Wellington après la
bataille de Waterloo. — Ses dépêches au duc de Berry. — Sa lettre à
Dumouriez. — Il entre en France. — Sa proclamation aux Français. — Il écrit
au duc de Feltre et à M. de Talleyrand. — Entrée de Louis XVIII en France. —
Conférences d'Haguenau. — Réponse de Wellington aux plénipotentiaires
français. — Renvoi de M. de Blacas. Louis XVIII au Cateau-Cambrésis. — Sa
proclamation aux français. — Il arrive à Cambrai. — Seconde proclamation aux
Français. — Tentatives de Fouché près de la commission de gouvernement en
faveur des Bourbons. — Davoust, généralissime de l'armée. — Démarches de MM.
de Vitrolles et Ouvrard près des chefs de l'armée. — La commission de
gouvernement ordonne l'arrestation de M. de Vitrolles. — Sa fuite. — Adresse
de plusieurs généraux la chambre des représentants. — Conférence de la
chambre des pairs. — Envoi de plénipotentiaires à Wellington et à Blücher
pour négocier un armistice. — Conférences des plénipotentiaires avec
Wellington. — Blücher passe sur la rive gauche de la Seine. — Situation de la
France. — Forces de l'armée. — Excelmans attaque et bat un corps de cavalerie
prussienne. — Conseil de gouvernement. — Conseil de guerre à la Villette. —
Il autorise Davoust à capituler. — Démarche de Davoust près de Blücher. —
Réponse de Blücher. — Fouché envoie le colonel Macerone à Wellington et le
général Tromelin à Blücher. — Conférences à Saint-Cloud. — Capitulation de
Paris. — Adoption de la convention de Saint-Cloud par la chambre des
représentants. — Agitation du peuple. — Opposition de l'armée. — Entrée des
Prussiens et des Anglais dans Paris. — La chambre des représentants. — Vote
de la constitution. — Entrevue de Fouché et de Wellington à Neuilly. —
Présentation de Fouché au roi Louis XVIII par M. de Talleyrand. — Conférence.
— Nomination de Fouché au ministère de la police. — Composition du ministère.
— Entrevue de Louis XVIII et de M de Chateaubriand. — Conférences de la
commission de gouvernement. — Occupation des Tuileries et expulsion de la
commission par Blücher. — Dispersion de la chambre des pairs. — M. Decazes
fait fermer la chambre des représentants. — Impuissance de La Fayette.
Entrevue de Carnot et de Fouché.
I La
veille de la bataille de Waterloo, lord Wellington, présumant mieux de
l'attaque de Napoléon contre la forêt de Soignes et préparant déjà une
retraite éventuelle de sa propre armée, qui aurait découvert Bruxelles et
Gand, avait écrit au duc de Berry d'engager Louis XVIII à quitter Gand au
premier signal. Tout était défiance et incertitude dans cette résidence du
roi. On y était accoutumé aux triomphes de Napoléon. Le génie encore inconnu
de Wellington et la témérité fougueuse de Blücher ne rassuraient pas cette
cour. Le roi se préparait avec résignation à porter plus loin, et peut-être
au-delà de la mer, sa tente et son gouvernement. Le bruit du canon, avait
retenti toute la journée du 18 juin jusque sur les hauteurs voisines de Gand.
Des nouvelles sinistres, répandues à Bruxelles par les fuyards des bagages de
l'armée anglaise et rapportées avec des exagérations plus sinistres aux
oreilles du roi et des princes, avaient fait pour eux de cette journée, qui
leur rendait la patrie et le trône, une journée d'angoisse, de panique et de
désespoir. Leur sort se jouait à une distance assez rapprochée d'eux pour
qu'ils en eussent l'émotion, trop loin pour qu'ils en connussent les
péripéties. Wellington, dans la nuit qui suivit la bataille, se hâta de les
rassurer. Il écrivit de sa main au duc de Berry, commandant en chef la petite
armée du roi à Alost, pour lui annoncer la victoire. « Comme je compte
passer la frontière demain, lui disait le général victorieux, je prie Votre
Altesse de se mettre en marche pour se joindre à nous. J'écris au roi pour le
prier de se mettre en mouvement par la même route. » Il
écrivait, la même nuit, au général Dumouriez, ce vieux transfuge de la France
qui suivait de l'œil la guerre contre sa patrie, et à qui Wellington rendait
compte de ses succès comme un élève à un maître de la guerre : « Vous
apprenez ce que j'ai fait, et j'espère que vous en serez content. Jamais je
n'ai vu une telle bataille, ni remporté une telle victoire, et j'espère que
c'est fini de Bonaparte Nous allons le poursuivre, vivant. » Il
adressait le lendemain une proclamation aux Français, en franchissant la
frontière, pour leur annoncer qu'il entrait à la tête d'une armée
victorieuse, non en ennemi, disait-il, mais en libérateur, et pour les aider à
secouer le joug de l'ennemi du genre humain, avec lequel on ne pouvait avoir
ni paix ni trêve. Il recommandait la plus scrupuleuse discipline à son armée. Il
écrivait au duc de Feltre, ministre de la guerre de Louis XVIII à Gand, de
presser le roi, dont la présence était très-nécessaire, de marcher sur ses
pas et de se présenter aux Français, qui imploraient son retour et sa
médiation. « Nous trouvons déjà le drapeau blanc sur les villes et sur
les villages, lui écrivait-il ; la défaite de l'armée de Napoléon est
plus décisive qu'on ne le croyait au premier moment. Les soldats s'en vont
par bandes à leurs foyers, la cavalerie et le train d'artillerie vendent leurs
chevaux dans les pays qu'ils traversent, l'infanterie jette ses armes et se
disperse pour regagner ses habitations. Il y a plus de deux mille fusils à
ramasser dans la forêt de Mormal. » Il
sommait les commandants de place et le général qui occupait Cambrai de rendre
les armes au roi de France. Enfin, préoccupé lui-même autant que les
ministres de Louis XVIII de la crainte d'une divergence entre les puissances
sur la restitution du trône au roi, il écrivait à M. de Talleyrand du
Cateau-Cambrésis, où ce prince venait d'arriver à sa suite : « Le
roi est arrivé, il a été accueilli avec les transports de joie que j'espérais
par les habitants ; je regrette que vous n'ayez pas accompagné le roi ici
c'est moi qui ai vivement insisté auprès du roi pour qu'il entrât en France
aussitôt que nous, parce que je désirais donner, par la présence du roi à la
bataille de Waterloo, tous les résultats qu'elle doit avoir, et parce que,
prévoyant que Sa Majesté toucherait à une crise grave de son trône, surtout
quand nous approcherions de Paris, je voulais que le roi fût aussi près que
possible de la scène où se déciderait son sort. Je ne doute pas que, si vous
aviez entendu les considérations qui me dirigent dans cette occurrence,
lorsque vous avez conseillé à Mons au roi de ne pas entrer en France, vous
auriez donné un conseil différent à Sa Majesté. » Lord
Wellington exprimait plus clairement dans une autre lettre la crainte que, si
Louis XVIII ne se hâtait pas de ressaisir le rôle de souverain, reprenant de
lui-même et par la volonté de son peuple la couronne, l'Autriche, la Prusse
et la Russie n'abandonnassent la cause du souverain légitime et ne
transférassent son droit à quelque autre prince de la maison de Bourbon ou de
la famille de Napoléon. Le roi,
sourd aux avis de M. de Talleyrand et attentif à ceux de lord Wellington,
s'avançait avec sa petite armée et sa cour vers Cambrai. On l'accueillait
partout comme le médiateur naturel entre le peuple et l'étranger.
Indépendamment des sentiments royalistes, plus développés dans le nord et
dans l'ouest que dans le centre de la France, et qui précipitaient les
populations au-devant de lui, l'instinct du salut public, dominant toutes les
négociations de partis, appelait évidemment ce prince a pacifier et à
préserver une seconde fois le sol des représailles de l'Europe. Rien ne
résistait à ce courant général de l'opinion et du bon sens en France. Le nœud
du 20 mars se dénouait partout de lui-même à l'approche du roi. A Paris
seulement, centre de toutes les intrigues et de toutes les factions
napoléoniennes, orléanistes, militaires ou parlementaires, il y avait quelque
difficulté de le trancher. II La
Fayette, Sébastiani et Laforêt, plénipotentiaires nommés par Fouché pour
aller suivre aux quartiers généraux des puissances une ombre de négociation
dont nous avons dit plus haut le sens, n'obtenaient que des égards évasifs et
des ajournements. A Haguenau, séjour momentané des deux empereurs et du roi
de Prusse, ces souverains avaient éludé les audiences qu'ils avaient
demandées. M. de La Fayette, qui comptait sur son nom et sur quelques
relations directes qu'il avait eues chez madame de Staël, l'année précédente,
avec l'empereur Alexandre, tenta en vain de raviver ces souvenirs pour
attirer' l'empereur de Russie dans je ne sais' quelle cause mal définie
d'empire modifié ou de royauté altérée par l'illégitimité de la couronne.
Alexandre refusa de le voir. Les souverains se bornèrent à nommer des
commissaires devant lesquels les plénipotentiaires français seraient admis à
présenter leurs bases de négociation. Ces conférences, qui : n'étaient qu'un
jeu pour Fouché, n'étaient qu'une complaisance sans portée aussi de la part
des puissances. Elles se passaient en vaines conversations. On parla pour le
trône de France de Napoléon II, du duc d'Orléans, du prince d'Orange, du roi
de Saxe. Ces chimères du parti bonapartiste, qui cherchait seulement à ne pas
recevoir un démenti 'complet de la révolution du 20 mars, n'obtinrent pas
même l'honneur d'une sérieuse réfutation. S'il était humiliant pour le parti
bonapartiste ou ennemi des Bourbons de recevoir de nouveau Louis XVIII,
imposé par la nécessité et par la victoire, mais accepté par le sentiment de
la majorité du peuple, il était mille fois plus honteux de solliciter de la
complaisance des souverains vainqueurs de Bonaparte un prince étranger et
inconnu de la patrie. M. de La Fayette et M. de Laforêt montrèrent dans ces
conférences aussi peu de sens politique que de véritable esprit national.
'Sébastiani parut plus intelligent, de la "force et des convenances des
circonstances. Le peuple français, dit-il, est libre toujours de son choix il
n'a rien prononcé, il ne demande que paix et rétablissement de bons rapports
entre lui et l'Europe. » Les conférences, après ces courtes divagations de
paroles, furent rompues par le commissaire anglais, qui déclara, de concert
avec les autres puissances, qu'il n'avait aucun pouvoir pour rien stipuler, III Lord
Wellington répondit avec plus d'égards, mais avec plus de franchise, à ceux
des plénipotentiaires qui avaient été dirigés sur son quartier général et sur
celui de Blücher. Il ne leur dissimula pas que dans sa pensée la première
condition de tout armistice et de toute négociation était l'a reconnaissance
des droits de Louis XVIII, expulsé du trône par une faction vaincue, et
rentrant de plein droit dans son pouvoir sur les ruines de cette faction.
