LOUIS XII ET ANNE DE BRETAGNE

CHRONIQUE DE L'HISTOIRE DE FRANCE

 

CHAPITRE XIX. — 1511.

 

 

LOUIS XII, cependant, s'efforçait de mettre en évidence son zèle pour la paix de l'Italie. Quoique Jules II eût tenté contre Bastia une seconde entreprise aussi peu heureuse que la première, à cause de l'inondation des environs de la place, et surtout par suite de la défaite de l'escadre vénitienne que la flotte ferraraise avait fort maltraitée, le roi donna ordre à Trivulce de ne point attaquer les terres de l'Église, jusqu'à ce que la journée de Mantoue eût décidé la paix ou la guerre avec le Saint-Siège. Trivulce qui avait projeté une expédition contre Bologne, fut obligé de rester immobile à Finale, tout proche de l'ennemi, campé à San-Felice, et il lança seulement sur des bandes vénitiennes plusieurs escarmouches dirigées par le duc de Nemours. Ce jeune prince de vingt ans étoit doué d'une prudence de vieillard, et avoit l'esprit si prêt et si prompt à la guerre, que le roi hésita quelque temps à le donner pour successeur au seigneur de Chaumont. Le projet de Louis XII semble avoir été d'attendre que Gaston eût atteint, sa-vingt et unième année, avant de le nommer vice-roi de Milan, et il lui bailla des gouverneurs, afin de tenir en bride sa bouillante jeunesse. Trivulce, le seul des quatre maréchaux de France qui restât pour commander une armée — Rohan et Chaumont étaient morts ; Rieux était impotent et cassé par l'âge —, devait être lieutenant général de fait, tandis que Nemours le serait de nom. Trivulce, forcé de renoncer au dessein de couper les vivres à l'ennemi et de le repousser dans la Romagne, se prépara pourtant à prendre l'offensive, dès que les négociations de Mantoue seraient rompues, et demanda un renfort de deux mille lansquenets et de trois mille Grisons ; il se consolait de ne point agir encore, le temps pluvieux ayant remplacé la neige et le froid de l'hiver.

L'assemblée de Mantoue ne paraissait pas tenir ce qu'elle avait promis. L'évêque de Gurck, accompagné de l'ambassadeur d'Aragon, don Pedro d'Urrea, avait attendu, quelques jours, à Riva, une réponse du pape qu'il priait d'envoyer au plénipotentiaire à Mantoue ; il s'était rendu dans cette ville auprès de l'évêque de Paris, avec lequel il concerta comme ils s'auroient à conduire, touchant le traité de paix ou la continuation de la guerre, si Jules II persistait dans son ambition ; mais celui-ci avait transmis à Mathieu Lang les plus belles propositions de paix, pour réconcilier l'empereur et les Vénitiens. Vérone et le Véronais, Vicence et le Vicentin appartiendraient particulièrement à Maximilien et à ses successeurs ; l'évêque de Gurck prendrait possession de Padoue et de Trévise, au nom de son maître ; le Frioul serait restitué au patriarche d'Aquilée ; les Vénitiens recevraient, en fief de l'Empire, Padoue, Trévise et le territoire de ces deux villes, moyennant un don de 3oo.000 florins du Rhin et une redevance annuelle de 3o.000 ; les Vénitiens s'engageraient en outre, à ne bâtir aucune forteresse sur les terres impériales et à rendre tout ce qu'ils pouvaient retenir encore des domaines de l'empereur. Le pape, au lieu d'appuyer ces offres engageantes par l'envoi d'un ambassadeur aux conférences de Mantoue, pria l'évêque de Gurck de s'aboucher directement avec lui : il se flattait de gagner ce prélat, à force de promesses et d'honneurs. Le second ambassadeur espagnol, don Vico, se joignit à son collègue pour déterminer l'évêque de Gurck à satisfaire le désir du pape et à venir seul dans Bologne, puisque le Saint-Père ne vouloit en aucune manière envoyer à Mantoue, pour le fait de la paix. Cette mauvaise foi de Jules II eut le succès qu'il en espérait, et produisit des retards que l'évêque de Gurck crut faire cesser, en consentant à l'entrevue que le pape désirait, avant toute chose ; mais ce fut encore un sujet de nouvelles lenteurs. Pendant que l'évêque attendait à Modène l'arrivée du pape à Bologne, tous les jours il recevait une lettre du cardinal de Pavie, qui l'invitait à retarder son départ, tellement que l'ambassadeur, de concert avec les conseillers de l'empereur, déclara, le 6 avril, que si le pape n'était pas à Bologne avant trois jours, ces lenteurs annonçant peut-être une méchante intention, il se verrait forcé de retourner à Mantoue, pour y exécuter les ordres de son maître, et pour aussitôt écrire, aux princes chrétiens, du bon devoir en quoi se sont mis l'empereur et le roi de France. Jules II avait profité de ces délais, adroitement combinés, pour s'armer contre les menaces de l'Assemblée gallicane de Lyon, en créant huit cardinaux, entre lesquels ne furent pas oubliés l'archevêque d'York, ambassadeur d'Angleterre, et l'évêque de Sion, qui avaient déjà si ardemment servi la cause du Saint-Siège et qui n'étaient pas refroidis pour elle. Jules II ajourna la nomination de l'évêque de Gurck, et se contenta de la promettre, en disant qu'il se réservait de donner bientôt un neuvième chapeau de cardinal.

Le Concile de l'Église gallicane avait été transporté, de Tours à Lyon, pour le ler mars, mais le terme de convocation fut prorogé au mois d'avril. A cette époque, le chancelier annonça que rien ne seroit exécuté jusques à tant que se voie la fin de la pratique de l'évêque de Gurck. Cependant, grand nombre d'archevêques, d'évêques et autres prélats étaient arrivés de tous les points de la France, et leurs conférences avaient commencé, pour entendre le rapport des délégués du Concile de Tours, lesquels n'avaient pu obtenir aucune réponse de Jules II, sinon un refus positif de convoquer un Concile œcuménique. Louis XII, qui avait hâte de connaître promptement le résultat des négociations de Mantoue, pour agir à la fois, en cas de rupture, par les armes spirituelles et temporelles, quitta Blois, à la fin de mars, et sans emmener Anne de Bretagne, qui souhaitait ne point participer à ces entreprises contre l'autorité pontificale, il vint à Lyon surveiller lui-même les députés ecclésiastiques, à l'instar de Maximilien, qui présidait en personne le synode des prélats de son patrimoine (l'Autriche seule), réunis également pour la décision d'un Concile général de l'Église universelle. Mais le roi fut bien émerveillé de ne pas trouver à l'Assemblée de Lyon les délégués des diocèses de la Flandre et de l'Artois, le clergé de ces deux provinces étant soumis à la juridiction spirituelle de l'Église gallicane, de même que le pays relevait féodalement de la couronne de France. Il passa de l'étonnement à la colère, lorsqu'il sut que la gouvernante des Pays-Bas avait empêché les prélats des domaines de l'archiduc de se rendre à Lyon et de soutenir l'appellation au Concile contre le pape. Louis XII se plaignit de cette conduite, et dit au chargé d'affaires allemand, André de Burgo, que le Parlement de Paris pourvoirait à cela, et ne souffrirait pas que l'autorité royale fût compromise à ce point, ni que le pape et les Vénitiens fussent soutenus par de semblables tentatives, qui allaient à l'encontre du traité de Blois. Marguerite essaya d'éluder les reproches de Louis XII, qui lui fit répondre, le 26 avril, par le chancelier Jean de Ganay, que la réparation de cet abus de pouvoir devait être faite dans le délai de quinze jours, autrement il ferait procéder en forme par le Parlement de Paris. Louis XII avait cette matière bien à cœur et menaçait de saisir les deniers de Picardie, si Madame Marguerite ne révoquait des ordres attentatoires à la souveraineté de la couronne de France. Il semble, disait-il avec émotion, que l'on ne tâche, sinon à rompre et à vouloir faire le contraire de ce que toute raison veut et comporte !

La querelle du roi avec le pape, et surtout la guerre des princes chrétiens contre le chef de l'Église catholique, ne laissaient pas néanmoins de scandaliser les âmes pieuses ; la reine elle-même donnait l'exemple d'une désapprobation manifeste à l'égard du schisme fatal de son mari, et déjà le peuple murmurait tout bas, en taxant d'impiété son bon maître. Louis XII eut recours aux moyens qu'il avait employés naguère pour répondre aux accusations de déloyauté et de fourberie que lui adressèrent les Vénitiens après la victoire d'Agnadel ; il ordonna donc à son valet de chambre, Jean Lemaire de Belges, de rédiger, comme il avait fait la Légende des Vénitiens, un traité historique de la différence des Schismes et des Conciles de l'Église universelle, et de la prééminence et utilité des Conciles de la sainte Église gallicane. Jean Lemaire se mit à l'œuvre avec activité, et, selon les vues du roi, il s'attacha surtout à prouver que les mauvais papes ont été cause des schismes et divisions, et les bons, des Conciles et réconciliations ; à montrer apertement d'ond procède la racine et fondation de l'orgueil des ministres de l'Église romaine ; et à représenter les Vénitiens comme seuls auteurs des dissensions qui existaient entre les Églises romaine et gallicane. Après cet énergique préambule, Jean Lemaire, déclarant que les schismes sont toujours venus du côté des papes, et les Conciles, de la part des princes, ne craignit pas de comparer Jules II au soudan des Turcs, en accordant la préférence à ce dernier, dont il vantait la gracieuseté, pour mieux blâmer la rigueur et obstination du pape, lequel, tout martial et tout rébarbatif en son harnois, veut persévérer à la guerre. Il allait jusqu'à reprocher au pape d'avoir contrevenu au traité de Cambrai, et de se dire souverain de l'Eglise, à la sienne très grande confusion, scandalisation et murmures du peuple chrétien. Ce traité, plus violent que la Légende des Vénitiens, s'appuie, comme cette légende, sur les prédictions de plusieurs prophètes, sibylles, saintes personnes, astrologues et mathématiciens. Jean Lemaire, homme de grande lecture et de très diligent labeur, cite des textes de saint Paul et de Merlin, de saint Jean l'Évangéliste et d'Alain Chartier, pour annoncer le grand et merveilleux schisme de l'Église, par lequel les princes séculiers seront contraints mettre la main à la réformation des ecclésiastiques ; schisme engendré par trois causes principales : ambition, mère d'avarice, omission des Conciles généraux, et interdiction du mariage légitime aux prêtres de l'Église latine. On s'étonne de la hardiesse de l'écrivain, qui osait avancer de telles propositions, en dédiant son ouvrage au Souverain protecteur et patron royal de l'Église gallicane, et qui invitait chacun à prier Dieu qu'il veuille réformer et renouveler son Église, tant au chef comme aux membres, par un très bon et très grand Concile universel de l'Église catholique. Cet appel public à la rénovation de l'Église devait bientôt trouver un écho éclatant chez Luther, qui, encore enseveli dans ses études philosophiques, était à Rome, en ce moment même, pour traiter certaines affaires mesquines, concernant l'ordre de Saint-Augustin dont il portait l'habit. Le traité des Schismes et des Conciles, composé par un catholique, et invoqué depuis par les protestants, fut imprimé à Lyon, au mois de mai 1511, par maître Jean Lemaire, impensis propriis (à ses frais), pendant que l'évêque de Gurck négociait avec le pape, et publié à grand bruit, dès que cette négociation eut échoué, comme le roi l'avait prévu.

