Caractère de la guerre
civile en Normandie, à partir de 1592. — Surprise de Pont-Audemer par les
Ligueurs. — Travaux de fortification à Caen. — Achat de canons en Angleterre
pour le compte de la ville. — Caen menacé du passage d'un corps d'armée
anglaise. — La peste sévit en Normandie. — Multiplicité des assassinats politiques
et privés ; assassinat de François du Halot par le marquis d'Alègre. —
Création d'une charge de grand-prévôt pour réprimer les brigandages. —
Convocation des États-Généraux de la Ligue ; députés élus en Normandie ;
arrêt du Parlement relatif à cette convocation. — Procès devant le Parlement
entre les habitants et des marchands anglais. — Situation des esprits dans la
ville ; querelle entre les habitants et la Cour des aides. Expédition du
ligueur du Tourps dans le Val-de-Saire ; sa tentative sur Cherbourg. — Le duc
de Montpensier vient à Caen ; incidents qui signalent sa réception ; il siège
au Parlement ; discours de Groulart. — Le roi se décide à s'occuper de sa
conversion ; Groulart est appelé à la Cour. — Il assiste à l'abjuration du
roi ; détails qu'il rapporte dans ses Mémoires. — La nouvelle en arrive à
Caen ; joie qu'elle y excite.
JUIN 1592 — JUILLET 1593.
Une
sage transaction, avons-nous dit, apparaissait de plus en plus comme l'unique
remède à la désolation des guerres civiles, et c'est vers ce but qu'allaient
tendre désormais tous les efforts des hommes honnêtes et vraiment politiques.
On était alors au mois de juin 1592, et plus d'une année encore s'écoula
avant que les chefs des deux partis, continuant d'immoler à leur ambition
personnelle le repos de la France, parlassent sérieusement de la paix. C'est
une nécessité fatale pour l'intelligence humaine d'éprouver certaines idées
au terrible creuset de la guerre ; mais, une fois l'épreuve faite et la
vérité démontrée, on ne doit plus pardonner d'inutiles combats. Cette cruauté
opiniâtre donne à la période qui va suivre un caractère affligeant et odieux.
Il nous faudra, avant d'atteindre la paix, passer encore de longs mois entre
le pillage aux champs et la peste dans les villes ; — partout le crime et la
misère. Pour la
grande guerre, il y avait eu, après la levée du siège de Rouen, une trêve
tacite et forcée ; mais les hostilités de ville à ville, de château à
château, de compagnie d'arquebusiers à bande de soudards, continuaient sans
relâche. La mêlée était si confuse qu'on n'y distinguait plus les royalistes
des ligueurs, et, à vrai dire, les uns et les autres n'étaient guère que des
brigands, comme autrefois les routiers et les tard-venus. Le désordre devint
si épouvantable que le roi écrivit au Parlement de commander aux prétendues
compagnies royales de se rendre à son armée, sinon qu'il leur fust courru sus, comme aux plus criminels
ennemis de Sa Majesté, pour estre taillés et mis en pièces[1]. La trahison du gouverneur de
Pont-Audemer, Haqueville, qui livra sa place à Villars (3 juillet
1592), raviva
toutes les craintes de la Cour. Plus que jamais Groulart et La Vérune travaillèrent
à mettre Caen en bon état de défense. On dressa des plans : un ingénieur
royal fut appelé ; les travaux commencèrent[2] ; on travaillait surtout depuis
la tour Chatimoine jusqu'à Vaucelles ; c'était la partie la plus faible de la
ville. Jamais on n'avait déployé activité si grande. On sent que le Parlement
était derrière les bourgeois et les pressait. Il leur fallut, bon gré, mal
gré, fournir l'argent nécessaire, se mettre eux-mêmes à la besogne ou faire
travailler par d'autres aux ouvrages de défense[3]. Qui s'y refusait était mis en
prison et frappé d'une grosse amende. La règle était sévère et ne souffrait
pas d'exceptions[4]. Les
remparts construits, il fallut les armer. La ville avait déjà voté l'achat de
dix-huit canons ; chaque corporation devait fournir le sien. Mais ces canons
étaient encore plus difficiles à trouver que l'argent nécessaire à leur
paiement. Pour
les acheter, deux échevins, munis de lettres du roi, partirent, vers la fin
de juillet, pour l'Angleterre. Dès le 7 août, on eut de leurs nouvelles :
reçus à Windsor, la reine les avait gracieusement accueillis ; seulement on
ne paraissait pas disposé à leur vendre les canons. Pour triompher de cette
résistance, ils priaient Groulart de les recommander à l'ambassadeur
français, Beauvoir, et demandaient un cadeau pour appuyer la recommandation.
Groulart écrivit la lettre, et les échevins l'envoyèrent au plus vite avec un
service de linge de haute-lice qui devait aplanir toutes les difficultés. Les
Anglais reçurent les présents, et n'en traitèrent pas moins leurs alliés de
fort haut. Enfin ils vendirent quelques canons fort cher, en faisant encore
payer double droit d'exportation. Les lettres des pauvres députés caennais
sont toutes piteuses ; on les croirait perdus dans Londres. Il leur fallut y
rester quatre longs mois, et c'est le 11 décembre seulement que les canons si
désirés et payés si bon prix furent déposés à l'Hôtel-Dieu[5]. A ce
moment même où les lettres des envoyés disposaient si mal les esprits à
l'égard des Anglais, un bruit fut répandu que cinq mille hommes de leurs
troupes allaient débarquer à Ouistreham et passer par Caen. Déjà Norry avait
dû les annoncer à La Vérune[6]. Sans retard on fit appel à
tous les protecteurs pour détourner ce fléau ; on écrivit à d'O, à Beuvron, à
Norry, au duc de Montpensier, prince de Bombe, récemment nommé gouverneur de
la province. S'ils passent, c'est la ruine de
son gouvernement ; il n'y faudra plus chercher aides ni tailles ni quoi que
ce soit. La
protection la plus puis sante fut quatre cents écus qu'on donna aux Anglais
pour obtenir qu'ils débarquassent ailleurs[7]. Au lieu de la Normandie, ils
ravagèrent la Bretagne, et l'on peut voir, par les lamentables remontrances
que firent au roi, en janvier 1593, les États de Bretagne, à quel fléau les
échevins de Caen venaient de soustraire leur ville et la province,
travaillées déjà par de trop lamentables misères[8]. Pendant
la seconde moitié du XVIe siècle, la peste ne cessa point de désoler l'Europe
et, en particulier, la Normandie. En 1592, on la signale presque partout[9]. A Caen, on en remarqua d'abord
plusieurs cas dans la conciergerie de la Cour, où les prisonniers étaient
entassés avec le plus grand désordre. Bientôt la ville fut en proie au fléau.
