LOUIS XII ET ANNE DE BRETAGNE

CHRONIQUE DE L'HISTOIRE DE FRANCE

 

CHAPITRE XXIII. — 1514.

 

 

ANNE DE BRETAGNE n'eut pas le bonheur de voir la réalisation du mariage qu'elle avait eu tant de peine à préparer et que le roi n'approuvait qu'à contre-cœur. Elle était toujours souffrante, depuis sa dernière couche, à la suite de laquelle on avait craint pour ses jours. Sa santé s'était altérée, de longue date, dans ses couches successives et toujours malheureuses, à l'exception de deux qui ne lui avaient donné que des filles. Cependant, n'ayant pas encore trente-huit ans, elle pouvait espérer un fils, que le roi souhaitait autant qu'elle, mais étoit ladite reine souvent malade d'une maladie, nommée gravelle, pierre, et autres. Vers la fin de l'année, cette maladie s'aggrava tout à coup. La reine avait mandé à Blois le jeune Aventureux, Robert de La Marck, seigneur de Fleuranges, pour quelque menée qu'elle vouloit faire avec le roi de Castille, et de toute sa Maison d'Autriche ; et avait le cœur merveilleusement affectionné à faire plaisir à cette Maison de Bourgogne. Le seigneur de Fleuranges s'était donc rendu aux ordres de la reine, qui tomba malade, en devisant de ses besognes. Cette violente attaque de gravelle se compliqua d'une fièvre continue, que les médecins ne jugeaient pas mortelle. La reine s'abusait elle-même sur son état, car elle envoya, un jour, quérir ledit Aventureux. Elle étoit au lit, pour l'entretenir du mariage de sa fille Renée avec l'un des deux princes de Castille ; elle pria même le seigneur de Fleuranges de ne pas quitter Blois, avant qu'elle fût rétablie. Mais le mal empira, et elle se mit en devoir de faire une bonne mort, en pardonnant à ses ennemis, car elle laissa, par testament, l'administration de ses biens, de sa fortune et de ses filles, à Louise de Savoie, comtesse d'Angoulême, qui l'avait plus d'une fois offensée et qui ne cachait pas la haine qu'elle lui portait, haine qu'elle faisait partager à son fils. Anne de Bretagne mourut de la pierre, le lundi 9 janvier 1514, après dix jours de souffrances, que la médecine ne savait pas soulager. Ce fut une grande perte à plusieurs gens de bien, dit le seigneur de Fleuranges, qui ajoute cette triste révélation : Eh ! qui en fut bien aise, ce fut Monsieur d'Angoulême, pource qu'elle lui était bien contraire en ses affaires : et ne fut jamais heure, que ces deux Maisons ne fussent toujours en pique. L'historien du bon chevalier Bayard ne parle pas de l'antipathie et de l'hostilité latente qui existaient entre la comtesse d'Angoulême et Anne de Bretagne. Il constate seulement l'émotion générale, causée par cette mort, aussi prompte qu'inattendue : Ce fut, dit-il, dommage nonpareil pour le royaume de France et deuil perpétuel pour les Bretons ; la Noblesse des deux pays y fit perte inestimable, car de plus magnanime, plus vertueuse, plus sage, plus libérale, ni plus accomplie princesse, n'avait porté couronne en France, depuis qu'il y a eu titre de reine. Les Français et les Bretons ne plaignirent pas seulement son trépas, mais, en Allemagne, Espagne, Angleterre, Écosse, et en tout le reste de l'Europe, fut plainte et pleurée.

Pierre Choque, surnommé Bretagne, le roi d'armes de la reine, nous a laissé, dans la Relation des funérailles d'Anne de Bretagne, un tableau bien touchant de la douleur qui éclata au château et dans la ville de Blois, quand on apprit la nouvelle foudroyante de sa mort : Chacun joignait les mains, disant prières et oraisons, et crois que de mémoire d'homme l'on ne vit, pour un jour, plus grand'pitié, car non seulement les princes et princesses, mais les gens de tous les états, qui là étaient, semblaient que autre métier n'eussent appris que de pleurer, tordre les mains et crier. Le roi d'armes Bretagne ajoute à son récit un détail bien curieux : les officiers et les dames de la maison de l'excellente et digne reine ne se contentaient pas de plourer et larmoyer : ils raisonnaient tout haut sur l'accident qui leur avait enlevé, en si peu de jours, leur souveraine dame et maîtresse, en disant que les médecins avaient fait faux jugement de sa maladie, et étoit de chacun l'opinion que chassés devoient être. Mais la plus grande douleur, et la plus inconsolable, fut celle du roi, qui en mena un merveilleusement grand deuil. Il était si affligé, que huit jours durant ne faisoit que larmoyer, souhaitant à toute heure que le plaisir de Notre-Seigneur fût lui aller tenir compagnie. Il resta, pendant ces huit jours, absolument renfermé et caché à tous les yeux. Il avait, néanmoins, donné les ordres nécessaires pour que les funérailles de sa bonne compagne et épouse fussent célébrées avec la pompe et les honneurs qui lui étaient dus. Pierre Choque, le roi d'armes de la reine, avait été chargé spécialement de donner tous ses soins aux préparatifs de ces cérémonies funéraires, sous la direction des grands officiers de la Couronne. La reine était morte, dans une chambre du vieux château de Blois, qu'elle avait-toujours occupée depuis son premier mariage avec Charles VIII. Conformément à ses dernières volontés, deux jours après sa mort, les chirurgiens et les apothicaires de la Cour embaumèrent son corps, après en avoir extrait le cœur, qui fut enclos dans une boîte d'or en forme de cœur, surmontée d'une couronne et entourée d'une cordelière d'or. Sur la couronne était gravés ces deux vers :

CŒUR DE VERTUS ORNÉ,

DIGNEMENT COURONNÉ.

Le cœur d'or, portait cette inscription qu'on peut attribuer à Jean Marot, poète valet de chambre de la reine, et que nous rétablissons dans une orthographe plus moderne :

En ce petit vaisseau de fin or pur et munde,

Repose un plus grand cœur qu'oncques Dame eut au monde :

ANNE fut le nom d'elle, en France deux fois reine,

Duchesse des Bretons, royale et souveraine :

Ce cœur fut si très haut, que de la terre aux cieux

Sa vertu libérale accroissoit mieux en mieux,

Mais le Ciel en a pris la portion meilleure,

Et cette part terrestre, en grand deuil, nous demeure.

Le cœur d'Anne de Bretagne devait être porté à Nantes, chez ses sujets bretons qu'elle avait tant aimés, et enterré dans le même tombeau que celui de ses père et mère, en l'église du couvent des Carmes. Le corps embaumé demeura, cinq jours, dans la chambre mortuaire, où les religieux mendiants faisaient seuls l'office des morts : le visage de la reine, pendant ces cinq jours-là, ne se montroit nullement changé par la hideuse mort, mais aussi beau et agréable que durant son vivant. Pendant ces cinq jours, le fameux peintre du roi, Jean Perréal, dit Jean de Paris, avait exécuté la portraiture de la défunte, en peignant un masque de plâtre moulé sur son visage ; il dessina et peignit également les trophées, les écussons, les armoiries, les bas-reliefs, destinés à orner le lit de parade, le char funèbre et le catafalque. Le vendredi, vers minuit, on transporta le corps dans la salle d'honneur, située sur le devant du Château Neuf. Cette salle, parée d'une tapisserie de soie mêlée de fils d'or, représentant le Mystère de la Vengeance et Destruction de Jérusalem, était entourée d'une large bande de velours noir chargée des écussons armoriés de la reine. Le corps, revêtu de ses habits royaux, avec la couronne en tête, fut posé sur un lit de drap d'or, la figure découverte et les mains jointes : le sceptre et la main de justice étaient placés sur un carreau de drap d'or, à. gauche et à droite du lit. Pendant deux jours, les religieux de différents Ordres ne cessèrent de dire des messes et des prières ; les princes et princesses, les dames et damoiselles de la reine, tous les officiers de sa maison, en habits de deuil, furent admis à voir une dernière fois l'auguste défunte ; tous pleuraient et gémissaient. Huit jours révolus après le décès, on procéda à l'ensevelissement, en présence des principaux personnages de la maison royale : les pleurs et lamentations recommencèrent ; les uns baisaient le cercueil, les autres le suaire, et il fallut plusieurs fois relever le voile qu'on avait jeté sur le visage de la morte. Après quoi, le cercueil en bois de cèdre, revêtu de lames de cuivre, fut fermé hermétiquement et porté dans la salle de parade, toute tendue de drap et taffetas noir avec une goutière ou ceinture de velours aux armes et devises de la reine. Au-dessus du cercueil s'étendait un drap d'or, au milieu duquel on avait mis une sainte remembrante (image), faite près du vif après la face de ladite dame, où avait besogné Jean de Paris, peintre et valet de chambre du roi. Deux grands cierges brûlaient, nuit et jour, autour du corps, et chaque jour, il y eut, dans cette salle de parade, quatre grand'messes célébrées par des prélats et les chantres de la chapelle royale, et nombre de messes basses dites par les religieux. Le 3 février, vers trois heures après midi, le cercueil de la reine fut porté, par les officiers de sa maison, dans l'église Saint-Sauveur. Le cortège était composé des prélats et des ecclésiastiques attachés à la chapelle de la reine, des religieux de différents Ordres, des pauvres de la ville de Blois, au nombre de quatre cents, de tous les officiers de la reine et de ceux du duché de Bretagne, conduits par le seigneur de La Palice, grand maître de la maison du roi. On voyait, dans le cortège, les princes et les princesses, ayant à leur tête le comte d'Angoulême, héritier du trône, et le duc d'Alençon ; la duchesse de Bourbon-Beaujeu, la comtesse douairière d'Angoulême, et sa fille, duchesse d'Alençon, François de Valois et Madame Anne de France, étant les premiers princes et princesses du sang royal, avaient l'un et l'autre un manteau de deuil, dont la queue longue de trois aunes traînait derrière eux.

