I. A peine
Santerre eut-il concerté les dernières mesures à l'Hôtel-de-Ville avec les
nouveaux commissaires des sections qu'il se mit en marche par le quai, en
envoyant assigner aux Marseillais le Pont-Neuf pour point de jonction des
deux colonnes. Ces deux colonnes se confondirent en désordre au roulement du
tambour et aux chants du Ça ira sur la place du Louvre et inondèrent, sans
obstacle, le Carrousel. Un homme monté sur un petit cheval noir précédait les
colonnes. Arrivé aux guichets du Carrousel, il s'empara du commandement par
le seul droit de l'uniforme et par l'autorité de Danton. Cette foule lui
obéit par ce besoin de direction et d'unité qui subordonne les masses au
moment du danger. Il fit défiler sa troupe en bon ordre, la rangea en
bataille sur le Carrousel, plaça les canons au centre, étendit ses deux ailes
de manière à cerner et à dominer les bataillons incertains qui semblaient
attendre la fortune pour se prononcer. Ces dispositions prises avec le coup
d'œil et le sang-froid d'un général consommé, il poussa son cheval au petit
pas vers la porte de la cour Royale, accompagné d'un groupe de fédérés de
Brest et de Marseillais, frappa de la poignée de son sabre sur la porte et
demanda, avec le ton du commandement, qu'on ouvrit au peuple. Cet
homme était Westermann, jeune Prussien expatrié. Il était entré au service de
France peu d'années avant la Révolution ; le vide laissé dans l'armée par
l'émigration l'avait élevé au grade d'officier. Intelligent, aventureux,
intrépide, son instinct avait flairé la guerre civile et les fortunes
militaires que les révolutions recèlent dans leur sein pour les soldais
heureux. Aux approches du 10 août, il était venu à Paris épier une occasion
de grandir ou de mourir. Il s'était donné à la cause du peuple. Danton
l'avait aperçu, jugé, enrôlé. Il lui avait livré cette foule après l'avoir
soulevée. Santerre, quoique commandant-général, avait senti la supériorité du
jeune Allemand et lui avait laissé le commandement de celle avant-garde et
les hasards de cette expédition. Westermann,
voyant que les Suisses et les grenadiers nationaux refusaient d'ouvrir les
portes, fil avancer cinq pièces de canon et menaça de les enfoncer. Ces
portes en bois, tombant de vétusté, ne pouvaient résister à la première
décharge. A l'approche de Westermann, les officiers municipaux Borie et
Leroux, Rœderer et les autres membres du département, témoins de l'hésitation
des troupes et frappés de l'imminence du danger, remontèrent précipitamment
au château. Ils traversent les salles qui précèdent la chambre du roi. La
consternation de leurs visages parlait assez. Le roi était assis devant une
table placée à l'entrée de son cabinet. Il avait les mains appuyées sur ses
genoux, dans l'attitude d'un homme qui attend et qui écoute. La reine, les
yeux rouges et les joues animées par l'angoisse, était assise avec sa sœur et
les ministres entre la fenêtre et la table du roi ; la princesse de Lamballe,
madame de Tourzel et les enfants, près de la reine. « Sire,
dit Rœderer, le département désire parler à Votre Majesté sans autres témoins
que sa famille. » Le roi fit un geste ; tout le monde se retira, excepté les
ministres. — « Sire, poursuivit le magistrat, vous n'avez pas cinq
minutes à perdre ; ni le nombre, ni les dispositions des hommes réunis ici
pour vous défendre, ne peuvent garantir vos jours et ceux de votre famille.
Les canonniers viennent de décharger leurs pièces. La défection est partout,
dans le jardin, dans les cours ; le Carrousel est occupé par les Marseillais.
Il n'y a plus de sûreté pour vous que dans le sein de l'Assemblée. C'est
l'opinion du département, seul corps constitué qui ait en ce moment la
responsabilité de votre vie et de la constitution. — Mais, dit le roi, je
n'ai pas vu beaucoup de monde au Carrousel. — Sire, répliqua Rœderer, il y a
douze pièces de canon, et l'armée innombrable des faubourgs s'avance sur les
pas des Marseillais. » M. Gerdret, administrateur du département, connu de la
reine, dont il était le fournisseur, ayant appuyé de quelques mots l'avis de
Rœderer : « Taisez-vous, monsieur Gerdret, lui dit la reine, il ne vous
appartient pas d'élever ici la voix ; laissez parler le
procureur-syndic. » Puis, se tournant vers Rœderer : « Mais,
monsieur, lui dit-elle fièrement, nous avons des forces ? — Madame, tout
Paris marche, » répliqua Rœderer, et, reprenant aussitôt sur un ton plus
affirmatif son dialogue avec le roi : « Sire, le temps presse ; ce
n'est plus une prière, ce n'est plus un conseil que nous vous adressons, il
ne nous reste qu'une ressource : nous vous demandons la permission de vous
faire violence et de vous entraîner à l'Assemblée. » Le roi
releva la tête, regarda fixement Rœderer pendant quelques secondes, pour lire
dans ses yeux si ses insistances recélaient le salut ou le piège ; puis se
tournant vers la reine et l'interrogeant d'un regard rapide : « Marchons ! »
dit-il, et il se leva. A ce mot, madame Élisabeth se levant et avançant la
tête par-dessus l'épaule du roi : « Monsieur Rœderer, s'écria-t-elle, au
moins répondez-vous de la vie du roi ? — Oui, madame, autant que de la
mienne, » répondit en termes douteux Rœderer. Il recommanda au roi de ne se
faire accompagner de personne de sa cour et de n'avoir d'autre cortége que le
département et une double haie de grenadiers nationaux. Les ministres
réclamèrent pour eux le droit de ne pas se séparer du chef du pouvoir
exécutif. La reine implora la même faveur pour la princesse de Lamballe et
pour madame de Tourzel, la gouvernante de ses enfants. Le département y
consentit. Rœderer s'avançant alors sur la porte du cabinet du roi et élevant
la voix : « Le roi et sa famille se rendent à l'Assemblée seuls, sans autre
cortége que le département et les ministres, ouvrez-leur passage, » cria-t-il
à la foule des spectateurs. II. La
nouvelle du départ du roi se répandit, en un instant, dans tout le palais.
L'heure suprême de la monarchie n'aurait pas sonné plus foudroyante et plus
sinistré à l'oreille de ses défenseurs. Le respect seul contint l'indignation
et la douleur dans l'âme des gardes suisses et des gentilshommes dont on
refusait le bras et le sang. Des larmes de honte roulaient dans leurs yeux.
Quelques-uns arrachèrent de leur poitrine la croix de Saint-Louis et
brisèrent leurs épées sous leurs pieds. Pendant
que M. de Lachesnaye faisait avancer l'escorte du roi pour former la haie
autour de sa personne, le roi s'arrêta quelques minutes dans son cabinet,
parcourut lentement le cercle formé par les personnes de son intimité et leur
annonça sa résolution. La reine, assise et immobile, cachait son visage dans
le sein de la princesse de Lamballe. La garde arriva. Le cortége défila en
silence à travers une foule de visages consternés. Les yeux n'osaient
rencontrer les yeux. En traversant la salle appelée l'Œil-de-Bœuf, le roi
prit sans rien dire le chapeau du garde national qui marchait à sa droite, et
mit sur la tête de ce grenadier son chapeau orné d'un plumet blanc. Le garde
national étonné ôta respectueusement de son front le chapeau du roi, le plaça
sous son bras et marcha tête nue. Nul n'a su la pensée du roi en faisant cet
échange. Se souvenait-il du bonnet rouge qui, posé sur sa tête, avait flatté
le peuple au 20 juin, et voulait-il se populariser devant la garde nationale
en se revêtant d'une partie de l'uniforme de l'armée civique ? Nul n'osa
l'interroger sur ce geste ; mais on ne peut l'attribuer à la peur dans un
prince si impassible devant l'outrage et si serein devant la mort. Au
moment de quitter le péristyle et de faire le dernier pas hors du seuil de
son palais, le roi s'adressant au procureur-syndic qui marchait devant lui :
« Mais que vont devenir, dit-il, nos amis qui sont restés
là-haut ? » Rœderer rassura le prince sur leur sort en disant au
roi que rien ne s'opposait à la sortie de ceux qui étaient sans armes et sans
uniforme, assertion involontairement trompeuse que l'heure et la mort
allaient démentir. Enfin, sur les degrés mêmes qui descendent du vestibule au
jardin, Louis XVI eut encore comme un dernier avertissement de sa destinée et
un dernier remords de son abdication volontaire. Il se retourna du côté des
cours, jeta un regard par-dessus les têtes de ceux qui le suivaient,
suspendit sa marche, et dit aux membres du département : « Mais il n'y a
pourtant pas grande foule au Carrousel ? » On lui répéta les
assertions de Rœderer. Il parut les écouter sans y croire et fit enfin le
dernier pas hors du seuil, comme un homme fatigué de contredire et qui cède
plutôt à la lassitude et à la fatalité qu'à la conviction. III. Le roi
traversa le jardin sans obstacle entre deux haies de baïonnettes qui
marchaient du même pas que lui. Le département et des officiers municipaux
marchaient en tête. La reine, madame Élisabeth et les enfants fermaient la
marche. Le vaste espace du jardin qui s'étend d'une terrasse à l'autre, était
désert ; l'heure matinale et les consignes des troupes ne laissaient
apercevoir personne, même sur la terrasse des Feuillants ordinairement livrée
au peuple. Les parterres, les fleurs, les statues, les gazons brillaient, de
l'éclat d'une aube d'été. Un soleil brûlant se réverbérait sur le sable. Le
ciel était pur, l'air sans mouvement. Cette fuite ressemblait à la promenade
de Louis XIV à travers ces jardins. Rien n'en troublait le silence que le pas
mesuré des colonnes et le chant des oiseaux dans les branches. La nature
semblait ne rien savoir de ce qui se passait dans le cœur des hommes ce
jour-là. Elle faisait briller ce deuil comme elle aurait souri à une fête.
