I. L'aspect
de la ville était menaçant, l'aspect de l'enceinte était sinistre. La commune
et les Jacobins, décidés à emporter la condamnation de Louis XVI comme une
victoire personnelle sur leurs ennemis, et à pousser la contrainte morale
jusqu'à la violence, avaient rassemblé depuis plusieurs jours à Paris toutes
les forces dont leurs journaux, leurs correspondances et leurs affiliations
dans les départements leur permettaient de disposer. Les meneurs des
faubourgs avaient recruté leurs bandes de femmes et d'enfants en haillons,
pour hurler la mort du tyran dans les rues qui avoisinaient la Convention.
Théroigne de Méricourt et Saint-Huruge, les assassins d'Avignon, les
égorgeurs de septembre, les combattants du 10 août, les fédérés accumulés
dans Paris avant de se rendre aux frontières ; des volontaires et des soldats
retenus à Paris par le ministre de la guerre Pache pour grossir les séditions
plus que pour les réprimer ; une population étrangère à toute passion
politique, mais sans ouvrage et sans pain, et trompant son désespoir par son
agitation ; ces masses de curieux que les grands spectacles font sortir de
leurs maisons comme des essaims sortent des ruches à l'approche des orages,
et qui, sans passion individuelle, prêtent l'apparence du nombre à la passion
de quelques-uns ; les contre-coups d'août et de septembre qui ébranlaient
encore les imaginations ; la nuit qui prêtait au tumulte ; la rigueur de la
saison qui tendait la fibre et qui portait au désespoir ; enfin ce nom de roi
qui résumait en lui toutes les misères, toutes les iniquités, toutes les
trahisons imputées à la royauté, et qui faisait croire au peuple qu'en
immolant l'homme qui portait ce titre on immolerait du même coup les
calamités, les crimes, les souvenirs et les espérances d'une institution
répudiée ; tout imprimait à la nuit du 16 janvier ce caractère d'impulsion
irrésistible qui donne à une manifestation populaire la force d'un élément. II. Le
matin, un des vainqueurs de la Bastille, nommé Louvain, ayant osé dire dans
sa section qu'on pouvait affermir la république sans verser le sang de Louis
XVI, un fédéré présent lui plongea pour toute réponse son sabre dans le cœur.
Le peuple traîna le blessé par les pieds, sur le pavé de la rue, jusqu'à ce
qu'il eût rendu le dernier soupir. Le
soir, un colporteur de livres et de journaux, sortant d'un cabinet de lecture
suspect de royalisme, dans la galerie du Palais-Royal, et accusé par un
passant de distribuer des écrits favorables à l'appel au peuple, fut
assassiné de trente coups de couteau par les promeneurs du jardin. Les bandes
de malfaiteurs délivrés des prisons de la Conciergerie et du Châtelet par les
assassins de septembre, avaient formé des rassemblements de scélérats
cherchant dans l'émotion publique l'occasion et le voile de forfaits impunis.
Des dragons de la république, forçant les consignes de leurs casernes, se
répandirent, le sabre à la main, dans les lieux publics, au Palais-Royal, aux
Tuileries, en brandissant leurs armes et en chantant des airs patriotiques.
De là ils se rendirent à l'église du Val-de-Grâce, où étaient renfermés, dans
des urnes de vermeil, les cœurs de plusieurs des rois et des reines qui
avaient régné sur la France. Ils brisèrent ces vases funèbres, foulèrent aux
pieds ces reliques de la royauté et les jetèrent dans un égout. Ce fanatisme
de profanation, qui vengeait, comme le fait la brute, sur des restes
inanimés, les longues patiences et les longues superstitions de la servitude,
annonçait moins la force que la démence de la liberté. Il disait assez, par
de tels symptômes, quelle pitié attendait la royauté vivante, quand la
royauté morte excitait de tels ressentiments. III. Les
abords et l'intérieur de la salle de la Convention semblaient plutôt disposés
pour une exécution que pour un jugement. L'heure, le lieu, les avenues
étroites, les cours tortueuses, les voûtes sombres de l'antique monastère,
les lanternes rares qui luttaient avec les ténèbres d'une nuit d'hiver et
pâlissaient les visages ; les armes qui brillaient et retentissaient à toutes
les portes, les pièces de canon que les canonniers, la mèche allumée,
semblaient garder aux deux entrées principales, moins pour intimider le
peuple que pour tourner ces pièces contre la salle si l'arrêt fatal n'en
sortait pas ; le sourd mugissement d'une multitude innombrable veillant
debout dans les rues adjacentes et pressant de tous côtés les murs comme pour
leur arracher l'arrêt ; le mouvement des patrouilles qui fendaient avec peine
cet océan d'hommes pour faire place aux représentants attardés ; les
costumes, les physionomies, les bonnets rouges, les carmagnoles, les visages
contractés, les voix rauques, les gestes atroces et significatifs, tout
semblait calculé pour faire entrer par tous les sens dans l'âme des juges
l'inexorable arrêt porté d'avance par le peuple : « Ou sa mort ou la tienne !
tels étaient les seuls mots murmurés tout bas, mais d'un accent impératif, à
l'oreille de chaque député qui traversait les groupes pour se rendre à son
poste. Des
habitués des séances de la Convention qui connaissaient les visages étaient
postés de distance en distance. Ces espions du peuple nommaient les députés à
haute voix, indiquaient les douteux, menaçaient les timides, insultaient les
indulgents, applaudissaient les inflexibles. Aux noms de Marat, de Danton, de
Robespierre, de Collot-d'Herbois, de Camille Desmoulins, les rangs
s'ouvrirent avec respect et laissèrent passer la colère et la confiance du
peuple. Aux noms de Brissot, de Vergniaud, de Lanjuinais, de Boissy d'Anglas,
les figures irritées, les poings fermés, les piques et les sabres brandis sur
leur tête annoncèrent clairement que ce peuple voulait être obéi ou vengé.
Les factionnaires eux-mêmes, placés là pour protéger la sûreté des
représentants, donnèrent l'exemple de l'insulte et de la violence. Le
ci-devant marquis de Villette, l'élève et l'ami de Voltaire, devenu membre de
la Convention, reconnu dans le couloir du Manège qui conduisait à
l'Assemblée, fut saisi par ses vêtements et vit la pointe de vingt sabres
prêts à plonger dans son cœur, s'il ne prenait pas l'engagement de voter la
mort du tyran. Villette, qui dans un corps frêle portait un cœur intrépide,
et qui ne croyait pas que la philosophie eût pour piédestal les échafauds, se
dégagea de l'étreinte du peuple, écarta des deux mains les lames des sabres
qui menaçaient sa poitrine et regardant avec assurance ses provocateurs : «
Non, dit-il, je ne voterai pas la mort et vous ne m'égorgerez pas. Vous
respecterez en moi ma conscience, la liberté et la nation. Et il passa. Les
couloirs de la Convention, livrés aux chefs les plus sanguinaires des
séditions de Paris, étaient également obstrués de groupes armés. Ces hommes
s'y tenaient en ordre et en silence par respect du lieu ; mais on les avait
postés là comme des symptômes vivants de la terreur que leurs noms, leurs
armes et leurs souvenirs devaient imprimer aux juges du roi. Maillard,
Fournier l'Américain, Jourdan Coupe-Tête donnaient des ordres par signes à
leurs anciens complices, et leur désignaient d'un clin d'œil les noms et les
visages qu'ils devaient observer et retenir. Il fallait défiler sous leurs
yeux pour pénétrer dans l'enceinte. Ils semblaient écrire les signalements
dans leur mémoire. C'étaient les statues de l'assassinat placées aux portes
du tribunal du peuple pour commander la mort. Chaque député les coudoyait en
entrant. IV. L'enceinte
elle-même était inégalement éclairée. Les lampes du bureau et le lustre qui
rayonnait de haut sous la voûte jetaient sur quelques parties de la salle
d'éclatantes lueurs et laissaient les autres parties dans l'obscurité. Les
tribunes publiques, descendant par degrés en amphithéâtre jusque près des
bancs élevés de la Montagne avec lesquels elles se confondaient, comme dans
les cirques romains, regorgeaient de spectateurs. Comme dans les spectacles
antiques, on voyait assises au premier rang de ces tribunes beaucoup de
femmes, jeunes, parées de couleurs tricolores, causant entre elles avec
insouciance, échangeant des mots, des gestes, des sourires, et ne reprenant
leur sérieux et leur attitude attentive que pour compter les votes et les
marquer sur une carte avec la pointe d'une épingle au moment où ces votes
tombaient de la tribune. Des valets de salle circulaient entre les gradins,
portant des plateaux chargés de sorbets, de glaces, d'oranges qu'ils
distribuaient à ces femmes. Sur les gradins les plus élevés, les hommes du
peuple, dans les costumes journaliers de leurs conditions diverses, se tenaient
debout, attentifs, se répétant à haute voix les uns aux autres le nom et le
vote du député qui venait d'être appelé, et le poursuivant d'applaudissements
ou de murmures jusqu'à son banc. Les premières banquettes de ces tribunes
populaires étaient occupées par des garçons bouchers, leurs tabliers
ensanglantés retroussés d'un côté à leur ceinture, et le manche des longs
couteaux de leur profession sortant avec affectation des plis de la toile qui
leur servait de fourreau. L'espace
vide au pied du bureau, la barre, les abords des portes, les vomitoires qui
conduisaient aux bancs des députés et aux tribunes publiques étaient agités
de l'ondoiement perpétuel de députés mêlés à des spectateurs, qui n'avaient
pu trouver place dans les tribunes et qui avaient fait irruption dans
l'enceinte réservée aux législateurs. Ces groupes, sans cesse rompus et
reformés par les représentants appelés à la tribune ou par ceux qui en
redescendaient, ressemblaient moins à un auditoire devant un tribunal qu'à la
mêlée d'une place publique. Le
mouvement ne s'arrêtait qu'à l'instant où le nom d'un député important,
prononcé par la voix de l'huissier, faisait lever les yeux vers le votant
pour surprendre un moment plus tôt dans son attitude et dans le mouvement de
ses lèvres la vie ou la mort qu'il allait prononcer. Les bancs des députés
étaient presque vides. Lassés d'une séance de quinze heures, qui devait durer
sans interruption jusqu'à la fin du jugement, les uns, semés par groupes
rares à l'extrémité des bancs élevés, causaient entre eux, à demi-voix, dans
l'attitude de la patience résignée ; les autres, les jambes étendues, le
corps renversé, accoudés sur le dossier de leur banc désert, s'assoupissaient
sous le poids de leurs pensées et ne se réveillaient qu'aux grandes clameurs
qu'un vote plus énergiquement motivé faisait éclater de temps en temps. Le
plus grand nombre, perpétuellement chassés d'une place à l'autre par
l'agitation intérieure de leurs pensées, ne faisaient que sortir de la salle
et y rentrer. On les voyait passer d'un groupe à un autre, échanger
rapidement et à voix basse des demi-mots avec leurs collègues, écrire sur
leurs genoux, raturer ce qu'ils avaient écrit, récrire de nouveau leur vote,
raturer encore, jusqu'à ce que l'appel de l'huissier, les surprenant dans
cette hésitation, leur arrachât des lèvres le mot fatal qu'une minute de plus
aurait changé contre le mot contraire, et dont ils se repentaient peut-être
avant de l'avoir prononcé. V. Les
premiers votes entendus par l'Assemblée laissaient l'incertitude dans les
esprits. La mort et le bannissement semblaient se balancer en nombre égal
dans le retentissement alternatif des votes. Le sort du roi allait dépendre
du premier vote que prononcerait un des chefs du parti girondin. Ce vote
signifierait sans doute le vote probable de tout le parti, et le nombre des
hommes attachés à ce parti déterminerait irrévocablement la majorité. La vie
et la mort étaient donc scellées en quelque sorte sur les lèvres de
Vergniaud. On
attendait avec anxiété que l'ordre alphabétique de l'appel nominal des
départements, arrivant à la lettre G, appelât les députés de la Gironde à la
tribune. Vergniaud devait y paraître le premier. On se souvenait de son
immortel discours contre Robespierre pour disputer le jugement du roi détrôné
à ses ennemis. On connaissait sa répugnance et son horreur pour le parti qui
voulait des supplices. On répétait les conversations confidentielles dans
lesquelles il avait avoué vingt fois sa sensibilité sur le sort d'un prince
dont le plus grand crime à ses yeux était une faiblesse qui allait presque
jusqu'à l'innocence. On savait que, la veille même et quelques heures avant
l'ouverture du scrutin, Vergniaud, soupant avec une femme qui s'apitoyait sur
les captifs du Temple, avait juré par son éloquence et par sa vie qu'il
sauverait le roi. Nul ne doutait du courage de l'orateur. Ce courage était
écrit, à ce moment même, dans le calme de son front et dans les plis sévères
de sa bouche fermée à toute confidence. Au nom
de Vergniaud, les conversations cessèrent, les regards se portèrent sur lui
seul. Il monta lentement les degrés de la tribune, se recueillit un moment,
la paupière baissée sur les yeux, comme un homme qui réfléchit pour la
dernière fois avant d'agir ; puis, d'une voix sourde, et comme résistant dans
son âme à la sensibilité qui criait en lui, il prononça La mort. Le
silence de l'étonnement comprima le murmure et la respiration même de la
salle. Robespierre sourit d'un sourire presque imperceptible, où l'œil crut
distinguer plus de mépris que de joie. Danton leva les épaules, « Vantez donc
vos orateurs ! dit-il tout bas à Brissot. Des paroles sublimes, des actes
lâches ! Que faire de tels hommes ? Ne m'en parlez plus, c'est un parti fini. L'espérance
mourut dans l'âme du petit nombre d'amis du roi cachés dans la salle et dans
les tribunes. On sentit que la victime était livrée par la main de Vergniaud.
