Stupeur générale à la
nouvelle du retour de Napoléon. — Impressions diverses. — Intrigues
bonapartistes à Paris et dans l'armée. — Défiances de la cour. — Renvoi du
maréchal Soult du ministère de la guerre. — Nomination de Bourrienne au
ministère de la police. — Intrigues de Fouché. — Son entrevue avec le comte
d'Artois. — Conspiration orléaniste dans l'armée. — Drouet d'Erlon,
Lefèvre-Desnouettes, les frères Lallemand. — Manifestations du parti
constitutionnel. — La Fayette. — Adresses de la chambre des pairs et de la
chambre des députés. — Manifeste et discours du roi. — Allocution du comte
d'Artois à Louis XVIII. — Discours de M. Lainé. — Les chambres déclarent la
guerre à Napoléon sur la proposition de M. Barrot. — Protestation de Benjamin
Constant.
I Cependant
la nouvelle du débarquement de Bonaparte s'était répandue dans Paris et dans
les provinces comme une confidence à voix basse et comme un murmure
souterrain plutôt que comme un coup de foudre. Un grand silence s'était fait
dans le pays. Aucun parti n'avait témoigné de joie, tous étaient dans la
stupeur. L'armée elle-même, jetée par cet événement entre son inclination et
son devoir, souffrait d'être forcée de se prononcer, ingrate si elle
abandonnait Napoléon, parjure et parricide si elle lui livrait la patrie. Les
fonctionnaires publics tremblaient de leur côté de se trouver placés entre le
défaut et l'excès de zèle, suspects aux royalistes s'ils modéraient leur
langage, proscrits peut-être par Napoléon s'ils l'exagéraient. La noblesse,
la bourgeoisie, les classes mercantiles et agricoles, qui recommençaient à se
reposer de leur ruine par la paix, frémissaient d'une convulsion nouvelle de
l'Europe qui ramènerait la guerre sur leurs familles et sur leurs sillons.
Les mères, à qui les conscriptions avaient enlevé leurs fils, les voyaient de
nouveau arrachés à leurs foyers pour aller mourir aux frontières ou à
l'étranger. Les émigrés rentrés avec les princes envisageaient de nouveaux
exils. Les propriétaires de domaines nationaux, rassurés par la charte, ne se
dissimulaient pas que l'invasion de l'empereur, en ramenant une seconde
restauration, la ramènerait peut-être irritée et vengeresse, et que leurs
biens seraient la rançon du pays reconquis. Les orléanistes, parti encore
souterrain, mais à longue vue, s'irritaient d'un second empire qui
s'interposait entre eux et leur ambition du trône. Les libéraux et les
républicains, encore confondus, perdaient, avec une restauration faible et
pleine de concessions futures, l'espérance de constituer une liberté représentative
ou de fonder un jour une république durable, quand le peuple se serait exercé
à la souveraineté sous la tutelle douce d'un roi sage et âgé. Les royalistes
exaltés se réjouissaient seuls par le délire de leur confiance. Ils ne
doutaient pas que le sol ne s'entrouvrît sous la poignée de sectaires que
Bonaparte ramenait à l'assaut de son trône, et que son crime puni ne les
délivrât pour jamais de cette ombre importune d'empire et de gloire qu'on ne
cessait de leur opposer dans les chants du peuple et dans les casernes des
soldats. Mais leur joie affectée n'était pas sans un mélange d'inquiétude qui
assombrissait leurs cœurs. Il résulta de tout cela une consternation muette,
une agitation sourde, une tristesse sinistre semblable à la pression de l'atmosphère
avant l'orage. La France vivait, parlait, marchait, mais ne respirait pas.
Une malédiction générale sortait en secret de toutes les âmes contre cet
homme que personne n'avait appelé et qui venait placer sa cause, personnelle
entre l'Europe et la France, entre le trône et la nation, entre la paix et la
guerre, entre tous les partis enfin, pour tout compromettre, tout intervertir
et tout ruiner. Tel était en réalité alors et partout l'esprit public. On ne
s'abordait qu'en se plaignant, et on ne se quittait qu'en se liguant de cœur
contre l'ennemi commun. A Paris
seulement et dans les villes militaires, quelques rares conspirateurs et
quelques mécontents, déchus de leur importance ou de leurs grades par la
chute de l'empire, se félicitaient à mots couverts, couraient aux nouvelles,
déguisaient leurs espérances, et se renfermaient en petits groupes pour
concerter leurs trames et pour exhaler leur ardeur. Mais ces conciliabules se
cachaient dans l'ombre, honteux de leur petit nombre, et craignant le danger
de paraître insulter à l'attristement général par le scandale de leur
mauvaise joie. Les physionomies seules parlaient. Les plus contraintes et les
plus fermées étaient celles des bonapartistes on les discernait à leur
impénétrabilité. La France était morne. On voyait que ce n'était pas une
révolution mais une conspiration qui s'avançait. II Le
conseil des ministres, informé par sa police de l'existence supposée de
foyers bonapartistes à Paris, chez la reine Hortense et chez les principaux
amis de l'empire, dressa une liste d'arrestations de ces prétendus conjurés.
