Abdication de
Napoléon. — Il envoie Caulaincourt et Macdonald comme plénipotentiaires à
Paris. — Conseil des maréchaux et des
souverains alliés le 4 avril. — Rejet de la régence. — Défection du corps
d'armée de Marmont. — Repas de nuit des généraux et des officiers. — Marche
du 6e corps entre les lignes ennemies. — Son soulèvement à son arrivée à
Versailles. — Sa marche vers Rambouillet. — Marmont, accouru à Versailles,
arrête et apaise le 6e corps. — Ovation de Marmont à son retour à l'hôtel de
M. de Talleyrand. — Ordre du jour de Napoléon le 5 avril. — Retour des
plénipotentiaires à Fontainebleau. — Napoléon veut recommencer la guerre. —
Il y renonce. — Départ de Caulaincourt pour Paris.
I L'empereur
en entrant dans ses appartements donna à haute voix l'ordre de porter le
quartier général à Ponthierry, sur la route d'Essonne. C'était dans sa pensée
un ordre tacite à ses maréchaux de le suivre avec leurs corps d'armée. Il ne
supposait pas que ses compagnons d'armes l'abandonneraient au dernier combat.
Il ne croyait plus au dévouement, mais il croyait encore à l'honneur. Cependant
les maréchaux, qui avaient marché sur ses pas jusque dans le dernier cabinet
où il paraissait vouloir se retirer, formaient un groupe d'un aspect
énigmatique devant lui. Indécises entre le respect habituel et l'audace d'une
résolution inaccoutumée, leurs physionomies révélaient l'ambiguïté de leur
rôle. Prêts à s'incliner, si l'empereur comprenait leur geste significatif et
leur pression muette ; prêts à exiger, s'il s'obstinait à ne rien comprendre.
Le silence qui se continua ainsi longtemps entre l'empereur et ses
lieutenants était le dialogue le plus tragique de cette scène. Napoléon
interrogeait du regard le regard de ses officiers, qui interrogeaient le
sien. Chacun semblait attendre de l'autre le mot de la situation. Napoléon
était loin de songer encore CIL le dire. Ses lieutenants frémissaient d'être
condamnés à le prononcer les premiers. La honte de l'attendre en vain, accrue
par la résolution de le dire, porta enfin jusqu'à la colère sourde
l'impatience des chefs de l'armée. Renonçant à persuader, résolus d'obtenir,
ils allaient éclater. Il « Je
compte sur vous, messieurs, » dit enfin Napoléon, qui se hâta de les prévenir
par une parole à laquelle ils avaient si souvent répondu. Ce mot exigeait un
mot ou un signe. Les maréchaux, au lieu de se retirer respectueusement comme
à l'ordinaire pour aller exécuter cet ordre, se rapprochèrent en assurant du
pied fortement appuyé sur le parquet leur attitude et leur résolution de
rester. Napoléon se troubla, mais se contint. Le maréchal Ney, à qui tant
d'exploits avaient donné le droit de plus de franchise, s'écria que pas une
épée ne sortirait du fourreau pour servir une pensée qui serait le crime'
inutile et insensé d'une ambition désespérée contre la patrie. Napoléon le
regarda avec un étonnement plein de reproche. C'était la première vérité.
qu'il entendait depuis dix années de servitude elle sortait de l'âme d'un de
ses plus héroïques compagnons elle avait l'accent d'une révolte et l'amertume
d'un délaissement. Il fut foudroyé et déconcerté comme il l'avait été au 18
brumaire par la voix et le geste des représentants à Saint-Cloud. Il fallait
à cet homme une armée entre la vérité et lui. Il ne combattait pas l'audace
corps à corps. III Ses
lieutenants Oudinot et Lefebvre appuyèrent avec l'énergie d'une parole
brusque et d'une volonté indomptable la résolution du maréchal. Le visage, le
ton, les gestes, le bras et le doigt impératif des officiers, le sourd
murmure, le regard chargé de menaces, les demi-mots mal arrêtés sur les
lèvres, le trépignement des pieds et des sabres sur le parquet, affectaient
d'indiquer à Napoléon qu'on n'épargnerait pas même les extrémités, et que la
terreur qu'il avait si longtemps inspirée revenait enfin sur lui. Il tenta
néanmoins encore sa force morale il releva le front que de sanglants
reproches avaient fait fléchir, et congédiant de nouveau du geste ses
lieutenants : « L'armée, du moins, me suivra, elle dit-il avec un sourire
d'amertume. « —
L'armée, reprirent les maréchaux d'une voix plus véhémente, elle obéira à ses
généraux n C'était retourner contre sa poitrine l'épée qu'il leur avait mise
dans les mains. Napoléon se sentit désarmé. Il ne lui restait qu'à défier ses
compagnons de gloire du dernier outrage en se faisant jour à travers le
groupe qui le pressait et en s'élançant sur la terrasse de la cour pour
appeler ses grenadiers à la vengeance de leur empereur. Mais là, comme à
Saint-Cloud, le pied, la voix, le cœur, lui manquèrent. Il croisa ses bras
sur sa poitrine, baissa la tête, parut réfléchir longtemps en silence,
composa enfin sa physionomie pour déguiser l'humiliation, et du ton d'un
homme qui prend un conseil volontaire de ses amis au lieu de se soumettre à
leur volonté par la force : « Eh bien leur dit-il, que dois-je donc faire
selon vous ? « —
Abdiquer s'écrièrent d'une voix rude et unanime les maréchaux les plus
rapprochés de lui. « —
Oui, il n'y a pour vous, pour nous, pour la patrie, d'autre issue et d'autre
salut que votre abdication, répétèrent les autres. « —
Et voilà ce que vous avez gagné à ne pas suivre les conseils de vos amis,
quand ils vous engageaient à faire la paix, » dit le maréchal Lefebvre. Un
murmure général d'approbation apprit à Napoléon qu'il n'avait plus
d'espérance ni même d'excuse dans tous ces cœurs. Il entendit et feignit de
ne pas entendre de ces mots qui ouvrent les abîmes longtemps fermés de l'âme.