Seulement, d'accord déjà en tout avec M. de Talleyrand et avec Fouché, qui
correspondaient tous les jours avec lui et qui voulaient obtenir du roi
l'éloignement de M. de Blacas et ta nomination d'un ministère plus national
et plus dans leur parti, lord Wellington avouait officieusement aux
plénipotentiaires que le roi avait fait des fautes en 1814, qu'il ne s'était
pas entouré d'hommes d'État suffisamment caractérisés par leur esprit
constitutionnel, et les assurait qu'en rentrant, à Paris ce prince donnerait
librement tous : les gages 'compatibles avec la dignité du trône. En ce qui
concernait l'insinuation des partisans du duc d'Orléans, lord Wellington
répondit que ce prince sur le trône serait le démenti à tous les principes
d'hérédité qui régissaient les monarchies en Europe, et qu'il ne serait aux
yeux de l'Angleterre qu'un autre Napoléon, moins sa gloire, et un usurpateur
de sang royal. IV Pendant
ces vaines tentatives de négociation, le roi s'avançait lentement derrière
les armées de Wellington et de Blücher. Avant de mettre le pied sur le sol
français, il s'était séparé momentanément de M. de Blacas, ce favori dévoué,
mais redouté, dont l'impopularité aurait élevé entre la France et le roi une
inopportune antipathie. M. de Chateaubriand et ses amis, M. de Talleyrand,
Fouché et leurs agents, lord Wellington lui-même, obtinrent avec peine de ce
prince ce sacrifice à la nécessité. La séparation douloureuse pour le roi fut
adoucie pour le favori par des titres et des munificences qui s'élevaient à
sept ou huit millions. M. de Blacas se montra digne de ces bienfaits de son
maître en reportant cette fortune, don de la main royale, aux pieds de Charles
X détrôné et pauvre dans son dernier exil. Louis
XVIII publia au Cateau-Cambrésis la proclamation royale qui rappelait son
peuple à lui. « Dès
l'époque, disait le roi, où -la plus criminelle des entreprises, secondée par
la plus inconcevable défection, nous a contraint de quitter momentanément
notre royaume, nous vous avons avertis des dangers qui vous menaçaient si
vous ne vous hâtiez de secouer le joug du tyran usurpateur. « Nous
n'avons pas voulu unir nos bras ni ceux de notre famille aux instruments dont
la Providence s'est servie pour punir la trahison. Mais aujourd'hui que les
puissants efforts de nos alliés ont dissipé les satellites du tyran, nous
nous hâtons de rentrer dans nos États pour y rétablir la constitution que
nous avons donnée à la France, réparer, par tous les moyens qui sont' en
notre pouvoir, les maux de la révolte et de la guerre qui en a été. la suite
nécessaire récompenser les bons, mettre à exécution les lois existantes
contre les coupables enfin pour rappeler autour de notre trône paternel
l'immense majorité des Français ; dont la fidélité, le courage et le
dévouement ont porté de si douces consolations dans notre cœur. « Donné
au Cateau-Cambrésis, le 25 juin 1815, et de notre règne le vingt et unième. « Signé LOUIS. » L'influence
des conseils de M. de Blacas se faisait encore sentir dans cette imprudente
proclamation, rédigée par le roi et par son chancelier, M. Dambray. Le
ressentiment des paroles pouvait porter les chambres, l'armée et les nombreux
complices du 20 mars, au désespoir par la perspective des châtiments dont le
prince les menaçait si impolitiquement. L'amnistie est la première condition
des réconciliations entre un roi et son peuple. Un vainqueur aurait eu à
peine le droit de parler ainsi. Louis XVIII n'était qu'un vaincu ramené par
une victoire étrangère. Son rôle était de se présenter comme l'intercesseur
et non comme l'exécuteur de l'Europe. Cette proclamation mal inspirée
ralentit le mouvement qui entraînait tout à lui. V Le roi
arriva à Cambrai, dont les portes lui furent ouvertes par le peuple, malgré
la résistance de la garnison. Il y entra par' la brèche triomphale que
l'amour du peuple et le déliré des femmes et des enfants lui avaient faite,
et que des jeunes filles jonchaient de fleurs. Il y trouva son ministère tout
entier, qui lui inspira une proclamation aux Français plus paternelle et plus
habile. « Les
portes de mon royaume, disait le roi, s'ouvrent devant moi. J'accours pour me
placer une seconde fois entre les Français et les armées alliées, dans
l'espoir que les égards dont je peux être l'objet tourneront au salut de mes
sujets. C'est la seule manière dont j'ai voulu prendre part à la guerre. Je
n'ai point permis qu'aucun prince de ma famille parût dans les rangs des
étrangers, et j'ai enchaîné le courage de ceux de mes serviteurs qui avaient
pu se ranger autour de moi. « Revenu
sur le sol de la patrie, je me plais à parler de confiance, à mes peuples.
Lorsque je reparus au milieu d'eux, je trouvai les esprits agités et emportés
par des passions contraires mes regards ne rencontraient de toutes parts que
des difficultés et des obstacles. Mon gouvernement devait faire des fautes ;
peut-être en a-t-il fait. Il est des temps où les intentions les plus pures
ne suffisent -pas pour diriger, où elles égarent. L'expérience seule pouvait
avertir ; elle ne sera pas perdue. Je veux tout ce qui sauvera la France ! « Mes
sujets ont appris, par. de cruelles épreuves, que le principe de la
légitimité des souverains est une des bases fondamentales de l'ordre social,
ta seule sur laquelle puisse, s'établir, au milieu d'un grand peuple, une
liberté sage et bien ordonnée. Cette doctrine vient d'être proclamée comme
cette de l'Europe entière. Je l'avais consacrée d'avance par ma charte, et je
prétends ajouter à cette charte toutes les garanties qui peuvent en assurer
le bienfait. « L'unité
du ministère est la plus forte que je puisse offrir j'entends qu'elle existe,
et 'que la marche franche et assurée de mon conseil garantisse tous les
intérêts et calme toutes les inquiétudes. « On
a parlé dans, les derniers temps du rétablissement de la dîme et des droits
féodaux. Cette fable, inventée par l'ennemi commun, n'a pas besoin d'être
réfutée. On ne s'attendra pas que le roi de, France s'abaisse jusqu'à repousser
des calomnies et des mensonges. Le succès de la trahison en a trop indiqué la
source ; si les acquéreurs de domaines nationaux ont conçu des inquiétudes,
la charte aurait dû suffire pour les rassurer. N'ai-je pas moi-même proposé
aux chambres et fait exécuter des ventes de ces biens ? Cette preuve de ma
sincérité est sans réplique. « Dans
ce dernier temps, mes sujets de toutes les classes m'ont donné des preuves
égales d'amour et de fidélité ; je veux qu'ils sachent combien j'y ai été
sensible, et que c'est parmi tous les Français que j'aimerai à choisir ceux
qui doivent approcher de ma personne et de ma famille. « Je
ne veux exclure de ma présence que ces hommes dont la renommée est un sujet
de douleur pour la France et d'effroi pour l'Europe. Dans la trame qu'ils ont
ourdie, j'aperçois beaucoup de mes sujets égarés et quelques coupables. « Je
promets, moi qui n'ai jamais promis en vain, l'Europe entière le sait, de
pardonner aux Français égarés tout ce qui s'est passé depuis le jour où j'ai
quitté Lille au milieu de tant de larmes, jusqu'au jour où je suis entré dans
Cambrai au milieu de tant d'acclamations. « Mais
le sang de mes enfants a coulé par une trahison dont les annales du monde
n'offrent pas d'exemple. Cette trahison a appelé l'étranger au cœur de la
France. Chaque jour me révèle un désastre nouveau. Je dois donc, pour la
dignité de mon trône, pour l'intérêt de mes peuples, pour le repos de
l'Europe, exempter du pardon les instigateurs et les auteurs de cette trame
horrible. Ils seront désignés à la vengeance des lois par les deux chambres
que je me propose de rassembler incessamment. « Français
tels sont les sentiments que rapporte au milieu de vous celui que le temps
n'a pu changer, que le malheur n'a pu fatiguer, que l'injustice n'a pu
abattre. « Le
roi, dont les pères règnent depuis des siècles sur les vôtres, revient pour
consacrer ses jours à vous défendre et à vous consoler. « Donné
à Cambrai, le 28e jour du mois de juin de l'an de grâce 1815 et de notre
règne le vingt et unième. « Signé LOUIS. » VI On
reconnaissait dans ce manifeste l'esprit insinuant de M. de Talleyrand, la
magnanimité royaliste de M. de Chateaubriand, et la majesté de style du roi
lui-même. Concerté aussi avec Fouché, dont les émissaires se succédaient sous
différents déguisements auprès du prince, il produisit une immense impression
sur l'esprit public en faveur du roi. Ses promesses désintéressaient tout le
monde de la résistance, excepté trois ou quatre grands coupables du .20 mars,
pour qui la nation irritée n'était pas disposée à sacrifier son existence ou à
ajourner sa pacification. Les
maréchaux et les généraux restés fidèles à la cause du roi pendant le second
règne de Napoléon accouraient au-devant de lui. Macdonald, Oudinot, Gouvion
Saint-Cyr, étaient déjà à Cambrai. Les restes de l'armée repliés autour de
Paris, et les chambres enfermées dans la capitale, s'opposaient seuls à la
complète restauration du trône des Bourbons. Fouché, feignant toujours de
négocier avec les ennemis, négociait en réalité avec les chambres. Mais,
embarrassé par ses collègues du gouvernement, il comptait sur la pression des
dangers publics pour l'aider à triompher des obstacles dont il était entouré,
et pour faire éclater le cri des royalistes, comprimé encore par la terreur
de l'armée dans Paris. Si, d'un côté, ce ministre, jeté au milieu de tant de
hasards, souffrait de l'impatience d'en finir avec les débris de Napoléon,
d'un autre côté, il n'était pas fâché que la prolongation et la complication
de ces difficultés élevées par la nature même des choses, sous les pas de
Louis XVIII, missent plus d'éclat, plus d'importance et plus de prix aux
services qu'il voulait lui rendre pour racheter son irrémissible régicide
dans le cœur d'un roi, et pour conquérir une large part du pouvoir, après son
second avènement. VII Il tâta
plusieurs fois le conseil de gouvernement sur une proclamation des Bourbons.
Ses insinuations mal accueillies par la majorité de ses collègues et surtout
par Carnot, qui voulait des gages de liberté en échange du trône restitué au
roi, forcèrent Fouché à ajourner à des moments plus extrêmes. La
première condition de liberté pour Paris était l'éloignement de l'armée
peuplée des créatures de Napoléon, et qui, eh fraternisant avec les chambres,
les fédérés, les faubourgs, pouvait ensevelir Paris sous ses propres débris.
Fouché, sûr de la fermeté, de la mesure et de la prudence du maréchal
Davoust, le fit nommer généralissime de l'armée sous Paris. Davoust était
trop soldat pour porter ombrage à l'armée, trop patriote pour immoler cette
armée et la capitale à un accès de rage contre les Bourbons et à un
dévouement posthume à Napoléon. Il
établit son quartier général à la Villette. Grouchy, tous les chefs et tous
les corps 'de l'armée du Nord s'y groupaient autour de lui ; l'ennemi
grossissant en face, -Paris travaillé et fluctuant derrière eux, situation
qui commandait la négociation, non la bataille. Fouché l'insinuait à toute
heure plus clairement ou plus obscurément au maréchal. Lui-même y était
résolu, les généraux, ses subordonnés, autant que lui. Les plus difficiles,
en apparence, à convaincre, ne cherchaient évidemment qu'à faire de
meilleures conditions. Les nombreuses versatilités de leur vie militaire les
avaient trop assouplis aux événements, pour qu'une fois l'honneur sauvé,
aucun d'eux s'aventurât dans une opposition désespérée à la fortune. Ils
n'étaient retenus que par cette pudeur muette qui, dans des circonstances
impérieuses, mais douloureuses, empêche, chacun de prendre l'initiative et la
responsabilité d'une résolution secrètement désirée par tous. Le quartier
général du maréchal était assiégé de conseillers officieux, d'agents secrets,
de négociateurs avoués ou désavoués du roi, de M. de Talleyrand, de Fouché,
qui se mêlaient aux entretiens des généraux et qui s’efforçaient de les
incliner à la capitulation. De ce nombre étaient encore M. de Vitrolles,
homme habile à s'introduire partout, et qui savait ce qu'on peut oser avec
des caractères ébranlés par des intérêts ; M. Ouvrard, un des hommes les plus
aventuriers de la fortune sous le Directoire qui savait la puissance des
affaires publiques sur l'argent et de l'argent sur les affaires publiques.
