LOUIS XII ET ANNE DE BRETAGNE

CHRONIQUE DE L'HISTOIRE DE FRANCE

 

CHAPITRE XIV. — 1507-1508.

 

 

PENDANT l'absence du roi, Anne de Bretagne, pleine d'anxiété, n'avait trouvé de consolation et de plaisir, qu'au milieu de ses dames et de ses poètes. Le goût très vif, mais peu délicat, qu'elle eut toute sa vie pour la poésie, fut partagé par toutes les princesses de son temps, dont quelques-unes, entre autres Marguerite d'Autriche, ne dédaignèrent pas de composer des ouvrages en vers. Anne de Bretagne ne montrait pas beaucoup de finesse en ses jugements, pervertis par la mauvaise influence des rimeurs flamands et bourguignons sur la littérature française ; mais elle encourageait au hasard les hommes, peu nombreux alors, dont le savoir ou l'esprit pouvait faire rejaillir de l'éclat sur leur patrie et leur protectrice ; car, à cette époque et longtemps après, les arts, les sciences et les lettres ne prospéraient que dans le palais des rois, et le public ne faisait accueil qu'aux réputations qui avaient passé par la Cour pour descendre jusqu'à lui. La reine de France acquittait, en pensions, en dons, en charges et en évêchés ce qu'on lui prêtait en épîtres, en ballades et en rondeaux ; car le mérite de l'ouvrage était jugé d'après la valeur de l'éloge qu'il contenait ; rien n'était trop fade ni trop grossier dans les comparaisons louangeuses, dans les exagérations adulatrices ; le style n'en semblait que meilleur, fût-il plus barbare que celui de Châtelain et de Molinet. Souvent Anne de Bretagne, environnée de ses dames, dans une salle parée, accueillait le livre et l'auteur : celui-ci, vêtu du costume doctoral, robe noire à larges manches, le chaperon fourré sur l'épaule, venait s'agenouiller devant la reine, tel qu'il s'était fait peindre par un enlumineur au frontispice du manuscrit qu'il présentait relié en velours avec fermoirs d'argent. Souvent un des poètes valets de chambre demandait une audience pour réciter une pièce de vers en forme de panégyrique sur quelque sujet désigné par la reine, sur quelque question de morale, de religion ou de fantaisie, que la reine avait laissée tomber, à la veillée ou bien à table. C'étaient les seuls instants accordés à la lecture et aux devis, le jour aux heures de repas, le soir parmi les travaux de quenouille et d'aiguille ; là, un secrétaire lisait, à voix haute et claire, des romans, des histoires, des légendes de saints, des poésies ; là, docteurs et savants dissertaient et disputaient, avec toutes les ressources de la dialectique ; là chaque auditeur s'instruisait en se récréant. L'éducation des princes continuait ainsi jusqu'à leur mort, et si tout était flatterie dans les vers composés pour eux, de graves enseignements se glissaient à travers les discours de leurs orateurs à gages ; mais le fou d'office, qui siégeait entre les rimailleurs, n'était pas, comme autrefois, le plus sage et le plus spirituel.

L'office de fou à la Cour valait autant qu'un canonicat. Sous aucun règne ce singulier usage, emprunté aux Grecs du Bas-Empire, ne fut plus commun en France : tout seigneur, clerc ou laïque, avait un fou, laid et difforme, habillé de la livrée de son maître, avec une marotte, un bonnet à oreilles d'âne et un équipage de grelots : ce marmot, hideux à voir et triste à entendre, était destiné à l'amusement des oreilles et des yeux, de même que les singes et les papegeais (perroquets) domestiques. Les morosophes ou les fous sages avaient perdu tout leur crédit ; les fous idiots, les plus naïfs et les plus monstrueux, étaient les plus recherchés. Il y en avait deux de cette espèce pensionnaires du roi, Caillette et Triboulet : Caillette, dont le surnom, devenu proverbe, indiquait une tête sans cervelle et un caquetage sans idées ; Triboulet, dont la taille à voûte, les gros yeux, le petit front, le grand net, annonçaient une simplicité qu'il démentit en vieillissant : il était alors aussi sage, à trente ans, que le jour qu'il fut né ; son principal talent consistait à contrefaire chacun ; il chantait, dansait, prêchoit si plaisamment que ne fâcha onc homme ; cependant, l'appelait fol à vingt-cinq carats, dont les vingt-quatre font le tout. Louis XII le préférait à l'autre et l'emmenait dans toutes les chevauchées, même par-delà les monts : un fou de cour, vêtu de couleurs éclatantes, faisant sonner ses grelots et secouant des pois secs dans une vessie, déridait le visage sévère du cardinal d'Amboise, et Louis XII, malgré son économie, ne regrettait pas l'argent que lui coûtaient ses deux bouffons.

Anne de Bretagne aimait mieux payer des poètes que des bouffons : sa cour poétique, dont le voyage de Gênes avait éloigné Jean Marot rimant à la suite du roi, ne brillait plus du même lustre que du temps de Charles VIII, qui récompensait une églogue latine par le présent d'un sac d'or, que l'imitateur de Virgile pouvait à peine emporter sur ses épaules. Octavien de Saint-Gelais et Pierre Lebauld étaient morts, le premier en 1502, le second en 15o5 ; Jean Meschinot et André de La Vigne avaient senti leur verve s'éteindre avec leur jeunesse ; Guillaume Cretin, élève des équivoqueurs belges, commençait seulement à se faire connaître et promettait de surpasser ses modèles dans l'art et science de rhéthorique pour faire rhythmes et ballades ; mais Faustus Andrelinus ne cessait d'entasser des spondées sur des dactyles et de marteler du latin en distiques aussi creux que sonores. Octavien de Saint-Gelais, que les Muses avaient fait évêque d'Angoulême, ce versificateur habile, ce poète ingénieux, ce philosophe badin, ne laissa point après lui un seul continuateur de son style élégant et naturel, brillant de traits exquis, toujours clair et correct, souvent harmonieux. Il avait lutté, de son vivant, avec l'aide d'André de La Vigne, de Martial d'Auvergne et de Guillaume Coquillart, contre les inutiles et fastidieux prodiges de tailles de rimes, que Jean Meschinot était parvenu à faire envier aux disciples de Georges Châtelain. A cette époque, la poésie française se divisait en deux camps rivaux ici on recherchait les idées neuves finement exprimées avec clarté, avec grâce ; là, on n'admirait que des entortillements de phrases barbares, des bizarreries de forme et de prosodie, des difficultés presque insurmontables dans le retour de certains sons rythmiques, dans l'arrangement de certaines syllabes homogènes : c'était, en quelque sorte, le débat du vrai et du faux, du naïf et du prétentieux, du bon et du mauvais. Jean Meschinot, qui devait, à son poème moral : les Lunettes des princes, sa charge de maître d'hôtel dans la maison de Bretagne, avait poussé ce genre de travail exclusif pour la rime jusqu'à composer des huitains où les vers pouvaient se lire et retourner en trente-huit manières. Mais Octavien de Saint-Gelais, au lieu de s'adonner à ces puérilités, avait perfectionné la versification, en imaginant d'entrelacer les vers masculins et féminins, en traduisant Virgile et Ovide, en épurant le langage de Villon, ce grand poète qui s'était révélé à l'aspect d'une potence. Pendant les règnes de Charles VIII et de Louis XII, cette poétique, pleine de charmes dans son allure franche et dans sa simplicité native, avait eu les succès les plus populaires : Martial d'Auvergne, procureur au Châtelet de Paris, rimait les Vigiles de Charles VII et les Arrêts des Cours d'amour ; Coquillart, official de Reims, écrivait le Monologue des perruques et ses folâtres imaginations que rehaussait le talent d'une diction facile et agréable. Toutefois, les récompenses de la Cour ne venaient plus chercher ces poètes qui bornèrent leur gloire et leur ambition à trouver des lecteurs et des applaudissements : Octavien de Saint-Gelais et André de La Vigne n'eussent pas mieux été traités par les rois, s'ils avaient été moins bons courtisans ; d'ailleurs, Charles VIII, auquel ils consacrèrent leurs plumes, était trop désireux d'imiter Alexandre, pour ne pas souhaiter, comme lui, avoir un Homère qui célébrât ses victoires. Après eux, les honneurs, les dons, les charges, les éloges n'encouragèrent que des rimeurs vulgaires, qui avaient une inspiration cupide et docile pour toutes les joies, pour toutes les douleurs ; qui pleuraient la mort d'un prince, comme celle de son cheval ; qui s'émerveillaient sans cesse des vertus de leurs patrons ; qui demandaient l'aumône en pauvres vers : ces poètes-là n'avaient garde de s'épuiser en ouvrages de longue haleine ; ils desservaient la circonstance, et ne produisaient à la fois qu'une épître, une ballade, un rondeau ; de là ces efforts incroyables pour donner du prix à des pièces dépourvues d'intérêt et d'invention ; de là ces rondeaux de deux syllabes, même d'une seule ; ces baguenaudes, ces couplets faits à volonté, sans rimes et sans raison ; ces croisures de rimes, en rhétorique batelée, dont la rime est répétée à l'hémistiche du vers suivant ; en rhéthorique à double queue, qui exige un redoublement de rimes à la fin de chaque vers pour faire écho ; en queue annuée, dont la rime du vers est semblable au commencement du suivant : alors la poésie ne fut plus qu'une espèce de musique, laquelle contient un certain nombre de syllabes avec aucune suavité en forme de douceur et d'équisonnance.

