LOUIS XII ET ANNE DE BRETAGNE

CHRONIQUE DE L'HISTOIRE DE FRANCE

 

CHAPITRE XX. — 1511-1512.

 

 

DANS les derniers jours d'août, la nouvelle de la mort du pape se répandit partout. Le 17, Jules II était tombé subitement malade, et, le quatrième jour de sa maladie, il perdit connaissance si complètement, que les médecins eux-mêmes crurent qu'il n'existait plus. A cette nouvelle, Rome se souleva ; les Colonnes y accoururent, en armes, et montèrent au Capitole ; mais déjà le pape avait repris ses sens, et sa résurrection étouffa les brigues des factieux. Le lendemain même, il convoqua les cardinaux autour de son lit, prononça l'absolution du duc d'Urbin, meurtrier du cardinal de Pavie, et rédigea une bulle terrible contre quiconque chercherait à se faire élire pape, par argent ou par autre récompense ; annulant d'avance une semblable élection simoniaque et invitant tous les membres du Sacré Collège à s'y opposer. Cet acte énergique semblait avoir ranimé le vieillard, qui se riait des médecins et mangeoit des pommes crues, en la plus grande ardeur de son mal ; la fièvre lui revint plusieurs fois, et pendant deux ou trois semaines, on désespéra de sa vie. La maladie du pape ajourna le Concile de Pise, et appelait à Rome les ambitions des cardinaux rebelles ; tous se mirent en route, pour aller se disputer l'héritage pontifical, mais rebroussèrent chemin, en apprenant que Jules vivait encore. Les cardinaux de Finale, de Fiesque et de Ferrare, n'étaient pas moins avides de la succession de Jules II, qu'ils guettaient à Rome même, entourés de leurs partisans. Louis XII, averti que les factions s'apprêtaient à conquérir la tiare à main armée, déclara hautement que si les Colonnes levaient des soldats pour faire un pape, par force, il enverrait des gens de guerre à Rome, mais que si de nulle part ne se meut armes, de son côté ne se meuvra. Jules II, qu'on avait rayé déjà du nombre des vivants, se rétablissait de jour en jour, au milieu des malédictions de ses envieux et de ses ennemis, au milieu des bénédictions de ses architectes, de ses peintres, de ses sculpteurs. Le pape, pâle et débile encore, se traînait au consistoire, pour élaborer ses vengeances ; à la chapelle Sixtine, pour voir les chefs-d'œuvre de Raphaël et de Michel-Ange.

Les inquiétudes inspirées par la santé du pape n'étaient pas encore totalement dissipées, un mois après son accident, et l'on disait partout que cette trompeuse convalescence aurait une issue funeste. La prochaine vacance du Saint-Siège donna sujet à Maximilien de réfléchir sur l'exécution d'un projet qu'il roulait depuis longtemps dans son esprit et qu'il avait même confié à ses plus intimes conseillers. Il aspirait, en secret, au pontificat comme appartenant à l'Empire et qu'il croyait dû surtout à son propre mérite ; rien ne lui semblait plus honorable ni plus glorieux que ce but de ses désirs. Dès qu'il apprit la maladie de Jules II, il crut l'occasion favorable pour s'emparer de la tiare et ne négligea aucun moyen de réussir ; il écrivit, en Cour de Rome, aux cardinaux, et à leur famille, afin de se préparer les voies apostoliques. Le roi d'Aragon ne parut pas trop opposé à ce dessein ; les cardinaux, surtout Adrien Cornetto, l'encourageaient et se montrèrent disposés à le servir ; enfin les Colonnes et les Ursins feignirent même d'appuyer les prétentions de l'empereur, qui agissait déjà, comme si le pape fût mort. Maximilien se persuada, de plus en plus, que Jules II n'en relèverait pas, et prépara tout pour lui succéder. Il était alors à Brixen, dans le Tyrol, et ne possédait pas un florin dans ses coffres, puisqu'à cette époque tous ses ambassadeurs vivaient d'emprunts, et quelques-uns même n'avaient pas touché leurs salaires depuis quatre ans ; néanmoins, il songeait à faire partir pour Rome l'évêque de Gurck, avec pouvoir de promettre aux cardinaux 'oo.000 ducats, payables sur cédules dans la maison de banque des Foucre d'Augsbourg ; il offrait aux Foucre, pour gage de cette somme, quatre coffres de ses plus précieux joyaux, avec le magnifique manteau d'investiture, dont, une fois pape, il n'aurait plus besoin ; car il se proposait de transmettre alors le diadème impérial à son petit-fils Charles d'Autriche ; si ces gages ne suffisaient pas, il était prêt à déléguer, jusqu'à l'entier acquittement de la somme, un tiers des revenus de l'Église, et il priait les Foucre d'envoyer un de leurs parents à la chancellerie romaine, pour régler cette affaire. Maximilien se regardait déjà comme pape. Ce fut pendant ce rêve bizarre, entretenu par la mauvaise santé de Jules II, qu'il écrivit à sa fille cette lettre bien digne d'être conservée religieusement avec son orthographe et son patois germaniques, comme un monument du caractère crédule et orgueilleux de cet empereur :

Très-Chière et très Amée Fylle, jé entendu l'avis que vous m'avez donné par Guyllain Pingun, nostre Garderobes Vyess, dont avons encore mius pensé desus. Et ne trouvons point, pour nulle resun, bon que nous nous devons franchement marier ; maes avons plus avant mys nostre déliberation et volunté de james plus hanter faem nue. Et envoyons demain Monsr. de Gurce, Evesque, à Rome, devers le pape, pour trouver fachon que nous puyssuns accorder avec ly de nous prenre pour ung Coadjuteur, affin que apres sa mort pouruns estre assuré de avœr le Papat et devenir Prester, et apres, estre Saint, et que yl vous sera de necessité que apres ma mort vous seres contraint de me adorer, dont je me trouveré bien gloriœs. Je envoye sur ce ung poste devers le roy d'Aragon, pour ly prier quy vous voulle ayder pour à ce parvenir : dont yl est aussy content, moynant que je resingne l'Empir à nostre comun fyls Charl ; de sela aussy je me suys contenté. Le peupl et gentilhomes de Rom ount faet ung allyance contre les Franchœs et Espaingnos, et sunt vingt mille combatans, et nous ount mandé que yl veolunt estre pour nous, pour faer ung Papa à ma poste, et du l'Empir d'Almaingne, et ne veulunt avœr ne Francos, Aregonœs, ne mains null Venecien. Je commance aussy practiker les Cardinaulx, dont deux cent ou trois cent mylle ducas me ferunt ung grand service aveque la parcialité qui est déjà entre eos. Le Roy d'Arogon a mandé à son Ambaxadeur que yl veult commander aux Cardinault Espaingnos que yl veulent favoriser le Papat à nous. Je vous prie, tenes ceste matere em pu secret : ossi bien, en brieff jours, je créins que yl fault que tout le monde le sache, car bien mal esti possible de practiker ung tel sy grand matere secretement, pour laquell yl fault avœr de tant de gens et de argent succurs et practike ; et à Diu ! Faet de la main de vostre bon pere Maximilianus, futur Pape : le xvm jour de setembre. Le Papa a encor les vyevers dubls, et ne peult longement fyvre.

 

La suscription de cette étrange lettre était : A ma bonne fylle l'Archiduchesse d'Ostrice, douairière de Savoye, etc., en ses mains.