Il vit que les ressentiments de la nation débordaient jusque sur les lèvres
de ses derniers serviteurs. Nulle pitié ne lui déguisa l'ingratitude. La
défection prenait l'accent du patriotisme. Les âmes vulgaires qui ont le plus
plié sous la prospérité se redressent avec le plus d'insolence sous
l'infortune. La rudesse militaire s'honore alors du nom de franchise. Cette
franchise tardive n'est souvent que la vengeance des longues servilités. On
ne l'épargna pas à, Napoléon. Il entendit en quelques minutes toutes ces voix
qu'il avait étouffées sous l'adulation commandée. Il méritait ce supplice de
l'opinion qu'il avait tant suppliciée lui-même. Mais était-ce de la main des
siens qu'il devait l'attendre ? IV Il se
résigna, non devant les conseils, mais devant le destin qui le désarmait. «
Eh bien dit-il, je vais vous remettre mon abdication ; laissez-moi un moment
d'isolement pour l'écrire. » Les
maréchaux se retirèrent vers la porte de l'étroit cabinet sans perdre de vue
l'empereur. Il s'assit près d'une petite table recouverte d'un tapis de drap
vert ; il prit une plume, réfléchit un moment, et écrivit lentement et en
pesant les mots dans sa tête et sous sa main tremblante l'abdication en ces
termes « Les
puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul
obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle
à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre du trône, à quitter la
France et même la vie pour le bien de la patrie inséparable des droits de son
fils, de ceux de la régence de l'impératrice et du maintien des lois de
l'empire. « Fait
en notre palais de Fontainebleau, le 4 avril 1814. « NAPOLÉON. » V « Tenez,
messieurs, dit-il en s'adressant aux maréchaux qui se rapprochèrent, tenez,
êtes-vous contents ? » Ses lieutenants reçurent l'abdication de ses mains, la
lurent, et s'inclinèrent satisfaits. Cette abdication, c'était leur rançon de
la patrie à recouvrer et leur traité personnel avec l'Europe. Ils
s'inquiétaient peu des conditions que l'empereur paraissait y attacher. On ne
négocie plus sans épée et sans couronne. Ils avaient leur serment et leur
liberté dans la main. ils étaient bien décidés à ne plus la lui rendre. VI Quant à
lui, quoique la scène qui venait de s'accomplir ne lui laissât plus
d'illusion sur les attachements de l'ambition à la puissance, il feignit d'en
avoir encore, soit pour se flatter lui-même, soit pour les flatter en les
honorant, soit plutôt pour couvrir d'une apparence de dignité et d'in-
dépendance la violence qu'il venait de subir et qu'il ne voulait pas
s'avouer. « Messieurs,
leur dit-il d'une voix qu'il s'efforçait de rendre confiante et martiale, il
faut aller à Paris maintenant, défendre les intérêts de mon fils, les
intérêts de l'armée, ceux de la France. Je nomme pour mes commissaires le duc
de Vicence (Caulaincourt) le maréchal prince de la Moskowa, le maréchal duc
de Raguse. Ces noms vous conviennent-ils, ces intérêts ne vous semblent-ils
pas en de bonnes mains ? » Les
généraux firent un signe d'assentiment. VII Napoléon,
qui s'était tenu debout dans une agitation nerveuse depuis le moment où il
avait tendu l'acte d'abdication à ses compagnons d'armes, ne put résister
plus longtemps à la défaillance qui suit souvent une violente secousse
d'esprit. Il retomba affaissé sur un canapé et resta un instant à chercher
son haleine. Puis, plaçant ses deux mains sur son front, il parut absorbé
dans une anxiété suprême. On n'entendait dans le silence du cabinet inondé de
soleil que le bruit pénible de sa respiration. Les maréchaux souffraient de
cette agonie d'une ambition mourante, mais ils la croyaient enfin vaincue.
Ils se trompaient. Cette langueur de Napoléon couvrait une dernière ruse de
sa passion d'empire. Il se releva comme saisi d'un repentir soudain, et
s'élançant vers ses généraux comme pour reprendre et déchirer sa résignation
écrite : « Non, non, s'écria-t-il, point de régence ! Avec ma garde
seule et l'armée de Marmont, je serai demain dans Paris ! » Un cri unanime
des généraux protesta avec indignation contre ce retour de volonté qu'ils
croyaient avoir subjuguée. Le maréchal Ney lui parla avec l'énergique
brusquerie d'un soldat qui n'épargne plus les rudesses à la démence. Napoléon
eut les soubresauts de tête et les gestes du désespoir contenu. Il ne put
supporter plus longtemps la présence des hommes qui venaient de lui arracher
jusqu'au respect de lui-même. « Retirez-vous » leur dit-il d'une voix
tonnante. Ils sortirent en baissant les yeux et en se recommandant le silence
sur les violences de l'abdication. Ils emportaient l'empire, l'empereur leur
importait peu maintenant. VIII Les
maréchaux à peine sortis, Napoléon recopia de nouveau son abdication et
appelant Caulaincourt, il la lui remit comme un dernier instrument de
négociation qu'il marchanderait aux alliés pour obtenir en retour la régence
et le règne de son fils. Son cœur, longtemps comprimé par la présence de ses
lieutenants devant lesquels il n'osait montrer sa colère et devant lesquels
il rougissait de montrer sa faiblesse, éclata enfin. « Les ingrats !
répéta-t-il à plusieurs reprises, les ingrats ! ils me doivent tout, et ils
n'ont pas su attendre au moins l'heure de m'abandonner avec décence. JI m'eût
été moins cruel de tomber sous la main de nos ennemis, mais sous celle de mes
amis Les ingrats ! je les ai faits ce qu'ils sont, je leur ai donné cette
armée qu'ils menacent de tourner contre moi ! » Il
disait vrai pour quelques hommes nouveaux de l'armée ; mais cela n'était pas
vrai pour ces vétérans de la république. Ils avaient leurs noms faits avant
lui. Ils l'avaient usé à son service, et quelques-uns l'avaient terni de leur
servilité. Napoléon et eux pouvaient se renvoyer des reproches mutuels eux,
de les avoir pliés à sa tyrannie, lui, d'en avoir accepté la complicité et
les fruits, et de ne se souvenir qu'ils étaient libres que le jour où il
était vaincu. IX Il se
jeta dans les bras de Caulaincourt et gémit un moment sur son cœur. Celui-là
n'avait d'avenir que l'avenir de Napoléon. Bien qu'il se fût lavé de la
complicité directe qui pesait sur lui dans le meurtre du dernier des Condé,
il savait que ce souvenir pesait sur son nom et le poursuivrait comme une
calomnie ou comme une vengeance sous le règne des Bourbons. L'empire n'était
pas seulement sa fidélité, c'était son asile. Il s'y attachait jusqu'au
dernier débris autant que l'empereur lui-même. Les autres n'étaient compromis
que dans les victoires et les défaites de Napoléon Caulaincourt l'était dans
ses expiations. Mais l'amitié d'Alexandre, qu'il cultivait dans ses
nombreuses missions auprès de ce prince, lui laissait espérer encore
transaction pour l'empereur, protection pour lui. Napoléon
lui ordonna de partir de nouveau, et lui nomma Marmont et Ney pour
négociateurs adjoints auprès des souverains alliés. Il venait d'éprouver la
rudesse de Ney, mais il le croyait suffisamment apaisé par l'abdication.