Louis XII se flattait si peu d'obtenir la paix, qu'il envoya de l'argent pour lever trois mille Grisons, et pour faire équiper ses galères génoises, six subtiles et quatre bâtardes ; il refusa même, tant il connaissait bien les intentions perfides du pape, d'accorder une suspension d'armes, que l'évêque de Gurck demandait pour ôter à Jules II tout prétexte de mauvais vouloir : le roi, qui comptait sur la supériorité de son armée, répondit qu'il était sûr de la victoire, si ses capitaines livraient bataille, et qu'il se croyait meilleur homme de guerre que les conseillers de l'empereur, qui le suppliaient d'éviter une action décisive ; néanmoins, il se rendit aux instances de l'évêque de Gurck, quoique le pape, affectant la même confiance dans sa force, n'avoit jamais voulu incliner à faire trêve ni abstinence d'armes, et il voulut bien écrire au maréchal de Trivulce de ne point agir pendant huit ou dix jours, pourvu que le pape fit le semblable. Mais Louis XII voyait clair dans la politique de Jules II : il avertit l'évêque de Gurck qu'ils étaient déçus par leurs ennemis, et que, sous la pratique de la paix, continuellement le pape fait de mal en pis.

L'évêque de Gurck avait enfin quitté Modène, pour aller à Bologne, où Jules II se proposait de le recevoir avec le plus grand honneur qu'au monde seroit possible ; mais Mathieu Lang, considérant le péril des deux armées qui étoient si prochaines l'une de l'autre, et lesquelles n'avoient consenti à faire abstinence de guerre, était impatient d'en venir aux conférences, et ne voulait point attendre, un jour de plus, le triomphe que le pape lui avait préparé ; il s'arrêta, un jour entier, aux Chartreux, près de Bologne, et, malgré son désir d'entrer, la nuit, sans grande cérémonie, dans la ville, il ne se hasarda point à déplaire au Saint-Père, en échappant aux honneurs extraordinaires qui lui furent décernés le 10 avril : le duc d'Urbin et le cardinal de Pavie, prélats et gentilshommes, les notables de Bologne et la garde pontificale, vinrent à la rencontre de cet ambassadeur, qui arrivait accompagné d'une suite nombreuse et magnifique ; mais l'évêque de Gurck, remarquant dans le cortège l'ambassadeur de Venise, s'indigna tout haut, que devant sa face osât paraître l'ennemi de l'empereur, et il le fit congédier avec un dédain dont celui-ci se plaignit aigrement au pape. Jules II, entouré de ses cardinaux, accueillit en souriant l'évêque de Gurck, lequel aussitôt déclara, en très brèves et très superbes paroles, que l'empereur son maître l'avait envoyé en Italie pour recouvrer par la paix plutôt que par la guerre tout ce qui appartenait à l'Empire ; mais que cette paix n'aurait pas lieu, à moins que les Vénitiens ne restituassent d'abord ce qu'ils avaient usurpé. Il fit la même déclaration avec la même fierté, lorsqu'il fut seul en présence du pape, qui avait peine à contenir sa colère. Il était si empressé de savoir le résultat de sa mission, qu'il présenta ses lettres de créance, le jour suivant, et conféra directement avec le pape et le cardinal de Pavie. Ce n'était pas sans sujet que Louis XII, éclairé par tout le bien que l'évêque de Paris lui écrivait sans cesse de l'évêque de Gurck, pensait que ce plénipotentiaire ne feroit chose, sinon bonne. Mathieu Lang, dès ses premières entrevues avec Jules II, s'était aperçu que le pape persistait dans son opinion à l'égard de Venise et de Ferrare, et il se promit de rompre les négociations, s'il voyait qu'elles ne se terminassent pas en quelques jours. Jules II voulait bien abandonner les Vénitiens, mais non prêter secours à l'empereur contre eux ; quant à la guerre de Ferrare, il ne consentait point à déposer les armes. Enfin, l'évêque de Gurck fût déjà parti de Bologne, si les ambassadeurs du roi d'Aragon ne l'eussent retenu, en lui faisant espérer que Ferdinand se déclarerait contre le pape, dans le cas où la paix serait encore ajournée par la faute de Jules II ; il pria donc Trivulce de s'avancer moins chaudement contre les pontificaux, jusqu'à ce que l'appointement fût conclu ou rejeté ; mais, dès ce moment, il se défia des ambassadeurs d'Aragon, qu'il soupçonnait de parler d'une façon et d'agir d'une autre ; il fit même part de ses soupçons à l'évêque -de Paris, qui attendait à Parme l'issue de la conférence de Bologne.

Maximilien se conduisit tout droitement, dans cette circonstance, et soit paix ou guerre, il souhaitait que le roi et lui demeurassent bons frères ; mais la gouvernante des Pays-Bas, irritée des infractions au traité de Cambrai que le duc de Gueldre se permettait sans cesse, comme s'il pouvait compter sur l'appui de Louis XII, travailla, de concert avec le roi d'Aragon, à entraîner l'empereur et le roi d'Angleterre dans une ligue secrète contre le roi de France ; elle avait adressé, à Ferdinand, Claude de Cilly, et à Maximilien, Jean de Marnick, fidèles serviteurs, qui devaient établir cette ligue si nécessaire et si avantageuse au bien commun de ces trois princes, unis par les liens du sang et de la parenté ; mais l'empereur résistait aux instances de sa fille, sous prétexte que le roi Catholique projetait de mettre la couronne de Naples sur la tête du bâtard de l'archevêque de Saragosse, son propre fils, et qu'il avait obtenu l'investiture de ce royaume, à cette seule intention, préjudiciable aux droits du prince de Castille'. Marguerite demanda des explications à Ferdinand, sur ce sujet délicat, après avoir démenti elle-même un pareil bruit, et elle redoubla d'efforts pour achever cette triple alliance, à la louange et augmentation de l'individue Trinité, laquelle sembloit représentée par ces trois Majestés royales.

Le duc de Gueldre, quoique le roi lui eût écrit que, de par Dieu ou par le diable, il se veuille abstenir de telles nouvelletés, servait à son insu les intrigues de Marguerite d'Autriche par de nouvelles entreprises contre le pays et les sujets de l'archiduc : non seulement il n'avoit nulle volonté de faire restitution de Harderwick, en soutenant ladite ville être de son patrimoine, mais cent chevaux gueldrois assaillirent, aux environs de Cologne, une compagnie de marchands belges qui allaient à Francfort ; plusieurs furent tués et blessés, les autres menés en forte et étroite prison dans la ville de Gueldre. Les plaintes de Marguerite éclatèrent vivement, à l'occasion de cet outrage au droit des gens ; elle accusa Louis XII d'encourager sous-main Charles d'Egmont, et gourmanda l'empereur de souffrir la honte.de ces affronts. Le roi eut beau faire serment, par le Dieu qu'il avoit reçu le jeudi saint, que en ces choses de Gueldre, il n'y avoit pas dissimulation, et dire, en apprenant l'affaire des marchands belges, que le seigneur de Gueldre étoit une mauvaise et perverse tête, et que le diable l'emportât, Marguerite continua néanmoins à prétendre que le roi assistait Charles d'Egmont dans sa mauvaise querelle, et formula cette accusation en termes peu mesurés. Quelques voix, il est vrai, s'élevèrent dans le Conseil, pour dissuader le roi d'abandonner le duc de Gueldre, dans un moment où l'amitié n'étoit pas si ferme entre le roi et l'empereur ; mais Louis XII manda devant lui l'envoyé gueldrois, qui jura, sur sa tête, que les marchands avaient été détroussés et enlevés, par aucuns gendarmes, qui autrefois avoient servi Madame Marguerite et jamais n'avoient pu être payés de leurs gages. Cependant le roi, mieux informé, dépêcha, le 24 avril, Hesdart, un de ses maîtres d'hôtel, avec une lettre à Charles d'Egmont, dans laquelle sa franchise n'usait d'aucune réticence. Comme de ma part, disait-il, je suis totalement délibéré entretenir, garder et observer le traité de Cambrai, et tout ce que j'ai promis et accordé à l'empereur, je vous prie que veuillez rendre et restituer la ville de Harderwick à la douairière de Savoie, sans y faire dissimulation ni difficulté, et pareillement de mettre à pleine délivrance certains marchands, pris par le bâtard de Gueldre sur le chemin de Cologne ; autrement, je vous avertis, mon cousin, qu'il ne faut que vous ayez espérance sur moi, ni en avoir aide, faveur ni secours ; car je ne le ferai pour rien ; mais vous en laisserai faire ainsi que vous verrez pour le mieux. Des lettres de Marguerite et de l'empereur arrivèrent, pleines de termes piquans envers le roi, et le chancelier eut, à cet égard, avec André de Burgo, une explication aigre et courrouceuse. Un messager apporta, sur ces entrefaites, la justification du duc de Gueldre, et André de Burgo invita le roi à ne pas croire les menteries d'un fausseur de sa foi. Louis XII, à qui l'on rapporta que Marguerite n'avoit le courage comme elle étoit accoutumée, et que l'empereur traitoit appointement avec les ennemis du roi, sans Sa Majesté, écrivit seulement à la gouvernante, que les lettres du Conseil archiducal à André Burgo contenaient des mots, dont on se fût bien pu passer, et répéta tout haut, vis-à-vis des ambassadeurs allemands, qu'il voulait que, en toutes manières, la ville de Harderivick fût rendue, et autres nouvelletés réparées ; autrement, qu'il abandonneroit le duc de Gueldre, et qu'il n'y savoit plus que faire.