Sous Louis XII commença un nouveau système de poésie, qui s'était retrempé aux sources classiques de l'antiquité ; mais le pédantisme et l'amour du baroque rendirent cette poésie plus insupportable que celle de Châtelain, surnommé l'Indiciaire, comme montrant le chemin du Parnasse. Jean d'Auton fut le chef et peut-être le créateur de la nouvelle école, qui fit rétrograder la langue de plus d'un siècle, en la délayant dans le mélange des idiomes grecs et latins, en la surchargeant d'ellipses et de néologismes inintelligibles, en lui donnant de la pesanteur pour de la gravité, du fatras pour de la richesse. En prose comme en vers, le style devint prolixe, diffus, traînant, ridicule ; le rhéteur se montra partout : la grammaire latine de Despautère servit de base à cette Babel de la langue française. Déjà la pensée s'enveloppait d'un nuage de mots, le sens se perdait dans un labyrinthe de tournures ; la phrase, naturellement vive, prompte et tranchée, s'allongeait péniblement à travers une accumulation d'épithètes oiseuses et de parenthèses inabordables on s'efforçait de paraître éloquent dans un détestable pathos qui devait amener, vingt ans plus tard, le latin francisé et le français latinisé de dame Hélisenne de Crenne. Jean Marot avait pourtant toutes les qualités de l'historien et quelques-unes du poète. Il aurait, d'ailleurs, renchéri volontiers sur la rhétoricale sentence et faconde oratoire de l'abbé d'Angle ; mais il était moins nourri des écrivains de l'ancienne Rome, et sa manière se rapprochait par instinct de celle d'Octavien de Saint-Gelais, avec autant de souplesse à tourner le vers, autant d'à-propos à rencontrer la rime : sa prose seule sortait de la forge de Jean d'Auton, toute remplie de squalide et barbare scabrosité ; mais ses rondeaux sur toutes sortes de matières joyeuses joignaient l'originalité du sujet à la finesse de l'expression. Les enthousiastes de Jean d'Auton 'lui avaient donné beaucoup d'imitateurs : Jean Lemaire de Belges ; Jean Bouchet, de Poitiers ; Symphorien Champier, de Lyon ; Jean d'Ivry, de Beauvais rivalisaient de zèle et de latinisme, sans égaler cet orateur, fort abondant comme Pline second ; car aucun d'eux ne possédait un style assez fluant pour aligner soixante vers d'une seule période. Jean Lemaire, à qui Marguerite d'Autriche n'avait pas encore donné l'emploi de son indiciaire et historiographe, achevait le livre des Illustrations des Gaules et Singularitez de Troye, à la suite de la Cour de France, et n'attendait qu'une occasion de mettre sa plume en jeu pour flatter l'amour-propre du roi. Jean Bouchet, dans son état de procureur, se reposait de la chicane en grossoyant des volumes de vers qui se succédaient avec une intarissable fécondité, sous le pseudonyme du Traverseur des voies périlleuses ; mais sa résidence en province le gardait du danger de l'imitation des poètes de cour, quoiqu'il eût beaucoup trop d'estime pour la facilité du langage des lucubrations de Meschinot. Champier, qui n'était pas moins fécond que le procureur de Poitiers, consacrait aux lettres tout le temps qu'il pouvait dérober à la médecine et ne descendait presque jamais du ton de panégyriste, soit qu'il compilât les faits et gestes de la maison de Lorraine dans laquelle il était médecin, soit qu'il célébrât les Triomphes du roi de France, soit qu'il se fît l'historiographe de son parent, le chevalier Bayard. Jean d'Ivry, également médecin, traducteur ordinaire des poèmes latins d'Andrelini, était encore plus verbeux que ce rhéteur de collège, qui s'intitulait, sur ses opuscules en vers, poète du roi et de la reine — poeta regius ac regineus.