Pendant qu'on attendait aussi, en France, de jour en jour, la nouvelle certaine de la mort de Jules II, les ambassadeurs d'Angleterre et d'Aragon exposaient, en son nom, au roi, trois points principaux, pour conclusion de la paix, et demandaient, avant tout, que l'on ait bon regard aux choses de l'Église, ès chapitres de ladite paix, et que nulli n'y touche ; que le roi tienne la main à faire restituer Bologne au Saint-Père, et que le Concile de Pise n'ait pas lieu, contre la volonté du Pape. Louis XII ne donna pas de réponse absolue à ces questions, et se contenta de remarquer, par forme de devises, qu'il ne pouvait rien conclure sans l'empereur, l'affaire duquel est le cas plus important. Il s'excusait donc de procurer la restitution de Bologne, qui était entretenue selon ses anciens privilèges, après avoir secoué le joug de la domination papale, et déclara qu'il ne pouvait faire autrement que de poursuivre le Concile. Dès que le Pape, toujours malade, fut hors de danger immédiat, Louis XII, qui s'impatientait, à Grenoble, de ne point apprendre le passage de l'empereur dans le Vicentin, crut pouvoir s'éloigner de l'Italie, où il renvoyait le duc de Nemours, lequel était venu en poste chercher ses ordres précis. Il retourna donc à Lyon, avec la reine, qui s'en alla par eau à Blois et qui l'y précéda d'une semaine. La grossesse d'Anne de Bretagne n'était plus un mystère, et sa santé redevenait meilleure que jamais ; les médecins, d'après la position et le mouvement de l'enfant, le jugeaient du sexe masculin. Ces heureux pronostics comblaient de joie Louis XII, et toute la Cour partageait des espérances, qui faisaient le tourment de Louise de Savoie, menacée encore une fois de voir s'évanouir la royauté de son fils.

Louis XII, malgré tant de protestations, de lettres et d'ambassades, n'était pas délivré des ennemis et des embarras que le duc de Gueldre lui suscitait ; son ambassadeur, le seigneur de Chillou, revint, vers le milieu de septembre, et lui rapporta que non seulement il n'avait pas réussi dans sa mission conciliatrice, mais que Marguerite d'Autriche lui avait montré des lettres originales, dans lesquelles un personnage, lointain de trois cents lieues, accusait le roi de France d'envoyer secrètement de l'argent à Charles d'Egmont. Louis XII entra dans une grande colère, et dit hautement que si ledit personnage étoit pareil à lui, qu'il le défieroit, et s'il n'étoit son pareil, qu'il trouveroit assez de gens pareils en son royaume pour combattre et soutenir le contraire ; puis, assurant de plus belle qu'il n'avait pas envoyé un seul homme ni un seul écu à cette mauvaise tète, et soupçonnant bien que l'auteur de ces lettres perfides devait être le roi d'Aragon, il répéta, d'un air courroucé, que, si Ferdinand voulait dire ouvertement les choses dessus dites être vraies, il le ferait défier, car il entendait soutenir son honneur. Pendant quelque temps, la gouvernante des Pays-Bas cessa de se plaindre et tenta, avec les secours qui lui vinrent d'Angleterre, de regagner par les armes l'avantage que les négociations lui avaient fait perdre.

La guerre n'était pas beaucoup plus régulière dans la Marche Trévisane et dans le Frioul. La Palice reprit Vicence, abandonnée par les Vénitiens ; mais, peu de jours après, entre cette ville et Marostica, un convoi considérable de vivres et d'argent fut assailli par cent chevaux ennemis, auxquels se joignirent les paysans, et l'escorte du convoi, composée des sept cents piétons et de quatre cents lances, ne put résister à la multitude qui l'enveloppait : elle périt presque entièrement, et tout fut perdu, finances et provisions de bouche. La Palice et Georges de Litestein, lieutenant de l'empereur, marchèrent contre Trévise, emportèrent facilement les petites villes des environs, et s'établirent dans le camp de Nervoys, sur la Piave, pour y attendre les gens d'armes qu'amenait le seigneur d'Aubigny, et les deux mille pionniers qu'envoyait l'empereur au siège de Trévise, ainsi que le retour des troupes impériales qui avaient passé la Piave et occupé rapidement une partie du Frioul. La Palice resta inactif jusqu'à la fin de septembre, gardant le pont de bateaux par lequel les Allemands devaient rentrer au camp. Ceux-ci, enivrés de leurs succès dans le Frioul, qui s'était soumis sans résistance, excepté la ville de Gradiska que le provéditeur vénitien essaya de défendre, avaient été renforcés par Bayard, Fontrailles et d'autres capitaines français ; ils demeurèrent à dévaster le pays, oultre le terme qu'ils avoient pris, et se réunirent à la Palice, lorsqu'ils n'avaient plus les mêmes moyens d'action. Les Vénitiens revenaient de toutes parts, et leurs estradiots harcelaient le camp de Nervoys. Là étaient grandes la misère et la famine ; chaque jour augmentait la cherté des victuailles, et pourtant la solde des gens de pied n'arrivait pas de Milan ; les maladies, peu meurtrières d'abord, s'aggravaient par le manque des objets de première nécessité. La Palice ne renonçait pas encore à s'emparer de Trévise, quoique les pionniers allemands et les munitions de siège tardassent bien à venir d'Allemagne : il pensait que, Trévise prise, Padoue n'attendroit pas ; car il était impatient de mettre fin à la guerre, pour cette année, afin de lever la dépense du roi, et d'ôter de travail ses soldats, qui ne l'ont pas petit ni peu de dommage. Les malades étaient si nombreux, que ce fut une merveilleuse pitié : plus de quatre mille piétons et plus de cent hommes d'armes succombèrent dans ce camp, où l'armée vécut, six jours, sans manger pain ni boire vin. Deux mille cinq cents Grisons, qui, n'étant pas payés, ne pouvaient acheter de quoi se nourrir, se jetèrent sur les raisins à peine mûrs, et furent bientôt atteints de la dysenterie ; il en mourait cent par jour, et deux seulement retournèrent dans leur pays : l'un fit le capitaine, et l'autre portoit l'enseigne. Enfin telle était la situation de l'armée française, que La Palice, malgré le renfort amené par Stuart d'Aubigny, n'aurait su mettre de sains trois cents hommes d'amies à cheval, ni trois mille hommes à pied.

Cependant le pape Jules II, totalement guéri, avait formé une ligue offensive et défensive avec Jérôme de Vico, ambassadeur du roi d'Aragon, Jérôme Donato, ambassadeur de Venise, et le cardinal d'York, ambassadeur du roi d'Angleterre ; mais, comme cette ligué devait être tenue secrète jusqu'à l'acceptation de Henri VIII, le pape feignit de faire une nouvelle tentative d'accommodement avec Louis XII, pour donner à Maximilien le temps de traiter la sienne paix avec les Vénitiens. Le 25 septembre, il chargea l'évêque de Murray d'aller porter au roi Très-Chrétien des propositions, qui ne présentaient pas la concession la plus légère, mais qui suffisaient pour traîner un mois en pourparlers et en voyages. Jules II, imposant silence à tous ses ressentiments, avait adressé un bref et sa bénédiction apostolique à son très cher fils en Jésus-Christ, pour le prier d'acquiescer aux très justes requêtes du Saint-Siège, et d'ôter enfin l'occasion de troubler l'Église et la Chrétienté. Il protestait de ses intentions pacifiques, et se flattait de trouver le roi Très-Chrétien un peu adouci, et plus accessible à des conditions honnêtes. Il avait écrit également à Étienne Poncher, qui était fort porté pour la paix, et se prononçait énergiquement dans le Conseil, toutes les fois qu'on agitait cette question. Jules II l'invitait à s'employer de nouveau, pour que l'honneur de la couronne et celui de la tiare fussent satisfaits dans une réconciliation, que tous les fidèles désiraient, et à mériter, par son zèle, récompense du Ciel, louanges des hommes, et reconnaissance du Saint-Siège. Louis répondit avec fermeté, tout en exprimant sa gratitude et son dévouement à l'égard du messager de Jules II : il supplia le Saint-Père d'observer le traité de Cambrai, en ce qui concernait la recouvrance des terres de l'empereur, possédées encore par les Vénitiens ; il demanda que les cardinaux qui s'étaient séparés du pape demeurassent partout où bon leur semblerait, sans que leurs dignités, leurs bénéfices et leurs prérogatives fussent diminués en rien ; il réclama le fils du marquis de Mantoue, que le pape retenait en otage ; il se montra décidé à maintenir les privilèges et les libertés de l'Église gallicane ; il remercia le pape de vouloir bien recevoir en grâce le duc de Ferrare, mais il repoussa, au nom de son allié, toutes les conditions auxquelles ce pardon était attaché, en déclarant que le duc ne se dessaisirait d'aucune de ses villes, et ne payerait pas les dépenses de la guerre, qu'il avait supportées aussi bien que le pape, et qui avaient été plus grandes pour lui, en comparaison de la qualité des deux adversaires.