Le Parlement avait assemblé tous les médecins pour qu'ils conférassent sur
les causes de l'épidémie et les moyens de la combattre. Mais ils déclaraient
l'impuissance de leur art et faisaient leur testament[10]. Pendant plus d'une année, le
fléau continua de sévir. Dans toutes les rues, dans le Vaugueux surtout, de
nombreuses maisons étaient marquées d'une croix blanche, funèbre indice de la
présence d'un pestiféré : on défendait aux malades de sortir de chez eux,
sous peine de cinq cents écus d'amende. C'est alors, mais trop tard, que,
reconnaissant la sagesse des réglementa proposés par la Cour, on ordonna de
balayer, chacun devant sa maison. Cependant, lorsque le Parlement tenta
d'établir un service de médecins, service trop nécessaire, les échevins
refusèrent encore les fonds pour les payer. On ne s'entendait pas mieux sur
le choix d'un asile où mettre les pestiférés ; on les relégua d'abord à
Beaulieu, d'où l'on fit sortir les lépreux ; le local ne suffisant pas, on
convoqua les habitants pour en choisir un autre. Ceux de Saint-Ouen et de
Saint-Nicolas proposèrent l'Hôtel-Dieu ; ceux de Saint-Jean, la Maladrerie,
c'est-à-dire qu'on se les renvoyait[11]. Chacun dut garder les siens et
la contagion avec eux. Ce peu d'entente excitait au plus haut point
l'indignation du Parlement, impuissant à vaincre le mauvais vouloir des uns
et le funeste égoïsme de tous. La
guerre et la peste n'étaient pas les seuls fléaux qui désolassent la
province. Elle était infestée de hordes de brigands qui tuaient pour voler,
parfois même pour le seul plaisir de tuer ; tous ceux qu'on pouvait prendre
étaient condamnés par la Cour et suppliciés sur la roue ; les supplices ne
les effrayaient pas. D'autres hommes d'un rang plus élevé, d'un naturel non
moins féroce, cachaient, sous un prétexte politique, des vengeances
personnelles et les accomplissaient au grand jour, avec une impudente
cruauté. Tel on vit le marquis d'Alègre. A une époque où les grands crimes
n'étaient pas rares, celui qu'il commit frappa d'une sorte d'épouvante, par
ses causes, par la &Ode barbarie de son exécution, par sa révoltante
impunité. François
de Montmorency du Hallot, ardent royaliste, qui, depuis le commencement des
troubles, n'avait cessé de rendre les plus grands services au roi, avait été
nommé gouverneur de Gisors en remplacement du marquis d'Alègre, homme violent
et sanguinaire, qui compromettait la cause royale par des rigueurs
excessives. D'Alègre avait dû se retirer devant son successeur ; mais il
avait fait serment de se venger, et par un sentiment propre aux esprits
étroits et méchants, il fit porter sa vengeance sur l'infortuné du Hallot,
qui n'avait en rien provoqué sa disgrâce. On entendit çà et là des gens de sa
trempe dire, à la nouvelle de la mort de Larchant, capitaine des gardes de
Henri IV, tué à Rouen : Larchant est tué, du
Ballot sera bientôt de même. Ils connaissaient d'Alègre. Les
hommes disposés à faire un mauvais coup ne manquaient pas. D'Alègre en réunit
plusieurs, se met à leur tête, marche sur Vernon où demeurait alors du
Hallot. Il y arrive, y passe la nuit. Le lendemain matin, il appelle quatre
gentilshommes de sa suite, leur demande, sans désigner personne, s'ils sont
prêts à. jouer de l'épée. Sur la promesse de leur concours, il leur nomme la
victime ; son nom ne les fait pas reculer. Loin de
là, ils préparent les armes, déjeunent tranquillement, puis montent à cheval
pour se rendre au logis de du Hallot à qui d'Alègre demande à parler. Comme
on ne lui connaissait pas de motifs de haine personnelle, rien n'éveillait
les soupçons ; on prit même d'abord cette visite pour une marque d'honnêteté. Appelé
par un page, du Hallot descend de sa chambre : il avançait lentement,
s'appuyant avec peine sur des béquilles, tout souffrant encore des blessures
qu'il avait reçues au siège de Rouen. Il parvient enfin à la porte de sa
maison, et, la main au chapeau, souhaite le bonjour au marquis. Mais
celui-ci, sans se laisser émouvoir à cette noble confiance, saute à terre, et
s'avançant vers sa victime : Il faut mourir ! s'écrie-t-il d'une voix
farouche, et aussitôt il le frappe de plusieurs coups de poignard. Les
sicaires de sa suite se ruent sur le malheureux et l'achèvent à coups d'épée,
sans que deux de ses amis, saisis soudain et désarmés, puissent rien faire
pour sa défense. Alors, leur forfait accompli, d'Alègre et les siens gagnent
la porte de la ville, en lèvent la herse, s'échappent sans obstacle et,
arrivés à la Roche-Guyon, s'y mettent joyeusement à dîner. Le soir, ils
étaient en sûreté à Blainville[12]. La
nouvelle de ce crime se répandit et souleva les populations dans toute la
Normandie ; elle alla jusqu'à Paris, jusqu'en Angleterre[13]. De toutes parts s'élevèrent
des cris de vengeance. Le 17 septembre, la veuve de la victime et deux de ses
parents adressèrent une requête au Parlement pour qu'il fût informé de
l'assassinat. Cette cruauté, l'affection qu'on portait à du Hallot avaient
affecté tout particulièrement la Cour. Par ses recherches particulières, par
celles des substituts du procureur du roi à Vernon, elle s'efforça de saisir
le coupable[14]. Mais — et c'est là ce qui
complète cette peinture des mœurs du temps —, malgré l'horreur excitée par
son crime, malgré la réprobation dont auraient dû le frapper tous les partis,
d'Alègre, en ceignant l'écharpe de la Ligue, sollicita, pour prix de cette