Tous ces hommes, les uns par un intérêt, les autres par une opinion,
poussaient les généraux à composer avec les circonstances. La masse des bons
citoyens parlait le même langage a l'armée. A quoi bon s'obstiner dans une
antipathie militaire contre les Bourbons quand Napoléon était vaincu, déchu,
fugitif, déjà peut-être voguant vers le Nouveau-Monde, et quand la capitale
et la patrie n'avaient plus donner que leurs cendres au fanatisme de ce nom ? VIII Carnot
soupçonnait Fouché de souffler le nom de Louis XVIII par la bouche de ces
hommes, de ruiner ains les concessions qu'il espérait toujours arracher à la
monarchie. Provoqué par quelques représentants bonapartistes de l'Assemblée
qui voulaient disputer l'entrée de Paris au roi, et qui accusaient tout bas
la trahison de Fouché, Carnot éclata enfin dans le conseil contre les
manœuvres dont le quartier général était le foyer et contre l'intervention de
M. de Vitrolles, agent avoué des royalistes, insurrecteur de Toulouse,
emprisonné pour ce fait, aujourd'hui libre, et corrupteur impuni des généraux
tandis qu'il devrait être enfermé dans les cachots de Vincennes. « Oui,
s'écria-t-il, cet homme conspire pour Louis XVIII et il n'est peut-être pas
le seul, ajouta-t-il en plongeant dans les yeux de son collègue un de ces
regards qui achèvent la parole. — Voulez-vous dire que je conspire avec lui ?
répondit Fouché en affectant une assurance que cette interpellation avait un
moment troublée. Eh bien, dites-le tout haut, et accusez-moi devant la
chambre rien ne vous en empêche. Mais je me défendrai ! » Carnot,
aussi prompt à désavouer son soupçon qu'il avait été hardi à le produire dit
qu'il n'accusait pas son collègue d'une complicité coupable avec cet agent du
royalisme, mais que cet homme corrompait jusqu'au généralissime lui-même, et
qu'il était urgent de l'emprisonner de nouveau. « Comment, reprit alors
dérisoirement Fouché, le maréchal Davoust lui-même aussi vous est suspect ?
Celui-là, du moins, sera difficile a arrêter ; allez le saisir, si vous
l'osez, au milieu de son quartier général ! » Fouché
se refusa à l'arrestation de M. de Vitrolles. Caulaincourt, lié par des
rapports personnels avec cet agent de Louis XVIII, annula sa voix ; la
majorité décida l'arrestation Fouché fit prévenir son intermédiaire, qui
échappa ainsi à quelques jours de prison. Carnot, nonchalant et silencieux,
parut se contenter de cette puérile satisfaction donnée à ses ombrages, et
plia de nouveau, tout en murmurant, sous l'ascendant de Fouché et des
événements. IX Un
petit nombre de généraux exaltés s'indignaient, seuls dans l'armée, contre
les apparences visibles de négociations qui se nouaient entre Davoust,
Grouchy et les armées étrangères. Les généraux Dejean, Fressinet et
quelques-uns des colonels et des officiers de l'armée signèrent une adresse
aux chambres pour protester contre l'entrée des Bourbons. Cette adresse,
communiquée à Davoust et envoyée à la chambre des représentants, y fut lue
par Dupont (de l'Eure). Les généraux Pajol, Fressinet, d'Erlon, Roguet,
Harlet, Pelet, Christian, Brunet, Chasteau, Vandamme, Ambert, l'avaient
signée. Davoust, lui-même, pour ne pas rompre avec ses lieutenants, avait
consenti à y mettre son nom. « Les Bourbons n'offrent aucune garantie à la
France, nous saurons mourir contre eux, » disait cette adresse, sorte de
serment renouvelé du 20 mars. Elle
reçut quelques vains applaudissements du parti militaire ou bonapartiste de
l'Assemblée, et ne changea rien à des nécessités qui n'écoutaient plus de
paroles. Les événements marchaient en laissant les chambres derrière eux. Le
maréchal Davoust, lui-même, n'avait signé cette protestation que pour ne pas
perdre son crédit sur ses camarades. Grouchy négociait pour un armistice par
ses ordres et par ceux de Fouché. Personne ne voulait avoir l'apparence de
traiter ; tout le monde traitait. On fermait les yeux aux pourparlers entre
les deux armées et les deux causes. Le maréchal Ney, le maréchal Grouchy, le
maréchal Mortier, consultés par la chambre des pairs sur la possibilité de
prolonger la défense de Paris, après la prise du village d'Aubervilliers par les
troupes de Blücher, répondaient qu'une capitulation était indispensablement
commandée par les lois civilisées de la guerre, si l'on ne voulait pas livrer
la capitale à l'assaut et au ravage d'un ennemi irrésistible. La chambre,
convaincue, mais retenue encore par les protestations de quelques généraux,
moins sincères ou plus désespérés dans leur cause, attendit néanmoins le
résultat d'une autre négociation ouverte par M. Bignon. Ce
ministre, qui portait les illusions de la diplomatie dans les réalités de la
guerre avait envoyé des plénipotentiaires à Wellington et à Blücher pour en
obtenir un armistice après l'insuccès de La Fayette et de Sébastiani. Ces
plénipotentiaires diplomates, Andréossy, Valence, Boissy d'Anglas,
Flaugergues, Labesnardière, avaient pour instruction de' faire accepter pour
limite infranchissable aux deux armées une ligne distante de vingt lieues de la
capitale. Cette démarcation, arbitrairement tracée sur la carte par le
ministre dans son cabinet, n'était défendue que par le doigt de ce diplomate.
Blücher la franchit avec dédain, refusa de recevoir des plénipotentiaires qui
n'avaient à opposer que des paroles à deux cent mille hommes vainqueurs et
irrités. A peine leur permit-il, par égard pour l'Angleterre, de traverser
ses avant-postes et une partie de son armée pour se rendre au quartier
général de son collègue Wellington. X Ce
général rendit compte ainsi à son gouvernement de sa conférence avec eux :
« J'ai reçu les cinq commissaires envoyés de Paris pour me demander une
suspension d'armes. Je leur ai dit que je ne pouvais, dans l'état présent des
choses, considérer toute tentative de négocier avec nous que comme un piège,
et que suspendre mes opérations, ce serait trahir nos alliés. Ils m'ont dit
qu'ils avaient tous les motifs de croire que Napoléon avait définitivement
quitté Paris, et que, dans le cas où il s'obstinerait à rester à la
Malmaison, il y avait plusieurs moyens de s'en défaire, soit en l'envoyant en
Angleterre, soit en le confiant à l'empereur d'Autriche, son beau-père. J'ai
répondu que je n'avais aucun pouvoir pour décider entre ces divers partis,
mais que, s'il était envoyé en Angleterre, je ne doutais pas que le prince
régent ne crût de son devoir de le remettre à la disposition de ses alliés. « Ils
me dirent alors qu'ils le croyaient déjà à Rochefort ou embarqué pour
l'Amérique, et me demandèrent si, dans le cas où ce départ serait accompli,
je consentirais à suspendre ma marche sur Paris. J'ai répondu
qu'indépendamment de la présence de Napoléon, il y avait les adhérents à sa
cause qui avaient déclaré la guerre aux alliés, et qu'avant de suspendre mes
opérations, la prudence me commandait de voir établir préalablement en France
l'ébauche au moins d'un gouvernement qui donnât quelques gages de sécurité
dans la paix de l'Europe. Ils me demandèrent de leur indiquer la pensée des
alliés sur cet article ; je leur dis que je n'avais à cet égard aucun titre
pour parler, soit au nom de l'Angleterre, soit au nom de ses alliés, mais que
mon opinion privée et personnelle était qu'il n'y avait de sécurité pour
l'Europe et pour eux que dans la restauration du roi, que tout autre système
enfanterait inévitablement de nouvelles éventualités de guerre, qu'il y avait
même plus de vraie dignité pour eux à rappeler sans condition leur roi
fugitif que de lui imposer des entraves qui retarderaient la paix et
gêneraient ses intentions constitutionnelles. Ils professèrent tous devant
moi la conviction individuelle que le rappel du roi pouvait seul obvier aux
malheurs des circonstances. Ils me dirent que le rétablissement de Louis
XVIII était au fond le vœu du gouvernement provisoire lui-même, et que ce
gouvernement et les chambres n'avaient proclamé momentanément Napoléon II que
pour assoupir et se concilier les soldats réfugiés à Paris en si grande masse
après la bataille de Waterloo, qu'on craignait leur sédition et la guerre
civile. Ils m'interrogèrent pour savoir de moi si une régence, gouvernant au
nom de Napoléon II, serait de nature à satisfaire les alliés. Je répondis
énergiquement que je ne le pensais pas. Enfin, ils insistèrent encore pour
avoir mon opinion sur l'appel au trône de France d'un prince autre que le roi
légitime. Je refusai de discuter ces hypothèses, m'en référant à ce que je
leur avais précédemment répondu. « Ils
me suivirent encore à mon quartier général. Ils renouvelèrent leurs questions
sur l'appel au trône d'un prince autre que leur roi. Je répondis plus
catégoriquement que je ne voyais de gage de paix pour la France et de
sécurité pour l'Europe que dans Louis XVIII. Ils me dirent qu'ils m'avaient
parfaitement entendu ; quelques-uns ajoutèrent, en faisant allusion à
l'opinion que je venais d'exprimer : « Vous avez parfaitement raison !
» « Le
surlendemain enfin, m'ayant appris le départ de Napoléon pour les États-Unis,
et m'interrogeant sur ce qu'il y avait à faire préalablement à la paix, je
leur déclarai que, le principal obstacle à un armistice étant écarté, la
mesure la plus convenable à prendre, selon moi, était de faire replier
l'armée française derrière la Loire, et de confier Paris à la garde
nationale. J'ajoutai que, si ces termes étaient consentis. par eux,
j'interviendrais auprès de mon collègue Blücher pour l'engager a suspendre sa
marche et les hostilités. Ils firent des objections à la retraite de l'armée
derrière la Loire, bien qu'ils m'eussent dit l'avant-veille que la présence
de l'armée à Paris avait été le seul motif qui avait induit le gouvernement
et les chambres à proclamer Napoléon II. Je répliquai, que tant qu'un soldat
serait dans Paris, je ne suspendrais pas mes opérations, et, dans le fait,
s'ils consentaient à restaurer Louis XVIII sur son trône, ce prince, entouré
dans Paris par l'armée et par les chambres, serait à la merci des créatures
de Napoléon et l'instrument de leurs desseins. » XI Les
plénipotentiaires de M. Bignon rentrèrent dans Paris au moment où Blücher,
tournant la capitale, passait sur la rive gauche de la Seine. La ville,
faiblement fortifiée sur les deux rives, n'avait pour se défendre que les
débris de Waterloo, réduits par la désertion et le découragement à environ
vingt mille hommes de toutes armes, l'armée de Grouchy réduite à trente mille
combattants, quelques dépôts de troupes qui n'avaient pas fait la campagne,
quelques poignées de volontaires et de fédérés propres seulement à combattre
derrière des retranchements, beaucoup de pièces de canon, peu d'artilleurs
pour les servir, des généraux divisés d'intérêt et d'opinion, se défiant les
uns des autres, des maréchaux dont les uns se hâtaient de rejoindre le roi,
dont les autres traitaient dans leurs cœurs, tout en affectant de vouloir
combattre encore pour obéir à leurs soldats, et dont les plus renommés
avouaient hautement dans leurs entretiens et dans leurs rapports aux chambres
que la lutte, désormais sans objet par l'abdication de l'empereur, n'était
que l'incendie de Paris, le massacre de nos derniers bataillons, le sacrifice
inutile et sans espoir de la capitale et de la patrie à une ombre d'empire en
fuite que la victoire même ne ressaisirait- pas. Les
historiens du 20 mars, qui ont énuméré complaisamment, depuis, les forces
imposantes ralliées sous Paris, en les portant à cent dix mille hommes, ont
pris des chiffres pour des hommes sur les tableaux militaires qu'ils ont
compulsés. L'armée n'existait plus qu'en noyaux de cinquante ou soixante
mille combattants autour de Paris pour protéger le gouvernement et les
chambres dans la ville, défendre les murs, et tenir la campagne contre trois
cent mille hommes couvrant déjà les deux rives de la Seine, et contre quatre
cent cinquante mille hommes arrivant des Alpes et du Rhin par la Bourgogne et
la Champagne. Le Midi
s'insurgeait partout pour les Bourbons, idoles des populations de ces
provinces. L'Ouest courait aux armes, et s'organisait sous les chefs
royalistes, pour combattre à la fois les troupes de Bonaparte et interdire
l'accès de leur contrée à l'étranger. Le Nord ouvrait toutes ses places
fortes au roi lui-même. Paris l'attendait avec impatience. Que pouvaient
quelques milliers d'hommes, même vainqueurs, contre les trois quarts de la
France et contre l'Europe entière sous Paris ? Exaspérer la victoire, et
faire à l'ombre de Napoléon un sacrifice de plus. Ces historiens écrivent
pour consoler un parti, non pour rendre témoignage aux faits. L'armée, dans
l'intérêt de la patrie, devait se conserver à la France et au roi, en
s'abritant derrière la Loire et en cessant de disputer la paix à la nation et
le trône à Louis XVIII. Les hommes de guerre les plus héroïques, les plus
éprouvés et les plus compromis de l'époque, Soult, Davoust, Grouchy, Oudinot,
Masséna, Ney lui-même, en jugeaient unanimement ainsi. De quel droit des
écrivains de parti accusent-ils d'inexpérience ces maîtres de la guerre et de
lâcheté ces braves ? Ils immolent au fanatisme pour l'empereur jusqu'à ses
plus intrépides lieutenants. XII Davoust,
résolu à traiter, mais voulant honorer la négociation même par les armes,
profita d'une témérité de Blücher, qui avait aventuré un de ses corps de
cavalerie jusqu'à Versailles, en passant la Seine à Saint-Germain, pour tenir
en respect les Prussiens quelques jours de plus. Il ordonna au général
Excelmans, impatient d'exploits, même après ses espérances anéanties,
d'attaquer avec quinze cents hommes de cavalerie le corps de Blücher à
Versailles et de le refouler sur la Seine, où il pouvait être précipité. Ce
coup de sabre dégageait quelques jours de plus la rive gauche, et donnait du
temps aux négociations et du respect à l'ennemi. L'homme
était admirablement choisi pour l'exécuter dans Excelmans. C'était le Murat
de l'armée de Paris. Élevé à l'école du roi de Naples, son ami Excelmans en
avait la rapidité et la chevalerie dans le bras et dans le cœur. Davoust lui
avait promis de le faire soutenir par deux corps d'infanterie, auxquels il
fit repasser la Seine pour cette expédition. Excelmans, ayant divisé sa
cavalerie en deux colonnes, s'avança sur Versailles à la tête de la première.