Tandis que l'évêque de Gurck, revenu à Bologne, se donnait grand-peine à dresser les choses pour mettre le pape hors de l'obstinée et diabolique pertinacité où il est, Jules II tomba malade, ou feignit de l'être, et chargea les cardinaux de Pavie, de Médicis, de Saint-Georges et de Reggio, de le suppléer dans les négociations entamées ; mais l'évêque de Gurck leur envoya trois de ses gentilshommes, afin de leur faire comprendre qu'il n'était pas venu à Bologne pour traiter par intermédiaires. Jules avala cette indignité tout doucement avec plusieurs autres, la haine incroyable qu'il portoit aux François surmontant sa nature. Louis XII, instruit de la sagesse, vertu et sincérité avec lesquelles se gouvernoit l'évêque de Gurck, ne tarissait pas d'éloges sur le compte de ce négociateur : Il va droit comme une chandelle ! disait-il joyeusement. En effet, Mathieu Lang était resté insensible aux séductions du pape, qui lui offrit la cardinalité, jusques à vouloir lui envoyer le chapeau, l'habit et la mule ; qui essaya de le gagner, par tous les moyens du inonde, bénéfices, dignités, argent comptant, et grosses revenues en temporel, et qui lui proposa même le patriarcat d'Aquilée, au nom des Vénitiens. L'évêque de Gurck ne demandait, ne voulait que la paix générale, et, pour la hâter, il arracha au pape la permission de faire venir à Bologne Etienne Poncher, non point comme ambassadeur du roi, mais comme évêque de Paris. Malgré l'opiniâtreté de Jules II, qui prétendait avoir Ferrare, les choses de la paix paraissaient en bons termes et à bon espoir de conclusion. Après de longs et épineux débats, l'appointement de l'empereur avec Venise se tenoit pour conclu : les Vénitiens devaient garder Padoue et Trévise, mais restituer à Maximilien Vérone, Vicence et. tout le Frioul, avec- un don de 3oo.000 ducats, et une redevance annuelle de 5o.000. Mais l'affaire de Ferrare n'était pas si avancée, lorsque, le 25 avril, l'évêque de Gurck, fatigué de ces lenteurs habilement prolongées, se présenta devant le Saint-Père, pour entendre ses conditions. Jules II l'interrompit, en l'invitant à ne plus s'occuper des intérêts du roi de France et du duc de Ferrare, mais à presser l'empereur de s'armer contre les Français : emporté par sa violence ordinaire, il jura qu'il perdrait la tiare et la vie plutôt que de pardonner à ses ennemis. L'évêque de Gurck, qui s'était toujours vertueusement porté dans cette négociation, reconnut les tromperies qu'on avait employées pour désunir son maître et le roi de France ; il adressa donc des reproches au pape, et lui déclara que tout était rompu. Il partit, le jour même, après avoir sommé les ambassadeurs d'Espagne de rappeler les trois cents lances que le roi Catholique entretenait au service du pape. Cette rupture causa d'autant plus d'étonnement, qu'en Italie, comme en France, on regardait la paix comme faite ; on ne sut pourquoi le pape et les Vénitiens étaient demeurés si opiniâtres, sinon par folie, et l'on soupçonna le roi d'Aragon d'être d'accord secrètement avec Jules II.

Ferdinand désirait pourtant que la paix se fit, et afin d'amener le pape à y consentir, il l'avait menacé de lui retirer toute espèce d'appui, dans le cas où les négociations de Bologne seraient sans résultat. Mais ce n'était point par attachement au roi et à l'empereur, que Ferdinand se montrait si bien intentionné pour eux : il voulait seulement empêcher à tout prix ces deux alliés de passer en Italie ; car il craignait qu'après la ruine des Vénitiens, le roi n'inspirât de nouveau à Maximilien la fantaisie d'aller à Rome se faire couronner, et n'y allât aussi avec son armée, sous prétexte d'accompagner l'empereur, mais réellement pour s'emparer du royaume de Naples. Le roi d'Aragon sentit redoubler ses craintes, à la nouvelle du départ de l'évêque de Gurck ; il ordonna aussitôt à Fabrice Colonna de quitter, avec ses trois cents lances, le service du pape ; car il avait appris, de ce capitaine, que dans le camp des troupes papales régnoit très peu d'ordre, et qu'on devait s'attendre à une déroute, si une bataille avait lieu ; en même temps, il ajourna son expédition contre les Maures d'Afrique, et réunit autour de Naples ce qu'il avait de troupes dans les Deux-Siciles.

A peine l'évêque de Gurck était-il arrivé de Modène, à Reggio, avec l'évêque de Paris, qu'il fut rejoint par l'ambassadeur d'Écosse, que le pape lui dépêchait avec des propositions plus conciliantes ; néanmoins, Mathieu Lang, jugeant que la paix était sans grand fondement, prit congé d'Etienne Poncher, pour retourner, à petites journées, en Allemagne, après avoir pourvu, de la part de l'empereur, à tout ce qu'il faut pour le concile général, et touché les 10.000 écus d'or, que Louis XII prêtait encore à Maximilien. Dès que l'évêque de Gurck fut éloigné, l'évêque de Murray engagea l'évêque de Paris à se rendre à Bologne, pour y traiter seul de la paix de Ferrare ; et pendant que l'ambassadeur écossais répondait de la bonne volonté du pape, celui-ci envoyait à Gênes l'évêque de Vintimille pour faire trouble et divertir (détourner) les François de Ferrare. Mais Étienne Poncher, qui fondait peu d'espérance sur ces ouvertures de paix et sur le changement des résolutions du pape, continua sa route vers Milan. Il fut arrêté à Plaisance par un message de l'ambassadeur d'Écosse et par une lettre des cardinaux de Pavie et de Nantes. Ce dernier, nommé Robert Guibé, Breton de naissance et de cœur, agissait probablement d'après les ordres d'Anne de Bretagne. Les deux cardinaux exhortèrent bien fort Étienne Poncher à retourner à Bologne ; l'évêque de Murray juroit sa foi, que Jules II avait annoncé qu'il souhaitait avoir une bonne paix avec Louis XII, et qu'il ferait honneur et bonne chère à l'évêque de Paris, qui pouvait venir en toute sûreté débattre les articles offerts au roi Très-Chrétien. Suivant ces articles, le roi retirerait son appui au duc de Ferrare, attendu que, par les traités de Cambrai et de Biagrasso, Sa Majesté s'était obligée à ne prendre sous sa protection aucun vassal du Saint-Siège, et alors Sa Sainteté consentirait à faire la paix avec le roi ; le pape pardonnerait au duc de Ferrare, pourvu que le roi forçât ce duc à rembourser les frais de la guerre ; le duc abandonnerait au pape les villes conquises et lui payerait le cens accoutumé, et lui restituerait Comacchio ; moyennant ces conditions, un légat apostolique, au nom du pape, recevrait en grâce Alphonse d'Este :et l'investirait de nouveau du duché de Ferrare. Si ces propositions ne convenaient pas au roi, il n'avait qu'à en rédiger d'autres que le pape accepterait sans doute, tant Sa Sainteté était bien disposée à l'égard du roi Très-Chrétien. Bien plus, le pape avait dit que le Ciel, indulgent à ses prières, ne manquerait pas de récompenser le roi, s'il montrait un bon courage en faveur de l'Église romaine, et lui accorderait certainement un enfant mâle. En outre, le roi ne s'opposerait pas à la prédication de la Croisade dans son royaume pour seconder les princes chrétiens, et surtout le roi d'Écosse, qui voulaient s'armer contre les vils Turcs ; enfin, le roi souffrirait que le pape poursuivît en justice les exécuteurs testamentaires du feu cardinal d'Amboise, pour recouvrer les annates et les autres compositions (achats de pardons), que ce prélat avait extorqués d'une manière illicite pendant sa vie. L'évêque de Paris se trouvait dans une étrange perplexité, parce qu'il n'osait revenir à Bologne, sans l'assentiment du roi et de l'évêque de Gurck ; il ne savait comment ce dernier prendroit, que la paix se fît par une autre main que la sienne, et, quoique le temps pressât, il résolut d'attendre la réponse de Louis XII. Le roi lui écrivit, le 6 mai, de se concerter avec l'évêque de Gurck, pour aller devers le pape ensemblement ou séparément, s'ils avaient apparence certaine de faire bonne et honnête paix, car il étoit bien sûr que, quand même ledit sieur de Gurck iroit tout seul, il y feroit autant pour le roi de France que pour l'empereur son maître ; cependant, Louis XII croyait que les offres du pape n'étaient que paroles pour dissimuler et amuser ses ennemis. Il écrivit aussi à l'évêque de Murray, pour le remercier de la peine qu'il prenait à procurer une bonne paix à la Chrétienté, afin de convertir (tourner) les armées contre les infidèles, et pour lui déclarer que, le Saint-Père ayant refusé, non seulement d'entendre à la paix, mais même de recevoir l'évêque de Paris en qualité d'ambassadeur de France, cet ambassadeur ne rapporteroit que paroles, s'il allait désormais à Bologne ; or, un appointement étant impossible, le roi se voyait donc contraint, à son très grand regret, de faire le mieux qu'il pourroit.