Quant à Marmont, il ignorait encore la promesse de défection que le prince de
Schwartzenberg avait dans les mains. X Caulaincourt,
plus défiant parce qu'il était plus instruit, représenta a l'empereur que
l'absence de Marmont de Fontainebleau ralentirait peut-être l'action de la
négociation, et qu'il serait préférable de désigner Macdonald. Maret, duc de
Bassano, suivait Napoléon dans ses camps comme secrétaire d'État. Il avait
sur l'empereur l'ascendant que donnent la présence, la familiarité,
l'habitude. Il fut appelé et consulté. Maret, homme d'honneur, ne doutait pas
de l'honneur dans les autres ; il conseilla Macdonald. Macdonald fut appelé. C'était
un gentilhomme de sang irlandais dont les pères avaient suivi Jacques II en
France. La fidélité coulait dans ses veines. Toutefois les révolutions
l'avaient assoupli comme tous les soldats à servir des causes diverses,
fidèle surtout à son épée. Militaire avant la Révolution, général pendant les
guerres de la république, sous Moreau en Allemagne, sous Pichegru en
Hollande, sous Championnet à Naples, il avait illustré son nom par la
glorieuse retraite de la Trebia, retraite égale à une victoire. Au 18
brumaire, il avait prêté comme tous les généraux présents à Paris sa
complaisance à Bonaparte pour surprendre la république. Napoléon l'avait
employé, grandi et illustré depuis, mais avec réserve et défiance. Macdonald
ne datait pas de lui seul. Il redoutait dans ce lieutenant un homme qui se
souvenait trop de Moreau. Macdonald le détrompa à l'heure des épreuves. Bien
que ce général eut conseillé l'abdication la veille, et qu'il fît partie le
matin du groupe d'officiers qui redemandait impérieusement le sceptre à
Napoléon, il avait parlé avec les égards qu'inspire l'infortune aux cœurs
généreux, et avec cette indépendance des événements que donne la noblesse de
l'âme. Le moins favorisé des maréchaux s'était dévoilé le plus fidèle. Le
conseil donné, il avait offert son épée et son intervention jusqu'a
l'extrémité à l'empereur. Napoléon avait été touché. Il avait trouvé son
dernier ami là où il croyait trouver son juge le plus sévère. Il fit appeler
Macdonald, et lui confia avec un certain attendrissement le sort de ses
dernières espérances et l'avenir de son fils. « J'ai eu des torts envers
vous, lui dit l'empereur, vous en souvenez-vous ? Non, dit Macdonald, je ne
me souviens que de votre confiance ! » L'empereur serra la main du soldat ;
il y eut des larmes dans leurs yeux. XI Les
plénipotentiaires Caulaincourt, Ney et Macdonald laissèrent l'empereur seul
et abîmé dans son humiliation et dans sa douleur. Ils montèrent en voiture et
coururent vers Paris. Quelques
heures après, ils étaient introduits auprès de l'empereur Alexandre. Ils ne
doutaient pas que ce prince, convaincu des périls d'une dernière lutte avec
Napoléon, et secrètement animé contre les Bourbons, n'inclinât à la régence
de l'impératrice. Les négociateurs s'étaient adjoint le maréchal Marmont,
qu'ils avaient pris à son camp d'Essonne. Marmont commençait à se repentir de
sa défection trop complète, et dont le secret n'avait pas encore transpiré.
Ses troupes, sous le commandement de ses officiers, n'avaient pas commencé
encore le mouvement vers la Normandie. Ce maréchal n'osait avouer à ses
compagnons d'armes qu'il avait traité sans eux. Il espérait ressaisir sa
convention avec Schwartzenberg. Il voulait, du moins, en remettre l'exécution
après que la régence aurait été consentie par Alexandre. Le hasard acheva la
défection commencée, et ferma la porte à tout retour de fidélité de ce
maréchal. XII Caulaincourt,
dont la familiarité avec Alexandre était ancienne, précéda l'entrée des
maréchaux chez ce prince. Alexandre feignit d'avoir hésité et d'être entraîné
malgré lui dans une ligue universelle contre la dynastie de Napoléon. Il
raconta à Caulaincourt les obsessions de M. de Talleyrand, de l'abbé Louis,
de l'abbé de Pradt, de l'abbé de Montesquiou, quatre anciens membres du
clergé rompus aux intrigues de sa politique comme les eunuques des cours
byzantines. Il lui révéla la défection de Marmont et de son état-major ; il
lui confia que le général Souham, qui commandait l'armée d'Essonne en
l'absence du maréchal, avait peut-être découvert et désarmé Napoléon à
l'heure où il lui parlait, en abandonnant ses positions. Napoléon sans
soldats n'était donc plus un nom dont on pût s'armer pour faire peser la
régence d'un poids de crainte dans les conseils des alliés. Ce n'était plus
qu'un captif dont on allait décréter les conditions de captivité. Alexandre,
avec cette simulation gracieuse du caractère grec qui se retrouve dans le
Slave, affectait, en parlant ainsi, autant de regret et de douleur que s'il
eût été encore l'ami de Napoléon. Il consolait tout en frappant. Il rendait
et retirait des espérances par chaque mot et par chaque accent. Caulaincourt,
consterné, croyait encore à la puissance de la présence et de l'intercession
des maréchaux sur son âme. Ils furent introduits. XIII L'empereur
de Russie, le roi de Prusse, les généraux, les diplomates étrangers, le
général Beurnonville, les membres du gouvernement provisoire, les principaux
agents de M. de Talleyrand et des royalistes, assistaient à cette séance où
allait se décider une dernière fois et plus irrévocablement la question du
trône. Caulaincourt remit aux souverains l'acte conditionnel d'abdication. Le
roi de Prusse, plein de la bataille d'Iéna et de la vengeance d'une femme
adorée dont Napoléon avait brisé le cœur et la vie, prit la parole. Il dit
aux envoyés de Napoléon que l'heure des transactions était passée, que la
France se prononçait avec une autorité d'opinion irrésistible contre la
tyrannie héréditaire du chef qui avait abusé d'elle, et qu'elle redemandait
ses anciens rois par la voix du Sénat et du peuple. Macdonald
plaida avec une respectueuse et calme énergie la cause de Napoléon « Il livre
l'empire pour rançon du trône de son fils, dit-il, il rend la paix à
l'univers et se désarme de son épée et de son titre à ce prix. Le sang qui
coulerait encore en Europe, s'il poursuivait à l'extrémité la résistance, ne
retomberait plus sur lui. Les souverains qui se sont armés, non pour la cause
de telle ou telle famille couronnée, mais pour rendre l'indépendance et la
paix à l'humanité, peuvent-ils, sans se démentir, faire encourir de tels
hasards aux armées et aux populations pour un détrônement qui ne fut pas le
but de leur ligue ? L'armée est fidèle encore et nombreuse entre
Fontainebleau et Paris. A la voix de Napoléon, elle livrerait la plus
terrible et la plus déplorable des batailles. Faut-il réduire le premier
soldat du monde à ce conseil du désespoir ? » XIV Telles
furent les paroles de Macdonald. Mais au moment où il parlait de l'armée
prête à suivre encore son général, un sourire d'incrédulité qu'il ne comprit
pas parcourut les lèvres des assistants ; un chuchotement énigmatique
inquiéta Macdonald et Ney. La porte s'ouvrit, c'était Marmont. JI entrait, il
venait de bonne foi alors se joindre tardivement à ses compagnons d'armes
pour intercéder en faveur de la régence, rougissant d'être moins loyal et
moins affectionné que Macdonald et Ney, qui devaient moins à l'empereur. Il
fut accueilli par M. de Talleyrand, par les affidés du gouvernement
provisoire et par les généraux alliés avec des démonstrations de joie et de
cordialité qui captaient d'avance sa parole. On vit sur les physionomies la
révélation de rapports antérieurs. Marmont était déjà séparé, dans l'esprit
du conseil, de la cause de l'empire. Ceux qui la défendaient pâlirent en le
voyant entouré des accueils et des familiarités des alliés. Ils ne
soupçonnaient cependant qu'une partie de la vérité, Marmont l'ignorait tout
entière. Son armée, au nom de laquelle il venait négocier encore lui-même,
n'existait plus. Pendant son absence, ses généraux, sommés par Schwartzenberg
et travaillés par les émissaires de Paris, avaient exécuté la convention,
traversé les lignes du prince de Schwartzenberg l'arme au bras, et s'étaient
repliés sur Versailles, plus pressés que leur chef de mettre entre l'empereur
et eux Paris et les armées étrangères. Ce mouvement accompli équivalait à une
capitulation. Le corps d'armée de Marmont était désormais emprisonné par les
lignes ennemies. L'armée de' Napoléon n'avait plus ni tête, ni flanc, ni
ligne. Ce n'était qu'une poignée de braves entourés et découverts de toutes
parts, autour du dernier palais de leur souverain. XV Au
moment où Marmont se disposait à prendre la parole pour rivaliser de loyauté
apparente et d'intercession avec ses collègues, on apporta une dépêche à
l'empereur Alexandre ; il l'ouvrit. Elle était du généralissime autrichien.