C'étaient Fouché, le maréchal Davoust, Gérard, Mejean, Étienne, écrivain
spirituel et mordant, Savary, Réal, Arnault, Norvins, Bouvier-Dumolard,
Maret, Sieyès, Excelmans, Flahaut. Le maréchal Soult, malgré l'activité et le
zèle qu'il avait exagérés pour étouffer la tentative sous l'énergie et sous
la fidélité de l'armée, parut suspect aux royalistes par cette exagération
même. La trahison de Labédoyère, la défection des régiments, les premiers
revers de la cause royale à Grenoble lui furent imputés. Le bruit se répandit
et s'accrédita que Soult avait échelonné des régiments travaillés d'avance
par la séduction sur la route de Napoléon, et fait un rassemblement de trente
mille hommes à Chambéry pour que l'empereur recrutât plus facilement d'étape
en étape les forces qu'il entraînerait sur Paris. La fidélité de la garnison
d'Antibes ; la loyauté du maréchal Masséna, qui commandait le Midi et qui
ralliait son armée pour écraser l'empereur avant son entrée à Lyon la
résistance impuissante, mais imprévue, du général Marchand à Grenoble ; enfin
le motif réel du rassemblement de trente mille hommes sur les Alpes en vertu
du traité secret de Vienne pour détrôner Murat, lavaient assez le maréchal
Soult de toute culpabilité à cet égard. Le roi croyait à la parfaite
sincérité de son ministre de la guerre. Il le
lui dit en se séparant de lui. Mais le roi, forcé d'enlever jusqu'au prétexte
d'un soupçon aux défenseurs de sa cause, crut devoir sacrifier Soult aux
circonstances. Il nomma à sa place Clarke, d'origine irlandaise, longtemps
attaché à Napoléon comme aide de camp, comme négociateur, comme ministre,
mais qui dépassait alors en démonstrations d'enthousiasme pour la royauté et
d'énergie contre son ancien général, les conseillers les plus fougueux de
l'émigration homme excessif, mais cependant sincère, et qui ne changea plus
de maître du moment qu'il eut retrouvé les Bourbons. Le roi congédia en même
temps M. d'André, dont la police aveugle et molle avait laissé s'ourdir la
trame qui enveloppait la France, sans donner aucun avertissement utile au
gouvernement. Il le remplaça par Bourrienne, ancien secrétaire confidentiel
de Bonaparte, versé dans la connaissance intime de son caractère et de ses
secrets, congédié par l'empereur pour des soupçons d'abus de situation dans
son cabinet, et enflammé contre lui d'une haine qui garantissait aux
royalistes une fidélité désespérée. III Bourrienne
envoya des agents de police pour arrêter Fouché, mais il échappa à leur
vigilance par la ruse et se cacha dans Paris. Peu de jours avant son
arrestation Fouché avait eu chez la princesse de Vaudemont, amie de M. de
Talleyrand, une entrevue secrète avec le comte d'Artois. Ce prince, frère de
Louis XVI, avait vaincu sa répugnance et ses souvenirs jusqu'à la familiarité
d'une entrevue avec un régicide. Il sentait tout crouler autour de lui, et se
retournait vers la Révolution pour apprendre d'elle les moyens de la vaincre.
Fouché avait donné au comte d'Artois des conseils vagues et rétrospectifs qui
embrassent tout. un système de gouvernement, qui ne peuvent jamais corriger
les fautes passées, et qui arrivent trop tard quand on les invoque. Ils consistaient
à se jeter dans les bras de la Révolution pour échapper à l'empire. Mais la
Révolution aurait-elle jamais accepté ses ennemis naturels pour chefs ? Louis
XVI avait reçu souvent ces mêmes avis. Il avait quelquefois essayé de les
suivre. La Révolution ne l'avait pas moins mené à l'échafaud. Le sens caché
de ces conseils de Fouché était de faire de lui l'homme nécessaire il
recherchait les Bourbons, il ménageait Bonaparte, il suscitait le parti
d'Orléans, il flattait la république, il nouait et dénouait à la fois des
commencements de trames avec tous les partis. IV Ses
sourdes menées pour se rendre à la fois redoutable et indispensable n'avaient
pas attendu le débarquement de Napoléon. Depuis quelques semaines il avait eu
vent d'une conspiration toute militaire dans laquelle étaient entrés un
certain nombre de colonels, de généraux commandant des corps de troupes dans
les départements, et qui tenait ses réunions à Paris dans une maison isolée
des Champs-Élysées, chez le général Berton. Un banquier de Paris,
Hainguerlot, dépositaire de sommes appartenant à Jérôme Bonaparte, devait
fournir les fonds nécessaires à l'explosion de la conjuration. Le maréchal
Davoust avait été sondé par les conjurés il avait par son refus déconcerté ou
ajourné le mouvement. II s'agissait d'envoyer une frégate à l'île d'Elbe pour
enlever et ramener l'empereur, d'insurger les. corps et de marcher en se
grossissant sur Paris. Ce
projet avorté par le peu d'unanimité qui se trouva dans le cœur des chefs
pour une restauration pure et simple du despotisme impérial, un autre projet
surgit dans les mécontents de l'armée. Ils ne changèrent rien au plan que le
nom du chef à substituer aux Bourbons. Ce chef, à l'insu de ce prince, fut le
duc d'Orléans. Son nom plus mêlé à la Révolution et popularisé un moment à la
suite de Dumouriez dans les guerres de la république, son titre de prince de
la maison régnante, ses richesses, ses caresses aux généraux de l'empire, ses