Louis XII, en effet, était bien décidé à passer les monts, aussitôt que les convois d'hommes, de vivres, de munitions, qu'il faisait partir sous ses yeux, seraient parvenus à leur destination, avec les trois mille Grisons et les quatre mille lansquenets, qui devaient renforcer la garnison de Vérone et l'armée française. Les gentilhommes du roi et les archers de sa garde étaient déjà en marche, le duc de Longueville à leur tête, pour représenter la personne royale. La rupture des pourparlers de Bologne avait autorisé le Concile de Lyon à ne plus ménager Jules II et à décréter contre lui la convocation d'un Concile universel, avec défenses expresses à tous les sujets du roi d'aller à Rome et d'y porter or ou argent. En même temps, les cardinaux assemblés à Milan, avec les procureurs de l'empereur et du roi, prirent une conclusion semblable ; le cardinal de Bayeux écrivit au cardinal de Luxembourg, qui avait présidé l'Assemblée de Lyon, pour le prier, suivant le bon plaisir du roi, de passer une procuration, au moyen de laquelle on intimeroit le Concile au pape. Le maréchal de Trivulce était resté près d'un mois, en présence de l'armée papale et vénitienne campée à San-Felice, sur le bord du Panaro : des escarmouches journalières avaient eu pour théâtre le pays entre les deux camps, et les Français prirent plusieurs drapeaux ennemis. Le duc de Ferrare avait braqué son artillerie et son Grand Diable, de l'autre côté de la rivière, à Spedalletto ; mais cette batterie, qui foudroyait nuit et jour le camp des Pontificaux et des Vénitiens, ne les força pas à déloger de leur inattaquable position entourée d'eau et de fossés. Ce fut seulement à la prochaine arrivée de la garde du roi que le duc d'Urbin résolut enfin de se revirer sur Bologne. L'armée française, qui avait reçu un renfort de sept mille Espagnols, était fort délibérée et ne manquait de rien dans son campement fortifié, qui tirait ses vivres de Ferrare : soldats et capitaines allaient, de trois en trois jours, eux rafraîchir et reposer dans cette ville, où Alphonse d'Este et la duchesse sa femme faisaient à leurs hôtes banquets et festins à la mode d'Italie, tant beaux que merveilles. Alphonse avait gagné l'affection de tous les seigneurs français, et la belle Lucrèce, douce et courtoise à toutes gens, ne rappelait à personne qu'elle était fille d'Alexandre VI, sœur de César Borgia, et complice ou victime de ces deux illustres scélérats ; elle passait pour fort bonne Françoise, et sa bonne grâce valut de grands services à son mari.

A la rupture des conférences de Bologne, Trivulce leva son camp et s'approcha de Concordia, que les bombardes battirent en brèche, si très rude, que la garnison, après quelques heures de canonnade, parlementa ; mais, pendant la capitulation, les aventuriers donnèrent l'assaut, sans brèche, franchirent un fossé profond de vingt pieds, escaladèrent une muraille haute de deux piques, et mirent la ville à sac. Trivulce n'assiégea point La Mirandole, de peur que ses envieux l'accusassent de regarder plus à son profit qu'à celui du roi, et revint au bord du Panaro, qu'il voulait passer pour assiéger Bologne. L'armée des Vénitiens et du pape avait transporté son camp sur la rive opposée, pour empêcher le passage des Français. Les deux armées s'observaient l'une l'autre, en longeant les deux rives du fleuve. Pendant cette marche que les Pontificaux inquiétaient à coups de canon, Gaston de Foix, à la tête de cinq cents gens d'armes et de trois cents piétons, surprit dans un village trois cents chevau-légers vénitiens commandés par Jean-Paul Manfroni, un des meilleurs capitaines de Venise, et fit prisonnier ce chef, dont la troupe s'enfuit sans combattre. Un autre capitaine renommé, Peralto, Espagnol au service du pape, eut la tête emportée par un boulet, car les deux armées, séparées par le Panaro, se canonnaient sans cesse, en marchant. Trivulce essaya plusieurs fois de jeter un pont ; mais les ennemis étaient partout maîtres du fleuve. Enfin, le duc d'Urbin s'arrêta et se fortifia devant Castel-Franco, et Trivulce, qui tirait du Modenais ses provisions de bouche, s'avança vers Modène, et trouva un gué, à deux milles de cette ville ; alors il poursuivit, pas à pas, de fort en fort, les troupes papales et vénitiennes, qui dissimuloient le combat, à la vive impatience des Français. Il voulait ôter les vivres à l'armée du pape et la repousser sur Bologne, qui peut-être ne la recevrait pas. Il s'empara de Spitamberto, de Castel-Franco, et d'autres forteresses, les Vénitiens et les Pontificaux reculant toujours devant lui, malgré la défense naturelle des marais et des ruisseaux qui entrecoupent le pays. Trivulce n'avait plus qu'à suivre la voie Flaminia, pour arriver à Bologne ; mais un siège en forme était impossible, et les intelligences des Bentivoglio, qui accompagnaient le lieutenant du roi, furent seules employées pour rouvrir les portes de cette ville que le pape leur avait enlevée naguère avec le concours de Louis XII. Trivulce, que les pluies avaient retardé en chemin, s'avança donc vers la Romagne, en tournant la ville, pour effrayer les partisans du pape et encourager ceux des Bentivoglio.

Dès que Jules eut appris le mouvement des deux armées, il sortit de Bologne, pour se mettre à la tête de ses soldats, et les exciter, par sa présence, à combattre les Français, qu'on estimait les plus terribles gens du monde. Mais, à peine fut-il à quelques lieues de la ville, qu'il s'empressa d'y retourner, au bruit de l'approche de Trivulce, et fit assembler les magistrats, afin de raffermir leur fidélité par des promesses et des flatteries. Il leur rappela ses bienfaits, leur affranchissement et leur prospérité sous le gouvernement apostolique ; il les invitait à défendre leur liberté contre les tyrans, et à compter sur les secours du Saint-Siège, qui veillait au salut de la cité. Le président du Conseil des Quarante répondit par des protestations de dévouement, et jura que ses concitoyens verseraient tout leur sang plutôt que de changer de maître et d'être ingrats envers leur libérateur. Le pape, cependant, partit tout désespéré, en laissant à Bologne le cardinal de Pavie, qui n'avait que deux cents chevau-légers et mille piétons pour garder la ville. Il prit le plus long chemin pour se rendre à Ravenne, où il ne se crut pas encore en sûreté, car Trivulce semblait près d'entrer dans la Romagne, et le duc d'Urbin, campé aux portes de Bologne, ne savait plus de quel côté faire retraite. Le cardinal de Pavie avait eu l'imprudence de confier le commandement de la milice urbaine aux amis des Bentivoglio, et il ne put introduire dans la ville Ramazotto, capitaine vénitien, qui lui amenait du renfort. Les assemblées secrètes, les rumeurs populaires et les cris séditieux épouvantèrent le cardinal de Pavie, qui, connaissant la haine des Bolonais contre lui, se retira, déguisé, dans la citadelle, le soir du 21 mai, et n'y resta que quelques heures, après lesquelles il s'enfuit avec cent chevaux, et Guido Vaina, son beau-frère, chef de la garnison. La fuite du gouverneur de Bologne fut le signal de l'insurrection, qui éclata au cri de Popolo ! Laurent Ariosti, François Rinuce, et les autres capitaines, vendus aux Bentivoglio, ouvrirent à coups de haches deux portes voisines du camp de Trivulce, et envoyèrent avertir les Bentivoglio, que la ville était à eux. Trivulce avait donné la conduite de son avant-garde à son fils Théodore ; lui-même s'était réservé la bataille à diriger ; Gaston de Foix avait l'arrière-garde sous ses ordres : la nuit même, deux mille lansquenets venaient d'arriver au camp. Trivulce, sur le message des conjurés de Bologne, fit partir aussitôt les Bentivoglio, avec son fils et l'avant-garde des Français, qui occupèrent la ville, avant le jour.