Quant à la poésie en elle-même, qui se traînait à plat ventre dans les galeries des princes et des grands seigneurs, elle quittait rarement ce caractère élogieux et servile ; il y avait peu d'ouvrages de longue haleine, qui ne fussent conçus et rédigés dans un but d'adulation plus ou moins honnête, plus ou moins apparent : la sainte Vierge n'échappait pas plus que les reines de la terre à ces louanges excessives ; et chaque année, à l'une des fêtes de Notre-Daine, les palinods de Caen, de Rouen et des principales villes du Nord, accordaient des prix à la meilleure palinodie, ou chant royal, sur l'Immaculée Conception. Anne de Bretagne semblait aussi avoir mis au concours un sujet qu'elle affectionnait particulièrement, et qui ne présentait pas moins d'erreurs à combattre, bien que ce ne fût pas un mystère : il s'agissait de l'apologie du sexe féminin, qu'elle avait pris à cœur d'exalter bien au-dessus de l'autre sexe, en le protégeant contre les attaques des poètes ; elle s'était placée à la tête des damés contemporaines, par ses vertus, son esprit et sa force d'âme ; elle voulait faire partager à son sexe, dans la société, la position d'estime et de respect qu'elle avait acquise à la Cour ; car elle supportait impatiemment l'injustice des hommes à l'égard des femmes. Elle chargea donc ses poètes de venger la maternelle secte et de lui faire des champions bardés et cuirassés de rimes : à ce signal, les représailles commencèrent contre tous les livres satiriques faits en haine ou en mépris des femmes, surtout contre le Roman de la Rose, dont le continuateur, Jean de Meung, avait, dit-on, été fustigé par les dames de la cour de Philippe le Bel, à cause de ses audacieuses épigrammes, attentatoires à l'honneur féminin. Alain Chartier et Martin Franc avaient autrefois répondu à ces injures poétiques, que l'Université même crut devoir réfuter doctoralement. Les orateurs inspirés par Anne de Bretagne, excepté l'incorrigible Coquillart, essayèrent d'étouffer le rire railleur du romancier discourtois, par un concert d'éloges, sur le mode admiratif ; Anne était bien convaincue que l'homme ne pouvait soutenir la comparaison avec la femme. La poésie française éclata en malédictions contre ces lâches cœurs, pleins de diffames, ces faux détracteurs à langue de lézard, qui offensaient Dieu, la loi et la nature, en blâmant les dames. Jean Molinet, le premier, translata en prose le Roman de la Rose, pour le moraliser clair et net ; un anonyme fit entrer dans la lice le Chevalier aux Dames, pour les garder de tous les blâmes et pour combattre le même Roman de la Rose ; un autre anonyme avait publié l'antidote du Bigame Mathéolus, qui, dans un roman non moins célèbre, avait dit sa game de mariage, avec autant d'injures et plus de lourderie. Jean d'Auton ne fut pas le dernier à défendre l'honneur féminin, par la bouche de sa Vrai-disant avocate des Dames ; Symphorien Champier conduisit à bon port la Nef des Dames vertueuses ; Jean Bouchet apprêta les Triomphes de la noble et amoureuse Dame ; Jean Dupré éleva le Palais des Nobles Dames, auquel a treize chambres principales ; enfin, quiconque voulut assurer à ses vers un succès de cour et se faire une puissante recommandation auprès du roi et de la reine, n'eut qu'à suivre cette voie apologétique, où les applaudissements ne manquaient pas aux galants chevaliers qui rompaient des lances pour la vertu des dames. Il était réservé au règne de François Ier de continuer ces joutes poétiques, au nom du beau sexe ; mais aux blasons métaphysiques de l'âme féminine devaient bientôt succéder les blasons anatomiques du corps féminin.

C'est que la poésie, comme tous les arts, à cette époque de transition, n'offrait que des imitations ou des copies d'un type commun ; rarement une idée neuve, avec une forme nouvelle, parvenait à se faire jour au milieu de toutes ces formes, de toutes ces idées, vieillies et usées ; dès que le génie se révélait par quelque œuvre de haute création, la médiocrité s'en emparait aussitôt pour la soumettre à des déguisements et à des métamorphoses successives. Ainsi, l'auteur inconnu de la Danse macabre n'eut pas plutôt créé cette sublime moquerie de la fragilité humaine et de l'égalité mortelle, que, de toutes parts, non seulement en France, mais dans l'Europe entière, on entendit grincer le rebec de la Mort, préludant à la dernière danse, et de graves méditations émurent les chrétiens, au spectacle de cette ronde inévitable qui embrasse dans-ses replis les palais comme les chaumières et mène au tombeau le pape comme le laboureur. Partout la Danse des morts déroula sa lugubre et fantastique allégorie : ce n'était plus une représentation mimique, jouée devant le peuple, dans le cimetière des Innocents à Paris ; c'était un éternel sujet de sculpture, de peinture, de poésie, de décoration, qu'on répétait sans cesse, même aux yeux des dames, même aux yeux des rois ; elle reparaissait, peinte sur les murs des églises et des hôtels, sculptée sur les chapiteaux des colonnes, ciselée sur la garde et le fourreau des épées, gravée dans les encadrements des miroirs, dans les ornements des livres d'Heures. Les vieux huitains dialogués entre la Mort et ses victimes furent imprimés bien des fois, augmentés, changés ou travestis par les éditeurs : la Danse des hommes, la Danse des femmes, la Danse des aveugles, tout prenait en vers l'image d'une Danse, dans laquelle la Mort, la Fortune, l'Amour ou quelque personnage allégorique faisait le rôle de ménétrier.

Ensuite l'allégorie se jeta dans une autre route : un Allemand, Sébastien Brandt, avait écrit en latin une étrange moralité, intitulée Navis stultifera (la Nef des fous) ; le Monde y était figuré comme un grand vaisseau, où tous les fous s'embarquaient. Cette fantaisie ne réussit pas moins en France qu'en Allemagne ; on la traduisit, on l'imita, et les imitations allèrent toutes à bon port : la Nef des Folles, selon les cinq sens de Nature ; la Nef des Dames ; la Nef des Princes. Le Roman de la Rose dominait encore toute la littérature, avant que le Livre de François Rabelais eût conquis pareille influence universelle : ce ne furent pas seulement les alchimistes qui cherchèrent de l'or, mais les poètes qui en trouvèrent, dans ce roman mystérieux, que les curieux du Grand-Œuvre métallique ou poétique ne se lassaient pas de fouiller ; vingt poèmes sortirent de ce creuset ; la matière restait toujours la même ; l'imagination la plus hardie ne s'aventurait qu'en tremblant hors du domaine de l'imitation. Le Roman de la Rose renaissait, sous les titres de la Chasse, et le Départ d'Amour, du Château de Labour, de la Forêt de Conscience, et sous des transformations également bizarres, avec la froideur de l'allégorie et l'obscurité de la métaphysique ; les vices, les vertus, les passions, les idées les plus vagues étaient personnifiées et matérialisées. Par exemple, dans le Séjour d'Honneur, poème ou roman d'Octavien de Saint-Gelais, l'Homme ou l'Acteur est conduit par Sensualité, dans le chemin de Fleurie-Jeunesse jusqu'au port de Mondaine-Liesse ; il aborde à l'île de Vaine-Espérance, à travers la mer Mondaine-Périlleuse ; il franchit le Val du monde, s'endort au logis de Cas-Fatal, pénètre dans la Forêt d'Aventures, arrive au Château d'Honneur, s'efforce de monter l'Échelle de Fortune, et ne veut plus d'autre guide que Raison. Tel est à peu près le cadre ordinaire de tous les poèmes issus du Roman de la Rose, calques pâles et glacés d'un dessin original, parfait dans son genre, et plein de verve et de coloris.