avances aux anciens débris de la Révolution, lui donnaient cette candidature
involontaire aux révolutions faites en son nom, qui le compromettaient alors,
qui devaient le couronner plus tard. Les principaux chefs de cette conspiration
orléaniste de l'armée étaient le général Drouet d'Erlon, commandant de la
garnison de Lille et de l'importante division du Nord le général
Lefèvre-Desnouettes, colonel des chasseurs à cheval de la garde impériale ;
les deux frères du nom de Lallemand, généraux commandant des corps de troupes
disséminés dans les départements qui touchaient d'un côté à Lille, de l'autre
à Paris. Fouché, informé et complice muet de cette conjuration, ne se
dissimulait pas que le soldat et le peuple ne comprendraient rien à ce
soulèvement des troupes auquel manquerait le nom soldatesque et populaire de
Napoléon, et que le nom d'un Bourbon substitué à un autre Bourbon était une
de ces nuances que les hommes d'État saisissent, mais qui restent
inintelligibles pour la multitude. Il avait été convenu en conséquence qu'on
soulèverait la garde, la ligne et la population du Nord et du Centre au nom
de l'empereur, qu'on marcherait sur Paris sous ce drapeau apparent, mais
qu'on surveillerait plus que jamais le captif de l'île d'Elbe, et que, après
avoir détrôné et chassé les Bourbons de la branche aînée par l'ombre de
Napoléon, on couronnerait une révolution libérale et militaire sur la tête du
duc d'Orléans. C'était une conspiration de diplomates au milieu et au rebours
d'une conspiration de soldats. V Les
choses en étaient là, et les généraux n'attendaient que le signal de Paris
pour agir, lorsque l'empereur, qui en avait connaissance et qui craignait de
se voir frustré par le duc d'Orléans du trône où il remontait sans cesse en
idée, voulut devancer à tout hasard cette rivalité nouvelle, et précipita son
départ de l'île d'Elbe avant le moment qu'il avait fixé et avant la clôture
du congrès de Vienne. Les confidences de Napoléon à Sainte-Hélène attestent
que les ombrages qu'il avait conçus de l'ambition et de la popularité du duc
d'Orléans furent la vraie cause de cette précipitation. Il craignit d'être
devancé dans l'usurpation par un nom qui aurait fait une dangereuse
concurrence au sien dans l'armée. Mais au
moment où l'empereur prenait cette résolution précipitée qui devait interdire
par sa présence sur le sol français toute autre proclamation que celle de sa
dynastie aux généraux conjurés, Fouché, instruit le 5 au soir du débarquement
de Bonaparte avant que le public fût informé, résolut de devancer à son tour
l'empereur et de jeter un troisième élément de guerre civile, de confusion et
d'hésitation dans le peuple. II fit appeler dans la nuit un des généraux
Lallemand qui se trouvait à Paris, il lui déroba la nouvelle du débarquement
de l'empereur, il lui dit que la cour avait saisi les fils de la conspiration
militaire dont Lallemand était un des instruments, que les généraux compromis
allaient être arrêtés, jugés, condamnés, et qu'il n'y avait plus de salut
pour eux que dans la précipitation et dans l'audace devancer le coup ou le
recevoir. VI L'émissaire
de Fouché partit à l'instant pour Lille, donna le mot à Drouet d'Erlon et à
Lefèvre-Desnouettes, combina son soulèvement avec celui que ces généraux
préméditaient, et prit la route de Cambrai avec Lefèvre pour l'accomplir. Dans la
même nuit, Drouet d'Erlon, voulant tromper son armée pour n'avoir point à
lutter contre la fidélité de quelques-uns de ses officiers, annonça à ses
lieutenants qu'une insurrection venait d'éclater à Paris, et que le ministre
de la guerre lui avait donné l'ordre d'y marcher avec tous ses corps. L'armée
sans défiance se mit en route pour Paris. Les populations étonnées
regardaient sans le comprendre le mouvement de ces colonnes d'infanterie et
de cavalerie s'avançant en silence vers la capitale. Pendant
que Drouet d'Erlon continuait ainsi son mouvement mystérieux vers Paris,
Lefèvre-Desnouettes et les deux généraux Lallemand arrivaient à Cambrai,
donnaient à leurs régiments les mêmes explications controuvées, et les
entraînaient par un détour de route sur la ville de la Fère, dans l'intention
de s'emparer d'un arsenal important qui devait assurer des armes, des canons
et des munitions aux conjurés. Ils remirent toutefois au lendemain leur
entreprise à main armée sur l'arsenal ; mais le général d'Aboville, ayant
conçu des soupçons pendant la nuit sur un mouvement de troupes aussi inusité
et aussi énigmatique, refusa avec résolution de livrer l'entrée de l'arsenal
aux deux généraux. Il fut secondé par la garnison de la Fère. Lefèvre et les
frères Lallemand n'osèrent pas livrer un combat dont l'indécision ou la
lenteur aurait fait éclater leur crime aux yeux de leurs propres troupes. Ils
reprirent la route de Noyon, où leur chef, le général Drouet d'Erlon, leur
avait ordonné, disaient-ils, de se rencontrer avec lui pour former un camp de
vingt mille hommes. Pendant
ces deux jours de marches, de contre-marches, d'embûches, de subterfuges, le
bruit du débarquement de Bonaparte s'était répandu dans le Nord et rendait