Jules II s'était décidé à ne plus dissimuler davantage, avant même d'avoir reçu la réponse définitive du roi d'Angleterre. Le 9 octobre, après une messe solennelle célébrée dans l'église de Sainte-Marie del Popolo, en présence du pape et des cardinaux, fut publiée une bulle, concernant la Ligue entre le Saint-Siège, le roi d'Aragon et les Vénitiens. Dans cette bulle remarquable, Jules II, considérant que Bologne, qu'il avait délivrée, à grands frais, de la tyrannie des Bentivoglio, s'était soustraite à son obéissance pour rentrer sous le joug de son ancienne servitude, et jugeant dangereux qu'une ville si considérable fût la proie des ennemis de l'Église romaine, se proposait de la recouvrer, ainsi que toutes les villes appartenant à l'Église médiatement ou immédiatement. C'est pourquoi il avait sollicité l'aide et l'appui du roi Catholique et du duc de Venise, afin que, avec leur concours, Bologne étant retournée à son véritable maître, la paix fût rendue à l'Italie, et la Croisade entreprise contre les Infidèles. Ferdinand devait envoyer, dans le terme de vingt : jours, don Raymond de Cardone, vice-roi de Naples, pour être capitaine général de la Ligue, avec douze cents lances, mille genétaires, et dix mille hommes de pied espagnols, une bonne artillerie et des munitions de guerre, poudres, pierres (boulets) et autres. Le pape devait fournir six cents hommes d'armes, sous les ordres du duc de Termini ; les Vénitiens, toute leur armée, avec de l'infanterie et des canons, outre une flotte bien équipée qui se joindrait à celle du roi d'Aragon ; le pape payerait, chaque mois, pour subvenir aux dépenses de cette armée, 40.000 ducats de bon or et juste poids, jusqu'à la fin de la guerre ; la République vénitienne payerait aussi une somme semblable ; le pape serait tenu, en cas de besoin, d'user des censures ecclésiastiques envers quiconque s'opposerait à la Ligue, quelle que fût d'ailleurs l'autorité ecclésiastique, ou laïque, ou même royale, de l'opposant ; tous les confédérés s'engageaient à s'unir et à procéder, par guerre ouverte, contre les rois, les princes ou les peuples, qui oseraient empêcher l'action de cette Ligue ; chacun des alliés conserverait, par le droit de la guerre, ce qu'il aurait pris hors de l'Italie, mais le pape serait dispensé de donner aucun secours hors de l'Italie à ses confédérés, sinon par les armes spirituelles. L'empereur et les autres rois chrétiens pourraient être compris dans la Ligue, en y adhérant avant quarante jours, époque de la ratification du traité par les parties. Enfin, ce traité d'alliance, rédigé avec la participation du roi d'Angleterre, qui jusque-là n'avait rien épargné pour obtenir la restitution de Bologne et des villes réclamées par l'Église, serait infailliblement agréé par ce pieux et excellent roi, à qui sans doute la distance de ses États n'avait pas permis de faire parvenir son adhésion, qu'on pouvait toutefois regarder comme certaine, la très sainte intention de Henri VIII étant assez connue des confédérés, qui lui réservaient la plus honorable place dans leur Ligue. Cette bulle, pleine de réticences et de clauses dilatoires, fut signée par les ambassadeurs espagnol et vénitien qui la jurèrent entre les mains de Jules II.

Louis XII apprit, sans étonnement, la trahison du pape et du roi d'Aragon ; il avait fait sonder, par son grand écuyer Galéas de Saint-Severin, les projets de l'empereur, pour l'inconstance duquel il étoit en un très grand doute et soupçon ; toutefois, il espérait que ce prince persisterait en sa bonne fraternité, et ne se laisserait pas gagner par les séductions de Jules II. Maximilien avait répondu, en effet, aux deux bulles que lui transmit le Saint-Père pour l'engager à s'accorder avec Venise, qu'il voulait tout faire, de concert avec le roi son frère. Cependant Marguerite d'Autriche s'efforçait d'induire l'empereur à se condescendre à appointement raisonnable avec les Vénitiens, afin de l'entraîner ensuite à la guerre contre le duc de Gueldre ; elle tenait au courant de ses intrigues Henri VIII, qui ne demandait qu'une occasion d'attaquer la France, sur laquelle l'Angleterre avait toujours le pied dans Calais, et elle revenait sans cesse à la charge, pour décider son père à s'allier au roi anglais. Marguerite cherchait encore à le détourner du Concile de Pise, qu'elle avait toujours repoussé comme un schisme, et elle refusait d'y envoyer les évêques de Belgique, sous prétexte que les finances sont si courtes, qu'on ne sauroit trouver un denier, pour faire la dépêche. Elle prétendait, aussi, que, l'empereur étant tuteur de l'archiduc, les évêques allemands, qu'il autorisait à se rendre à Pise, représenteraient suffisamment l'Église des Pays-Bas. Or, Maximilien embrassoit bien froidement la cause du Concile de Pise, depuis la convocation de celui de Latran ; il avait retenu les évêques d'Allemagne, et le docteur Mota n'était allé à Milan que pour réclamer la translation du Concile à Mantoue, à Vérone ou à Trente, sans doute pour faciliter à Maximilien le chemin de la papauté. Le cardinal de Sainte-Croix, qui aspirait aussi à devenir pape, appuyait de tout son pouvoir les réclamations de l'empereur, sous les auspices de qui le Concile eût alors été célébré ; mais les autres cardinaux refusèrent de changer le lieu du Concile, avant de l'avoir ouvert, et envoyèrent le cardinal de Saint-Severin à Maximilien, pour lui promettre que le Concile serait transporté ailleurs, aussitôt son ouverture, et pour obtenir de lui l'arrivée des prélats d'Allemagne et des procureurs de l'Empire. Ces retards avaient déjà beaucoup affaibli l'autorité du Concile de Pise, que l'empereur paraissait abandonner.

Le roi de France, au contraire, s'obstinait à soutenir seul ce Concile. Dès le 27 juillet, il avait enjoint aux Universités de France de s'y préparer, et l'Université de Paris, dans une assemblée générale, s'était soumise à la taxe que l'Église gallicane devait prélever sur tous ses membres pour l'entretien des Pères du Concile. Le roi avait ordonné, en outre, que vingt évêques français iraient à Pise, et que tous les prélats du royaume s'y rendraient en personne, ou y enverraient leurs procureurs. La Ligue du pape, des Vénitiens et du roi d'Aragon, n'ébranla pas la résolution de Louis XII, qui, averti du mouvement des Suisses et des préparatifs de Jules II, rappela son armée dans le duché de Milan, pour le mettre à l'abri d'une double invasion. Le pape s'était flatté un moment de fermer la ville de Pise au Concile, en essayant de faire les Florentins plus ses amis, par la restitution de Montepulciano, qu'il avait obtenue, pour eux, de la république de Sienne. Mais Florence, dont le gonfalonier Pierre Soderini, ainsi que son frère le cardinal de Volterra, était à la dévotion du roi de France, accorda au Concile pleine et entière liberté de tenir ses assises, aussi longtemps qu'il voudrait dans la ville de Pise. Le pape, merveilleusement courroucé, se vengea de Soderini, en choisissant le cardinal de Médicis pour légat apostolique de Bologne, à la place du cardinal de Reggio qui venait de mourir, afin que le voisinage des Médicis fût une perpétuelle menace contre l'indépendance de Florence ; bien plus, avant de poursuivra les Florentins par les armes, il lança l'interdit sur leur république, et fulmina l'excommunication contre quiconque favoriserait le Conciliabule de Pise, où des cardinaux hérétiques allaient s'assembler, comme des sauterelles (ut locuste). C'en fut assez pour renforcer dans Florence le parti des Médicis, et allumer entre les citoyens un foyer de discordes civiles ; ici on détestait les Médicis, là on souhaitait leur retour. Soderini appela de l'interdit lancé contre la république au sacré Concile de l'Église universelle, sans désigner autrement le Concile de Pise, et commanda que les prêtres fussent contraints de célébrer l'office divin dans les quatre principales églises de Florence, nonobstant les censures portées par le pape contre les schismatiques et leurs adhérents.