Quant à la versification proprement dite, elle avait peu de règles précises et reconnues généralement : l'hémistiche ; dans le vers de douze et de dix syllabes, n'était pas scrupuleusement conservé ; l'élision des voyelles avait lieu, à la volonté de l'auteur ; les enjambements et les césures faisaient partie essentielle du rythme, mais il y avait peu d'oreilles assez exercées pour distinguer ces assonances si délicates, et la plupart des poètes réduisaient la poésie à un certain ordre de lignes rimées. Cependant Octavien de Saint-Gelais avait indiqué plusieurs améliorations importantes dans la prosodie, et Jean Lemaire, que Clément Marot reconnut pour son maître, maniait la langue avec dextérité, en la versant dans le moule métrique ; car souvent, dans ses poésies, la coupe d'un vers, le sentiment et le mouvement du rythme, la grâce d'un rejet et la cadence d'une strophe nous reportent à cinquante ans plus tard : on dirait Ronsard ou Du Bellay, à l'habile organisme de la versification, à l'observance des règles, et au choix des tours oratoires. Les ténèbres du style n'étaient pas encore dissipées, et Antoine d'Arena, comme pour se moquer des écrivains qui s'étudiaient à parler latin en français, inventa le langage macaronique, ce mélange grotesque de latinismes et de gallicismes : les guerres d'Italie et la révolte de Naples furent les premiers poèmes de cette espèce, composés in galanti stylo, par un magistrat falotus, et plus divertissants que les déclarations scolastiques de Faustus Andrelinus, poète royal, et lauréat.

L'Histoire n'était pas alors moins protégée que la Poésie, et ses travaux, que le public avide d'instruction accueillait avec empressement, témoignaient de la sollicitude du roi pour la gloire de sa patrie et de ses ancêtres. Anne de Bretagne n'épargnait pas l'argent dans l'intérêt des compilations historiques qui pouvaient tourner au profit et à l'honneur de son règne ; elle favorisait surtout les historiens qui perpétuaient dans leurs ouvrages la nationalité de son duché. Le savant Pierre Lebaud, qu'elle avait fait son aumônier, venait de mourir évêque de Rennes, en laissant des Chroniques de Bretagne armoricaine, écrites à la manière de Froissart et intéressantes même par les fables qu'il raconte, d'après les vieux légendaires, avec la bonhomie d'un simple Prêtre : il avait entrepris cette chronographie, au commandement de la reine, qui le récompensa de ses travaux par le don de plusieurs riches bénéfices, et qui lui donna 4.000 florins, le jour où elle reçut le manuscrit de son Histoire. Après la mort de Pierre Lebaud, un avocat breton, nommé Alain Bouchard, retoucha et continua cette Chronique, pour la publier sous son nom ; car, à cette époque, le privilège du roi pour l'impression des livres nouveaux manquait encore, puisque tout imprimeur avait le droit de reproduire le volume à peine mis au jour, sans être poursuivi comme contrefacteur ; la propriété littéraire n'existait pas, puisque chaque auteur pouvait s'emparer textuellement de l'ouvrage d'un autre, sans être accusé de plagiat. Pierre Lebaud avait, en outre, flatté les sentiments patriotiques de sa très redoutée dame, en rimant les Annales de Bretagne, sous le titre de Bréviaire des Bretons, et un poète, du nom peu harmonieux de Disarvœz Penguern, natif de Cornouailles, avait composé, dans le même système, la Généalogie d'Anne de Bretagne, longue et monotone complainte, destinée sans doute à être chantée, sur un air lent et plaintif, par les fileuses de la vieille Armorique.

La reine voulut aussi faire rédiger les fastes de la France, qui tiennent si souvent à ceux de la Bretagne. Par son ordre, un jeune clerc, Jean Descourtils, commença la Mer des Histoires et Chroniques de France, extrait de tous les anciens chroniqueurs qui ont écrit, depuis la création du monde, des faits et des gestes des François. Jean Lemaire avait entrepris, dans un but à peu près semblable, ses Illustrations des Gaules, que le roi était impatient de voir terminées, pour prouver au monde quels liens existaient entre Gaule et Troie. C'était de Troie, en effet, que la plupart des chroniqueurs tiraient l'origine de la nation française, toute fière de cette Noblesse mensongère. Le moine Robert Gaguin, mort en 1502, et le notaire Nicole Gilles, mort en 1503, avaient également établi leurs Histoires sur une base aussi peu solide, que la critique érudite n'osa pas ébranler durant près d'un siècle. Robert Gaguin et Gilles s'étaient montrés crédules à l'excès, en recueillant avec un aveugle respect les légendes des premiers temps de la monarchie ; ils puisaient aveuglément dans les Chroniques de Saint-Denis, compilées et rédigées en latin dès le Xe siècle dans l'abbaye dont elles avaient pris le nom, et translatées en français sous le règne de Charles V, précieux monument de l'histoire contemporaine depuis le règne de Philippe-Auguste. Gaguin et Gilles ne' se bornèrent pas à y prendre les fables mêlées au récit ; ils en ajoutèrent de nouvelles, que leur fournissait la tradition populaire ; ils créèrent ainsi un royaume d'Yvetot, dont ils firent remonter l'antiquité jusqu'à Clotaire Pr, quoique le seigneur d'Yvetot portât le titre de roi, sans plus de conséquence que le roi des Merciers et le roi des Ribauds. Paul Emili, retiré dans le cloître Notre-Dame, où il vivait de son canonicat, s'acquittait de la tâche que Louis XII lui avait donnée en l'amenant de Vérone à Paris pour écrire en beau latin cicéronien une grande Histoire de France, et dédaignait les erreurs romanesques de Gaguin et de Nicole Gilles, en choisissant avec un sévère discernement les faits qu'il devait admettre dans son histoire, plus romaine que française, il est vrai, dégagée de tout son alliage fabuleux, mais dépouillée aussi de toute sa couleur locale et de tout son charme gothique : c'étaient Grégoire de Tours, le Moine de Saint-Gall et Guillaume le Breton fondus dans le moule de Tite-Live. Paul Emili ne voulut ensuivre que les auteurs bien approuvés et décrire seulement ce qu'il y trouvait de plus vrai et plus digne.

Le goût et l'étude de l'Histoire se répandaient tous les jours davantage et les historiens se multipliaient. L'imprimerie, dont l'invention encore récente avait atteint déjà un haut degré de perfection en France, sans pouvoir citer, comme l'Italie, le nom célèbre d'un Alde Manuce, mettait en lumière les manuscrits les plus estimés ; mais ces publications, confiées à des hommes peu instruits ou peu soigneux, joignaient rarement la correction du texte à la beauté de l'édition. Antoine Vérard, le plus estimé des libraires de Paris, ne se montrait pas plus sévère que ses confrères Jean Trepperel, de Marnef et Michel Lenoir, pour l'exactitude des copies qu'il livrait à l'impression ; les noms d'hommes et de lieux étaient souvent défigurés, les phrases tronquées, le style rajeuni. Ainsi les nouvelles éditions des Chroniques de Saint-Denis, de Froissart et de Monstrelet, popularisaient ces admirables ouvrages, en les gâtant, en les mutilant, quoique maître Pierre Desrey, de Troyes, les allongeât de ses grossières et ignorantes continuations. A cette époque, où tous les gens riches, surtout les nobles, commençaient à former des bibliothèques, avec des imprimés, au lieu de manuscrits vingt fois plus coûteux, telle était pourtant la vogue des livres historiques, que le Fasciculus temporum de Wernerus Rolewinck, petit traité chronologique fautif et incomplet, traduit dans toutes les langues, se réimprimait partout en éditions sans nombre, et que la fameuse Chronique de Nuremberg (Liber chronicarum mundi) composée par Hartman Schedel et imprimée par Antoine Koberger, avec des milliers de gravures sur bois, taillées par Michel Wolgemut, maître d'Albert Dürer, inondait l'Europe de ses riches exemplaires, non moins nombreux peut-être que les livres d'Heures en vélin, si variés d'encadrements, d'arabesques et de figures, qui occupaient alors toutes les presses de l'imprimeur Pigouchet pour le compte de la librairie ecclésiastique de Simon Vostre. Les lettres et les arts, qui veulent, pour fleurir, l'ombre et la paix, prospéraient ainsi, avec la tranquillité de la France, aux frontières de laquelle expirait un bruit sourd, et menaçant sorti de la Diète de Constance, où se préparait-une ligue générale des alliés de l'Empereur.