Seulement les précoces chaleurs de cette année avaient jauni déjà les
marronniers des Tuileries. Quand le cortége entra sous les arbres, les pieds
s'enfonçaient dans les amas de feuilles tombées pendant la nuit et que les
jardiniers venaient de rassembler en tas pour les balayer pendant le jour. Le
roi s'en aperçut, soit par insouciance affectée d'esprit, soit par une triste
allusion à son sort. « Voilà bien des feuilles, dit-il, elles tombent de
bonne heure cette année. » Manuel avait écrit quelques jours avant dans un
journal que la royauté n'irait que jusqu'à la chute des feuilles. Le prince
royal, qui marchait à côté de madame de Tourzel, s'amusait à amonceler ces
feuilles mortes avec ses pieds et à les rouler sur le passage de sa sœur.
Enfance qui jouait sur le chemin de la mort ! Le
président du département se détacha en cet endroit du cortége pour aller
prévenir l'Assemblée de l'arrivée du roi et des motifs de sa retraite. La
lenteur de la marche donna le temps à une députation de l'Assemblée de venir
dans le jardin avant que le cortège eût achevé de le traverser. « Sire, dit
l'orateur de la députation, l'Assemblée, empressée de concourir à votre
sûreté, vous offre à vous et à votre famille asile dans son sein. » Les
représentants se mêlèrent au cortége et entourèrent le roi. La
marche des colonnes à travers le jardin aperçue du café Hottot, des fenêtres
du Manège, l'approche du roi répandue dans les groupes qui assiégeaient
l'Assemblée avaient tout à coup amoncelé la foule sur le point de la terrasse
des Feuillants qu'il fallait traverser pour passer du jardin dans l'enceinte
de l'Assemblée. Arrivé au pied de l'escalier qui monte de la grande allée sur
cette terrasse, une masse compacte d'hommes et de femmes criant et
gesticulant avec rage refusèrent passage à la famille royale. — « Non, non,
non, ils ne viendront pas tromper une fois de plus la nation ! il faut que
cela finisse ! ils sont cause de tous nos malheurs ! à bas le Veto ! à bas
l'Autrichienne ! la déchéance ou la mort ! » Les attitudes injurieuses, les
gestes menaçants accompagnaient ces paroles. Un homme colossal, en habit de
sapeur, nommé Rocher, chef ordinaire des tumultes dans la cour du Manège, se
signalait dans cette foule par la violence de ses vociférations et par la
frénésie de ses insultes. Derrière lui des figures moins égarées mais plus
sinistres échauffaient encore la fureur du rassemblement . Rocher tenait à la
main une longue perche qu'il dardait d'en haut sur le cortége royal et avec
laquelle il s'efforçait ou de repousser ou d'atteindre le roi. On harangua
cette foule. Les députés attestèrent qu'un décret de l'Assemblée appelait le
roi et sa famille dans son sein. La résistance fléchit. Rocher se laissa
désarmer de sa pique par le procureur-syndic, qui jeta l'arme dans le jardin.
L'escorte, autorisée par un second décret à pénétrer sur le sol du pouvoir
législatif, forma une double haie sur la terrasse. Le roi parvint ainsi
jusqu'à l'entrée du passage qui conduisait de la terrasse à l'Assemblée. Quelques
hommes de la garde du corps législatif le reçurent là et marchèrent à côté de
lui. — « Sire, lui dit un de ces hommes à l'accent méridional, n'ayez pas
peur, le peuple est bon ! mais il ne veut pas qu'on le trahisse plus
longtemps. Soyez un bon citoyen, sire, et chassez de votre palais vos prêtres
et votre femme ! » Le roi répondit sans colère à cet homme. La foule
engorgeait le couloir étroit et sombre. Un mouvement tumultueux et
irrésistible sépara un moment la reine et ses enfants du roi, qui les
précédait. La mère tremblait pour son fils. Ce même sapeur qui venait de se
répandre en invectives et en menaces de mort contre la reine, adouci tout à
coup par ces angoisses de femme, prend l'enfant, qu'elle menait par la main ;
il l'élève dans ses bras au-dessus de la foule, le porte devant elle, lui
fait jour avec ses coudes, entre dans la salle sur les pas du roi et dépose,
aux applaudissements de la tribune, le prince royal sur le bureau de
l'Assemblée. IV. Le roi,
sa famille, les deux ministres se dirigèrent vers les sièges destinés aux
ministres, et y prirent place à côté du président. Vergniaud présidait. Le
roi dit : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime. J'ai pensé que je ne
pouvais être plus en sûreté qu'au milieu de vous. — Vous pouvez compter,
sire, répondit Vergniaud, sur la fermeté de l'Assemblée nationale ; ses
membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités
constituées. » Le roi s'assit. L'Assemblée était peu nombreuse, un silence de
stupeur régnait dans la salle ; les physionomies étaient mornes ; les
regards, respectueux et attendris, se portaient involontairement sur le roi,
sur la reine, sur madame Elisabeth, sur la jeune princesse, déjà dans tout
l'éclat de son adolescence ; sur cet enfant que la reine tenait par la main
et dont elle essuyait le front. La
haine s'amortissait devant ce sentiment des vicissitudes soudaines qui
venaient d'arracher ce roi, ce père, ces enfants, ces femmes à leur demeure
sans savoir s'ils y rentreraient jamais ! Jamais le sort ne donna plus de
douleurs secrètes en spectacle. C'étaient les angoisses du cœur humain à nu.
Le roi les voilait d'impassibilité, la reine de dignité, madame Élisabeth de
piété, la jeune fille de larmes, le Dauphin d'insouciance. Le public
n'apercevait rien d'indigne du rang, du sexe, de l'âge, du moment. La fortune
semblait avoir trouvé des âmes égales à ses coups. V. La
délibération commença. Un membre se leva et fit observer que la constitution
interdisait de délibérer devant le roi. « C'est juste, » dit en inclinant le
front Louis XVI. Pour
obéir à ce scrupule ironique de la constitution au moment où la constitution
n'existait plus, on décréta que le roi et sa famille seraient placés dans une
tribune de journalistes, qu'on appelait la tribune du logographe. Cette
loge de dix pieds carrés, derrière le président, était de niveau avec les
rangs élevés de l'Assemblée. Elle n'était séparée de la salle que par une
grille en fer scellée dans le mur. On y conduisit le roi. Les jeunes
secrétaires qui notaient les discours pour reproduire littéralement les
séances, se rangèrent un peu pour prêter place à la famille de Louis XVI. Le
roi s'assit sur le devant de la loge ; la reine, dans un angle, pour voiler
son visage par l'ombre d'un enfoncement ; madame Elisabeth, les enfants, leur
gouvernante, sur une banquette de paille adossée au mur nu ; dans le fond de
la loge, les deux ministres, quelques officiers de la maison du roi, le duc
de Choiseul, Carl, commandant de la gendarmerie à cheval, M. de Sainte-Croix,
M. Dubouchage, le prince de Poix. MM. de Vioménil, de Montmorin, d'Hervilly,
de Briges, courtisans de la dernière heure, se tinrent debout près de la
porte. Un poste de grenadiers de la garde de l'Assemblée avec quelques
officiers supérieurs de l'escorte du roi remplissait le couloir et
interceptait l'air. La chaleur était étouffante. La sueur ruisselait du front
de Louis XVI et des enfants. L'Assemblée et les tribunes, qui s'encombraient
de minute en minute, exhalaient l'haleine d'une fournaise dans cette étroite
embouchure. L'agitation de la salle, les motions des orateurs, les pétitions
des sectionnaires, le bruit des conversations entre les députés y montaient
du dedans. Les tumultes du peuple qui pressait les murs, les assauts donnés
aux portes pour forcer les consignes, les vociférations des rassemblements,
les cris des sicaires qui commençaient à égorger dans la cour du Manège, les
supplications des victimes, les coups qui assénaient la mort, les corps qui
tombaient, tous ces bruits y pénétraient du dehors. A peine
le roi était-il dans cet asile, qu'un redoublement de clameur extérieure fit
craindre que les portes ne cédassent et que le peuple ne vînt immoler le roi
sans retraite dans ce cachot. Vergniaud donna l'ordre d'arracher la grille de
fer qui séparait la loge de la salle, pour que Louis XVI pût se réfugier au
milieu des députés si une invasion du peuple avait lieu par les couloirs. A
défaut d'ouvriers et d'outils, quelques députés les plus rapprochés du roi,
ainsi que MM. de Choiseul, le prince de Poix, les ministres, le roi lui-même,
accoutumé à se servir de son bras pour ses rudes travaux de serrurerie,
réunirent leurs efforts et arrachèrent le grillage de ses scellements. Grâce
à cette précaution, il restait encore un dernier rempart au roi contre le fer
du peuple. Mais aussi la majesté royale était à découvert devant les ennemis
qu'elle avait dans la salle. Les dialogues dont il était l'objet parvenaient
sans obstacle à ses oreilles. Le roi et la reine voyaient et entendaient
tout. Spectateurs et victimes à la fois, ils assistèrent de la pendant
quatorze heures à leur propre dégradation. Dans la
loge même du logographe un homme jeune alors, signalé depuis par ses
services, M. David, consul-général et député, notait respectueusement pour
l'histoire l'attitude, la physionomie, les gestes, les larmes, la couleur, la
respiration et jusqu'aux palpitations involontaires des muscles du visage que
les émotions de ces longues heures imprimaient aux traits de la famille
royale. Le roi
était calme, serein, désintéressé de l'événement comme s'il eût assisté à un
drame dont un autre eût été l'acteur. Sa forte nature lui faisait sentir les
appétits du corps et le besoin pressant de nourriture, même sous les émotions
de son âme. Rien ne suspendait sa puissante vie. L'agitation même de son
esprit aiguillonnait ses sens. Il eut faim à l'heure accoutumée de son
premier repas. On lui apporta du pain, du vin, des viandes froides ; il
mangea, il but, il dépeça sa volaille avec autant de calme qu'il eût fait à
un rendez-vous de chasse après une longue course à cheval dans les bois de
Versailles. L'homme physique prévalait en lui sur l'homme sensible. La
reine, qui savait que les calomnies populaires traduisaient les forts besoins
de nourriture du roi, en grossière sensualité et même en ivrognerie,
souffrait intérieurement de le voir manger dans un pareil moment. Elle refusa
tout, le reste de la famille l'imita. Elle ne parlait pas ; ses lèvres
étaient serrées, ses yeux ardents, secs, ses joues enflammées de la rougeur
de la colère et de l'humiliation ; sa contenance triste, abattue mais
toujours ferme ; ses bras affaissés, reposant sur ses genoux comme s'ils eussent
été liés : le visage, l'expression, l'attitude d'un héros désarmé qui ne peut
plus combattre, mais qui se révolte encore contre la fortune. Madame
Elisabeth, debout derrière son frère et le couvant des yeux, ressemblait au
génie surhumain de cette maison. Elle ne participait aux scènes qui
l'environnaient que par l'âme du roi, de la reine et des enfants. La douleur
n'était sur son visage qu'un contre-coup qu'elle ne sentait que dans les
autres. Elle levait souvent les yeux au plafond. On la voyait prier
intérieurement. Madame
Royale avait de grosses larmes que la chaleur séchait sur ses joues. Le jeune
Dauphin regardait dans la salle et demandait à son père les noms des députés.