Cependant, les pères et suppôts du Concile, étant arrivés à Lucques, encoururent aussi l'interdit pendant leur séjour en cette ville. Jules II était si mécontent des Florentins, qu'il leur eût déclaré la guerre, si le seigneur de Sienne, Pandolfe Petrucci, ne lui avait pas conseillé d'attendre l'armée du roi d'Aragon. Soderini se prépara pourtant à tenir tête au pape, et pour frapper d'un impôt énorme le clergé florentin, il fit entendre au peuple, que dans une guerre faite injustement par l'Église, on devait résister avec le revenu des biens de l'Église. Malgré tout, la bonne intelligence des Florentins et des Français parut s'altérer dans un débat relatif à l'envoi de deux cents lances à Pise, pour la garde du Concile : Soderini adressa des représentations au roi, qui accepta pour excuse la difficulté de nourrir des troupes dans un pays aussi stérile, et qui défendit à cette compagnie d'armes de passer les Apennins. Les cardinaux entrèrent à Pise, le 3o octobre, avec une escorte de cent cinquante archers, sous les ordres des seigneurs de Lautrec et de Châtillon. Les magistrats de Pise reçurent le Concile, avec un assez maigre visage, et les Pisans ne l'accueillirent pas mieux : la ville était plongée dans une morne consternation, parce que le clergé, obéissant à l'interdit, refusait de faire aucun service divin, et le peuple s'affligeait de ne plus avoir de messes. Quatre cardinaux seulement s'étaient rendus à la convocation : Bernard Carvajal, cardinal de Sainte-Croix, Espagnol ; Guillaume Briçonnet, cardinal de Saint-Malo ; René de Prie, cardinal de Bayeux, et Armanjeu, cardinal d'Albret, autorisés par les cardinaux de Saint-Severin, de Luxembourg et de Cosenza, absents (François de Borgia, cardinal de Cosenza venait de mourir à Lucques), dressèrent d'abord une réfutation des quatorze reproches, qui leur étaient spécialement appliqués par la Cour de Rome, et déclarèrent, entre autres choses, qu'ils ne prétendraient jamais empiéter sur la dignité pontificale, mais seulement rétablir le gouvernement des principaux de l'Église, pour mettre un frein à l'omnipotence du Saint-Siège ; qu'ils avaient dû quitter la Cour de Rome, où leur opinion n'était pas libre, où leur vie était menacée ; que le pape armé avait indict le Concile à Rome, afin d'en être maître ; que Rome, où Jules II entretenait des gens de guerre, ne convenait pas aux opérations d'un Concile, car l'Esprit-Saint n'éclaire que des esprits libres. Après cette protestation solennelle, on ne songea qu'à l'ouverture du Concile, quoique l'empereur n'eût pas envoyé un seul prélat d'Allemagne ; en revanche, les archevêques, évêques, abbés et docteurs français étaient fort nombreux ; mais, quand ils se présentèrent, le I" novembre, jour de la Toussaint, à la cathédrale, pour y célébrer la messe du Saint-Esprit, non seulement le clergé de la ville ne vint pas à leur rencontre, mais il avait caché tous les ornements du culte, et on osa fermer les portes de l'église aux cardinaux du schisme. Les Pères du Concile réclamèrent à Florence et obtinrent que la grande église du Dôme leur serait affectée, avec tous les ornements sacerdotaux, pour la célébration de l'office divin ; toutefois, le clergé pisan ne fut pas obligé d'assister aux sessions du Concile. La première eut lieu le 5 novembre : le cardinal de Sainte-Croix dit une belle grand-messe du Saint-Esprit, pendant laquelle les cardinaux de Saint-Malo, de Bayeux et d'Albret, vêtus de leurs chaperons rouges, étaient assis à gauche du maître autel avec les archevêques de Lyon et de Sens, les évêques de Lodève, de Luçon, d'Angoulême, d'Autun, de Rodez, et onze autres, vêtus de leurs rochets et cloches par-dessus ; de l'autre côté de l'autel, étaient rangés les abbés et les docteurs, parmi lesquels on distinguait les abbés de Saint-Denis et de Saint-Médard de Soissons, le général de l'Ordre de Cîteaux, les plus savants théologiens des Universités de Paris, Poitiers et Toulouse. Quelques députés du duché de Milan se trouvaient là. La messe achevée, les cardinaux prirent des chappes et des mitres de damas blanc ; les prélats, des chappes et des mitres de toile blanche ; puis on chanta la litanie ajoutée pour le Concile, et l'hymne du Veni Creator ; ensuite, le cardinal de Sainte-Croix, grand personnage, tant en latin qu'en autres langues, combien qu'il ne parle franfois, sinon quelques mots, prononça un sermon sur la foi qu'on devait avoir dans ce Concile. Alors l'évêque de Lodève monta en chaire, et publia les décrets et statuts de la première session, savoir : que le Concile est saintement assemblé, lequel représente l'universelle Église, et ainsi est assemblé pour l'extirpation d'hérésie, réformation de la sainte Église, in capite et membris, débellation des infidèles et pacification des princes ; en conséquence, le Concile annulait tous interdits et excommunications que le pape avoit envoyés en divers lieux, et surtout les privations de dignités et bénéfices prononcées par ledit pape contre les cardinaux de Sainte-Croix, de Bayeux, de Saint-Malo et de Cosenza ; enjoignait au pape de ne créer aucun cardinal, pendant la durée du Concile ; sommait le cardinal de Sainte-Croix de prendre la présidence de l'Assemblée, quoiqu'il ne voulût l'accepter ; nommait messire de Lautrec protecteur du Concile ; désignait plusieurs autres officiers nécessaires et défendait de faire injure ni outrage aux suppôts ou aux messagers du Concile.

Le même jour de cette session, Jules II avait renouvelé ses malédictions contre les agents du Conciliabule, et particulièrement contre René de Pise, qu'il priva du chapeau rouge et de tous bénéfices ecclésiastiques ; mais il évita de nommer, dans la bulle, le cardinal d'Albret, qu'il espérait encore regagner par des voies de douceur, et qu'il ménageait surtout à cause de son frère le roi de Navarre. La seconde session du Concile ne se fit pas attendre ; l'évêque d'Autun en publia les décrets, qui ne concernaient pas les matières importantes que le Concile s'était proposé de traiter : le Concile défendait seulement à ses membres de faire aucun ris ou autre geste, soit à l’église, soit dans les conférences, sous peine d'excommunication, pendant trois jours ; il choisissait les évêques de Luçon, de Lodève, de Rodez et d'Angoulême, pour ouïr toutes les causes relatives au Concile, et retirait aux juges ordinaires le droit de connaître des causes de ses suppôts, commencées ou non, jusqu'à la fin dudit Concile. Mais, entre cette session et la troisième, le concile, que les habitants de Pise voyaient de mauvais œil dans leur ville, put se convaincre qu'un plus long séjour, au milieu de l'irritation croissante du peuple, ne serait pas sans danger. Un archer français frappa une paillarde, en plein jour, sur une place publique ; les Pisans, témoins de cette querelle, injurièrent les Français ; ceux-ci appelèrent leurs camarades, qui accoururent avec des armes ; les gens de la ville s'armèrent aussi, et se jetèrent dans la mêlée, en criant Marlocco ! qui répondait aux cris de France ! On se battit dans les rues, et l'intervention des capitaines florentins et français ne réussit pas sans peine à séparer les combattants : Lautrec et Châtillon avaient été blessés, en cherchant à calmer ces furieux.