nouvelle trahison, le privilége de Saint-Romain. II est triste de voir ce
touchant droit de grâce appliqué à de tels scélérats. Le Parlement de Caen
avait déjà défendu au chapitre de Notre-Dame de Rouen de délivrer aucun
prisonnier ; on n'avait pas tenu compte de ses défenses. Cette fois, la Cour
descendit aux représentations particulières, presqu'aux prières, pour
empêcher un si grand scandale ; mais l'aveuglement des partis les empêche
trop souvent de sentir combien certaines actions les déshonorent. Eu haine
des royalistes, d'Alègre obtint le privilége et fut sauvé[15]. L'impunité
lui fut acquise à la faveur des troubles politiques ; les autres, ceux dont
les crimes trop -vulgaires n'excitaient pas l'attention, étaient à peine
poursuivis. Les registres du Parlement nous révèlent ce fait
presqu'incroyable, que les honnêtes gens ne craignaient guère moins les
prévôts, vice-baillis, archers, chargés de les défendre, que les voleurs de
grand chemin. Vers le mois d'avril 1592, le roi avait créé un grand-prévôt de
Normandie avec deux lieutenants, deux exempts, cinquante archers, dont la
mission spéciale était la poursuite de ces coupe-jarrets. Le Parlement, sana
même donner de motifs, refusa d'enregistrer les lettres de création. Le roi
insiste ; nouveau refus. Peut-être n'y faudrait-il voir qu'un acte de
jalousie, contraire aux vrais intérêts du pays. Mais le procureur des États,
représentant très-sincère de ces mêmes intérêts, ne s'opposa pas moins
vivement que la Cour à la création de ce nouveau pouvoir : il déclara même
qu'il était contraire au bien public, coûterait beaucoup et produirait peu de
bien ; que déjà il y avait à Pont-de-l'Arche un vice-bail] i, qui ne servait
qu'à fouler encore plus le pauvre peuple. Les avocats du nouveau
grand-prévôt, de Suresne, faisaient valoir, de leur côté, le pressant besoin
d'une force répressive. La Cour, dans son incertitude, renvoya les partis
devant le Conseil du roi qui confirma l'institution dont les effets, malgré
les craintes conçues d'abord, furent vraiment salutaires[16]. Nous
touchons heureusement à la fin de ces misères. Depuis longtemps Mayenne avait
convoqué les États-Généraux, appelés à résoudre une des plus grandes
questions qui puissent signaler la vie politique d'une nation. Au mois
d'octobre 1592, les élections de députés avaient eu lieu dans la province de
Normandie, élections telles qu'on pouvait les faire au milieu des troubles,
fort incomplètes. Néanmoins tous les bailliages étaient représentés : celui
de Caen, par Adrien de Malfillâtre, curé de Baron ; celui de Cotentin, par
l'évêque d'Avranches, Péricard. On remarque, parmi les autres députés, un
avocat-général au Parlement ligueur et le grand-pénitencier Dadré[17]. Après leur avoir indiqué
successivement plusieurs villes comme lieu de réunion, Mayenne les convoqua
enfin à Paris pour le 17 janvier1593. Dans une déclaration, où il exposait en
termes justes et modérés la situation de la France, tout en relevant avec
force les dangers qu'apporterait l'élévation au trône d'un prince protestant[18], il insinuait qu'on ferait peu
de difficultés à reconnaître le roi de Navarre converti. Mais Henri, loin de
se montrer prêt aux concessions, répondit avec emportement et menaça des
peines les plus sévères quiconque se rendrait à cette convocation. Il écrivit
en ce sens à tous ses parlements, et celui de Châlons, toujours prompt à
l'exagération, condamna d'avance la ville où se tiendraient ces États à être
rasée jusqu'aux fondements. Moins violent dans ses menaces, le Parlement de
Caen se contenta d'enregistrer la déclaration du roi, de l'imprimer, de la
répandre dans la province en y joignant les contre-propositions que faisaient
à Mayenne les seigneurs catholiques du parti de Henri IV. Il ajouta seulement
qu'on informerait des personnes qui se rendraient aux États, ou
entretiendraient des intelligences avec eux[19]. Les
députés ligueurs ne s'en acheminèrent pas moins sur Paris, sans éclat, il est
vrai, et en prenant des sentiers détournés ; ceux de Normandie, bien que
Villars, qui était à leur tête, Mt suivi d'une bonne escorte, eurent soin de
dérouter l'ennemi par plusieurs contremarches[20]. Arrivés à Paris, ils y
trouvèrent un certain nombre de leurs collègues, venus des autres provinces,
et la réunion offrit bientôt un aspect imposant. A mesure que l'époque fixée pour l'ouverture de
l'assemblée approchait, les affaires de l'Union semblaient prendre un
caractère plus sérieux et plus calme. Toutes les influences se courbaient
devant une puissance nouvelle celle des États-Généraux, qui dominait, de
toute la hauteur du droit et de la raison, les ambitions soulevées par
l'espoir d'une couronne[21]. La vie
politique ainsi concentrée tout entière à Paris, le Parlement de Caen n'avait
plus à s'occuper que d'affaires de détail ; il eut à juger un procès entre les
habitants de Caen et des marchands anglais[22]. Pour quelques services rendus
par eux à Henri IV et qu'ils savaient bien se faire payer, ces Anglais
croyaient avoir droit à tous les privilèges, exigeaient tout, ne concédaient
rien, et, à la première opposition, se plaignaient au roi, qui n'osait leur
donner tort. Ils faisaient alors à Caen un commerce considérable de draps et
de cordonnerie. Vendant d'abord dans leurs navires, ils en étaient venus à
tenir boutique ; et font de présent plus que
les antres habitants.
Non contents d'accaparer le commerce, ils se refusaient à payer aucun droit.
