conseil
et traitèrent durement de mensonge son affirmation que ledit conseil ne
l'avait pas poussée à aller de l'avant le 8 septembre. Ils ne nous ont pas
laissé les dépositions de leurs témoins qui ont déclaré qu'elle fit appel aux
promesses de ses Voix. Mais quand au procès de réhabilitation on demanda à
Dunois si toutes les prédictions militaires de Jeanne avaient été accomplies,
il répondit : Bien qu'elle ait parlé parfois en
riant de plusieurs événements de guerre pour relever l'esprit des hommes, et
que tout ce qu'elle a dit ainsi n'ait pas été accompli, quand elle traitait
sérieusement ce sujet de la guerre et de sa vocation, elle s'en tenait à la
délivrance d'Orléans et au couronnement. La commission de 14501456
n'avait garde probablement d'approfondir de trop près la question, ou de
distinguer entre des termes d'encouragement comme chaque chef en emploie,
d'une part, ou bien des prédictions ouvertement inspirées. Cela laisse
deviner une lacune dans l'enquête. D'autre part, cette façon d'agir peut
avoir eu pour cause la crainte de montrer l'attitude maladroite du roi depuis
son couronnement jusqu'à la prise de la Pucelle. Prendre Paris était une partie avouée de la vocation de la Pucelle. La diplomatie l'avait tenue en échec, sans quoi la place fût tombée ; mais elle ne désespérait point encore. Malgré sa blessure, elle était debout de bonne heure le 9 septembre et suppliait d'Alençon de faire sonner de la trompette et de monter à cheval, car je ne battrai en retraite que je n'aie la ville. D'Alençon et les autres capitaines partageaient ses sentiments, mais les avis étaient divers. Pendant qu'ils étaient en train de discuter, le baron de Montmorency, jadis partisan des Anglais, s'en vint à cheval, avec cinquante ou soixante gentilshommes, pour se joindre à la compagnie de la Pucelle. Ses amis en furent fort encouragés, mais alors survinrent Charles de Bourbon et René, duc de Bar. Ils apportaient les ordres du roi : la Pucelle devait retourner à Saint-Denys. Les autres chefs avaient été sommés comme elle, et, le cœur gros, ils durent obéir au commandement du roi. Ils avaient encore l'idée de faire un nouvel effort en passant la Seine sur le pont que d'Alençon avait fait établir près de Saint-Denys. Le 10 septembre, ils partirent à cheval de bonne heure et purent seulement constater la destruction du pont, qui avait eu lieu de nuit, par les ordres de Charles. Ce dernier employa les trois jours qui suivirent à discuter la retraite. Le 13 septembre, après dîner, il abandonna Saint-Denys, où la Pucelle, le désespoir dans l'âme, suspendit son armure dans la cathédrale, devant la statue de la Vierge. La retraite royale fut hâtive et désordonnée ; le 21 septembre, Charles atteignait le but tant désiré en dînant à Gien-sur-Loire. Et ainsi, dit le chroniqueur de d'Alençon, la volonté de la Pucelle et l'armée du roi se trouvaient anéanties. Il avait fait le grand geste du refus. Bientôt sa garnison était chassée de Saint-Denys, et l'ennemi rapportait dans son butin l'armure de la Pucelle. On dit que l'épée de Fierbois avait été brisée par elle un jour où du plat de la lame elle avait frappé au dos l'une de ces filles à soldats avec lesquelles elle fut toujours en lutte. Cela paraît une fable. Elle ne voulut pas dire aux juges ce que l'épée était devenue. D'après son propre témoignage en avril 1430, elle avait à Lagny l'épée de Fierbois et plus tard elle porta celle qu'elle avait prise à un prisonnier bourguignon — une bonne lame tranchante. Suivant son propre récit, il ne semble pas que l'épée mystique ait été celle qu'elle brisa à Saint-Denys, mais avertie par ses Voix de sa capture prochaine, comme cela eut lieu pendant la semaine de Pâques de 1430, elle dut mettre de côté l'épée de Fierbois et son étendard pour qu'ils ne tombassent pas dans des mains ennemies. On n'a pas dit que l'étendard ait été pris avec elle. Avec ia retraite royale sur la Loire finissent presque les victoires de la Pucelle en rase campagne, mais l'impulsion qu'elle avait donnée à l'énergie française, et d'autre part le découragement, la lassitude de la guerre qu'elle avait provoqués chez les conquérants anglais, survécurent non seulement à ses victoires, mais à sa vie. Dès ce moment, avec des intervalles d'indolence, la France se porta en avant tandis que l'Angleterre battit en retraite. Quatre ans plus tard, dans une lettre à Henri VI, Bedford, se livrant à une véritable confession, fait le bilan des gains que Jeanne avait obtenus pour son pays. Un simple fragment de la lettre de Bedford est très connu, Rymer le publia comme étant de 1428, dans la grande collection de documents publics appelée Fœdera (1710). Quicherat cita la lettre d'après Rymer, en lui assignant une date approximative à la fin de juillet 1429. Cet écrit de Bedford est en réalité de décembre 1433, la douzième année du règne d'Henri VI. Bedford dit que par de belles journées et des victoires après la mort d'Henri V il avait fait passer sous la suzeraineté anglaise une grande partie de la Brie, la Champagne, l'Auxerrois, le Nivernais, le Mâconnais, l'Anjou, le Maine, et alors tout prospérait pour vous jusqu'au grand choc d'Orléans. Après cela, quelques-unes de vos grandes villes et cités, telles que Reims, Troyes, Châlons, Laon, Sens, Provins. Senlis, Lagny, Creil, Beauvais et l'ensemble des contrées de la Champagne, de la Beauce, une partie de la Picardie se soumirent sans résister ou attendre de secours. Avec l'aide des croisés de Beaufort, ajoute-t-il, il s'est mis en campagne et a sauvé une bonne partie de la contrée et Paris. Néanmoins les populations relevant de l'Angleterre sont ruinées et ne peuvent ni cultiver leurs terres et leurs vignes, ni bénéficier de leurs marchandises, et sont réduites à une extrême pauvreté, telle qu'elles ne pourront la supporter longtemps. Bedford fut ainsi obligé de s'en retourner en Angleterre (1433) pour obtenir du secours. Si on ne l'écoute pas, les Français qui relèvent de la suzeraineté anglaise seront au désespoir et chacun s'occupera de soi, c'est-à-dire qu'il retournera à son roi légitime. La France est dans le péril notoire d'être perdue, malgré la fidélité des sujets français de Henri dans laquelle Bedford exprime sa chaleureuse confiance. En terminant, il demande de l'argent sur les revenus du duché de Lancastre, et offre de consacrer la part qui lui en revient à recouvrer la France. Mais l'énergie et le désintéressement de Bedford étaient inutiles, et d'après son propre aveu, le succès de la réaction contre l'Angleterre fut en grande partie le résultat de l'enthousiasme qui pendant quatre mois eut pour centre la Pucelle. Grâce à l'impulsion qu'elle donna, sa tâche fut accomplie jusqu'au bout, mais non dans le court espace de l'année qui lui avait été départi. |