La seconde, commandée par le général Vichery, se porta sur Rocquencourt, afin
d'attaquer en flanc les Prussiens, qu'Excelmans aborderait en face. Les
Prussiens, déjà sortis de Versailles pour se répandre dans les plaines de
Paris, à gauche de la Seine, rencontrèrent la colonne d'Excelmans dans les
chemins creux de la forêt de Verrières. Le choc du général fut terrible. Ses
régiments, animés, par un chef qui combattait lui-même à la tête de ses
escadrons, sabrèrent les Prussiens jusque dans les rues de Versailles, et les
rejetant sur Rocquencourt, où les attendait la colonne de Vichery, les
détruisirent jusqu'au dernier homme. Libre
alors de ses mouvements, et croyant former l'avant-garde des deux corps,
d'infanterie promis par Davoust, Excelmans, avec ses deux colonnes réunies et
victorieuses, galopa vers Saint-Germain pour jeter le reste du corps de
Blücher dans la Seine. Mais il se heurta seul à Marly contre des masses
d'infanterie de Blücher qui occupaient ces collines. Les corps d'infanterie
lancés le matin par Davoust avaient reçu contre-ordre. Fouché, informé de ces
opérations agressives contre les armées avec lesquelles il était en
négociation, avait blâmé énergiquement cette témérité inutile a la défense,
funeste à la paix. Davoust, convaincu, avait obéi. L'héroïsme d'Excelmans
n'avait fait que de décorer d'un dernier lustre et d'un dernier sang la
capitulation inévitable. XIII Carnot,
le membre le plus militaire du gouvernement, fit lui-même l'inspection des
fortifications et des troupes. Il déclara devant le conseil de guerre,
assemblé et réuni au conseil de gouvernement, qu'il était sans doute possible
de balayer pour un moment la rive gauche des Prussiens qui commençaient à s'y
répandre, mais que ce succès serait momentané, et qu'unis à l'armée anglaise,
ils repasseraient bientôt le fleuve en nombre et en force irrésistibles. Les
conclusions de son rapport étaient décourageantes, quoique amères contre les
chefs militaires. Fouché, interrogé par Dupont de l'Eure sur l'état des
négociations, déclara que les alliés imposaient Louis XVIII que l'Europe
voulait à tout prix les Bourbons ; que s'y refuser, c'était autoriser le joug
de fer que ces princes, soutenus par l'Europe contre l'armée impuissante,
voudraient imposer à la patrie ; que les recevoir sous des conditions
nationales et constitutionnelles, c'était sauver à la fois la capitale, la France
et la liberté ; qu'on stipulerait avec eux pour l'armée, pour les chambres,
pour les hommes compromis dans le 20 mars et couverts ainsi d'une amnistie
dans une capitulation. Ces paroles, appuyées par Masséna et par Soult,
affirmant unanimement que la défense de Paris était au-dessus des forces
humaines, achevèrent de motiver la conviction des ministres, des
représentants, et des militaires présents à cette délibération. Un
seul, un vieux soldat, le maréchal Lefebvre, témoigna quelques doutes sur la
possibilité de défendre au moins quelques jours de plus la rive gauche.
Fouché, feignant d'adhérer aux scrupules d'honneur du maréchal, ordonna la
réunion d'un conseil de guerre à la Villette, chez le généralissime, pour
décider en dernier appel de la situation défensive de Paris. XIV Ce
conseil de guerre, formé de tous les maréchaux présents à Paris, se réunit
dans la nuit au quartier général de la Villette. Soult représenta que la
situation politique dominait la question militaire que la prolongation de la
défense de Paris pendant plus ou moins de jours ne serait que du temps donné
à un plus vaste débordement des armées étrangères sur le territoire et autour
de la capitale. Il reconnut franchement et résolument la nécessité de se
rallier à Louis XVIII, si l'on ne voulait pas que la chute de Napoléon
entraînât la ruine et le démembrement de la patrie. Davoust, Grouchy,
Vandamme lui-même, fortifièrent, avec une triste mais sévère conviction, les
paroles sages et politiques du maréchal Soult « Le bon sens nous crie et crie
à la France qu'il n'y a de salut que dans le roi, s'écriaient-ils tour à tour
; sa modération et sa sagesse sont le meilleur traité. » Quelques jeunes
généraux, parmi ceux qui s'acharnaient à l'espérance de Napoléon II, par
fanatisme pour le père et pour ne pas démentir leur récent enthousiasme,
opposèrent de vagues objections. Les militaires en France sont d'héroïques
soldats des causes debout, rarement martyrs des causes tombées. Le conseil
répondit qu'il n'y avait aucun espoir pour une bataille, aucune garantie pour
Paris en cas de défense prolongée sous ses murs. Fouché,
Carnot, Grenier, Caulaincourt, Quinette, armés de cette délibération des
chefs militaires, qui couvrait leur responsabilité devant la chambre,
autorisèrent, la même nuit, Davoust à conclure une capitulation. En vain des
orateurs napoléoniens à la chambre murmurèrent-ils quelques imprécations
contre la nécessité, quelques insinuations à la trahison contre Fouché.
Fouché, couvert par l'autorité révolutionnaire et militaire de Carnot et par
les maréchaux, brava ces rumeurs. Davoust
envoya des parlementaires à l'armée de Blücher. Ce général répondit, avec la
brutalité d'un barbare, qu'il n'entendrait aucune parole de paix, tant que
l'armée n'aurait pas déposé les armes. Il insulta Davoust dans ses réponses
par des insinuations outrageantes et calomnieuses sur les déprédations
injustement attribuées à ce maréchal à Hambourg, pendant qu'il exécutait les
prescriptions de Napoléon contre la marine et le commerce des villes hanséatiques. XV Fouché,
qui correspondait avec le général anglais par l'intermédiaire d'un Italien,
son confident, ancien aide de camp de Murat, le colonel Macerone, engagea
Wellington à intercéder auprès de Blücher pour le plier aux négociations.
Wellington écrivit au général prussien qu'il serait téméraire à eux seuls
d'investir Paris de tous les côtés qu'un armistice était la meilleure mesure
de guerre pour donner le temps aux armées russe et autrichienne d'arriver à
leur aide. Blücher, influencé par son collègue et par un autre négociateur de
Fouché, le général Tromelin, consentit à une suspension d'armes, à la
condition que l'armée française se retirerait à quarante lieues de Paris.
Wellington passa sur la rive gauche de la Seine, à Argenteuil, pour fortifier
Blücher pendant ces négociations. Le château de Saint-Cloud, ce palais du
repos de Napoléon après ses triomphes, fut désigné par les deux généraux pour
le lieu des conférences. Le ministre des affaires étrangères, M. Bignon, M.
de Bondy, préfet de Paris, et le général Guilleminot, major général de
l'armée sous Davoust, s'y rencontrèrent, le 3 juillet, à quatre heures du
soir, avec Blücher et Wellington. C'était l'heure précise où Napoléon,
s'échappant enfin de la Malmaison, montait, inconnu, dans une voiture de
suite pour gagner le rivage de l'Océan. L'évacuation
de Paris par l'armée française et sa retraite derrière la Loire furent le
premier article de la convention. Le second portait que les armées anglaise
et prussienne protégeraient les autorités actuellement existantes dans Paris,
aussi longtemps qu'elles existeraient. L'artillerie et ses munitions étaient
livrées aux alliés. C'était une capitulation véritable, vainement décorée,
pour sauver l'honneur, du titre de convention. Tout tombait, ville et trône,
à la merci des puissances ; mais Waterloo avait malheureusement tout livré. XVI Paris
consterné offrait sur ses boulevards et sur ses places le même spectacle
qu'en 1814 un peuple nomade de cultivateurs, chassés de leurs villages par
l'approche des armées étrangères, campés avec leurs femmes, leurs vieillards,
leurs enfants, leurs troupeaux, leurs chars chargés de leurs meubles, dans
les rues et dans les promenades de la capitale. Fouché, maître de tous les
ressorts de la police, les employait à semer la panique et la défiance
mutuelle dans les esprits pour déconcerter toute idée de sédition militaire
dans l'armée, d'énergie posthume dans les chambres. Il dominait la crise dans
la rue comme il l'avait dominée dans le conseil de l'empereur et dans le
conseil de gouvernement. La convention, ainsi habilement préparée dans les
esprits abattus du peuple, éclata sans provoquer un murmure elle fut
accueillie avec une résignation officielle et avec une secrète satisfaction
par la chambre. L'ancien ministre de la république Garat monta à la tribune
et reconnut hautement que l'honneur était satisfait. Il demanda seulement que
l'on profitât de cet interrègne pour proclamer, à l'imitation des Anglais,
une théorie fondamentale des droits de l'homme, à jamais reconnue par les
gouvernements que la France accepterait. Manuel s'y opposa, et demanda que la
chambre reprît la délibération sur une constitution en cent articles, dont il
était rapporteur. C'était servir peut-être, à coup sûr réjouir Fouché, que
d'ouvrir une longue et vaine délibération de principes dans une Assemblée qui
avait l'ennemi aux portes, et dont on voulait prévenir l'explosion et modérer
l'énergie. Le général Solignac demanda qu'on votât des actions de grâces à
l'armée. Ce vote fut porté une adresse le fit connaître aux troupes. XVII Cependant
la convention s'exécutait sans obstacle depuis la veille au' soir.