Louis XVI les lui désignait sans qu'on pût apercevoir dans ses traits ou
reconnaître an son de sa voix s'il nommait un ami ou un ennemi. Il adressait
quelquefois la parole à ceux qui passaient devant sa loge en se rendant à
leur banc. Les uns s'inclinaient avec l'expression d'un douloureux respect ;
les autres détournaient la tête et affectaient de ne pas le voir. Aucun ne
l'insulta. La catastrophe apaisait l'irritation ; la générosité ajournait
l'outrage. Un seul fut dur : ce fut le peintre David. Le roi l'ayant reconnu
dans le nombre de ceux qui se pressaient, pour le contempler, dans le couloir
à la porte du logographe, lui demanda s'il aurait bientôt fini son portrait ?
— « Je ne ferai désormais le portrait d'un tyran, répondit David, que quand
sa tête posera devant moi sur un échafaud. » Le roi baissa les yeux et dévora
l'insulte. David se trompait d'heure. Un roi détrôné n'est plus qu'un homme ;
un mot courageux devant la tyrannie devient lâche devant l'adversité. VI. Pendant
que la salle se remplissait et restait dans cette attente agitée mais
inactive qui précède les grandes résolutions, le peuple, qu'aucune force
armée ne contenait du côté de la rue Saint-Honoré, avait fait irruption dans
la cour des Feuillants jusqu'au seuil même de l'Assemblée. Il demandait à
grands cris qu'on lui livrât vingt-deux prisonniers royalistes, arrêtés
pendant la nuit, aux Champs-Elysées, par la garde nationale. Ces
prisonniers étaient accusés d'avoir fait partie de patrouilles secrètes,
répandues dans les différents quartiers par la cour pour examiner les
dispositions du peuple et pour diriger les coups des satellites du château.
Les uniformes de ces prisonniers, leurs armes, les cartes d'entrée aux
Tuileries saisies sur eux, prouvaient en effet que c'étaient des gardes
nationaux, des volontaires dévoués au roi, envoyés aux environs du château
pour éclairer la défense. A mesure qu'on les avait arrêtés, on les avait
jetés dans le poste de la garde nationale élevé dans la cour des Feuillants.
A huit heures, on y amena un jeune homme de trente ans en costume de garde
national. Sa figure fière, irritée, l'élégance martiale de son costume,
l'éclat de ses armes et le nom de Suleau, odieux au peuple, nom que quelques
hommes murmuraient en le voyant passer, avaient attiré les regards sur lui. C'était
en effet Suleau, un de ces jeunes écrivains royalistes qui, comme André
Chénier, Roucher, Mallet-Dupan, Serizy et plusieurs autres, avaient embrassé
le dogme de la monarchie au moment où il semblait répudié par tout le monde,
et qui, séduits par le danger même de leur rôle, prenaient la générosité de
leur caractère pour une conviction de leur esprit. La liberté de la presse
était l'arme défensive qu'ils avaient reçue des mains de la constitution et
dont ils se servaient avec courage contre les excès de la liberté. Mais les
révolutions ne veulent d'arme que dans la main de leurs amis. Suleau avait
harcelé les partis populaires, tantôt par des pamphlets sanglants contre le
duc d'Orléans, tantôt par des sarcasmes spirituels contre les Jacobins ; il
avait raillé cette toute-puissance du peuple, qui n'a pas de longues
rancunes, mais qui n'a pas non plus de pitié dans ses vengeances. La
populace haïssait Suleau comme toute tyrannie hait son Tacite. Le jeune
écrivain montra en vain un ordre des commissaires municipaux qui l'appelait
au château. On le jeta avec les autres dans le corps-de-garde. Son nom avait
grossi et envenimé l'attroupement. On demandait sa tête. Un commissaire,
monté sur un tréteau, harangue la foule et veut suspendre le crime en
promettant justice. Théroigne de Méricourt, en habit d'amazone et le sabre nu
à la main, précipite le commissaire du haut de la tribune et l'y remplace.
Elle allume par ses paroles la soif du sang dans le peuple, qui l'applaudit ;
elle fait nommer par acclamation des commissaires, qui montent avec elle au
comité de la section pour arracher les victimes à la lenteur des lois. Le
président de la section, Bonjour, premier commis de la marine, ambitieux du
ministère, défend à la garde nationale de résister aux volontés du peuple.
Deux cents hommes armés obéissent à cet ordre et livrent les prisonniers.
Onze d'entre eux s'évadent par une fenêtre de derrière. Les onze autres sont
bloqués dans le poste. On vient les appeler un à un pour les immoler dans la
cour. Quelques gardes nationaux, plus humains ou moins lâches, veulent,
malgré l'ordre de Bonjour, les disputer aux assassins. — « Non, non, dit Suleau,
laissez-moi aller au-devant des meurtriers ! Je vois bien qu'aujourd'hui le
peuple veut du sang. Peut-être une seule victime lui suffira-t-elle ? Je
payerai pour tous ! » Il allait se précipiter par la fenêtre. On le retint. VII. L'abbé
Bougon fut saisi avant lui. C'était un auteur dramatique. Homme à la taille
colossale et aux bras de fer, l'abbé Bougon lutta avec l'énergie du désespoir
contre les égorgeurs. Il en entraîna plusieurs dans sa chute. Accablé par le
nombre, il fut mis en pièces. M. de
Solminiac, ancien garde du roi, périt le second, puis deux autres. Ceux qui
attendaient leur sort dans le corps-de-garde entendaient les cris et les
luttes de leurs compagnons. Ils mouraient dix fois. On appela Suleau. On
l'avait dépouillé au poste de son bonnet de grenadier, de son sabre et de sa
giberne. Ses bras étaient libres. Une femme l'indiquant à Théroigne de
Méricourt, qui ne le connaissait pas de visage, mais qui le haïssait de
renommée et qui brûlait de tirer vengeance des risées auxquelles elle avait
été livrée par sa plume, Théroigne le saisit par le collet et l'entraîne.
Suleau se dégage. Il arrache un sabre des mains d'un égorgeur, il s'ouvre un
passage vers la rue, il va s'échapper. On court, on le saisit par derrière,
on le renverse, on le désarme, on lui plonge la pointe de vingt sabres dans
le corps ; il expire sous les pieds de Théroigne. On lui coupe la tête, on la
promène dans la rue Saint-Honoré. Le soir
un serviteur de Suleau racheta à prix d'or cette tête des mains d'un des
meurtriers, qui en avait fait un trophée. Le fidèle domestique rechercha le
cadavre et rendit ces restes défigurés à la jeune épouse de Suleau, mariée
seulement depuis deux mois, fille du peintre Hall, célèbre par sa beauté, et
qui portait dans son sein le fruit de cette union. Pendant
la lutte de Suleau avec ses assassins, deux des victimes soustraites à
l'attention du peuple parvinrent encore à s'évader. Une seule restait,
c'était le jeune du Vigier, garde du corps du roi. La nature semblait avoir
accompli en lui le type de la forme humaine. Sa beauté, admirée des
statuaires, était devenue un surnom ; elle arrêtait la foule, dans les lieux
publics. Aussi brave que beau, aussi adroit que fort, il employa pour
défendre sa vie tout ce que l'élévation de la taille, la souplesse des muscles,
l'aplomb du corps ou la vigueur des bras pouvaient prêter de prodige au
lutteur antique. Seul et désarmé contre soixante, cerné, abattu, relevé tour
à tour, il sema son sang sur toutes les dalles, il lassa plusieurs fois les
meurtriers, il fit durer sa défense désespérée plus d'un quart d'heure. Deux
fois sauvé, deux fois ressaisi, il ne tomba que de lassitude et ne périt que
sous le nombre. Sa tête fut le trophée d'un combat. On l'admirait encore au
bout de la pique où ses sicaires l'avaient arborée. Tel fut le premier sang
de la journée : il ne fit qu'altérer le peuple. VIII. Le
départ du roi avait laissé le château dans l'incertitude et dans le trouble.