plus suspects ces mouvements d'armée vers Paris. Les populations du Nord,
bien loin d'être entraînées comme on l'avait supposé par le nom de
l'empereur, retrouvaient toute leur antique fidélité pour les Bourbons, toute
leur antipathie contre le despotisme. Elles surveillaient elles-mêmes les
soldats, non pour les seconder dans l'insurrection, mais pour les retenir
dans le devoir. La conspiration flottait comme un corps d'armée qui va se
débander de lui-même. VII Mais un
autre hasard allait la dissoudre. Le duc d'Orléans, dans sa dernière entrevue
avec le roi, avait, disait-on, révélé à ce prince les espérances coupables
que des conjurés militaires fondaient sur lui dans le Nord, et les
insinuations qui lui avaient été adressées pour qu'il favorisât ces trames au
moins par son silence. Nul ne sait jusqu'à quels détails s'étaient expliquées
ces révélations. Toutefois le duc d'Orléans avait à peine quitté Paris avec
le comte d'Artois pour se rendre à Lyon, que le roi avait envoyé promptement
le maréchal Mortier à Lille en lui conférant le commandement général de cette
ville et de toutes les troupes du nord de la France. Le maréchal Mortier
était un guerrier inaccessible à l'intrigue, fidèle à Napoléon jusqu'à
l'abdication, fidèle aux Bourbons depuis qu'ils étaient les souverains légaux
de son pays, fidèle à lui-même et à sa dignité toujours. Il se
rendait en hâte à Lille, lorsqu'il rencontra fortuitement au milieu de sa
route la colonne en marche du général Drouet d'Erlon. Le maréchal, étonné
d'un mouvement de troupes que nul n'avait ordonné, et dont lui seul désormais
avait le droit de disposer, fait arrêter sa voiture, en descend, se fait
reconnaître de ses compagnons d'armes, interroge les officiers et les
soldats, interpelle le général Drouet d'Erlon, qui se trouble, se coupe,
balbutie, le fait arrêter sans résistance par sa propre armée, et replie les
troupes avec lui sur Lille, où Drouet est enfermé dans.la citadelle. VIII Au même
instant Lefèvre-Desnouettes et ses complices les deux généraux Lallemand
entraient à Noyon, espérant y trouver d'Erlon. Leurs troupes, déjà émues par
l'inconcevable marche qu'on leur faisait faire et par la tentative dont on
les avait rendues complices à la Fère, commencèrent à s'interroger. Elles
s'ébranlèrent tout à fait en ne trouvant point à Noyon la colonne de d'Erlon.
Les généraux entraînèrent néanmoins la cavalerie jusqu'à Compiègne. Là le
général Lefèvre somma le 6e régiment de chasseurs en garnison dans cette
ville de se joindre à ses cavaliers et de le, suivre à Paris. Ce régiment,
trompé comme ceux de Lille, montait à cheval dans la cour de ses casernes et
se mettait en route avec les chasseurs de la garde, quand un officier de
d'Erlon et le général Lallemand restés en arrière accoururent à toute bride,
et annoncèrent à voix basse à Lefèvre-Desnouettes que le complot était éventé
et que Drouet était prisonnier de ses propres troupes. A cette nouvelle, les
trois généraux conjurés, Lefèvre et les deux Lallemand, s'enfuirent à travers
la forêt. Lefèvre échappa. Les deux Lallemand furent reconnus èt arrêtés dans
leur fuite. Les troupes reprirent leurs cantonnements et protestèrent dans
des adresses loyales de leur erreur et de leur fidélité. Cette
conjuration arrêtée à moitié route retentit en France, ébranla d'abord puis
rassura Paris. Elle resta une énigme pour tous. Le roi, qui en connaissait
par le duc d'Orléans le véritable sens, affecta de s'y tromper et de n'y voir
qu'une tentative bonapartiste étouffée par le devoir et par le bon esprit de
l'ancienne garde impériale. Bonaparte, après son triomphe, affecta de son
côté de récompenser dans les chefs de ce mouvement un zèle intrépide et
aventureux pour sa cause. Il n'eut garde d'avouer qu'un autre nom que le sien
eût la puissance de soulever une partie de l'armée. Fouché se tut. Il laissa
croire tour à tour aux royalistes qu'il était étranger à cette trame, aux
orléanistes qu'il l'avait ourdie pour eux, aux bonapartistes qu'il leur avait
préparé des forces. IX Pendant
ces mouvements rapides et confus aux extrémités du royaume, et pendant que
les événements de Grenoble et de Lyon tenaient les esprits indécis comme le
sort, les partis constitutionnel, libéral et républicain n'hésitaient pas à
se prononcer contre Bonaparte seuls partis qui eussent conservé en France
assez d'indépendance et de patriotisme pour se' poser témérairement en face
du despotisme armé et devant le trône nouveau, pourvu que ce trône les
préservât du retour de la servitude. Madame de Staël les groupait et les
enflammait de son inspiration. Son cœur battait de mépris et d'indignation
contre l'insurrection militaire qui menaçait les idées d'un second règne des
prétoriens. La Fayette, délivré par Bonaparte des cachots d'Olmütz et qui lui
devait sa reconnaissance personnelle, n'avait jamais à aucune époque balancé
sa reconnaissance et ses opinions. Oublié et inactif dans une opulente
retraite, le règne de Bonaparte l'avait complétement éclipsé. On ne
s'entretenait de lui depuis dix ans que comme d'un débris de l'histoire d'un
autre âge, qui ne peut retrouver ni place ni éclat dans l'âge nouveau.