Le duc d'Urbin, qui n'avait pas été reçu dans Bologne, car la coutume de ce pays est telle, que quand ils voyent gens reculer, ils leur courent plutôt sus, qu'ils ne les aident, fut réveillé dans son camp, à quatre heures du matin, par les fuyards de la garnison, et il apprit le départ du cardinal de Pavie en même temps que le soulèvement de la ville. Sa terreur se communiquant des capitaines aux soldats, tous prirent conclusion de se sauver comme ils pourroient, et s'en allèrent à vaudéroute, écartés comme perdriaux : ils abandonnaient leurs tentes, leurs armes, leurs bagages, pour courir plus vite. Le duc d'Urbin essaya seulement de sauver sa cavalerie et son artillerie ; mais la défection s'était déjà répandue partout. Les paysans accouraient de leurs villages, pour donner la chasse aux soldats du pape ; les habitants de Bologne se précipitaient hors de leurs murs, pour prendre part au butin. Les Pontificaux, effrayés, se dispersaient, avec des clameurs de désolation, en trois troupeaux, l'un vers Imola, l'autre vers Ravenne, le troisième vers Florence, et, assaillis de tous côtés le long des fossés de la ville, ils ne cherchaient pas même à se défendre, et la plupart s'enfonçaient dans les montagnes. La déroute était complète, lorsque Trivulce, qui avait délogé au point du jour, se présenta devant Bologne avec l'armée. Les Français disputèrent aux paysans et aux gens de la ville leurs prisonniers et leur gros gain, tandis que les premiers coureurs, par l'ordre du camp, Fontrailles, Bayard, Sainte-Colombe, Conti, et, après eux, le duc de Nemours, poursuivant l'ennemi à travers les monts et les bois, achevaient très vertueusement cette déconfiture. Les Vénitiens, dont le quartier était séparé du camp pontifical, n'apprirent les événements de la nuit, qu'en se voyant attaqués par l'avant-garde française ; ils perdirent beaucoup de monde et toute leur artillerie, mais du moins ils parvinrent à gagner la Romagne. Le chemin d'Imola, jusqu'à Castel-San-Pietro, était couvert d'armes, de malles et de dépouilles jetées çà et là. Les Bolonais avaient pris quinze cents chevaux, et les Français sept cents ; les tentes, les bagages, les munitions, quarante pièces d'artillerie, dont six grosses, étaient tombés au pouvoir des vainqueurs, qui trouvèrent tant de mulets abandonnés, que cette défaite fut nommée par les Français la journée des Altiers. Trois mille Vénitiens et Pontificaux furent tués, dans la poursuite, qui dura un jour et demi. Tous les piétons avaient été dévalisés et dispersés ; leurs gens d'armes seuls avaient éprouvé peu de perte, grâce à la vitesse de leurs chevaux, quoique plusieurs de leurs capitaines demeurassent prisonniers. La victoire avait coûté à peine quelques hommes à l'armée française. Sire ! écrivit Trivulce, le jour même de cette affaire si brillante et si peu meurtrière, qui voudrait envoyer les enseignes et bannières qui ont été prises, il y en a pour charger un mulet, entre les autres celle du pape, belle, pompeuse, qui a ses armes et si superbe : c'est celle de sa personne. Sire, dorénavant, je ne porterai qu'un éperon de bois et coucherai en lit, et vous dirai ce que je vous dis : La conquête de Milan est faite. Trivulce regardait la guerre comme finie, et les autres seigneurs français pensèrent, aussi, que le pape, ayant perdu Bologne, au lieu de prendre Ferrare, et voyant son armée rompue, ne demanderoit qu'appointement, et ne l'auroit tel qu'il l'eût eu un mois auparavant. Les honneurs de la journée appartenaient, cette fois encore, à Bayard, de l'avis de Trivulce, qui déclara publiquement, le soir, à souper, qu'après Dieu, la victoire était due au bon Chevalier sans peur et sans reproche.

Le lieutenant du roi porta son camp, à cinq milles de Bologne, sur le chemin d'Imola ; sans doute pour mettre la ville à l'abri d'une insulte des gens de pied. Bologne avait revu avec joie ses anciens seigneurs, les Bentivoglio. On criait, par toutes les rues, France ! et Seghe ! — cri des Bentivoglio, qui portaient, trois scies, seghe, dans leurs armes — ; les Bolonais brûlèrent le pape en effigie, et renversèrent eux-mêmes sa statue, chef-d'œuvre de Michel-Ange, en s'attelant à des cordes pour arracher la tête de ce colosse de bronze, qui dominait la cité. Un des Bentivoglio assistait, avec Trivulce et le duc de Nemours, aux représailles exercées sur ce monument d'art, et regardant la statue couchée par terre, il s'écria qu'il feroit faire un pet au pape ! devant la citadelle de Bologne. En effet, le bronze travaillé par Michel-Ange fut fondu en canon, et tira, six jours après, contre le château. Tous les gens de guerre trouvés dans la ville avaient été massacrés ; presque tous les prélats, protonotaires, et officiers de la suite du cardinal de Pavie, étaient restés comme otages entre les mains des Bentivoglio ; quelques maisons furent pillées par la populace. Le château, mal approvisionné et battu par l'artillerie pendant neuf jours, se rendit au roi, malgré les intrigues de l'ambassadeur allemand Withfurst pour le faire rendre à l'empereur, et fut détruit de fond en comble, par les Bolonais, à l'instigation des Bentivoglio, qui craignaient de livrer cette forteresse aux Français : ceux-ci eurent pour dédommagement les richesses et les biens dont elle était pleine. Les Bentivoglio, réintégrés dans leur principauté, sous la protection du roi de France, Trivulce attendit de nouveaux ordres, sur les frontières de la Romagne, pendant que le duc de Ferrare recouvrait sans peine Cento, Lugo, et les villes que le pape lui avait enlevées. Trivulce, à qui le cardinal de Nantes vint offrir la paix, au nom du Saint-Père, demanda quelles en seraient les bases, mais refusa pourtant les clefs d'Imola que lui envoyait Jean Sassatello, capitaine de cette ville papale, en disant que la Majesté du roi ne vouloit rien du bien de l'Église.

Jules II était partagé entre la peur, l'opiniâtreté, la haine et le dédain ; il frémissait à l'idée d'accepter une paix honteuse, et cependant il n'avait pas d'alternative, puisque son armée n'existait plus. Le cardinal de Pavie, qu'on accusait de lâcheté et de trahison, venait d'arriver à Ravenne ; sa fuite de Bologne lui fut mauvaise ; le duc d'Urbin ne tarda guère à le rejoindre. Ce duc, qui avait toujours eu de l'inimitié et de l'envie contre le cardinal, alla le trouver, à son logis, avec six gentilshommes : là, il l'appela poltron, et lui dit qu'il avoit été cause de tout le déshonneur de la défaite du pape, parce qu'il avoit déconseillé de faire appointement au roi. A ces mots, il lui enfonça un poignard dans la poitrine, et le tua roide ; les gentilshommes qui accompagnaient le duc d'Urbin frappèrent à la fois sur la victime. Le Saint-Père eut horreur de ce meurtre commis par son propre neveu sur la personne d'un cardinal ; il n'osa néanmoins punir le coupable, quoiqu'il eût prononcé cette sentence, à la nouvelle du crime, el suo danno ! Il s'empressa de quitter Ravenne, où fumait encore le sang du malheureux cardinal de Pavie ; mais, à peine se reposait-il à Rimini, qu'il y trouva un aliment à sa rage, dans la convocation du Concile général à Pise, le Ier septembre, où il était cité à comparaître en personne. Cette citation avait été attachée à la porte de toutes les cathédrales des villes de Lombardie. Jules II revint à Rome, humilié et furieux.

Louis XII, avant de se rendre à son armée, désirait dire adieu à sa femme, restée à Blois, ainsi qu'en exil : peut-être n'avait-elle pas pris tant à cœur les intérêts de la Cour de Rome, sans altérer le bon accord qui régnait entre le roi et la reine, comme entre l'époux et l'épouse. Il lui écrivit donc que si elle veut venir, elle vienne, ou sinon, qu'elle demeure. Anne de Bretagne arriva, le i8 mai, à Lyon, où Louis XII n'était déjà plus ; elle le joignit, le lendemain, à la côte Saint-André, et partit avec lui pour Grenoble ; mais elle avait recommencé à lutter contre la volonté royale, et à créer des entraves au départ de son mari. Pendant que le cardinal de Nantes se faisait l'agent du pape en Italie, Anne de Bretagne conférait secrètement avec les ambassadeurs, surtout avec celui d'Aragon, qui l'aidait à retenir le roi dans le piège des négociations : car Louis XII avait voulu qu'on portât à la reine le même respect qu'à lui, et chaque ambassadeur étranger ne manquait jamais, après avoir présenté ses lettres de créances au roi, de venir faire la révérence à la reine, qui avait en elle une grande suffisance pour entretenir et contenter tels grands personnages, par sa majesté, sa bonne grâce, et sa belle éloquence. Anne prenoit très grand plaisir à ces audiences, où souvent elle glissait, parmi son parler françois, quelque mot emprunté à la langue de l'orateur qu'elle recevait. C'était son chevalier d'honneur, le sire de Grignaux, fort galant homme, qui avoit bien vu son monde et pratiqué les langues étrangères, auprès de qui elle recueillait les phrases italiennes, allemandes, espagnoles, anglaises et même danoises, qu'elle prononçait devant les envoyés de ces diverses nations, pour rendre plus grande admiration de soi. Le sire de Grignaux, qui était d'une humeur joviale, fort appropriée à celle du roi, trahit un jour la confiance de sa souveraine, et encourut une disgrâce éclatante, dans le temps des fréquentes entrevues de la reine avec l'ambassadeur d'Aragon. Anne de Bretagne ayant demandé à son chevalier d'honneur la traduction en castillan des paroles qu'elle se proposait d'adresser à l'ambassadeur, le sire de Grignaux lui dit, en riant, quelque petite salauderie qu'elle apprit aussitôt ; puis, il en alla faire le conte au roi qui le trouva bon et se divertit beaucoup, songeant à la scène plaisante qu'amènerait ce quiproquo. Cependant Louis XII ne poussa pas la chose plus loin, et avertit sa femme du tour qu'on lui avait joué, en l'invitant à ne pas se servir des mots espagnols, qui avaient un sens inconvenant. Anne de Bretagne fut en si grande colère, quelque risée qu'en fit le roi, qu'elle cuida chasser M. de Grignaux, et lui en fit la mine, sans le voir pour quelques jours ; mais enfin les prières de son mari l'apaisèrent, et elle pardonna au chevalier d'avoir imaginé cette folie pour donner à rire au roi. L'orateur du roi Catholique, il est vrai, n'avait pas entendu ces mots étranges dans la bouche d'une reine si chaste et si vertueuse.