Louis XII s'attendait à une déclaration de guerre ; l'argent ne lui manquait pas, grâce à la bonne administration de son domaine privé et de son royaume. Il pouvait ainsi supporter les frais des préparatifs considérables qu'il avait dû faire, sans appesantir les charges du peuple ; il armait à la fois, pour menacer les Pays-Bas, pour défendre la Bourgogne et pour protéger son duché de Milan ; c'était là surtout que se concentraient ses forces. La Lombardie se remplissait de troupes et d'artillerie ; les villes se fortifiaient, afin que Maximilien, dépourvu de vivres dans le pays où il n'aurait aucune place pour se maintenir, s'épuisât lui-même en courses infructueuses et en sièges désastreux. Le roi se tenait prêt à rejoindre son armée, au premier avis que lui transmettrait son lieutenant Charles d'Amboise ; il n'avait pas pris de Suisses à sa solde, malgré les offres de service et les protestations de fidélité que lui firent les Ligues, après avoir accordé dix mille soldats à Maximilien. Il se promettait bien de se passer désormais de ces coûteux auxiliaires, auxquels il déclara, qu'il avait assez d'hommes en France pour s'en servir, avec l'aide de Dieu, et il leva, en effet, vingt mille gens de pied dans ses provinces : la Gascogne seule lui fournit dix mille archers, qui passèrent les monts sous l'enseigne du Cadet de Duras. Plus de huit cents hommes d'armes, outre les gentilshommes et les archers de la garde du roi, étaient rassemblés dans le Milanais ; un capitaine espagnol y avait amené de Naples trois mille cinq cents piétons, enrôlés par ordre du roi d'Aragon, qui ne voulut pourtant pas confier leur commandement à Gonzalve, selon les promesses de l'entrevue de Savone. Le Milanais était donc mieux gardé que la Bourgogne, où l'esprit des habitants conservait un levain hostile contre la France, dont ils avaient été si longtemps séparés. Louis XII avait eu soin de renforcer les garnisons et de munir les places fortes ; mais il savait que ses plus grands ennemis de ce côté-là étaient ses propres sujets, privés violemment de la nationalité bourguignonne. Aussi, l'évêque de Chartres, René d'Illiers, lui parlant de cette haine secrète qui couvait dans la Bourgogne devenue française : — Hélas ! vous dites vrai, reprit tristement le roi ; mais viendra un temps où, dépouillant cette haine naturelle, les Bourguignons se soumettront de leur franc vouloir à la domination des Français. Néanmoins, ne faut-il pas que moi et les miens espérions voir ce temps-là, non plus que le recouvrement du royaume de Naples.

Louis XII, ennuyé d'attendre à Lyon une déclaration de guerre, que les lenteurs ordinaires de son ennemi paraissaient avoir suspendue pour longtemps, partit, à la fin d'août, pour revenir à Blois, où l'avait devancé la reine, afin de se préparer à y faire ses couches, car sa grossesse était déjà fort avancée ; et les précautions que commandait son état furent telles, que, pour son voyage de Lyon à Blois, elle se mit en litière, et vingt-quatre cent-suisses du roi la portèrent sur leurs épaules. L'espérance d'avoir un Dauphin comblait de joie Louis XII et le retenait en France, quoiqu'il feignît toujours de vouloir repasser les monts. La comtesse d'Angoulême voyait avec tristesse et inquiétude approcher un accouchement qui pouvait retarder l'exaltation de son César et elle vivait éloignée de la Cour dans le château d'Amboise, où le jeune duc de Valois grandissait et prospérait sous ses yeux. Le roi, qui se sentait vieux avant l'âge et qui, en espérant un fils, ne se flattait pas de vivre assez pour pouvoir l'élever, s'occupa de lui assurer d'avance des protecteurs et des soutiens, en émancipant deux princes qui n'avaient pas encore dix-sept ans, Charles de Bourbon, comte de Vendôme, et Gaston de Foix. A ces dispenses d'âge qui leur donnaient la libre et entière jouissance de leurs biens et de leurs droits héréditaires, il joignit le don de 4..000 livres de pension au comte de Vendôme, et celui de plusieurs belles seigneuries à Gaston, son neveu, qui reçut, en échange du vicomté de Narbonne, le duché de Nemours, que la mort de Louis d'Armagnac avait fait retourner à la couronne. La plupart des princes du sang étaient mineurs, et la minorité d'un roi eût été exposée sans défense aux entreprises des ambitieux. Les ducs d'Alençon, de Bourbon et de Longueville se trouvaient seuls hors de tutelle ; leurs frères, François de Montpensier dit Monsieur de Bourbon, Louis et Jean d'Orléans-Dunois, François de Vendôme, comte de Saint - Pol, n'avaient pas encore quitté leurs gouverneurs et leurs mères, de même que François d'Angoulême, qui ne pouvait devenir homme de cour, qu'à l'époque de sa quatorzième année.

La guerre n'avait pas encore éclaté à la fin de l'année 1507 ; l'anxiété croissait, et les esprits ne savaient où se prendre dans cette incertitude générale. Le cardinal de Sainte-Croix, légat du pape en Allemagne, pressait l'entrée en campagne de Maximilien ; Jules II, accusait à la fois les intelligences des Vénitiens avec le roi de France, et du seigneur de Chaumont avec les Bentivoglio, contre les domaines de l'Église et contre sa vie. Louis XII se plaignit enfin du Saint-Père, qui donnait asile aux factieux de Gênes, dans Rome et dans Bologne. Il avait fait, il faisait tous ses efforts pour mettre de son côté le bon droit et la loyauté, afin de montrer à tous qu'il n'était pas maître de conserver la paix de la communauté chrétienne, et qu'il n'en viendrait aux extrémités de la guerre qu'après avoir épuisé tous les moyens de conciliation. Il ne continuait pas moins à se préparer à la guerre, comme s'il pouvait être attaqué dans le cœur de ses États. Il renouvela l'ordonnance de Charles V, qui invitait les bourgeois des villes à s'exercer au jeu de l'arc et de l'arbalète, aux jours de fête ; il ne défendit pas, ainsi que son prédécesseur, les jeux de dés, de tables (échecs), de palet, de quilles et tous jeux pareils qui ne pouvaient être d'aucune utilité pour l'usage des armes, mais il fit exposer, par le premier président du Parlement de Paris, dans l'assemblée de l'Hôtel de ville, que, désirant voir ses meilleures cités garnies d'habillemens de guerre et de gens qui s'en sachent aider, il priait sa capitale de donner l'exemple aux autres, et invitait les habitans de tous états à s'appliquer et faire appliquer leurs enfants ou serviteurs à l'exercice et jeu de l'arc, arbalète et coulevrine. On manda donc à chaque métier de délibérer, dans sa confrérie, sur la demande du roi : les merciers et les drapiers s'excusèrent, en prétextant que leurs serviteurs demeuraient la plupart hors de la ville ; les épiciers et les barbiers se dispensèrent aussi, à cause de la condition de leurs états qui employaient leurs serviteurs, même les dimanches et fêtes ; mais les autres corps de la marchandise accédèrent avec empressement aux désirs du roi, et se rassemblèrent dorénavant à jours fixes, le long des murailles de la ville, pour s'exercer à tirer de l'arc et à manier l'arquebuse ou la coulevrine : on distribua des armes achetées aux frais de la Commune, et les confréries de l'Arbalète et de l'Arquebuse se réorganisèrent avec de nouveaux statuts. L'exemple de Paris fut suivi dans presque toutes les villes de France.