Saint-Denis, occupé par les alliés, avait arboré le drapeau blanc. Une
passagère émotion agita les faubourgs et les derniers bataillons de l'armée,
au moment où les Prussiens se présentèrent pour occuper les postes rapprochés
de la ville et abandonnés par la troupe de ligne. Des hommes du peuple et des
soldats débandés crièrent « aux armes ! » vociférèrent des imprécations
contre les traités, tirèrent des coups de fusil en l'air sur les remparts,
comme pour défier les étrangers et réveiller le patriotisme de la ville, et
se répandirent en groupes menaçants vers les Tuileries, où siégeait Fouché.
Masséna se mit à la tête de la garde, nationale, levée à sa voix, pour
couvrir le gouvernement et maintenir l'ordre. Tout se calma devant le vieux
guerrier et devant les baïonnettes de la bourgeoisie armée dans sa ville. Hors
des murs, quelques bataillons acharnés à la lutte reçurent avec des
vociférations menaçantes l'ordre de quitter la capitale. Ils crièrent à la
trahison et jurèrent au peuple, qui les retenait, de défendre Paris malgré
leurs chefs. Quelques-uns brisèrent leurs armes et refusèrent de marcher vers
la Loire. On parla dans le camp de déposer militairement le sévère Davoust et
de proclamer Vandamme général et tribun des soldats. Les généraux
bonapartistes fomentaient sourdement ces révoltes soldatesques. Vandamme,
soldat populaire mais discipliné, tout près d'atteindre légitimement les plus
hautes dignités de l'armée, refusa d'y monter par la sédition. Il avait voté
lui-même, dans le conseil de défense, pour une retraite nécessaire et pour
les Bourbons, seule garantie maintenant d'indépendance et de paix. Le général
Drouot, commandant la garde impériale à Waterloo, se présenta aux troupes et
les convainquit par ses conseils et son exemple. L'armée se borna à demander
sa solde, à l'exemple des cohortes romaines du Bas-Empire. Le
gouvernement provisoire, tremblant de son exigence, vida les caisses
publiques pour la satisfaire, et emprunta même aux principaux banquiers de
Paris les millions nécessaires pour apaiser les chefs et les soldats. M.
Laffitte, banquier populaire et libéral, se signala par le généreux concours
qu'il offrit ce jour-là au gouvernement. Il lui prêta son or et son crédit,
pour préserver la ville des extrémités auxquelles la sédition de l'armée
pouvait exposer les citoyens. Dans les tristes nécessités que le retour de
Napoléon avait faites à la France, M. Laffitte et tous les hommes nouveaux de
la haute bourgeoisie trouvaient plus de patriotisme dans une paix honorée par
des conditions libérales avec les Bourbons, que dans les désastres prolongés
du pays par l'obstination des adhérents de Napoléon. Tel
était en ce moment le sentiment de la France entière son attitude le prouvait
depuis trois mois. Consternée, mais immobile, elle regardait tomber Napoléon
comme elle l'avait regardé revenir de l'île d'Elbe. La nation, depuis
longtemps, avait sa cause distincte de celle de l'armée. Cette séparation de
l'armée et du peuple qui datait du 18 brumaire, explique seule ce que les
historiens du parti militaire ont voulu depuis expliquer par la trahison des
maréchaux et par l'avilissement moral de la nation. Ils mentent ; rien ne
s'explique par la lâcheté dans un peuple qui venait de conquérir le monde, et
qui se laissait conquérir deux fois sans se lever au bruit de ses armées
détruites et de sa capitale envahie. La nation, affligée et humiliée,
protestait par son immobilité contre une cause qui se jugeait sur son propre
sol, mais qui n'était plus la sienne depuis que la sédition militaire du 18
brumaire et la sédition impériale du 20 mars en avaient fait la cause d'un
homme et d'un parti. La ville et le camp étaient deux patries. XVIII Les
troupes de Blücher et de Wellington étaient entrées dans Paris, et la chambre
des représentants affectait de délibérer encore sur la constitution imitation
puérile du sénat de Rome attendant les Gaulois sur ses chaises curules. Quand
les sénateurs tendaient la gorge aux soldats de Brennus, c'était après avoir
combattu jusqu'à la porte du dernier foyer de Rome. La chambre des
représentants n'avait ni combattu ni fourni les armes aux combattants. Elle
avait siégé et discouru, indécise entre la tyrannie et la liberté, jusqu'au
moment où le sort avait prononcé contre l'homme qu'elle n'avait osé ni
renverser ni soutenir. Elle n'était ni la chambre du pays, ni la chambre de
Napoléon. Mélange confus et discord de tous les demi-partis, elle était
nommée seulement par un petit nombre d'électeurs pour observer les événements
plutôt que pour les dominer. Elle n'avait derrière elle ni la nation, ni
l'armée. Son rôle était puéril en face de l'étranger vainqueur. Elle n'avait
pas paru dans les négociations toutes militaires de Saint-Cloud. L'esprit de
la France s'était retiré d'elle. Fouché, qui s'en était servi quelques jours
pour intimider les velléités dictatoriales de l'empereur, en était maintenant
embarrassé. Il sentait qu'après avoir congédié l'empire, il fallait congédier
promptement, devant les nouveaux maîtres, ce vain simulacre de
représentation. XIX Elle
discuta en quelques heures et vota d'enthousiasme une déclaration des droits
et une déclaration des principes que la fumée du canon de Blücher allait
emporter une heure après. Elle se leva tout entière devant l'ennemi absent et
inattentif, comme pour porter défi au vide, et jura qu'elle saurait mourir
pour l'indépendance à quatre pas des Anglais et des Prussiens, campés dans
ses promenades publiques, et au bruit de ses propres soldats livrant ses
murailles. Blücher et Wellington attendaient pour les franchir que des corps
d'armée plus imposants les eussent rejoints, afin d'écraser par le nombre
l'imagination de Paris. Fouché,
la veille de leur entrée, se rendit, autorisé par ses collègues, au quartier
général de Wellington à Neuilly. Il peignit des couleurs les plus sombres au
généralissime anglais la situation de Paris et de la France ; il exagéra à
dessein les forces de l'opinion napoléonienne et celles du parti républicain
il atténua celles des royalistes il montra la nation comme un volcan mal
éteint, prêt à éclater sous le trône des Bourbons et sous les armées même de
l'Europe, et à tout engloutir, si une main populaire et expérimentée aux
révolutions ne savait, à la fois, le contenir ou l'évaporer à propos. Il se
désignait suffisamment ainsi lui-même à lord Wellington comme l'homme de la
circonstance et comme le génie de la transaction entre l'esprit révolutionnaire
et une seconde restauration. Lord
Wellington, déjà fasciné par les agents de Fouché et favorablement prévenu
par M. de Talleyrand lui-même, qui feignait de déclarer bien haut la
nécessité de Fouché, sortit de cet entretien plus convaincu que jamais que le
roi devait s'en remettre en tout, pour sa rentrée dans Paris et pour son
gouvernement après, à l'habileté souveraine d'un homme qui venait de se jouer
des événements les plus compliqués avec une si haute supériorité d'intrigue
et d'audace. Il vit dans cet homme le dompteur de la révolution, préparé à ce
rôle par la révolution elle-même. Fouché, ravi de l'impression qu'il avait
produite sur l'homme le plus influent de la coalition, et par lui sur le
cabinet britannique, véritable patron de Louis XVIII dans cette guerre, pria
lord Wellington d'obtenir du roi, déjà arrivé au château d'Arnouville, sous
les murs de Saint-Denis, les déclarations d'amnistie et de pacification les
plus libérales. Il lui montra les dangers de laisser plus longtemps Paris à
la merci des hasards, des retours d'opinion, des mouvements populaires ou
soldatesques, des discussions de l'Assemblée, et le conjura de trancher ces incertitudes
en entrant hardiment le lendemain dans Paris. Wellington le promit. En
sortant de Neuilly, Fouché se sentit ministre du roi et 'arbitre de la
Restauration. Un message confidentiel de Talleyrand l'informa que le roi
consentait à le recevoir secrètement le lendemain, 6 juillet, au château
d'Arnouville, halte et quartier général de Louis XVI II et de sa famille.
Fouché, pour se tenir toujours en mesure avec les deux partis obtint de ses
collègues au gouvernement l'autorisation de se rendre à cette entrevue en
qualité de président du gouvernement provisoire, sous prétexte de convaincre
ce prince de la nécessité d'institutions nationales et de lui imposer les
garanties les plus rassurantes pour les principes et les personnes. Il n'eut
aucune peine à convaincre-des hommes déjà convaincus par la nécessité et qui
étaient intéressés à avoir eux-mêmes un négociateur aussi compromis entre eux
et le prince bientôt leur maître. Carnot avait vu lui-même le roi en 1814.
Caulaincourt avait sollicité de paraître à sa cour. Fouché se rendit donc le
6 à Arnouville. XX Tout
était déjà disposé dans l'esprit du roi, dans son conseil, dans sa cour, pour
préparer à Fouché l'accueil qu'un prince reconnaissant doit à l'homme qui lui
rend son peuple et qui lui aplanit le retour au trône. Les royalistes restés
à Paris pendant les cent jours de la domination de Bonaparte se pressaient
depuis deux nuits sur la route d'Arnouville. Impatients d'assurer le retour
du roi et de hâter le règne qu'ils avaient cru perdre pour jamais, ils
avaient fait taire toutes les antipathies de leur naissance, de leur opinion,
de leur émigration même, contre le proconsul de la terreur, le régicide de
Louis XVI, le conspirateur du 20 mars. Les partis, qui ne pardonnent rien à
ce qui les a servis, pardonnent tout à ce qui va les servir. L'utilité est pour
eux l'amnistie de tous les crimes. Les royalistes de Charles II firent de
Monk un héros, les royalistes de Louis XVIII faisaient de Fouché un Monk,
dominateur à la fois de la révolution, du peuple et de Napoléon. « Les
partis, s'écriaient-ils, n'obéissent qu'à leurs complices. » Pour servir, il
avait bien fallu trahir ! Mais la trahison pour une si sainte cause ne
devenait-elle pas la plus mystérieuse vertu ? 'On s'attendrissait, on
s'exaltait jusqu'au mysticisme de l'admiration en parlant d'un si merveilleux
jouteur de révolutions. Le journal de la cour, rédigé par les écrivains les
plus confidents des pensées de l'aristocratie et de la cour, les Débats,
s'humiliait devant le génie de cet homme, et montrait dans Fouché le
machinateur suprême des vicissitudes des empires. « Il avait dit aux amis du
roi, en prenant congé d'eux le 20 mars « Sauvez le roi, je me charge de
sauver la monarchie. » Il a tenu plus qu'il n'avait promis il a sauvé la
monarchie et il ramène le roi. « Tout
s'en mêlait, écrit M. de Chateaubriand lui-même, la religion comme l'impiété,
la vertu comme le vice, le royaliste comme le révolutionnaire, l'étranger
comme le Français. On criait de toutes parts que sans Fouché, ministre du
roi, il n'y avait ni sûreté pour le roi ni salut pour la France ; que lui seul
avait empêché une grande bataille ; que lui seul pouvait achever son ouvrage.