Une trêve tacite semblait s'être établie d'elle-même entre les défenseurs et
les assaillants. Le champ de bataille était transporté des Tuileries à
l'Assemblée. C'était là que la monarchie allait se relever ou s'écrouler. La
conquête ou la défense d'un palais vide ne devait conter qu'un sang inutile.
Les avant-postes des deux partis le comprenaient. Cependant, d'un côté
l'impulsion donnée de si loin à une masse immense de peuple ne pouvait guère
revenir sur elle-même à la seule annonce de la retraite du roi à l'Assemblée
; et de l'autre les forces militaires que le roi avait laissées sans les
licencier dans les Tuileries, ne pouvaient, à moins d'ordres contraires,
livrer la demeure royale et rendre les armes à l'insurrection. Un
commandement clair et précis du roi pouvait prévenir ce choc en autorisant
une capitulation. Mais ce prince, en abandonnant les Tuileries, n'avait pas
abdiqué tout espoir d'y rentrer : « Nous reviendrons bientôt, » avait dit la
reine à ses femmes qui l'attendaient dans ses appartements. La famille royale
ne voyait dans les événements de la nuit que les préparatifs d'un second 20
juin. Elle ne s'était rendue à l'Assemblée que pour sommer par sa démarche le
corps législatif de la défendre, pour se décharger de la responsabilité du
combat, et pour passer loin des périls extrêmes des heures d'anxiété. Le
maréchal de Mailly, à qui le commandement des forces du château était confié
par le roi, avait ordre d'empêcher par la force la violation du domicile
royal. Deux
espérances vagues restaient donc encore au fond des pensées du roi et de la
reine pendant ces premières perplexités de la journée. La première, c'était
que la majorité de l'Assemblée, touchée de l'abaissement de la royauté, et
fière de lui donner asile, aurait assez de générosité et assez d'empire sur
le peuple pour ramener le roi dans son palais et pour venger en lui le
pouvoir exécutif. La seconde, c'est que le peuple et les Marseillais,
engageant le combat aux portes du château, seraient foudroyés par les Suisses
et par les bataillons de la garde nationale, et que cette victoire gagnée aux
Tuileries dégagerait le roi de l'Assemblée. Si telle n'eût pas été
l'espérance du roi et de ses conseillers, était-il croyable que ce prince eût
laissé écouler tant de longues heures, depuis sept heures jusqu'à dix heures
de la matinée, sans envoyer à ses défenseurs, par un des ministres ou par un
des nombreux officiers-généraux qui l'entouraient, l'ordre de capituler et de
se replier en assurant seulement la sûreté de tant de vies compromises par
son silence ? Il attendait donc un événement quelconque, soit au dedans, soit
au dehors. Son seul tort était de ne pas le diriger. Même après avoir mis sa
femme, sa sœur, ses enfants sous la protection de l'Assemblée, il pouvait
regagner le palais avec son escorte, rallier ses défenseurs et recevoir
l'assaut. Vainqueur, il ressaisissait le prestige de la victoire ; vaincu, il
ne tombait pas plus bas dans l'infortune et il tombait en roi. IX. Le
château, dépourvu d'une partie de ses forces militaires et de toute sa force
morale par l'absence du roi et de son escorte, ressemblait plus en ce moment
à un lieu public peuplé d'une foule confuse qu'à un quartier-général. Nul n'y
donnait d'ordres, nul n'en recevait ; tout flottait au hasard. Parmi les
Suisses et les gentilshommes, les uns parlaient d'aller rejoindre le roi à
l'Assemblée et de mourir en le défendant malgré lui ; les autres, de former
une colonne d'attaque, de balayer le Carrousel, d'enlever la famille royale
et de la conduire, à l'abri de deux ou trois mille baïonnettes, à Rambouillet
et de là à l'armée de La Fayette. Ce dernier parti offrait des chances de
salut. Mais tout le monde était capable de proposer, personne de résoudre.
L'heure dévorait ces vains conseils. Les forces diminuaient. Deux cents
Suisses, avec M. Bachmann et l'état-major, et trois cents gardes nationaux
des plus résolus avaient suivi le roi à l'Assemblée et restaient à ses ordres
aux portes du Manège. Il ne restait donc dans l'intérieur des Tuileries que
sept cents Suisses, deux cents gentilshommes mal armés et une centaine de
gardes nationaux, en tout environ mille combattants disséminés dans une
multitude de postes ; dans le jardin et dans les cours quelques bataillons
débandés et des canons prêts à se tourner contre le palais. Mais l'intrépide
attitude des Suisses et les murailles seules de ce palais, qu'on avait si
souvent dépeint comme le foyer des conspirations et l'arsenal du despotisme,
imprimaient au peuple une terreur qui ralentissait l'investissement. X. A neuf
heures dix minutes, les portes de la cour Royale furent enfoncées sans que la
garde nationale fît aucune démonstration pour les défendre. Quelques groupes
du peuple pénétrèrent dans la cour, mais sans approcher du château. On
s'observait, on échangeait de loin des paroles qui n'avaient rien de la
menace ; on semblait attendre d'un commun accord ce que l'Assemblée
déciderait du roi. Les colonnes du faubourg Saint-Antoine n'étaient pas
encore au Carrousel. Aussitôt qu'elles commencèrent à déboucher du quai sur
cette place, Westermann ordonna aux Marseillais de le suivre. Il entra le
premier, à cheval, le pistolet à la main dans la cour. Il forma sa troupe
lentement et militairement en face du château. Les canonniers, passant
aussitôt à Westermann, retirèrent les six pièces de canon qui étaient de
chaque côté de la cour et les braquèrent contre la porte du palais. Le peuple
répondit à cette manœuvre par des acclamations de joie. On embrassait les
canonniers ; on criait : « A bas les Suisses ! Il faut que les Suisses
rendent les armes au peuple ! » Mais
les Suisses, impassibles aux portes et aux fenêtres du château, entendaient
ces cris, voyaient ces gestes sans donner aucun signe d'émotion. La
discipline et l'honneur semblaient pétrifier ces soldats. Leurs sentinelles
en faction sous la voûte du péristyle passaient et repassaient à pas mesurés,
comme si elles eussent monté leur garde dans les cours désertes et
silencieuses de Versailles. Chaque fois que cette promenade alternative du
soldat en faction ramenait les factionnaires du côté des cours et en vue du
peuple, la foule intimidée se repliait sur les Marseillais ; elle revenait
ensuite vers le château quand les Suisses disparaissaient sous le vestibule.
Cependant cette multitude s'aguerrissait peu à peu et se rapprochait toujours
davantage. Une cinquantaine d'hommes des faubourgs et de fédérés finirent par
s'avancer jusqu'au pied du grand escalier. Les Suisses replièrent leur poste
sur le palier et sur les marches séparées du péristyle par une barrière en
bois. Ils laissèrent seulement un factionnaire en dehors de cette barrière.
Le factionnaire avait ordre de ne pas faire feu quelle que fût l'insulte. Sa
patience devait tout subir. Le sang ne devait pas couler d'un hasard. Cette
longanimité des Suisses encouragea les assaillants. Le combat commença par un
jeu : le rire préluda a la mort. Des hommes du peuple, armés de longues
hallebardes à lames recourbées, s'approchèrent du factionnaire,
l'accrochèrent par son uniforme ou par son ceinturon avec le crochet de leur
pique, et, l'attirant de force à eux aux bruyants éclats de joie de la foule,
le désarmèrent et le firent prisonnier. Cinq fois les Suisses renouvelèrent
leur sentinelle. Cinq fois le peuple s'en empara ainsi. Les bruyantes
acclamations des vainqueurs et la vue de ces cinq Suisses désarmés
encourageant la foule qui hésitait jusque-là au milieu de la cour, elle se
précipita en masse avec de grands cris sous la voûte ; la, quelques hommes
féroces arrachant les Suisses des mains des premiers assaillants, assommèrent
ces soldats désarmés à coups de massue en présence de leurs camarades. Un
premier coup de feu partit au même moment de la cour ou d'une fenêtre, les
uns disent du fusil d'un Suisse, les autres du pistolet d'un Marseillais. Ce
coup de feu fut le signal de l'engagement. XI. A cette
explosion le capitaine Turler et M. de Castelberg, qui commandaient le poste,
rangent leurs soldats en bataille derrière la barrière, les uns sur les
marchés de l'escalier, les autres sur le perron de la chapelle qui domine ces
marches, le reste sur la double rampe de l'escalier à deux branches qui part
du perron de la chapelle pour monter à la salle des Gardes ; position
formidable, qui permet à cinq feux de se croiser et de foudroyer le
vestibule. Le peuple refoulé par le peuple ne peut l'évacuer. La première
décharge des Suisses couvre de morts et de blessés les dalles du péristyle.