Des marchands caennais, ruinés par cette concurrence, les attaquèrent devant
le Parlement et les firent condamner. Mais le Conseil du roi évoqua
l'affaire, leur donna gain de cause, en se plaignant encore de la ville qui
montrait si peu de bienveillance aux alliés du roi[23]. Aussi
l'humeur des bourgeois devenait chaque jour plus irritable. Si la paix devait
leur rendre, comme à tous les Français, une vie plus calme et plus heureuse,
ils prévoyaient, avec une sorte de jalousie, qu'ils ne retireraient pas
particulièrement de grands avantages de leur fidélité. Sans cesse ils avaient
des députés en Cour. Le roi leur faisait bon accueil, s'informait avec
complaisance de leurs affaires, de la beauté de leur ville, parlait avec
enthousiasme du dévouement de ses bons amis les Caennais et de son ardent
désir de les voir ; mais, quand paraissaient les requêtes, il les renvoyait
au Conseil, qui les renvoyait au roi, sans qu'ils obtinssent jamais rien[24]. Déjà on leur avait repris ou
plutôt ils n'avaient jamais possédé cette foire de Guibray désiraient tant
ravir à Falaise. Quant au maintien dans leur ville de la Cour de Parlement,
de la Chambre des Comptes et de la Cour des Aides, en vain se passaient-ils
de main en main les lettres de translation perpétuelle, ils n'osaient plus y
croire[25]. Tout leur manquait à la fois.
On leur avait accordé l'exemption de tailles pour les terres tenues à ferme
ou labourées par eux. La Cour des Aides refusait de reconnaître l'exemption.
Pour triompher d'elle, les bourgeois mirent tout en jeu : protections, prières,
menaces. Une dame partait pour la Cour, munie d'un sauf-conduit ; on en
profite et elle est chargée de porter au syndic un service de linge de table
qu'il offrira au chancelier, quand il en sera
temps. On charge un
bourgeois, chez qui logeait le président de la Cour des Aides, de le rendre favorable en cette affaire. Rien n'y fait. On a recours
alors à l'intimidation. Trois cents bourgeois s'attroupent devant le lieu des
séances de la Cour des Aides, profèrent des plaintes, même des menaces. Le Parlement
dut intervenir. La Cour des Aides ne céda pas. En-dehors
de ces détails de peu d'importance, on ne voit de sérieux qu'une tentative
des Ligueurs sur Cherbourg, qui, par la singulière façon dont elle fut
déjouée, mérite un instant d'attention. Ce que
de Vicques avait fait dans l'Avranchin, un autre ligueur, du Tourps l'imitait
dans le Cotentin ; mais avec moins d'éclat, et presqu'autant comme pillard qu'en
partisan politique. Dans le principe, beaucoup de grosses paroisses du
Cotentin, les villes même de Valognes et de Coutances, s'étaient déclarées
pour la Ligue. Mais Coutances revint bientôt au parti du roi, et le château
de Valognes fut, dès 1592, rendu à Thorigny par son gouverneur qui, en
récompense, conserva son commandement. Seul, du Tourps continuait sa petite
guerre sans qu'on pût le réduire. Le Parlement l'avait maintes fois décrété
de prise de corps ; plusieurs de ses compagnons, parmi lesquels le curé de
Montebourg, furent pris, amenés à Caen et condamnés à mort ; leur chef
restait insaisissable. Thorigny, Sainte-Marie d'Aigneaux, Canisy l'avaient
tour à tour attaqué, battu, traqué de retraite en retraite : il échappait
toujours pour reparaître ensuite, plus puissant et plus redoutable. C'est
ainsi qu'en 1593, après tous ses revers, il conçut le plan audacieux de
surprendre et d'enlever Cherbourg[26]. Cette
ville était restée invariablement fidèle au roi, et l'on y avait transporté
le bailliage et la recette des tailles établis à Valognes. Du Tourps s'assura
d'abord des intelligences dans la place, dont un des conjurés promit de lui
livrer les clefs. Il réunit ensuite cinq à six hommes de sa bande, hommes
excellents pour un coup de main. Enfin, voyant tout préparé, il fixa le coup
au jour des Rameaux, à l'heure où les habitants, empressés dans les églises,
étaient le moins sur leurs gardes. La veille, lui et les siens marchant par
petits groupes, s'approchent de Cherbourg où l'on était sans défiance. Mais,
pendant la soirée du samedi, une vieille femme, qui ramassait des branches
desséchées dans un bois des environs, entend deux hommes parler du complot.
Ils l'aperçoivent et vont, en l'égorgeant, assurer leur secret. La vieille
fait la sourde, trompe leur défiance, s'esquive. Tout émue, elle hâte sa
marche vers la ville et y donne l'alarme. Aussitôt la garnison, les
compagnies bourgeoises se mettent sur pied ; dès le point du jour, on fait
une sortie contre les Ligueurs, qui, surpris à leur tour, sont battus et
poursuivis jusqu'à Thiéville. Ce fut la dernière expédition de du Tourps ; il
y perdit la vie. Après le combat, on fit le procès aux conjurés. Le
Parlement, qui n'avait pas tardé à être instruit de l'affaire, hâta la
lenteur des juges. Quatre des accusés furent condamnés à mort, et leurs
têtes, avec celle de du Tourps, placées sur une des portes de Cherbourg, où
on les voyait encore, à ce qu'il paraît, en 1689. En mémoire de cet
événement, les habitants instituèrent une procession solennelle, la procession de la bonne femme, qu'on fit chaque année, la
veille du dimanche des Rameaux, jusqu'à la Révolution[27]. Jeté
dans une terreur excessive par cette échauffourée des Ligueurs du Cotentin,
le Parlement appelait à grands cris le nouveau gouverneur, Henri de
Montpensier, qui ne se pressait pas de venir. François de Montpensier était
mort à Lisieux dans le courant du mois de juin 1592. Son fils, le prince de
Dombes, lui succéda dans le gouvernement de Normandie, tout en gardant celui
de Bretagne qu'il possédait déjà[28]. Il avait déclaré au Parlement