L'importance à la fois révolutionnaire et patricienne de son ancien rôle
subsistait seulement dans son esprit. Il avait été trop haut dans la,
popularité pour redevenir subalterne, et sa renommée de républicain lui
défendait de se dégrader au service d'un despotisme heureux. Il souffrait de
cette inaction et de cette obscurité après tant de bruit. Il épiait les
occasions de rentrer en scène. La liberté seule pouvait lui en fournir une
Bonaparte venait la lui fermer. Sa haine contre l'empereur ne pouvait se
mesurer qu'à son impatience de gloire et à l'orgueil de ses souvenirs. La
rentrée des Bourbons, auxquels il avait tant d'humiliations à faire oublier
et tant de pardons à demander dans son âme, lui avait moins répugné que le
retour de Napoléon. Il avait offert ses hommages au roi et au comte d'Artois.
Il retrouvait dans Louis XVIII un prince dont il connaissait le caractère, et
dont il avait tantôt servi, tantôt déjoué les cabales, les ambitions, les
alliances avec Mirabeau en 1789 et 1790. Il savait que l'esprit de cette
époque renaîtrait avec une restauration désarmée et parlementaire, et que le
nom de La Fayette y rajeunirait avec les idées de ce temps. Peut-être
espérait-il reprendre, à l'aide des assemblées et du peuple, cette dictature
équivoque prise d'abord par Necker, ensuite par lui et dédaignée par
Mirabeau, qui soulève un homme, non sur sa propre gloire, mais sur les
terreurs d'une cour et sur le vent d'une popularité. Peut-être aussi, fidèle
à quelques imitations surannées d'Amérique et d'Angleterre, rêvait-il ces
fédérations de provinces ou ces fédérations de pouvoirs qui avaient été les
aspirations confuses de sa jeunesse. Homme capable d'imitation plutôt que
d'innovation en politique, mais homme courageux de conscience et portant la
personnalité jusqu'à la hauteur de l'héroïsme. X Il
accourut à Paris au premier bruit du débarquement de Napoléon, et ne fléchit
point quand tout fléchissait dans son parti. Autour de lui se groupaient
Benjamin Constant, de race et de pensée germaniques, demi-lettré,
demi-politique, demi-orateur, demi-royaliste, demi-républicain, ancien
adorateur du génie de madame de Staël, ancien tribun sous le Consulat,
célébrité de demi-jour, mais que l'ombre même rendait plus imposante ; le duc
de Broglie, jeune patricien studieux et riche en promesses, que son nom, sa
fortune et le patronage de madame de Staël, dont il avait épousé la fille,
entouraient d'une considération anticipée ; M. d'Argenson, nom illustre dans
l'administration monarchique de la France, ancien aide de camp de La Fayette
pendant la dictature bourgeoise de Paris, libéral par philosophie plus que
par ambition, sectaire à la fois évangélique et populaire, préméditant de
consacrer sa vie au nivellement possible des droits et au nivellement
impossible des existences, homme de bien à l'aise dans les 'utopies, dépaysé
dans les faits, mais dont les chimères mêmes étaient des vertus ; M.
Flaugergues, et quelques membres du Corps législatif moins importants,
associés à quelques royalistes constitutionnels de 89, tels que
Lally-Tollendal et les amis survivants de Mirabeau, faisaient partie de cette
réunion. Elle se prononçait résolument contre l'empire, et ne demandait au
roi que de lui confier le ministère pour lui répondre du pays. Ces hommes,
fascinés par leurs souvenirs, oubliaient trop que quinze ans de gouvernement
militaire et de corruption des caractères avaient plié la France, et qu'il
n'y avait plus de peuple pour répondre à leur appel, mais un soldat pour
faire violence à tous les principes. XI On
parla en effet deux jours de mettre le trône sous la protection de ce parti,
reste du parti de Necker et de La Fayette, et de ce qu'on appelait les hommes
populaires. M. Ferrand, incapacité surannée ; M. d'Ambray, magistrat sans
clientèle ; M. de Montesquiou, négociateur sans autorité ; M. de Blacas,
dépaysé d'hommes et d'idées dans une révolution, inconnu du pays, méconnu
pour son orgueil, parlèrent de se retirer devant la grandeur du péril qui les
effaçait. Lainé, Lally-Tollendal, d'Argenson, Benjamin Constant, La Fayette,
furent sondés ; mais ce changement de ministres, au milieu de la crise, ne
pouvait donner au roi une fidélité de plus dans l'armée. Il aurait seulement
préparé plus de regrets au règne court de ce prince et donné plus de dignité
à la résistance. On ajourna à un meilleur temps la composition d'un ministère
indiqué par l'esprit des chambres. Elles venaient de se réunir. XII Elles
se montrèrent unanimement dignes de la gravité du temps, inspirées par
l'enthousiasme de l'indignation contre le violateur de la patrie et l'ennemi
de la liberté à peine fondée. Aucune voix, même par insinuation, n'y témoigna
la moindre faveur secrète pour une restauration de la gloire par la violence. « Sire
! dirent les pairs dans leur adresse du 10 mars, vous rassemblez autour de
vous vos fidèles chambres. La nation n'a point oublié qu'avant votre heureux
retour, l'orgueil en délire osait les dissoudre et les forcer au silence, dès
qu'il craignait leur sincérité. Telle est la différence du pouvoir légitime
et du pouvoir tyrannique. Sire, vos lumières vous ont appris que cette charte
constitutionnelle, monument de votre sagesse, assurait à jamais la force de
votre trône et la sécurité de vos sujets. » « Sire
! dirent les députés, les représentants du peuple français sentent qu'on lui
prépare le sort humiliant réservé aux malheureux sujets de la tyrannie.