Louis XII n'avait jamais eu plus besoin de ses fidèles conseillers qu'au moment où la mort lui enleva son chancelier, Guy de Rochefort, qui secondait avec tant de zèle et de talent les desseins politiques de Georges d'Amboise. Depuis neuf ans que les sceaux lui étaient confiés, Guy de Rochefort avait pris part à tous les actes du Conseil privé et du Grand Conseil. La perte du chancelier, ne fut pas le seul chagrin qui affecta le roi, dans le courant de janvier 1508, le 2I, la reine accoucha d'un fils, qui avoit faute de vie, et qui ne fit que passer du ventre de sa mère dans le tombeau. Louis XII s'était trop réjoui d'avance de la naissance de cet enfant, pour ne pas renoncer avec douleur à l'espérance d'avoir un Dauphin. C'était la seconde fois que sa femme mettait au jour un prince mort en naissant, après avoir donné à son premier mari deux fils qui vécurent, l'un quelques années, l'autre quelques semaines. Malgré ces fâcheux antécédents, elle ne pouvait s'accoutumer à l'idée de laisser son duché à un héritier collatéral, et, sans doute pour intéresser le Ciel à son vœu le plus ardent, elle fondait, enrichissait et protégeait des monastères, surtout les Minimes de Nigeon, à Chaillot, près de Paris, ces religieux de l'observance de saint François de Paule, qu'elle avait établis dans son manoir de Nigeon, où elle leur faisait bâtir une église sous l'invocation de Notre-Dame de toutes les grâces. C'était toujours un Dauphin qu'elle demandait dans ses prières, qu'elle appelait dans ses pèlerinages, en intercédant saint René d'Angers et tous les saints capables de donner enfants aux femmes stériles. Mais déjà la Cour, qui, pendant la grossesse de la reine, s'était éloignée de la comtesse d'Angoulême, revenait à celle-ci, comme à la mère du roi futur ; le jeune François de Montpensier, Monsieur, était accouru de Blois à Amboise, où Louise de Savoie attendait avec inquiétude l'événement de cette grossesse, et jamais depuis elle n'oublia, non plus que le duc de Valois, la très humble et loyale persévérance que Monsieur avait mise à la contenter, en lui apportant une si bonne nouvelle. Louis XII, de même que les princes du sang et sa cour, traita désormais comme son successeur le duc de Valois, qui devait être l'époux de sa fille Claude et l'héritier de la couronne, pour accomplir la prédiction du saint homme de Calabre, lequel, avant de sortir du monde, le 2 avril 1507, avait annoncé au comte d'Angoulême qu'il serait roi de France.

Cependant, Maximilien avait déclaré la guerre aux Vénitiens, et ceux-ci ayant imploré l'aide du roi, Louis XII leur avait envoyé huit mille Suisses commandés par Trivulce. Tandis que l'orage s'amassait de toutes parts, Louis XII était revenu à Blois, triste et courroucé d'avoir pris part à une guerre qui ne lui assurait pas même la paix avec l'empereur, pour prix des dépenses énormes causées par l'entretien d'une armée durant dix mois ; cependant il jouissait de la trêve qu'il n'avait pas acceptée. Maximilien, las et découragé du mauvais succès de son expédition, ne conservait de rancune et de haine que contre les Vénitiens, qui retenaient Trieste et leurs autres conquêtes. On n'entendait dans la plupart des cours d'Europe que menaces et vœux hostiles contre les Vénitiens ! — Je me porte bien de tous les membres, répondait leur vieil ambassadeur Condolmieri à ses amis qui s'informaient de sa santé ; mais j'ai grande douleur aux oreilles d'ouïr tous les jours, et par gens de tous états, menacer de guerre la seigneurie de Venise ! Or, Condolmieri, gros homme tondu, avait les plus grandes oreilles qu'on eût jamais vues. Il fut plus sensible encore à un affront personnel, qui ne pouvait être l'effet du hasard. Anne de Bretagne donna un banquet magnifique à toute la Cour, le 3o août, pour célébrer le mariage du marquis de Montferrat avec Anne d'Alençon ; mais elle ne voulut permettre que l'ambassadeur de Venise fût assis à table avec les ambassadeurs d'Aragon et d'Écosse, et, lorsqu'il se présenta dans la salle du festin, on lui dit publiquement, en présence de tout le monde, qu'il n'y avoit point de place pour lui : il sortit de la salle, rouge de honte et de colère, aux éclats de rire de la jeune Noblesse. Condolmieri, qui était sage, prudent et cault, ne put ignorer le maltaient que le roi avait contre la république de Venise.

Louis XII, pendant son séjour à Blois, avait failli perdre, presque en même temps, tout l'espoir de la royauté à venir : le duc de Valois et Anne de Bretagne. Le 6 août, François d'Angoulême, qui, trois jours auparavant, avait laissé toute seule sa mère à Amboise pour venir à la Cour prendre le rang que sa naissance lui assignait et achever son éducation dans la compagnie des dames et des gentilshommes, fut atteint d'un coup de pierre, dans un jardin, à Fontevrault, où il se promenait entre sept et huit heures du soir, et la blessure qu'il eut au front mit sa vie en danger. Le lendemain, la reine, qui se rendait de Fontevrault à Montsoreau, dans sa litière, vit les planches d'un pont de bois qu'elle traversait s'effondrer sous les pieds des chevaux, et demeura suspendue au bord d'une large ouverture où l'attelage avait disparu : elle eût été noyée dans la Loire, en y tombant. Le roi avait promis au cardinal d'Amboise de visiter la ville de Rouen, qui enviait à Lyon et à Blois l'honneur de posséder Sa Majesté dans ses murailles : le 28 août, il y entra solennellement, reçu en dehors des portes par le Corps de la ville, vêtu de satin violet, par cent soixante bourgeois habillés de brun, par tout le clergé et tous les religieux qui s'étaient réunis le matin en procession dans la cathédrale. On sonna d'abord la grosse cloche, nommée Marie d'Estouteville, du nom de l'archevêque qui l'avait fait fondre et baptiser sous l'invocation de la Vierge ; on sonna ensuite Georges d'Amboise, la plus belle cloche du royaume, que le cardinal légat avait donnée à son église en 1501 ; cette cloche, haute de dix pieds, pesant plus de trente-six mille livres, était couverte d'inscriptions latines en l'honneur du donataire, qu'elle glorifioit par sa tonnante voix. Toutes les cloches sonnèrent à la fois, quand le roi fut dans la ville, où il avait peine à faire avancer son cheval à travers la foule qui obstruait les rues étroites de Rouen ; il passa devant la célèbre abbaye de Saint-Ouen et fut encensé par l'abbé ; le cardinal d'Amboise, en habits pontificaux, l'attendait à la porte de la cathédrale, pour lui présenter la croix à baiser, lui offrir l'eau bénite et l'introduire dans le chœur ; on chanta le Te Deum, et le cardinal remercia le roi, au nom de l'Église et de la ville de Rouen. Louis XII fut logé au palais archiépiscopal, préparé pour lui avec une magnificence royale ; le Chapitre de Notre-Dame lui envoya, selon le vieil usage, un présent de six gallons de vin et de six pains ; les ducs de Valois, d'Alençon et de Bourbon, ainsi que les principaux seigneurs qui accompagnaient le roi, eurent aussi chacun trois gallons et trois pains, en signe d'hospitalité. Anne de Bretagne, qui était allée seule dans son duché, où sa présence transportait de joie tous les cœurs vraiment bretons, ne vint pas rejoindre le roi sans avoir vu terminé le monument admirable qu'elle avait dédié à la mémoire de son père et de sa mère, inhumés dans la cathédrale de Nantes ; elle ne fit son entrée à Rouen que le 3 octobre, avec une pompe et des cérémonies presque semblables à celles qui avaient honoré l'entrée du roi.