» Aux bonapartistes il garantissait le pardon ; aux révolutionnaires, des
concessions ; aux étrangers, l'occupation pacifique de Paris aux royalistes,
le trône ; au roi lui-même, sa vie. La reconnaissance encore chaude, la
complicité, l'intérêt, l'ambition, la peur, toutes les passions généreuses,
cupides ou lâches du cœur humain, conspiraient en ce moment pour Fouché. L'intrigue
même de ses rivaux d'ambition conspirait à son insu pour lui. M. de
Talleyrand, le chef du ministère de Louis XVIII, l'homme du congrès, le
confident et le conseiller des puissances, ne cessait d'exalter au roi, aux
généraux et aux souverains coalisés, le génie de Fouché, et d'avouer, avec
l'apparence de la supériorité qui reconnaît un égal, la nécessité de cet
homme dans les conseils du roi. « Je ne puis rien sans lui, disait-il ;
Fouché est en ce moment l'homme des événements. Le méconnaître, c'est se
révolter contre l'évidence des situations ; il a la France dans la main, il
faut la prendre ou la laisser. » XXI Ainsi
parlait M. de Talleyrand. Pourquoi parlait-il ainsi, et croyait-il ce qu'il
disait ? Non. il n'avait jamais regardé Fouché que comme un Talleyrand
subalterne, révolutionnaire sorti de la lie des factions, taché de sang et
marqué de ce sceau du régicide qui le rendait à jamais impropre à négocier
avec les cours et à commander, au nom d'une monarchie, le respect des rois
aux peuples. Il n'honorait pas sa basse et vulgaire intrigue du nom de
politique il le regardait du haut de sa naissance comme un parvenu, il le
dédaignait comme son égal, il le haïssait comme son rival ; il daignait
seulement l'accepter comme son instrument. M. de Talleyrand, à titre de grand
seigneur révolutionnaire, de courtisan longtemps transfuge dans la cour de
Bonaparte, de prêtre ayant répudié son sacerdoce et sa foi, avait paru un
scandale de la fortune à la cour et a la tête des conseils de Louis XVIII en
1814. Il avait été imposé par les événements plus qu'accepté par le roi, par
les princes, les princesses, les courtisans et par l'Europe elle-même.
Pénétrant, quoique impassible, l'embarras de cette situation lui pesait et
l'inquiétait sur la continuation de son ascendant à venir. Il était trop
intelligent pour croire Fouché indispensable à la couronne après Waterloo et
devant Paris, déjà évacué par nos troupes et entouré par cinq armées formant
ensemble un million d'hommes. Mais, en affectant de croire à la nécessité de
Fouché et en déclarant tous les jours au roi qu'il ne répondait de rien sans
ce collègue, il se vengeait habilement du roi, des princes, des princesses
des courtisans des émigrés. Il les forçait a élever, de leurs propres mains,
dans leur propre cour, un scandale devant lequel l'inconvenance de sa propre
élévation disparaissait. Qu'était-ce, en effet, que M. de Talleyrand, évêque
affranchi de ses vœux par le souverain pontife, constitutionnel modéré et ami
de Mirabeau en 1790, émigré en Amérique en 1793, pur de sang, grand de
naissance, éclatant de négociations et de talents pendant l'empire, auprès de
Fouché, proconsul et régicide, meurtrier du frère et du père des princes et
des princesses qui allaient lui ouvrir leur cour et leur cœur ? Après un tel
sacrifice volontairement fait à l'utilité d'un pareil homme, de quoi les
Bourbons et leurs amis auraient-ils à se plaindre en voyant M. de Talleyrand
régner dans leurs conseils ? Il leur ôtait, en les entachant eux-mêmes, tout
droit de s'étonner de sa présence et de le flétrir dans l'avenir ; il rendait
Louis XVIII plus complice mille fois que lui-même de la révolution ; il le
ravalait au-dessous de Fouché, et une fois que le cri public se serait élevé
contre le scandale de ce ministre contre nature et que Fouché serait
congédié, le roi et sa cour n'auraient plus rien à opposer à sa propre
domination dans le gouvernement. Le contact avec Fouché leur aurait enlevé le
droit d'affecter toute autre pudeur. XXII Telles
étaient, sans aucun doute, les vraies pensées de M. de Talleyrand quand il
reçut Fouché dans ses bras à Arnouville pour conduire lui-même son rival
d'ambition aux pieds du roi vaincu. La lutte de Louis XVIII avait dû être
longue avant de plier sous cet opprobre de la destinée. Languir vingt ans
loin du palais de ses pères n'était qu'une infortune commune à bien des rois,
tomber d'un trône mal affermi devant le prestige irrésistible d'un conquérant
et sous l'abandon de sa propre armée n'était qu'un revers inévitable dans une
restauration encore chancelante mais prendre pour remonter sur ce trône la
main teinte du sang d'un roi et d'un frère ! démentir ces imprécations
royales et ces gémissements européens dont ce prince avait rempli les cours
de l'Europe imposer à sa nièce chérie, la fille de Louis XVI, la vue et
l'horreur de l'homme qui avait sacrifié son père et sa mère à la révolution
c'était la pire de toutes ses ruines, car c'était le désaveu donné à son
rang, le démenti à son propre sang. En se déclarant l'obligé, il devenait en
apparence, aux yeux de l'histoire, le complice. Amnistier le régicide n'était
que l'exécution du testament de son frère Louis XVI ; l'élever au rang de ses
ministres, à la tête de ses conseils, c'était se déclarer le vassal de ce
qu'il avait toute sa vie appelé le crime. Le trône même, si une pareille
dégradation du caractère royal eût été nécessaire pour s'y asseoir, était
trop cher à ce prix. Le roi sentait toutes ces considérations, sinon par son
âme, du moins par son orgueil de roi ; mais il croyait que, s'il ne se hâtait
pas de ressaisir sa couronne, les manœuvres de Fouché, de La Fayette, de
Sébastiani, les mépris de la Prusse, les faiblesses de l'empereur Alexandre
pour la popularité révolutionnaire de quelques salons de Paris, et l'intérêt
égoïste et caché de l'Autriche allaient ,la transporter à d'autres. Lord
Wellington M. de Talleyrand, les clients nombreux de Fouché dans sa cour,
peut-être même M. de Vitrolles entremetteur insinuant des royalistes à
Arnouville et d'Arnouville au cabinet de Fouché, lui avaient persuadé que la
coalition, à l'exception de l'Angleterre, était prête à l'abandonner à sa
fortune et à couronner une autre maison. On peut
croire que le comte d'Artois lui-même, influencé par M. de Vitrolles, et sa
cour particulière de gentilshommes et d'évêques, pressés de rentrer à toute
condition, n'inclinaient pas moins en secret vers cette faiblesse de cour
couverte du nom de nécessité, et qu'ils n'étaient pas fâchés de voir le roi
accomplir, sous sa seule responsabilité, une bassesse de règne qu'ils se
réservaient de flétrir et d'accuser plus tard. Le roi, qui prétendait au
titre d'homme d'État, s'affligeait sans doute de cette contrainte morale qui
le soumettait à un régicide mais, élevé à l'école de Machiavel et affectant
de mépriser, pour l'intérêt de sa maison, de son trône et de son peuple, les
scrupules du vulgaire, il bravait avec une certaine satisfaction d'orgueil sa
propre sensibilité. Il semblait dire ainsi à M. de Talleyrand et aux hommes
d'État dont il briguait l'admiration Je suis votre égal en indifférence pour
les moyens ; et aux hommes timorés de sa cour Je suis au-dessus de vos
susceptibilités timides, le trône a une morale que vous ne connaissez pas. Il
oubliait que, si un souverain doit s'élever au-dessus des répugnances
personnelles pour sauver son peuple, nul ne peut impunément s'élever au-dessus
de la nature. La nature lui défendait de se laisser présenter à la France et
porter au trône par la main de Fouché. Il y avait du sang entre le ministre
et le roi. La duchesse d'Angoulême le ressentait vivement. Elle se jeta
plusieurs fois aux pieds de son oncle pour le conjurer de lui épargner cette
affliction et cette honte. Elle déclara qu'aucune considération humaine, pas
même l'obéissance au roi, ne la contraindrait à se rencontrer dans le palais
avec un des meurtriers de son père. Elle arrosa de ses larmes les mains du
roi. Il fut tendre, ému, caressant, mais inflexible. « Ma fille, lui dit-il,
la politique a d'autres lois que la nature ; vous devez pleurer, je dois
sauver mes peuples et vous transmettre mon trône ; ce n'est pas le roi de
France qui s'oublie, c'est le régicide qui s'humilie devant le droit de la
couronne, et c'est le roi qui pardonne a de grandes fautes rachetées par de
grands services. » La princesse fut obligée de dévorer son humiliation et sa
douleur, mais elle resta à la cour de son oncle. JI eût été peut-être plus
filial et plus digne à elle de protester par son éloignement contre une
contrainte qu'aucune ambition de règne ne pouvait imposer au cœur d'une
fille. XXIII Fouché
arriva à Arnouville avec M. de Talleyrand. Le roi l'attendait. Toutefois,
lorsque le prince de Poix, de là maison de Noailles, et le capitaine de ses
gardes du corps lui annoncèrent que le ministre attendait à la porte de son
cabinet l'audience accordée, le roi se troubla et pâlit. L'ombre de son frère
se plaça un moment dans sa pensée entre le juge de Louis XVI et lui. Il
reprit sa majesté et son calme, congédia le prince de Poix et ne laissa
entrer dans son cabinet que les deux hommes d'État. L'entrevue secrète, la
conférence entre ces trois têtes qui représentaient trois époques si diverses
l'ancien régime, l'empire, la révolution et qu'une triple ambition
rapprochait pour les réconcilier, n'eut d'autres témoins que les trois
acteurs de cette scène. Louis XVIII, conteur comme la vieillesse, en confia
depuis les détails à une personne de son intimité. M. de
Talleyrand introduisit Fouché. Le roi et le régicide se regardèrent longtemps
sans parler ; le roi affectant la majesté et l'autorité du coup d'œil d'un
supérieur qui consent à se laisser servir ; Fouché, la timidité et l'embarras
d'un coupable qui consent à se laisser pardonner, mais qui sent que ses
services commandent plutôt qu'ils n'implorent le pardon. M. de Talleyrand
cachait sous sa physionomie impassible la joie secrète d'humilier 'son maître
et de protéger son rival. Il dominait l'un et l'autre en ce moment. Il vint
au secours des deux interlocuteurs en abrégeant le cérémonial et en coupant
court aux souvenirs et aux explications. Il dit au roi qu'il amenait à ses
pieds dans Fouché l'homme nécessaire et dévoué qui avait le mieux secondé les
événements auxquels la France devait son roi, et qui pouvait seul dans des
circonstances si difficiles, éclairer les conseils de la couronne et déjouer
les trames de ses ennemis. Fouché, ressentant ou jouant une émotion qui lui
enlevait toute présence d'esprit et toute attitude devant la majesté royale,
se borna à s'incliner et à balbutier quelques mots embarrassés de
reconnaissance et de dévouement au prince et à la monarchie, redevenus le
seul salut de la France et le seul devoir de tout Français. « J'apprécie,
monsieur, lui dit Louis XVIII avec la majesté du rang qui s'incline devant le
mérite, j'apprécie très-haut les services que vous avez rendus dans ces
derniers temps à moi et à ma cause, et ceux que vous pouvez me rendre plus
que jamais dans le ministère de.la police que vous occupez, et je vous ai
désigné d'avance, dans ma pensée, pour ce poste, un des plus importants de
mon gouvernement. Donnez-moi les idées sur les meilleurs moyens de pacifier
mon peuple, d'affermir mon trône, et de ramener les esprits égarés à la
monarchie légitime, seule garantie de la sécurité, de l'indépendance et de la
liberté de mes sujets. » Fouché,
mal rassuré encore, s'inclina en signe de reconnaissance et d'acceptation de
la confiance du roi, et, lui faisant un tableau triste mais exagéré des
animosités des factions, des ressources du bonapartisme, des agitations mal
assoupies de l'esprit révolutionnaire, lui parla du rôle d'Henri IV, qui
n'avait conquis son peuple qu'en se laissant conquérir par les idées
dominantes à son époque, et qu'en se faisant moins le roi de ses amis que le
roi de ses ennemis. Il insista sur la nécessité absolue d'effacer le passé
entre les Bourbons et la France par une amnistie si complète et si réelle
qu'elle ressemblât moins au pardon qu'à l'oubli. « Il
faut que tout le monde puisse rester, sous le règne du roi, non-seulement en
repos sur les actes accomplis pendant les différentes révolutions qui ont
rempli l'interrègne de votre maison, sur les propriétés nationales acquises,
sur les grades, les fonctions, les dignités, les titres possédés, mais encore
sur la conservation de ces honneurs et de ces fonctions, tellement que chacun
puisse croire que les services qu'il a rendus aux gouvernements successifs de
la France ont été rendus au roi. En un mot, il faut que Votre Majesté adopte
la France, si elle veut que la France adopte irrévocablement sa maison. La
sagesse souveraine de votre maison l'a élevée de tout temps, ajouta-t-il au-dessus
des préjugés, des faiblesses, des ressentiments de son propre parti. L'Europe
et la nation savent que c'est moins un roi qu'un grand homme d'État que la
Providence rend au trône en vous, tout le monde verra dans Votre Majesté le
génie de la réconciliation des intérêts et de la restauration des trônes il
faut que Votre Majesté impose sa sagesse à ceux qui l'entourent et qui
perdraient de nouveau la couronne, si on la laissait à la merci de leurs
petites intelligences et de leurs petites passions. Le temps veut des concessions,
Paris ne se calmera qu'à ce prix. Y entrer est facile, y rester est
difficile. C'est le moment de les faire, plus tard elles paraîtront peut-être
arrachées par les impatiences et les agitations de l'opinion ; aujourd'hui la
France sera reconnaissante, demain exigeante et ingrate. Il faut admettre les
faits comme droits et se garder de contester aux chambres et à l'opinion les
garanties de sécurité et de dignité qu'elles inscrivent dans leur
déclaration, comme des conditions de leur capitulation d'honneur et de
principes à leur soumission. » XXIV M. de
Talleyrand, par son silence et par ses gestes, paraissait acquiescer à tous
les conseils de Fouché. Le roi. ne se prononçait qu'avec mesure et réserve.