Quelles que soient les fautes commises, ce n'est pas le moment de les
examiner. Nous devons tous nous réunir contre l'ennemi commun, et chercher à
rendre cette crise profitable à la sûreté du trône et à la liberté publique.
» Le roi
dans ses manifestes parla la langue du sentiment et de la liberté. « Après
vingt-cinq ans de révolutions, disait-il, nous avions ramené la France à un état
de bonheur et de tranquillité. Pour rendre cet état durable et solide, nous
avions donné à nos peuples une charte qui assurait la liberté de nos sujets.
Cette charte était la règle journalière de notre conduite, et nous trouvions
dans la chambre des pairs et dans celle des députés tous les secours
nécessaires pour concourir avec nous au maintien de la gloire et de la
prospérité nationale. L'amour de nos peuples était la récompense la plus
douce de nos travaux et le meilleur garant de leurs heureux succès. C'est cet
amour que nous appelons avec confiance contre l'ennemi qui vient de souiller
le territoire français, qui veut y renouveler la guerre civile c'est contre
lui que toutes les opinions doivent se réunir. Tout ce qui aime sincèrement
la patrie, tout ce qui sent le prix d'un gouvernement paternel et d'une
liberté garantie par les lois ne doit avoir qu'une pensée, celle de détruire
l'oppresseur qui ne veut ni patrie ni liberté. Tous les Français, égaux par
la constitution, doivent l'être pour la défendre. Le moment est venu de
donner un grand exemple nous l'attendons d'une nation libre et valeureuse ;
elle nous trouvera toujours prêt à la diriger dans cette entreprise, à
laquelle est attaché le salut de la France. Des mesures sont prises pour
arrêter l'ennemi entre Lyon et Paris. Nos moyens suffiront si la nation lui
oppose l'invincible obstacle de son dévouement et de son courage. La France
ne sera point vaincue dans cette lutte de la liberté contre la tyrannie, de
la fidélité contre la trahison, de Louis XVIII contre Bonaparte. » Les
ministres eux-mêmes, si hostiles ou si inintelligents quelques jours
auparavant, promirent toutes les garanties constitutionnelles en retour du
dévouement que les représentants témoignaient au roi liberté de la pensée,
liberté électorale, adoucissements des impôts, franchises des ports, liberté
du commerce, allégeance du sol, sanction à l'inviolabilité de la charte, tout
fut offert, accepté, juré. L'accord le plus intime régna entre les trois
pouvoirs. L'infortune et le péril semblaient faire sentir davantage le prix
du gouvernement paternel qu'on attendait de ce roi réfugié dans le cœur de
son peuple. Le roi voulut attendrir les regards autant qu'il touchait les
âmes. Il se rendit au milieu de tous les siens à la chambre des députés.
Paris tout entier se pressait autour de son cortège pour élever jusqu'à ses
yeux ou à ses oreilles le geste ou le cri du dernier des citoyens. Cette
ivresse pour le malheur dépassait en démonstrations pathétiques l'ivresse
excitée par l'empereur a ses plus triomphales entrées dans Paris. Louis XVIII
fut touchant, noble, antique d'attitude. La royauté du sentiment n'eut jamais
de plus attendrissant acteur. Il luttait en face de son peuple et de l'Europe
contre la gloire violente, avec sa vieillesse, son cœur et son droit. « Messieurs,
dit-il avec une sérénité grave dans les traits et un accent tragique et doux
dans la voix, en ce moment de crise où l'ennemi public a pénétré dans une
portion de mon royaume et menace la liberté de tout le reste, je viens au
milieu de vous resserrer encore les liens qui, vous unissant à moi, font la
force de l'État. J'ai revu ma patrie, je l'ai réconciliée avec toutes les
puissances étrangères, et elles seront, n'en doutons pas, fidèles aux traités
qui nous ont rendu la paix. J'ai travaillé au bonheur de mon peuple j'ai
recueilli et je recueille encore tous les jours les marques les plus
touchantes de son amour. Pourrai-je à soixante ans mieux terminer ma carrière
qu'en mourant pour sa défense ? Je ne crains rien pour moi, mais je crains
pour la France. Celui qui vient allumer parmi nous les torches de la guerre
civile y apporte aussi le fléau de la guerre étrangère il vient remettre
notre patrie sous son joug de fer il vient enfin détruire cette charte
constitutionnelle que je vous ai donnée ; cette charte, mon plus beau titre
aux yeux de la postérité, cette charte que tous les Français chérissent, et
que je jure ici de maintenir ! Rallions-nous autour d'elle qu'elle soit notre
étendard sacré Les descendants d'Henri IV s'y rangeront les premiers. Que le
concours des deux chambres prête à l'autorité toute la force qui lui est
nécessaire, et cette guerre vraiment nationale prouvera par son heureuse
issue ce que peut un grand peuple uni par l'amour de son roi et la loi
fondamentale de l'État. » XIII L'âme
de la monarchie moderne semblait avoir parlé par la bouche du roi elle
réveilla l'âme de la liberté dans tous les cœurs. Ils éclatèrent en un seul
cri : « Vive le roi ! Guerre à l'usurpateur ! » Pour les uns,
c'était l'usurpateur du trône ; pour les autres, l'usurpateur de la patrie ;
pour tous, l'usurpateur du libre arbitre national, qui voulait bien se faire
ses lois libres, mais qui ne voulait pas accepter la liberté même de la
violence et de l'épée. La nature humaine est pathétique. La scène, les acteurs,