son intention de marcher en bon accord avec lui. Enfin, vers le milieu de
mai, il annonça son arrivée prochaine à Caen. Aussitôt on fit de grandes
dispositions. Les échevins préparèrent leur présent ordinaire de linge de
table[29] ; une maison fut choisie dans Vaucelles
pour que les orateurs de l'Université haranguassent le duc plus à l'aise. La
Cour des Aides, la Chambre des Comptes, le Parlement nommèrent leurs
députations. On s'efforça de suivre en tous points le mode de réception usité
jadis à Rouen. Mais le résultat ne répondit point à ces bonnes intentions, et
rappela la malencontreuse procession de 1590. La
députation du Parlement, composée de deux présidents et de dix conseillers,
vêtus de robes noires et montés sur des mulets, se rendit à la porte Millet
et y attendit auprès de l'Hôtel-Dieu l'arrivée de Montpensier. A peine s'y
étaient-ils arrêtés, qu'un membre de la Cour des Aides accourt, tout effaré,
annoncer que les compagnies bourgeoises, alors sous les armes, avaient tiré
sur lui et sur ses collègues force arquebusades, et prétendaient le faire par
ordre du Parlement. On l'assure qu'il n'en est rien. Les bourgeois se
vengeaient de la résistance de Messieurs des Aides à l'octroi de leurs privilèges,
en effrayant leurs mulets. Autre
événement ! La députation de la Chambre des Comptes s'arrête auprès du
cimetière de l'Hôtel-Dieu, en-dedans du mur de ville, privilége réservé au
seul Parlement. On avertit les conseillers de ne point usurper ce droit ; ils
répondent qu'ils n'ont rien à apprendre de la Cour, et sauront se ranger à
leur devoir. Nouvel arrêt, nouvelle signification. Messieurs des Comptes
refusent même de l'entendre. Cependant, sur le bruit de l'arrivée de
Montpensier, ils franchissent la porte Millet, et vont au-devant de lui
jusqu'à l'autre porte, du côté du faubourg[30]. Le duc faisait alors son
entrée sous un poêle que lui avait offert la ville, et, après une harangue du
président Le Jumel, le cortège, suivant la rue Saint-Jean, se rendit à
l'église Saint-Pierre. Là, de nouvelles usurpations froissèrent encore la
susceptibilité du Parlement. A la faveur du tumulte, les conseillers de la
Chambre des Comptes s'étaient glissés parmi ceux de la Cour, et La Vérune
avait audacieusement pris rang à côté du président Le Bretel[31] ! Le
lendemain, le Parlement put observer dans sa rigueur l'étiquette des
réceptions, quand Montpensier vint siéger au palais, où un dais de velours
violet lui avait été préparé. En quelques paroles fort simples, il remercia
la Cour de l'honneur qu'elle avait bien voulu lui faire. Mais Groulart, qui
depuis longtemps n'avait eu si belle occasion, voulut prononcer un discours
d'apparat, avec force figures et citations grecques ou latines. — On
désespérait, Montpensier parait, l'espérance avec lui. Lorsque la mer est
douce, le maître du navire peut abandonner le gouvernail au premier venu, lui
cédant l'honneur de commander, conviant ainsi ses gens aux vertueux exploits
; mais quand viennent les tempêtes, les plus expérimentés ne sont pas trop
bons pour la conduite. La Normandie a eu le père de Montpensier pour
gouverneur ; cependant omnes Tytidem patre
meliorem credunt.
Il aura de grands devoirs à remplir ; mais magna
curas magna merces.
— Tout est dans ce goût. Qu'il y a loin de ces déclamations aux remontrances si
fermes et si vivement senties, dans lesquelles Groulart avait exposé aux yeux
effrayés de Henri HI les misères de sa province[32] ! Montpensier
était venu avec des projets belliqueux, et demandait des fonds pour assiéger
Honfleur, Pont-Audemer, Bernay. Les échevins de Caen avaient déjà promis cinq
mille écus[33]. En même temps le gouverneur de
Dieppe, de Chattes, venu en toute hâte prêter serment comme vice-amiral de
Normandie, annonçait l'arrivée imminente des ennemis sous les murs de
Saint-Valery-en-Caux. D'un autre côté, on avait arrêté à Argentan un homme
venant de Bretagne et chargé de papiers destinés à Mayenne, qu'on exhortait à
ne point traiter, surtout à ne point reconnaître un roi huguenot. Mais,
malgré ces alarmes, malgré ces préparatifs de nouveaux combats, il était
évident que la paix approchait. A Caen et dans toutes les villes de
Normandie, des processions, au caractère à la fois politique et religieux,
allaient d'église en église implorer son retour. Ce n'était plus seulement le
tiers-parti, c'était la France entière dont la voix s'élevait, de plus en
plus forte, pour réclamer l'exécution des promesses du roi. Henri avait déjà
dû consentir à l'ouverture des conférences de Suresne, où les principaux
chefs des deux partis cherchaient entre eux les bases d'un accord. Il fut grandement
alarmé, quand il vit les États repousser, avec une indignation toute
française, les propositions de l'Espagne, et agiter sérieusement l'élection
d'une dynastie nouvelle. A part quelques villes, où l'exaltation religieuse
avait égaré le patriotisme, presque toutes les autres demandaient, comme
Rouen, l'élection d'un roi, prince français et catholique[34]. Si l'on s'accordait sur le
choix d'un homme, la Ligue devenait invincible, et Henri perdait la moitié de
son prestige. Ce nom de roi, qu'on respondoit
au Qui-vive, sentoit quelque chose de plus impérieux que celui de l'Union,
dit d'Aubigné[35]. Bientôt chaque parti aurait eu
son roi. Henri se résigna donc à s'occuper sérieusement de sa conversion. Il
appela près de lui les princes du sang, les grands seigneurs, tous les hauts
fonctionnaires du royaume. C'est sur sa demande que Groulart se rendit à la
Cour, vers le commencement de juillet. Ces
graves questions de tolérance, de séparation de l'Église et de l'État,