Fier de la haute opinion que la révolution même, dans la personne de Fouché,
avait de sa modération et de sa sagesse, il l'écoutait néanmoins avec une
défiance dissimulée sous un apparent abandon. Il voulait bien rassurer le
bonapartisme encore en possession du ministère, du gouvernement et des
chambres, mais il ne voulait pas composer avec lui. Tout accorder aux
intérêts généraux de la révolution et aux opinions nouvelles qui avaient la
majorité dans le pays entrait par force et par raison dans ses idées ; se
remettre dans les mains de l'armée, des fonctionnaires de Napoléon, des
conspirateurs du 20 mars et des deux chambres nommées par Napoléon ou sous
son influence, aux yeux du roi, c'était abdiquer. Il ne
dissimula pas à son nouveau ministre qu'il ne confondrait jamais les besoins
réels de l'opinion nationale avec les ambitions et les exigences du parti
bonapartiste, et qu'il fallait débarrasser la situation du gouvernement, de
l'armée et des chambres, du 20 mars. Fouché s'en chargea. Il était trop
avancé pour revenir en arrière ; après ce qu'il avait fait pour le roi, il
pouvait conseiller encore, mais il ne pouvait plus rien refuser. M. de
Talleyrand soumit au roi, devant le nouveau ministre de la police, avec une
haute déférence pour son avis, les noms du nouveau ministère que le renvoi de
M. de Blacas et la transition de l'exil au trône rendaient nécessaire de
recomposer. M. de Talleyrand conservait les affaires étrangères, le maniement
de l'Europe et les traditions du congrès de Vienne ; Fouché, avec le
ministère de la police, conservait sous la main tous les ressorts de
l'opinion et de la haute politique à l'intérieur ; le baron Louis prenait les
finances ; M. de Jaucourt, dévoué aussi à M. de Talleyrand, la marine. M.
Pasquier, ancien membre du parlement de Paris et ancien préfet de police sous
l'empire, mais pur de toute trahison et de toute défection au retour de
l'empereur, la justice. Le
maréchal Gouvion Saint-Cyr, un des lieutenants les plus consommés de
Napoléon, resté fidèle, comme Macdonald, à ses serments au roi, la guerre. Le roi
et M. de Talleyrand, d'accord avec Fouché, réservaient le ministère de la
maison du roi à M. de Richelieu, aide de camp et ami de l'empereur de Russie,
pour donner un gage à cette cour. M.
Molé, qui avait servi déjà les deux gouvernements, était présenté par Fouché
pour un ministère. Le roi, en considération de son nom monarchique, de sa
jeunesse pleine de promesses, de ses talents propres à servir et à décorer
tous les pouvoirs, le conserva à la direction des travaux publics. Un
autre aide de camp de l'empereur de Russie, M. Pozzo di Borgo, homme capable
de tout comprendre, de tout manier et de tout dire dans un gouvernement
constitutionnel où la parole est nécessaire, fut choisi en secret pour le
ministère de l'intérieur. M. Pozzo di Borgo n'avait pas quitté le roi pendant
l'exil de Gand. Il représentait auprès de lui l'amitié de l'empereur
Alexandre. Décidé à rentrer au service de la France, sa patrie, par un emploi
si important et si confidentiel, il voulut néanmoins attendre l'arrivée de
son souverain, l'empereur de Russie, et son autorisation pour accepter la
confiance de Louis XVIII. M.
Pasquier, propre à tout par son attitude comme par sa souplesse aux
circonstances, fut chargé de diriger le ministère de l'intérieur pendant
l'indécision de M. Pozzo di Borgo. Un
jeune homme inconnu jusque-là et dont la haute fortune date de ce hasard, M.
Decazes, fut nommé préfet de police, désigné au roi et au conseil pour cet
avant-poste du gouvernement par la courageuse résolution d'acte et de langage
qu'il avait montrée à Paris et à Bordeaux contre Napoléon pendant les
cent-jours, en suivant l'exemple de M. Lainé. Il fut accepté par Fouché, dont
nul autre homme important parmi les royalistes ne voulait subir l'autorité
dans cette administration subordonnée à sa direction. Il fut
convenu que ce ministère se réunirait secrètement à Paris le soir même, et
préparerait tout pour l'entrée inattendue du roi le lendemain dans Paris. XXV Après
cet entretien, qui se prolongea deux heures dans le cabinet du roi, et après
ces arrangements ministériels convenus, Fouché, toujours conduit par M. de
Talleyrand, traversa les appartements du château d'Arnouville, remplis des
courtisans anciens et nouveaux de Louis XVIII. Il y fut accueilli par la
répugnance de quelques-uns, par l'empressement de plusieurs, par l'étonnement
de tous. Il reprit sa sérénité et son assurance. « Duc
d'Otrante, lui dit en souriant M. de Talleyrand devant quelques-uns des
grands officiers de la couronne, vous ne connaissez pas le prestige d'un roi
légitime et d'un roi au niveau de son trône par son esprit convenez que vous
avez été ému devant lui. » Fouché avait trop besoin de flatter le prince et
sa cour par son trouble pour n'en pas convenir. Il emportait le prix de tant
de ruses et de tant d'audace dans un pouvoir qui allait s'imposer à la fois
aux amis et aux ennemis des Bourbons. Il voyait, sans quitter le rôle de
ministre et d'arbitre de tous les partis, rentrer, passer et revenir, trois
monarchies sous sa tutelle. Il avait congédié une restauration, il avait
dirigé et joué un empire, il avait rappelé une seconde restauration. Il
allait congédier ses collègues comme des subalternes et les chambres comme
des instruments usés. Il avait dompté par la tactique et par l'équilibre des
partis le génie et les défiances dé Napoléon. Il venait de forcer le roi de
l'ancien régime à remettre son sort entre les mains d'un proconsul de la
Convention et d'un ministre de Bonaparte. Il jouait avec trois ou quatre
destinées, supérieur à toutes par le mépris qu'il faisait d'elles. Il
n'estimait ces situations qu'aux difficultés qu'il y avait de les affronter
et de les dominer. Sans doute il en sentait la bassesse secrète mais dans ces
bassesses il voyait tant d'audace et tant de supériorité sur le vulgaire,
qu'il s'applaudissait des moyens, en touchant au but, et qu'il s'estimait
plus grand que les hommes et les partis, pour avoir trompé les partis et les
hommes. Il
cacha dans les ténèbres son retour nocturne à Paris. XXVI Cependant
il y avait un homme dans la familiarité de l'exil de Louis XVHI et dans les
conseils déjà congédiés d'Arnouville qui pressentait, dans cette présence et
dans cette complicité du roi avec Fouché, la dégradation prochaine de la
royauté. C'était M. de Chateaubriand. Par la poésie, cette noblesse de
l'intelligence et du sentiment, il avait, presque seul, la révélation de
l'honneur ; par le génie, il devinait de plus loin le jugement de l'avenir
sur cette indignité de la couronne. A peine
eut-il appris que Fouché venait de paraître en présence de Louis XVIII,
présenté par M. de Talleyrand, et qu'il emportait sa nomination
confidentielle au ministère de la police, qu'il se présenta à la porte du
cabinet du roi et demanda avec instance à être introduit. Le roi, qui
n'aimait pas l'écrivain et qui redoutait sa présence, de peur d'avoir à
rougir devant lui de la parole qu'il venait de donner, refusa longtemps de le
recevoir. Cependant, l'importune obstination de M. de Chateaubriand, son titre
de membre du conseil du prince, sa fidélité, son exil volontaire et ses
services à Gand, commandant au roi de derniers égards envers ce serviteur
illustre, il lui ouvrit enfin son appartement. M. de
Chateaubriand, avec toutes les marques de respectueux attachement à sa
personne et à sa maison, lui dit ce qu'il venait d'apprendre et ce qu'il se
refusait a croire. Il le supplia, par les mânes de son frère, par l'honneur
de sa maison, par le soin de sa mémoire, de préserver l'histoire de son règne
d'une concession que ses ennemis appelleraient une ignominie. Il lui
représenta la consternation des royalistes apprenant que le juge qui avait
condamné Louis XVI à l'échafaud siégerait en face du roi, frère de Louis XVI,
dans les conseils et dans les palais même de sa victime. Il ouvrit devant lui
le cœur de madame la duchesse d'Angoulême, pour en arracher les cris
d'indignation et de douleur que le respect y contiendrait sans doute devant
lui, mais qui éclateraient devant l'ombre de son père et devant Dieu Il
n'obtint qu'un impassible silence et des signes de résolution arrêtée sur les
traits et dans les gestes du roi. « Cela
est nécessaire, monsieur, dit sévèrement le prince ; aucun bon Français ne
peut avoir la prétention de sentir plus fortement la nécessité et la douleur
vaincue par le devoir envers son peuple, que le roi ! — Ah !