Le lendemain, de grand matin, fut célébré le service solennel, composé de trois messes basses, dites par l'évêque de Paris, l'évêque de Limoges et l'archevêque de Bayeux. Ensuite maître Guillaume Parvi, confesseur de la reine, prononça la première partie de l'oraison funèbre, qu'il devait continuer dans l'église Notre-Dame de Paris et achever dans la basilique de Saint-Denis. Dans ce discours, dit l'auteur anonyme d'un récit intitulé : le Trépas de l'Hermine regrettée, il déclara et prouva trente-sept épithètes vertueux appartenir à la noble dame et reine, d'autant qu'elle avait vécu en vertu trente-sept ans ; puis, il construisit un chariot, environné de toutes vertus, au milieu duquel il figurait ladite dame, pour en icelui être transportée jusques ès cieux. Dans l'après-midi, le cercueil fut placé sur un chariot à quatre roues, couvert d'un drap de velours noir, croisé de satin blanc. Ce char était traîné par six grands chevaux, houssés de velours noir, croisé de satin blanc, de telle sorte qu'on ne leur voyait que les yeux. Deux écuyers, montés sur les deux chevaux de devant, dirigeaient l'attelage. Le cortège était à peu près le même que celui qui avait accompagné le corps, du château de Blois à l'église Saint-Sauveur, si ce n'est qu'une partie des personnes de la Cour suivait à cheval, au lieu d'aller à pied. Il y avait, en effet, quarante-deux lieues de marche ; pour arriver à Paris. Les princes et les princesses montaient des mules noires harnachées de velours ; les dames et damoiselles d'honneur, des haquenées conduites 'deux à deux par un valet de pied. Six archers de la garde du roi ouvraient la marche, pour écarter la foule ; les Suisses de la garde, la hallebarde sur l'épaule, faisaient la haie de chaque côté du cortège. Ce long convoi funéraire s'achemina lentement vers Paris, où il n'arriva que le 12 février ; sur son passage accouraient les populations éplorées, s'agenouillant le long de la route et priant à voix basse pour l'âme de la reine, pendant que l'aumônier de service distribuait d'abondantes aumônes. Le soir du 12 février, le Parlement de Paris, ayant à sa tête ses présidents, alla au-devant du convoi, accompagné des religieux de l'abbaye de Notre-Dame des Champs, et de cinq cents pauvres, portant des torches aux armes de la Ville ; l'archevêque de Sens et l'évêque de Dol, entourés d'autres prélats, reçurent le corps à l'entrée de l'église de l'abbaye, dans laquelle il devait passer la nuit en une chapelle ardente tendue de velours noir aux armes et devises de la reine. Le lendemain, après-midi, le convoi, auquel s'était joint l'immense cortège des officiers de la Ville, les religieux de tous les couvents et les six Corps des marchands se mit en marche pour se rendre à la cathédrale : les rues qu'il avait à traverser étaient tendues de noir, de tanné (brun) et de bleu : devant chaque maison était allumée une torche, décorée aux armes de la Ville. Le Chapitre de Notre-Dame, suivi des principaux membres du clergé et de l'Université, précédait le cercueil de la reine, porté par les officiers de sa maison, et les quatre coins du drap d'or, qui couvrait le cercueil, étaient tenus par les quatre présidents du Parlement, que suivaient les seigneurs du Parlement et des autres Cours souveraines. Derrière le chariot mortuaire, plusieurs gentilshommes portaient une litière, toute couverte de drap d'or fourré d'hermines, sur laquelle on avait exposée l'effigie et représentation de la reine, moult richement accoutrée d'une cotte de drap d'or avec grand sercot de velours cramoisi fourré d'hermines. Cette effigie tenait le sceptre dans la main droite et la main de justice dans la gauche. Au-dessus de la litière un riche poisle bleu, en manière de deuil, semé à l'entour d'écus de France et de Bretagne, était porté par quatre présidents du Parlement et par quelques seigneurs et dames en grand deuil, avec chaperon en tête. Les archers de la garde du roi formaient la haie. Le grand portail de l'église avait été tendu de noir, ainsi que tort l'intérieur de cette vaste basilique, dans laquelle s'élevait une chapelle ardente à cinq clochers, où brûlaient douze cents cierges. C'est là que fut déposé le cercueil. Le maître-autel et tous les autels latéraux, garnis de velours ou de taffetas noir, croisé de blanc, étaient éclairés par trois mille huit cents cierges. Le peuple fut admis à venir se prosterner devant le catafalque, dans la journée du 14 février. Le jour suivant, devaient avoir lieu un service solennel et le transport du cercueil à l'abbaye de Saint-Denis.

Ce service commença dès le matin, dès que toutes les places furent occupées, dans le chœur et dans la nef, par les prélats, archevêques et évêques, accompagnés d'un nombreux clergé, par les princes français et étrangers, par les seigneurs des deux Cours de France et de Bretagne, par les Cours souveraines, le Corps de ville et les officiers de la maison de la reine. Philippe de Luxembourg, cardinal du Mans, officiait. Guillaume Parvi prononça la seconde partie de son oraison funèbre : suivant le goût bizarre de l'éloquence métaphorique de ce temps-là, il divisa le Cœur de Paris en quatre parties distinctes : l'Église, qui siège près de l'autel ; la Justice, près de la porte ; l'Université, à droite, et le Peuple, à gauche. Il représenta les quatre parties du Cœur parisien, versant des larmes sur la perte qu'il avait faite de cette reine vertueuse, qui consacrait sa vie à secourir les pauvres, les veuves et les orphelins, en travaillant à l'expulsion des juifs. Le service achevé, dans l'après-midi, les vingt-quatre crieurs-jurés de la Ville parcoururent les rues et allèrent faire ce cri dans tous les carrefours : Honorables et dévotes personnes, priez Dieu pour l'âme de très haute, très puissante, très excellente et très débonnaire princesse Anne, par la grâce de Dieu, en son vivant, reine de France, duchesse de Bretagne, laquelle trépassa au château de Blois, le neuvième jour de janvier, et est à présent en l'église Notre-Dame. Dites, en vos patenôtres, que Dieu bonne merci lui fasse ! A deux heures de relevée, le cortège se remit en marche, se dirigeant vers Saint-Denis, dans le même ordre qu'il avait tenu, l'avant-veille, pour apporter le corps de la reine à Notre-Dame, tout le monde marchant à pied jusqu'à l'église Saint-Lazare, hors des murs de la ville. Là, les princesses du sang, les dames, les damoiselles d'honneur, ainsi que quelques vieux gentilshommes, montèrent sur des mules ou des haquenées noires, pour continuer la route. On n'arriva que le soir devant l'abbaye, et le corps fut déposé dans la vieille basilique, où la plupart des rois et des reines de France avaient été inhumés depuis le règne de saint Louis. Le dernier service solennel se fit, le lendemain, avec la même pompe que les précédents. Guillaume Parvi acheva son oraison funèbre, en racontant les origines fabuleuses de la Maison de Bretagne, qu'il fit remonter à l'empereur de Grèce, Pindarus le troyen ; après avoir glorifié les Saints et les Saintes que la Bretagne avait produits, il annonça que la feue reine était digne d'être béatifiée, comme eux : Je jure ici, s'écria-t-il, je jure devant tous, que je l'ai confessée, communiée, administrée, et qu'elle est morte, saris avoir commis un seul péché mortel. Après ce discours, le cardinal du Mans donna l'absoute : on lui avait mis sur les épaules une chape magnifique, brodée de perles fines, que la reine avait ouvrée elle-même avec ses filles d'honneur, pour l'offrir au grand patron de la France, Monseigneur saint Denis. L'absoute faite, le cercueil fut descendu dans un caveau, en avant du maître-autel, et placé sur des barres de fer, à la hauteur de deux pieds du sol. Louis XII avait fait préparer cette sépulture pour lui et pour sa femme, depuis son second mariage avec la veuve de Charles VIII. Quand le cardinal officiant eut jeté un peu de terre sur le cercueil, le roi d'armes du roi, surnommé Champagne, s'avança près du caveau sépulcral et dit à haute voix : Roi d'armes des Bretons, faites votre devoir ! Alors Bretagne répéta par trois fois : La reine Très-Chrétienne et duchesse, notre souveraine dame et maîtresse, est morte ! Ensuite on appela successivement, par leurs noms le chevalier d'honneur et le grand écuyer, qui apportèrent, l'un la main de justice et l'autre la couronne, qu'ils baisèrent respectueusement, avant de les remettre au roi d'armes de Bretagne, qui, après les avoir baisés à son tour, les plaça sur le cercueil. Toute l'assistance se retira silencieusement, et l'on permit au peuple d'entrer dans l'église et de s'agenouiller devant la sépulture de la reine. Une foule émue et attendrie ne cessa, jusqu'au lendemain soir, d'accomplir ce pieux devoir, avec des larmes, des sanglots et des gémissements.

Le repas des funérailles fut célébré, deux jours après ; il avait été magnifiquement ordonné par le sieur de Menou, premier maître d'hôtel de la reine. Les présidents et les conseillers du Parlement y assistèrent, avec beaucoup d'autres personnages honorables, en compagnie de tous les officiers de la maison de la duchesse reine. Le comte de Vertus, baron d'Avaugour, présida le banquet, en qualité de grand maître de Bretagne. Après le repas et s'adressant aux officiers de la reine, qui l'entouraient, il leur dit à voix haute : Messeigneurs, la reine Très-Chrétienne et duchesse, notre souveraine dame et maîtresse, vous a bien entretenus et beaucoup aimés : vous l'avez loyalement servie. Il a plu à Dieu de nous l'ôter ! Si je puis vous faire quelque plaisir, tant en général qu'en particulier, je m'y emploierai de bon cœur. Vous pourrez vous retirer vers le roi notre Sire et Mesdames de France. Afin que vous sachiez qu'il n'y a plus de maison ouverte, je romps mon bâton de grand maître. Alors le roi d'armes de Bretagne répéta plusieurs fois dans la salle : La Très-Chrétienne reine et duchesse, notre souveraine dame et maîtresse, est morte ! Chacun se pourvoie ! Pour perpétuer le souvenir de ces mémorables cérémonies, le roi donna ordre à Pierre Choque, roi d'armes de Bretagne, d'en faire un récit détaillé. Ce récit fut transcrit sur vélin, à un assez grand nombre d'exemplaires, ornés de miniatures représentant les principales scènes des funérailles, et le roi distribua lui-même ces exemplaires aux princes du sang royal, ainsi qu'à tous les parents de la défunte.

L'union de Louis XII et d'Anne de Bretagne avait été, pendant près de dix-sept ans, aussi heureuse que pouvaient la rendre la plus intime sympathie, la plus tendre affection, la plus constante intelligence de cœur et d'esprit. Le roi, qui dans sa jeunesse avait beaucoup recherché le passe-temps des dames, était devenu, après son mariage, le plus fidèle des époux. La reine répondait à cet amour exclusif et absolu, par un attachement, par un dévouement sans bornes. Il y avait eu pourtant une sorte de refroidissement momentané entre eux, lorsque Louis XII avait cru devoir accepter toutes les conséquences d'une brouille complète et d'une lutte irréconciliable avec le pape Jules II. La dévotion timorée et scrupuleuse de la reine en : avait été sérieusement troublée. Peut-être avait-elle cédé à quelque obsession secrète de la part des ecclésiastiques, qui eurent depuis accès auprès d'elle, quand elle voulut user de son influence auprès de son bien-aimé mari, pour l'amener, vis-à-vis du Saint-Siège, à des concessions, à des faiblesses, que celui-ci regardait comme indignes de son caractère et de son rôle de roi. Elle trouva, de la part de Louis XII, une douce résistance, qu'elle ne put vaincre ni faire fléchir, pendant plusieurs années. Elle se soumit alors et s'inclina devant une volonté persistante que les anathèmes du pape avaient trouvée inflexible ; elle se résigna donc à souffrir silencieusement dans sa piété craintive et désolée. La seule querelle sérieuse que les deux époux eurent ensemble, en 1506, à l'occasion des fiançailles de la princesse Claude, âgée de six ans et demi, avec François de Valois, comte d'Angoulême, n'avait pas dépassé les limites d'une vive discussion au sujet de cette alliance, à laquelle la reine fut toujours opposée. Elle n'avait pas songé sans doute à se séparer du roi, pour un pareil motif, qui lui tenait et lui tint au cœur plus que tout autre, mais elle profita de cette circonstance pour faire un voyage dans son duché de Bretagne et y prolongea de telle sorte son séjour, que le roi s'en affligea d'abord et s'en irrita ensuite, lorsqu'il apprit qu'elle se proposait de rester à Rennes tout le mois de septembre. Le cardinal d'Amboise, le confident, le conseiller de l'un et de l'autre, écrivit confidentiellement à la reine : Le roi m'a envoyé quérir, cet après-dîner. Je ne le vis jamais si courroucé ! Anne de Bretagne répondit qu'elle reviendrait aussitôt que les belles joutes qu'on devait faire pour elle seraient finies. Le cardinal ne fut pas satisfait de cette réponse, car il envoya un nouveau messager à la reine, avec une lettre où il lui disait : Bien que merveilleusement joyeux de l'assurance que me donnez de faire autant diligence que possible pour revenir à la Cour, je suis marri que n'en indiquiez pas l'époque. Je ne sais que répondre au roi, qui en est en grand'perplexité. Vu ce qu'on en dit en beaucoup de lieux, que plût à Dieu que je fusse auprès de vous, pour vous en avertir... ! Je ne vous sais autre chose que vous dire, sinon qu'il me déplaît de tout mon cœur que le roi et vous ne parlez plus franchement les uns aux autres. La reine s'excusa de paraître désobéir au roi, qui lui en gardait rancune mal à propos, et se mit en route pour revenir à Blois. Un messager du cardinal lui remit en route une lettre de ce digne ami, qui l'avait d'avance réconciliée avec le roi : Pour Dieu, lui disait-il, ne tombez, le roi et vous, en ces petites défiances de l'un à l'autre, car, s'il durait, n'auriez jamais ni fiance ni amour l'un à l'autre, outre le mal qui en peut venir à vos personnes et la moquerie de toute la Chrétienté. J'espère, pourvu que soyez ici, que par votre bon sens tout se rhabillera si bien, qu'il ne sera nouvelle que de faire bonne chère (bon accueil). Louis XII, qui était la bonté même, avait pardonné, avant que sa Bretonne (comme il l'appelait) eût demandé pardon.