La balle d'un soldat choisit et frappe un homme d'une taille gigantesque et
d'une grosseur énorme qui venait d'assommer à lui seul quatre des
factionnaires désarmés. L'assassin tombe sur le corps de ses victimes. La
foule épouvantée fuit en désordre jusqu'au Carrousel. Quelques coups de fusil
partis des fenêtres atteignent le peuple jusque sur la place. Le canon du
Carrousel répond à cette décharge, mais ses boulets mal dirigés vont frapper
les toits. La cour Royale se vide et reste jonchée de fusils, de piques, de
bonnets de grenadiers. Les fuyards se glissent et rampent le long des
murailles à l'abri des guérites des sentinelles à cheval. Quelques-uns se
couchent à terre et contrefont les morts. Les canonniers abandonnent leurs
pièces et sont entraînés eux-mêmes dans la panique générale. A cet
aspect, les Suisses descendent en masse du grand escalier et se divisent en
deux colonnes : Lune, commandée par M. de Salis, sort par la porte du jardin
pour aller s'emparer de trois pièces de canon qui étaient à la porte du Manège
et les ramener au château ; l'autre, au nombre de cent vingt hommes et de
quelques gardes nationaux, sous les ordres du capitaine Turler, débouche par
la cour Royale en passant sur les cadavres de leurs camarades égorgés. La
seule apparition des soldats balaie la cour. Ils s'emparent des trois pièces
de canon abandonnées, ils les ramènent sous la voûte du vestibule ; mais ils
n'ont ni munitions, ni mèches pour s'en servir. Le
capitaine Turler, voyant la cour évacuée, pénètre lui-même dans le Carrousel
par la porte Royale, s'y forme en bataillon carré et fait un feu roulant des
trois fronts de sa troupe sur les trois parties de la place. Le peuple, les
fédérés, les Marseillais se replient sur les quais, sur les rues et impriment
un mouvement de reflux et de terreur qui se communique jusqu'à
l'Hôtel-de-Ville et jusqu'aux boulevards. Pendant que ces deux colonnes
parcouraient le Carrousel, quatre-vingts Suisses, une centaine de gentilshommes
volontaires et trente gardes nationaux, se formant spontanément en colonne
dans une autre aile du château, descendaient par l'escalier du pavillon de
Flore et volaient au secours de leurs camarades. En traversant la cour des
Princes pour se rendre au bruit de la fusillade dans la cour Royale, une
décharge de canons à mitraille, partie de la porte des Princes en renverse un
grand nombre et foudroie les murs et les fenêtres des appartements de la
reine. Réduite à cent cinquante combattants, cette colonne se détourne,
marche au pas de course sur les canons, les reprend, entre au Carrousel,
éteint le feu des Marseillais et revient dans les Tuileries par la porte
Royale. Les deux corps ramènent les canons, et, rapportant leurs blessés sous
le vestibule, ils rentrent au château. XII. Les
Suisses écartent les cadavres qui jonchaient le pavé du péristyle pour faire
place à leurs blessés. Ils les couchent sur des chaises et sur des
banquettes. Les marches et les colonnes ruissellent de sang. De son côté, M.
de Salis ramenait par le jardin les deux pièces de canon qu'il était allé
reprendre à la porte du Manège. Ses soldats, foudroyés en allant et en
revenant par le feu croisé des bataillons de garde nationale qui occupaient
la terrasse du bord de l'eau et celle des Feuillants, avaient laissé trente
hommes, sur cent, morts ou mourants dans le trajet. Ils
n'avaient pas riposté par un seul coup de fusil à cette fusillade inattendue
de la garde nationale. La discipline avait vaincu en eux l'instinct de leur
propre conservation. Leur consigne était de mourir pour le roi, et ils
mouraient sans tirer sur un uniforme français. Si, au
moment de cette évacuation soudaine des Tuileries et du Carrousel par l'effet
de la sortie des Suisses, ces soldats étrangers eussent été secondés par
quelques corps de cavalerie, l'insurrection, refoulée et coupée de toutes
parts, livrait le champ de bataille aux défenseurs du roi. Les neuf cents
hommes de gendarmerie postés depuis la veille dans la cour du Louvre, sur la
place du Palais-Royal, aux Champs-Elysées et à l'entrée du Pont-Royal du côté
de la rue du Bac, étaient plus que suffisants pour jeter le désordre dans ces
masses confuses et désarmées du peuple. Mais ce corps, sur lequel on comptait
le plus au château, s'abandonna lui-même et faiblit sous la main de ses
commandants. Déjà, depuis l'arrivée des Marseillais au Carrousel, les cinq cents
gendarmes de la cour du Louvre donnaient tous les signes de
l'insubordination. Ils répondaient aux incitations des bandes armées qui
passaient sur les quais, en élevant leurs chapeaux en l'air et en criant Vive
la nation ! Au premier coup de canon qui retentit dans le Carrousel, ils
remontèrent précipitamment à cheval et se crurent parqués dans cette enceinte
pour la boucherie. Le maréchal de Mailly leur envoya l'ordre de sortir en
escadrons par la porte de la Colonnade, de couper l'armée de San terre par
une charge sur le quai, de se diviser ensuite en deux corps dont l'un
refoulerait le peuple vers le faubourg Saint-Antoine et l'autre vers les
Champs-Elysées. Là un autre escadron de gendarmerie, en bataille sur la place
Louis XV avec du canon, chargerait ces masses et les jetterait dans le
fleuve. M. de Rulhières, qui commandait cette gendarmerie, ayant rassemblé
ses officiers pour leur communiquer cet ordre, ils répondirent tous que leurs
soldats les abandonneraient et que pour conserver une apparence d'empire sur
eux et prévenir une défection éclatante il fallait les éloigner du champ de
bataille et les porter sur un autre point. « Lâches que vous êtes ! s'écria
un de ces officiers indigné a en s'adressant à ses cavaliers, si vous ne
voulez que courir, allez aux Champs-Elysées, il y a de a place. » Au moment
de ce flottement des esprits, la foule des fuyards, qui s'échappait du
Carrousel sous le feu des Suisses, faisait irruption dans la cour du Louvre,
se jetait dans les rangs, entre les jambes des chevaux, en criant : « On
massacre nos frères ! » A ces cris, la gendarmerie se débanda, prit par
pelotons la porte qui conduit à la rue du Coq et se sauva au galop par toutes
les rues voisines du Palais-Royal. XIII. Les
Suisses étaient vainqueurs, les cours vides, les canons repris, le silence
régnait autour des Tuileries. Les Suisses rechargèrent leurs armes et
reformèrent leurs rangs à la voix de leurs officiers. Les gentilshommes
entourant le maréchal de Mailly le conjuraient de former une colonne
d'attaque de toutes les forces disponibles qui restaient au château, de se
porter au Manège avec du canon, d'y rallier les cinq cents hommes de
l'escorte du roi encore en bataille sur la terrasse des Feuillants, d'appeler
les deux cents Suisses laissés à la caserne de Courbevoie, et de sortir de
Paris avec la famille royale enfermée dans cette colonne de feu. Les
serviteurs du roi, les femmes de la reine, la princesse de Lamballe, se
pressant à toutes les fenêtres du château, avaient l'âme et les regards fixés
sur la porte du Manège, croyant à chaque instant voir le cortége royal en
sortir pour venir achever et utiliser la victoire des Suisses. Vain espoir !
cette victoire sans résultat n'était qu'un de ces courts intervalles que les
catastrophes inévitables laissent aux victimes, non pour triompher, mais pour
respirer. XIV. Les
coups de canon des Marseillais et les décharges des Suisses, en venant
ébranler inopinément les voûtes du Manège, avaient eu des contre-coups bien
différents dans le cœur des hommes dont la destinée, les idées, le trône, la
vie se décidaient à quelques pas de cette enceinte dans ce combat invisible.
Le roi, la reine, madame Elisabeth, le petit nombre d'amis dévoués enfermés
avec eux dans la loge du logographe, pouvaient-ils s'empêcher de faire dans
le mystère de leur âme des vœux involontaires pour le triomphe de leurs
défenseurs et de répondre par les palpitations de l'espérance à chacune de
ces décharges d'un combat dont la victoire les sauvait et les couronnait de
nouveau ? Cependant ils voilaient sous la douloureuse consternation de leur
physionomie ce qui pouvait se cacher de joie secrète dans leur cœur ; ils
s'observaient devant leurs ennemis ; ils s'observaient devant Dieu lui-même,
qui leur aurait reproché de se réjouir du sang versé. Leurs traits étaient
muets, leurs cœurs fermés, leurs pensées suspendues au bruit extérieur. Ils
écoutaient, pâles et en silence, éclater leur destinée dans ces coups. Les
coups de canon redoublent ; le bruit de la mousqueterie semble se rapprocher
et grossir ; les vitraux tintent comme si le vent des boulets les faisait
frémir en passant sur la salle ; les tribunes s'agitent et poussent des cris
d'effroi et d'horreur. Une expression générale de colère et de solennelle
intrépidité se répand sur les figures des députés ; ils prêtent l'oreille au
bruit et regardent avec indignation le roi. Vergniaud, triste, muet, et calme
comme le patriotisme, se couvre en signe de deuil. A ce geste, qui traduit la
pensée publique dans un signe, les députés se lèvent sous une impression
électrique, et, sans tumulte, sans vains discours, ils profèrent d'une seule
voix le cri de Vive la Nation ! Le roi se lève à son tour et annonce à l'Assemblée
qu'il vient d'envoyer aux Suisses l'ordre de cesser le feu et de rentrer dans
leurs casernes. M. d'Hervilly sort pour aller porter cet ordre au château.