Elle annonçait la dislocation et le mouvement de l'armée d'Essonne. Alexandre
la lut à haute voix. Elle tranchait tout. Marmont, qui n'avait rien ordonné,
fut atterré. La parole manqua à Caulaincourt, a Macdonald et à Ney. Pendant
qu'ils plaidaient, le sort ou la trahison avait jugé. Un silence de joie chez
les uns, de consternation chez les autres, de honte chez ceux-ci,
d'étonnement chez tous, régna dans le conseil. Il n'y avait plus à négocier,
il ne restait qu'à implorer. Les maréchaux et Caulaincourt sortirent. XVI On
voulut consoler leur fidélité et leur douleur. Beurnonville, ancien compagnon
d'armes de Macdonald dans les guerres de la république, s'avança vers ce
maréchal et lui tendit la main. « Ne me parlez pas, lui cria Macdonald,
vous m'avez fait oublier en un jour une amitié de trente ans. » Puis se
tournant vers le général Dupont, ministre de la guerre : « Quant à
vous, dit-il, vous aviez le droit de haïr l'empereur, il avait été injuste
envers vous. Mais depuis quand venge-t-on son injure personnelle sur sa patrie
? » M. de
Talleyrand s'étant approché du groupe des maréchaux, dont la voix
retentissait de l'accent de l'indignation et du désespoir, les pria
d'assoupir leur voix et de se rappeler qu'ils n'étaient pas chez lui, mais
chez l'empereur Alexandre. Macdonald lui répliqua avec l'énergie du désespoir
et du mépris. Marmont, se frappant le front des deux mains et déplorant la
précipitation de ses généraux qui avaient agi sans ordre : « Je
donnerais un bras, s'écria-t-il, pour réparer la faute de mes généraux Dites
le crime, reprit Macdonald, et leurs têtes ne t'expieraient pas. » XVII Ce
désespoir de Marmont, quoique tardif, n'était pas affecté : Rien n'était
accompli encore dans sa pensée, malgré la convention coupable d'Essonne. Il
s'était réservé à lui-même de ne l'exécuter qu'à son heure et après que les
conférences de Paris auraient assuré la dignité de son attitude, la sûreté de
l'armée, les conditions personnelles à l'empereur. Mais le premier pas sur la
pente de la trahison entraîne au fond de la ruine. Voici les événements que
Marmont n'avait pas prévus et qui s'étaient passés pendant son absence. Napoléon,
irrité de la violence qui venait de lui être faite par ses lieutenants en lui
arrachant l'abdication, était revenu à des pensées de lutte aussitôt après
leur départ. Il avait envoyé un de ses jeunes officiers d'ordonnance dévoué
avec l'enthousiasme de son âge et de son cœur, le colonel Gourgaud, au camp
de Marmont. Gourgaud devait ramener ce maréchal à Fontainebleau. Napoléon
espérait trouver en lui plus de constance et plus de dévouement à ses
résolutions désespérées que dans ses autres lieutenants. Avec Marmont et sa
garde il pouvait braver les chefs révoltés de ses autres corps, les livrer au
ressentiment des soldats, nommer d'autres chefs, ressaisir le commandement,
marcher sur Paris, changer ou modifier la fortune. Gourgaud ne trouva plus Marmont
à Essonne le maréchal parlementait à Paris. L'envoyé de l'empereur s'étonne
de ce qu'un chef de corps en présence de l'ennemi ait abandonné son poste. Il
apprend du colonel Fabvier, aide de camp de Marmont, que le bruit sourd de
l'abdication de l'empereur s'est déjà répandu dans l'armée par des dépêches
venues des avant-postes, et que chacun des généraux divisionnaires commence à
penser à soi. Le colonel Fabvier, fidèle au devoir et infaillible à
l'honneur, court lui-même au-devant de son maréchal, dont il espère
le-retour. Il raffermit la vigilance et le courage aux avant-postes. Gourgaud
poursuit sa mission et va, de la part de l'empereur, convier Mortier à une
entrevue nocturne à Fontainebleau avec Napoléon pour y concerter un grand
mouvement à l'insu des maréchaux désaffectionnés. Au même moment, Berthier,
chef d'état-major de l'empereur, inquiet de ne pas voir revenir Gourgaud,
envoie par une ordonnance au camp d'Essonne une nouvelle invitation là
Marmont de venir sur l'heure recevoir les ordres de l'empereur. XVIII Cette
nouvelle invitation à Marmont, se combinant avec le bruit croissant de
l'abdication et avec le départ des maréchaux dont on ignore les motifs, mais
dont on connaît le mécontentement, fait croire à l'état-major de Marmont que l'empereur
veut protester par un renouvellement d'hostilités insensé et personnel contre
la volonté des chefs de l'armée et contre l'intérêt de la patrie.
L'indignation et le soulèvement succèdent a l'inquiétude. En l'absence du
maréchal, les généraux Bordesoulle, Compans, Digeon, Ledru-Desessarts,
Meynadier se réunissent, se communiquent leurs appréhensions, se décident à
prendre sur eux un parti suprême pour désarmer l'empereur déchu de toute
possibilité de verser inutilement le sang de la France et de ses soldats.
Chacun de ces généraux convient de réunir ses officiers supérieurs a sa table
à la chute du jour, et de les entraîner par conviction ou par discipline au
mouvement qui désarme Napoléon. Ils les entretiennent en effet jusqu'au
milieu de la nuit comme des convives qu'on veut retenir à un repas prolongé.