En vain Vergniaud parut-il retenir son vote, après l'avoir émis, en
demandant, comme Mailhe, qu'après avoir voté la mort l'Assemblée délibérât
s'il convenait à la sûreté publique d'accorder un sursis à l'exécution. Les
Jacobins sentirent qu'une fois la justice de l'arrêt accordée, les Girondins
ne leur disputeraient pas l'urgence. Vergniaud lui-même déclara que son vote
de mort était indépendant du sursis obtenu ou refusé. C'était s'enlever
d'avance à lui-même la possibilité de ressaisir la tête qu'il abandonnait. Il
redescendit, le front baissé, les marches de la tribune, et alla se perdre
dans la foule. VI. L'appel
continua. Tous les Girondins, Buzot, Péthion, Barbaroux, Isnard, Lasource,
Salles, Rebecqui, Brissot, votèrent avec lui la mort. La plupart unirent à
leur vote la condition d'un sursis à l'exécution. Fonfrède et Ducos votèrent
la mort sans condition. Sieyès, qui dans les conseils et dans les entretiens
secrets de son parti avait le plus insisté pour refuser cette joie à
Robespierre, ce triomphe aux Jacobins, ce sang stérile et dangereux à la
Révolution ; Sieyès, après la victoire des Jacobins dans l'appel nominal,
jugea toute résistance inutile. Laisser à Robespierre seul ce titre sanglant
à la confiance désespérée du peuple, c'était, à ses yeux, abdiquer dès le
premier pas le gouvernement de la république et peut-être la vie. Puisqu'on
ne pouvait arrêter le mouvement, il fallait, pensait-il, s'y jeter pour le
diriger encore. Sieyès monta à son tour à la tribune, il n'y prononça qu'un
seul mot : la mort. Il le prononça à regret avec la froideur d'un géomètre
qui énonce un axiome et avec l'abattement d'un vaincu qui cède à la fatalité.
Il n'ajouta pas à ce mot le mot ironique qu'on lui impute. Son vote fut
laconique, non cruel. Condorcet, fidèle à ses principes, refusa de verser le
sang : il demanda que Louis XVI fût condamné à la plus forte peine après la
mort. Lanjuinais, Dusaulx, Boissy d'Anglas, Kersaint, Rabaut-Saint-Étienne,
Sillery, Salles résistèrent à l'exemple des chefs de leur parti et à
l'intimidation des Jacobins. Ils votèrent presque tous la réclusion pendant
la guerre et l'ostracisme après la paix. Manuel lui-même, vaincu par le
spectacle des infortunes royales qu'il contemplait de plus près au Temple,
vota pour la vie. Daunou, philosophe républicain, qui n'avait, disait-il, que
deux passions désintéressées dans son âme, Dieu et la liberté, sépara à haute
voix dans son vote le droit de juger et de déposer les rois du droit de les
immoler en victimes. Il montra que les lettres fortifient la justice dans le
cœur de l'écrivain en éclairant l'intelligence, et qu'il avait puisé dans le
commerce littéraire des anciens, avec leurs maximes de magnanimité, le
courage de les pratiquer devant la mort. La Montagne, presque sans exception,
vota la mort. Robespierre, résumant en quelques mots son premier discours,
essaya de concilier son horreur pour la peine de mort avec la condamnation
qui tombait de ses lèvres. Il le fit en disant que les tyrans étaient une
exception à l'humanité, et en déclarant que sa tendresse pour les opprimés
l'emportait dans son âme sur sa pitié pour les oppresseurs. Les
députés de Paris Marat, Danton, Billaud- Varennes, Legendre, Panis, Sergent,
Collot-d'Herbois, Fréron, Fabre d'Églantine, David, Robespierre le jeune
suivirent l'exemple de Robespierre et répétèrent comme un écho monotone,
vingt et une fois de suite, le mot de mort en défilant à la tribune. Le duc
d'Orléans y fut appelé le dernier. Un profond silence se fit à son nom.
Sillery, son confident et son favori, avait voté contre la mort. On
s'attendait que le prince voterait comme son ami ou qu'il se récuserait au
nom de la nature et du sang. Aux yeux des Jacobins même, il était récusé. Il
ne se récusa pas. Il monta lentement et sans émotion les marches de la
tribune, déplia un papier qu'il tenait à la main et lut d'une voix stoïque
les paroles suivantes : « Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous
ceux qui ont attenté ou qui attenteront par la suite à la souveraineté du
peuple méritent la mort, je vote pour la mort ! Ces paroles tombèrent dans le
silence et dans l'étonnement du parti même auquel le duc d'Orléans semblait
les concéder comme un gage. Il ne se trouva pas sur la Montagne un regard, un
geste, une voix pour applaudir. Ces Montagnards, en jugeant à mort un roi
captif et désarmé, pouvaient bien blesser la justice, consterner l'humanité ;
mais ils ne consternaient pas la nature. La nature se révoltait en eux contre
le vote du premier prince du sang. Un frisson parcourut les bancs et les
tribunes de l'Assemblée. Le duc d'Orléans descendit troublé de la tribune,
doutant, à ces premiers symptômes, de l'acte qu'il venait de consommer. Le
véritable héroïsme de la liberté ne fait pas frémir le cœur humain. On n'a
pas horreur de ce qu'on admire. Les vertus comme celles de Brutus sont si
voisines du crime, que la conscience des républicains eux-mêmes se troubla en
face de cet acte. Sacrifier la nature aux lois paraît beau au premier coup
d'œil ; mais la consanguinité aussi est une loi, et il n'y a pas de vertu
contre une vertu ! Si ce
vote était un sacrifice à la liberté, l'horreur de la Convention fit voir au
duc d'Orléans que le sacrifice n'était pas accepté ; si c'était un gage, on
ne lui demandait pas tant ; si c'était une concession à sa sûreté, elle
payait sa vie trop cher. Attaqué déjà par les Girondins, à peine toléré par
Robespierre, client de Danton, s'il avait refusé quelque chose à la Montagne
elle lui aurait demandé sa tête. Il n'eut pas la grandeur d'âme de la lui
offrir. L'avenir en aurait payé plus que le prix à son nom. Robespierre
lui-même, rentré le soir dans la maison de Duplay et s'entretenant du
jugement du roi, parut protester contre le vote du duc d'Orléans. « Le
malheureux, dit-il à ses amis ; il n'était permis « qu'à lui d'écouter son
cœur et de se récuser, il n'a pas voulu ou il n'a pas osé le faire : la
nation eût été plus magnanime que lui ! VII. Le
dépouillement du scrutin fut long, plein de doute et d'anxiété. La mort et la
vie, comme dans une lutte, prenaient tour à tour le dessus ou le dessous,
selon que le hasard avait groupé les suffrages dans les listes relevées par
les secrétaires. Il semblait que la destinée avait peine à prononcer le mot
fatal. Tous les cœurs palpitaient, les uns de l'espoir de sauver ce deuil à
la Révolution, les autres de crainte de perdre cette victime. Enfin le
président se leva pour prononcer le jugement. C'était Vergniaud. Il était
pâle ; on voyait trembler ses lèvres et ses mains, qui tenaient le papier où
il allait lire le chiffre des votes. Par un sinistre hasard ou par une
dérision cruelle du choix de ses collègues, le rôle de président condamnait
Vergniaud à proclamer l'arrêt de déchéance à l'Assemblée législative, l'arrêt
de mort à la Convention. Il aurait voulu préserver de son sang la monarchie
tempérée et la vie de Louis XVI ; il était appelé deux fois en trois mois à
démentir son cœur et à servir d'organe aux opinions de ses ennemis. Sa
situation fausse et cruelle dans ces deux circonstances était le symbole de
la situation de tout son parti ; pilates de la monarchie et du roi : livrant
l'une au peuple, sans être convaincus de ses vices ; livrant l'autre aux
Jacobins, sans être convaincus de sa criminalité ; versant en public un sang
qu'ils déploraient en secret ; sentant sur leur langue le remords combattre
avec l'arrêt, et se lavant les mains devant la postérité ! VIII. A ce
moment, un député, nommé Duchâtel, enveloppé des couvertures de son lit, se
fit apporter à la Convention, au milieu des menaces, et vota d'une voix
mourante contre la mort. On annonça une nouvelle intercession du roi
d'Espagne en faveur de Louis XVI. Danton prit la parole sans la demander... —
« Tu n'es pas encore roi, Danton, lui cria Louvet ! — Je suis étonné,
continua Danton, de l'insolence d'une puissance qui ne craint pas de
prétendre exercer de l'influence sur notre délibération. Si tout le monde
était de mon avis, on vo« ferait à l'instant pour cela seul la guerre à
l'Espagne. Quoi ! on ne reconnaît pas notre république et on veut lui dicter
des lois ! Cependant qu'on entende, si l'on veut, cet ambassadeur. Mais que
le président lui fasse une réponse digne du peuple dont il sera l'organe :
qu'il lui dise que les vainqueurs de Jemmapes ne démentiront pas la gloire
qu'ils ont acquise et retrouveront leur force pour exterminer tous les rois
conjurés contre nous ! Point de transaction avec la tyrannie ! Le peuple jugerait
ses représentants, si ses représentants l'avaient trahi ! » Vergniaud,
avec l'accent de la douleur : « Citoyens, dit-il, vous allez exercer un grand
acte de justice. J'espère que l'humanité vous engagera à garder le plus
religieux silence. Quand la justice a parlé, l'humanité doit se faire
entendre à son tour. » Il lut
le résultat du scrutin. La Convention comptait sept cent vingt et un votants.