Anne de Bretagne, abhorrant le schisme et la division des Églises gallicane et romaine, redoubla d'efforts pour remettre le roi avec le pape, lorsque le concile de Pise fut décrété : elle gémissait des persécutions qu'avait à souffrir le chef de la Chrétienté, et Louis XII répondait à ses pieuses doléances par quelqu'une de ces boutades vives et spirituelles qui renfermaient un sens profond sous une forme gaie et satirique. Le Saint-Père le pape tend aux honneurs royaux, disait-il gravement : Saint Pierre n'eut pas tant de loisir, qu'il pût prendre soin des affaires de Claude César ou Domitien Néron, lesquelles, de vrai, ne lui appartenaient en rien. Louis XII, qui résistait avec fermeté aux scrupules religieux de la reine, cédait par degré à l'empire de sa chère Bretonne. Il déclara d'abord publiquement qu'il passerait les monts, comme il l'avait promis ; mais que, si Maximilien ne venait pas en personne à la tête d'une armée, il se croirait dégagé de sa promesse, et retournerait sur-le-champ dans son royaume ; il changea bientôt de langage, dès qu'il sut la grande victoire de Bologne, laquelle n'était pas estimée moindre que celle d'Agnadel : il se montra humble dans ce nouveau triomphe, qui ne fut célébré par aucune réjouissance publique, et parut tout enclin à la paix, pourvu que le pape fît content l'empereur, et se conformât aux articles du traité de Cambrai. Dès lors on put voir qu'il ne passerait point les monts pour cette année, quoiqu'il feignît d'attendre à Grenoble la résolution de Maximilien, et d'être encore prêt à le rejoindre en Toscane. Anne de Bretagne visitait les reliques et les lieux saints, allait en pèlerinage à Chambéry adorer le Saint-Suaire, et remerciait le ciel d'une intervention miraculeuse : elle était devenue grosse depuis que le pape avait offert au roi un enfant mâle en échange d'un traité de paix.

Jules II cependant n'avait pas eu un moment le projet de se réconcilier avec Louis XII. Tandis que l'ambassadeur d'Écosse et le cardinal de Nantes essayaient de renouer avec l'évêque de Pavie les négociations rompues par l'évêque de Gurck, une ligue offensive et défensive se préparait entre le pape, le roi Catholique et le roi d'Angleterre. Ce dernier avait été pressé, par lettres et par ambassadeurs, de faire partie de cette ligue, et ne semblait pas éloigné de se rendre aux desseins du pape et du roi d'Aragon ; car l'agent de Ferdinand avait dit, dans le Conseil de Henri VIII, que si l'on ne se hâtait de s'opposer aux desseins de Louis XII, ce prince se feroit seigneur du tout, quoiqu'il donnât de bonnes paroles à chacun, pour mieux parvenir à ses fins. L'ambassadeur du pape à Londres, qui était un marchand banqueroutier de Lucques, nommé Buonviso, fut gagné par les présents et les promesses de Louis XII, et lui dévoila cette intrigue, en s'engageant à la déjouer, de concert avec d'Arizzoles, ambassadeur de France en Angleterre ; il devait prétexter l'absence de pouvoirs nécessaires pour conclure la ligue, et par ce moyen retarder de six mois la signature du traité, qu'on pourrait encore ajourner par l'enlèvement du courrier porteur de la commission définitive du pape. L'agent italien conseillait pourtant au roi de France de profiter de ces délais et de son alliance avec l'empereur, pour s'ôter de devant les yeux l'aiguillon des Vénitiens, et les empêcher de nuire. La gouvernante des Pays-Bas, de son côté, ne cessait d'adresser de secrets messages au roi d'Angleterre, pour se plaindre de la dissimulation de Louis XII et des entreprises du duc de Gueldre, qui ne désarmait pas. Henri VIII craignit, s'il refusait des secours à son futur beau-frère l'archiduc, de compromettre le mariage de sa sœur Marie ; il annonça donc à Marguerite qu'il enverrait quinze cents Anglais contre le duc Charles d'Egmont.

Le différend que la prise de Harderwick avait fait naître, continuait à s'aigrir. Charles d'Egmont avait répondu, le 23 mai, à une lettre du roi, qu'il ne rendrait pas Harderwick, comme il avait fait de Wesop et Muyden, au grand dommage et destruction de ses sujets ; car, pour chose qui lui pût advenir, il ne lui étoit possible de donner le sien, vu qu'il étoit trop pauvre, et lui seroit plus de besoin de ravoir le demeurant, que d'en ôter de ses mains. En conséquence, il priait le roi de ne pas prendre mal en gré ce refus, et protestait n'avoir jamais mérité d'être abandonné par son allié, puisqu'il avait toujours respecté la paix de Cambrai. Marguerite ne se contentait pas des démarches réitérées de Louis XII pour obtenir restitution de Harderwick ; elle écrivait à son agent, André de Burgo, des lettres pleines de choses piquantes, en recommandant de les montrer au roi, mais l'ambassadeur ne se conformait qu'à demi aux ordres de la gouvernante, puisqu'il supprimait dans ces missives ce qui eût offensé le roi. Celui-ci, plus chagrin que courroucé, répétait sans cesse que le grand diable puisse emporter le duc de Gueldre, et que ceux qui l'accusaient de faire passer de l'argent au duc avaient menti ; il consentait à perdre son duché de Milan, si l'on prouvait qu'il eût donné aide de gens ou d'argent à cet insensé, et il invitait Marguerite à faire tout son possible, par force d'armes, pour reprendre les domaines du prince d'Espagne, sans toutefois rompre l'emprise de l'empereur en Italie. Mais le peu de troupes que la gouvernante des Pays-Bas avait autour d'Anvers et de Bois-le-Duc mangeoient le bonhomme, faute de payement, et ravageaient le pays, au lieu de le défendre. Le duc de Gueldre, profitant de la faiblesse de l'ennemi, s'empara de la ville de Bommel, par intelligence, et se mit en devoir de recouvrer ainsi, pour son pourchas, toutes les villes dont il revendiquait la possession.

Les embarras étaient encore plus graves du côté de l'Italie. Jules II avait cru, un moment, que l'armée française irait l'assiéger dans Rome, et ses cardinaux, au milieu de l'effroi général, étaient d'avis qu'il s'embarquât à Ostie, pour se retirer à Venise ; mais Trivulce n'avait pas osé entrer dans la Romagne, après avoir reçu une lettre du pape qui l'invitait à non faire contre les choses de l'Église. Non seulement le roi avait ordonné à son lieutenant de ne point passer outre, mais encore il lui enjoignit de ramener son armée dans la Lombardie, en évacuant le territoire de Bologne. Cette espèce de trêve dissipa la terreur de Jules II, qui avait envoyé en France l'ambassadeur d'Ecosse avec un bref bien bon pour faire la paix, et qui ne pensa plus qu'à faire une guerre implacable. L'évêque de Murray, arrivé à Grenoble, dans les derniers jours de mai, annonça que le pape consentait à se séparer des Vénitiens, sans, toutefois, s'allier contre eux avec l'empereur, et promettait de pardonner au duc de Ferrare, pourvu que le duc payât le cens annuel, qu'il devait à l'Église, avant la diminution qu'Alexandre VI lui avait accordée en faveur de son mariage avec Lucrèce Borgia. Le pape exigeait, en outre, que le duc lui rendît Lugo, Cento, et autres villes appartenant à l'État ecclésiastique, et se soumît à la juridiction d'un bis-domino dans Ferrare. Quelque impérieuses que fussent ces conditions, Louis XII les eût acceptées, par amour de la paix ; il désira savoir seulement si l'empereur voudrait condescendre à cet arrangement. Il écrivit donc à Maximilien, l'engageant à se relâcher de ses prétentions, et l'évêque de Murray repartit pour Rome.

Pendant le peu de jours qui venaient de s'écouler, Trivulce avait évacué le territoire de Bologne, et les Bentivoglio, signifiant au pape qu'ils ne voulaient pas être rebelles à leur suzerain, avaient rétabli, dans le Palais, en qualité de légat apostolique, l'évêque de Chiusi, leur prisonnier, bien que Jules II eût déjà nommé, pour succéder au cardinal de Pavie, le cardinal de Reggio, Espagnol et protecteur d'Espagne. Trivulce, selon les ordres du roi, avait envoyé à Vérone cinq cents lances, avec treize cents lansquenets commandés par Jacob d'Empser, à l'effet de se réunir aux troupes impériales, et de continuer la guerre contre les Vénitiens : le roi aurait dû fournir à son allié douze cents lances et huit mille piétons ; mais celui-ci était tenu de mettre sur pied quatre mille chevaux et dix mille hommes d'infanterie, à défaut desquels il accompagnerait en personne ses soldats, afin que son autorité et vertu suppléât à la faute du nombre. Quand l'armée française s'approcha de La Mirandole, l'ambassadeur allemand Withfurst, qui avait tenté déjà de s'emparer de la citadelle de Bologne au nom de l'empereur, renouvela les mêmes intrigues dans La Mirandole, où il était entré avec deux cents lansquenets, mit hors l'étendard impérial, et manda au duc de Longueville, lieutenant du roi, qu'il ne touchât à cette ville de l'Empire ; mais le duc de Longueville était retourné malade à Milan, et Trivulce, sachant que le roi avait été terriblement troublé des pratiques de Withfurst, força cet ambassadeur à sortir, avec ses Allemands, de La Mirandole, qui fut restituée à la veuve de Ludovic Pic et à ses enfants, seigneurs de cette ville. Trivulce, n'ayant autre expédition à faire, distribua ses gens d'armes dans les garnisons, en attendant que l'armée de l'empereur fût prête à se joindre à eux, licencia les gens de pied, excepté les Gascons des capitaines Molart et Maugiron, et se retira dans son palais de Milan, comme s'il fût en disgrâce. Le duc de Longueville étant toujours malade, le gouvernement du Milanais fut donné au duc de Nemours, qui n'en reçut l'expédition bien ample qu'à la fin du mois de juin et qui prit alors le titre de vice-roi.