Enfin, lorsque les colonels veulent se retirer chacun à son poste, les
généraux leur annoncent que l'empereur a décidé le mouvement sur Paris, qu'il
faut faire place à l'armée de Fontainebleau dont il est suivi, et se porter
en avant sur la route de Versailles. On prend les armes, des cris de « Vive
l'empereur ! » et une impatience désespérée de vengeance signalent la
dernière fidélité du corps. La cavalerie marche, dans les ténèbres, sous le
commandement du général Bordesoulle, vers Paris. XIX Cependant
le colonel Fabvier, cet aide de camp de Marmont, revenant des avant-postes,
rencontre les colonnes en marche, s'étonne, interroge, ne comprend rien à un
mouvement que son maréchal n'a pas commandé. Les soldats ne peuvent lui
répondre. Il aborde enfin les généraux, qui se chauffaient à un feu de
bivouac, près de la rivière d'Essonne, pendant que leurs colonnes défilaient
sur le pont. Fabvier
s'informe au général Souham de la cause d'un mouvement nocturne qui précipite
les troupes dans les lignes ennemies. Souham lui répond qu'il n'a pas
l'habitude de rendre compte de ses actes à ses inférieurs. Et sur
l'insistance respectueuse de Fabvier « Votre maréchal lui dit Souham, s'est
mis à l'abri dans Paris ; je ne veux pas payer de ma tête la responsabilité
qu'il nous laisse. » Le général Compans se joint à Fabvier pour déconseiller
fortement un mouvement qu'il sera toujours temps de faire, si l'on apprend
que l'empereur veut compromettre et sacrifier ses derniers soldats. Souham
est inflexible « Non, non, dit-il, le pied est levé, il faut faire le pas Et
l'armée passa. XX L’avant-garde
s'étonne de ne rencontrer aucun ennemi. La nuit lui cachait les plaines au
bord de la route. Quelques rumeurs inexplicables s'élevaient par intervalles
dans le lointain. Les soldats croyaient que c'étaient les colonnes de droite
et de gauche de l'armée de Fontainebleau qui marchaient de front avec elle.
L'aube du jour leur découvrit les batteries, les bataillons et les escadrons
de l'armée russe en bataille sur les deux flancs du chemin. Ils avaient
marché depuis trois heures du matin entre ces deux lignes invisibles prêtes à
se refermer derrière eux. L'indignation fut amère, le retour impossible, le
cri de fureur se contint et couva jusqu'à Versailles dans les rangs.
L'arrière-garde seule, commandée par le général Chastel, reconnut le piège à
la faveur, du jour naissant avant d'avoir passé le pont d'Essonne. Elle
s'arrêta et fortifia à la hâte ce passage, pour protéger du moins l'empereur.
A Corbeil, le général Lucotte refusa de suivre l'armée de Marmont et jura de
mourir a son poste. XXI A peine
arrivé à Versailles, le général Bordesoulle écrivit à Marmont pour lui
expliquer les motifs qui avaient décidé ses généraux à faire, sans ses
ordres, le mouvement qu'on était convenu de suspendre jusqu'à son retour de
Paris. Il se félicitait, dans sa lettre, de l'unanimité des troupes à suivre
l'impulsion qu'il avait donnée. Mais pendant que Bordesoulle écrivait, les
soldats, revenus de leur étonnement et répandus dans la ville et dans les
villages autour de Versailles, se groupaient, s'interrogeaient,
s'indignaient, accusaient leurs généraux du crime d'une désertion qui
déshonorait leur corps, et se répandaient en acclamations pour leur empereur
et en imprécations contre leurs généraux. Le colonel Ordener réunissait chez
lui tous les autres colonels, recevait d'eux le commandement par
insurrection, et faisant monter les régiments à cheval, les dirigeait sur
Rambouillet pour revenir par ce détour à Fontainebleau. L'infanterie,
l'artillerie, la cavalerie entière, prennent spontanément leurs armes et leurs
rangs, sourds à la voix des généraux, et s'élancent sur les pas d'Ordener
pour retourner à leur empereur. La ville, les routes et les bois retentissent
de leur fureur et de leurs acclamations, désespoir d'une indomptable fidélité
au vaincu. XXII Le
gouvernement provisoire, informé de cette révolte et tremblant qu'elle ne
gagne les corps et les populations, conjure Marmont de se dévouer à la fureur
de son armée et de la ramener au devoir. Le maréchal y court comme à une mort
certaine, mais qui dénouera au moins l'ambiguïté de faute et de malheur de sa
situation. Il s'élance sur un de ses chevaux les plus rapides à la suite
d'Ordener sur la route de Rambouillet. « Arrêtez ! s'écrie-t-il à
ce colonel ramenez mes troupes à Versailles, ou je vous fais saisir et juger
pour usurpation de commandement. Je vous en défie, répond le colonel ; vos
troupes ne sont pas vos troupes, il n'y a pas de loi militaire qui les
condamne à obéir à la trahison, et y en eût-il, il n'y aurait pas ici de
lâches soldats pour les exécuter. » Les
éclats de voix des deux généraux, l'agitation du groupe où ils s'adjurent et
s'interpellent, la halte confuse qui suspend le pas des colonnes, attirent
autour de Marmont les officiers et-les soldats. Marmont, dont ils suspectent
la fidélité, mais dont ils aimaient le courage et dont ils reconnaissaient la
voix, déchire son uniforme devant eux, leur montre les cicatrices de ses
blessures, leur rappelle leurs exploits sur les mêmes champs de bataille, se
justifie d'un ordre qu'il n'a pas donné, mais les adjure de se prononcer
entre l'insurrection et lui, et leur affirme que la paix déjà signée va
rendre leur mouvement de la nuit sans danger pour leurs frères d'armes et
pour l'empereur. Il leur demande la mort pour lui plutôt que cet opprobre
pour eux d'abandonner leur général. Les soldats les plus rapprochés
s'émeuvent à sa voix, se repentent de leur indiscipline, abandonnent Ordener,
crient « Vive Marmont » entraînent les autres et reprennent derrière lui la
route de leur cantonnement. Marmont les harangue, les passe en revue, les
remet sous la main de leurs généraux, et revient triomphant à Paris. M. de
Talleyrand, les ministres, les souverains alliés, l'embrassent et le comblent
d'éloges. Une seconde fois, disent-ils, il a sauvé le sang de la capitale.
Entouré, servi, exalté à la fin d'un dîner chez M. de Talleyrand, on bat des
mains à la poussière de ses habits. Marmont, à l'enthousiasme des ennemis de
son maître, dut reconnaître la triste réalité de sa défection. XXIII Pendant
que ces événements, pressés dans l'intervalle d'une nuit et d'une matinée, se
passaient à Paris et a Versailles, l'empereur, seul à Fontainebleau,
attendait en vain Marmont et Mortier, ces deux derniers espoirs de sa
fortune. Au lieu de ces deux maréchaux, dont il voulait tenter encore la
fidélité pour entraîner le reste, il reçut par une dépêche confidentielle de
Caulaincourt la copie de la convention secrète entre Marmont et les alliés.
Une heure après, Gourgaud et Chastel accoururent lui annoncer la défection
nocturne de toute l'armée d'Essonne. Les actes et les proclamations
injurieuses du Sénat lui parvinrent au même moment. Il s'abattit de nouveau
pour se relever encore. Mais, tout abattu qu'il était, il voulut lutter au
moins de récriminations et d'invectives avec ce Sénat servile qui ne
recouvrait la voix que contre le vaincu. Il s'enferma dans son cabinet, et il
écrivit à l'armée cet ordre du jour : XXIV « Fontainebleau, le 5 avril 1814. « L'empereur
remercie l'armée pour l'attachement qu'elle lui témoigne, et principalement
parce qu'elle reconnaît que la France est en lui et non .pas dans le peuple
de la capitale. Le soldat suit la fortune et l'infortune de son général, son
honneur et sa religion. Le duc de Raguse n'a point inspiré ce sentiment à ses
compagnons d'armes ; il a passé aux alliés. L'empereur ne peut approuver la
condition sous laquelle il a fait cette démarche ; il ne peut accepter la vie
et la liberté de la merci d'un sujet. « Le
Sénat s'est permis de disposer du gouvernement français ; il a oublié qu'il
doit à l'empereur le pouvoir dont il abuse maintenant ; que c'est l'empereur
qui a sauvé une partie de ses membres des orages de la Révolution, tiré de
l'obscurité et protégé l'autre contre la haine de la nation. « Le
Sénat se fonde sur les articles de la constitution pour la renverser ; il ne
rougit pas de faire des reproches a l'empereur, sans remarquer que, comme
premier corps de l'État, il a pris part tous les événements. Il est allé si
loin qu'il a osé accuser l'empereur d'avoir changé les actes dans leur
publication. Le monde entier sait qu'il n'avait pas besoin de tels artifices.