Le Concile était réuni, lorsqu'on lui annonça ce tumulte ; la terreur succédant à l'inquiétude, plusieurs voix s'élevèrent pour demander la translation immédiate du Concile. Le lendemain même fut célébrée la troisième session, où l'évêque de Lodève lut les décrets de l'Assemblée ; il déclara que le Concile, ayant puissance émanée de Jésus-Christ, auquel toute personne, de quelque état qu'elle soit, et fût d'état papal, étoit tenue d'obéir, tous les chrétiens devaient respecter ses décrets, sur les peines de droit. Le Concile défendit donc à ses suppôts de partir sans congé, et désigna quatre juges, pour apprécier l'urgence des motifs à faire valoir afin d'obtenir ce congé, mais il ordonnait à tous ses membres, pour les périls et dangers qui pourroient survenir, de se trouver à Milan, le 8 décembre, dans la maison du cardinal de Sainte-Croix, à l'effet d'aviser à ce qui se fera en la quatrième session, qui sera le jour de Saint Luce (13 décembre), dans la cathédrale. Ainsi, les Pères du Concile, quinze jours après leur arrivée à Pise, s'en allèrent à Milan, inquiets, et poursuivis par la haine du peuple, tellement que le clergé milanais voulait suspendre les cérémonies de l'Église et mettre la ville en interdit ; mais le vice-roi, Gaston de Foix, déploya une menaçante sévérité, qui fit taire les murmures des papalistes, contraignit les prêtres à remplir leur ministère, et arrêta une révolte prête à éclater contre le roi fauteur du Concile et du schisme.

Louis XII, cependant, avait à résister aux sollicitations incessantes de la reine, qui, non contente de détacher de l'Église gallicane l'Église de Bretagne, en l'empêchant de prendre part au Concile de Pise, s'élevait ouvertement contre cette assemblée schismatique, et adhérait au Concile de Latran, que l'évêque de Nantes avait proclamé. Mais le roi restait ferme dans ses volontés, et quel que fût son amour pour sa femme, dont la grossesse semblait enfin lui promettre un héritier, il ne céda pas à des attaques adroitement fortifiées de toute la puissance des caresses et des larmes. Anne de Bretagne, dont la dévotion s'était exaltée encore depuis la querelle de son mari avec le pape, redoublait de pratiques pieuses, comme pour expier devant Dieu l'hérésie de son époux : elle prodiguait des aumônes aux Ordres religieux, surtout aux Filles Pénitentes de. Paris et aux Minimes de Nigeon, pour les exciter à se ressouvenir du roi dans leurs prières ; elle faisait expulser les juifs, et pensionnait sur son épargne ceux qui consentaient à recevoir le baptême ; elle fondait à Lyon un beau couvent de Cordeliers et plusieurs autres monastères ; elle envoyait des présents aux églises, qui lui devaient d'être plus refulgentes en tapisseries, en tableaux, en ornements ; elle faisait fabriquer des reliquaires d'or et d'argent, enrichis de pierreries, elle brodait, de sa propre main, avec ses dames et damoiselles d'honneur, une foule d'objets destinés au culte, chasubles, nappes et parements d'autel ; elle commandait à ses imagiers de lui peindre des missels et des livres d'Heures avec des miniatures de fleurs, au lieu des monstres et des grotesques qui figuraient ordinairement dans les manuscrits ; elle s'entourait de prêtres et de moines, pour s'éclairer de leurs lumières et leur confier ses chagrins ; elle ne quittait plus son oratoire, que pour baiser des reliques, visiter des lieux de pèlerinages, et promener de chapelle en chapelle l'inquiétude qui la dévorait à l'égard du salut de Louis XII ; puis elle revenait, plus pressante et plus désolée, auprès du roi, redemander l'abandon du Concile aposté, comme on disait alors, et la soumission au chef de l'Église romaine. Un jour, la patience de Louis fut mise à bout par les anathèmes que la reine proférait contre le Concile de Pise : — Eh quoi Madame, lui dit-il en colère, cuidez-vous être plus docte et mieux apprise que tant de célèbres Universités qui ont ce Concile approuvé ? Vos confesseurs ne vous ont-ils point dit que les femmes n'avaient point de voix dans les choses de l'Église ?

Louis XII était instruit de tout ce qui se tramait contre lui, grâce à l'entremise de Buonviso, agent du pape en Angleterre. Non seulement Henri VIII se proposait d'envahir les provinces du nord de la France, mais encore, pour récupérer la Guyenne, il avait conclu, le 17 novembre, une ligue secrète avec Ferdinand d'Aragon, sous prétexte de faire la guerre aux ennemis de Jésus-Christ, et de défendre l'Église romaine injustement opprimée : Ferdinand, dans ce traité, cachait ses projets hostiles contre la Navarre, en s'engageant à envoyer une armée en Guyenne, ou ailleurs. Henri VIII, à qui le roi de France demanda des explications au sujet d'un article du traité, annonçant que le roi d'Angleterre était compris dans l'alliance du pape, des Vénitiens et du roi Catholique, répondit par de nouvelles assurances de fidélité qui ne trompaient personne. Louis XII n'était pas plus confiant dans la foi de Maximilien, qui de jour en jour se rapprochait de Jules II, prêtait l'oreille aux suggestions du roi d'Aragon, et négociait la paix avec Venise. Le roi se plaignit à Marguerite des méchants conseillers, qui lui mettaient à la tête beaucoup de menteries, afin qu'elle fût médiatrice à induire l'empereur à choses non convenables à l'amitié et alliance, faite par elle-même à Cambrai : il lui représenta que la division ne profiteroit rien à la Maison d'Autriche, et que ceux qui faisaient le mal directement et indirectement (le roi d'Aragon et le pape) ne vouloient autre chose, sinon l'empereur bas et sa Maison en nécessité ; il s'excusa de n'avoir pu terminer le différend de Gueldre, et il jura même qu'il y alloit d'aussi bonne foi, comme il désiroit avoir le salut de son âme. Enfin, lorsqu'il apprit par son ambassadeur, Galéas de Saint-Severin, que Maximilien avait adhéré au Concile de Latran, les évêques d'Allemagne réunis à Augsbourg s'étant déclarés contre le Conciliabule de Pise, il fit partir André de Burgo, avec des offres très ample, et notamment celle de la main de Madame Renée, seconde Fille de France, pour l'Infant don Ferdinand, frère de l'archiduc Charles et petit-fils de l'empereur. Louis XII songeait pourtant à soutenir le choc terrible qui le menaçait de tous côtés, en refusant de renoncer au Concile de Pise et de faire restituer Bologne au Saint-Père. Sachant que les troupes espagnoles commençaient à descendre vers la Romagne, pour brouiller sur Bologne, il avait résolu de s'y transporter en personne et de s'avancer sur les terres de l'Église, avant l'arrivée des armées confédérées. Il allait attaquer de front le pape dans ses États, et déjà il avait écrit à Yves d'Alègre, gouverneur de Savone, de saisir tous les biens des parents de Jules II, et d'arrêter les gens de mauvais vouloir qui le suivent et sont à lui.