Il y avait donc, dans le caractère d'Anne de Bretagne, une obstination, une violence naturelle, qu'elle se reprochait la première, puisqu'elle priait son confesseur de ne lui accorder l'absolution, qu'autant qu'elle aurait réparé ses torts à l'égard de son prochain. Son ressentiment profond envers le seigneur de La Trémoille et sa haine contre Louise de Savoie, comtesse d'Angoulême, haine dont elle ne fit le sacrifice qu'au lit de mort, prouvent combien elle était vindicative et rancunière, malgré tous les efforts qu'elle faisait pour se dominer. Son premier abord était ordinairement grave, froid et sévère ; mais, si son air imposant inspirait le respect, même la crainte, on reconnaissait aussitôt sa douceur et sa bénignité : A voir son port, sa dignité, dit un officier de sa maison (Jean de Saint-Gelais, seigneur de Monlieu), il me semble que tout le monde soit sien et lui appartienne, tellement que de prime face on a crainte de parler à elle, mais quand on y a quelque affaire et qu'on trouve moyen de le lui dire, il n'est aucune personne si douce, si humaine, si abordable. Ceux qui la voient se départent de sa présence, tout réjouis, tout consolés et aussi contents que possible. Quoiqu'elle fit fouetter impitoyablement ses pages, s'ils avaient commis quelque faute reprochable, quoiqu'elle se fût vengée quelquefois cruellement de ceux qui l'avaient offensée de malice, elle était reconnaissante du moindre service rendu, et elle savait se faire aimer, comme le prouvèrent les regrets unanimes qu'elle laissa après elle. Le roi son mari, dit l'historien du chevalier Bayard, ne donnait pas les grandes sommes de deniers, de peur de fouler son peuple, mais cette bonne dame y satisfaisait ; et y avait peu de gens de vertu en ses pays, à qui une fois en sa vie n'eût fait quelque présent. Brantôme, qui était bien renseigné sur ce sujet par sa tante, madame de Daillon, une des filles d'honneur de la reine, confirme à cet égard le témoignage du secrétaire historien du bon Chevalier sans peur et sans reproche : Elle était très libérale, et d'autant que le roi ne faisait de dons immenses, pour lesquels entretenir il eût fallu qu'il foulât son peuple, ce qu'il fuyait comme peste, elle suppléait à son défaut, car il n'y avait grand capitaine de son royaume, à qui elle ne donnât des pensions et fit des présents extraordinaires, ou d'argent, ou de grosses chaînes d'or, quand ils allaient en quelque voyage ou en retournaient ; et même en faisait des petits, selon leurs qualités ; aussi, tous couraient à elle, et peu en sortaient avec elle mal contents. Un écrivain du XVIIe siècle, le P. Hilarion de Coste, dans ses Éloges et vies des Reines, complète ces intéressants renseignements, et presque dans les mêmes termes : Les curieux n'ignorent pas que cette très libérale princesse avait un cabinet et une galerie, pleins de diamants, de perles, de rubis, d'émeraudes et autres pierres précieuses, dont elle faisait des présents aux femmes des capitaines et héros, qui avaient acquis de l'honneur et de la gloire dans les armées, et fidèlement servi Louis XII, son mari ; lequel n'était pas beaucoup libéral, par la crainte qu'il avait de fouler son peuple, dont il était le père. C'était, de la part du roi, une délicatesse exquise, que de vouloir attribuer à sa femme tout l'honneur de la munificence royale.

Anne de Bretagne ne se lassait jamais de donner : elle étoit très bonne, fort miséricordieuse, et fort charitable. Ses aumônes s'élevaient à des sommes considérables ; allait-elle en voyage, elle laissait partout des traces bienfaisantes de son passage ; se montrait-elle dans les rues ou par les chemins, son inépuisable charité marchait devant elle ou la suivait partout. On ne saurait énumérer tous les dons qu'elle avait fait aux églises, aux couvents, aux hôpitaux. Elle n'attendait pas qu'on s'adressât à elle, pour obtenir un secours. Elle ne visitait pas un monastère, une chapelle, un pèlerinage, sans y déposer son offrande, en disant aux prêtres et aux religieux : Je recommande le roi notre sire à vos prières, pour que Dieu lui accorde bonne vie et longue, ici-bas, avec le saint paradis dans la vie éternelle. La reine se mêlait pourtant des affaires d'État, et le roi n'y trouvait pas à redire ; il profitait souvent de ses conseils ; elle lui prêtait même aide et assistance, dans les circonstances les plus délicates, en correspondant directement avec des souverains et des princes étrangers, comme Ferdinand le Catholique ; avec des reines et des princesses, comme Marguerite d'Autriche, la gouvernante des Pays-Bas, et Germaine de Foix, la nièce de Louis XII, seconde femme du roi d'Aragon. Les ambassadeurs des différentes puissances ne venaient pas à la Cour de France, sans se mettre en rapport avec elle et sans lui soumettre les questions les plus secrètes, qu'ils avaient à traiter avec le roi ou ses ministres.

Anne de Bretagne vivait, d'ailleurs, fort retirée par goût et par prudence, car sa santé était inégale et souvent languissante, à la suite de ses grossesses pénibles et de ses couches difficiles, mais elle avait sans cesse auprès d'elle sa cour de dames et de damoiselles, appartenant aux premières familles nobles de la France et de la Bretagne. Les miniatures des manuscrits qu'elle faisait exécuter pour sa bibliothèque la représentent couchée sur un lit de repos, tandis que ses dames et ses filles d'honneur sont assises autour d'elle sur des tapis ou sur des sièges très bas, travaillant à différents ouvrages d'aiguille ou très attentives à ses ordres et à ses enseignements. Elle appréciait, elle cultivait elle-même les lettres et les arts ; elle protégeait, elle pensionnait les artistes, les savants et les poètes. Les imprimeurs libraires ne publiaient pas une belle édition, sans la lui dédier, ou du moins sans lui en offrir un exemplaire imprimé sur vélin, richement enluminé et relié avec soin. Sa bibliothèque était nombreuse et bien choisie : on y voyait beaucoup de manuscrits précieux, provenant de la magnifique collection des anciens ducs de Milan. Son livre d'Heures, qui a été conservé, est orné d'une multitude de peintures exquises, faites sous ses yeux par Jean Bourdichon et Jean Perréal, ses peintres ordinaires. On remarque surtout, dans les ornements des pages de cet incomparable livre, toute la flore française, d'un éclat et d'une vérité de coloris, qui rivalisent avec la nature. Dès son enfance, elle avait aimé les fleurs, les parfums et les oiseaux. A Blois, à Amboise, à Tours, et ailleurs, elle créa des jardins superbes, qu'elle enrichissait sans cesse de plantes rares et nouvelles. Dans les miniatures où elle est représentée lisant ou écrivant, son chien favori, une charmante levrette blanche, est posé sur le pan de sa robe et semble veiller sur elle ; on voit aussi, à côté d'elle, des perroquets et des oiseaux rares dans leurs cages en fil d'archal ou sur leurs perchoirs. Ses appartements étaient tendus de tapisseries brodées d'or et meublés de coffres, de bahuts, de chaires et de bancs sculptés. Elle avait formé plusieurs cabinets de portraits historiques et de tableaux de sainteté, la plupart apportés d'Italie. Dans les cérémonies publiques et les fêtes de cour, elle portait volontiers la couronne royale, avec une quantité de colliers, de chaînes et de bagues du plus grand prix, car elle avait d'habiles orfèvres et lapidaires, qui ne travaillaient que pour elle. Son costume en drap d'or et en velours, garni des plus riches fourrures d'hermine et de menu vair (petit gris) triomphoit de luxe et de magnificence. Mais, dans la vie domestique, elle affectait d'être simplement vêtue de noir, ou de rouge, couleurs de sa livrée ; elle mettait cependant une singulière recherche dans le choix de son linge de corps, qui était de la plus fine toile de Hollande. Toutes les personnes attachées à sa maison, jusqu'aux derniers servants de cuisine, avaient sa livrée mi-partie rouge et noire, qui fut jaune, rouge et noire avant son mariage avec Louis XII. Elle avait gardé, pour emblème, l'hermine que les ducs de Bretagne s'étaient attribuée, à cause de sa blancheur, comme un symbole de foi et d'honneur ; mais elle avait remplacé l'ancienne devise : Potius mori quam fœdari, Plutôt mourir, que d'être souillé, par ces mots gravés sur le collier d'or de l'animal emblématique : A ma vie. Quant à l'Ordre de la Cordelière, qu'elle avait institué pour les dames, en mémoire de la dévotion que ses ancêtres eurent à Saint-François d'Assise ; elle était bien aise que toutes les dames de sa cour le portassent avec les armes de Bretagne, ainsi qu'elle le portait elle-même, comme une marque d'honneur.

Louis XII éprouvait une telle douleur de la mort de sa femme qu'on put penser qu'il y succomberait. Pendant plus d'un mois, il se tint renfermé, ne voyant personne, excepté ses deux filles Claude et Renée. C'est à peine s'il consentit à s'occuper des affaires les plus urgentes de la politique. Il avait fait chasser du château de Blois les musiciens, en défendant toute espèce de distraction profane. Par son ordre, les représentations scéniques des troupes de comédiens avaient été interdites à Paris et dans tout le royaume, où l'on disait sans cesse des messes pour l'âme de la reine défunte. Le roi s'habilla fort longtemps de noir, ainsi que toute la Cour, et ceux qui venoient autrement, les en faisoit chasser, et n'eût point ouï un ambassadeur, quel qu'il fût, qu'il ne fût habillé de noir. Sa santé avait reçu un coup terrible, dont elle ne se remit jamais. Sa mélancolie croissant de jour en jour, il avait pris à contre-cœur l'habitation de Blois. Les médecins lui conseillaient de changer de lieu et de donner ainsi, à son chagrin, une distraction forcée ; il devint extrêmement malade et se fit transporter au château de Saint-Germain, où il ne se rétablit pas, malgré la salubrité de l'air de cette résidence. Après un court séjour à Paris, il alla chercher, au bois de Vincennes, une solitude qui convenait mieux à l'état de son esprit. Les phénomènes célestes qui furent observés en Piémont, avant et après la mort d'Anne de Bretagne, avaient étrangement frappé l'imagination du roi. Le Io janvier 1514, vers midi, on vit briller à la fois trois étoiles, et le soir, quand la lune se leva à l'heure accoutumée, elle parut environnée d'un cercle couleur de sang et traversée par une grande croix lumineuse. Les astrologues italiens prétendirent que ces trois soleils signifiaient dissension, et cette croix lunaire, schisme ; les astrologues français interprétèrent autrement ces phénomènes, comme s'ils annonçaient grosse guerre, effusion de sang et mutation de seigneurie. Louis XIII crut y voir une prédiction de sa mort prochaine, et il se résigna d'avance à voir passer là couronne de France sur la tête de son neveu le dalphin François d'Angoulême.