Le but du voyage de Louis XII dans la capitale de la Normandie fut sans doute l'examen et la réforme de la Coutume de cette province. De concert avec le cardinal d'Amboise, il avait le dessein de faire rédiger dans chaque province le recueil des lois locales-, sanctionnées par l'usage, mais soumises à tant de diverses interprétations. Cet immense travail, qui demandait le concours des jurisconsultes les plus savants et les plus éclairés, commença, cette année-là, en Anjou. Thibaut Baillet, président au Parlement de Paris et surnommé le Bon Président, à cause de son intégrité, et Jean Le Lièvre, conseiller audit Parlement, furent envoyés à Angers, pour y assembler les États du pays et lire devant eux l'ancienne Coutume, qu'on rétablit dans une meilleure forme, en la discutant et en l'élucidant, au grand soulagement des parties litigeantes. Mais on ne voit pas que Louis XII ait rien changé à la Coutume normande : le lendemain de son arrivée à Rouen, les échevins, peut-être instruits de ses projets de réforme, vinrent le supplier de confirmer leurs vieux privilèges, contenus dans la Charte aux Normands, ce premier titre de leurs libertés, reconnues par tous les rois de France, depuis Louis le Hutin, en 1315, jusqu'à Louis XI, en 1461, ce code provincial octroyé à la Normandie par Philippe-Auguste, en récompense de la réunion de ce duché à la couronne de France.

La haine qui couvait contre Venise dans les cours d'Allemagne, de France, de Rome et d'Espagne n'attendait qu'une occasion pour éclater en guerre ouverte ; les ennemis étaient divisés d'intérêts, mais semblaient s'unir tous, dans une même pensée de vengeance contre cette république ambitieuse. Jules II souffrait impatiemment que les Vénitiens empiétassent sans cesse sur le domaine de saint Pierre ; il envoya le cardinal de Narbonne porter plainte au roi de France et lui proposer une alliance offensive, dans laquelle l'empereur ne serait pas compris ; mais Louis XII avait tant à se plaindre de Jules II, qu'il ne se montra point fort empressé de servir un allié si peu reconnaissant ; d'ailleurs, le cardinal d'Amboise ne haïssait pas moins le pape que les Vénitiens et le craignait davantage. Jules II, sachant qu'une Ligue n'aurait pas de force sans l'intervention de Louis XII, imagina de se faire un auxiliaire de Marguerite d'Autriche ; il lui écrivit, il lui dépêcha des agents secrets, il la persuada enfin 1, de détacher violemment du parti des Vénitiens, le roi de France pour diminuer la puissance de ce prince en Italie et pour l'expulser ensuite du Milanais. Marguerite osa réchauffer le serpent caché sous des fleurs : elle travailla de tous ses efforts à irriter le roi contre la république de Venise ; elle lui disait, dans une lettre en style figuré : que les Vénitiens avoient construit un labyrinthe où ils nourrissoient le Minotaure de discorde, éternel fléau des âmes royales, mais que, comme une autre Ariane, elle possédoit le fil de la concorde pour diriger virement un autre Thésée dans ce dédale de fourberies. Autour du roi, dans son Conseil, auprès de. la reine, s'élevèrent des plaintes incessantes contre les Vénitiens. Louis XII ne leur pardonnait pas' leur arrogance et leur méchant vouloir dans les négociations de la dernière trêve, et il inférait de cet acte seul que Venise cherchait à entretenir en guerre les princes chrétiens. Il se laissa donc aisément amener à la confédération que Jules II sollicitait, par l'entremise de Marguerite. Il répondit à la gouvernante des Pays-Bas, qu'il étoit très-joyeux de voir la bonne affection et persévérance qu'elle montroit avoir au bien de la paix, et protesta qu'il ne tiendroit à lui que les choses ne prissent bonne issue, telle que chacun la désire. Marguerite l'avait prié d'envoyer avec ses pouvoirs le cardinal d'Amboise à Cambrai, où elle se rendrait de son côté pour perfection des matières pourpalées : son père Maximilien lui ayant remis, à Turnhout, dès le 14 septembre, plein pouvoir, autorité et commandement spécial de se trouver à cette journée, pour y traiter et accorder avec le roi tous et quelconques différends, débats, malveillances et rancunes, qui pouvaient exister alors entre eux. Louis XII promit de faire partir le légat, sous peu de jours, et de lui donner pour assesseurs l'évêque de Paris et Albert Pio, comte de Carpi, savant prince italien, qui avait fixé son séjour à la Cour de France, et qui s'employait habilement au service du roi. Ces trois plénipotentiaires n'étaient pas encore partis de Blois, que Marguerite avertit le roi d'Angleterre de transmettre à Cambrai des ambassadeurs, afin que le bien et honneur de son futur gendre fussent trop mieux gardés qu'autrement. Un pouvoir avait été aussitôt dressé dans la chancellerie de France, par lequel le cardinal d'Amboise était commis pour besogner à faire et accomplir accord et finale paix, ou prendre aucune bonne trêve avec Marguerite d'Autriche, agissant au nom de l'empereur, en considération des sens, loyauté, prudence, intégrité et longue expérience du légat, et parce qu'il a, plus que nul autre, singulier Zèle, entier et fervent vouloir à ladite paix.