s'écria Chateaubriand, si le trône lui-même était, en effet, le prix d'un tel
sacrifice, il conviendrait surtout à un prince si éclairé et si noble que
vous de sacrifier un trône à la vertu » Il voulait insister encore ; le roi,
poussé par l'importunité et l'impatience, et aussi embarrassé de refuser que
de répondre, lui montra la porte du geste et s'écria « Sortez, monsieur »
Chateaubriand s'inclina avec douleur, et sortit en emportant dans son cœur un
murmure qui ne s'y apaisa jamais. XXVII Fouché,
rentré à Paris, concerta dans la soirée,' avec ses nouveaux collègues, les
mesures secrètes à prendre pendant la nuit pour la rentrée du roi le
lendemain. Une grande agitation remuait Paris comme aux approches d'un dénouement
qui va décider du sort de tous. Les faubourgs étaient pleins de groupes qui
insultaient les royalistes allant à Arnouville, et qui menaçaient de fermer
la capitale à un roi ramené par les troupes qui avaient combattu contre leurs
frères. On arborait, on abattait, on injuriait le drapeau blanc. Des bandes
répandues dans les rues demandaient la tête des traîtres. La garde nationale,
patiente mais peu nombreuse, contenait avec peine ces émotions. Les chambres
juraient de mourir à leur poste, si les proclamations royales ne contenaient
pas les garanties promises tous les jours par Fouché pour les endormir. Le
conseil de gouvernement, sentant l'impossibilité de résister et la honte de
céder, feignait de sympathiser avec les exigences de la population militaire
et des chambres, et laissait à Fouché tous les périls, toute la
responsabilité et tous les reproches du dénouement. Il les assumait avec une
intrépidité, un double visage et une assurance dignes d'une plus belle cause
et d'un caractère plus élevé. Il les laissait gémir et murmurer pour sauver
les apparences de leur situation. Il savait qu'ils voulaient paraître trompés
et contraints par la violence des événements à une abdication qui leur
paraîtrait moins humiliante s'ils pouvaient l'attribuer à la trahison et la
force. Il les servait comme ils voulaient être servis. Le rôle
de Carnot et de ses collègues était fini du jour où ils avaient attaché leur
cause à celle de Napoléon. Vaincus avec lui à Waterloo, vaincus une seconde
fois par son abdication forcée à Paris, ils n'étaient plus que des
parlementaires entre deux révolutions qui allaient se résoudre sans leur
concours. Ils feignaient de s'en rapporter à Fouché pour faire des conditions
à la liberté, ou pour garantir des sûretés et des amnisties à l'empire. En
réalité, ils n'espéraient rien que d'être déchargés à tout prix du fardeau
qui pesait sur eux. Ils auraient pu, avec plus de résolution, suivre l'armée
de la Loire ou tenter la bataille à Paris ils n'avaient fait ni l'un ni
l'autre.' La faiblesse numérique de l'armée leur avait interdit la guerre
avec l'étranger ; le patriotisme et l'opinion leur interdisaient la guerre
civile. Ils ne pouvaient qu'expirer entre tous les partis, dans les mains
d'un collègue plus pervers, mais plus résolu et plus habile qu'eux. XXVIII Fouché,
pressé de les congédier pour livrer le palais des Tuileries à Louis XVIII,
les réunit le 9 juillet au matin. Il les entretint de ses conférences avec
lord Wellington et avec Louis XVIII. Il assura qu'il avait reçu du premier
toutes les concessions et toutes les garanties pour lesquelles le
gouvernement et les chambres montraient extérieurement tant de sollicitude.
Il entendait par là l'amnistie et les institutions libérales ; car il ne
s'agissait déjà plus pour personne de Napoléon. Un prince nouveau emporte sa
postérité avec lui les vieilles dynasties ont seules des racines et des
rejetons après leur chute. Pendant
que Fouché parlait avec cette liberté d'esprit et cette sécurité apparente à
ses collègues, comme pour les engager à se désintéresser enfin des affaires
et à se retirer, le général Blücher, d'après ce qui avait été convenu la
veille entre Fouché, Wellington et lui, faisait occuper, sans résistance, le
jardin et le palais des Tuileries par ses troupes. Les
membres du gouvernement protestèrent en vain contre cette violation de
l'article de la capitulation qui -confiait l'intérieur de la ville, les
palais et les monuments à la garde nationale. Le général prussien répondit
qu'il ne connaissait que les ordres de son chef. « Eh bien ! dit Fouché avec
une colère réelle ou feinte, nous nous retirerons, mais après avoir consigné
dans un dernier message aux chambres la violence qui nous est faite. » Et il
écrivit : « Monsieur le président, « Jusqu'ici
nous avons dû croire que les souverains alliés n'étaient point unanimes dans
le choix du prince qui doit régner sur la France. Nos plénipotentiaires nous
ont donné la même assurance à leur retour. Cependant, les ministres et les
généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu'ils
ont eues avec moi, que tous les souverains s'étaient engagés à replacer Louis
XVIII sur le trône, et qu'il doit faire ce soir ou demain son entrée dans la
capitale. « Les
troupes étrangères viennent d'occuper les Tuileries, où siège le
gouvernement. « Dans
cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des vœux pour la patrie,
et, nos délibérations n'étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer. « Paris, le 7 juillet 1815. « Signé : FOUCHÉ, CARNOT, CAULAINCOURT, QUINETTE, GRENIER. » XXIX Ainsi
se retirèrent sans murmure devant une apparence de violence qu'ils n'avaient
su ni prévenir, ni fuir, ni repousser, et devant l'injonction d'un de leurs
collègues, déjà ministre en ce moment d'un nouveau gouvernement, des hommes
forcés d'accepter le rôle de dupes, bien qu'ils connussent parfaitement les
manœuvres de Fouché, pour écarter de leurs têtes les soupçons de lâcheté ou
de trahison. Jamais gouvernement en France n'avait jusque-là terminés
honteusement sa carrière. Ce n'était cependant ni le courage personnel, ni le
patriotisme, ni l'honneur qui manquaient à ces hommes ; mais, à l'exception
de Quinette et de Grenier, choisis parmi les hommes étrangers au 20 mars, la
situation des trois autres était si fausse dans un gouvernement créé pour
congédier et pour remplacer Napoléon, que toute dignité et toute conformité à
eux-mêmes devaient manquer à leurs actes comme à leur résignation du pouvoir.
Caulaincourt, créature et négociateur de. Napoléon ; Carnot, qui, par une
inconséquence de patriotisme, avait accepté de lui un ministère et un titre
de cour sur son nom républicain, étaient sortis des conseils intimes de
Napoléon a l'Élysée pour se charger, au nom des chambres, de le surveiller,
de le déjouer et de le proscrire. Ce rôle une fois accepté, ils ne pouvaient
plus être que les jouets des événements et les vains noms officiels derrière
lesquels Fouché masquait sa vraie politique. Trop
éclairés pour ne pas voir aussi bien que lui l'impossibilité absolue de
résister dans Paris avec une poignée d'hommes aux armées de l'Europe trop
probes cependant pour trahir eux-mêmes les restes du parti bonapartiste,
qu'ils représentaient dans le gouvernement, ils se trouvaient forcés de
laisser trahir et ils assistaient à la trahison. La trahison accomplie, ils
signaient de leur propre main leur déception et leur humiliation dans cet
acte. Ils étaient finis pour les républicains, pour les fidèles de Napoléon,
pour les partisans de Napoléon II pour les constitutionnels, dont ils
livraient les garanties, pour tout le monde. Ils n'avaient plus qu'à
disparaître. La dernière scène ressemblait à une scène de comédie, dénouant
une des grandes tragédies de l'histoire les triumvirs de la république, de
l'empire et de Napoléon Il, dissous et congédiés par Figaro. L'histoire a des
pages où Tacite doit remettre la plume à Térence, à Molière, à Beaumarchais. XXX Cambacérès,
bonapartiste malgré lui pendant les cent-jours, favori épouvanté de sa
faveur, et désirant l'obscurité comme un autre désire les grands rôles, pour
y abriter sa timidité et sa fortune, présidait la chambre des pairs quand le
message du gouvernement lui fut apporté. Il le tut avec résignation devant
ses collègues. Le silence l'accueillit, et le vide se fit dans l'enceinte par
ces sénateurs accoutumés à suivre les obsèques de tant de gouvernements, et à
se tourner les premiers au soleil levant de toutes les faveurs et de toutes
les servilités. A la
chambre des représentants, les bonapartistes, les républicains et ceux qui
affectaient, sous l'inspiration de Fouché, l'attitude de l'expectative et de
l'espérance, protestèrent, par quelques murmures et par quelques vaines
exclamations, contre la violence faite à leur mandat. Manuel interrompit la
discussion spéculative de la constitution pour affirmer à la chambre que les
armées étrangères elles-mêmes, intimidées par la sainteté de la
représentation nationale, laisseraient leur délibération se continuer
solennellement au bruit des armes, et que, dans le cas où la violence oserait
attenter à leurs fonctions, ils diraient comme Mirabeau à l'Assemblée
constituante : « Nous sommes ici par la volonté du peuple ; nous n'en
sortirons que par la force des baïonnettes » Mais le
soir, à la réunion des ministres chez M. de Talleyrand, Fouché ayant témoigné
l'embarras qu'il éprouvait à congédier la chambre des représentants, dont la
présence avait l'air d'opposer gouvernement à gouvernement, sans employer les
baïonnettes des étrangers et sans exécuter une de ces scènes tachées de sang
et vengeresses de paroles qui retentissent et qui protestent dangereusement
dans l'histoire contre un gouvernement, M. Decazes, pressé par son royalisme
et par son zèle, s'approcha de Fouché et lui dit avec assurance : « Ce
sera moi, si vous voulez, qui vous débarrasserai de l'Assemblée ; vous n'avez
qu'à m'en donner l'ordre, je réponds de tout. » Fouché, ravi, écrivit l'ordre
à l'instant sur la table de M. de Talleyrand, et le remit à M. Decazes, en le
félicitant de son assurance. Le
jeune homme sortit, rassembla chez lui quelques gardes nationaux affidés dont
le royalisme lui était connu, -les chargea de réunir dans la nuit les gardes
nationaux de leurs légions dont ils étaient sûrs, et de s'emparer avant le
jour de l'enceinte de la chambre, dont ils interdiraient, au nom du
gouvernement du roi, les portes aux députés Cet ordre fut exécuté avec le
zèle que l'opinion et le triomphe prochain d'un gouvernement naissant donnent
toujours en France à ses partisans. Les députés, en se présentant, le
lendemain, à l'aurore, aux portes de leur palais, les trouvèrent fermées et
interdites : Ils se retirèrent en murmurant, les uns pour la forme, les
autres pour l'honneur, le petit nombre pour la liberté. Le peuple ; qui ne
voyait plus en eux ni Napoléon, ni la république, ni la patrie, mais quelques
hommes de tribune sans cause acharnés à discourir sur des ruines pendant que
les armées ennemies étaient en possession de la capitale, ne répondit à leurs
murmures que par son indifférence. XXXI La
Fayette devait à son nom et à son passé une protestation plus personnelle et
plus éclatante. Il essaya de la constater en étendant les bras et en
haranguant le peuple devant les grilles. Le peuple, qui ne le connaissait
plus, fut aussi sourd que les portes à sa voix. Trompé depuis l'abdication
dans son espérance de diriger le gouvernement nouveau et d'être l'arbitre
entre une restauration et la liberté, -il avait été trompé également dans la
tentative de négociation au nom de la chambre avec les souverains. Il
affirmait, en rentrant à Paris, que Sébastiani et lui avaient obtenu des
alliés le libre choix du prince qui conviendrait à la France. Il rêvait,
dit-on, le duc d'Orléans comme une déviation de plus du principe monarchique
qu'il avait tendu toute sa vie à affaiblir sans avoir la franchise et
l'énergie de le vouloir supprimer ; et les alliés donnaient un démenti
complet à cette négociation, en balayant la chambre et en installant
unanimement les Bourbons aux Tuileries. La Fayette, resté sans écho dans le
peuple, rentra silencieusement dans la foule, et assista le soir, obscur et
inaperçu, à l'expulsion d'une représentation qu'il avait désarmée en
désarmant Napoléon. Fouché
triomphait seul de tous ces hommes disparus, les uns dans leur conspiration,
les autres dans leur fanatisme, ceux-ci dans leur ambition, ceux-là dans leur
inconséquence, tous dans leur incapacité. Il ne leur restait que le murmuré.
Fouché le bravait, car, n'ayant point de conscience, il n'avait point de
remords. Carnot,
apprenant qu'il était ministre de la police de Louis XVIII, et qu'il était
chargé de dresser lui-même des listes d'exil contre ses complices et ses
collègues, se présenta à l'audience de Fouché ; il lui adressa un regard où
se peignait le mépris d'une âme sincère pour le succès de la fourberie
politique, et, employant ce rude tutoiement antique et révolutionnaire dont
ces deux républicains avaient pris ensemble l'habitude à la Convention « Où
dois-je me rendre, traître ? lui dit-il. — Où tu voudras, imbécile ! »
répondit Fouché. On eût dit qu'il respectait assez ou qu'il dédaignait trop
Carnot pour le proscrire. Ce dialogue, vrai ou faux, reste à l'histoire. Il qualifiait admirablement ce gouvernement composé d'un homme habile et astucieux et d'un homme simple et trompé. Fouché était flétri, Carnot était jugé. |