Trois cent trente-quatre avaient voté pour le bannissement ou la prison ;
trois cent quatre-vingt-sept pour la mort, en comptant pour la mort les voix
de ceux qui avaient voté pour cette peine, mais à condition qu'elle serait
ajournée. La mort comptait donc cinquante-trois suffrages de plus que le
bannissement ; mais, en retranchant du vote de mort les quarante-six voix qui
ne l'avaient prononcée qu'en demandant que l'exécution fut suspendue, il ne
restait donc qu'une majorité de sept suffrages pour la mort. Ainsi trois
hommes déplacés déplaçaient le chiffre et changeaient le jugement. C'étaient
donc les douze ou quinze chefs de la Gironde dont la main avait jeté le poids
décisif dans une balance presque égale. La mort, vœu des Jacobins, fut l'acte
des Girondins. Vergniaud et ses amis se firent les exécuteurs de Robespierre.
La mort du tyran, passion chez le peuple, fut une concession dans la Gironde.
Les uns demandaient cette tête comme le signe du salut de la république, les
autres la donnaient pour le salut de leur parti. Si la passion des uns était
aveugle et impitoyable, quel nom donner à la concession des autres ? S'il y a
un crime dans le meurtre par vengeance, dans le meurtre par lâcheté il y en a
deux. IX. Pendant
ce scrutin, le roi, privé de toute communication avec le dehors depuis le
jour de sa dernière comparution devant ses juges, savait seulement que sa vie
et sa mort étaient en ce moment dans la main des hommes. A force de malheurs,
de réflexions et de conformité intérieure à la volonté de Dieu, il était
arrivé à cet état de sublime indifférence où l'homme, impartial entre la
crainte et l'espoir, n'a de préférence que pour la décision d'en haut ; état
surnaturel de notre âme où l'humanité, s'élevant au-dessus de ses propres
désirs, brave toutes les insultes de la fortune, ne souffre plus que dans son
corps, et n'a plus de désir que l'ordre de la Providence. La philosophie
donnait ces conseils dans les revers aux sages de l'antiquité ; le
christianisme faisait de cette résignation un dogme et en donnait du haut
d'une croix l'exemple au monde nouveau. Louis
XVI contemplait sans cesse cette croix et divinisait par elle son supplice.
Il aurait pu, en le demandant, communiquer pendant ces derniers jours avec sa
famille. Il entendait les pas et les voix de sa femme et de ses enfants à
travers les voûtes au-dessus de lui. Il craignit que la transition cruelle de
la vie à la mort, de l'espérance au désespoir, rendue plus sensible par la
présence des êtres aimés, n'amollît trop son âme et ne fit saigner à trop de
reprises les cœurs de ceux qu'il aimait par des déchirements répétés. Il aima
mieux boire seul le calice de la séparation d'un seul trait que de le faire
épuiser goutte à goutte à sa famille. Le
matin du 19, les portes de sa tour s'ouvrirent et le roi vit s'avancer M. de
Malesherbes. Il se leva pour aller au-devant de son ami. Le vieillard,
tombant aux pieds de son maître et les arrosant de ses larmes, demeura
longtemps sans pouvoir parler. Comme le peintre antique qui voila le visage
de la Douleur dans la crainte qu'elle n'exprimât pas assez le déchirement du
cœur humain, M. de Malesherbes, muet, chargea son attitude et son silence de
faire comprendre le mot qu'il frémissait de prononcer. Le roi le comprit, le
répéta sans pâlir, releva son ami, le pressa sur son sein et ne parut occupé
que de consoler et d'affermir le vénérable messager de sa mort. Il s'informa,
avec une curiosité calme et comme étrangère à son propre sort, des
circonstances, du nombre des suffrages, du vote de quelques-uns des hommes
qu'il connaissait dans la Convention. — — « Quant à Péthion et à Manuel,
dit-il à M. de Malesherbes, je ne m'en informe pas, je suis bien sûr qu'ils
n'ont, pas voté ma mort ! » Il demanda comment avait voté son cousin le
duc d'Orléans. M. de Malesherbes lui dit son vote. — « Ah ! dit-il, celui-là
m'afflige plus que tous les autres ! » C'était le mot de César
reconnaissant le visage de Brutus parmi ses meurtriers ; celui-là seul le fit
parler. X. Les
ministres Garat et Lebrun, le maire Chambon et le procureur de la commune
Chaumette, accompagnés de Santerre, du président et de l'accusateur public du
tribunal criminel, vinrent signifier au roi son arrêt avec tout l'appareil de
la loi quand elle met un coupable hors de la vie. Debout, le front levé,
l'œil fixé sur ses juges, il écouta le mot de mort dans les vingt-quatre
heures avec l'intrépidité d'un juste. Un seul regard élevé au ciel parut un
appel intérieur de son âme au juge infaillible et souverain. La lecture
terminée, Louis XVI s'avança vers Grouvelle, secrétaire du conseil exécutif,
prit le décret de ses mains, le plia et le mit dans son portefeuille ; puis,
se retournant du côté de Garat : — « Monsieur le ministre de la justice,
lui dit-il d'une voix où l'on retrouvait l'accent royal dans l'acte du
suppliant, je vous prie de remettre cette lettre à la Convention. »
Garat hésitant à prendre le papier : « Je vais vous la lire, »
reprit le roi et il lut. « Je demande à la Convention un délai de trois
jours pour me préparer à paraître devant Dieu ; je demande pour cela à
pouvoir voir librement l'ecclésiastique que j'indiquerai aux commissaires de
la commune et qu'il soit à l'abri de toute perquisition pour l'acte de
charité qu'il exercera envers moi. Je demande à être délivré de la
surveillance perpétuelle qui m'observe à vue depuis quelques jours... Je
demande pendant ces derniers moments à pouvoir voir ma famille quand je le
désirerai et sans témoins. Je désirerais bien vivement que la Convention s'occupât
tout de suite du sort de ma famille et qu'elle lui permît de se retirer
librement où elle jugerait convenable de chercher un asile... Je recommande à
la bienfaisance de la nation toutes les personnes qui m'étaient attachées...
Il y a dans le nombre beaucoup de vieillards, de femmes et d'enfants qui
n'avaient pour vivre que mes bienfaits et qui doivent être dans le besoin.
Fait à la tour du Temple, le 20 janvier 1792. » Le roi
remit en même temps à Garat un second papier contenant l'adresse de
l'ecclésiastique dont il désirait l'entretien et les consolations pour sa
dernière heure. Cette adresse, écrite d'une autre écriture que celle du roi,
portait : « M. Edgeworth de Firmont, rue du Bac. Garat ayant pris les deux
papiers, le roi fit quelques pas en arrière en s'inclinant, comme quand il
congédiait une audience de cour, pour indiquer qu'il voulait être seul. Les
ministres sortirent. XI. Après
leur départ, le roi se promena d'un pas ferme dans sa chambre et demanda son
repas. Comme il n'avait point de couteau, il coupa ses aliments avec sa
cuiller et rompit son pain avec ses doigts. Ces précautions des municipaux
l'indignaient plus que l'arrêt de sa mort. — « Me croit-on assez lâche,
dit-il à haute voix, pour dérober ma vie à mes ennemis ? On m'impute des
crimes, mais j'en suis innocent et je mourrai sans faiblesse. Je voudrais que
ma mort fît le bonheur des Français et pût conjurer les malheurs que je
prévois pour la nation ! » A six
heures, Santerre et Garat revinrent lui apporter la réponse de la Convention
à ses demandes. Malgré les efforts réitérés de Barbaroux, de Brissot, de
Buzot, de Péthion, de Condorcet, de Chambon, de Thomas Payne, la Convention
avait déjà décidé, la veille, que tout sursis à l'exécution serait refusé.
Fournier l'Américain, Jourdan Coupe-Tête et leurs satellites avaient levé
leurs sabres sur la tête de Barbaroux et de Brissot, dans le couloir de la
Convention, et leur avaient donné l'option, la pointe du fer sur le cœur,
entre le silence ou la mort. Ces courageux députés bravèrent la mort et
luttèrent cinq heures pour obtenir le sursis. Cazenave, Brissot, Manuel, de
Kersaint, ce dernier dans une lettre qui était en ce moment un des plus
héroïques défis à la mort qui put sortir de l'âme d'un citoyen, protestèrent
en vain. Trente-quatre voix de majorité, ralliées par Thuriot, Couthon,
Marat, Robespierre, repoussèrent le sursis. Voici la lettre de Kersaint : «
Citoyens ! il m'est impossible de supporter la honte de m'asseoir plus
longtemps dans l'enceinte de la Convention avec des hommes de sang, alors que
leur avis, appuyé par la terreur, l'emporte sur celui des gens de bien ;
alors que Marat l'emporte sur Péthion. Si l'amour de mon pays m'a fait
endurer le malheur d'être le collègue des panégyristes et des promoteurs des
assassinats du 2 septembre, je veux au moins défendre ma mémoire d'avoir été
leur complice. Je n'ai pour cela qu'un moment, celui-ci ; demain il ne sera
plus temps. » Plus
irritée qu'émue de pareils accents, la Convention chargea le ministre de la
justice de répondre aux demandes de Louis XVI qu'il était libre d'appeler tel
ministre du culte qu'il désignerait et de voir sa famille sans témoins ; mais
que la demande du délai de trois jours pour se préparer à la mort était
rejetée, et que l'exécution aurait lieu dans les vingt-quatre heures. XII. Le roi
reçut cette communication du conseil exécutif sans murmurer. Il ne disputait
pas les minutes à la mort ; tout ce qu'il demandait c'était un recueillement
de quelques heures à l'extrémité du temps entre la vie et l'éternité. Il
s'occupait depuis plusieurs semaines de sanctifier son sacrifice. Dans un de
ses entretiens, il chargea M. de Malesherbes de faire remettre un message
secret à un vénérable prêtre étranger, caché dans Paris, et dont il implorait
l'assistance pour le cas où il aurait à mourir. — « C'est une étrange
commission pour un philosophe, dit-il avec un triste sourire à M. de
Malesherbes. Mais j'ai toujours préservé ma foi de chrétien comme un frein
contre les égarements de la toute-puissance et comme une consolation dans mes
adversités. Je la retrouve au fond de ma prison ; si jamais vous étiez
destiné à une mort semblable à la mienne, je désire que vous trouviez la même
consolation à vos derniers moments. » Malesherbes
découvrit la demeure de ce guide de la conscience du roi, et lui fit parvenir
la prière de son maître. L'homme de Dieu attendait l'heure où le cachot
s'ouvrirait à sa charité ; dût-elle lui coûter la vie, il n'hésitait pas.