Quand les ambassadeurs des puissances qui voulaient entrer dans la ligue contre les Vénitiens, furent réunis à Cambrai, il y eut entre eux assaut de ruse et d'adresse, pour se tromper l'un l'autre et pour se faire la part belle, chacun voulant obtenir plus et accorder moins. Les parlements durèrent un mois entier, mais le secret des assemblées fut si scrupuleusement gardé, qu'en France et dans les pays étrangers, on ne s'intéressait guère à ces mystérieuses négociations, qu'on regardait comme les préliminaires d'une croisade contre les Turcs. Cependant de nombreuses difficultés avaient surgi dans la discussion des articles du traité, et plusieurs fois les parties furent divisées par des intérêts inconciliables. Marguerite, éclairée et dirigée par l'intelligente politique de l'évêque de Gurck, résistait fermement aux prétentions peut-être exorbitantes du cardinal d'Amboise : Nous nous sommes, M. le légat et moi, cuidés prendre au poil ! écrivait-elle à son père ; enfin on était à peu près d'accord, non sans avoir bien souvent mal à la tête. Georges d'Amboise, après avoir vainement tenté de vaincre l'inflexible résistance de Marguerite, qui refusait de souscrire à certaines exigences de Louis XII, se vit forcé de passer outre, au risque de ne rien conclure ; craignant une rupture définitive, il supplia Marguerite d'attendre la réponse du roi, qui céda sur tous les points et ne s'opposa plus à ce que désirait l'empereur. La journée de Cambrai eut pour résultat deux traités, l'un secret, l'autre patent, lesquels furent signés, par la gouvernante des Pays-Bas, trois cardinaux, quatre archevêques, quinze évêques, dix ducs, vingt-deux comtes, et cent autres seigneurs, députés de l'empereur, des rois de France, d'Espagne et d'Angleterre ; fatal appointement, qui devait causer la mort de deux cent mille hommes, victimes de la frauduleuse pensée des confédérés.

Le 12 décembre, Marguerite d'Autriche, Georges d'Amboise et tous les ambassadeurs se rendirent à l'église cathédrale de Cambrai, remplie d'un peuple immense ; une messe solennelle fut célébrée, après laquelle l'évêque de Tournay, tenant une cédule, écrite en français, sur papier, et signée par Madame Marguerite et le légat, comme plénipotentiaires de l'empereur et du roi de France, leur lut à voix haute et intelligible la promesse du traité qu'ils avaient conclu ; puis, l'un après l'autre, ils jurèrent l'observation de ce traité, la main posée sur l'Évangile ; ensuite un docteur en théologie donna lecture du traité d'union et d'amitié entre Maximilien, l'archiduc, Louis XII et le duc de Gueldre ; cette cérémonie fut terminée par le chant du Te Deum.

Le cardinal d'Amboise, étant revenu à Blois, rendit compte de sa mission au roi, qui fut très content de quoi les affaires s'étoffent si bien portées. Quelque chose avait transpiré du principal objet de la journée de Cambrai, et, quoiqu'un seul des deux traités eût été publié, on pensa que ce n'était pas, sans motif que les Vénitiens en avaient été exclus. Leur ambassadeur, Condolmieri, chagrin de cette omission qu'il soupçonnait faite à dessein, ne voulut pas demeurer plus longtemps dans l'incertitude ; il interrogea le cardinal, en face du roi, et lui demanda si Sa Majesté tenait les Vénitiens pour ses amis ou pour ses ennemis. Georges d'Amboise lui répondit que le roi n'avoit cause de les tenir et traiter pour ses amis, vu les mauvais tours et outrages qu'ils lui avoient faits. Condolmieri Insista pour avoir une réponse plus catégorique ; alors le cardinal, poussé à bout, lui annonça que le roi délibéroit s'en aller en Italie en personne, avec une si grosse armée, qu'il n'auront crainte de nul qui le voulût offendre et, quand il seroit là, feroit ce que Dieu lui conseilleroit. Condolmieri ne douta plus des intentions de Louis XII et chercha encore à les modifier, avant qu'elles se montrassent. Comme il n'avait point reçu ses lettres de congé, il profitait du temps qu'on lui laissait, pour essayer d'ébranler par des paroles adroites la résolution hostile du roi, qui l'écoutait tranquillement et lui témoignait même de la bienveillance personnelle. Condolmieri, vantant un jour la puissance, la richesse de Venise, et surtout la sage prévoyance, la soigneuse conduite de cette république, qui avait conquis une partie de la Grèce sur les Turcs, et à qui les chrétiens avaient demandé souvent la paix, arriva naturellement à dire que ce serait folie d'attaquer les Vénitiens, que leur sagesse rendait invincibles.— Je crois qu'ils sont prudents et sages, repartit le roi très doucement, mais tout à contre-poil ; s'il faut venir à guerroyer, je leur mènerai un si grand nombre de fous, que vos sages n'auront lieu, ni temps, ni saison de remontrer la raison à mes fous ; car iceux frappent partout, sans regarder où. Cepourquoi, dites à vos tant sages gens, que je les avertis de se garder, sur leur vie, de rencontrer mes fous.

Pendant cette année 15o8, la guerre avec la république de Venise fut imminente ; mais cela ne jetait pas d'inquiétude dans le royaume, où le gouvernement patriarcal de Louis XII avait fait renaître l'abondance et la joie ; la France présentait, de toutes parts, dans les villes et dans les champs, l'aspect le plus riche et le plus heureux ; les grandes fortunes diminuaient, mais beaucoup de petites fortunes se formaient de leurs débris ; car, d'autant que les biens et l'argent se départent entre plus de personnes, autant en a moins un chacun. La population s'augmentait, avec la prospérité du pays ; tous travaillaient pour accroître leur avoir ; le commerce avait pris un accroissement extraordinaire : les nobles mêmes s'en mêlaient ; l'entrecours de la marchandise par terre et par mer devenait, de jour en jour, si aisé et si fréquent, qu'on faisait moins de difficulté de s'embarquer pour Rome, Naples, Londres et delà la mer, qu'autrefois d'aller jusqu'à Lyon ou à Gênes. La découverte de l'Amérique par Christophe Colomb avait stimulé l'audace des navigateurs, qui équipaient des vaisseaux et couraient les mers à l'aventure. Le négoce des villes s'enrichissait par son activité ; on ne construisait pas une maison sur rue, qui n'eût boutique pour marchandise ou pour art mécanique ; on trouvait aussi plus de vendeurs que d'acheteurs, et, pour un marchand riche qu'on citait du temps de Louis XI à Paris ou à Rouen, on en comptait alors cinquante. Cette affluence de numéraire était surtout sensible dans la levée des impôts : les tailles se recouvraient à moins de contrainte et de frais, que sous les règnes précédents. L'agriculture et l'industrie avaient grossi les cens et rentes des terres particulières, qui rapportaient, chaque année, plus qu'elles n'eussent produit jadis par la vente du sol ; les dots de femme en mariage étaient ainsi plus considérables. Les revenus de l'État avaient doublé en même temps : gabelles, péages, greffes, tout gagnait sous la florissante administration du roi. Le résultat de ce bien-être public fut un luxe élégant, qui se communiqua des hôtels des princes aux ouvroirs des marchands. Le cardinal d'Amboise avait donné l'exemple et le goût des arts : partout, des jeux et ébattements à grands frais ; partout, de grands édifices, qui s'élevaient comme par magie, pleins de dorures, non pas les planchers tant seulement et les murailles qui sont au dedans, mais, les couverts, les toits, et images qui sont par le dehors ; partout, des ameublements somptueux, des pièces d'argenterie ; il n’y a sorte de gens qui ne veuillent avoir tasses, gobelets, aiguière et cuillers d'argent ; chez les, seigneurs et les prélats, la vaisselle de table était en or massif ; il fallut une ordonnance somptuaire, pour corriger cette superfluité. Quant aux, habillements, la mode les avait composés de velours, de drap de soie, de-satin et de fourrures précieuses, avec ornements d'orfèvrerie. Un bon pasteur ne peut trop engraisser son troupeau, disait Louis XII.