Cependant, suivant l'expression d'un confesseur du roi, nommé le Père Humbert, originaire de Velay, Louis XII devenait formidable à ses ennemis. La Ligue menaçante qui l'avait mis à deux doigts de sa perte l'année précédente, s'était rompue toute seule ; des confédérés qui l'avaient formée, il n'y avait plus que le roi d'Angleterre qui eut envie de continuer la guerre contre les Français. Mais le roi d'Aragon, qui tenait en main le traité secret dans lequel Louis XII renonçait en sa faveur au royaume de Naples et s'engageait à donner en dot à sa fille Renée le duché de Milan, le comté de Pavie et la seigneurie de Gênes, en la mariant à l'un des deux princes de Castille, ne songeait plus qu'à se réconcilier ouvertement avec le roi de France. Léon X, influencé par le roi Catholique, était dans les mêmes dispositions que ce souverain, qui n'avait pas eu peine à exercer la même influence sur l'empereur Maximilien et sur la gouvernante des Pays-Bas. Le cardinal de Gurck, à la prière de Marguerite d'Autriche et du roi d'Aragon, avait essayé d'obtenir de Maximilien plein pouvoir de conclure la paix avec les Vénitiens, devenus alliés de Louis XII. — Il serait bien difficile, disait Marguerite à son père, de soutenir, en même temps, la guerre contre les Vénitiens et les Français. Les Suisses étaient plus rudes à manier, quoique Louis XII eût parmi eux un certain nombre de personnages influents, gagnés à ses intérêts par les pensions qu'il leur faisait payer secrètement. Le traité de Dijon, que le roi n'acceptait pas entièrement, était toujours entre la France et les Cantons une pierre d'achoppement, qui pouvait d'un jour à l'autre arrêter la reprise imminente des négociations pacifiques. La conduite des Suisses, à l'égard de -François de Rochefort, bailli de Dijon, un des otages de ce traité que repoussait Louis XII, avait été cruelle et menaçait de le devenir davantage, car on voulait le rendre responsable de la non-exécution dudit traité signé par son oncle le seigneur de La Trémoille. Le pape avait donc envoyé, le 12 février, à son nonce auprès des Ligues, une instruction formelle, pour réclamer la mise en liberté du bailli de Dijon, sous condition expresse de faire exécuter le traité, quoique le malheureux otage eût déjà donné 4.000 écus pour sa rançon. Le bruit courait que le retour des Français dans le duché de Milan était imminent, le duc Maximilien Sforza étant haï de ses sujets et n'ayant ni troupes ni argent pâlir soutenir une nouvelle guerre, dont le roi de France commençait les préparatifs, d'accord avec le roi d'Aragon ; Cependant l'unique garnison française, que Louis XII eût encore en Italie, était au moment d'abandonner le château de Gênes, faute de vivres et de munitions, les navires qui devaient ravitailler la place ayant été rués jus par les Génois. Rien n'avait transpiré encore de la trêve d'un an que le roi Catholique avait conclue avec le roi Très-Chrétien, à la fin de l'année précédente, en se faisant fort d'amener successivement ses alliés, l'empereur et le roi d'Angleterre, à l'acceptation de cette trêve, qui rendait impossible la_ continuation de la sainte Ligue.

Pendant les premiers mois de 1514, Louis XII sembla rester en dehors de toutes les négociations mystérieuses qui avaient lieu dans les cours voisines et auxquelles il était sérieusement intéressé. Le roi d'Angleterre se plaignait à Marguerite d'Autriche des intrigues du roi d'Aragon, qui travaillait souterrainement, à l'insu de ses alliés, pour faire la paix avec le roi de France ; il accusait aussi l'empereur d'être plus ou moins mêlé à ces intrigues. Il n'en faisait pas moins armer une flotte, à Calais, sous prétexte de vouloir envoyer en Espagne sa sœur Marie, dont le mariage avec Charles, prince de Castille, avait été proposé, sinon décidé. C'était la gouvernante des Pays-Bas qui avait tramé ce beau projet et qui pressait vivement son père d'achever ce qu'elle avait si bien commencé : Vous savez, lui écrivait-elle, quant au fait de l'alliance du mariage de madite dame Marie, vous savez comment elle nous est nécessaire et utile pour le bien et sûreté des pays par deçà (les Pays-Bas), et comme ledit sieur roi ne demande rien tant que la solennisation du mariage. On avait eu vent d'une trêve, que le roi d'Aragon aurait traitée avec Louis XII et que le roi Henri VIII déclarait inacceptable ; mais on ne parlait pas encore du mariage projeté entre l'archiduc Ferdinand et Renée, seconde fille du roi de France. Sur ces entrefaites ; on apprit que les Suisses, poussés à bout par les atermoiements et les tergiversations de la politique française, avaient fait, par deux fois, le 14 et le 17 mars, appliquer à la question le bailli de Dijon, pour lui faire déclarer les pratiques du roi son maître, et le forcer à révéler le nom de ceux de leurs officiers que La Trémoille avait gagnés en les faisant pensionnaires de la France. Le pauvre François de Rochefort eut assez de courage pour souffrir la torture, sans qu'il lui échappât aucune parole imprudente. Après cet acte d'inhumanité sans exemple, les Suisses avertirent, par message, en date du 20 mars, le duc Charles de Bourbon, désigné par Louis XII pour commander l'armée d'Italie, que si le traité de Dijon ne leur était pas entretenu et l'argent payé comptant, ils se mettront aux champs et feront la guerre en France. Cette menace ne pouvait plus effrayer personne : le duc Charles de Bourbon avait assemblé des gens d'armes, au nombre de vingt-cinq à trente mille hommes, dans le duché de Bourgogne, et le pape était parvenu à faire conclure la paix entre les Vénitiens et l'empereur, à Rome même, le 4 mars.

Louis XII avait envoyé à Londres le général des finances de Normandie, pour traiter de la rançon des seigneurs français, qui avaient été faits prisonnier à la journée des Éperons. La mission du général des finances de Normandie cachait un autre but : il devait s'aboucher avec l'un de ces prisonniers, le sire de Longueville, brave seigneur et chevalier, qui était le premier du sang après Monsieur d'Angoulême, et qui, par sa sagesse et prudence, avait pénétré bien avant dans la confiance et l'amitié du roi d'Angleterre. Ce fut donc par l'intermédiaire du sire de Longueville, que l'envoyé du roi de France, sans avoir été accrédité comme ambassadeur, obtint du roi Henri VIII une suspension d'armes, pour quelque temps. Il ne se hâta point de revenir en France, et il eut l'adresse de prolonger son séjour en Angleterre, sous couleur de payer la rançon du prince de Longueville, de telle sorte qu'il s'y trouvait encore à la fin du mois de mai et que Marguerite d'Autriche écrivait alors à l'empereur : Je me doute que ce personnage français n'y ait quelque autre charge, car j'entends qu'il y est fort bienvenu, et qu'on l'entretient souvent, et qu'on lui fait très bon recueil (réception). Il était toujours question du mariage de la princesse Marie d'Angleterre avec le prince Charles de Castille, et la gouvernante des Pays-Bas s'en préoccupait si sérieusement, qu'elle demandait au roi Henri VIII, si, selon ses promesses faites à Lille, il avait assuré la succession de son royaume à sa sœur Marie, qui devait épouser l'archiduc d'Autriche, petit-fils de l'empereur. Depuis les premiers jours de mars, Louis XII avait remis la main aux affaires d'État et il les traitait lui-même, dans le plus grand secret, avec quelques-uns de ses conseillers ; il donnait audience aux ambassadeurs étrangers, mais il n'avait jamais été moins communicatif avec eux ; il se dérobait à leurs questions, par des réponses vagues ou indécises. Ainsi cette nouvelle trêve, qui existait de fait entre le roi de France et le roi d'Aragon depuis le mois de décembre 1513, ne reposait que sur des conventions verbales échangées par messages plutôt que par ambassadeurs, mais elle s'appuyait solidement sur le traité secret par lequel Louis XII renonçait à tous ses droits sur le royaume de Naples en faveur du roi d'Aragon et s'engageait à donner en dot à sa fille Renée le duché de Milan, le comté de Pavie et la seigneurie de Gênes, lorsque cette princesse épouserait l'archiduc Ferdinand, prince de Castille. La trêve promise et consentie devait être ratifiée dans le délai de trois mois. Le roi d'Aragon ne se fit aucun scrupule d'accepter cette trêve, au nom du roi d'Angleterre, de l'empereur Maximilien et de Charles, archiduc d'Autriche, prince d'Espagne, avant de s'être assuré de l'adhésion des intéressés pour lesquels il se portait fort Louis XII, de son côté, se faisait représenter, par son très cher et très aimé fils, le duc de Valois, comte d'Angoulême, son lieutenant général, auquel il avait donné — confiant à plein de ses sens, prudence, suffisance, loyauté et expériencepouvoir et mandement spécial de faire et jurer ladite trêve et abstinence de guerre, avec maître Pierre de Quintana, secrétaire du roi Catholique. La trêve fut ratifiée et jurée, à Orléans, le 13 mars. La veille, le roi fit convoquer son Conseil en petit nombre, et en entrant audit Conseil, étoit déjà née la voix que étoit faite ladit et rêve. Le texte de l'instrument de cette trêve ne fut connu que deux mois plus tard. Le pape était donc fort inquiet de savoir si l'Italie avait été comprise et incluse dans cette trêve, que les intéressés ne paraissent pas avoir jamais ratifiée. On était encore dans l'incertitude au sujet de l'existence d'un traité en tête duquel Louis XII aurait pris le titre de duc de Milan et de seigneur de Gênes, quand on apprit, d'une manière certaine, que, le 11e dudit mois, avoit été enclos en secret une bonne pièce avec le roi de France et que la paix était conclue entre lui et le roi d'Aragon, moyennant le mariage de sa seconde fille et de l'infant don Ferdinand, prince de Castille.

Ce mariage était renvoyé forcément à une époque bien éloignée, puisque la princesse Renée n'avait pas quatre ans, mais sa sœur Claude allait atteindre quatorze ans et l'heure semblait arrivée de la marier à l'héritier de la couronne, François d'Angoulême, dont les fiançailles avec elle avaient été célébrées, en quelque sorte à la face de la France, en 1506. Jamais ce prince ne l'eût épousée, si la reine Anne de Bretagne eût vécu, parce qu'elle aspiroit plutôt au mariage de Charles d'Autriche. Ce fut sans doute, pour Louis XII, un souvenir dominant, qui l'empêcha d'abord de consentir à cette union, que la volonté seule de sa femme avait si longtemps contrariée. On raconte, aussi, que les folles dépenses et les prodigalités excessives du jeune comte d'Angoulême donnaient au roi matière à réfléchir, et qu'il se demandait si son successeur serait comme lui, bon ménager de la fortune du peuple. Le roi était un peu chatouilleux, et craignait que ce prince, en devenant son gendre, ne lui causât des embarras et des chagrins. Mais François d'Angoulême vouloit en venir à la célébration de son mariage, et il fut merveilleusement servi par M. de Boissy, grand maître de France, et par le trésorier Robertet, qui pour lors gouvernoit tout le royaume. Louis XII se rendit aux raisons alléguées par ces deux conseillers, qu'il consultait souvent et qu'il écoutait toujours. Depuis la mort de sa femme, il se sentait si affaibli, si découragé, si dégoûté de tout, qu'il regarda, comme un devoir paternel de faire de sa fille une reine de France. C'est alors qu'il fit prendre au premier prince du sang le titre de Monsieur, et qu'il lui donna en apanage le duché de Valois, en le faisant duc et pair, comme il l'était lui-même, avant de monter sur le trône. Le contrat de mariage avait été fait, lors des fiançailles à Moutier-lès-Tours, le 22 mai 1506, et signé par le roi, et, de son consentement, par la reine et la comtesse d'Angoulême. Ce contrat ne constituait pas d'autre dot à Claude de France, que le comté de Blois, le comté d'Asti, la seigneurie de Coucy et d'autres biens de la maison d'Orléans, mais le roi, tout en se réservant l'usufruit et l'administration du duché de Bretagne, investit son gendre de ce duché, à lui venant par le droit de son épouse, fille héritière de la reine Anne de Bretagne. On pouvait craindre que les barons bretons, qui avaient protesté contre certains articles du contrat de mariage, protestassent aussi, avec plus de force, contre l'investiture du duché de Bretagne attribuée au duc de Valois par lettres patentes expédiées en bonne et due forme, sans qu'ils fussent invités à intervenir dans cette donation. Déjà, le sire de Rohan avait brusquement quitté la Cour, sans dire adieu au roi, pour retourner en Bretagne et se fortifier en ses maisons ; ce qui fit que le roi y envoya M. de La Trémoille, avec cinq cents lances, pour y mettre remède, et empêcher un acte de rébellion. Le duc de Valois, qui était au château d'Amboise avec sa mère, attendit que le roi, qui était au château de Saint-Germain-en-Laye, avec sa fille Claude, lui annonçât qu'il pouvait venir pour la cérémonie. Il arriva donc, bien accompagné, vers le 14 mai-, et quatre jours après, le i8 mai, le mariage fut célébré dans la chapelle du château : Furent faites les noces les plus riches que vis jamais, raconte le seigneur de Fleuranges, que le duc de Valois honorait de son amitié, car il y avait dix mille hommes habillés aussi richement que le roi, ou que Monsieur d'Angoulême, qui était le marié ; et, pour l'amour de la feue reine, tout le monde était en deuil. Brantôme rapporte plus de détails sur cette circonstance bizarre et peut-être unique : Le marié et la mariée n'étaient vêtus et habillés que de drap noir, honnêtement et en forme de deuil, pour le trépas de la reine Madame Anne de Bretagne, mère de la mariée, en présence du roi, son père, accompagné de tous les princes du sang et nobles seigneurs et prélats, princesses, dames et damoiselles, tous vêtus de drap noir, en forme-de deuil. Le duc de Valois n'avait jamais eu la moindre préférence pour la princesse Claude, qui était loin d'avoir la beauté et l'esprit de sa mère ; mais, comme elle était très bonne et très charitable, et fort douce à tout le monde, il ne pouvait manquer de lui accorder autant d'estime que d'affection, malgré les infidélités qu'elle eut trop souvent à lui reprocher.