étaient si peu mûres encore, même chez les esprits les plus avancés, que
celui de Groulart était resté longtemps indécis. Nous l'avons vu tour-à-tour
n'oser parler au roi de conversion, et accuser ceux qui le pressaient de
s'instruire ; refuser avec obstination l'entrée de la Cour à un conseiller
protestant, et s'emporter contre ces âmes
foibles qui ne peuvent goûter l'obéissance qu'on doibt à son prince, de
quelque religion qu'il fasse profession[36]. La nouvelle de l'abjuration
prochaine du roi mit un terme à cette incertitude de sa pensée, et Groulart,
tout heureux, se hâta de se fendre près de lui, pour assister à cet événement
tant souhaité. Au camp, il trouva déjà réunis presque tous les premiers
présidents des autres Cours, et parmi eux de Harlay qui lui fit de gracieux
compliments. C'étaient deux âmes également dévouées, également intrépides et
vraiment dignes de se comprendre. Groulart vit le roi, et assista plusieurs
fois au Conseil. Ainsi
cette loi fondamentale de l'État, que, pour monter au trône, il fallait être
mâle, capable de la couronne et habile au sacre[37], Henri était contraint de la
reconnaître. Toutefois, il ne se dégageait qu'avec peine des liens qui
l'avaient retenu trop longtemps. En mars 1593, il déclarait encore aux
pasteurs protestants d'Angers, que, si on
leur disoit qu'il se détraquoit de sa religion, qu'ils n'y creussent point,
qu'il y mourroit[38], et il en coûtait à son orgueil
de manquer à une parole trop légèrement engagée ; il en coûtait plus encore à
son esprit, si fier, de paraître céder à l'insistance, presque aux menaces
des catholiques de son parti, surtout ale puissance de la Ligue. A ces
marques d'hésitation, tous ceux dont cette abjuration renversait les desseins
ambitieux semaient des bruits d'hypocrisie et de duplicité, et il avait eu le
tort, par des propos- échappés à sa vive nature ou aux ennuis de sa
situation, de donner prise à ses ennemis. Le 23
juillet, deux jours seulement avant qu'il abjurât dans le sein du Conseil où se
trouvait Groulart, Henri, dans un dernier combat de sa fierté vaincue, se
plaignit en termes fort vifs qu'il n'avoit
tenu qu'à ses serviteurs que Paris ne fust réduict en grande nécessité, mais
qu'ils se contentoient de faire des forts et y entretenir grandes garnisons,
et, quelques deffenses qu'il y eust, permettoient soubs passeports de faire
conduite de vivre à Paris et leur donnoient moyen de continuer leur rebellion. Puis, tirant Groulart de côté,
il lui dit que c'était de M. d'O surtout qu'il entendait parler. Je n'eus garde de lui répondre sur cela, dit naïvement Groulart. D'O
était un des seigneurs catholiques qui demandaient le plus vivement la
conversion du roi, et c'était là sans doute son plus grand tort. Le matin de
ce même jour, Henri avait écrit à Gabrielle : Ce
sera dimanche que je feroy le saut perilleux ; et il s'était répandu en plaintes contre ceux
qui le voulaient instruire. Par ces éclats de mécontentement, par ces paroles
déplacées, il manquait à la décence, il se manquait à lui-même, et, quant à
ces dehors de sa conduite, il ne faut point l'excuser[39]. On ne
doit pas non plus la juger, quant au fond, avec la même rigueur. Henri, avec
une humeur un peu fanfaronne, avait une âme honnête et c'est par là qu'il
s'élève au-dessus de tous les princes de son temps. C'est là ce qui faisait
dire à Groulart, qu'il n'avait jamais douté de sa conversion, pour avoir esté le roy recogneu toujours homme de parole,
et pour estre si homme de bien que l'on esperoit que Dieu auroit
particulièrement soing de lui[40]. Il sut enfin sacrifier son
orgueil tout ensemble au bonheur de la France et à son propre intérêt ; le
Ciel l'en a récompensé par sa protection, la France par son amour. Les
esprits religieux aiment à voir dans la grâce divine la cause de cette
transformation merveilleuse qui s'opéra dès lors en lui. Ce qui est certain,
c'est que Henri, entré dans Saint-Denis avec une nature noble, mais trop
impérieuse, des pensées honnêtes, mais incertaines, et flottant au vent des
passions, sortit de la royale basilique, sinon parfait, du moins plus assuré dans
ses principes, et que bientôt, de l'épanouissement de ses belles qualités,
surgit un roi vraiment français, dont le cœur battit avec le cœur de son
peuple, le plus habile à bien faire, le plus aimé, le plus populaire des
Bourbons et le plus grand de sa propre grandeur. De quelle joie fut inondée
l'âme fidèle de Groulart, quand il vit, au sortir de l'imposante cérémonie,
un rayon céleste éclairer le front de Henri, et les Parisiens, oubliant leurs
haines, accourir tout transportés sur son chemin. Dans le récit, qu'il en
donna quelque temps après, en retentit encore un heureux écho[41]. Comme
son premier président, le Parlement de Normandie tressaillit d'allégresse à
cette bonne nouvelle. Elle parvint d'abord à La Vérune par un conseiller qui,
revenant de l'abjuration du roi, avait trouvé sur sa route toutes les villes en
réjouissance. Emporté par sa joie, le gouverneur voulait qu'on chantât le Te
Deum sans plus attendre. Sur la prière de la Cour, on différa la cérémonie
jusqu'au lendemain samedi 31 juillet. Ce jour-là, le Parlement voulut
déployer une pompe depuis longtemps inusitée. Les robes d'écarlate reparurent
au soleil : les présidents, quittant le deuil, reprirent les manteaux de
velours, fourrés d'hermine, et les mortiers enrichis de drap d'or. Arrivée à Saint-Pierre,
la Cour y trouva réunis, La Vérune, les échevins, le clergé des paroisses. La
Cour des Aides prit place dans la chapelle Notre-Dame, le Parlement dans le
chœur. La foule remplissait l'église, le carrefour, les rues voisines.