Ministre de l'agonie, il devait son ministère sacré aux derniers moments : c'est
l'héroïsme du prêtre chrétien. De plus, une amitié sainte unissait depuis
longtemps le prêtre et le roi. Introduit furtivement aux Tuileries dans les
jours de solennité chrétienne, cet ecclésiastique avait souvent confessé le
roi. La confession chrétienne, qui prosterne l'homme aux pieds du prêtre et
le roi aux pieds de son sujet, établit entre le confesseur et le pénitent une
confidence paternelle d'un côté, filiale de l'autre, qui, bien que surnaturelle
dans son principe, se transforme souvent en affection humaine entre des âmes
qui se sont parlé de si près. Dieu est le lien de ces attachements
spirituels. Mais ce lien formé dans le ciel ne se rompt pas toujours
entièrement sur la terre. Dans cet échange complet des âmes, souvent les
cœurs se versent aussi. Il en était ainsi du roi et du prêtre. Louis XVI
avait dans l'abbé de Firmont un ami placé en secret entre ce monde et
l'autre. Il l'appelait dans les jours difficiles, et il le réservait pour les
extrémités de son sort. XIII. Le
mercredi, 20 janvier, à la nuit tombante, un inconnu frappa inopinément à la
porte de la retraite ignorée où ce pauvre prêtre cachait sa vie, et lui
enjoignit de le suivre au lieu des séances du conseil des ministres. M. de
Firmont suivit l'inconnu. Arrivé aux Tuileries, on l'introduisit clans le
cabinet où les ministres délibéraient sur l'exécution du supplice, que la
Convention avait remise à leur responsabilité. Garat, philosophe sensible ;
Lebrun, diplomate froid ; Roland, républicain clément, et qui dans le roi ne
pouvait s'empêcher d'aimer l'homme, auraient voulu écarter, à tout prix, de
leurs cœurs, de leurs noms et de leur mémoire, la mission sinistre dont leur
destinée les frappait. Il n'était plus temps. Solidaires des Girondins,
otages des Jacobins au ministère, il fallait exécuter ou mourir. Leur
physionomie, leur agitation, leur stupeur révélaient l'horreur de leur
situation. Ils tâchaient de s'en dissimuler à eux-mêmes la rigueur, à force
d'égards et de pitié. Ils se levèrent, entourèrent le prêtre, honorèrent son
courage, protégèrent sa mission. Garat prit le confesseur dans sa voiture et
le conduisit au Temple. Pendant la route, le ministre de la Convention
épancha son désespoir dans le sein du ministre de Dieu. — « Grand Dieu !
s'écria-t-il, de quelle affreuse mission je me vois chargé ! Quel homme !
ajouta-t-il en parlant de Louis XVI. Quelle résignation ! quel courage ! Non,
la nature toute seule ne saurait donner tant de forces, il y a quelque chose
là de surhumain ! » Le prêtre se tut de peur d'offenser le ministre ou
de désavouer sa foi. Le silence régna après ces paroles entre ces deux hommes
jusqu'à la porte de la tour. Elle s'ouvrit au nom de Garat. A travers une
salle remplie d'hommes armés, le ministre et le confesseur passèrent clans
une salle plus vaste. Les voûtes, les ornements dégradés de l'architecture,
les marches d'un autel renversé révélaient une chapelle antique et depuis
longtemps profanée. Douze commissaires de la commune tenaient leur conseil
clans cette salle. Leurs physionomies, leurs propos, l'absence totale de
sensibilité et même de décence devant la mort qui caractérisait les visages
de ces hommes révélaient en eux ces natures brutales, incapables de rien
respecter dans un ennemi, pas même la douleur suprême et la mort. Un ou deux
visages seulement, plus jeunes que les autres, dérobaient à leurs collègues
quelques signes furtifs d'intelligence avec les yeux du prêtre. Le ministre
monta pendant qu'on fouillait l'abbé de Firmont. On conduisit ensuite le
confesseur chez le roi. Ce prince, en apercevant M. de Firmont, s'élança vers
lui, l'entraîna clans sa chambre et ferma la porte pour jouir sans témoin de
la présence de l'homme qu'il avait tant désiré. Le prêtre tomba aux pieds de
son pénitent. Il pleura avant de consoler. Le roi lui-même ne put retenir ses
larmes. — « Pardonnez-moi, dit-il à l'ecclésiastique en le relevant, ce
moment de faiblesse. Je vis depuis si longtemps au milieu de mes ennemis que
l'habitude m'a endurci à leur haine et que mon cœur s'est fermé aux sentiments
de tendresse. Mais la vue d'un ami fidèle me rend ma sensibilité, que je croyais
éteinte, et m'attendrit malgré moi. » Il l'entraîna ensuite dans la
tourelle reculée où il se retirait ordinairement avec ses pensées. Une table,
deux chaises, un petit poêle de faïence semblable à ces petits foyers
portatifs dont les pauvres femmes d'ouvriers échauffent leurs mansardes, quelques
livres, une image du Christ attaché à la croix, sculptée en ivoire,
meublaient cette cellule. Le roi y fit asseoir M. Edgeworth, s'assit, en face
de lui, de l'autre côté du poêle. — « Me voici donc arrivé, lui dit le
condamné, à la grande et seule affaire qui doive m'occuper dans la vie : la
quitter pur ou pardonné devant Dieu afin d'en préparer à moi et aux miens une
meilleure... » En disant ces mots il tira de son sein un papier, dont il
brisa le sceau. C'était son testament. Il le lut deux fois lentement et en
pesant sur toutes les syllabes pour qu'aucun des sentiments qu'il y
manifestait n'échappât au contrôle attentif de l'homme de Dieu qu'il
reconnaissait pour juge. Le roi semblait craindre que, dans les termes mêmes
où il avait légué son pardon à ce monde, quelque ressentiment ou quelque
reproche n'eût coulé à son insu de son âme et n'enlevât involontairement
quelque douceur et quelque sainteté à son adieu. Sa voix ne s'attendrit et
ses yeux ne se mouillèrent qu'aux lignes où il prononçait les noms de la
reine, de sa sœur, de ses enfants. On voyait que toute sa sensibilité,
domptée ou amortie pour lui-même, ne se retrouvait, plus que dans le nom,
dans l'image et dans la destinée des siens. Il n’y avait plus de vivant et de
souffrant en lui sur la terre que sa famille. Un
entretien libre et calme sur les circonstances de ces derniers mois inconnues
au roi succéda à cette lecture. Il s'informa du sort de plusieurs personnes
qui lui étaient chères, s'attristant des persécutions des uns, se réjouissant
de la fuite et du salut des autres ; parlant de tous, non avec l'indifférence
d'un homme qui part pour jamais de sa patrie, mais avec la curiosité pleine
d'intérêt d'un homme qui revient et qui s'informe de tout ce qu'il a aimé.
Bien que l'horloge des tours voisines sonnât déjà les heures de la nuit et
que sa vie ne se mesurât plus que par heures, il retarda le moment de
s'occuper des pratiques pieuses pour lesquelles il avait appelé le
confesseur. Il devait avoir, à sept heures, la dernière entrevue avec sa
famille. L'approche de ce moment à la fois si désiré et si redoutable
l'agitait, mille fois plus que la pensée de l'échafaud. Il ne voulait pas que
ces suprêmes déchirements de sa vie vinssent troubler le calme de sa
préparation à la mort, ni que ses larmes se mêlassent avec son sang dans le
sacrifice de lui-même qu'il allait offrir un moment plus tard aux hommes et à
Dieu. XIV. Cependant
la reine et les princesses, l'oreille toujours collée aux fenêtres, avaient
appris, dans la journée, le refus de sursis et l'exécution dans les
vingt-quatre heures, par la voix des crieurs publics qui hurlaient la
sentence dans tous les quartiers de Paris. Toute espérance désormais éteinte
dans leur âme, leur anxiété ne portait plus que sur un seul doute : le roi mourrait-il
sans qu'il les eût revues, embrassées, bénies ? Un dernier et suprême
épanchement de tendresse à ses pieds, un dernier serrement sur son cœur, une
dernière parole à entendre et à retenir, un dernier regard à garder dans leur
âme, tout leur espoir, tout leur désir, toutes leurs supplications se
bornaient là. Groupées depuis le matin en silence, en prière, en larmes dans
la chambre de la reine, interprétant du cœur tous les bruits, interrogeant de
l'œil tous les visages, elles n'apprirent que tard qu'un décret de la
Convention leur permettait de revoir le roi. Ce fut une joie dans l'agonie.
Elles s'y préparèrent longtemps avant le moment. Debout, pressées contre la
porte, s'adressant en suppliantes aux commissaires et aux geôliers, qu'elles
ne cessaient d'interroger, il leur semblait que leur impatience pressait les
heures et que les battements de leurs cœurs forceraient ces portes à s'ouvrir
plus tôt. XV. De son
côté, le roi, extérieurement plus calme, n'était pas intérieurement moins
troublé. Il n'avait jamais eu qu'un amour, sa femme ; qu'une amitié, sa sœur
; qu'une joie dans la vie, sa fille et son fils. Ces tendresses de l'homme,
distraites et refroidies quoique jamais éteintes sur le trône, s'étaient
recueillies, réchauffées et comme incrustées dans son âme depuis les
atteintes de l'adversité, et bien plus encore depuis la solitude de la
prison. Il y avait si longtemps que le monde n'existait plus pour lui, si ce
n'est dans ce petit nombre de personnes dans lesquelles ses appréhensions,
ses joies, ses douleurs se multipliaient ! De plus, avoir tant craint, tant
espéré, tant souffert ensemble, c'est avoir mis plus de pensées et plus de
vie en commun. Les larmes versées ensemble et les uns sur les autres sont le
ciment des cœurs. Les mêmes souffrances unissent mille fois plus que les
mêmes joies. Ces cinq âmes n'étaient qu'une seule sensibilité. Une seule
chose troublait d'avance cet entretien : c'était l'idée que cette dernière
entrevue, où la nature devait éclater avec la liberté du désespoir et
l'abandon de la tendresse, aurait pour spectateurs des geôliers ; que les
plus secrètes palpitations du cœur de l'époux, de l'épouse, du frère, de la
sœur, du père, de la fille seraient comptées, savourées et peut-être
incriminées par l'œil de leurs ennemis ! Le roi se fonda sur les termes du
décret de la Convention pour demander que l'entrevue eût lieu sans témoin.
Les commissaires, responsables envers la commune, et qui cependant n'osaient
pas ouvertement désobéir à la Convention, délibérèrent pour concilier les
intentions du décret avec les rigueurs de la loi. Il fut convenu que
l'entretien aurait lieu dans la salle à manger, cette salle ouvrait par une
porte vitrée sur la chambre où se tenaient les commissaires ; la porte devait
rester fermée sur le roi et sa famille, mais les commissaires auraient les
yeux sur les prisonniers à travers les vitrages de la porte. Ainsi, si les
attitudes, les gestes, les larmes étaient profanés par des regards étrangers,
les paroles du moins seraient inviolables. Le roi, un peu avant le moment où
les princesses devaient descendre, laissa son confesseur dans sa tourelle ;
il lui recommanda de ne pas se montrer, de peur que l'aspect d'un ministre de
Dieu ne rendît la mort trop présente à l'œil de la reine. Il passa dans la
salle à manger pour préparer les sièges et l'espace nécessaires au dernier
entretien. « Apportez un peu d'eau et un verre, dit-il à son serviteur. Il y
avait sur la table une carafe d'eau glacée. Cléry la lui montra. « Apportez
de l'eau qui ne soit pas à la glace, dit le roi ; car, si la reine buvait de
celle-là, elle pourrait lui faire mal. » La porte s'ouvrit enfin. La
reine, tenant son fils par la main, s'élança la première dans les bras du roi
et fit un mouvement rapide comme pour l'entraîner dans sa chambre, hors de la
vue des spectateurs. « Non, non, dit le roi d'une voix sourde en soutenant sa
femme sur son cœur et en la dirigeant vers la salle, « je ne puis vous voir
que là ! Madame
Élisabeth suivait avec la princesse royale. Cléry referma la porte sur eux.
