JULIEN L'APOSTAT

 

PRÉCÉDÉ D'UNE ÉTUDE SUR LA FORMATION DU CHRISTIANISME

INTRODUCTION.

 

 

V. — APPORT DE CHAQUE RACE À LA CONSTRUCTION DU CHRISTIANISME.

 

Nous avons maintenant réuni tous les éléments qui permettent de distinguer l'apport de chaque race à la formation du christianisme. Nous pouvons le construire historiquement.

Apport de Sem. — Le seul des enfants de Sein qui ait influé directement sur le christianisme est Israël. Les Israélites ne sont point des sémites pur sang, ainsi que le prouve leur nez de mouton, si différent de celui des émirs bédouins, seuls sémites pur sang. Les filles de Cham ont passé par là. Dans ses mœurs et sa religion comme dans son visage, Israël a subi l'empreinte de Cham à une haute antiquité. Mais c'est cette empreinte qui a fait sa grandeur, car il a su s'assimiler l'élément chamitique, réagir à temps contre lui, et ne pas perdre l'esprit de Sem, tout en bénéficiant de l'écriture, de la conception des espèces, de l'agriculture et de tant d'autres inventions chamitiques.

L'apport d'Israël au christianisme se réduit exclusivement au dogme du Messie. Le Messie israélite tel que l'ont compris les prophètes et tel que le comprennent encore aujourd'hui tous les Israélites intelligents est d'ailleurs entièrement différent de celui des chrétiens ; c'est sous l'influence palestinienne et chananéenne, et non judaïque, qu'il est devenu peu à peu le Messie chrétien.

Le Messie des prophètes n'est pis un homme, il n'a pas un corps de chair ; c'est un type divin, c'est l'idée d'Israël triomphant et de Jérusalem devenant la capitale spirituelle du monde. Ce dogme s'est formé très-clairement et très-simplement, comme tout ce qu'enfante Sem.

Ce fut pour Moïse et les autres chefs des Bene-Israël une rude besogne que de persuader à la tribu de quitter la grasse terre d'Égypte pour aller chercher en Asie un avenir incertain. Le gros dès Israélites se plaisaient fort dans le phis beau pays du monde et au milieu de la plus splendide des civilisations. Payer l'impôt et la corvée leur était léger. Ils aimaient à fréquenter les temples magnifiques, à y adorer les statues d'or du dieu Apis, à y entendre les orgues et les symphonies. Ils se plaisaient à voir danser sur un rythme savant les chastes Nubiennes couleur de feu, et ils les prenaient pour épouses. Ce fut justement pour arracher leurs enfants et leurs serviteurs aux séductions de la vie égyptienne que les chefs israélites, entraînés par un homme de génie, décidèrent le retour de la tribu en Asie. Ils voyaient autour d'eux les chamites et les sémites se croiser, et les deux races s'abâtardir l'une par l'autre, les langues, les idées, les cultes devenir informes et confus ; ils renoncèrent au présent en but de l'avenir ; ils reprirent pendant quarante ans la vie nomade, quittant le Nil pour le désert aride où le Tout-Puissant seul pouvait leur donner de l'eau. Il leur en donna, et dès lors l'hégire israélite devint à jamais, pour tous les Israélites bien pensants, le gage d'une alliance particulière et spéciale entre Dieu et Israël, la preuve de l'incontestable supériorité d'Israël, non-seulement sur Cham et Japhet, mais sur tous les autres rameaux de la race sémitique. Israël seul écrivait, possédait dans l'arche les archives de Sein, le dogme de la lumière immatérielle et du rayonnement parfait. Aussitôt le monothéisme se transforma en dithéisme, Israël devint le fils et l'apôtre de Dieu, seule image, seul reflet complet de son père. Les juifs n'ont jamais connu d'autre fils de Dieu. Plus Israël fut humilié, bafoué, asservi, traîné en captivité, plus les gentils coupèrent sa robe en morceaux et se la partagèrent, plus l'enthousiasme des voyants (des prophètes) augmenta. Contre Ninive, Babylone, Antioche et enfin Rome, étendant sur mille peuples une domination toute brutale, ils célébrèrent Jérusalem, temple du Très-Haut, et Israël initiant à la religion de Sem tous les peuples à genoux devant son incontestable supériorité.