Mais Jules II n'avait pas attendu jusque-là pour prévenir les desseins du roi, qu'il espérait dépouiller du duché de Milan, avec l'aide des Suisses. Ces montagnards, qui se fussent contentés d'une augmentation de 10.000 ducats dans la pension annuelle que leur payait le roi, s'irritèrent de se voir ainsi dédaignés : aigris par les insinuations du cardinal de Sion, qui renchérissait encore sur la haine du pape contre la France, désespérant d'ailleurs de recouvrer jamais les sommes qu'ils avaient en vain réclamées pour la prise de Ludovic Sforza, mort dans sa prison l'année précédente, ils projetèrent d'envahir encore une fois le Milanais. Les cantons de Schwitz et de Fribourg allaient se lever en armes et marcher sur Milan ; le canton de Bâle et trois autres cantons devaient, en même temps, courre sus aux pays de l'empereur. Ces deux invasions avaient pour prétexte deux sujets de représailles : un courrier suisse avait été tué par des soldats français ; un gentilhomme de Ferrette, en Alsace, avait coupé la main à un meunier surichois dans un débat avec ce vilain. Maximilien, qui avait envoyé des commissaires pour apaiser les Suisses, avertit le roi, par lettres du 25 novembre de la grande folie et rêverie qui étoient en leurs têtes, et les comparant à de mauvais vilains, que plus les prie-t-on et donne de bonnes paroles, et plus sont rudes, fiers, pervers et maudits, il invitait Louis XII à faire contre eux une bonne ligue, pour, ensemble et d'un commun accord, les réduire à la raison. Mais déjà les gros tambours des Suisses jetaient l'épouvante dans toute la Lombardie française. Ils étaient descendus de leurs montagnes, vers la fin de novembre, sans pontons ni bateaux, pour traverser les rivières débordées, sans approvisionnements de vivres, et sans autre artillerie que sept petits canons de campagne et quelques arquebuses portées à dos de mulets. Ils s'arrêtèrent à Varèse, comme à l'ordinaire, et de là envoyèrent défier, par un trompette, le lieutenant du roi, à Milan. Gaston de Foix fut effrayé du péril qui menaçait le duché, quoique les Vénitiens, le pape et le roi d'Aragon ne fussent point encore prêts à s'y précipiter à la fois. La Palice n'avait ramené du camp de la Piave que des compagnies harassées et décimées ; les gens de pied avaient été congédiés par économie, excepté trois mille laissés en garnison à Vérone ; trois cents lances avaient été envoyées au secours de Bologne. Enfin, on disait que Maximilien Sforza, fils de Ludovic, élevé à la cour de l'empereur, et oublié à dessein dans tous les traités entre la France et l'Empire, avait provoqué en secret l'expédition des Suisses, et se préparait à revendiquer par les armes le duché de son père. Milan s'agitait à ce nom de Sforza, mais frissonnait, au bruit de la marche des Barbares. Louis XII, à cette nouvelle, ordonna de lever beaucoup d'infanterie gasconne, et de faire passer en Italie tout ce qu'il y avait de troupes en France, hormis deux cents lances destinées à garder les frontières de la Picardie. Le duc de Nemours était parvenu à rassembler cinq cents lances et deux mille piétons. Pendant que les Milanais soudoyaient eux-mêmes des condottieri pour garder leur ville du pillage, deux cents gentilshommes du roi vinrent se ranger autour du jeune vice-roi, que le maréchal de Trivulce était chargé de diriger, et surtout de modérer. Louis XII allait être accablé d'ennemis : les complots de Jules II et du roi d'Aragon éclataient de toutes parts. Depuis que la France est France, écrivait un agent de Marguerite d'Autriche, quelque bonne mine que Messieurs les Français tiennent d'eux bien défendre, ils ne furent jamais si étonnés qu'ils sont à présent, car ils doutent merveilleusement de leur destruction, comme s'il était prédestiné qu'ils dussent perdre l'Italie, et ont une si grande crainte que l'empereur ne les abandonne, qu'ils en pissent en leurs braies.

Les Suisses, au nombre de six mille, se portèrent sur Gallarate, où le duc de Nemours vint leur présenter la bataille, qu'ils n'acceptèrent pas ; mais, comme des renforts leur arrivaient incessamment, ils résolurent de n'éviter plus le combat, que le vice-roi à son tour refusa, et s'avancèrent en bon ordre sur la route de Milan, que Théodore Trivulce avait eu le temps de fortifier, en élevant des boulevards derrière l'enceinte des faubourgs. Le baron de Conty, très bon et vaillant capitaine sorti d'une grande et ancienne maison, fut envoyé à la tête de sa compagnie de cent hommes d'armes, pour inquiéter la marche des Suisses, et leur fermer le chemin, en escarmouchant autour d'eux ; mais, après plusieurs charges brillantes, sa compagnie fut enveloppée et défaite ; lui-même périt avec tous ses compagnons. Cette mort et cet échec furent vengés, le lendemain même par Bayard, qui rencontra cinq cents Suisses, et les mit tous au tranchant de l'épée, sans en garder un seul, et en la même place où M. de Conty avoit été défait et tué. Les Suisses s'approchèrent sans résistance des faubourgs de Milan, où le vice-roi s'était logé ; mais le manque de vivres les obligea de se retirer vers l'Adda, pendant que les Gascons de Molart et les lansquenets de Jacob Empser venaient secourir la ville. Gaston de Foix ayant su, par des lettres interceptées, que ces envahisseurs étaient d'accord avec le pape, qui les payait, leur fit proposer, d'après le conseil de La Palice, deux fois, autant d'argent qu'ils en avaient reçu du pape, pourvu qu'ils voulussent s'en retourner dans leurs maisons. Les Suisses touchèrent la somme, et s'en retournèrent chez eux, avant Noël, malgré les efforts de Jules II pour les faire revenir sur leurs pas. Leur retraite produisit autant de surprise que leur descente avait causé de terreur.

Le Concile de Pise, transféré à Milan, n'avait pas osé, en présence de l'invasion des Suisses, tenir, le 13 décembre, sa quatrième session, qui fut ajournée au 4 janvier suivant ; d'ailleurs, on attendait quelques prélats d'Allemagne. Le Concile était, au surplus très ému de la publication d'un libelle de Thomas de Vio, dit Cajetan, général des Dominicains. Ce libelle intitulé : de Auctoritate Papce et Concilii Ecclesiæ comparata, prouvait la prééminence du pape sur les Conciles et attaquait ceux de Constance et de Bâle, comme schismatiques ; les libertés de l'Église gallicane étaient fort maltraitées dans ce manifeste rempli de science théologique. Les Pères du Concile de Pise furent d'avis de dénoncer à l'Université de Paris le livre suspect et injurieux de cet homme téméraire et dangereux, qu'on ne pouvait laisser sans réponse et sans châtiment, quoique le pape et l'Église romaine ne fussent guère plus ménagés par les écrivains français, dont les vers satiriques se multipliaient sous les yeux mêmes du roi : le fécond Jean Bouchet venait de faire imprimer la Déclaration de l'Église militante sur les persécutions intériores et extériores, et un poète anonyme répandait à la Cour le manuscrit du Blason de la guerre du pape.

Maximilien s'était flatté apparemment que l'entreprise des Suisses serait favorable à ses desseins ; car déjà le comte de Carpi, qui n'avait pas osé revenir en France se justifier des trahisons qu'on lui imputait, était allé à Venise, pour conclure la paix, au nom de l'empereur, avec les Vénitiens, et l'évêque de Gurck devait aussi se rendre dans cette ville : Les choses iront de terrible sorte ! écrivait, le 29 décembre, le secrétaire d'André de Burgo, lequel demeurait à Blois en l'absence de l'ambassadeur. Si l'empereur n'est trompé, le roi de France a fricassé sa duché de Milan, car l'empereur lui ayant tourné le dos, ainsi fera toute l'Italie qui déjà a perdu demi le courage. » Mais, dès que le Milanais fut délivré des Suisses, l'empereur s'aperçut bien que le pape et le roi d'Aragon n'avaient pas grande volonté de lui faire du bien, et que le roi de France se souciait peu d'un allié aussi chancelant, qui lui demandait tout plein de choses, au moment de l'abandonner. On regardait comme certain, à la cour- de Blois, que Maximilien avait déjà fait banqueroute à la France.