Le roi força tendrement la reine à s'asseoir sur un siège à sa droite, sa
sœur sur un autre à sa gauche ; il s'assit entre elles. Les sièges étaient si
rapprochés que les deux princesses, en se penchant, entouraient les épaules
du roi de leurs bras et collaient leurs têtes sur son sein. La princesse
royale, le front penché et les cheveux répandus sur les genoux de son père,
était comme prosternée sur son corps. Le Dauphin était assis sur un des
genoux du roi, un de ses bras passé autour de son cou. Ces cinq personnes
ainsi groupées par l'instinct de leur tendresse et convulsivement pressées
dans les bras les unes des autres, les visages cachés contre la poitrine du
roi, ne formaient aux regards qu'un seul faisceau de têtes, de bras, de
membres palpitants qu'agitait le frémissement de la douleur et des caresses,
et d'où s'échappait en balbutiements comprimés, en murmure sourd ou en éclats
déchirants, le désespoir de ces cinq âmes confondues en une, pour étouffer,
pour éclater et pour mourir dans un seul embrassement. XVI. Pendant
plus d'une demi-heure aucune parole ne put sortir de leurs lèvres. Ce n'était
qu'une lamentation où toutes ces voix de père, de femmes, d'enfants se
perdaient dans le gémissement commun, tombaient, s'appelaient, se
répondaient, se provoquaient les unes les autres par des sanglots qui
renouvelaient les sanglots, et s'aiguisaient par intervalles en cris si aigus
et si déchirants que ces cris perçaient les portes, les fenêtres, les murs de
la tour, et qu'ils étaient entendus des quartiers voisins. Enfin l'épuisement
des forces abattit jusqu'à ces symptômes de la douleur. Les larmes se
desséchèrent sur les paupières ; les têtes se rapprochèrent de la tête du roi
comme pour suspendre toutes les âmes à ses lèvres ; et un entretien à voix
basse, interrompu de temps en temps par des baisers et par des serrements de
bras, se prolongea pendant deux heures, qui ne furent qu'un long
embrassement. Nul n'entendit du dehors ces confidences du mourant aux
survivants. La tombe ou les cachots les étouffèrent en peu de mois avec les
cœurs. La princesse royale seule en garda les traces dans sa mémoire et en
révéla plus tard ce que la confidence, la politique et la mort peuvent
laisser échapper des tendresses d'un père, de la conscience d'un mourant et
des secrètes instructions d'un roi. Récit mutuel de leurs pensées depuis leur
séparation, recommandations répétées de sacrifier à Dieu toute vengeance si
jamais l'inconstance des peuples, qui est la fortune des rois, remettait ses
ennemis dans leurs mains ; élans surnaturels de l'âme de Louis XVI vers le
ciel ; attendrissements soudains et retours vers la terre à l'aspect de ces
êtres chéris, dont les bras entrelacés semblaient l'y rappeler et l'y retenir
; vague espoir, exagéré par un pieux mensonge afin de modérer la douleur de
la reine ; résignation de tout entre les mains de Dieu ; vœu sublime pour que
sa vie ne coûtât pas une goutte de sang à son peuple ; leçons plus
chrétiennes encore que royales données et répétées à son fils ; tout cela
entrecoupé de baisers, de larmes, d'étreintes, de prières en commun, d'adieux
plus tendres et plus secrets versés à voix basse dans l'oreille de la reine
seule, remplit les deux heures que dura ce funèbre entretien. On n'entendait
plus du dehors qu'un tendre et confus chuchotement de voix. Les commissaires
jetaient de temps en temps un regard furtif à travers le vitrage comme pour
avertir le roi que le temps s'écoulait. Quand
les cœurs furent épuisés de tendresse, les yeux de larmes, les lèvres de
voix, le roi se leva et serra toute sa famille à la fois dans une longue
étreinte. La reine se jeta à ses pieds et le conjura de permettre qu'ils
demeurassent cette nuit suprême auprès de lui. Il s'y refusa par tendresse
pour eux, dont cet attendrissement usait la vie. Il prit pour prétexte le
besoin qu'il avait lui-même de quelques heures de tranquillité pour se
préparer au lendemain avec toutes ses forces. Mais il promit à sa famille de
la faire appeler le jour suivant à huit heures. « Pourquoi pas à sept
heures ? dit la reine. — Eh bien, oui, à sept heures, répondit le roi. — Vous
nous le promettez ? s'écrièrent-ils tous. — Je vous le promets, » répéta
le roi. La reine, en traversant l'antichambre, se suspendait de ses deux
mains au cou de son mari ; la princesse royale enlaçait le roi de ses deux
bras ; madame Élisabeth embrassait du même côté le corps de son frère ; le
Dauphin, suspendu d'une main par la reine, de l'autre par le roi, trébuchait
entre les jambes de son père, le visage et les yeux levés vers lui. A mesure
qu'ils avançaient vers la porte de l'escalier, leurs gémissements
redoublaient. Ils s'arrachaient des bras les uns des autres, ils y
retombaient de tout le poids de leur amour et de leur douleur. Enfin le roi
s'élança à quelques pas en arrière, et tendant de là les bras à la reine : « Adieu,...
adieu !... » lui cria-t-il avec un geste, un regard et un son de voix où
retentissaient à la fois tout un passé de tendresse, tout un présent
d'angoisses, tout un avenir d'éternelle séparation, mais dans lequel on
distinguait cependant un accent de sérénité, d'espérance et de joie
religieuse qui semblait assigner à leur réunion le rendez-vous vague mais
confiant d'une éternelle vie. A cet
adieu, la jeune princesse glissa évanouie des bras de madame Élisabeth et
vint tomber sans mouvement aux pieds du roi. Cléry, sa tante, la reine se
précipitèrent pour la relever et la soutinrent en l'entraînant vers
l'escalier. Pendant ce mouvement le roi s'évada, les mains sur les yeux, et
se retournant, du seuil de la porte de sa chambre entr'ouverte : « Adieu
! » leur cria-t-il pour la dernière fois. Sa voix se brisa sous le
sanglot de son cœur. La porte se referma. Il se précipita dans la tourelle,
où son consolateur l'attendait. L'agonie de la royauté était passée. XVII. Le roi
tomba de lassitude sur une chaise et resta longtemps sans pouvoir parler. «
Ah ! monsieur, dit-il à l'abbé Edgeworth, quelle entrevue que celle que je
viens d'avoir ! Pourquoi faut-il que j'aime tant !... Hélas ! ajouta-t-il
après une pause, et que je sois tant aimé !... Mais c'en est fait avec le
temps, reprit-il d'un accent plus mâle, occupons-nous de l'éternité ! »
A ce moment Cléry entra et supplia le roi de prendre quelque nourriture. Le
roi refusa d'abord ; puis, réfléchissant qu'il aurait besoin de force pour
lutter en homme avec les apprêts et la vue du supplice, il mangea. Le repas
ne dura que cinq minutes. Le roi debout ne prit qu'un peu de pain et un peu
de vin, comme un voyageur qui ne s'asseoit pas sur la route. Le prêtre, qui
connaissait la foi de Louis XVI dans les saints mystères du christianisme et
qui se réservait de lui donner la dernière joie d'y assister dans son cachot,
lui demanda alors si ce serait une consolation pour lui de les voir célébrer
le lendemain matin, avant le jour, et d'y recevoir de sa main le Dieu fait
homme pour souffrir avec nous et transformé en pain pour la nourriture des
âmes ? Le roi, privé depuis longtemps de l'assistance aux cérémonies sacrées,
pieuse habitude des princes de sa race, fut ému de surprise et de joie à
cette pensée. Il lui sembla que le Dieu du Calvaire venait le visiter dans
son cachot à la dernière heure, comme un ami qui vient à la rencontre d'un
ami. Seulement il désespéra d'obtenir cette faveur de la dureté et de
l'impiété des commissaires de la commune. Le
prêtre, encouragé par les marques de respect que Garat avait données à sa
mission, fut plus confiant. Il descendit dans la salle du conseil et demanda
l'autorisation et les moyens d'accomplir le divin sacrifice dans la chambre
du roi. C'étaient l'hostie, le vin, les livres sacrés, un calice et les
habits sacerdotaux. Les commissaires indécis, craignant d'un côté de refuser
une consolation suprême à la dernière heure d'un mourant, craignant d'un
autre côté d'être accusés de fanatisme en permettant sous leurs yeux les
rites d'un culte répudié, délibérèrent longtemps à voix basse. « Qui
nous répond, dit l'un de ces hommes à l'ecclésiastique, que vous
n'empoisonnerez pas le condamné dans l'hostie même où vous lui présenterez le
corps de son Dieu ; serait-ce donc la première fois qu'on aurait empoisonné
les rois avec le pain de vie ! » Le confesseur enleva tout prétexte au
soupçon en priant les municipaux de fournir eux-mêmes le vin, l'hostie les
vases et les ornements de l'autel. Il revint annoncer au roi ce bonheur. XVIII. Ce
prince sentit cette dernière douceur comme un premier rayon d'immortalité. Il
se recueillit, il tomba à genoux, repassa devant Dieu les actes, les pensées,
les intentions de sa vie entière ; il accepta vivant, non devant la
postérité, ni devant les hommes, mais devant l'œil de Dieu, ce jugement que
les rois d'Égypte n'avaient à subir que dans leur tombeau. Cet examen de sa
conscience et cette accusation de lui-même durèrent bien avant dans la nuit.
Le jugement de Dieu, toujours mêlé de pardon, n'est pas le jugement des
hommes. Le roi se leva, sinon innocent, du moins absous. Le prêtre, qui, dans
la confession chrétienne, inflige une peine volontaire aux fautes, imposa
pour expiation à son pénitent l'acceptation religieuse de la mort qu'il
allait subir et le sacrifice de son sang pour laver le trône de toutes les
fautes de sa race. Il promit au roi de lui donner dans la communion du
lendemain, en signe de réconciliation et d'espérance, le corps du Christ
supplicié. Ce sentiment de la purification de l'âme qu'éprouve le chrétien
après la confession avait calmé les sens du roi. Cette recherche attentive
des faiblesses de sa vie avait distrait sa pensée de l'heure présente. Son
règne était plus irréprochable clans sa conscience que dans l'histoire.
Jusque dans ses fautes, il retrouvait ses bonnes intentions. En se sentant
pur devant Dieu, il se jugeait innocent devant les hommes. Il devait croire à
l'acquittement de la postérité comme à l'acquittement de Dieu. XIX. La nuit
était à demi consommée. Le condamné se coucha et s'endormit d'un sommeil
aussi subit et aussi paisible que si cette nuit eût dû avoir un lendemain !
Le prêtre passa les heures en prières dans la chambre de Cléry, séparée de
celle du roi par une cloison en planches. On entendait de là la respiration
égale et douce du roi endormi attester la profondeur de son repos et la
régularité des mouvements de son cœur, comme ceux d'une pendule qui va
s'arrêter. A cinq heures, il fallut le réveiller. — « Cinq heures sont-elles
sonnées ? dit-il à Cléry. — Pas encore à l'horloge de la tour, lui répondit
Cléry ; mais elles sont sonnées déjà à plusieurs cloches de la ville. — J'ai
bien dormi, dit le roi, j'en avais besoin, la journée d'hier m'avait fatigué.
Cléry alluma le feu et aida son maître à s'habiller. Il prépara l'autel au
milieu de la chambre. Le prêtre y célébra le sacrifice. Le roi, à genoux, un
livre de prières dans ses mains, paraissait unir son âme à tout le sens, à
toutes les paroles de cette cérémonie, où le prêtre fait la commémoration du
dernier repas, de l'agonie, de la mort, de la résurrection et de la
transsubstantiation du Christ s'offrant en victime à son père et se donnant
en aliment à ses frères. Il reçut le corps du Christ sous la figure du pain
consacré. Il se sentit fortifié contre la mort, en croyant posséder dans son
cœur l'otage divin d'une autre vie. Après la messe, pendant que le prêtre se
déshabillait, le roi passa seul dans sa tourelle pour se recueillir. Cléry y
entra pour lui demander à genoux sa bénédiction ; Louis XVI la lui donna, en
le chargeant de la donner en son nom à tous ceux qui lui étaient attachés, et
en particulier à ceux de ses gardiens qui, comme Turgy, avaient eu pitié de
sa captivité et en avaient adouci les rigueurs ; puis, l'attirant dans
l'embrasure de la fenêtre, il lui remit furtivement un cachet qu'il détacha
de sa montre, un petit paquet qu'il tira de son sein et un anneau de mariage
qu'il ôta de son doigt. « — Vous remettrez après ma mort, lui dit-il, ce
cachet à mon fils, cet anneau à la reine. Dites-lui que je le quitte avec
peine et pour qu'il ne soit pas profané avec mon corps !... Ce petit paquet
renferme des cheveux de toute ma famille, vous le lui remettrez aussi. Dites
à la reine, à mes chers enfants, à ma sœur, que je leur avais promis de les
voir ce matin, mais que j'ai voulu leur épargner la douleur d'une si cruelle
séparation renouvelée deux fois. Combien il m'en coûte de partir sans
recevoir leurs derniers embrassements !... » Les sanglots l'étouffèrent.