Un signe était un ordre pour le Sénat, qui toujours faisait plus qu'on ne
désirait de lui. L'empereur a toujours été accessible aux remontrances de ses
ministres, et il attendait d'eux, dans cette circonstance, la justification
la plus indéfinie des mesures qu'il avait prises. Si l'enthousiasme s'est
mêlé dans les adresses et les discours publics, alors l'empereur a été
trompé. Mais ceux qui ont tenu ce langage doivent s'attribuer a eux-mêmes les
suites de leurs flatteries. « Le
Sénat ne rougit pas de parler de libelles publiés contre les gouvernements
étrangers ; il oublie qu'ils furent rédigés dans son sein Si longtemps que la
fortune s'est montrée fidèle a leur souverain, ces hommes sont restés
fidèles, et nulle plainte n'a été entendue sur les abus du pouvoir. Si
l'empereur avait méprisé les hommes comme on le lui a reproché, alors le
monde reconnaîtrait aujourd'hui qu'il a eu des raisons qui motivaient son
mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de la nation ; eux seuls pouvaient
l'en priver ; il l'a toujours considérée comme un fardeau, et lorsqu'il
l'accepta, ce fut dans la conviction que lui seul était à même de la porter
dignement. » Le bonheur de la France paraissait être dans la destinée de
l'empereur ; aujourd'hui que la fortune s'est décidée contre lui, la volonté
de la nation seule pourrait le persuader de rester plus longtemps sur le
trône. S'il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait
volontiers ce dernier sacrifice à la France. Il a en conséquence envoyé le
prince de la Moskowa et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris pour
entamer la négociation. L'armée peut être certaine que l'honneur de l'armée
ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France. » XXV Cette
adresse à ses troupes couvrait cependant encore un appel à la pitié sous
l'apparence d'un découragement résigné de l'empire. Il s'acharnait à
l'espérance à mesure qu'elle lui échappait. Une voiture qui roulait dans les
cours vint lui enlever ce qui restait de son illusion. Il se précipite à la
fenêtre pour en voir descendre Caulaincourt, Macdonald et Ney, qui lui
apportaient le dernier mot de ses ennemis. Leur physionomie seule lui
révélait la tristesse et l'inflexibilité de sa destinée. Caulaincourt et
Macdonald en tempéraient l'impression par la compassion muette de leur
attitude. Le maréchal Ney, quoique loyal, portait sur ses traits la rudesse
d'une résolution avec laquelle il ne faut plus disputer. Lui-même il ne
disputait plus avec lui-même. Déjà fatigué avant de quitter Fontainebleau
d'une contestation vaine et antipatriotique entre l'empereur et la destinée,
son séjour et ses conversations a Paris l'avaient disposé à moins de
ménagements que jamais avec cette obstination a régner. Elle lui semblait
l'obstination d'un seul homme contre le seul salut de la patrie. Doux
d'abord, obéissant encore, intrépide toujours, lassé enfin, il avait fini par
s'irriter. Tout son dévouement passé se tournait en colère. Il ne savait pas
la déguiser. Ses yeux, sa voix, ses pieds, ses gestes, ses murmures la
trahissaient. XXVI Ney,
avant de revoir l'empereur, s'était prémuni contre tout retour de faiblesse
ou de dévouement en s'engageant par un acte précipité et irrévocable avec les
Bourbons. « Je me suis rendu à Paris hier, avait-il écrit à M. de Talleyrand,
avec le duc de Tarente et le duc de Vicence, comme chargé de pleins pouvoirs
pour défendre, près de S. M. l'empereur Alexandre, les intérêts de la
dynastie de l'empereur Napoléon. Un événement imprévu ayant tout à coup
arrêté les négociations, qui cependant semblaient promettre les plus heureux
résultats, je vis dès lors que, pour éviter à notre chère patrie les maux
affreux d'une guerre civile, il ne restait plus aux Français qu'à embrasser
la cause de nos anciens rois ; et c'est pénétré de ce sentiment que je me
suis rendu, ce soir, auprès de l'empereur Napoléon pour lui manifester les
vœux de la nation. Demain matin, j'espère qu'il me remettra lui-même l'acte
formel et authentique de son abdication ; aussitôt après, j'aurai l'honneur
d'aller visiter Votre Altesse sérénissime. « Fontainebleau, ce 5 avril, onze heures et demie
du soir. » XXVII Le
langage de Ney à l'empereur fut conforme à l'état de son âme. Il enleva tout
espoir du premier mot, comme un homme qui ne veut ni discuter, ni
s'attendrir, ni laisser languir sa victime. « Eh bien dit l'empereur, la
situation maintenant est nette. Il n'y a plus ni pour l'armée ni pour moi
d'illusion possible, ni pour vous, ajouta-t-il en regardant les deux
maréchaux. C'est une capitulation sans conditions qu'on nous demande ;
l'armée y consentira-t-elle ? Quant à moi, jamais » Et il énuméra les forces
disséminées qu'il pouvait rallier ou rejoindre vingt-cinq mille hommes à
Fontainebleau, vingt mille sous Augereau à Lyon, autant sous le prince Eugène
en Italie, l'armée de Suchet en Catalogne, celle de Soult a Toulouse ; en
tout cent cinquante mille combattants avec l'empereur à leur tête et la
France insurgée sous leurs pieds N'était-ce pas plus qu'il n'en fallait pour
disputer les chances d'une abdication ? Et, en les disputant avec les clauses
de la guerre, n'était-ce pas assez peut-être pour reconquérir l'empire et
l'honneur ? En vain
Macdonald et Caulaincourt tentèrent d'obtenir par la tendresse de la
persuasion ce que Ney avait voulu arracher par la brutalité de la franchise ;
il fut impossible de vaincre pendant toute cette longue nuit l'obstination de
Napoléon. Il combattait pour sa postérité. Il feignait d'avoir sacrifié le
présent ; il se cramponnait à l'avenir. Son fils, son nom, sa race sur le
trône, c'était tout son passé ressaisi après l'avoir perdu. Les anxiétés de
son âme remplissaient le palais d'incertitude, de trouble et de trahisons.