L'office commença par le psaume 125, In convertendo ; puis, au son des
orgues et en musique, furent chantés le Te Deum, le psaume 19, Exaudiat
te Dominus, et autres prières pour rendre
grâces à Dieu et requérir paix et repos en ce royaume. L'enthousiasme était si grand
qu'il éclata dans un magnifique transport. Au moment où les chantres se
préparaient à entonner le Vivat Rex, la foule pressée dans l'église les
devança. A ces acclamations, ceux qui étaient dehors les imitèrent à leur
tour, et bientôt la ville entière retentit, d'un bout à l'autre, d'un immense
cri de Vive le Roi ! Les canons du château tonnaient incessamment, et
portaient aux campagnes réjouies les échos de la fête. Après
l'office, on offrit, de la part de la ville, au président Le Jumel et à La
Vérune, deux torches richement ornées de velours et destinées à allumer les
feux de réjouissance. Les compagnies bourgeoises, rangées en armes dans le
carrefour, en saluèrent les premières flammes par des décharges de
mousqueterie. Pendant toute cette journée, la ville fut en fête : on
multiplia les feux ; point de maison qui ne fût illuminée, de bon citoyen qui
ne se sentît heureux. Le lendemain, les processions, les messes d'actions de
grâces, les panégyriques recommencèrent avec
grande dévotion et cérémonie. L'annonce d'une trêve vint mettre le comble à la joie publique
en affermissant l'espoir d'une paix définitive ; et, dans les villes
royalistes et dans celles de, tous les hommes sincères s'unirent en un même
sentiment, présage de la concorde qui bientôt allait finir leurs longues
divisions. Arrêtons un instant notre pensée sur les sentiments que durent éprouver alors ces hommes courageux du Parlement. Le succès leur apportait une joie d'autant plus vive qu'ils l'avaient conquise, au prix d'un long combat, plus méritant que glorieux, et qui avait exigé encore plus de constance que de courage. Tous n'étaient pas de grands esprits sans doute ; mais, hommes honnêtes, guidés par un homme supérieur, fidèles à leur parti, même aux heures incertaines, ils avaient affermi le dévouement des royalistes, arrêté de nombreuses défections, soutenu le roi et préservé la France d'une affreuse anarchie. Parvenus au but de leurs efforts, ils pouvaient faire cette réflexion qu'un de leurs collègues, envisageant ces mêmes événements, exprima plus tard dans un mâle et fier langage : Notre monarchie peut dire avoir esté conservée singulièrement pendant les troubles et guerres civiles esmeu es en ce royaume... non-seulement par les armes victorieuses de notre brave et valeureuse noblesse, mais aussi par l'authorité, prudence et prévoyance des Parlements, fermes colonnes et arcs-boutants de cet Estat[42]. On retrouve surtout le caractère et comme le retentissement de leur allégresse dans le choix de ce psaume 125 qu'ils chantèrent en actions de grâces, ce jour mémorable du 30 juillet, quand ils étaient en grande pompe, avec tout l'éclat de leur majesté, réunis dans le chœur de l'église Saint-Pierre. Après avoir traversé tant d'épreuves, subi tant d'humiliations, triomphé de si grands obstacles, ils pouvaient, sans trop d'orgueil, chanter, avec le roi-prophète : Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans la joie. Ils marchaient et s'en allaient, pleurant et jetant la semence sur la terre, mais ils reviendront avec des transports de joie, en portant les gerbes de leur moisson. Eux aussi, malgré la misère des temps, malgré les douleurs et les humiliations, sans désespérer de l'avenir, ils avaient continué de jeter la semence de dévouement au roi et d'amour du pays ; et, en ce jour, ils allaient quitter la terre d'exil, et reprendre avec des transports de joie le chemin de leur palais, en portant, comme les gerbes de leur moisson, le triomphe de leur prince, le salut et la prospérité de la France. |
[1]
Reg. secr., 3 sept. 1592.
[2]
Plan de la ville, dressé par Pierre Gondouin et payé 20 écus. Arch, de la
ville, reg. 31, f° 5-6. — L'ingénieur royal était noble
homme Guillaume du Couldray, sieur du Boys. Ibid., f° 15. — V.
Reg. 31, f° 276, un plan de défense rédigé par La Vérune lui-même ; Reg. 31, f°
1, 2, 5, 6, 15, 140. Origines de Caen, ch. VII, p. 43. Manuscrit de M.
Du Feugray. Bibl. de Caen.
[3]
Arch. de la ville, reg. 31, f° 24. Dans ce même registre sont toutefois
conservés deux petits billets très-curieux : l'un de Jacques de Cahaignes,
demandant à un échevin qu'au lieu de son frère, on impose un autre bourgeois lequel a bon moyen d'avancer cette somme... d'autant que la requête ne me semble incivile, parce qu'il
n'y va point du dommage de la ville, car la somme n'en sera diminuée, je n'ay
faict difficulté de vous la faire. L'autre est un billet de La Vérune : M. de Maizet, le sieur de Busenval vous nommera un homme an
lieu de Pelletier, son voysin ; je vous prye, mettez-le avant que je le signe ;
car si j'ay une fois signé, je suy résolu de n'y toucher, quant ce seroit pour
mon frère. La Vérune. Ibid., f° 84, 85.
[4]
Le détail de cette délibération est consigné dans le registre 30, f° 49. Elle
est du 20 mars 1591.
[5]
Arch. de la ville, reg. 31, f° 38, 61, 62, 118, 151, 160. Leurs lettres
sont de curieux spécimens de langue normande : Vous
pouvoys pensser que toutes les meschancetés de ce qui peuvent nous faire icy,
nous les font et ne savons d'où c'est que sella vient. — Quant pour le faict de nostre canon, etc.
[6]
Arch. de la ville, reg. 31, f° 156.
[7]
Arch. de la ville, reg. f° 156, 157, 168, 165, 172.
[8]
Dom Taillandier, Histoire de Bretagne, Preuves, t. III, col. 1557.
[9]
A Rouen, Reg. de l'hôtel-de-ville de Rouen, 28 janv. 1592 ; — à
Coutances, Lecanu, Hist. des évêques de Coutances, p. 322 ; — au château
d'Arques, Mém. de la Chambre des comptes, 1597, f° 49. Archives de la
Seine-Inférieure.
[10]
Notons cependant un ouvrage de Jacques de Cahaignes : De popularis
dysenterice natura, causis et curatione, Cadomi, 1592, in-8°. Nous voyons
encore dans le Matrologium Medicinæ Facultatis Cadomensis, les
professeurs de la Faculté visitant les officines des marchands anglais et
flamands qui avaient apporté à Caen Simplicia
laxativa. F° 125 v°. Bibl. de Caen. Dans ce même manuscrit se trouve
mentionné le testament du médecin de Cahaignes.
[11]
Arch. de la ville, reg. 34, f° 111, 112, 118 129. Reg. secr., 9
sept., 8 octob. 1593.
[12]
Reg. secr., 26 sept. 1592. Floquet, Histoire du Privilége de
Saint-Romain, I, 370.
[13]
Mémoires de L'Estoile, II, p. 275. Lettre des envoyés caennais, datée de
Londres, 22 sept. Reg. 34, f° 116.