Louis XII, en mariant à sa fille aînée le duc de Valois, ne pensait pas encore à leur céder la couronne de France, sans essayer de la faire passer sur la tête d'un dauphin. Quels que fussent ses regrets et son désespoir, après la mort de sa bonne et bien chère femme, il avait prêté l'oreille aux insinuations et aux conseils de ses plus fidèles serviteurs, qui lui représentaient que son âge ne lui défendait pas d'espérer la naissance d'un fils, s'il venait à épouser en troisièmes noces une princesse plus jeune que ne l'était Anne de Bretagne au moment de sa mort. Lui, n'avait pas même cinquante-deux ans, mais il était devenu valétudinaire, comme devait l'être le fils d'un vieillard, son père ayant soixante-douze ans à l'époque de sa naissance ; cependant le souvenir de la feue reine, qu'il avait tant aimée, semblait lui défendre de songer à se remarier pour la troisième fois. Ce fut le sire de Longueville, 'qui le fit changer d'avis, en lui répétant que le roi d'Angleterre serait très fier de l'alliance de sa sœur Marie avec le roi de France, et que cette princesse, consultée à ce sujet, s'était montrée assez désireuse d'avoir pour mari un des plus grands rois de l'Europe. Au reste, on était dès lors tellement convaincu d'un prochain mariage de Louis XII, qu'on hésitait seulement sur le choix de sa nouvelle épouse. Ainsi, le bruit avait couru, tour à tour, qu'il épouserait Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien, ou l'infante Éléonore d'Autriche, sœur du prince Charles de Castille, ou Marguerite d'Angleterre, veuve du roi d'Écosse Jacqu.es IV ; mais, dès la fin d'avril, Mercurin de Gattinara, un des ambassadeurs de l'empereur, avait écrit, de Dôle, à la gouvernante des Pays-Bas : On dit communément que le roi d'Aragon traite la paix d'entre les rois (c'est-à-dire le roi d'Angleterre et de France), par le moyen des mariages qu'entendrez assez, et le bon vieillard (Louis XII) veut avoir la jeune princesse (Éléonore d'Autriche, ou Marie d'Angleterre), pour essayer s'il pourra encore avoir un fils, mais j'entends qu'il est trop débile. La négociation du mariage de Louis XII était donc déjà commencée, avant qu'il eût marié sa fille Claude au duc de Valois.

Louis XH hésitait encore ; il avait presque honte d'accepter une union si mal assortie, si disproportionnée, eu égard à son âge et à sa mauvaise santé. Il laissait pourtant le sire de Longueville, marquis de Rothelin, toujours prisonnier en Angleterre, traiter, en son nom, cette alliance, qui convenait fort au roi d'Angleterre et que son favori, le grand écuyer Charles Brandon, ne désapprouvait pas. Ces pourparlers secrets n'empêchèrent pas Henri. VIII de faire croire au roi d'Aragon et à Marguerite d'Autriche qu'il voulait marier sa sœur Marie avec l'archiduc Charles, prince de Castille ; il ne refusait pas moins d'adhérer à la trêve que Ferdinand le Catholique avait signée avec le roi Très-Chrétien. Quant à Maximilien, toujours besogneux, toujours avide d'argent, il était prêt à tout promettre et à tout faire, pourvu qu'il touchât les subsides ou les indemnités, qu'il comptait recevoir du roi d'Angleterre ; or, ce dernier renonçait absolument à continuer la guerre contre la France, quoiqu'il feignît de s'y disposer. C'était à qui tromperait le mieux ses alliés, dans ces échanges diplomatiques de fausses nouvelles, de vagues projets, de propositions suspectes. Le mariage du roi de France avec la sœur du roi d'Angleterre n'en était pas moins décidé, quoique l'époque n'en eût pas encore été fixée. Louis XII avait été forcé, par le cours des événements, d'ajourner au printemps de l'année suivante l'expédition, qu'il eût faite en personne, si la mort d'Anne' de Bretagne n'était pas venue déranger tous ses desseins. Cette expédition à demi préparée, en vue de reconquérir lè duché de Milan, ne pouvait avoir lieu avant l'hiver, si favorables que fussent les circonstances pour l'entreprendre, au moment où Maximilien Sforza se reconnaissait incapable d'y faire face, même avec les secours des Suisses et du pape. Le roi avait donc du temps devant lui pour former et organiser une armée, qui n'aurait rien à craindre d'une coalition italienne, que le pape espérait opposer à l'invasion des Français. Le duc Charles de Bourbon, qui avait fait ses premières armes la bataille d'Agnadel, était déjà nommé lieutenant du roi et commandant en, chef de cette armée nombreuse et bien ordonnée, qui n'attendait qu'un mandement de Louis XII, pour se rassembler au centre du royaume, aussitôt que les lansquenets, tirés d'Allemagne, seraient arrivés sous la charge du comte Volf et du capitaine Brandhée. Charles de Bourbon ne voulait pas entrer en campagne, sans avoir au moins quarante à cinquante mille hommes à commander, d'autant plus que les Suisses semblaient délibérés d'envahir la France de quelque côté, pour empêcher le passage des François en Italie.

Il n'y avait plus qu'une seule difficulté au mariage de Marie d'Angleterre avec le roi de France. L'année précédente, lorsque Louis XII était en guerre avec Henri VIII, il avait accepté les services d'un duc de Suffolck, dernier descendant de la famille de Pole, qui joua un rôle considérable dans les luttes intestines de la Rose blanche et de la Rose rouge, en Angleterre, au XVe siècle. Ce duc de Suffolck s'était enfui en Allemagne, pour échapper au ressentiment du roi Henri VIII, qui l'eût fait décapiter, comme son jeune frère ; il avait donc à cœur de se venger du roi d'Angleterre, et il était venu, avec bon nombre de lansquenets, combattre sous le drapeau de la France contre les Anglais. Lors de la reddition de Boulogne à Henri VIII qui l'assiégeait avec le concours de Maximilien, le roi anglais avait voulu exiger qu'on lui remît entre ses mains ledit duc de Suffolck : ce que Louis XII refusa péremptoirement, voulant garder sa foi et sa parole ; il consentit seulement à le faire sortir du royaume. Le duc de Suffolck était revenu avec ses lansquenets, pour prendre part à l'expédition du Milanais. Quand le roi d'Angleterre fut averti du retour de ce capitaine de lansquenets, à la Cour de France, où on lui avait fait le meilleur accueil, il renouvela impérativement la demande qu'il avait déjà faite devant Boulogne, pour que le roi lui livrât ce proscrit, auquel était réservé le sort de son malheureux frère. Louis XII déclara loyalement qu'il se priverait à regret des services du duc de Suffolck, mais que rien au monde ne lui ferait accepter une transaction indigne de lui. Il se borna donc à faire retirer, à Metz, le brave capitaine, en lui offrant une pension annuelle de 6.000 livres. Henri VIII dut se contenter de cette satisfaction, que le roi, de son plein gré, lui avait accordée.

Tout était convenu et arrêté pour le mariage de Louis XII et de Marie d'Angleterre, qui ne l'épousoit pas par amourettes, comme dit Brantôme. En effet, selon l'historien du chevalier Bayard, le roi n'avoit pas grand besoin d'être marié, et aussi n'en avoit-il pas grand vouloir, mais, parce qu'il se voyoit en guerre de tous côtés, qu'il n'eût pu soutenir sans grandement fouler son peuple, ressemble au pélican, qui nourrit ses petits avec son sang. Le sire de Longueville avait obtenu du roi l'autorisation de rester à Londres, quoique sa rançon eût été payée, dès la fin de juin, par l'entremise des trois généraux des finances, Jacques Hurault, Jacques de Beaune et Henri Bouhier, qui avaient emprunté 40.000 écus d'or à trois marchands florentins demeurant à Lyon, avec la garantie du duc de Valois, lequel s'était engagé, en parole de prince, envers lesdits généraux des finances. Il est probable que François d'Angoulême avait voulu payer de ses deniers la rançon de son parent et ami le sire de Longueville. Ce dernier avait sans doute, selon l'usage des cours, envoyé au roi le portrait de la princesse Marie. Voici en quels termes un ambassadeur de Maximilien faisait l'éloge de cette princesse : C'est l'une des plus belles filles que l'on saurait voir, et ne me semble point en avoir oncques vu une si belle. Elle a très bonne grâce et le plus beau maintien, soit en devises (conversations) et danses, ou autrement, que possible est d'avoir ; et elle n'est rien mélancolique, ains toute récréative. J'eusse cuidé (cru) qu'elle eût été de grande stature et venue, mais elle sera de moyenne stature, et me semble proportionnée mieux qu'autre princesse que je sache en Chrétienté. Cet ambassadeur, qui ne savait pas encore qu'elle fût promise au roi de France, la supposait déjà éprise du prince de Castille : Il me semble, disait-il, qu'elle aime Monsieur merveilleusement ; elle a un tableau, où il est très mal contrefait : il n'est jour du monde, qu'elle ne le veuille voir plus de dix fois. Marguerite d'Autriche. fut tellement désappointée, en apprenant le prochain mariage de Louis XII, qu'elle envoya sur-le-champ à Londres le sieur de Castres, pour traverser et empêcher, s'il était possible, ce fâcheux mariage : les instructions perfides qu'elle donnait à son envoyé témoignent du dépit et de la colère qu'elle éprouvait en voyant s'évanouir ses espérances au sujet de l'alliance du prince de Castille avec la sœur du roi d'Angleterre. Henri VIII n'eut pas plutôt connaissance de la mission malhonnête du sieur de Castres, qu'il adressa lui-même à Marguerite un long mémoire dans lequel il lui exposait les raisons qu'il avait eues de traiter avec Louis XII, sans paraître regretter d'avoir mis fin, par le mariage de sa sœur, à un différend également nuisible aux deux couronnes. Maximilien fit savoir à sa fille, que les excuses du roi d'Angleterre étaient frivoles et que le pape et toute l'Italie se joindraient aux Suisses, pour faire tourner les choses à la plus grande ruine et destruction des François.