Louis XII n'eut pas à se louer davantage de la fidélité des Florentins. Ils lui refusèrent, malgré le conseil de Soderini, les trois cents lances qu'ils étaient tenus de lui fournir dans ses guerres, et ils envoyèrent même en ambassade à Ferdinand le jeune François de Guicciardin, qui écrivit plus tard une admirable Histoire de son temps. L'armée du roi d'Aragon était enfin à Imola, conduite par Pedro de Navarre, capitaine de l'infanterie, lieutenant du vice-roi de Naples. Cette armée de huit mille piétons, quinze cents génetaires, mille hommes d'armes, avec vingt-deux pièces d'artillerie, avait beaucoup souffert de la rigueur du froid ; elle se reposa, en attendant les troupes du pape, commandées par Jean Vitelli. L'armée vénitienne, qui, après avoir repris Vicence et le Frioul aussi rapidement que les Impériaux s'en étaient emparés, se renforçait à la faveur d'une trêve accordée par Maximilien, et, toute fière de ses succès, en espérait de nouveaux sous la conduite de son nouveau chef, Jean-Paul Baglione. Depuis deux ans, en effet, Venise avait lutté avec honneur contre les armées réunies de l'empereur et du roi de France. La campagne, qui s'ouvrait au commencement de l'hiver, s'annonça d'une manière funeste pour le duc de Ferrare : toutes ses villes en deçà du Pô capitulèrent à la première sommation, et Bastia di Genivolo, canonnée vigoureusement durant trois jours par Pedro de Navarre, et non moins chaudement défendue par sa petite garnison, fut emportée d'assaut, le 31 décembre, quand tous ses défenseurs eurent péri sur la brèche avec leur capitaine ; mais à peine Pedro de Navarre avait-il abandonné cette ville ensanglantée à la garde de deux cents piétons espagnols, qu'Alphonse d'Este vint braquer son artillerie devant les murailles démantelées, y pénétra en fureur le même jour, et vengea la mort des siens par le massacre général des vainqueurs de la veille. L'armée des confédérés marchait sur Bologne, et Jules II croyait rivaliser avec Jules-César, le modèle qu'il s'était choisi parmi les héros de l'ancienne Rome. — Ô Dieu éternel ! s'écriait Maximilien, en chassant dans les forêts du Tyrol : si tu ne veillais, que le monde serait mal gouverné par moi, faible veneur, et par ce méchant ivrogne de prêtre Jules !

On pouvait prévoir que la guerre allait s'échauffer fort furieusement, malgré la saison d'hiver, qui n'empêchait pas l'armée italienne et espagnole, que commandaient le cardinal légat Pierre de Médicis et le vice-roi de Naples, don Ramon de Cardone, de tenir la campagne pour s'emparer de Bologne. Louis XII ne se borna pas à faire passer en Italie toute la gendarmerie dont il disposait ; il faisait amasser force gens de pied, tant Gascons que Picards et Normands, pour les envoyer à toute diligence delà les monts. Le maréchal de Trivulce, qui connaissait le pays et les habitants, avait écrit au roi que les choses se passeroient bien, pourvu qu'on trouvât manière d'empêcher que l'empereur Maximilien ne vînt à rompre l'amitié avec la France. Or, Maximilien n'attendait qu'une réponse du pape, pour prendre des deux partis le meilleur. Sachant. que Jules II payait la solde des troupes espagnoles à raison de 5o.000 ducats par mois, il ne demandait pas moins pour une armée allemande. Louis XII avait donc à ménager habilement les ambassadeurs de Marguerite d'Autriche, qui étaient toujours à la cour de Blois, dans le but de veiller aux intérêts de l'empereur plutôt que de traiter les affaires des Pays-Bas. Ces ambassadeurs ne se lassaient pas de répéter que leur maître ne souhaitait rien tant que de faire une bonne paix universelle en la Chrétienté, et ils assuraient que le pape et le roi d'Aragon l'avaient déjà choisi comme médiateur. Cette nouvelle, qui semblait d'heureux augure à tout le monde, était acceptée par le roi lui-même. Mais la plus grande préoccupation de la Cour se portait, en ce moment, sur le prochain accouchement de la reine. Un des ambassadeurs de Marguerite d'Autriche écrivait de Blois, à ce sujet. L'on n'en mène pas grand bruit ici, comme on faisait à l'autre fois, et montrent ceux de par deçà, qu'ils ne voudraient pas jà qu'elle fît un fils. Ce fut le 21 janvier 1512, à trois heures de l'après-midi, que la reine accoucha d'un fils, lequel n'eut point de vie. Le roi en fut bien dolent. On disait qu'il n'attendait que les relevailles de la reine, pour se rendre à Lyon avec elle et pour s'y tenir prêt à passer en Italie, car il avait déclaré qu'il entendait conserver la possession de la ville de Bologne et qu'il la défendrait comme sa bonne ville de Paris.

Cependant, le vice-roi de Naples et le cardinal Jean de Médicis étaient déjà devant Bologne, avec leur armée, qui comptait deux mille lances de grosse cavalerie, dix-huit cents chevau-légers et dix-huit mille fantassins, dont dix mille Espagnols, revenus d'Afrique sous les ordres de Pedro de Navarre. L'étendue et la situation de la place n'avaient pas permis de l'investir de tous côtés à la fois. Gaston de Foix vint jusqu'à Finale, à une journée de marche de la ville assiégée, sans rencontrer d'ennemis : il n'avait avec lui que treize cents lances et quatorze mille gens de pied. Là, il apprit que l'investissement de Bologne n'était pas complet et que Pedro de Navarre n'avait pas encore ouvert la brèche sur un seul point. L'armée française marcha, pendant la nuit, à travers des tourbillons de neige et de vent ; les sentinelles ennemies n'avaient pas même signalé son approche, lorsqu'elle entra, le 5 février matin, dans la ville que défendait le sire de Lautrec, cousin de Gaston de Foix, avec les seigneurs d'Alegre, de La Fayette et du Terrail, que l'armée ne connaissait plus que sous le nom de chevalier Bayard. Le vice-roi de Naples n'essaya pas de continuer le siège, et se replia sur Imola. Les Français restaient maîtres de Bologne ; mais, deux jours auparavant, le comte Louis Avogara et son fils avaient livré Brescia aux podestats vénitiens André Gritti et Antoine Justiniani, et tout le pays bressan s'était soulevé, au cri de riva san Marco ! en arborant partout l'étendard de Venise. La garnison française avait pu s'enfermer dans le château qui commandait la ville. A la nouvelle de la prise de Brescia, Gaston de Foix, laissant trois cents hommes d'armes et quatre mille fantassins pour garder Bologne, partit en toute hâte avec le reste des troupes, et en moins de neuf journées de marche, malgré les chemins rompus et les rivières débordées, il arriva aux portes de Brescia, après avoir battu et mis en déroute un corps vénitien, que Baglione amenait au secours.de cette ville, qui n'avait pas d'autre garnison que ses habitants et un ramassis de paysans armés. Gaston somma les révoltés de se rendre, en leur promettant vies et bagues sauves. Mais les chefs vénitiens refusèrent toute composition. L'artillerie eut bientôt ouvert une brèche, et le 19 février, l'infanterie française, conduite par le duc de Nemours en personne, pénétra dans la ville, pendant que du côté opposé les défenseurs du château faisaient irruption dans les rues, où on leur jetait des fenêtres gros carreaux, pierres et eau bouillante ; et ils parvinrent, en combattant, jusqu'à la place de Boletto, où les Vénitiens s'étaient formés en bataille. Là, le combat ne dura guère : tout ce qui n'était pas tué fut fait prisonnier ; on n'épargna que les chefs qui se rendirent à merci. Yves d'Alègre, avec ses hommes d'armes, gardait les portes de Brescia et empêchait d'en sortir. On ne fit grâce à aucun qu'on trouvait armé, et pendant sept jours, la ville fut abandonnée au pillage. Les églises et les moutiers furent seuls respectés, car Gaston de Foix avait défendu à ses soldats, sous peine de mort, d'exercer aucune violence dans ces monastères où s'étaient réfugiés, en foule, les femmes et les enfants. Brescia, la ville florissante et la plus riche de la Lombardie après Milan, avait été complètement saccagée et ruinée. Il n'est rien de si certain, dit le secrétaire historien du chevalier Bayard, que la prise de Bresse fut en Italie la ruine des Français, car ils avaient tant gagné dans cette ville de Bresse, que la plupart s'en retournèrent et laissèrent la guerre, desquels il eût été bon métier (besoin) par après. Le comte Louis Avogara et son fils, condamnés tous deux pour crime de haute trahison, furent exécutés, aux yeux du peuple, dans la ville qu'ils avaient livrée aux Vénitiens. La prise de Brescia eut un' tel retentissement, que le nom de Gaston de Foix fut honoré et illustré par toute l'Europe, comme d'un autre César et Alexandre. Louis XII pourtant avait voulu modérer la fougue et l'audace téméraire de son cher neveu le duc de Nemours, auquel il envoya le grand écuyer Galéas de Saint-Severin, pour aider à le gouverner.