Les députés se rassoient et attendent quelques minutes en silence l'effet de
l'ordre du roi. Tout à
coup des décharges de mousqueterie plus rapprochées éclatent sur la salle. Ce
sont les feux de bataillon des gardes nationaux de la terrasse des Feuillants
qui tirent sur la colonne de M. de Salis. Des voix s'écrient dans les
tribunes que les Suisses vainqueurs sont aux portes et viennent égorger la
représentation nationale. On entend des pas précipités, des cliquetis d'armes
dans les couloirs. Quelques hommes armés s'efforcent de pénétrer dans la
salle. D'intrépides députés se jettent au-devant d'eux et les repoussent.
L'Assemblée croit que les Suisses vainqueurs viennent l'immoler à leur
vengeance. L'enthousiasme de la liberté l'enivre d'une joie funèbre. Pas un
seul mouvement de terreur n'avilit la nation qui va mourir en elle. « C'est
le moment de tomber dignes du peuple au poste où il nous a envoyés, » dit
Vergniaud. A ces mots, tous les députés reprennent leur place sur leurs
bancs. « Jurons tous, à ce moment suprême, de vivre ou de mourir libres
! » L'Assemblée
tout entière se lève ; tous les bras sont tendus, toutes les lèvres s'ouvrent
pour jurer ; les tribunes, soulevées par ce mouvement d'héroïsme, se lèvent
avec l'Assemblée : « Et nous aussi, nous jurons de mourir avec vous ! »
s'écrient-elles. Les citoyens qui se pressent à la barre, les journalistes
dans leurs tribunes, les secrétaires du logographe eux-mêmes, à côté du roi,
debout, tendent une main en signe de serment, élèvent de l'autre leur chapeau
en l'air et s'associent, par un irrésistible élan, à cette sublime
acceptation de la mort pour la cause de la liberté. Ce n'était point, un de
ces serments de parade où des corps politiques bravent le péril absent et
jettent le défi à la faiblesse. La mort tonnait sur leurs têtes, frappait à
leurs portes. Nul n'avait le secret du combat. Le cœur des citoyens vola
au-devant du fer. La mort les eût frappés dans l'orgueil et dans la joie de
leur serment. Les officiers suisses se retirèrent. Les décharges
s'éloignèrent en s'affaiblissant. Les députés, les tribunes, les spectateurs
restèrent quelques minutes debout, les bras tendus, les regards de défi
tournés vers la porte. Le péril était passé qu'ils gardaient encore leur
attitude. Le feu de l'enthousiasme semblait les avoir foudroyés ! L'histoire
le redira toutes les fois qu'elle voudra faire respecter le berceau de la
liberté et grandir l'image des nations. XV. Les
Suisses qui avaient occasionné ce mouvement étaient des officiers de
l'escorte du roi, cherchant un refuge dans l'enceinte, pour éviter le feu des
bataillons de la terrasse des Feuillants. On les fit entrer dans la cour du Manège,
et on les désarma par ordre du roi. Pendant
cette scène, M. d'Hervilly parvenait au château à travers les balles, au
moment où la colonne de M. de Salis y rentrait avec les canons. « Messieurs »,
leur cria-t-il du haut de la terrasse du jardin d'aussi loin que sa voix put
être entendue, « le roi vous ordonne de vous rendre tous à l'Assemblée
nationale. » Il ajouta de lui-même, et dans une dernière pensée de prévoyance
pour le roi : « Avec vos canons ! » A cet ordre, le capitaine Turler
rassemble environ deux cents de ses soldats, fait rouler un canon du
vestibule dans le jardin, essaie en vain de le charger, et se met en marche
vers l'Assemblée sans que les autres postes de l'extérieur, prévenus à temps
de cette retraite, eussent le temps de le suivre. Cette colonne, criblée en
route par les balles de la garde nationale, arrive en désordre et mutilée à
la porte du Manège ; elle est introduite dans les murs de l'Assemblée et met
bas les armes. Les Marseillais, informés de la retraite d'une partie des
Suisses, et témoins de la défection de la gendarmerie, marchent une seconde
fois en avant ; les masses des faubourgs Saint-Marceau et Saint-Antoine
inondent les cours. Westermann et Santerre, le sabre à la main, leur montrent
le grand escalier et les poussent à l'assaut au chant du Ça ira... ; la vue
de leurs camarades morts, couchés dans le Carrousel, les enivre de vengeance
; les Suisses ne sont plus pour eux que des assassins soldés. Ils se jurent
entre eux de laver ces pavés, ce palais dans le sang de ces étrangers ; ils
s'engouffrent comme un torrent de baïonnettes et de piques sous les larges
voûtes du péristyle. D'autres colonnes, tournant le château, pénètrent dans
le jardin par la porte du Pont-Royal et du Manège, et s'accumulent au pied
des murs. Six pièces de canon, ramenées de l'Hôtel-de-Ville et placées aux
angles de la rue Saint-Nicaise, de la rue des Orties et de la rue de
l'Échelle, lancent les boulets et la mitraille sur le château. Les faibles détachements
épars dans les appartements se rallient, sans ordre et sans unité, au poste
le plus rapproché d'eux. Quatre-vingts hommes se groupent sur les marches du
grand escalier ; de là ils font d'abord deux feux de file qui renversent dans
le vestibule quatre cents Marseillais. Les
cadavres de ces combattants servent de marchepied aux autres pour escalader
la position. Les Suisses se replient lentement de marche en marche, laissant
un rang des leurs sur chaque degré. Leur feu diminue avec leur nombre, mais
tous tirent jusqu'à la mort. Le dernier coup de fusil ne s'éteignit qu'avec
la dernière vie. Quatre-vingts
cadavres jonchaient l'escalier. De ce moment le combat ne fut plus qu'un
massacre. Les Marseillais, les Brestois, les fédérés, le peuple inondent les
appartements. Les Suisses isolés qu'ils rencontrent sont immolés partout ;
quelques-uns essaient de se défendre, et ne font qu'ajouter à la rage de
leurs bourreaux et aux horreurs de leur supplice. La plupart jettent leurs
armes au pied du peuple, se mettent à genoux, tendent la tête au coup ou
demandent la vie ; on les saisit par les jambes et par les bras, et on les
lance tout vivants par les fenêtres. Un peloton de dix-sept d'entre eux
s'était réfugié dans la sacristie de la chapelle. Ils y sont découverts. En
vain l'état de leurs armes, qu'ils montrent au peuple, atteste qu'ils n'ont
pas fait feu dans la journée. On les désarme, on les déshabille et on les
égorge aux cris de Vive la nation ! Pas un n'échappe. XVI. Ceux
qui se trouvaient, au moment de l'attaque, dans le pavillon de Flore et dans
les appartements de la reine, se réunirent aux deux cents gentilshommes et à
quelques gardes nationaux sous le commandement du maréchal de Mailly. Ils
formèrent à eux tous une masse d'environ cinq cents combattants, et tentèrent
d'obéir à l'ordre du roi en évacuant le château militairement et en se
rendant auprès de sa personne à l'Assemblée. L'issue sur la cour était
occupée par les masses de peuple et foudroyée par le canon. La sortie par le
jardin était praticable encore, quoique sous le feu des bataillons du
faubourg qui occupaient le Pont-Royal et le bord de l'eau. La colonne prend
cette direction ; mais la grille de la Reine, qui donnait accès au jardin,
était fermée. On fait des efforts désespérés pour la forcer. La grille
résiste. On parvient avec peine à faire fléchir un des barreaux de fer massif
sous le levier des baïonnettes. On pratique une ouverture par où la colonne
ne peut s'échapper qu'homme à homme. C'est par ce guichet que cinq cents
soldats, gentilshommes et gardes nationaux, doivent sortir, choisis et visés
à loisir par le fusil de deux bataillons. Ils sortent néanmoins ; car les
cris de leurs camarades massacrés derrière eux leur font préférer une balle
prompte et mortelle à un massacre atroce et lent. Les sept premiers qui
franchissent la grille tombent en la franchissant ; les autres passent au pas
de course sur leurs corps et s'élancent vers le jardin. Les habits rouges des
Suisses désignent ces soldats aux feux des bataillons. Cet acharnement contre
eux sauve une partie des gentilshommes. La balle choisit l'étranger et
épargne le Français. Tous les Suisses meurent ou sont atteints dans la fuite.