Malgré ces apparences d'une paix prochaine, les préparatifs du Concile universel de Pise n'étaient pas restés en suspens : les cardinaux, assemblés à Milan, pour le bien de l'Église, avaient écrit à tous les princes chrétiens, pour les prier de faire publier dans leurs États la bulle de convocation, et à toutes les universités pour les inviter à reconnaître le Concile. Ces missives, signées par trois cardinaux, déclaraient que, si la fréquente célébration des Conciles généraux, semblables aux fleuves du Paradis, arrosoit, nettoroit et fécondoit l'Église de Dieu, leur interruption engendroit les chardons et les épines des vices, des discordes, des schismes et des guerres : le synode de Constance avait donc sagement fait d'ordonner un Concile général, tous les dix ans ; mais le Saint-Père ayant refusé de remplir le serment de son élection et de convoquer le Concile dans les deux années qui la suivirent, les cardinaux dissidents s'étaient rendus en Lombardie, afin de délibérer plus sûrement, en s'aidant du conseil des plus fameux docteurs, et ils avaient jugé que le droit de célébrer un Concile leur appartenait, ainsi qu'à l'empereur et au roi Très-Chrétien, puisque le Saint-Père s'obstinait à ne point user de ce droit ; ils prétendaient donc s'occuper spécialement, dans le Concile de Pise, de la paix à établir solidement entre les princes chrétiens, de la Croisade contre les Infidèles, de l'extirpation des hérésies et de la réformation de l'Église, tant au chef qu'aux membres (in capite et membris). Ce n'était pas sans raison que la ville de Pise avait été choisie, plutôt que Turin ou Constance, pour la réunion du Concile : deux Conciles, jadis célébrés à Pise, avaient eu pour heureuse issue la cessation de deux grands schismes ; d'ailleurs, le voisinage de la mer permettait aux Pères du Concile la retraite, en cas de danger, et la neutralité des Florentins répondait de la liberté des actes de cette assemblée. Cinq cardinaux avaient pris l'initiative dans une si grave question : les cardinaux de Sainte-Croix, de Cosenza, de Saint-Severin, de Saint-Malo et de Bayeux ; quatre autres, ceux de Finale, de Luxembourg, d'Albret et de Corneto, avaient promis d'adhérer à la convocation faite par les cinq premiers. Jules II, qui avait l'intention de convoquer lui-même un Concile à Rome, somma de nouveau les cardinaux dissidents de retourner dans le Sacré Collège, et attendit sans doute, pour fulminer contre ces rebelles, que la Chrétienté se fût prononcée contre ce diabolique conciliabule ; qui allait créer un schisme dans l'Église. L'Université de Paris avait reçu, le 4 juin, des lettres de convocation, qui furent affichées dans les collèges et les églises, sans aucune résistance ; car cette Université, gardienne des libertés de l'Église gallicane, s'était unie aux décisions de l'assemblée de Tours. Les rois alliés de Louis XII se montrèrent tout d'abord peu disposés à s'intéresser au Concile de Pise, quoique l'empereur fût d'avis de perséquir la matière dudit Concile, de la bonne manière, et eût promis d'y envoyer les évêques des Pays-Bas, nonobstant l'opposition de Marguerite. L'ambassadeur du roi d'Aragon, avec paroles toutes douces et humaines, sollicita Louis XII de rendre Bologne au pape, et prétendit que le temps n'était pas convenable pour faire un Concile, avant la paix universelle. Le roi d'Écosse, avec qui Louis XII renouvelait à son désir l'ancienne alliance qui existait entre eux, répondit à la signification du Concile, par de vagues assurances d'amour entière et fraternelle dilection à l'égard du roi de France, et, tout inquiet des nouvelles qui courent pour les mutations de delà les monts, demanda quel propos prendrait le roi Très-Chrétien touchant le Concile. Le roi d'Angleterre, poussé apparemment par les secrètes instigations de Ferdinand, du pape et de Marguerite d'Autriche, s'efforça de détourner l'empereur, et de la guerre des Vénitiens, et du Concile de Pise. Il lui écrivit dans les termes les plus évangéliques, en s'étonnant qu'un prince d'un caractère si doux pût s'irriter contre des chrétiens, au point de ne rêver que carnage, incendie et dévastation, sans songer que la clémence doit être la vertu des princes, qui représentent Dieu sur la terre. Il s'affligeait encore davantage de voir l'empereur enflammé contre le Saint-Père, sans l'aveu duquel le Concile avait été convoqué ; il avertissait donc Maximilien de ne pas céder à des haines étrangères, et d'empêcher des troubles inextricables, en imposant silence à ce Concile schismatique, et en ne souffrant pas que la robe sans couture de Jésus-Christ fût déchirée par lambeaux.

La réponse de Jules II, touchant la pratique de l'ambassadeur d'Écosse, était bien lente à venir ; elle arriva enfin, en même temps que celle de l'empereur, le 2 ! juin. L'évêque de Murray, porteur d'un bref du pape, dit au roi tout plein de bonnes paroles, sous lesquelles on apercevait assez l'obstination hostile de Jules, qui n'avait envoyé, relativement à la paix de Venise, aucune particulière réponse, sinon qu'il ne veut pas retourner au traité de Cambrai. Le pape, cependant, protestait de son bon vouloir devers l'empereur, et conservait l'espérance de le réconcilier avec les Vénitiens, dût-il lui-même contribuer de ses deniers à conclure cet appointement ; mais on devinait assez que cette réponse n'avait pas de fondement. Louis XII congédia aussitôt avec aigreur l'évêque de Murray, en lui certifiant l'indissoluble union de l'Impériale et Très-Chrétienne Majestés ; il lui dit formellement que, si à cette heure Sa Sainteté ne s'incline à la paix, elle n'aura paix quand elle voudra, et qu'il la prie ne lui donner occasion de passer en Italie, car, s'il y passe, il en voudra venir à un bout. Il répéta les mêmes menaces devant l'ambassadeur d'Aragon, afin que le roi Catholique en fût instruit, et fit taire le bruit qui l'accusait de soutenir le pape en ses obstinations. Maximilien, qui s'occupait à Insprück des provisions de la guerre, avait faute d'argent, lequel il pourchassoit par tous moyens ; néanmoins il faisait savoir au roi, qu'il aurait une armée de quatorze mille combattants ; qu'il étoit délibéré de venir à l'entreprise personnellement ; qu'il se proposait de donner le commandement de ses troupes au marquis de Mantoue, et qu'il irait rejoindre son allié dans le Véronais, le Vicentin ou le Padouan, dès qu'on aurait indiqué le jour et le lieu où Louis XII se rendrait avec douze cents lances, huit mille piétons et une bande d'artillerie, ainsi qu'il y est tenu. Nonobstant ces fières démonstrations, il chargeait son ambassadeur, André de Burgo, de faire entendre au roi, que Son Impériale Majesté lui conseillait de ne point passer les monts, puisque le temps est si avant et que les chaleurs sont déjà grandes, et aussi pour non se partir d'avec la reine, et pour autres fraternelles causes. Louis XII ne répondit pas explicitement à ces vagues assurances d'amitié : il loua grandement la venue de l'empereur, lui priant de se hâter ; il le pria derechef, comme beaucoup de fois il l'en a prié, de déclarer lui-même le jour et le lieu où leurs armées se réuniraient, afin qu'il s'apprêtât de son côté. Il trouva très bon l'avis de demeurer par deçà, et comme Maximilien l'invitait à ne pas s'éloigner du Dauphiné, il annonça qu'il allait se fixer à Valence, parce que les vivres lui manquaient à Grenoble.

Jules II avait bien profité du répit qu'on lui laissait ; le seul acte pacifique dont il flatta les espérances du roi fut la mise en liberté du cardinal d'Auch, avec défense toutefois de sortir de Rome, sous peine de perdre sa caution de 40.000 ducats. Le pape se montrait alors de pire courage qu'il ne fût jamais, et n'avait nulle inclination à la paix : il rassemblait une nouvelle armée plus formidable que celle qui avait été dispersée plutôt que détruite au camp de Bologne, il pressait les Vénitiens de se renforcer, il pratiquait des intelligences dans Bologne ; mais les Bentivoglio, voyant que leur soumission au Saint-Siège ne les sauverait pas, avaient réclamé la protection du roi de France, qui résolut de ne leur défaillir en aucune chose, et qui leur envoya un secours de quatre cents lances. Ce secours arriva bien à propos : cinq cents hommes d'armes et cinq mille piétons pontificaux s'étaient approchés de la ville, où devait les introduire une conspiration qui fut découverte ; les gentilshommes bolonais, réunis aux Français, sortirent à l'improviste, mirent en fuite les gens du pape, et leur tuèrent plus de cinq cents hommes. Jules II attendait une sérieuse diversion, de la part des Suisses, qu'il invitait à descendre dans le duché de Milan : il leur avait fait un don de 20.000 ducats, et cet argent rompit l'appointement que le duc de Savoie traitait, au nom du roi, avec ces avides montagnards.