Tel est le vrai Messie des prophètes ; mais une telle religion ne convient qu'à des héros. Dès qu'Israël de tribu nomade devint une nation agricole et florissante, la plupart des Israélites abandonnèrent la pureté des croyances primitives, mélangèrent leur langage.et leur sang avec les Chananéens. Seules quelques familles de la tribu de Juda conservèrent et conservent encore le feu sacré, attendirent et attendent encore le jour où l'humanité tout entière se rangera volontairement à la loi de Moïse. Dans les bourgades de la Palestine, et pour le plus grand nombre des Israélites, le Messie était devenu, dans le premier siècle avant notre ère, un Dieu incarné, un nouveau David, un nouveau Macchabée, roi des Juifs, chef militaire devant faire passer l'empire du monde de Rome à Jérusalem. Bien que le Messie tel que l'ont compris les chrétiens soit bien différent du vrai Messie israélite, on peut dire cependant que c'est le Messie israélite qui est le fondement seul invariable du christianisme et sa caractéristique, car, dans le Messie tel que l'ont compris les prophètes, est l'idée nettement exprimée de la distinction du temporel et du spirituel, est l'idée qu'en dehors et au-dessus de l'État, il y a une association libre entre les hommes : l'Église, qu'en dehors de la société civile et des engagements avec les hommes, il y a la société religieuse et les engagements avec Dieu.

Apport de Cham. —Le principal apport de Cham est la légende de la résurrection des corps et de la fin du monde, qui en se soudant à la légende du Messie fut tout le christianisme judaïsant. C'est Cham qui a apporté partout l'idée d'espèces se superposant les unes aux autres sans se détruire, s'engendrant l'une l'autre, espèces vivantes, notes de musique, périodes astronomiques ; c'est là la conception primordiale de Cham. Appuyé sur des calculs chronologiques plus ou moins exacts, le bruit se répandit en Égypte, dans le premier siècle avant notre ère, que la grande période cosmique, dont nous avons parlé, était achevée et que les momies allaient commencer à ressusciter. Dans l'état de malaise où se trouvait alors l'Orient sous la domination romaine, cette croyance se répandit rapidement hors d'Égypte, en Syrie, en Palestine, puis dans tout l'empire, en se diversifiant à l'infini dans le détail.

Outre la résurrection des corps et la fin du monde, Cham a apporté au christianisme tout le culte, tous les mystères et les sacrements. On ne trouve ni dans le Rig-Véda, ni dans Homère, ni dans les parties anciennes de la Bible, dans toutes les œuvres pures de Japhet et de Sem, rien qui puisse être comparé à des cérémonies comme celles, par exemple, de la semaine sainte. On n'y trouve que le culte simple et tout extérieur qui convient à des nomades ou à des héros à moitié nomades, qui ne connaissent ni l'écriture ni la gamme, ni l'architecture ni la sculpture monumentales. Au contraire, dès le début, Cham écrit, note, sculpte, bâtit des temples immenses, creuse des cavernes pour y célébrer des cérémonies mystérieuses à la lueur des cierges. Japhet débute par la poésie parfaite, Sem par la poésie imparfaite du psaume : tout le culte primitif n'émeut que l'esprit ; tout le culte chez Cham, qui parle mal, est destiné à émouvoir les sens. Cham, qui a fondé toute sa civilisation sur les symboles dessinés, sculptés, mimés, a inventé nécessairement le premier tous les grands symboles religieux, les mystères et les sacrements. Toute la religion égyptienne se réduit comme son écriture à faire passer devant les yeux des fidèles une série d'hiéroglyphes, d'énigmes, de pantomimes ; en dehors de la symbolisation, nulle métaphysique abstraite : le symbole fait si bien corps avec l'idée que celui qui n'a pas vu les symboles ne peut comprendre les idées. A l'entrée des temples et des cavernes est le sphinx, symbole de la perfection obtenu par la soudure des trois plus belles espèces animales, homme par la tête, taureau par l'encolure, lion par la croupe et la griffe. Dans l'intérieur, on adore le taureau-type, le dieu Apis, symbole de l'agriculture, et par suite de la fécondité, du Nil qui engendre la fécondité, de l'équinoxe qui amène l'inondation du Nil ; on adore Osiris à la tête d'épervier, symbole du rayonnement solaire et de la période annuelle, de l'alternative des travaux agricoles et des saisons ; on représente par la pantomime l'histoire de l'épi, son semage, sa germination et sa moisson ; on raconte la naissance d'Osiris à l'équinoxe d'hiver ; sa vie est l'été, sa mort est l'automne ; alors Isis, sa mère et son épouse, reine des moissons et des fruits, l'appelle et le cherche en pleurant. Puis viennent sa descente sous terre et sa résurrection. Les mystères égyptiens, exprimant tous des alternatives de ce dieu universel qui s'appelle la vie, sont aussi nombreux dès le début que les signes hiéroglyphiques qui couvrent lei murailles égyptiennes ; ce sont ces signes et leurs multiples groupements en mouvement et faisant spectacle. Les fidèles qui assistent à ces mystères y sont à la fois spectateurs et acteurs, s'agenouillent et se lèvent ensemble, baisent les symboles, se les passent de main en main, reçoivent des sacrements. Les mystères et les sacrements égyptiens, qui dès les premiers contacts entre Japhet et Cham passèrent dans les pays grecs, où ils reçurent le cachet riant et poétique du polythéisme grec, passèrent dès le premier siècle dans le culte chrétien, soit directement, soit sous leur forme grecque, où ils reçurent le cachet surnaturel, anthropomorphiste et spiritualiste propre au christianisme. Les mystères qui jusque-là n'avaient célébré que la naissance, la mort, la descente sous la terre et la résurrection de la vie universelle, célébrèrent la naissance, la mort, la descente sous la terre et la résurrection de Jésus-Christ, Verbe incarné ; les sacrements, qui jusque-là n'avaient initié les fidèles qu'aux mystères de l'âme du monde, les initièrent aux mystères de l'âme humaine.