« Je vous charge, ajouta-t-il avec une tendresse qui brisait les mots dans sa
voix, de leur porter mes adieux !... » Cléry se retira fondant en
larmes. Un
moment après, le roi sortit de son cabinet et demanda des ciseaux pour que
son serviteur lui coupât les cheveux, seul héritage qu'il pût laisser à sa
famille. On lui refusa cette grâce. Cléry sollicita des municipaux la faveur
d'accompagner son maître pour le déshabiller sur l'échafaud, afin que la main
d'un pieux serviteur remplaçât dans ce dernier office la main flétrissante du
bourreau. « Le bourreau est assez bon pour lui, » répondit un des
commissaires. Le roi se retira de nouveau. XX. Son
confesseur, en entrant dans la tourelle, le trouva se réchauffant auprès de
son poêle, paraissant réfléchir avec une triste joie sur le terme enfin venu
de ses tribulations. — « Mon Dieu ! s'écria le roi, que je suis heureux
d'avoir conservé ma foi sur le trône ! Où en serais-je aujourd'hui sans cette
espérance ? Oui, il existe en haut un juge incorruptible qui saura bien me
rendre la justice que les hommes me refusent ici-bas ! Le jour
commençait à glisser dans la tour à travers les barreaux de fer et les
planches qui obstruaient la lumière du ciel. On entendait distinctement le
bruit des tambours qui battaient dans tous les quartiers le rappel des
citoyens sous les armes, le trépignement des chevaux de la gendarmerie et le
retentissement des roues des canons et des caissons qu'on plaçait et qu'on
déplaçait dans les cours du Temple. Le roi écouta ces bruits avec
indifférence ; il les interprétait à son confesseur. — « C'est probablement
la garde nationale qu'on commence à rassembler, » dit-il au premier
rappel. Quelques moments après, on entendit les fers des chevaux d'une
nombreuse cavalerie résonner sur les pavés, au pied de la tour, et les voix
des officiers qui rangeaient leurs escadrons en bataille. — « Les voilà qui
approchent, » dit-il en interrompant et en reprenant l'entretien. Il
était sans impatience et sans crainte, comme un homme arrivé le premier à un
rendez-vous et qu'on fait attendre. Il attendit longtemps. Pendant près de
deux heures, on vint successivement frapper à la porte de son cabinet sous
divers prétextes. A chaque fois le confesseur croyait que c'était l'appel
suprême. Le roi se levait sans trouble, allait ouvrir sa porte, répondait et
venait se rasseoir. A neuf heures, des pas tumultueux d'hommes armés
résonnent dans l'escalier ; les portes s'ouvrent avec fracas ; Santerre
paraît accompagné de douze municipaux et à la tête de dix gendarmes, qu'il
range sur deux lignes dans la chambre. Le roi, à ce bruit, entr'ouvre la
porte de son cabinet : « Vous venez me chercher, dit-il d'une voix ferme
et dans une impérieuse attitude à Santerre, je suis à vous dans un instant,
attendez-moi là ! » Il montre du doigt le seuil de sa chambre, referme
sa porte et revient s'agenouiller aux pieds du prêtre. « Tout est
consommé, mon père, lui dit-il, donnez-moi la dernière bénédiction, et priez
Dieu qu'il me soutienne jusqu'à la fin. » Il se relève, ouvre la porte,
s'avance le front serein, la majesté de la mort dans le geste et sur les
traits, entre la double haie des gendarmes. Il tenait à la main un papier
plié, c'était son testament. Il s'adresse au municipal qui se trouve en face
de lui : « Je vous prie, lui dit-il, de remettre ce papier à la reine
!!! » Un mouvement d'étonnement à ce mot, sur ces visages républicains,
lui fait comprendre qu'il s'est trompé de terme : « à ma femme », dit-il
en se reprenant. Le municipal recule : « Cela ne me regarde point,
répondit-il rudement, je suis ici pour vous conduire à l'échafaud. » Ce
municipal était Jacques Roux, prêtre sorti du sacerdoce et qui avait
dépouillé toute charité avec sa robe. « C'est juste », dit tout bas
le roi visiblement contristé. Puis regardant les visages et se tournant vers
celui dont l'expression plus douce lui révélait un cœur moins impitoyable, il
s'approcha d'un municipal nommé Gobeau : « Remettez, je vous prie, ce
papier à ma femme ; vous pouvez en prendre lecture, il y a des dispositions
que la commune doit connaître. » Le municipal, avec l'assentiment de ses
collègues, reçut le testament. Cléry,
qui craignait, comme le valet de chambre de Charles Ier, que son maître,
tremblant de froid, parût trembler devant l'échafaud, lui présenta son
manteau : « Je n'en ai pas besoin, dit le roi, donnez-moi seulement mon
chapeau. » En le recevant, il saisit la main de son fidèle serviteur et
la serra fortement en signe d'intelligence et d'adieu ; puis se tournant vers
Santerre et le regardant en face, d'un geste de résolution et d'un ton de
commandement il dit : « Marchons !... » Santerre
et sa troupe semblèrent plutôt le suivre que l'escorter. Le prince descendit
d'un pas ferme l'escalier de la tour ; et ayant rencontré dans le vestibule
le concierge de la tour, nommé Mathey, qui lui avait manqué de respect la
veille et à qui il avait reproché avec irritation son insolence, il s'avança
vers lui : « Mathey, lui dit-il avec un geste cordial, j'ai eu hier
un peu de vivacité envers vous, pardonnez-moi à cause de cette heure. »
Mathey, au lieu de lui répondre, affecta de détourner la tête et de se
retirer, comme si le contact du mourant eût été contagieux. En
traversant à pied la première cour, le roi se retourna deux fois du côté de
la tour et leva vers les fenêtres de la reine un regard où son âme tout
entière semblait porter son muet adieu à tout ce qu'il laissait de lui dans
la prison. Une
voiture l'attendait à l'entrée de la seconde cour, deux gendarmes se tenaient
à la portière ; l'un d'eux monta le premier et s'assit sur le devant ; le roi
monta ensuite, il fit placer son confesseur à sa gauche ; le second gendarme
monta le dernier et ferma la portière. La voiture roula. Soixante
tambours battaient la marche en tête des chevaux. Une armée ambulante,
composée de gardes nationaux, de fédérés, de troupes de ligne, de cavalerie,
de gendarmerie et de batteries d'artillerie, marchait devant, derrière, aux
deux côtés de la voiture. Paris entier était consigné dans ses maisons. Un
ordre du jour de la commune interdisait à tout citoyen qui ne faisait pas
partie de la milice armée de traverser les rues qui débouchaient sur les
boulevards, ou de se montrer aux fenêtres sur le passage du cortége. Les
marchés mêmes étaient évacués. Un ciel bas, brumeux, glacé, ne laissait
apercevoir qu'à quelques pas les forêts de piques et de baïonnettes rangées
en haies immobiles, depuis la place de la Bastille jusqu'au pied de
l'échafaud sur la place de la Révolution. De distance en distance, cette
double muraille d'acier était renforcée par des détachements d'infanterie
empruntés au camp sous Paris, le sac sur le dos et les armes chargées comme
un jour de bataille. Des canons braqués, chargés à mitraille, les mèches
fumantes, surveillaient aux principales embouchures des rues la ligne du
cortége. Le silence était profond comme la terreur dans la ville. Nul ne
disait sa pensée à son voisin. Les physionomies mêmes étaient impassibles
sous le regard du délateur ; quelque chose de machinal se remarquait dans les
visages, dans les gestes, dans les regards de cette multitude. On eût dit que
Paris avait abdiqué son âme pour trembler et pour obéir. Le roi, au fond de
la voiture, et comme voilé par les baïonnettes et les sabres nus de
l'escorte, était à peine aperçu. Il portait un habit brun, une culotte de
soie noire, un gilet et des bas blancs. Sa chevelure était roulée sous son
chapeau. Le bruit des tambours, des canons, des chevaux, et la présence des
gendarmes dans la voiture l'empêchaient de s'entretenir avec son confesseur.
Il demanda seulement à l'abbé Edgeworth de lui prêter son bréviaire, et il y
chercha du doigt et de l'œil les psaumes dont les gémissements et les
espérances s'appropriaient à sa situation. Ces chants sacrés, balbutiés par
ses lèvres et retentissant dans son âme, lui dérobèrent ainsi le bruit, la
vue du peuple pendant tout ce trajet de la prison à la mort. Le prêtre priait
à côté de lui. Les gendarmes placés en face portaient sur leurs figures
l'empreinte de l'étonnement et de l'admiration que le recueillement pieux du
roi leur inspirait. Quelques cris de grâce se firent entendre, au départ de
la voiture, dans la foule accumulée à l'entrée de la rue du Temple. Ces cris
moururent sans échos dans le tumulte et dans la compression générale des
sentiments publics. Aucune injure, aucune imprécation de la multitude ne
s'élevèrent. Si on eut demandé à chacun des deux cent mille citoyens, acteurs
ou spectateurs de ces funérailles d'un vivant : Faut-il que cet homme, seul
contre tous, meure ? pas un peut-être n'aurait répondu oui. Mais les choses
étaient combinées ainsi par le malheur et par la sévérité des temps, que tous
accomplissaient sans hésiter ce que nul isolément n'aurait voulu accomplir.