Parmi les serviteurs du roi et les volontaires, deux seulement sont tués : M.
de Clermont d'Amboise et M. de Castéja. Les autres atteignent les arbres qui
les protègent, reçoivent à bout portant le feu d'un poste de garde nationale
placé au milieu du jardin, laissent trente morts dans la grande allée, et
parviennent à la porte du Manège. Là M. de Choiseul, au nom du roi, se porte
intrépidement au-devant d'eux, les rallie et pénètre, l'épée à la main, dans
l'enceinte de l'Assemblée pour mettre ces Français sous la sauvegarde de la
nation. XVII. Le
reste de la colonne fugitive du château espère se faire jour par le
Pont-Tournant. Elle y parvient en se couvrant des arbres dont les troncs sont
déchirés par les boulets et par les balles. Une décharge à mitraille partie
du pont la rejette vers la terrasse de l'Orangerie. Soixante Suisses et
quinze gentilshommes jonchent de leurs corps les bords du grand bassin sous
la statue de César. Un grand nombre d'autres, atteints par la mitraille ou
par les éclats de branches qui tombent des marronniers sur leurs têtes,
échappent en teignant de leur sang la grande allée : MM. de Virieu, de
Lamartine, de Vioménil sont de ce nombre. Arrivés au pied de la terrasse de
l'Orangerie, ces officiers délibèrent sous le feu et se divisent en deux
opinions et en deux colonnes. Les uns retournent à l'Assemblée ; les autres
se décident à franchir la place Louis XV, sous la mitraille des pièces de
canon du Pont-Tournant, et à se rallier dans les Champs-Elysées à la
gendarmerie, dont ils aperçoivent un escadron en bataille. Ceux qui
rentrèrent au Manège furent reçus, désarmés, envoyés après la victoire dans
les prisons de Paris, et massacrés le 2 septembre. Ceux qui sortirent du
jardin par la grille de l'Orangerie périrent, les uns sur la place Louis XV,
les autres aux Champs-Elysées, sous le sabre de cette gendarmerie qui se
joignit au peuple pour les achever. Quelques-uns, comme M. de Vioménil,
reçurent asile dans les caves de la rue Saint-Florentin, de la rue Royale, et
surtout dans l'hôtel de l'ambassadeur de Venise, Pisani, qui brava la mort
pour sauver la vie à des inconnus. Quelques autres s'emparèrent d'une pièce
de canon gardée par un faible détachement, auprès du pont Louis XV, et
voulurent s'en servir pour protéger leur retraite. Une charge de gendarmerie
la leur enleva et les refoula dans la Seine. M. de Villers, récemment sorti
de ce corps dont il était major, croyant que cette gendarmerie venait à son
secours, s'élança au-devant de ses anciens camarades. « A nous, mes amis ! »
leur cria-t-il. A ces mots, un des officiers de cet escadron, qui le
reconnut, tira froidement un de ses pistolets et lui cassa la tête à bout
portant. Les autres l'achevèrent à coups de sabre. La
retraite des faibles restes de ces défenseurs du château ne fut qu'une suite
de hasards individuels. Ceux-ci jetant leurs armes, et dépouillant toute
apparence militaire, se perdaient dans la masse des spectateurs du combat ;
ceux-là se firent jour, le pistolet à la main, jusqu'au bord de l'eau,
s'emparèrent de bateaux abandonnés, et, traversant la Seine, se jetèrent dans
les bois d'Issy et de Meudon. Ils durent la vie à l'hospitalité désintéressée
de pauvres villageois étrangers aux discordes civiles. L'hospitalité est la
charité du pauvre. Les autres, divisés par petits groupes, s'enfoncèrent dans
les rues latérales des Champs-Elysées, ou franchirent les palissades et les
murs des jardins. XVIII. Un de
ces détachements, au nombre de trente, dont vingt-neuf Suisses et un jeune
page de la reine à leur tête, se jeta dans la cour de l'hôtel de la marine,
au coin de la rue Royale. Le page représente en vain à ses compagnons que,
forcés dans cet étroit asile, ils y périront tous. Ils persistent et se fient
à la générosité du peuple. Un groupe de huit fédérés se présente devant la
porte. Les Suisses en sortent un à un, jetant leurs fusils aux pieds des
fédérés ; ils croient leurs ennemis attendris par ce geste de vaincus qui
s'abandonnent à la merci du vainqueur. « Lâches, leur crie un des fédérés,
vous ne vous rendez qu'à la peur, vous n'aurez point de quartier ! » En
parlant ainsi, il plonge le fer de sa pique dans la poitrine d'un des Suisses
; il en tue un autre d'un coup de pistolet. On leur scie la tête avec des
sabres pour la promener en trophée. A cette
vue, les Suisses indignés retrouvent leur énergie dans le désespoir. Ils
ressortent à la voix du page, ils ramassent leurs fusils, ils font une
décharge sur les fédérés. Ils en tuent sept sur huit. Mais d'autres fédérés
amènent une pièce de canon chargée à mitraille devant la porte et font feu.
Vingt-trois soldats, sur vingt-sept, tombent sous le coup. Les quatre autres,
avec le page, à la faveur de la fumée, se glissent, sans être vus, dans une
cave de l'hôtel. Ils s'ensevelissent dans le sable humide et trompent ainsi
la fureur de leurs ennemis. La nuit tombe. Le concierge de l'hôtel, qui seul
a le secret de leur fuite, leur apporte des aliments et des couvertures ; il
réchauffe leurs membres engourdis par le froid et par l'humidité de ces
voûtes glacées ; il leur procure des vêtements moins suspects ; il coupe
leurs cheveux et leurs moustaches. Ils sortent un à un sous ces déguisements. Soixante
autres qui se retiraient en bon ordre, sous le commandement de quatre
officiers, à travers les Champs-Elysées, se dirigeant sur leur caserne de
Courbevoie, sont enveloppés par la gendarmerie et ramenés à l'Hôtel-de-Ville.
Arrivés sur la place de Grève, leur escorte les massacre, jusqu'au dernier,
aux acclamations du peuple et sous les yeux du conseil de la commune. Trente
hommes, commandés par M. Forestier de Saint-Venant, jeune officier suisse à
peine adolescent, sont cernés de toutes parts sur la place Louis XV. Sûrs de
mourir, ils veulent du moins venger leur sang. Ils chargent à la baïonnette
le poste de gendarmerie et de canonniers qui entoure la statue de Louis XV,
au milieu de la place. Trois fois ils enfoncent ce poste. Trois fois des
renforts y arrivent et cernent de plus près ces trente hommes. Ils tombent un
à un, décimés lentement par le feu qui les enveloppe. Réduits au nombre de
dix, ils parviennent à forcer le passage ; se jetant dans les Champs-Élysées,
ils y combattent, d'arbre en arbre, jusqu'à la mort. M. de Saint-Venant, seul
survivant et sans blessure, est prêt à escalader la muraille d'un jardin, un
gendarme à cheval franchit le fossé qui sépare la promenade de la chaussée et
le renverse mort d'un coup de carabine dans les reins. Le
jeune Charles d'Autichamp, sortant du palais et se retirant seul par la rue
de l'Échelle, est arrêté par deux Brestois. Il décharge des deux mains ses
pistolets sur leur poitrine et les tue tous les deux. Le peuple s'empare de
lui et le traîne à la place de Grève pour y être immolé. C'était le moment où
l'on égorgeait les soixante Suisses. Un mouvement de la foule le sépare des
hommes qui l'escortent : on veut le ressaisir ; il ramasse une baïonnette
tombée sous ses pieds, il la plonge dans le cœur d'un garde national qui le
tient au collet ; il blesse ou menace tout ce qui s'approche, s'élance dans
une maison dont la porte était ouverte, monte l'escalier, sort par le toit,
redescend par une autre maison dans une rue de derrière, jette son arme,
compose ses traits et échappe à la vengeance de dix mille bras. Un vieux
gentilhomme de quatre-vingts ans, le vicomte de Broves, député à l'Assemblée
constituante, blessé au château et cachant sa blessure, est trahi par le sang
qui coule de ses cheveux sur ses joues. Le peuple reconnaît un ennemi et
l'immole sur le perron de l'église Saint-Roch. XIX. Pendant
que les débris des forces militaires du château sa dispersaient ou
périssaient ainsi au dehors, le peuple impitoyable, monté à l'assaut des
appartements, sur les cadavres des Marseillais et des Suisses, assouvissait
sa vengeance dans l'intérieur. Gentilshommes, pages, prêtres,
bibliothécaires, valets de chambre, serviteurs du roi, huissiers de la
chambre, simples serviteurs, tous ceux qu'il rencontrait dans ce palais
étaient à ses yeux les complices des crimes de la royauté. Les murs même leur
inspiraient horreur et vengeance. Ces murs avaient recélé dans leur sein
toutes les trames du clergé, de l'aristocratie et des cours, depuis la
conjuration de la Saint-Barthélemy jusqu'aux trahisons du comité autrichien
et aux décharges perfides de ces satellites étrangers qui venaient
d'assassiner le peuple. Ils croyaient laver le sang dans le sang : il
ruisselait partout ; on ne marchait que sur des cadavres. La mort même ne suffisait
pas à la haine. Un ressentiment féroce poursuivait au delà de la vie l'assouvissement
de cette rage ; elle dépravait la nature, elle ravalait le peuple au-dessous
de la brute, qui frappe mais qui ne dépèce pas. A peine les victimes
étaient-elles tombées sons le fer des Marseillais qu'une horde forcenée, les
mains tendues vers sa proie, se précipitait sur les cadavres qu'on lui jetait
du haut des balcons, les dépouillait de leurs vêtements, se repaissait de
leur nudité, leur arrachait le cœur, en faisait ruisseler le sang comme l'eau
de l'éponge, coupait leur tête et étalait d'obscènes trophées, aux regards et
aux dérisions des mégères de la rue. Personne ne se défendait plus ; le
combat n'était qu'un égorgement. Des
bandes armées d'hommes des faubourgs, la pique ou le couteau à la main, se
répandaient par tous les escaliers intérieurs et par tous les corridors
obscurs de cet immense labyrinthe à tous les étages du château, enfonçant les
portes, sondant les planchers, brisant les meubles, jetant les objets d'art
ou de luxe par les fenêtres, brisant pour briser, mutilant par haine, ne
cherchant point la dépouille mais la ruine. Dans ce sac général du palais, il
y eut dévastation, non pillage. Le peuple même, dans sa férocité, aurait
rougi de chercher autre chose que ses ennemis. Le but de son soulèvement,
c'était le sang ; ce n'était pas l'or. Il s'observait lui-même. Il montrait
ses mains rouges mais vides. Quelques voleurs vulgaires, surpris en flagrant
délit d'appropriation des objets pillés, furent pendus à l'instant par
d'autres hommes du peuple avec un écriteau signalant la honte de leur action.