'Tous flottaient autour de lui comme il flottait lui-même. XXVIII Caulaincourt
resta seul avec l'empereur après le départ des deux maréchaux. La nuit se
passa en reproches à la destinée et aux hommes. L'ambition ne les trouve
jamais assez fidèles quand ils ne la suivent pas jusqu'au suicide. Ses
attitudes étaient des convulsions. Il s'asseyait, se relevait, se promenait,
se rasseyait tour à tour, en se parlant à lui-même ou en s'adressant à
Caulaincourt. Puis, tout à coup, repoussant du pied le siège sur lequel il
appuyait ses jambes tasses d'agitation, il se précipitait sur les cartes
ouvertes sur le plancher, et il marquait avec des épingles noires le plan de
campagne qui lui restait dans l'autre moitié de la France. « S'imaginent-ils
que la trahison de quelques lâches est le dernier mot de la France ?
disait-il à Caulaincourt en l'appelant du geste vers lui et en lui montrant
les cours de la Seine, de la Saône, de la Loire et du Rhône. Non 1 non la
nation n'a pas ratifié leur trahison j'appellerai le peuple à moi ! Les
imprudents ! Ils ne savent pas qu'un homme comme moi ne cesse d'être terrible
que quand il est couché dans son cercueil ! Demain, dans une heure ; au lever
du soleil, je puis déchirer d'un seul mouvement toutes ces trames qu'ils
ourdissent autour de moi. Suivez-moi de l'œil, Caulaincourt. Je rallie à Lyon
cent cinquante mille hommes qui me restent ; je prononce le mot de liberté
qui résonne aujourd'hui contre moi J'écris indépendance et patrie sur mes
aigles. Si les chefs amollis de l'armée sont las, qu'ils se reposent dans la
honte, je trouverai sous les épaulettes de laine de nouveaux maréchaux et de
nouveaux princes. Leurs uniformes dorés leur ont fait oublier la capote bleue
du soldat. C'était leur plus beau titre ; il en décorera d'autres !... » XXIX Il
ordonne à Caulaincourt de prendre la plume et d'écrire à Ney et à Macdonald
qui venaient de repartir pour Paris, libres enfin de leurs serments et peu
disposés à les reprendre. Caulaincourt, épuisé lui-même non de dévouement,
mais de patience, s'y refuse, conteste, le conjure de réfléchir. « Non,
s'écrie Napoléon ; tout est réfléchi, je n'ai plus le choix des partis à
prendre. Les alliés ont repoussé le sacrifice personnel que j'ai voulu leur
faire il y a deux jours Eh bien à mon tour, je retire cette abdication Que
l'épée juge Que le sang coule ! Qu'il retombe sur les lâches qui ont voulu
l'humiliation du pays » Puis,
sentant qu'il s'égarait dans de vains retours sur un passé impossible à
ressaisir, il laissa la plume retomber d'elle-même des mains de Caulaincourt.
Il parut s'affaisser enfin sous la nécessité, il s'attendrit, il conjura
même. « Nous sommes bien malheureux, dit-il à l'unique spectateur de ses
perplexités, nous sommes bien malheureux ! car vous, c'est moi ! Je le sais,
je le sais, mon ami ! Allez prendre un moment de repos, il n'en est plus pour
moi. Vous reviendrez. La nuit m'aura éclairé peut-être » XXX Caulaincourt
se retira pour revenir aussitôt que l'empereur le ferait rappeler. Mais déjà
les familiers les plus intimes, les compagnons les plus anciens et les
courtisans les plus personnels de Napoléon se disposaient à s'éloigner pour
ne plus revenir. La fortune se couchait sur le vieux château de François Ier
et se levait à Paris avec l'aurore d'un autre règne. On craignait de ne pas
arriver à son heure. Le soupçon d'une fidélité trop prolongée pouvait devenir
le crime de toute une vie et la condamnation d'une ambition qu'on ne voulait
pas abdiquer avec l'empereur. Il était évident que Napoléon devenait l'ennemi
public, le grand coupable sur lequel on allait rejeter tous les reproches et
tous les malheurs, le grand proscrit de l'Europe et de la France. On
tremblait d'être confondu dans cet ostracisme. Les maréchaux, à l'exception
de Macdonald, donnaient l'exemple. Quand l'épée fléchissait, comment ce reste
de cour aurait-il résisté ? Ce n'est pas dans les salons d'un maître que les
âmes se trempent et que les caractères s'endurcissent. On cherchait seulement
un prétexte pour se retirer avec la décence de la désertion. Napoléon se
refusait à le donner par sa persistance et par son hésitation. L'impatience
de l'abandon se changeait en colère contre l'obstination du maître. Les
cours, les salles, les corridors, les antichambres même du petit appartement
de l'empereur, étaient remplis de groupes de ses officiers, de ses
dignitaires, de ses serviteurs qui se répandaient à haute voix en sévérités
et en mépris contre son acharnement à régner. Le bruit s'en faisait entendre
jusque dans l'intérieur le plus retiré de la chambre de Napoléon. C'était la
voix de reproche qui s'élevait à mesure que les heures démolissaient les
derniers débris de sa situation. Il était obligé d'entr'ouvrir de temps en
temps sa porte pour ordonner d'une voix tour à tour impérieuse ou sévère, à
son chambellan de service, d'imposer le silence à ces chuchotements de la
désaffection. Les confidences mêmes qu'il faisait de ses revers et de ses pensées
à ses familiers les plus intimes étaient à l'instant reportées par eux dans
les conversations du palais, et grossissaient les mécontentements ou les
craintes. Chacun cherchait a communiquer à d'autres les résolutions pressées
de fuite qu'il concevait, pour que l'ingratitude personnelle fût confondue
dans une ingratitude plus générale. Déjà on ne rougissait plus d'avouer tout
haut l'abandon. Les uns alléguaient l'inutilité de leur présence dans un
palais changé en caserne et qui allait devenir une prison ; les autres, la
nécessité d'aller protéger à Paris des femmes, des mères, des enfants qui
s'alarmaient de leur isolement ; ceux-ci montraient des lettres de M. de
Talleyrand ou des sénateurs ceux-là se souvenaient que leurs noms
appartenaient avant tout à l'ancienne monarchie et ne voulaient pas qu'à sa
rentrée dans les Tuileries elle remarquât leur absence ; tous avaient des
convenances, des intérêts, des devoirs de famille, des respects de situation
qui devaient l'emporter sur l'inutile obstination à entourer un soldat déchu
; quelques-uns, des complicités à se faire pardonner par un empressement à
trahir, gage de nouvelles fidélités à offrir au pouvoir naissant. A la porte
de toutes les chambres, dans les corridors, sur les escaliers, dans les
cours, les préparatifs de départ se faisaient sans contrainte. La plupart
partaient sans adieux. A chaque instant le bruit d'une calèche roulant sur le
pavé des cours d'honneur annonçait à la nuit un abandon de plus. Le matin, le
palais était presque vide. La domesticité même de l'empereur s'était évadée.