Le pape, se voyant appuyé par les rois d'Aragon et d'Angleterre, par Marguerite d'Autriche, et par d'autres princes que lui avait gagnés la crainte d'un schisme dans l'Église, s'opposa enfin énergiquement au Concile de Pise. Il avait négocié d'abord avec les cardinaux dissidents, pour les ramener, par la douceur, à Rome ; il leur écrivit bénignenzent, en les exhortant à ne point troubler la paix et la liberté de l'Église. Les cardinaux de Finale et de Corneto, touchés de ces admonitions, déclarèrent, en effet, qu'ils n'adhéraient point à ce Concile, provoqué sans le consentement du Saint-Père ; mais les autres persistèrent dans leur rébellion, et Jules II ne ménagea plus la faction du cardinal de Sainte-Croix, qui ambitionnait la tiare. Il somma, avec d'horribles anathèmes, les fugitifs du Sacré Collège d'y rentrer, dans le délai de soixante-cinq jours, sous peine de perdre le chapeau rouge et tous leurs bénéfices. Le cardinal de Bayeux, comme principal agent du roi de France, était spécialement menacé des censures ecclésiastiques. En outre, le pape, pour se venger de l'Assemblée gallicane, qui avait commencé le Concile à Lyon, entreprit de casser, annuler et révoquer les Foires franches de cette ville, qu'il voulut transférer à Genève, en frappant d'excommunication quiconque irait trafiquer auxdites Foires, lesquelles s'ouvraient le jour de la Pentecôte ; mais on ne tint aucun compte de cette défense, contraire à la maxime fondamentale des libertés de l'Église de France : Les papes ne peuvent rien commander ni ordonner de ce qui concerne les choses temporelles ès pays et terres de l'obéissance et souveraineté du roi Très-Chrétien. Ensuite Jules II, par le conseil d'un cardinal de la dernière promotion, assigna un Concile universel, à Rome, dans l'église de Saint-Jean de Latran, pour le 1er mai de l'année suivante. Deux cardinaux français, ceux de Nantes et d'Auch, souscrivirent l'indiction de ce concile ; François de Clermont-Lodève avait été tiré de sa prison, pour participer à cet acte, que le pape commençait par un fier défi : Dominus, mihi adjutor, non timebo quid mihi faciat homoSeigneur, sois mon soutien, je ne craindrai pas ce qu'un homme fait contre moi. Jules II se proposait ainsi de faire avorter le Conciliabule de Pise, et de s'excuser, aux yeux des fidèles, du reproche qu'on lui faisait de n'avoir pas provoqué de Concile pour conserver l'unité et la paix de l'Église. La convocation du Concile de Saint-Jean de Latran fut signifiée, en France, avant la fin de juillet, et le roi d'Aragon, qui ne cessait de témoigner la bonne, sincère fraternité et amitié, qu'il portait au roi Très-Chrétien, lui recommanda le Concile de Rome, en le priant de vouloir entendre à celui-là plutôt qu'au Concile de Pise, car il seroit cause de faire un schisme. Ferdinand essaya aussi de dégoûter l'empereur du Concile de Pise, en lui représentant qu'en qualité de principal protecteur de l'Église, il lui appartenait d'empêcher que l'Église ne fût divisée par des schismes qui pourroient loger infiniment d'âmes en en fer.

Ferdinand ne travailla pas moins à faire accepter la paix à Maximilien, que la guerre entraînait en si très merveilleuse dépense, qu'elle le mettoit en la nécessité des rois de France, d'Angleterre, d'Aragon, et d'un chacun. Mais l'empereur, dont l'obstination égalait celle du pape, réclamait avec impatience les renforts que Ferdinand et Louis XII lui avaient promis ; sollicitait du premier le payement de deux mille Espagnards levés à Vérone, quoique ce prince lui envoyât d'Espagne un secours, qui viendra bien tard : quatre cents hommes d'armes, deux cent cinquante genétaires et deux mille piétons ; et se plaignait de n'être pas mieux secondé par les Français, quoique le roi de France ne reçût point encore de nouvelles de l'armée impériale : le bruit courait même que Maximilien n'appareilloit aucunes gens pour faire la guerre, cet été. Cependant Louis XII, tout en déclarant qu'il retournerait à Blois si l'empereur ne passait en Italie au mois d'août, mit à la disposition de son allié, outre les gens de pied et l'artillerie, sept cent vingt hommes d'armes sous le commandement de La Palice, et promit d'y ajouter les quatre cent soixante-quinze lances qu'il devait fournir, aussitôt que Maximilien aurait une armée prête. Trivulce avait refusé de servir l'empereur, sans doute par ressentiment des tentatives de Wirthfurst sur La Mirandole. Jules II feignait encore de vouloir la paix, laquelle se traitait à Rome et en France, sans le moindre résultat, pendant qu'il préparait avec les Vénitiens et le roi d'Aragon une ligue contre Louis XII, à qui les affaires de Gueldre ne laissaient pas un jour de repos. Marguerite d'Autriche, après avoir invoqué l'appui du roi anglais, à titre de futur beau-frère de l'archiduc, s'adressa au roi Catholique, en le priant d'aider son petit-fils contre Charles d'Egmont. Ferdinand se montra moult bien affectionné à détruire ce larron et à mettre en obéissance ses mauvaises gens : il requit, par son ambassadeur, le roi Très-Chrétien, non seulement d'abandonner le duc de Gueldre, mais encore d'aider le prince d'Espagne, comme lui-même était décidé à s'y employer. Louis XII répondit qu'il ne pouvait faire plus qu'il avait fait ; néanmoins, il écrivit à son envoyé aux Pays-Bas, Guyon Leroy, seigneur du Chillou, vice-amiral des galères de France, et lui ordonna d'inviter les habitants des villes de Harderwick et de Bommel à se remettre ès mains du prince d'Espagne, en leur déclarant que le roi de France ne donnerait, à Charles d'Egmont, faveur, aide ni assistance de gens, d'argent, ni autres choses, et que cette restitution préviendrait les maux et inconvénients qui pouvoient leur advenir. Louis XII s'efforça, en outre, de paralyser la malveillance de Marguerite, qui niait avoir fait porter mauvaises paroles en Angleterre et priait le roi d'ôter de son entendement la fâcheuse impression de cette calomnie : Je vous répute si bonne, si sage et si vertueuse, lui écrivit-il, que non seulement de moi, mais du moindre gentilhomme, ne voudriez porter méchantes paroles. Enfin, pour ne rien épargner en démarches conciliantes, Anne de Bretagne voulut écrire elle-même au duc de Gueldre pour l'engager à rendre la liberté aux marchands belges qu'il tenait en prison.

On recommençait à espérer la paix. Les ambassadeurs d'Écosse, d'Angleterre et d'Aragon y coopéraient ensemble, et l'évêque de Tivoli, nonce du pape, apporta, dans les premiers jours d'août, à Valence, de nouveaux articles presque semblables à ceux que Louis XII avait rejetés : le pape désiroit demeurer en bonne union avec le roi, et offrait, pour caution de sa foi, deux de ses neveux en otage ; il consentait à n'accorder aucun secours aux Vénitiens, en aidant l'empereur à recouvrer Trévise, pour se conformer au traité de Cambrai ; il proposait de prêter aux Vénitiens 50.000 ducats, et d'en donner 25.000 pour que la paix se fît avec Maximilien ; il était content de réinvestir Alphonse du duché de Ferrare, pourvu que le duc lui abandonnât Lugo et les petites villes situées dans la Romagne, ainsi que Comacchio, pour les frais de guerre ; il pardonnait aux cardinaux de Bayeux, de Saint-Severin et d'Albret, privoit seulement ceux de Sainte-Croix et de Cosenza, et ne parlait pas des autres dissidents, pourvu que le roi et l'empereur renonçassent au Concile de Pise. L'ambassadeur de Maximilien remontra que les conditions relatives à l'empereur étaient moindres que les offres faites naguère par le pape, à l'évêque de Gurck, dans les pourparlers de Bologne. Louis XII répondit, à son tour, qu'il souhaitait vivement demeurer bon fils à l'égard du Saint-Père, et ne demandait rien, sinon que l'empereur fût satisfait, et que le duc de Ferrare ne fût afoulé ni dépouillé du sien, contre toute raison ; il s'en tenait aux articles remis à l'évêque de Murray, priait le pape de lui envoyer choses particulières et claires, et de le regarder comme médiateur envers l'empereur et le duc de Ferrare, mais il refusait d'abandonner ses alliés et de renoncer au Concile.

Ce langage ferme était appuyé par l'armée française et impériale, qui s'assemblait à Vérone et qui se mit en campagne, au commencement d'août. Les Vénitiens, fort tristes et mal payés depuis deux mois, cam- ; paient entre Soave et Lonigo, et leurs bandes, grossies par les vilains, venaient brûler les moissons des Véronais. La Palice marcha contre l'ennemi, pour le combattre, et, ne l'ayant pas rencontré, emporta d'assaut Soave et Lonigo, dont les garnisons furent massacrées. La Palice se préparait à venir assiéger Padoue ou Trévise, dès que toutes ses forces seraient réunies ; la solde des piétons levés par l'empereur était assurée, au moyen d'un prêt de 9.000 francs, pour trois mois, en dépense extraordinaire, et le roi, outre cet argent, avait ordonné de compléter le nombre de chevaux et d'hommes qu'il devait fournir à son allié, lequel n'avait pourtant que six mille hommes de pied à Vérone. La Palice s'approcha de Padoue, avec l'intention d'affamer la multitude de paysans, qui s'y étaient, retirés en détournant le cours du Bacchiglione, qui faisait aller les moulins de cette ville. Maximilien était alors ententif à chasser dans les forêts voisines de Trente : il dépêcha un messager à La Palice, pour l'engager à s'emparer des châteaux, qui gardaient les défilés des-montagnes depuis Noale jusqu'à Cividale, et à rendre ainsi le chemin sûr ; mais La Palice demanda conseil aux capitaines, qui ne tombèrent point d'accord sur cette question, et conclurent qu'ils devaient, au lieu de laisser le Véronais sans défense, se hâter d'assiéger Padoue et Trévise, en profitant du découragement de l'armée vénitienne, consumée par les maladies et la désertion. L'empereur avait promis d'amener, en personne, trois mille hommes de pied et deux mille de cheval, aussitôt que les passages lui seraient ouverts ; quant au secours que Ferdinand envoyait d'Espagne, la flotte qui portait les milices espagnoles débarquerait d'abord de Naples, sans doute pour n'arriver jamais. La Palice se flattait, toutefois, de prendre Trévise et de finir, à lui seul, la guerre d'Italie.