Cette multitude, par la pression mutuelle qu'elle exerçait sur elle-même,
s'empêchait de céder à son attendrissement et à son horreur ; semblable à la
voûte dont chaque pierre isolément tend à fléchir et à tomber, mais où toutes
restent suspendues par la résistance que la pression oppose à leur chute ! XXI. Au
confluent des rues nombreuses qui aboutissent au boulevard, entre les portes
Saint-Denis et Saint-Martin, lieu où la voie s'élargit et où une rampe rapide
ralentit le pas des chevaux, une ondulation soudaine arrêta un moment la
marche. Sept à huit jeunes gens débouchant en masse de la rue Beauregard,
fendirent la foule, rompirent la haie et se précipitèrent vers la voiture le
sabre à la main et en criant : « A nous, ceux qui veulent sauver le roi ! »
De ce nombre était le baron de Batz, aventurier de conspirations, et son
secrétaire Devaux. Trois mille jeunes gens, secrètement enrôlés et armés pour
ce coup de main, devaient répondre à ce signal et tenter après un soulèvement
dans Paris, appuyés par Dumouriez. Cachés dans Paris, ces intrépides
conspirateurs, voyant que personne ne les suivait, se firent jour, à la
faveur de la surprise et de la confusion, à travers la haie de la garde
nationale et se perdirent dans les rues voisines. Un détachement de
gendarmerie les poursuivit et en atteignit quelques-uns, qui payèrent de leur
vie leur tentative. Le
cortège, un moment arrêté, reprit sa marche, à travers le silence et
l'immobilité du peuple, jusqu'à l'embouchure de la rue Royale sur la place de
la Révolution. Là, un rayon de soleil d'hiver qui perçait la brume laissait
voir la place couverte de cent mille têtes, les régiments de la garnison de
Paris formant le carré autour de l'échafaud, les exécuteurs attendant la
victime, et l'instrument du supplice dressant au-dessus de la foule ses
madriers et ses poteaux peints en rouge couleur de sang. Ce
supplice était la guillotine. Cette machine inventée en Italie et importée en
France par l'humanité d'un médecin célèbre de l'Assemblée constituante, nommé
Guillotin, avait été substituée aux supplices atroces et infamants que la
Révolution avait voulu abolir. Elle avait de plus, dans la pensée des
législateurs de l'Assemblée constituante, l'avantage de ne pas faire verser
le sang de l'homme par la main et sous le coup souvent mal assuré d'un autre
homme, mais de faire exécuter le meurtre par un instrument sans âme,
insensible comme le bois et infaillible comme le fer. Au signal de
l'exécuteur la hache tombait d'elle-même. Cette hache, dont la pesanteur
était centuplée par des poids attachés sous l'échafaud, glissait entre deux
rainures d'un mouvement à la fois horizontal et perpendiculaire, comme celui
de la scie, et détachait la tête du tronc par le poids de sa chute et avec la
rapidité de l'éclair. C'était la douleur et le temps supprimés dans la
sensation de la mort. La guillotine était dressée, ce jour-là, au milieu de
la place de la Révolution, devant la grande allée du jardin des Tuileries, en
face et comme en dérision du palais des rois, à peu près à l'endroit où la
fontaine jaillissante la plus rapprochée de la Seine semble aujourd'hui laver
éternellement le pavé. Depuis
l'aube du jour, les abords de l'échafaud, le pont Louis XVI, les terrasses
des Tuileries, les parapets du fleuve, les toits des maisons de la rue
Royale, les branches même dépouillées des arbres des Champs-Élysées étaient
chargés d'une innombrable multitude qui attendait l'événement clans
l'agitation, dans le tumulte et dans le bruit d'une ruche d'hommes, comme si
cette foule n'eût pu croire au supplice d'un roi avant de l'avoir vu de ses
yeux. Les abords immédiats de l'échafaud avaient été envahis, grâce aux
faveurs de la commune et à la connivence des commandants des troupes, par les
hommes de sang des Cordeliers, des Jacobins et des journées de septembre,
incapables d'hésitation ou de pitié. Se posant eux-mêmes autour de
l'échafaud, comme les témoins de la république, ils voulaient que le supplice
fût consommé et applaudi. A
l'approche de la voiture du roi, une immobilité solennelle surprit cependant
tout à coup cette foule et ces hommes eux-mêmes. La voiture s'arrêta à
quelques pas de l'échafaud. Le trajet avait duré deux heures. XXII. Le roi,
en s'apercevant que la voiture avait cessé de rouler, leva les yeux, qu'il
tenait attachés au livre, et, comme un homme qui interrompt sa lecture pour
un moment, il se pencha à l'oreille de son confesseur et lui dit à voix basse
et d'un ton d'interrogation : « Nous voilà arrivés, je crois ? » Le
prêtre ne lui répondit que par un signe silencieux. Un des trois frères
Samson, bourreaux de Paris, ouvrit la portière. Les gendarmes descendirent.
Mais le roi refermant la portière et plaçant sa main droite sur le genou de
son confesseur d'un geste de protection : « Messieurs »,
dit-il avec autorité aux bourreaux, aux gendarmes et aux officiers qui se
pressaient autour des roues, « je vous recommande monsieur que voilà !
Ayez soin qu'après ma mort il ne lui soit fait aucune insulte. Je vous charge
d'y veiller. » Personne ne répondit. Le roi voulut répéter avec plus de
force cette recommandation aux exécuteurs. L'un d'eux lui coupa la parole. « Oui,
oui, lui dit-il avec un accent sinistre, sois tranquille, nous en aurons
soin, laisse-nous faire. » Louis descendit. Trois valets du bourreau
l'entourèrent et voulurent le déshabiller au pied de l'échafaud. Il les
repoussa avec majesté, ôta lui-même son habit, sa cravate, et dépouilla sa
chemise jusqu'à la ceinture. Les exécuteurs se jetèrent alors de nouveau sur
lui. « Que voulez-vous faire ? » murmura-t-il avec
indignation. — « Vous lier », lui répondirent-ils, et ils lui
tenaient déjà les mains pour les nouer avec leurs cordes. « Me lier ! »
répliqua le roi avec un accent où toute la gloire de son sang se révoltait
contre l'ignominie. « Non ! non ! je n'y consentirai jamais ! Faites
votre métier, mais vous ne me lierez pas ; renoncez-y ! » Les
exécuteurs insistaient, élevaient la voix, appelaient à leur aide, levaient
la main, préparaient la violence. Une lutte corps à corps allait souiller la
victime au pied de l'échafaud. Le roi, par respect pour la dignité de sa mort
et pour le calme de sa dernière pensée, regarda le prêtre comme pour lui
demander conseil. « Sire, dit le conseiller divin, subissez sans
résistance ce nouvel outrage comme un dernier trait de ressemblance entre
vous et le Dieu qui va être votre récompense. » Le roi leva les yeux au
ciel avec une expression du regard qui semblait reprocher et accepter à la
fois. « Assurément, dit-il, il ne faut rien moins que l'exemple d'un
Dieu pour que je me soumette à un pareil affront ! » Puis se tournant en
tendant de lui-même les mains vers les exécuteurs : « Faites ce que vous
voudrez, leur dit-il, je boirai le calice jusqu'à la lie ! » Il
monta, soutenu par le bras du prêtre, les marches hautes et glissantes de
l'échafaud. Le poids de son corps semblait indiquer un affaissement de son
âme ; mais, parvenu à la dernière marche, il s'élança des mains de son
confesseur, traversa d'un pas ferme toute la largeur de l'échafaud, regarda
en passant l'instrument et la hache, et se tournant tout à coup à gauche, en
face de son palais, et du côté où la plus grande masse de peuple pouvait le
voir et l'entendre, il fit aux tambours le geste du silence. Les tambours
obéirent machinalement. « Peuple ! dit Louis XVI d'une voix qui retentit dans
le silence et qui fut entendue distinctement de l'autre extrémité de la
place, « peuple ! je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute !
Je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang que vous
allez répandre ne retombe jamais sur la France !... » Il allait
continuer ; un frémissement parcourait la foule. Le chef d'état-major des
troupes du camp sous Paris, Beaufranchet, comte d'Oyat, fils de Louis XV et
d'une favorite nommée Morphise, ordonna aux tambours de battre. Un roulement
immense et prolongé couvrit la voix du roi et le murmure de la multitude. Le
condamné revint de lui-même à pas lents vers la guillotine et se livra aux
exécuteurs. Au moment où on l'attachait à la planche il jeta encore un regard
sur le prêtre qui priait à genoux au bord de l'échafaud. Il vécut, il posséda
son âme tout entière jusqu'au moment où il la remit à son Créateur par les
mains du bourreau. La planche chavira, la hache glissa, la tête tomba. Un des
exécuteurs prenant la tête du supplicié par les cheveux la montra au peuple
et aspergea de sang les bords de l'échafaud. Des fédérés et des républicains
fanatiques montèrent sur les planches, trempèrent les pointes de leurs sabres
et les lances de leurs piques dans le sang, et les brandirent vers le ciel en
poussant le cri de Vive la république ! L'horreur de cet acte étouffa le même
cri sur les lèvres du peuple. L'acclamation ressembla plutôt à un immense
sanglot. Les salves de l'artillerie allèrent apprendre aux faubourgs les plus
lointains que la royauté était suppliciée avec le roi. La foule s'écoula en
silence. On emporta les restes de Louis XVI dans un tombereau couvert au
cimetière de la Madeleine, et on jeta de la chaux dans la fosse pour que les
ossements consumés de la victime de la Révolution ne devinssent pas un jour
les reliques du royalisme. Les rues se vidèrent. Des bandes de fédérés armés
parcoururent les quartiers de Paris en annonçant la mort du tyran et en
chantant le sanguinaire refrain de la Marseillaise. Aucun enthousiasme ne
leur répondit, la ville resta muette. Le peuple ne confondait pas un supplice
avec une victoire. La consternation était rentrée avec la liberté dans la
demeure des citoyens. Le corps du roi n'était pas encore refroidi sur
l'échafaud que le peuple doutait de l'acte qu'il venait d'accomplir et se
demandait, avec une anxiété voisine du remords, si le sang qu'il venait de
répandre était une tache sur la gloire de la France ou le sceau de la liberté
? La conscience des républicains eux-mêmes se troubla devant cet échafaud. La
mort du roi laissait un problème à débattre à la nation. XXIII. Cinquante-trois
ans se sont écoulés depuis ce jour ; ce problème agite encore la conscience
du genre humain et partage l'histoire elle-même en deux partis : crime ou
stoïcisme selon le point de vue où l'on se place pour le considérer, cet acte
est un parricide aux yeux des uns ; il est, aux yeux des autres, une justice
que la liberté se fit héroïquement à elle-même, un acte politique qui écrivit
avec le sang d'un roi les droits du peuple, qui devait rendre la royauté et
la France à jamais irréconciliables, et qui, ne laissant à la France
compromise d'autre alternative que de subir la vengeance des despotes ou de
les vaincre, condamnait la nation à la victoire par l'énormité de l'outrage
et par l'impossibilité du pardon. Quant à
nous, qui devons justice et pitié à la victime, mais qui devons aussi justice
aux juges, nous nous demandons, en finissant ce mélancolique récit, ce qu'il
faut accuser, ce qu'il faut absoudre du roi, de ses juges, de la nation ou de
la destinée ? Et si l'on peut rester impartial quand on est attendri, nous
posons en ces termes dans notre âme la redoutable question qui fait hésiter
l'histoire, douter la justice, trembler l'humanité : La
nation avait-elle le droit de juger en tribunal légal et régulier Louis XVI ?
Non : car pour être juge il faut être impartial et désintéressé, et la nation
n'était ni l'un ni l'autre. Dans ce combat terrible, mais inévitable, que se
livraient, sous le nom de Révolution, la royauté et la liberté pour
l'émancipation ou l'asservissement des citoyens, Louis XVI personnifiait le
trône, la nation personnifiait la liberté. Ce n'était pas leur faute ;
c'était leur nature. Les tentatives de transaction étaient vaines. Les
natures se combattaient en dépit des volontés. Entre ces deux adversaires, le
roi et le peuple, dont par instinct l'un devait vouloir retenir, l'autre
arracher les droits de la nation, il n'y avait d'autre tribunal que le
combat, d'autre juge que la victoire. Nous ne prétendons pas dire par ces
paroles qu'il n'y eût pas au-dessus des deux partis une moralité de la cause
et des actes qui juge la victoire elle-même. Cette justice ne périt jamais
dans l'éclipse des lois et dans la ruine des empires ; seulement elle n'a pas
de tribunal où elle puisse citer légalement ses accusés, elle est la justice
d'État, la justice qui n'a ni juges institués ni lois écrites, mais qui
prononce ses arrêts dans la conscience et dont le code est l'équité. Louis
XVI ne pouvait être jugé en politique et en équité que par un procès d'État. La
nation avait-elle le droit de le juger ainsi ? c'est demander si elle avait
le droit de le combattre et de le vaincre ; en d'autres termes, c'est
demander si le despotisme est inviolable ! si la liberté est une révolte !