A l'heure même où le roi Henri VIII adressait à la gouvernante des Pays-Bas ces excuses, qu'elle n'acceptait pas, la promesse de mariage des deux époux allait être formulée par-devant notaire à Paris. Louis XII, après avoir reçu, par ambassadeur, le consentement du roi d'Angleterre au mariage de sa sœur, gardait un silence et une réserve, qu'on pouvait considérer comme le prélude d'un désistement. Henri VIII chargea Charles Sombreset, comte de Worcester, qu'il nommait son commissaire et procureur, de se rendre en France, muni d'un pouvoir notarié de la princesse Marie, daté du 22 août, et de procéder aux fiançailles des époux, dans la forme à la fois civile et religieuse. La princesse, qui avait accepté ce projet de mariage avec empressement, remit, en outre, au comte de Worcester, une lettre autographe qu'il devait rendre en mains propres à Sa Majesté le roi Très-Chrétien. Voici la teneur de cette lettre, qui eut certainement une influence décisive sur les intentions du roi : Monseigneur, humblement à votre bonne grâce je me recommande, pource que le Roi, mon seigneur et frère envoie présentement par devers vous ses ambassadeurs. J'ai désiré et donné charge à mon cousin le comte de Worcester vous dire aucunes choses de ma part, touchant les fiançailles d'entre vous et moi, en parole. De présent, je vous supplie, Monseigneur, le vouloir en ce ouïr et croire comme moi-même, et volis assurer, Mon- seigneur, comme je vous ai dernièrement écrit et signifié ; par mon cousin le duc de Longueville, que la chose que plus je désiré et souhaite pour ce jour d'hui, c'est d'entendre de vos bonnes nouvelles, santé et prospérité, ainsi que monseigneur cousin le comte de Worcester vous saura ce dire plus à plein. Il vous plaira, au surplus, Monseigneur, me mander et commander vos bons et agréables plaisirs, pour vous y obéir et complaire, par l'aide de Dieu, qui, Monseigneur, vous donne bonne vie et longue. De la main de votre bien humble compagne. MARIE. Le comte de Worcester, premier chambellan du roi d'Angleterre, accompagné d'une suite brillante, mais peu nombreuse, arriva donc à Paris, où le roi résidait. Louis XII le reçut, avec grand apparat, à l'hôtel royal des Tournelles, qui occupait à l'extrémité de la rue Saint-Antoine l'emplacement actuel de la place Royale. Il fut arrêté, séance tenante, que la cérémonie des fiançailles aurait lieu,' le 14 du même mois, dans l'église voisine du couvent des Célestins. Cette cérémonie se fit, presque à huis clos, devant les témoins désignés par le roi, savoir : le duc de Valois, le duc Charles de Bourbon, le sire de Longueville, Jean Stuart, duc d'Albanie, Louis de Graville, amiral de France, Imbert de Batarnay, seigneur du Bouchage, et chambellan du roi, et Florimond Robertet, trésorier de France. Les témoins ecclésiastiques étaient : Georges d'Amboise, archevêque de Rouen, Étienne Poncher, évêque de Paris, et Érard de La Marck, évêque de Chartres.

Après la messe dite par Renaud de Prie, évêque de Bayeux et cardinal de Sainte-Sabine, en présence du roi, le comte de Worcester, envoyé spécial du roi d'Angleterre, en qualité de son procureur, orateur et ambassadeur, remit à deux notaires de Paris, maîtres Martin Bernard et Jean Cartier, le pouvoir que la princesse Marie lui avait donné, pour contracter mariage, en son nom, avec Sa Majesté le roi de France. Ce pouvoir, rédigé en latin, ayant été vérifié et accepté par les deux notaires ; Louis XII lut à haute et intelligible voix la déclaration suivante : Je, Louis, par vous Charles de Sombreset, comte de Worcester, commissaire et procureur de la très haute et très excellente princesse Marie, sœur de très haut, très excellent et très puissant prince le roi d'Angleterre, à ce, par sa• commission et spéciale procuration, présentement lue, déclarée et publiée, suffisamment constitué et ordonné, et vous moyennant, et à moi ce signifiant par ladite Marie à femme et épouse, et en elle je consens comme à ma femme et épouse, et à elle et à vous pour elle je promets que dorénavant, durant ma naturelle vie, je l'aurai, tiendrai et recevrai pour ma femme et épouse, et sur ce baille à elle et à vous pour elle ma foi. Après cette lecture, le roi et le comte de Worcester se donnèrent la main ; puis, le comte lut à son tour la déclaration suivante, rédigée également en langue française : La très haute et très excellente princesse Marie, par la grâce de Dieu reine de France, et sœur de mon souverain seigneur, par moi Charles de Sombreset, comte de Worcester, son commissaire et procureur, à ce, par sa commission et procuration spéciale présentement lue, déclarée et publiée, suffisamment constitué et ordonné, et moi moyennant, et vous ce signifiant, vous prend Louis à son mari et époux, et ma très redoutée darne vous promet, et moi pour elle vous promets, que dorénavant, et pendant sa naturelle vie, elle vous aura, obéira, tiendra et réputera pour son mari et époux, et sur ce en vertu et pouvoir dessusdit, elle et moi, pour elle, vous en baille sa foi. Cette lecture achevée, le roi et le comte se donnèrent encore la main droite. Dont acte fut dressé par les notaires, qui le signèrent, après que les témoins désignés par le roi l'eurent signé, séance tenante. Le comte de Worcester retourna immédiatement à Londres, comblé de présents par le roi, et enchanté de la belle réception qu'on lui avait faite à la Cour de France. Le sire de Longueville l'accompagna en qualité de commissaire et procureur du roi, pour aller chercher la princesse Marie et l'amener à son royal époux.

Les ambassadeurs du roi d'Angleterre arrivèrent, après le départ du sire de Longueville et du comte de Worcester ; c'était le comte de Donaster, premier chambellan du roi ; le grand prieur d'Angleterre, le doyen de Windsor, et le baron de Herbert, avec le roi d'armes Clavenaulx. Ils devaient attendre à Paris la venue de la princesse Marie. Louis XII, de plus en plus faible et malade, était retourné à Saint-Germain-en-Laye, avec la Cour. Quand un tourier du sire de Longueville lui annonça que sa fiancée avait débarqué, à Calais, le 3 octobre, il envoya le sire d'Orval et le seigneur de La Trémoille lui souhaiter la bienvenue de sa part, et Monsieur de Vendôme fut chargé de la recevoir, en son nom, sur les terres de France. C'était à Abbeville que le roi devait aller au-devant d'elle : il manda aussitôt à Abbeville tous les princes du royaume, les gentilshommes de sa maison, ses pensionnaires et ses gardes. Henri VIII avait voulu que sa sœur vînt en France, avec un train magnifique digne d'une reine ; il lui avait donné pour escorte deux mille chevaux anglais et deux mille archers de sa garde, tous à cheval, l'arc et la trousse au côté. La suite de la princesse Marie se composait d'un grand nombre de seigneurs, de dames et de gens domestiques ; parmi les seigneurs, les plus grands noms de l'Angleterre, le vieux duc de Norfolk, premier trésorier, son fils le comte de Burrey, amiral, Charles Brandon, récemment nommé duc de Suffolk, grand écuyer, le marquis Dorset, cousin du roi, et ses quatre frères, sir Jean Percy, l'évêque de Durham, le comte d'Onylsire, frère du duc de Buckingham, et bien d'autres officiers du roi ; parmi les dames, la marquise Dorset, la duchesse de Norfolk, la comtesse d'Oxnifford, madame Caltrop, etc. Les bagages de la nouvelle mariée comprenaient plus de trente chariots, remplis de telles richesses, que, le lendemain de son mariage, le roi ordonna d'en faire l'inventaire, et qu'il fallut plusieurs jours pour inventorier les meubles de la chapelle, habillements, lits et autres meubles pour l'usage et service de la reine Marie, les bagues, vaisselles d'or et d'argent, les chevaux, haquenées, litières, chariots, harnois et accoutrement de l'écurie, mis aux mains du roi Louis XII par le roi d'Angleterre. Louis XII était venu s'installer dans le vieil hôtel de la Gruthuse, à Abbeville, où Marie d'Angleterre devait faire son entrée, le Io octobre : la veille, il envoya au-devant d'elle le duc d'Alençon et d'autres princes pour la saluer, à trois lieues d'Abbeville. Le lendemain matin, ce fut le duc de Valois, qui vint l'attendre sur le chemin et lui faire compagnie. Le cortège de la ville était allé à sa rencontre, en grand arroi (en bel ordre) : les mayeurs de bannière (membres de l'échevinage), vêtus de satin noir, à parements de velours violet ; les officiers de judicature, en robes de drap écarlate à parements de moire d'argent ; le clergé, avec les reliques des églises, conduit par l'évêque d'Amiens et suivi de huit cents habitants en habits de gala. Les deux cortèges se remirent en marche, quand l'évêque eut présenté la croix à la princesse. Elle était sur une haquenée blanche, et le duc de Valois, chevauchant à ses côtés, parloit à elle.