les paroles, le moment, l'auditoire, avaient la tragique péripétie du drame
antique. Les tribunes sanglotaient, les mains secouant des mouchoirs blancs
s'élevaient vers la voûte ou s'agitaient sur l'enceinte comme pour donner des
présages de victoire au roi et aux députés. Il n'y avait pas une vie en ce
moment dans cette foule qui ne fût résolue à se donner pour sauver ce peuple
et ce trône de l'oppression armée qui fondait sur la patrie. XIV On
croyait à la parole de Louis XVIII, dont la sagesse attestait la sincérité,
mais un doute restait dans une partie de la population sur la sincérité de
son frère et de sa famille dans l'acceptation de la charte. La famille royale
s'était réunie, on avait délibéré sur la nature des engagements à prendre
avec la nation. Les souvenirs, les espérances, les scrupules avaient cédé à
la pression du 'danger commun. Le comte d'Artois, revenu la veille de Lyon,
s'avança comme entraîné par la force communicative de l'enthousiasme vers le
roi, et au milieu du profond silence que cette attitude inusitée commanda à
l'assemblée : « Sire ! dit-il d'une voix émue à son frère, je
sais que je m'écarte ici des règles ordinaires en parlant devant Votre
Majesté, mais je la supplie de m'excuser et de permettre que j'exprime ici en
mon nom et au nom de ma famille avec quelle unanimité nous partageons du fond
du cœur les sentiments et les principes qui animent le roi. » Puis se
tournant vers l'assemblée et étendant la main dans l'attitude qui appuie le
serment prêté de la consécration du geste : « Nous jurons, reprit-il
d'une voix qui ne contenait pas alors de réserve, nous jurons de vivre et de
mourir fidèles au roi et à la charte constitutionnelle ! » Le dernier sceau
qui comprimait encore quelques poitrines parmi les députés libéraux et parmi
les auditeurs patriotes éclata à ces mots, et ces cœurs répondirent à ce
serment par un autre. Le comte d'Artois se retourna, fit le geste de
s'incliner pour s'agenouiller devant son frère. Le roi le releva et lui
tendit la main, comme s'il eût reçu son serment au nom de la nation. Le comte
d'Artois baisa la main et la mouilla de quelques larmes d'émotion. Ses revers
à Lyon lui avaient trop appris qu'il n'y avait plus pour sa famille et pour
lui de refuge que dans la protection de la nation et de la liberté. XV L'assemblée
alors soulevée elle-même par une invincible émotion prit part, comme un chœur
national, par un dialogue individuel et passionné, à la scène qui
l'attendrissait. « C'est à nous de mourir, criait-on au roi en tendant les
mains vers lui ; c'est à nous de vous couvrir, vous, la patrie et les lois,
de notre corps A nous d'acquitter la dette de la France envers un prince qui
ne s'est souvenu que de sa parenté avec le pays, et qui a compromis la paix
de ses derniers jours pour venir nous réapprendre la liberté Le roi à la vie
et à la mort Vivre et mourir pour le roi ! » Le roi
et sa famille sortirent escortés d'un peuple entier, et poursuivis jusqu'aux
Tuileries par l'écho universel de leur popularité. M.
Lainé, qui présidait la séance, s'arracha du fauteuil après la sortie du roi,
et, cédant à l'impulsion de son âme facile à émouvoir et de son éloquence
facile à éclater en grands sentiments, il invoqua le génie de la liberté, de
la patrie et de la concorde, pour faire sortir des armées du sol et de la
sainte colère de toutes les âmes. Il rappela les heureux présages et les
commencements prospères d'un règne interrompu dès son aurore par la perverse
ambition du despotisme, irrité de ce que la terre lui échappait. « Le
monde, s'écria-t-il, s'est étonné de la profonde paix qui a suivi la
restauration. Il faut défier l'histoire d'indiquer aucune époque de nos
annales où la liberté de la nation ait été plus respectée par l'autorité du
trône. La sagesse du roi commençait à peine à méditer comme nous, avec nous,
les perfectionnements de nos institutions naissantes, quand une incroyable
apparition a étonné tous les esprits. Dieu à quelles calamités notre
malheureux pays ne tomberait-il pas en proie, si cet homme venait à triompher
de la volonté désarmée d'un peuple ! L'âme la plus stoïque s'en épouvante,
car les imaginations sont 'encore éclairées par l'incendie de Moscou, et j'en
vois les fatales lueurs reflétées jusque sur les colonnes du Louvre Mais cela
n'est pas possible Non, la France ne laissera périr ni son roi ni sa liberté !... » XVI Des
applaudissements unanimes témoignèrent que ces paroles de M. Lainé étaient
les pensées de toutes les âmes. L'Assemblée déclara la guerre nationale et
conféra la dictature absolue au gouvernement, sentant que l'heure des
délibérations était passée et que la représentation nationale n'avait qu'une
fonction et un rôle dans ces graves périls entourer le souverain, témoigner
par leur présence que la nation était avec lui, défier l'invasion de
Bonaparte jusqu'au dernier moment avec la sainte majesté du pays, et attendre
sur leurs bancs la victoire ou la servitude. Un député de la Lozère, père
d'un orateur célèbre depuis dans les annales de son pays, M. Barrot, invoqua
dans une résolution acceptée les principes de la Révolution en faveur de la
majesté royale. « Considérant,
disait cette résolution, que la nation s'est levée en masse en 1789 pour
conquérir, de concert avec son roi, les droits naturels et imprescriptibles