s'il n'y a de justice ici-bas que pour les rois ! s'il n'y a pour les peuples
que le droit de servir et d'obéir ! Le doute seul est une impiété envers les
peuples. La
nation ayant en soi l'inaliénable souveraineté qui repose dans la raison,
dans le droit et dans la volonté de chacun des citoyens dont la collection
fait le peuple, avait certes la faculté de modifier la forme extérieure de sa
souveraineté, de niveler son aristocratie, de déposséder son église,
d'abaisser ou même de supprimer son trône pour régner elle-même par ses
propres magistratures. Or, du moment que la nation avait le droit de
combattre et de s'affranchir, elle avait le droit de surveiller et de consolider
les résultats de sa victoire. Si donc Louis XVI, roi trop récemment dépossédé
de la toute-puissance, roi à qui toute restitution de pouvoir au peuple
devait paraître déchéance, roi mal satisfait de la part de règne qui lui
restait, aspirant à reconquérir l'autre part, tiraillé d'un côté par une
assemblée usurpatrice, tiraillé de l'autre par une reine inquiète, par une
noblesse humiliée, par un clergé qui faisait intervenir le ciel dans sa
cause, par une émigration implacable, par ses frères courant en son nom par
toute l'Europe pour chercher des ennemis à la Révolution ; si Louis XVI, roi,
paraissait à la nation une conspiration vivante contre sa liberté, si la
nation le soupçonnait de trop regretter dans son âme le pouvoir suprême, de
faire trébucher volontairement la nouvelle constitution pour profiter de ses
chutes, de conduire la liberté dans des pièges, de se réjouir de l'anarchie,
de désarmer la patrie, de lui souhaiter secrètement des revers, de
correspondre avec ses ennemis, la nation avait le droit de le citer jusque
sur son trône, de l'en faire descendre, de l'appeler à sa barre et de le
déposer au nom de sa propre dictature et de son propre salut. Si la nation
n'avait pas eu ce droit, le droit de trahir impunément les peuples eût donc
été dans la constitution nouvelle une des prérogatives des rois ! XXIV. Nous
venons de voir qu'aucune loi écrite ne pouvant être appliquée au roi, et que
ses juges étant ses ennemis, son jugement ne pouvait être un jugement légal,
mais une grande mesure d'État, dont l'équité seule devait débattre les motifs
et dicter l'arrêt. Que disait l'équité et quelle peine pouvait-elle
prononcer, si le vainqueur a le droit d'appliquer une peine au vaincu ? Louis
XVI, dégradé de la royauté, désarmé et prisonnier, coupable peut-être dans la
lettre, était-il coupable dans d'esprit, si l'on considère la contrainte
morale et physique de sa déplorable situation ? Était-ce un tyran ? Non. Un
oppresseur du peuple ? Non. Un fauteur de l'aristocratie ? Non. Un ennemi de
la liberté ? Non. Tout son règne protestait, depuis son avènement au trône,
de la tendance philosophique de son esprit et des instincts populaires de son
cœur, à prémunir la royauté contre les tentations du despotisme, à faire
monter les lois sur le trône, à demander des conseils à la nation, à faire
régner par lui et en lui les droits et les intérêts du peuple. Prince
révolutionnaire, il avait appelé lui-même la Révolution à son secours. Il
avait voulu lui donner beaucoup ; elle avait voulu arracher davantage : de là
la lutte. Cependant
tout n'était, pas politiquement irréprochable du côté du roi dans cette
lutte. L'incohérence et le repentir des mesures trahissaient la faiblesse et
avaient souvent servi de prétexte aux violences et aux attentats du peuple.
Ainsi, Louis XVI avait convoqué les états-généraux, et voulant trop tard circonscrire
le droit de délibération, l'insurrection morale du serment du Jeu de paume
lui avait forcé la main. Il avait voulu intimider l'Assemblée constituante
par un rassemblement de troupes à Versailles, et le peuple de Paris avait
pris la Bastille et embauché les gardes-françaises. Il avait pensé à éloigner
le siège de l'Assemblée nationale de la capitale, et la populace de Paris
avait marché sur Versailles, forcé son palais, massacré ses gardes, emprisonné
sa famille aux Tuileries. Il avait tenté de s'enfuir au milieu de son armée
et peut-être d'une armée étrangère, et la nation l'avait ramené enchaîné au
trône et lui avait imposé la constitution de 91. Il avait parlementé avec
l'émigration et les rois, ses vengeurs, et la populace de Paris avait fait le
20 juin. Pour obéir à sa conscience il avait refusé sa sanction à des lois
commandées par la volonté du peuple, et les Girondins unis aux Jacobins
avaient fait le 10 août. Selon l'esprit dans lequel on envisageait ces
vicissitudes de son règne, depuis le commencement de la Révolution, il y
avait de quoi l'accuser ou de quoi le plaindre. Il n'était ni tout à fait
innocent, ni tout à fait coupable ; il était surtout malheureux ! Si le
peuple pouvait lui reprocher des faiblesses et des dissimulations, il
pouvait, lui roi, reprocher de cruelles violences au peuple. L'action et la
réaction, le coup et le contre-coup s'étaient succédé de part et d'autre avec
une telle rapidité, comme dans une mêlée, qu'il était difficile de dire qui
avait frappé le premier. Les fautes étaient réciproques, les ombrages
mutuels, les périls égaux. Qui donc avait le droit de condamner l'autre et de
lui dire avec justice et impartialité : Tu mourras ? Aucun des deux. Le roi
ne pouvait pas plus, en cas de victoire, juger le peuple, que le peuple ne
pouvait légalement juger le roi. Il n'y avait point-là de justiciable ; il y
avait un vaincu, voilà tout. Le procès légal était une hypocrisie de justice,
la hache seule était logique. Robespierre l'avait dit. Mais la hache après le
combat, et frappant un homme désarmé, au nom de ses ennemis, qu'est-elle dans
toutes les langues ? Un meurtre de sang-froid, sans excuse, du moment qu'il
est sans nécessité, en un mot une immolation. XXV. Déposer
Louis XVI, le bannir du sol national ou l'y retenir dans l'impuissance de
conspirer et de nuire, voilà ce que commandaient aux conventionnels le salut
de la république, la sûreté de la Révolution. L'immolation d'un homme captif
et désarmé n'était qu'une concession à la colère ou une concession à la peur.
Vengeance ici, lâcheté là, cruauté partout. Immoler un vaincu cinq mois après
la victoire, ce vaincu fût-il coupable, ce vaincu fût-il dangereux, était un
acte sans pitié. La pitié n'est pas un vain mot parmi les hommes. Elle est un
instinct, qui avertit la force d'amollir sa main à la proportion de la
faiblesse et de l'adversité des victimes. Elle est une justice généreuse du
cœur humain plus clairvoyante au fond et plus infaillible que la justice
inflexible de l'esprit. Aussi tous les peuples en ont-ils fait une vertu. Si
l'absence de toute pitié est un crime dans le despotisme, pourquoi donc
serait-ce une vertu dans les républiques ? Le vice et la vertu changent-ils
de nom en changeant de parti ? Les peuples sont-ils dispensés d'être
magnanimes ? Il n'y a que leurs ennemis qui oseraient le prétendre, car ils
voudraient les déshonorer. Leur force même leur commande plus de générosité
qu'à leurs tyrans ! XXVI. Enfin
le meurtre du roi, comme mesure de salut public, était-il nécessaire ? Nous
demanderions d'abord si ce meurtre était juste, car rien d'injuste en soi ne
peut être nécessaire à la cause des nations. Ce qui fait le droit, la beauté
et la sainteté de la cause des peuples, c'est la parfaite moralité de leurs
actes. S'ils abdiquent la justice, ils n'ont plus de drapeau. Ils ne sont que
des affranchis du despotisme imitant tous les vices de leurs maîtres. La vie ou
la mort de Louis XVI, détrôné ou prisonnier, ne pesait pas le poids d'une
baïonnette de plus ou de moins dans la balance des destinées de la
république. Son sang était une déclaration de guerre plus certaine que sa
déposition. Sa mort était, certes, un prétexte d'hostilités plus spécieux que
sa captivité dans les conseils diplomatiques des cours ennemies de la
Révolution. Prince épuisé et dépopularisé par quatre ans de lutte inégale
avec la nation, livré vingt fois à la merci du peuple, sans crédit sur les
soldats ; caractère dont on avait si souvent sondé la timidité et
l'indécision, descendu d'humiliation en humiliation et degré par degré du
haut de son trône dans la prison, Louis XVI était l'unique prince de sa race
à qui il ne fut plus possible de songer à régner. Dehors, il était décrédité
par ses concessions ; dedans, il eût été l'otage patient et inoffensif de la
république, l'ornement de son triomphe, la preuve vivante de sa magnanimité.
Sa mort, au contraire, aliénait de la cause française cette partie immense
des populations qui ne juge les événements humains que par le cœur. La nature
humaine est pathétique ; la république l'oublia, elle donna à la royauté
quelque chose du martyre, à la liberté quelque chose de la vengeance. Elle
prépara ainsi une réaction contre la cause républicaine et mit du côté de la
royauté la sensibilité, l'intérêt, les larmes d'une partie des peuples. Qui
peut nier que l'attendrissement sur le sort de Louis XVI et de sa famille
n'ait été pour beaucoup dans la recrudescence de la royauté quelques années
après ? Les causes perdues ont des retours, dont il ne faut souvent chercher
les motifs que dans le sang des victimes odieusement immolées par la cause
opposée. Le sentiment public, une fois ému d'une iniquité, ne se repose que
quand il s'est, pour ainsi dire, absous par quelque réparation éclatante et
inattendue. Il y eut du sang de Louis XVI dans tous les traités que les
puissances de l'Europe passèrent entre elles pour incriminer et étouffer la
république ; il y eut du sang de Louis XVI dans l'huile qui sacra Napoléon si
peu de temps après les serments à la liberté ; il y eut du sang de Louis XVI
dans l'enthousiasme monarchique que raviva en France le retour des Bourbons à
la restauration ; il y en eut même en 1830 dans la répulsion au nom de
république, qui jeta la nation indécise entre les bras d'une autre dynastie.
Ce sont les républicains qui doivent le plus déplorer ce sang, car c'est sur
leur cause qu'il est retombé sans cesse, et c'est ce sang qui leur a coûté la
république ! XXVII. Quant
aux juges, Dieu lit seul dans la conscience des individus. L'histoire ne lit
que dans la conscience des partis. L'intention seule fait le crime ou
l'explication de pareils actes. Les uns votèrent par une puissante conviction
de la nécessité de supprimer le signe vivant de la royauté en abolissant la
royauté elle-même ; les autres par un intrépide défi aux rois de l'Europe,
qui ne les croiraient pas selon eux assez républicains tant qu'ils n'auraient
pas supplicié un roi ; ceux-ci pour donner aux peuples asservis un signal et
un exemple qui leur communiquassent l'audace de secouer la superstition des
rois ; ceux-là par une ferme persuasion des trahisons de Louis XVI, que la
presse et la tribune des clubs leur dépeignaient, depuis le commencement de
la Révolution, comme un conspirateur ; quelques-uns par impatience des
dangers de la patrie ; quelques autres, comme les Girondins, à regret et par
rivalité d'ambition, à qui donnerait le gage le plus irrécusable à la
république ; d'autres par cet entraînement qui emporte les faibles âmes dans
le courant des assemblées publiques ; d'autres par cette lâcheté qui surprend
tout à coup le cœur et qui fait abandonner la vie d'autrui comme on abandonne
sa propre vie ; un plus grand nombre enfin votèrent la mort avec réflexion
par un fanatisme stoïque qui ne se faisait illusion ni sur l'insuffisance des
crimes, ni sur l'irrégularité des formes, ni sur la cruauté de la peine, ni
même sur le compte qu'en demanderait la postérité à leur mémoire, mais qui
crurent la liberté assez sainte pour justifier par sa fondation ce qui manquait
à la justice de leur vote, et assez implacable pour lui immoler leur propre
pitié ! XXVIII. Tous se trompèrent. Cependant l'histoire, même en accusant, ne peut méconnaître, au milieu de toutes les conséquences politiques, contraires à l'équité, cruelles pour le sentiment et fatales à la liberté, du supplice de Louis XVI, qu'il n'y eût une puissance dans cet échafaud. Ce fut la puissance des partis désespérés et des résolutions sans retour. Ce supplice vouait la France à la vengeance des trônes et donnait ainsi cruellement à la république la force convulsive des nations : la force du désespoir. L'Europe l'entendit ; la France répondit. Les transactions, les indécisions, les négociations cessèrent ; et la Mort, tenant la hache régicide d'une main et le drapeau tricolore de l'autre, fut prise seule pour négociateur et pour juge entre la monarchie et la république, entre l'esclavage et la liberté, entre le passé et l'avenir des nations. |