Le roi, couvert de drap d'or et portant un chapeau rouge, attendait l'approche de sa fiancée ; il monta sur un grand cheval bayard, qui sautoit, et avec tous les gentilshommes et pensionnaires de sa maison, et sa garde, et en moult noble état, vint recevoir sa femme, et la baisa, tout à cheval, en lui disant : Ma fille, soyez ça bienvenue. Et après ce, embrassa tous les princes d'Angleterre et leur fit très bonne chère. Les trompettes et les clairons sonnaient, toutes les cloches d'Abbeville étaient en branle, et l'artillerie tiroit merveilleusement. Ce jour-là, la reine logea au logis du roi et y soupa. Le duc de Valois avait invité tous les princes d'Angleterre à souper chez lui : le souper terminé, ils retournèrent chez le roi, où il ne fut plus question de deuil : les danses commencèrent et durèrent toute la nuit. Le lendemain, les épousailles se firent, non dans une église, mais dans une belle et grande salle tendue de drap d'or. Le roi et la reine étaient assis devant l'autel, la reine toute déchevelée, avec un riche chapeau d'orfèvrerie et de pierres précieuses, en guise de couronne. Monsieur et Madame d'Angoulême allèrent, pour eux, à l'offrande. La pauvre dame Claude avait un bien grand regret, car il n'y avoit guère que la reine sa mère étoit morte. Les époux restèrent à Abbeville durant quelques jours ; ils s'acheminèrent alors, à petites journées, en s'arrêtant dans les principales villes qui leur rendaient de grands hommages, jusqu'à Saint-Denis, où le couronnement de la reine eut lieu, le 3 novembre. Ce fut le duc de Valois, qui, dans cette cérémonie, soutint de ses mains au-dessus de la tête de la reine la couronne royale, dont le poids l'eût accablée. Depuis le mois d'août, le prévôt des marchands et les échevins étaient prévenus de se mettre en mesure de bien recevoir la nouvelle reine, qui ferait entrée dans la capitale, au mois de septembre ou bien au mois d'octobre. Il y avait eu ainsi plus de deux mois, pour les préparatifs de cette entrée, que le roi désirait être plus solennelle et plus triomphante que toutes les autres, afin de faire honneur à son allié le roi d'Angleterre. Ce n'est pas sans difficulté que le Corps de ville avait obtenu des confréries de métiers, qu'elles fissent les dépenses ordinaires de robes de soie et d'habits de livrée. Les seize quarteniers se refusèrent même à se vêtir de robes de soie et ne voulurent porter que de bonnes robes d'écarlate violette. Le Bureau de la ville consentit, d'ailleurs, à subvenir à tous les frais extraordinaires de l'entrée. Ce fut seulement le 6 novembre, à dix heures du matin, que le cortège du Corps de ville, des bourgeois et des marchands, tous en habits de livrée ou de parure, se rassembla sur la place de Grève, pour aller au-devant du cortège royal, qui se formait en même temps à la Chapelle Saint-Denis. Les religieux des Ordres mendiants, portant leur croix, ouvraient la marche ; les archers et arbalétriers de la ville, bien montés et habillés de hoquetons argentés, précédaient le Prévôt des marchands et les échevins, suivis des bourgeois, marchands et officiers de la Ville. Les lieutenants du Prévôt de Paris et tous les officiers du Châtelet précédaient le Prévôt de Paris, accompagné de la Noblesse de Paris et de l'Ile-de-France ; les capitaines de l'Hôtel du roi, richement accoutrés et montés sur beaux coursiers s'entremêlaient ensuite avec les princes, barons, chevaliers et écuyers anglais, pour leur faire honneur ; la Chambre des Comptes et toute la Cour du Parlement, avec leurs présidents, 'séparaient les Anglais, de Messeigneurs les ducs de Valois, de Bourbon, d'Alençon, et de Vendôme. Cet immense et brillant cortège défila devant la reine Marie, qui était entourée des princesses et d'une foule de damoiselles de France et d'Angleterre, et chacun, en passant devant elle, lui faisoit honneur et révérence à son joyeux avènement. Quand le cortège se remit en marche, dans le même ordre, pour entrer à Paris, la reine remonta dans sa litière, et le duc de Valois, à cheval, cheminant auprès d'elle, lui tenait compagnie. Elle était vêtue d'une robe d'or, couverte et bordée de pierreries, avec des bagues aux doigts et un carcan de fines pierres précieuses au cou. Devant elle, marchaient les Suisses du roi, en rang, et les hérauts d'armes des rois de France et d'Angleterre, le prévôt de l'Hôtel, et tous les princes français et anglais, sur deux files, leurs pages d'honneur conduisant le cheval du roi et la haquenée de la reine. A l'entrée de la ville, la reine fut reçue honorablement par les échevins de Paris, qui posèrent sur sa tête un ciel de drap d'or, semé de fleurs de lis et de roses vermeilles. Ce ciel fut porté, à tour de rôle, selon les coutumes anciennes, par les bourgeois, les marchands, les orfèvres et les hanoars (porteurs de sel). Depuis la Porte Saint-Denis, les rues étaient tendues de broderies et de tapisseries, et des échafauds, dressés à certains endroits, sur le passage du cortège, offrirent la représentation de mystères ou tableaux vivants, dont le sens allégorique, plus ou moins mystérieux, se rapportait au mariage de la reine. A la Porte Saint-Denis, un grand échafaud représentait le navire héraldique de la Ville de Paris, flottant sur la mer au gré des quatre vents et ayant à son bord Bacchus, qui tenait une grappe de raisin, et Cérès, une gerbe. Les matelots et les passagers du navire chantoient mélodieusement. A la fontaine du Ponceau, on voyait un agréable jardin, où poussaient un beau lis et un rosier couvert de roses rouges, sous la garde de trois pucelles nommées : Beauté, Liesse et Prospérité. Devant l'église de la Trinité, le roi David, sur son trône, ayant à ses côtés son fils Salomon et environné de ses chevaliers, recevait la reine de Saba, qui lui apportait la paix. Le sujet de ce mystère était exposé dans un rondeau écrit au pied de l'échafaud. A la Porte aux Peintres, dans le haut d'un grand échafaud, Jésus, sous les traits d'un pasteur de brebis, élevait dans ses mains le lis et le cœur de la France. Au-dessous de lui, trônait un roi, ayant en main le sceptre et le bâton royal, et une reine tenant d'une main le bâton royal et de l'autre une rose vermeille ; plus bas, cinq jeunes chanteuses se nommaient : France, Paix, Amitié, Confédération et Angleterre. Devant l'église de Saint-Innocent, sur un grand échafaud, les quatre Vertus théologales gardaient le lis de France ; au-dessous, Dieu le Père faisait monter en l'air une grande rose épanouie, au centre de laquelle se tenait une reine nommée Franc-Vergier ; au pied de l'échafaud, dame Paix foulait aux pieds la Guerre. Au Châtelet, au milieu d'un grand échafaud, deux dames, Justice et Vérité, montaient et descendaient alternativement par une échelle qui conduisait de la terre au trône céleste ; à droite et à gauche étaient rangés les douze Pairs de France, chacun portant ses armés. Dans le bas, cinq personnages allégoriques s'intitulaient, Bon Accord, Stella maris (Étoile de la mer), Minerva, Diana et Phébus. Enfin, à la porte principale du Palais, un vaste échafaud présentait un tableau très compliqué : dans le haut, la Salutation angélique ; l'ange Gabriel disant à la Vierge Marie : Ave Maria gratia plena ; entre l'ange et la Vierge, un 'lis fleurissant, au-dessous duquel deux écus couronnés, l'un aux armes de France et l'autre aux armes d'Angleterre ; puis, à droite, un porc-épic, et à gauche un lion rampant. Dans le bas, un jardin, nommé le Vergier de France, tout planté de lis, avec un chœur de bergères et de bergers, qui chantaient mélodieusement, en adressant leurs hommages à un roi et à une reine, assis sur un trône entre dame Justice et dame Vérité.

La reine s'arrêta, quelques instants, devant chacun de ces tableaux. Une députation de l'Université de Paris l'attendait auprès de l'église Sainte-Geneviève des Ardents ; le recteur, accompagné d'un grand nombre de docteurs et de maîtres ès arts, salua la reine, au nom de Notre mère l'Université, et un vénérable docteur prononça une belle harangue. A la porte de la cathédrale, la reine mit pied à terre et fut reçue par l'archevêque de Sens et l'évêque de Paris, assistés des abbés de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor et de Saint-Magloire, avec quantité de prélats et de chanoines, tous revêtus de riches chapes. Quand la reine entra dans l'église, les orgues commencèrent à jouer, les cloches à sonner : les prélats se mirent à chanter le Te Deum, et la reine alla faire sa prière à genoux devant le maître-autel, où l'évêque de Paris lui donna la bénédiction et la releva, en disant : Très chère dame, vous soyez la bienvenue en ce royaume ! Elle prit congé des prélats et des assistants ; puis, elle fut conduite au Palais, où elle devait souper et où elle tint cour royale à toutes gens notables. On la mena dans la Grand'Salle, toute tendue de tapisseries, et on la fit asseoir, au milieu de la Table de Marbre, avec les princesses de France qui avaient droit de prendre place à la table royale ; les autres princesses, dames et damoiselles de France et d'Angleterre étaient assises à une autre table. Tout au long de la Grand'Salle, on avait dressé des tables destinées à toutes gens notables venant en cour. Pendant le souper, les trompettes, clairons et hautbois ne cessèrent de jouer si gentiment, qu'il sembloit être en un petit paradis, que d'être en ladite salle. On apporta devant la reine divers entremets, ou sujets figurés en relief et mécaniques, entre autres un phénix battant des ailes et allumant un bûcher pour s'y brûler, un saint Georges à cheval conduisant la Pucelle d'Orléans, un porc-épic et un léopard soutenant l'écu de France, les quatre fils- Aymon sur le même cheval, etc. Il y eut, en outre, plusieurs joyeusetés et ébatte-mens ; puis, chacun s'en alla dans son logis, et la reine coucha seule, au Palais, dans la chambre des rois de France. Peu de jours après, le Prévôt des marchands et les échevins, vêtus de leurs robes de cérémonie, et accompagnés de bon nombre de bourgeois et marchands, vinrent saluer la reine, à l'hôtel royal des Tournelles, et lui offrirent en don, au nom de la ville de Paris, un magnifique service de vaisselle d'argent doré, en la priant humblement de daigner visiter l'Hôtel de ville. La reine accepta cette invitation, sauf à en référer au roi, qui lui permit d'aller dîner, le 26 novembre, à l'Hôtel de ville. Un banquet magnifique avait été préparé, ce jour-là, mais la foule était si grande dans l'intérieur de l'édifice municipal, que la reine faillit n'y pouvoir pénétrer, malgré l'intervention des archers de la garde. La reine était, comme partout, escortée par le duc de Valois, qui remplissait les fonctions de son chevalier d'honneur. Elle put enfin arriver à la grande salle, où le repas fut servi, et s'asseoir seule, avec Madame Claude, à la table qu'on lui avait réservée. Peu s'en fallut qu'il lui fût impossible de sortir de l'Hôtel de ville : pour laisser écouler la foule, on la fit entrer dans le Bureau de Messieurs de la Ville, avec Madame Claude, et elles y trouvèrent le duc de Valois, le duc de Bourbon et le duc de Suffolk. Le roi, ne voyant pas revenir la reine, s'inquiéta de sa longue absence et l'envoya chercher. Le roi, qu'on disait mal portant, n'avait pas figuré à cette fête offerte à la reine.

Treize jours auparavant, le i3 novembre, s'étaient ouvertes, dans la rue Saint-Antoine, près de l'hôtel des Tournelles, les joutes, que le duc de Valois avait fait annoncer par Montjoie, premier et souverain roi d'armes des François, dès le mois de septembre, dans tout le royaume de France, et par Jarretière, roi d'armes du roi Henri VIII, dans tout le royaume d'Angleterre. Ce jeune prince, quoique très chagrin du mariage de Louis XII, avait voulu, en publiant un tournoi en l'honneur du joyeux avènement de la reine, donner à connoissance, pour complaire au roi et aux Anglois, qu'il étoit bien aise dudit mariage. Ce pas d'armes de l'Arc triomphal devait se composer de cinq emprises, signifiées par cinq écus, à savoir : l'écu d'argent, l'écu d'or, l'écu noir, l'écu tanné et l'écu gris. Plus de trois cents princes, nobles et gentilshommes étaient venus toucher un ou plusieurs de ces écus, pour être admis à combattre les tenans de l'Arc triomphal. Monsieur avait choisi sept capitaines : M. de Vendôme, M. de La Palice, M. de Bonnivet, le grand sénéchal de Normandie, le Jeune Aventureux, le grand écuyer de France, et le duc de Suffolk, pour tenir le pas avec lui, à tous venans, tant Anglois que François, fût à cheval ou à pied. Les joutes se succédèrent, sans interruption, pendant plus de six ou sept jours consécutifs, en présence du roi, de la reine et de toute la Cour. Ces beaux coups de lance et d'épée ne causèrent, par bonheur, que peu d'accidents, et pourtant, au dire du seigneur de Fleuranges, qui était un des tenans, ceux-ci eurent merveilleusement à souffrir, car ils eurent dessus les bras plus de trois cents hommes d'armes ; et y furent faites de fort belles choses de frapper et de bien jouter. Ce n'étaient que banquets et festins, après les joutes, et il n'y eut seigneur qui ne festoyât les Anglois. La comtesse douairière d'Angoulême écrivit, dans son Journal : Le 9 de novembre, mon fils, courant la lice aux Tournelles, fut blessé entre les deux premières jointes du petit doigt, environ quatre heures après midi. Mais, un mois plus tard, elle devait écrire dans ce même journal : Le premier jour de janvier, mon fils fut roi de France.