A chaque dignitaire de sa cour, à chaque officier de son état-major, à chaque
officier de son service intérieur qu'il faisait par hasard appeler, l'absence
répondait. Un sourire amer et une impassibilité dédaigneuse répliquaient sur
sa physionomie à chacun de ces symptômes de la lâcheté des attachements
intéressés. Il semblait se justifier lui-même à ces coups du mépris qu'il
avait toujours professé pour les hommes. Ce mépris les justifiait aussi de
leur propre dégradation. Il n'avait rien aimé pouvait-il compter sur un cœur
ou sur une vertu ? II n'en trouva aucun même parmi ces vieux serviteurs
domestiques que la familiarité et le rapprochement continuels attachent
souvent plus a la personne qu'à la grandeur. Richard avait eu Blondel, Louis
XVI avait eu Cléry, Napoléon n'eut pas même son mameluk. Sa cour avait tout
perverti. Ses soldats seuls, les officiers les moins élevés en dignités et
les moins rapprochés de sa faveur se montrèrent dévoués jusqu'à la dernière
heure. Les camps avaient protégé l'honneur ; l'intérêt avait corrompu les
cours. XXXI « Qu'il
en finisse » était le cri général de ce qui restait encore le matin autour de
lui. Quand on apprit qu'il faisait rappeler Macdonald et Ney pour rompre la
négociation et retirer sa parole, le murmure monta jusqu'à l'insolence et
jusqu'à l'outrage. Les murs de ce palais de ses fêtes n'avaient pas répété
plus d'adulations dans le temps de sa gloire qu'ils n'entendaient
d'imprécations au jour de sa chute. On craignait justement de n'avoir plus le
temps de capituler avec les Bourbons. Les armées alliées, délivrées de la
crainte d'une bataille sous Paris par la défection de Marmont, qui avait
aussi découvert Mortier, et par les adhésions successives des généraux et des
corps éloignés de l'empereur, avaient manœuvré librement pour cerner Napoléon
dans son dernier asile. Les avenues de Fontainebleau étaient fermées de
toutes parts. Les Russes s'étendaient en face de Paris à Melun et à
Montereau. Une autre armée d'Alexandre gardait Essonne et le passage de la
rivière. Les routes de Chartres et d'Orléans étaient interceptées par des
corps nombreux. Tout le pays entre la Seine, la Marne, l'Yonne et la Loire
était occupé par la grande armée autrichienne, qui avait suivi d'étape en
étape notre retraite sur Paris. La faible armée d'Augereau, expulsée de Lyon
et rejetée sur la Franche-Comté, ne pouvait plus même inquiéter
l'arrière-garde des Autrichiens. L'espace se resserrait autour de celui qui
avait dévoré le monde. Deux cent mille hommes disposés depuis deux jours et
deux nuits en colonnes d'attaque allaient fondre enfin sur le dernier noyau
de la garde de Napoléon. XXXII Instruit
de cette résolution des alliés et de ces manœuvres, il fit appeler
Caulaincourt. Soit qu'il fût sincère dans sa démonstration d'énergie, soit
qu'il voulût avoir l'apparence de ne céder qu'à des conseils amis, il
manifesta la résolution de se dégager de cette enceinte d'ennemis par une
sortie à la tête de ses trente mille hommes. Caulaincourt lui représenta les
suprêmes dangers pour la patrie, pour l'armée, pour lui-même. « Des dangers
s'écria Napoléon, croyez-vous que je les redoute ? Ah ma vie est un lourd
fardeau dont je serais heureux d'être soulagé ! Une vie inutile, une vie sans
but. Je ne la supporterai pas longtemps. Mais avant d'engager celle des
autres, je veux les interroger, je veux savoir ce qu'ils pensent de ce parti
extrême. Appelez autour de moi les maréchaux et les généraux qui restent
encore ici. Je veux savoir enfin si ma cause est leur cause, si la cause de
ma, famille n'est plus la cause de la France. Je me déciderai sur leur
sentiment ! » XXXIII Ce
sentiment, il le connaissait assez par les scènes décisives des deux
premières abdications et par la solitude qui se faisait autour de lui. Il
était évident qu'il voulait seulement un prétexte pour se résigner encore,
l'apparence d'une violence morale faite à sa volonté par ses derniers
compagnons d'armes. Il prenait ses gages devant la postérité et devant la
France. Il voulait qu'on pût dire, et il voulait pouvoir dire un jour
lui-même « J'ai voulu, je pouvais combattre et vaincre encore, ils n'ont pas voulu.
Le trône et la patrie ont été livrés par eux, non par moi. » Comment, s'il en
eût été autrement, un général aussi consommé aurait-il attendu d'être réduit
à vingt-cinq mille hommes, abandonné de ses lieutenants et cerné dans une
forêt par deux cent mille soldats pour livrer bataille ? L'histoire ne doit
pas accepter comme vérités les feintes de l'orgueil aux abois. La vérité en
pareille matière est dans les actes, non dans les paroles. Les actes de
Napoléon à Fontainebleau, après le premier jour, indiquent avec évidence la
pensée de négocier, non de combattre. Ses résolutions sont des attitudes de
négociateur, non des manœuvres de vieux général. XXXIV Berthier,
jusque-là fidèle, mais lassé, entra avec les maréchaux et les chefs de corps.
Les contenances étaient contraintes, tristes, embarrassées. Le mot avait été
dit trois jours auparavant. On ne voulait pas le répéter, on voulait le faire
répéter par les choses mêmes. Berthier confirma en paroles brèves et
officielles les dangers croissants et insurmontables de la situation. «
Fontainebleau sera complètement muré dans quelques heures. — Je le sais,
répondit l'empereur comme s'il eût été importuné de la vérité. Il ne s'agit
pas des ennemis, mais de vous et de moi. Mon abdication, je l'ai offerte mais
on m'impose maintenant d'abdiquer pour ma famille. On veut que je dépose
moi-même ma femme ! mon fils ! vous tous dans ma famille ! Le souffrirez-vous
? J'ai de quoi percer ces lignes qui m'entourent ; je puis parcourir et
réveiller la France Je puis arriver aux Alpes, rejoindre Augereau, rallier
Soult, rappeler Suchet, atteindre Eugène en Lombardie, passer en Italie, y
fonder avec vous un nouvel empire, un nouveau trône, de nouvelles for- tunes
pour mes compagnons, en attendant que le. cri de la France nous rappelle. Me
suivrez-vous ? » XXXV Les
visages lui avaient répondu d'avance, les voix unanimes lui répondirent.
C'était la guerre civile promenée de province en province sur la France, les
armées de l'Europe appelées par millions d'hommes jusque dans les derniers
asiles de l'indépendance du pays, la patrie déjà assez malheureuse changée en
champ de bataille et de ravage universel La gloire ne pouvait pas être où
tout patriotisme manquait. Les conquérants de l'Europe pouvaient-ils finir en
aventuriers du moyen âge, allant chercher des trônes étrangers après avoir
abdiqué celui de l'univers ? L'empereur, irrité ou feignant de l'être,
demanda qu'on le laissât à ses réflexions. Les
maréchaux sortis : « Quels hommes ! dit-il à Caulaincourt en se
rasseyant devant ses cartes, quels hommes ! Ni cœurs, ni entrailles ! Je suis
vaincu par l'égoïsme et par l'ingratitude de mes frères d'armes plus que par
la fortune. Tout est consommé ! Partez et confirmez les deux
abdications. » Caulaincourt partit une troisième fois pour Paris. Il ne restait plus qu'à stipuler pour Napoléon et pour sa famille des conditions plus ou moins généreuses que les souverains alliés accordaient à cette capitulation du monde. |