[14]
Reg. secr., 17, 16 sept. 1592.
[15]
Floquet, Histoire du Privilége de Saint-Romain, I, 392.
[16]
Reg. secr., 13 oct. 1592, 7 avril 1593. Il serait curieux d'étudier plus
en détail le caractère et les attributions de ce procureur des États. En
1502,1e gouverneur d'Alençon établit, de son chef, un impôt d'une livre par
pipe de vin ou de cidre, pour en employer le produit à fortifier la ville. Le
procureur des États s'y opposa devant la Cour des aides (Arch. de la ville
de Caen, reg. 3, f° 8). La même année, le procureur apprend qu'une
augmentation de vingt sols par minot de sel allait être établie, et que des
lettres à cet effet étaient présentées au bureau des trésoriers généraux. Il y
forme opposition, au nom des trois Étais de la province (Ibid., f° 64).
C'était une sorte de représentant permanent des États avec le droit de veto. M.
Du Feugray, dans un manuscrit déjà cité, a très-judicieusement indiqué le
caractère de ce personnage.
[17]
V. la liste complète dans les Procès-verbaux des États-Généraux de 1593,
publiés par M. Bernard dans la Collection des documents inédits, p.
1-13.
[18]
Les exemples voisins, la raison, et ce que nous
expérimentons tous les jours, nous devroient faire sages, et apprendre que les
sujets suivent volontiers la vie, les mœurs et la religion même de leurs rois,
pour avoir part à leurs bonnes grâces, honneurs et bienfaits, qu'eux seuls
peuvent distribuer à qui il leur plaist ; et qu'après en avoir corrompu les uns
par faveur, ils ont toujours le moyeu de contraindre les autres, avec leur
autorité et pouvoir... Déclaration de M. le duc de Mayenne,
décembre 1592.
[19]
Proposition des princes, prélats, officiers, etc. — Caen, chez Jacques
Lebas, imprimeur du Roy, 1593. Declarations du Roy contre la convocation
faicte en la ville de Paris par le duc de Mayenne leues, publiees et
rçgistrees, oy et requerant le procureur general du Roy, suivant l'arrest de la
Court de ce jourd'hui et ordonné que les vidimus d'icelle seront envoyez par
les bailliages de ce ressort... à Caen, en Parlement le 28e jour de février,
1593. Signé : de Boislévêque.
[20]
Documents inédits. Procès-verbaux des États-Généraux de 1593,
préface, p. 5. Mémoires de L'Estoile, t. II, p. 342.
[21]
États-Généraux de 1593, préf., p. 48. M. Bernard est plus juste envers
ces États que M. A. Thierry, qui semble être encore sous l'impression des
railleries de la Satire Ménippée. Histoire du Tiers-État, I, 179.
[22]
Reg. secr., 3, 10 mars, 14 avril 1593.
[23]
Reg. secr., 14 avril 1593. Arch. de l'hôtel-de-ville de Caen,
reg. 29, f° 84, 163 ; — reg. 31,, f° 95, ibid., lettre de Lesage, 15
déc. 1593 ; — reg, 32, f° 118.
[24]
Lettre du procureur-syndic Lesage, 23 déc. 1592. Arch. de l'hôtel-de-ville
de Caen, reg. 34, f° 170, 176.
[25]
On a conservé un petit billet autographe, par lequel M. de Bras prie un échevin
de lui prêter ces lettres-patentes. L'écriture est tremblée, incorrecte, comme
celle d'un vieillard.
[26]
Demons, Hist. civ. et rel. de Cherbourg. — Masseville, t. V, p. 804. — Delalande,
Hist. des guerres de relig. dans la Manche, p. 175. Reg. secr. du
Parlem., passim.
[27]
Demons, Hist. civ. et relig. de Cherbourg. Les renseignements locaux
sont très-confus. M. Delalande, Hist. des guerres relig., etc. p. 304,
prétend les éclaircir par une longue dissertation, et rapporte cette surprise
de Cherbourg à l'année 1591. Mais les registres du Parlement ne permettent pas
de les placer dans une autre année qu'en 1593. La date du 4 avril est inexacte.
De 1590 à 1593, le jour des Rameaux n'est point tombé le 4 avril. — V. Reg.
secr. du Parlement, 17 avril 1593.
[28]
Masseville, t. V, p. 316. Dom Taillandier, Hist. de Bretagne. Preuves,
t. III. Col. 1557.
[29]
Arch. de l'Hôtel-de-Ville, reg. 32, f° 84.
[30]
Consulter, pour l'intelligence de ces détails, le plan de Caen par Belleforest,
légende D, 11, 17, 31.
[31]
Reg. secr., 13 mai 1593.
[32]
Reg. secr., 17 mai 1593.
[33]
Reg. secr., 17 mai 1593. — Arch. de l'Hôtel-de-Ville, reg. 32, f°
87.
[34]
Reg. de l'hôtel-de-ville de Rouen, 9 janv. 1593. Reg. XX, f° 73, 74. Les
Ligueurs n'abdiquaient pas leur caractère normand, et réclamaient la
conservation de leur charte. V. art. VII.
[35]
D'Aubigné, t. II, p. 285, édit. 1820. — Lettre du roi d'Espagne à son envoyé.
Bibl. imp., collect. Fontan., ms. 400.
[36]
Ce conseiller était Jacques Moynet, il ne fut reçu qu'en 1597. Pasquier était
dans les mêmes idées que Groulart. Aussi me
délibéré-je de vivre et mourir sous celui qui nous gouvernera désormais, sans
entrer dans aucun examen de sa conscience ; car tel que Dieu nous l'a donné, il
nous faut le prendre. Lettres, liv. XIV, lettre II.
[37]
Dialogue du Maheutre, append. à la Satire Ménippée, III, 380, id.
1726.
[38]
David de Lignes, contemporain, cité par Mourin. La Réforme et la Ligue en
Anjou, p. 296.
[39]
Jung, Henri IV, considéré comme écrivain, thèse soutenue à la faculté
des lettres de Paris. Lettres missives de Henri IV, III, 821.
[40]
Mémoires de Groulart, ch. IV.
[41]
Mémoires de Groulart, ch. IV.
[42]
La Roche-Flavyn, Les XIII Parlements de France, p. 2.