La mère du duc de Valois avait vu, avec un mortel déplaisir, le mariage du roi, qui ne cachait à personne l'espoir d'avoir un fils ; elle s'était tenue à distance de la Cour, après la mort d'Anne de Bretagne, qu'elle ne regrettait pas et qui l'avait si constamment détestée. Louis XII ne l'aimait pas davantage, quelque sympathie, quelque tendresse qu'il eût pour le comte d'Angoulême. Cette princesse haineuse et vindicative n'avait pas depuis quitté ses terres, allant de Cognac à Angoulême et d'Angoulême à Cognac. Mais, lorsque le roi eut épousé Marie d'Angleterre, ses amis, son fils lui-même lui firent comprendre qu'elle devait, dans son intérêt et dans celui de ses enfants, ne pas rester éloignée des fêtes célébrées à l'occasion de ce mariage, qui la désespérait, sans avoir fait acte de déférence et de respect à l'égard de la reine. Voici en quels termes elle raconte, dans son Journal, sa visite à la nouvelle reine de France, après avoir enregistré dédaigneusement les amoureuses noces de Louis XII, roi de France, et de Marie d'Angleterre : Le troisième jour de novembre 1514, avant onze heures avant midi, j'arrivai à Paris ; et celui même jour, sans me reposer, je fus conseillée d'aller saluer la reine Marie, à Saint-Denis, et sortis de la ville de Paris, à trois heures après midi, avec grand nombre de gentilshommes. Elle avait pourtant assisté au couronnement de la reine et à son entrée solennelle dans Paris ; mais elle s'empressa de retourner dans sa ville d'Angoulême. Le duc de Valois dissimulait mieux son mécontentement ; il devait, d'ailleurs, savoir gré au roi de l'avoir mis au premier rang, comme héritier présomptif de la couronne, dans toutes les cérémonies du mariage. Louis XII avait fait plus : étant à Beauvais, avec la reine qu'il amenait à Paris, il avait donné, le 27 octobre, à son gendre, le duché de Bretagne, en lui permettant de pourvoir, suivant son bon plaisir, aux affaires des finances, aux offices, charges et bénéfices de la province, sans préjudice, toutefois, du droit que la princesse Renée pourrait avoir un jour audit duché de Bretagne. Monsieur d'Angoulême, qui étoit alors un jeune prince beau et très agréable, avait presque oublié le tort irréparable que pouvait lui faire Marie d'Angleterre, en donnant un fils au roi et un héritier à la Couronne. La reine, de son côté, lui faisoit très bonne chère, l'appelant toujours : Monsieur mon beau-fils. Et de fait, en état éprise, et lui, la voyant, en fit de même. Louis XII l'avait autorisé, en quelque sorte, à se faire le chevalier d'honneur de la reine, et les devoirs de cette charge de cour lui attribuaient le droit de se trouver sans cesse près de cette belle princesse. Ce fut le chevalier d'honneur, en titre d'office, Monsieur de Grignaux, gentilhomme périgourdin, très sage et très avisé, qui devina le premier les sentiments et les intentions de la reine Marie, à l'égard du duc de Valois. Voyant que le mystère s'en alloit jouer, il adressa cette remontrance à l'imprudent prince, en se courrouçant : Comment, Pâques Dieu ! lui dit-il, ne voyez-vous pas que cette femme, qui est fine et caute : (rusée), vous veut attirer à elle ? Et si elle vient à avoir un fils, vous voilà encore simple comte d'Angoulême, et jamais roi de France, comme vous espérez. Après, vous pourrez bien dire : Adieu ma part du royaume de France ! Donc, songez-y ! Le duc de Valois y songea et se tint sur ses gardes. Les fêtes du mariage, qui avaient beaucoup fatigué le roi, étaient enfin terminées. Les seigneurs et les dames d'Angleterre, qui avaient pris part à toutes ces belles fêtes, voulurent retourner dans leur pays et prirent congé du roi, de la reine et de Monsieur d'Angoulême, qui les avaient comblés de soins et de présents. Au moment de leur départ, le duc de Suffolk apprit au roi qu'il restait auprès de lui, comme ambassadeur du roi d'Angleterre, qui l'avait accrédité auprès de la Cour de France. Les courtisans savaient que le duc de Suffolk était le favori de Henri VIII, et que la reine Marie l'honorait d'une bienveillance particulière ; ils se disaient entre eux, qu'il ne vouloit pas de mal à la sœur de son maître. A peu de jours de là, le duc de Suffolk remettait au roi, de la part de Henri VIII, une lettre de bénévolence et de remerciement, dans laquelle ce passage curieux, relatif à la reine, révélait l'inspiration de l'ambassadeur : Nous ont semblablement nosdits ambassadeurs dit et remontré comme elle se conduit envers vous en toute humilité et révérence, de sorte que vous vous tenez fort bien content d'elle ; et avons pris très grand éjouissement, plaisir et confort de ce ouïr et entendre : et notre vouloir, plaisir et intention, est qu'elle le fasse, en persévérant de bien en mieux, si elle veut et désire d'avoir notre amour et fraternelle bienveillance. Et ainsi lui donnâmes avisement et conseil, avant son département envers vous, et ne faisons aucun doute que, l'un jour plus que l'autre, ne la trouvez telle que doit être envers vous et faire toutes choses qui vous peuvent venir à gré, plaisir et contentement.

On reconnaissait déjà, comme l'a dit Brantôme d'après le témoignage des contemporains, que le roi avait épousé la jeune et belle Marie d'Angleterre, comme par contrainte, se sacrifiant pour acheter la paix et l'alliance du roi d'Angleterre, et qu'il pût mourir paisible roi de France, sans la laisser en trouble. Le 1er octobre, l'empereur Maximilien avait consenti que son petit-fils Charles de Castille fût compris dans le traité de confédération, que le roi d'Angleterre avait conclu avec le roi de France, à Londres, le 7 août dernier. Maximilien lui-même était prêt à signer la trêve d'un an, que le roi d'Aragon avait signée avec Louis XII. Le pape avait fait les premiers pas pour se rapprocher des Français et de leur roi : il avait fait écrire, par son secrétaire le cardinal Bembo, une lettre de condoléance sur la mort de la reine Anne de Bretagne, pour consoler le roi de la perte de cette digne épouse, qui avait été, disait-il, en son vivant, singulièrement affectionnée à toute dévotion et à l'honneur de Dieu et de l'Église. Le pape demandait au roi de s'associer à lui, pour placer son frère Julien de Médicis sur le trône de Naples. Louis XII, qui avait sagement renoncé à ses prétentions sur le royaume de Naples, en faveur de Ferdinand le Catholique, et qui s'était assuré le concours des forces militaires de cet allié pour reconquérir son duché de. Milan, se voyait obligé de répondre évasivement, quoique amicalement, aux propositions d'alliance offensive et défensive, qui lui venaient de la part du Saint-Siège. Léon X, prévoyant une nouvelle guerre en Italie au printemps prochain, avait essayé inutilement de détacher les Vénitiens de leur alliance avec Louis XII, qui était devenu leur plus utile et leur plus fidèle allié. Louis XII n'avait plus à craindre qu'une ligue de l'empereur avec les Suisses et tous les princes de l'Italie. C'était pour rendre cette ligue impossible, qu'il se préparait à faire descendre son armée dans le Milanais, ét il comptait bien réunir à cette armée dix-huit mille archers anglais, que le roi Henri VIII devait lui fournir en cas de guerre, outre une flotte bien équipée portant cinq mille marins pour agir contre Gênes. Il avait donc prié le duc Charles de Bourbon, à qui était dévolu le commandement en chef de l'armée de France, d'aller passer en revue la gendarmerie dans ses quartiers d'hiver.

Depuis six semaines à peine, le duc de Valois était en possession du duché de Bretagne, et déjà Louis XII se repentait de la donation qu'il avait faite à son gendre, sous l'influence des sollicitations de plusieurs membres du Conseil d'État, et notamment d'Antoine Duprat, président du Parlement. Antoine Duprat était une des créatures les plus dévouées au nouveau duc de Bretagne, qui lui avait confié des pleins pouvoirs pour administrer le duché. Les Bretons se plaignaient de cette administration, qui ne tenait pas compte de leurs Coutumes et de leurs privilèges. La question fut portée devant le Conseil du roi, dans une séance à laquelle assistaient les princes et les seigneurs, dont quelques-uns eurent l'air de faire fi de la Bretagne, et laissèrent entendre que la France ne pouvait que gagner à la disjonction de ce duché, qui n'avait pas apporté à la couronne un accroissement réel de puissance et de richesse. Le roi était présent, mais semblait étranger à ce qui se passait autour de lui. Alors, le comte de Laval, indigné d'une injustice aussi criante, prit la défense de son pays natal, en évoquant le souvenir de la reine Anne de Bretagne : Je ne sais qui vous en fait parler ainsi ? s'écria-t-il. Ressouvenez-vous et comptez, depuis l'établissement du royaume, que vous n'eûtes une reine si grande dame, ni qui vous ait haussé et élevé si haut. Eh I montrez-moi un pied de terre, que vous aient apporté vos autres reines ? La mémoire de celle-ci vous doit être recommandée entre toutes, car, par elle, vous avez clos le pas à vos ennemis, qui vous enfonçaient jusque dans le cœur du royaume, toutes les fois qu'il plaisait aux ducs, ses prédécesseurs, qui tenaient la clé de vos portes, et n'a pas été sans cause, que, par le temps de mille ans, du long, vous n'avez pu conquérir ce que vous avez à la fin obtenu avec tant de supplications et ce que vous ravalez à présent ! Cette sortie éloquente était une allusion indirecte à la reine Marie d'Angleterre, qui n'avait pas ajouté un pouce de terre à la France, en succédant à la bonne reine Anne de Bretagne. Le roi avait écouté avec émotion les fières paroles du comte de Laval, qu'il remercia du regard. Il sortit, sans mot dire, mais les yeux pleins de larmes. On jugea qu'il était bien malade, pour n'avoir pas rendu hommage à la mémoire de sa bonne et bien-aimée Bretonne. L'état inquiétant de la santé du roi arrivait à la connaissance du peuple, qui s'en affligeait en maudissant la haquenée d'Angleterre, comme on appelait la reine Marie, depuis que les confrères de la Basoche, dans la représentation d'une de leurs farces, avaient osé dire publiquement que le roi d'Angleterre avait envoyé une haquenée au roi de France, pour le porter bientôt, et plus doucement, en enfer ou en paradis.

Monsieur d'Angoulême, malgré ses belles résolutions de sagesse et de prudence, était tenté et retenté des caresses et mignardises de cette belle Angloise. M. de Grignaux, jugeant que le pauvre amoureux allait se perdre, avertit sa mère qui le tança si bien, qu'il n'y retourna plus, quoique la reine fit bien tout ce qu'elle pût pour vivre et régner reine mère peu avant et après la mort du roi. C'est alors que Gouffier de Boissy, qui avait été le gouverneur du jeune comte d'Angoulême et le président Antoine Duprat qui possédait toute sa confiance, lui conseillèrent de veiller sur lui-même, et en même temps sur le duc de Suffolk, qui paraissait être très avant dans les bonnes grâces de Marie d'Angleterre. Le duc de Valois fut guéri aussitôt de son dangereux amour et, de concert avec sa mère, il mit ordre à ce que le duc de Suffolk ne pouvait plus voir la reine qu'en présence de témoins, qui n'étaient que des espions ou des affidés de Monsieur, et avoit tant fait, dit le seigneur de Fleuranges, confident du duc de Valois, que Madame Claude sa femme, ne bougeoit de la chambre de la reine, et lui avoit-on donné Madame d'Aumont, pour sa dame d'honneur, laquelle couchoit dans sa chambre. Un jour, le prince, sortant du logis du roi, entra chez le seigneur de Fleuranges Aventureux, s'écria-t-il, je suis plus joyeux et plus aise que je fus, passé vingt ans, car je suis sûr, on m'en a fort bien menti, qu'il est impossible que le roi et la reine puissent avoir enfants, ce qui est tout à mon avantage !

Fleuranges, dans ses Mémoires, assure que le roi avoit voulu faire du gentil compagnon avec sa femme ; il n'était plus malade des gouttes, depuis la fin de l'année précédente, mais aurait dû vivre d'un grand régime, qu'il rompit à cause de sa femme. Les médecins lui disaient bien, que s'il continuoit, il en mourroit. Il avait trop compté sur ses forces, ne se sentant pas encore vieil homme, à l'âge de cinquante-deux ans et demi. Le bon roi, raconte le secrétaire du chevalier Bayard, le bon roi, à cause de sa femme, avait changé toute sa manière de vivre ; car, où soulait (avait coutume) dîner à huit heures, convenait qu'il dinât à midi ; où il soulait coucher à six heures du soir, souvent se couchait à minuit. Il tint bon le plus longtemps possible, mais tous les jours sa faiblesse augmentait, et quand il se vit forcé de se mettre au lit, il comprit qu'il ne s'en relèverait plus. Il envoya chercher le duc de Valois, et lui dit qu'il se trouvdit fort mal et que jamais n'en échapperoit. Le comte d'Angoulême s'efforçait de le réconforter, mais il voyait bien que sa mort était proche. Le roi était atteint d'une fièvre pernicieuse, accompagnée de dysenterie, de laquelle maladie tout remède humain ne le put garantir, qu'il rendit son âme à Dieu, le 1er janvier 1515, dans l'hôtel royal des Tournelles ; sur lequel jour fit le plus horrible temps que jamais on vit. Son oraison funèbre est tout entière, dans ces mots de l'Histoire du bon Chevalier sans peur et sans reproche : Ce fut, en son vivant, un bon prince, sage et vertueux, qui maintint son peuple en paix, sans Je fouler aucunement. Ce bon prince fut plaint et ploré de tous ses sujets, et non sans cause, car il les avait tenus en grande justice. Le lendemain de son décès, les crieurs des corps, en sonnant leurs clochettes, criaient lamentablement dans les rues de Paris : Le bon roi Louis, Père du peuple, est mort !

 

FIN DE L'OUVRAGE