qui appartiennent à tous les peuples que la jouissance lui en était assurée
par les constitutions qu'elle a librement acceptées en 1792, en l'an V et en
l'an VIII ; que la charte de 1814 n'est que le développement des principes
sur lesquels ces constitutions étaient basées ; considérant que depuis 1791
tous les gouvernements qui ont méconnu les droits de la nation ont été
renversés, et que nul gouvernement ne peut se soutenir qu'en suivant la ligne
des principes constitutionnels que Bonaparte les avait tous méconnus et
violés au mépris des serments les plus solennels ; que le vœu général et spontané
avait rappelé sur le trône une famille que la France était accoutumée à
vénérer, et un prince qui à l'époque de notre régénération seconda
puissamment les efforts de son auguste frère pour opérer cette régénération,
la chambre des députés déclare nationale la guerre contre Bonaparte. » XVII Le
lendemain, Benjamin Constant, organe du parti constitutionnel, et inspiré par
le génie de madame de Staël empruntait à l'antiquité ses accents les plus
tragiques et à l'histoire ses burins les plus sanglants pour élever la
réprobation de la nation contre Bonaparte à la hauteur de l'histoire et du
péril public Éloquente et vaine jactance de ces résolutions stoïques que
l'écrivain trouvait sous sa plume et que l'homme ne retrouvait plus quelques
jours après dans son cœur « Il reparaît, cet homme teint de notre sang, il reparaît, cet homme poursuivi naguère par nos malédictions unanimes que veut-il, lui qui a porté la dévastation dans toutes les contrées de l'Europe, lui qui a soulevé contre nous les nations étrangères, lui qui, attirant sur la France l'humiliation d'être envahie, nous coûte jusqu'à nos propres conquêtes antérieures à sa domination ? Il redemande sa couronne Et quels sont ses droits ? La légitimité héréditaire mais une courte occupation de douze années et la désignation d'un, enfant pour successeur ne peuvent se comparer à sept siècles d'un règne paisible. Allègue-t-il le vœu du peuple ? Mais ce vœu doit être compté n'a-t-il pas été unanime dans tous les cœurs pour rejeter Bonaparte ? Il promet la victoire, et trois fois il a délaissé honteusement ses troupes, en Égypte, en Espagne, en Russie, livrant ses compagnons d'armes à la triple étreinte du froid, de la misère et du désespoir Il promet le maintien des propriétés, mais cette parole même il ne peut la tenir, n'ayant plus les richesses de l'univers à donner pour récompense à ses satellites ce sont nos propriétés qu'il veut dévorer. Il revient aujourd'hui, pauvre et avide, n'ayant rien à réclamer ni rien à offrir. Qui pourrait-il séduire ? La guerre intestine, la guerre extérieure, voilà les présents qu'il nous apporte. Son apparition, qui est pour nous le renouvellement de tous les malheurs, est pour l'Europe un signal d'extermination. Du côté du roi est la liberté constitutionnelle, la sûreté, la paix du côté de Bonaparte, la servitude, l'anarchie et la guerre. Il promet clémence et oubli ; mais quelques paroles jetées dédaigneusement, qu'offrent-elles autre chose que la garantie du mépris ? Ses proclamations sont celles d'un tyran déchu qui veut ressaisir le sceptre c'est un chef armé qui fait briller son sabre pour exciter l'avidité de ses soldats ; c'est Attila, c'est Gengis-Kan, plus terrible, plus odieux, qui prépare tout pour régulariser le massacre et le pillage. Quel peuple serait plus digne que nous de mépris si nous lui tendions les bras ? Nous deviendrions la risée de l'Europe après en avoir été la terreur nous reprendrions un maître que nous avons nous-mêmes couvert d'opprobre ; notre esclavage n'aurait plus d'excuse, notre abjection plus de bornes, et du sein de cette abjection profonde, qu'oserions-nous dire à ce roi que nous aurions pu ne pas rappeler ? car les puissances voulaient respecter l'indépendance du vœu national à ce roi que nous avons attiré par nos résolutions spontanées sur la terre où déjà sa famille avait tant souffert ? Lui dirions-nous Vous avez cru aux Français, nous vous avons entouré d'hommages et rassuré par nos serments, vous avez quitté votre asile, vous êtes venu au milieu de nous, seul et désarmé tant que nul danger n'existait, tant que vous disposiez des faveurs et de la puissance, un peuple immense vous a étourdi par des acclamations bruyantes ; vous n'avez pas abusé de son enthousiasme. Si vos ministres ont commis beaucoup de fautes, vous avez été noble, bon, sensible ; une année de votre règne n'a pas fait répandre autant de larmes qu'un seul jour du règne du Bonaparte. Mais il reparaît sur l'extrémité de notre territoire, il reparaît, cet homme teint de sang et poursuivi naguère par nos malédictions unanimes ; il se montre, il menace, et ni les serments ne nous retiennent, ni votre confiance ne nous attendrit, ni la vieillesse ne nous frappe de respect ; vous avez cru trouver une nation, vous n'avez trouvé qu'un troupeau d'esclaves ! Parisiens, non, tel ne sera pas notre langage, tel ne sera du moins pas le mien. J'ai vu que la liberté était possible sous la monarchie ; j'ai vu le roi se rallier à la nation. Je n'irai pas, misérable1 transfuge, me traîner d'un pouvoir à l'autre, couvrir l'infamie par le sophisme, et balbutier des mots profanes pour racheter une vie honteuse. » |