Avant que la reprise de Brescia ait eu lieu, le roi était en aussi grande crainte que jamais, par suite des nouvelles inquiétantes qui lui venaient en même temps d'Italie et d'Angleterre. Le roi d'Aragon pressait Henri VIII, son gendre, d'envoyer, en Guyenne, un puissant secours d'infanterie, qui lui permettrait de commencer la guerre au-delà des Pyrénées ; Henri VII avait déjà tout préparé pour faire descendre vingt-cinq mille hommes à Calais et pour jeter dix mille hommes en Normandie. Maximilien, qui avait l'air de vouloir aussi brouiller les cartes, se montrait disposé à prendre le parti du pape et reprochait à Louis XII de n'avoir pas complètement exécuté toutes les clauses du traité de Cambrai. Enfin, le bailli d'Amiens, qui était en Suisse pour conclure une nouvelle alliance, au nom du roi, rencontrait de la part du cardinal de Sion une opposition invincible. Le roi n'attendait que le succès de la négociation du bailli d'Amiens pour envoyer six cents lansquenets au duc de Nemours ; il ordonna de mettre sur pied six cents hommes d'armes destinés à repousser l'invasion anglaise, et il confia le commandement de ces hommes d'armes aux ducs d'Alençon et de Longueville, en mettant seulement cent lances sous les ordres de Monseigneur d'Angoulême, qui fut désigné pour être le lieutenant du roi en Normandie. Le comte d'Angoulême, qu'on appelait le dalphin ou dauphin, comme le futur héritier de la couronne, n'avait pas encore dix-huit ans.

La situation politique changea tout à coup, dès que la reprise de Brescia par les Français eût été connue. Ce fut le duc de Nemours qui annonça lui-même au roi cette importante victoire, en disant que, dès qu'il aurait reçu les renforts qu'on lui promettait tous les jours, il délivrera bientôt le pays, des Espagnols, et fera retirer les gens du pape. Louis XII écrivit de sa propre main à Marguerite d'Autriche ces bonnes nouvelles, dont elle serait très joyeuse. Car, ajoutait-il, espère qu'elles seront causes de mettre une bonne fin à toutes ces guerres, et paix universelle en la Chrétienté, que j'ai toujours de tout mon cœur désirée. Il ne fut plus question, du moins pour quelque temps, de la descente des Anglais en Normandie, et le roi qui montroit bon visage de les bien accueillir, dit gaiement à André de Burgo, un des ambassadeurs de la gouvernante des Pays-Bas : — Je ne les crains guère, car j'ai deux mille hommes d'armes et vingt mille piétons pour leur mettre à la queue. On affirmait que le roi avait donné des ordres secrets à quelques-uns de ses capitaines en Italie pour s'emparer de la personne du pape. Jules II le savait et se tenait sur ses gardes. Quand il eut appris la réussite du complot de Louis Avogara qui livrait Boulogne aux Vénitiens, il avait fait faire à Rome la plus grande démonstration de joie du inonde ; il y eut des messes d'actions de grâces dans toutes les églises ; on sonna les cloches, on tira le canon. On alluma des feux dans les rues, avec des cris de Mort aux Français ! Mais, les Français ayant repris Brescia, le pape pensa désespérer de rage et dit-on qu'il se tiroit la barbe, par dépit. Ce jour-là même, il avait de telles appréhensions, qu'il alla coucher au château Saint-Ange et fit faire bonne garde, toute la nuit ; le lendemain, il monta sur un navire qui le conduisit à Civitta-Vecchia et s'enferma dans le château, qu'il mit en état de soutenir un siège.

Cependant, la Ligue des confédérés contre Louis XII subsistait toujours, quoiqu'ils eussent l'air de négocier tous en vue de la 'paix générale ; les ambassadeurs succédaient aux ambassadeurs, à la cour de Blois, mais ce n'était que paroles trompeuses et vaines promesses. Louis XII avait mandé aux cardinaux qui ; tenaient le Concile à Milan, après l'avoir ouvert à Pise, qu'ils eussent à le transporter à Bologne, où ils seraient en sûreté sous la protection du cardinal de Saint-Severin, qui avait avec lui deux cents hommes d'armes, nombre de piétons et cinquante gentilshommes de la maison du roi, pour faire exécuter les ordres du Concile, s'agit-il de prendre le pape. Le roi, qui se voyait de tous côtés circonvenu de guerre, ne demandait pas mieux que d'en venir à une paix honorable avec tous ses ennemis, mais il avait déclaré hautement que, quelque travail qui lui vienne, de quelque part que ce soit, il n'en bougera pas un homme d'Italie, mais plutôt qu'il y enverra d'autres gens et qu'il veut garder son duché et son honneur. Il faisait semblant de compter sur la bonne amitié et fraternelle de l'empereur, qui avait témoigné vouloir demeurer entièrement son confrère et allié. Il ne' trouvait pas mauvais que Maximilien fît un appointement avec les Vénitiens, pourvu que ce traité ne fût pas en désaccord avec celui qui les liait l'un et l'autre ; mais il ne lui cachait pas que si le pape et le roi d'Aragon se décidaient à se contenter d'une paix raisonnable, incontinent elle seroit faite. Il se plaignait amèrement du roi d'Aragon, qui ne faisait pas bien d'user de termes malséants à son égard : quant à lui, quelle que soit la puissance de ses adversaires, il espère, avec la grâce de Dieu, soutenir sa juste querelle. On s'étonnait donc que le duc de Nemours, depuis la glorieuse reprise de Brescia, n'eût rien entrepris contre l'armée papale et espagnole, qui restait campée entre Imola et Bologne. Le roi était étonné de ces retards, que rendait inexplicables l'ardeur guerrière du chef de l'armée française ; une dépêche lui apprit la cause de la retardition de cette armée : Une grande partie de piétons, tant Allemands que autres, et aussi des gens d'armes à cheval, s'étaient partis du camp, à mettre en' lieu sûr les prisonniers et le pillage qu'ils avaient faits à Brescia, et M. de Foix, de toute son étude, laborait à les remettre et rassembler ensemble. On attendait donc une grande bataille, dans laquelle la victoire des Français paraissait assurée d'avance.