Apport de Japhet-Hellen. — Nous avons vu que tout ce qui dans le christianisme est trinité, théologie, et généralement scolastique et science raisonnée, vient des Grecs. L'esprit hellénique enfanta aussi un dogme d'abord tout philosophique, mais qui dans le christianisme est devenu populaire : le péché 'originel. Les juifs ne savent trop s'étonner des conséquences énormes que les chrétiens ont tirées de la fable de la pomme, légende d'origine égyptienne imitée du mystère d'Isis, qui aux yeux des juifs n'a pas plus d'importance, dans l'ensemble de leur religion, que la fable de Proserpine jetée aux enfers pour avoir cueilli la fleur du narcisse n'en avait autrefois dans l'ensemble de l'ancienne religion des Grecs, qui l'avaient prise à la même source. -L'idée que cette vie est une chute et une punition, et non un adorable bienfait dont il faut remercier Dieu chaque jour, n'entrera jamais dans la tête de Sem. Elle n'a pas pu se souder à l'islam, bien qu'elle y soit entrée officiellement. C'est là une conception toute philosophique, et il n'y a eu jusqu'ici de philosophie dans l'espèce humaine que chez Japhet, et parmi les rameaux de la race japhétique que chez les Grecs, la philosophie de tous les autres peuples européens n'étant que le développement, sans renouvellement de base, de la philosophie grecque, à moins qu'elle n'en soit la caricature.

C'est Platon qui le premier, pour expliquer commodément l'origine des idées, a eu recours à la supposition d'une vie antérieure de l'âme dans l'empyrée ; il présente cette vie antérieure comme supérieure à la vie présente, mais sans trop y croire ; c'est pour lui affaire de dialogue élégant et de méditation riante, une hypothèse à laquelle il renoncera demain pour une autre qui lui agréera plus. Mais les néo-platoniciens d'Alexandrie ont peu à peu alourdi l'idée du maître, à mesure que la vie devenait moins agréable dans la société romaine, les langues plus confuses, les cerveaux plus faibles. Ils sont arrivés peu à peu à cette doctrine désolante et laide que la Divinité nous a donné une vie qui est un non-sens, qui ne peut être en aucun cas un épanouissement et une joie continue, quelque sage, juste, intelligent et bien portant que nous nous efforcions d'être, et qui doit nécessairement être suivie d'une contrepartie dans une région chimérique et qu'il nous est impossible de concevoir. Cette doctrine, en se soudant à la légende chrétienne, devint un des fondements du christianisme par sa liaison étroite avec le dogme de la rédemption, et on ne peut l'éviter qu'en acceptant le dogme de la prédestination.

Apport de Japhet Iran. C'est l'esprit iranien qui a apporté dès l'origine au christianisme le germe du dogme de la prédestination, qui avec Luther est devenu tout le christianisme allemand. On le trouve déjà tout entier dans les doctrines obscures du manichéisme. C'est une transformation de l'ancienne religion iranienne dans ces trois rameaux, perses, mèdes, germains ; une transformation de la lutte éternelle du bien et du mal, des bons et des mauvais génies ; en naissant l'homme est déjà élu ou réprouvé.

Apport de Japhet latin. L'esprit latin n'a pas plus inventé en théologie et en métaphysique qu'en poésie et en art, il a tout dérobé aux Grecs, après le bon le mauvais, mais il a apporté au christianisme l'apothéose, qui y est devenue la canonisation, et les patrons, c'est-à-dire l'idée de transformer peu à peu les anciens dieux païens protecteurs des cités, des quartiers, des papis, des eaux thermales, en saints, par de légères transformations dans leur culte, leur légende et leur nom, afin de concilier la religion nouvelle avec les habitudes anciennes. Enfin l'esprit latin a apporté an christianisme l'idée catholique, l'idée de l'Église romaine remplaçant l'empire romain, ayant ses légats, ses préfets, ses sous-préfets, ses prétoires, son droit écrit, ses juges, son monarque absolu, sen sénat, et ses armées de religieux marchant à la conquête du monde.