La passion déprave, mais elle élève aussi. L'enthousiasme général qui
soulevait ce peuple l'eût fait rougir de penser à autre chose qu'à la
vengeance et à la liberté. La fureur qui le possédait lui laissait le
sentiment de la dignité de sa cause. Il se souillait de meurtres, il
s'enivrait de tortures, mais, jusque dans le sang, la masse respectait en soi
le combattant de la liberté. Tableaux, statues, vases, livres, porcelaines,
glaces, chefs-d'œuvre de tous les arts accumulés par les siècles dans le
palais de la splendeur et des délices des souverains, tout vola en lambeaux,
tout roula en éclats, tout fut réduit en poussière ou en cendre. Par un jeu
bizarre de la destinée, il n'y eut d'épargné et d'intact qu'un tableau de la
chambre du lit du roi représentant la Mélancolie, par Fetti, comme si
l'emblème de la tristesse et de la vanité des choses humaines était le seul
monument éternel destiné a survivre à la destinée des dynasties et des palais
! XX. Les
femmes de la reine, les dames d'honneur des princesses, les femmes de chambre
de service, la princesse de Tarente, mesdames de Laroche-Aymon, de Ginestous,
la jeune Pauline de Tourzel, fille de la marquise de Tourzel, gouvernante des
enfants de France, s'étaient rassemblées dès le commencement du combat dans
les appartements de la reine. Les décharges d'artillerie, la mitraille des
canons du Carrousel rejaillissant sur les murs, l'invasion du peuple, la
sortie des Suisses, la victoire d'un moment suivie d'un assaut plus terrible,
les cris, le silence, la fuite des victimes poursuivies au-dessus de leurs
têtes, dans la galerie des Carraches, la chute des corps jetés par les
balcons dans la cour, les rugissements de la foule sous leurs fenêtres
avaient suspendu en elles la respiration et la vie. Elles mouraient de mille
coups depuis trois heures. La
foule qui avait fait sa première irruption par l'autre escalier du château,
n'avait pas encore découvert leur asile. On n'y parvenait que par l'escalier
dérobé qui montait de l'appartement de la reine dans celui du roi, et par
l'escalier des Princes obstrué par une masse immobile de cadavres
marseillais. Une des bandes armées d'égorgeurs trouva enfin l'accès de
l'escalier dérobé et s'y rua dans les ténèbres. Ces degrés intérieurs
desservaient des corridors bas et obscurs des entresols de la reine pratiqués
entre les deux grands étages. Ces entresols servaient de logement aux hommes
et aux femmes de la domesticité intime de la famille royale. Les portes en
sont enfoncées à coups de hache. Les assassins immolent les heiduques de la
reine. Madame Campan, sa femme de chambre favorite, et deux de ses femmes de
service se précipitent aux genoux des égorgeurs. Leurs mains embrassent les sabres
levés sur elles. « Que faites-vous ! s'écrie d'en bas la voix d'un
Marseillais, on ne tue pas les femmes ! — Levez-vous, misérables, la nation
vous fait grâce, » répond un homme à longue barbe qui venait d'assassiner un
heiduque. Il fit monter les trois femmes sur une banquette placée dans
l'embrasure d'une fenêtre, où la foule pouvait les voir et les entendre, et
leur dit de crier Vive la nation ! La foule battit des mains. Deux
huissiers de la chambre du roi, MM. Sallas et Marchais, qui pouvaient
s'évader en livrant la porte, meurent pour obéir à leur serment. Ils
enfoncent leur chapeau sur leur tête et mettent l'épée à la main : « C'est
ici notre poste, disent-ils aux Marseillais, nous voulons tomber sur le seuil
que nous avons juré de défendre. » L'huissier de la chambre de la reine,
nommé Diet, reste seul, factionnaire généreux, à l'entrée de l'appartement où
les femmes sont réfugiées, et tombe en la défendant. Son cadavre, couché en
travers de la porte, sert encore de rempart aux femmes. La princesse de
Tarente, qui entend tomber ce dernier et fidèle gardien, va elle-même ouvrir
la porte aux Marseillais. Leur chef, happé de l'assurance et de la dignité de
cette femme devant la mort, contient un moment sa troupe. La princesse,
tenant par la main la jeune et belle Pauline de Tourzel, que sa mère lui a
confiée : « Frappez-moi, dit-elle aux Marseillais, mais sauvez l'honneur et
la vie de cette jeune fille. C'est un dépôt que j'ai juré de rendre à sa
mère. Rendez-lui sa fille et prenez mon sang. » Les
Marseillais attendris respectent et sauvent ces femmes. On les aide à
franchir les cadavres qui jonchent les antichambres et les corridors. Quelques
hommes du peuple, en saccageant les appartements, avaient brisé les fontaines
de marbre des bains de la reine. L'eau mêlée au sang inondait les pavés et
teignait de rouge les pieds et les robes » traînantes de ces fugitives. On
les confia à des hommes du peuple, qui les conduisirent furtivement, le long
de la rivière au-dessous du quai, jusqu'au pont Louis XVI, et les remirent en
sûreté à leurs familles. XXI. La
poursuite des victimes cherchant à se dérober à la mort dura trois heures.
Les caves, les cuisines, les souterrains, les passages secrets, les toits
même dégouttaient de sang. Quelques Suisses, qui s'étaient cachés dans les
écuries sous les monceaux de fourrage, y furent étouffés par la fumée ou
brûlés vifs. Le peuple voulait faire un immense bûcher des Tuileries. Déjà
les écuries, les corps-de-garde, les bâtiments de service qui bordaient les
cours étaient en flamme. Des bûchers formés des meubles, des tableaux, des
collections, des bibliothèques des courtisans qui logeaient au château,
flamboyaient dans le Carrousel. Des députations de l'Assemblée et de la
commune préservèrent avec peine le Louvre et les Tuileries. Il semblait au
peuple que ce palais laissé debout rappellerait tôt ou tard la tyrannie.
C'était un remords de sa servitude qui s'élèverait devant lui. Il voulait
l'effacer pour qu'une royauté nouvelle n'eût pas une pierre d'attente dans la
ville de la liberté. Ne pouvant incendier les pierres, il se vengea sur les
hommes. Tous les citoyens d'un attachement notoire à la cour ou suspects
d'attendrissement sur la chute du roi, qui furent rencontrés et reconnus,
tombèrent sous ses coups. La plus innocente et la plus illustre de ces
victimes fut M. de Clermont-Tonnerre. Un des
premiers apôtres de la réforme politique, aristocrate populaire, orateur
éloquent de l'Assemblée constituante, il ne s'était arrêté dans la révolution
qu'aux limites de la monarchie. Il voulait cet équilibre idéal des trois
pouvoirs, dont il croyait voir la chimère réalisée dans la constitution
britannique. La Révolution, qui voulait non balancer mais déplacer les
pouvoirs, l'avait répudié comme elle avait dépassé Mounier, Malouet, Mirabeau
lui-même. Elle le haïssait d'autant plus qu'elle avait plus espéré en lui.
Quand les principes deviennent fureur, la modération devient trahison. M. de Clermont-Tonnerre
fut accusé dans la matinée du 10 août d'avoir un dépôt d'armes dans son
hôtel. Un attroupement entoura sa maison et le conduisit à la section de la
Croix-Rouge pour rendre compte des pièges qu'il tendait au peuple. Son hôtel,
visité par la populace le disculpa. Le peuple, détrompé par la voix d'un
honnête homme, passe aisément de l'injustice à la faveur ; il applaudit
l'accusé et le reconduit triomphalement dans sa demeure. Mais les sicaires à
qui une main invisible avait désigné la victime, frémissent de la voir
échapper. Un serviteur expulsé ameute contre son ancien maître un
rassemblement de forcenés. En vain M. de Clermont-Tonnerre, monté sur une
borne, harangue avec sang-froid ses assassins ; un coup de feu qu'il reçoit
au visage étouffe sa parole dans son sang. Il se précipite dans un hôtel
ouvert de la rue de Vaugirard et monte jusqu'au quatrième étage ; ses
meurtriers le suivent, l'égorgent sur l'escalier, le traînent sanglant dans
la rue et n'abandonnent qu'un cadavre à la pitié de ses amis. Défiguré,
mutilé, dépecé par les armes ignobles qui souillent ce qu'elles tuent, sa
jeune femme ne reconnaît le corps de son mari qu'à ses vêtements. XXII. Le combat à peine terminé, Westermann, couvert de poudre et de sang, vint recevoir chez Danton les félicitations de son triomphe. Il était accompagné de quelques-uns des héros de cette journée. Danton les embrassa. Brune, Robert, Camille Desmoulins, Marat, Fabre d'Eglantine coururent l'un après l'autre embrasser leur chef, recevoir les nouveaux mots d'ordre pour la soirée. Les femmes pleuraient de joie en revoyant vainqueurs leurs maris, qu'elles avaient crus immolés par le canon des Suisses. Danton paraissait rêveur, on eût dit qu'étonné et comme repentant de la victoire il flottait entre deux partis à prendre ; mais il était de ces hommes qui n'hésitent pas longtemps et qui laissent décider les événements. Sa fortune se levait avec ce jour. Le lendemain il était ministre. |